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De l'art et du cochon.

Jean-Jacques Lepitre
Banalité usée du jeu de mots.
Ambiguïté résonnant en écho du discours contemporain. L'art, ce qu'il dit, surtout ce qu'il en est dit. L'art actuel. Le discours contemporain et usé...
Deux événements en illustration de cette ambiguïté qui vire à l'opacité, à la confusion.
Place Vendôme, l'installation, désinstallation du plug, arbre, de Paul McCarthy.
Musée d'Orsay, l'exposition Sade. « Attaquer le soleil ».
Et pour chacun, de façon étrangement semblable, son mini scandale préalable venant peut-être bien occulter des questions plus authentiques.
Deux événements récents, Novembre 2014, Paris.
Du premier, on peut s'étonner. Le bruit est venu de sa forme, plug anal ou arbre, c'est cela qui a fait soi-disant scandale. De l'énormité de l'objet planté au milieu de cette place à l'architecture si mesurée. Or le scandaleux n'était-il pas, plutôt que sa forme, sa laideur ? La laideur de cet objet ressortissant de l'esthétique des supermarchés, des objets de supermarchés. On en trouve massivement dans leurs rayons, surtout ceux consacrés à la toilette, à la parfumerie, aux lessives ou détergents, etc... On y en trouve des dizaines, des centaines d'objets du même genre. Même forme ambiguë, ( phallique, vulvaire, voire anale ), même couleur criarde, même plastique irrémédiablement moche. N'est-ce pas cette laideur qui était scandaleuse ?
Mais aussi bien cette laideur n'est pas étrangère à la démarche de l'artiste, Paul McCarthy, qui se veut à la fois contestant et transgressant le discours de la société de consommation si bien illustrée par ces objets de supermarché et leur esthétique.
L'étrangeté de cette installation est qu’elle ne soit pas un acte de l'artiste mais de la puissance publique. Celle-ci en imposant la vision de cette esthétique dans l'espace ouvert de cette place n'en change-t-elle pas le sens ? En l’imposant à tout un chacun ne produit-t-elle pas au moins une ambiguïté ? C'est à dire qu’ainsi exposés dans l'espace public, ne serait-ce pas la liberté du choix de voir ou de ne pas voir une telle oeuvre qui est remise en cause, à la différence de l'exposition dans une galerie, un musée, ou tout autre espace clos, dont l'abord ressort de la décision individuelle.
Étrangeté de l'imposition par la puissance publique de la vision d'une oeuvre sans autre forme d'explication. Qu'est-ce qui est là imposé ? Est-ce la contestation que représente l'oeuvre ? Mais alors comment la puissance publique participant au discours dominant viendrait à imposer comme admirable ce qui serait sa contestation même ? Ou bien est-ce l'oeuvre, est-ce l'objet, qui sont imposés dans leur esthétique, leur laideur d'objets de supermarchés ? Ce serait alors cette esthétique qui serait imposée comme admirable ?
Ambiguïté !...
Dans le même temps, Paul McCarthy, avait installé une chocolaterie à la Monnaie de Paris, dans la même perspective de dénonciation où il produisait en masse, dans un espace privé, de petits pères-noël et de petits plugs en chocolat. Dénonciation de la consommation. Le rapprochement analogique du caca et du chocolat est quelque chose qui fait beaucoup rire les enfants de deux à quatre ans, enfants par exemple de petite section de maternelle. Cela a aussi quelque chose d'assez freudien : analité, maîtrise, consommation, possession, emprise...
L'ambiguïté était-elle de dénoncer cette dimension régressive, archaïque, ou au contraire de la promouvoir ? Une pareille dimension n'est pas sans être au détriment de dimensions humaines moins primitives : amour, raison, sublimation, etc...
L'exposition Sade : « Attaquer le soleil ». D'emblée ici une ambiguïté s'énonce. Le mini film de présentation, de promotion, réalisé par le Musée d'Orsay fait scandale. Ambiguïté. Ce qui fait scandale c'est la nudité, la sensualité, de ces corps féminins, essentiellement, à la peau si douce, si chaude telle que le suggère ce film. Cette exhibition d'érotisme tiède et tendre.
Et personne ne semble relever le contresens massif de ce film. Qu'est-ce qui fait le plus peur à Sade ? De quoi est-il incapable de jouir ? Qu'est-ce qu'il nous montre à longueur de livres qu'il faut battre, fouetter et même lacérer? Si ce n'est cette peau, cette peau féminine, si douce et si sensuelle. Dont il se montre incapable de jouir. Dont on peut même soupçonner qu’elle lui fait peur. Au point que celle qui la possède, au lieu d'être partenaire, complice d'un partage de jouissance, il faut au contraire la dé-subjectiver, en faire un objet pour mieux la maîtriser. Humiliation de cet objet, terreur, et surtout en avoir la maîtrise, voilà la seule jouissance restante à qui est incapable de jouir véritablement. Sade n'est qu'un pervers. Cette incapacité de jouissance se perçoit pourtant bien tout au long de ses livres. Voyez comment sans cesse il en revient à devoir se justifier, à devoir démontrer qu'il a raison dans la justification de ses actes et de la réduction de sa jouissance à cette étroitesse de son sadisme. De façon répétitive, compulsive, dans un style lourd, scolaire, administratif, c’est sans cesse les mêmes démonstrations et les mêmes raisonnements. S'il avait raison, aurait-il besoin d'une telle répétition, d'une telle insistance, aussi pesante et aussi envahissante ? Mais ces démonstrations se heurtent à la question de la réciprocité de cette liberté absolue qu'il réclame, puisqu'elle revient à ce que cette liberté voulue de tous n'aboutit qu'à la loi du plus fort. Et à lire ses descriptions de scènes soi-disant érotiques, on ne peut qu'être affligé par leur pauvreté, leur répétitivité, leur tristesse. En dehors de ce qui se veut violent et cruel, quel manque de poésie et d'imagination ! Un érotisme ramené à la bêtise comptable et à la petitesse numérique : ajouter un con, une bite, en retirer trois, en rajouter quatre, etc... Et bien sûr, sans jamais le joyeux face-à-face des amants...
L'ambiguïté d'emblée révélée par le contresens de ce film semble se prolonger au travers des divers éléments de l'exposition. Sade semble y être présenté comme l'ouvreur de la liberté de représentation de la sexualité. Lui qui de cette représentation n'avait que l'abord limité et restreint du pervers. D'en faire cet ouvreur, c'est écarter qu'il ne fut pas le seul, c'est ne compter pour rien les libertins, les libres-penseurs du XVIIIe siècle, les philosophes de la nature, etc... Du coup, cette ambiguïté se montre dans le choix même des oeuvres exposées. On peut supposer que les belles endormies de Courbet auraient fait sortir son fouet au divin marquis. Comment une telle jouissance, si suave, si féminine, dont il n'aurait eu aucune maîtrise, lui aurait-elle été tolérable ? À l'autre bout du spectre, le film « Salo » de Pasolini se montre comme une oeuvre exacte. Pasolini y montre les scènes, pas toutes d'ailleurs, décrite par Sade dans son livre. C'est proprement insupportable, insoutenable ! De violence, de scatologie, d'avilissement ! Pasolini nous propose de voir ce qu'est vraiment Sade. Et il nous montre que les organisateurs de ces scènes, les sadiques, ne sont que l'autorité et le pouvoir dans ce qu'ils ont de plus fasciste, arbitraire et tyrannique ! Les sadiques, ces mussoliniens fascistes, ce sont ceux-là, ceux qu'il montre, incapables de jouir d'autre chose que du pouvoir de maîtrise, d'emprise, d’humiliation, qu'ils infligent à des jeunes gens.
N'y a-t-il pas une confusion entre Sade comme prétexte à bousculer la censure, ce que fit Jean-Jacques Pauvert, avec Sade lui-même, son oeuvre, son personnage, sa perversion ?
De ces diverses ambiguïtés, quels messages entendre ? Faut-il, de ce que l'autorité installe une oeuvre comme celle de McCarthy au centre de Paris, entendre qu'il y aurait urgence à détruire, comme le fit José Bovet en son temps pour les Mac Donald, les supermarchés, les temples de la consommation ? Est-ce une incitation, voire une obligation ? Faut-il se rendre à l'exposition Sade le fouet à la main et en faire usage sur les diverses spectatrices et les divers spectateurs présents en criant « liberté ! » ?
Il y a fort à parier, bien que ce soit la puissance publique qui organise ces expositions, que de tels actes amènent directement leurs auteurs en prison. Pourtant ils ne manqueraient pas de cohérence ! Et il y aurait là un certain écho de ce que firent en leur temps les dadaïstes et les surréalistes...
Alors a contrario, faut-il percevoir derrière le rideau de fumée de pseudo scandale dont veulent se parer ces manifestations quelque chose de plus insidieux dans l'ambiguïté même de leur présentation ?
À savoir la mise en avant des dimensions régressives, archaïques, dont elles seraient les manifestations. Dans les deux cas ce sont les mêmes: jouissances réduites à celles de la consommation, de la maîtrise, de l'emprise... Jouissances réduites à la répétition monotone et sans invention, voir les productions de McCarthy ou les raisonnements et scènes répétitives de Sade, où se donnerait l'illusion d'une esthétique et d'une liberté ! ?
Est-ce exagéré ? Peut-être... Pourtant l'ambiguïté des places, des lieux, des adresses, des objets, ne fait-elle pas une étrange danse ?