En guise de préambule:
Dans l'après de l'exposé oral de ce qui suit, il s'est avéré que le
parti pris de ce que l'auditeur soit interrogé dans sa position de
croyance en la psychanalyse a fait ambiguïté. Alors, contrairement à ce
qui fut dit de confus comme introduction, afin de permettre cette
interrogation, ici, je dis tout net et par avance ce qui en fut la
conclusion: il n'est pas nécessaire de croire en la psychanalyse,
celle-ci n'est pas du ressort de la croyance. Freud et Lacan ont
participé à cette fin de la métaphysique que décrit Heiddeger. Le père,
l'Autre, même symboliques, ne sont pas des notions transcendantales.
Mais de ce qu'elle interroge le sujet, en tant qu'il se fonde de son
articulation aux signifiants, la psychanalyse, dans sa pratique, ne
peut qu'être intéressée à la question de la croyance.
C'est ce double versant, de la théorie et de la pratique, qui est ici
abordé.
Introduction:
La croyance et la psychanalyse, ce "et" disjonctif, la croyance, d'un
côté, et la psychanalyse, de l'autre, ce "et" de confrontation, me
semble devoir devenir inclusif: la croyance en psychanalyse,
c'est-à-dire la croyance au sein de la psychanalyse. Ce qui équivoque:
croyance selon la psychanalyse, croyance en la psychanalyse. Je dis
croyance, et pas seulement foi. Equivoque indispensable de ce qu'à
vouloir penser le "croire en la psychanalyse" se soulève forcément la
question du croire, du tenir pour vrai, selon la psychanalyse, et ceci,
de l'appliquer à elle-même.
I Logique modale et Platon
Pour commencer, je vais vous proposer un premier tour, premier passage,
ramassé et condensé, dont certains éléments en seront développés par
après.
Si croire, c'est tenir pour vrai, selon la définition la plus large et
la plus commune, il nous faut repartir de celui qui est à l'origine
d'un tournant de notre pensée qui se poursuit jusqu'à nous, concernant
la vérité et son statut, à savoir Platon.
Pour celui-ci, la vérité est de l'ordre du nécessaire, de la science
véritable, de l'être, et s'oppose à la croyance, au paraître vrai, à
l'opinion, à la doxa, toutes choses qui s'identifient au variable, au
conditionné. La vérité, elle, est de l'ordre de l'immuable comme
nécessairement vraie, c'était dire dans tous les mondes, dans tous les
temps. L'ignorance, la croyance, sont ce qui résulte de l'illusion due
aux sens, au corps, Cf. le mythe de la caverne. Elles sont du ressort
du paraître s'opposant à l'être. L'âme, elle partant de l'opinion, de
la croyance, en son mouvement discursif interne atteindra à la science,
au vrai, par la coïncidence quasi sémantique de son discours interne,
le jugement d'attribution, avec l'idée de la chose sur laquelle porte
ce jugement. L'idée étant cette essence permanente, en tous les mondes
en tous les temps, qui perdure au travers les représentations sensibles
contingentes ou possibles de la chose. Elle est la réalité même, et la
représentation véritable et comme telle, elle est l'être.
L'être, la réalité, le nécessairement vrai s'opposent donc au sensible,
au paraître, à la croyance aussi bien qu'au probable et au contingent
de l'opinion.
Mais peut-être, ces deux derniers termes peuvent-ils être distingués,
si avec les Stoïciens, nous distinguons de la croyance opinion
platonicienne, la croyance assentiment qui accompagne le processus du
jugement attributif. Ici, croire sera faire foi, avoir foi, en une
représentation, en une proposition. La foi sera le mouvement intérieur
par lequel se produit le tenir pour vrai. On rangera ce mouvement de la
foi dans l'ordre du contingent, puisque ce mouvement sera de l'ordre de
la rencontre éventuellement unique, originale, de l'assentiment avec
son objet. Alors que l'opinion, la doxa, se présente plus comme étant
d'ordre statistique, de l'ordre de la probabilité, donc du possible.
Ces différents éléments exposés, nous allons les ranger, le plus
simplement du monde à partir de ce que nous y avons entendu, dans le
carré de la logique modale et de ses différentes catégories: le
nécessaire, le contingent, le possible, et l'impossible.
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Dans la catégorie de
l'impossible, restée vide, de ne pas avoir été évoquée, nous mettrons,
comme nous l'indique Lacan, le Réel, ainsi que lui-même les égalise.
Dans la catégorie de l'impossible, restée vide, de ne pas
avoir été évoquée, nous mettrons, comme nous l'indique Lacan, le Réel,
ainsi que lui-même les égalise.
Du fait de cette égalité du Réel et de l'impossible, nous nous trouvons
devant un certain nombre de paradoxes.
- Le Réel comme impossibilité à connaître, à appréhender, peut-il être
d'un autre ressort que la croyance, puisque échappant, comme
impossible, aux catégories du savoir ?
- S'il est du ressort de la croyance, est-ce du côté de la doxa, effet
social ou groupe analytique, culture ambiante, ou du côté de la foi,
problème du transfert?...( et ici, le Réel se présente comme un
paradigme de tout concept psychanalytique).
- Ou bien peut-on articuler un nécessaire du Réel? Mais énoncer cela,
n'est-ce pas énoncer une proposition contradictoire? Puisque c'est
énoncer qu'il y a un impossible à dire la vérité, toute la vérité, (le
nécessaire), c'est pourtant ce qu'énonçait Lacan.
- Alors, à sa suite, y aurait-il une réalité du Réel? Puisque le
nécessairement vrai est ce qui s'articule d'une réalité? Si la réalité,
c'est ce à quoi on se heurte, cf. Freud dans l'établissement du
principe de réalité, aussi bien que les philosophes, comment concevoir
ce heurt au Réel? Le trauma? Mais de rester non symbolisé, celui-ci ne
semble pas faire heurt au sens de la réalité? & Alors peut-être la
cure?..
- Et on imagine la modification qu'en subit le carré de la logique
modale &
II Le signifiant
Après cette première approche un peu ramassée, un peu difficultueuse,
je vais essayer d'en déployer quelques points.
On sent bien dans ce qui précède que l'élément problématique se situe
dans notre pente naturelle à égaliser le signifiant avec l'idée qu'il
représente et la réalité qu'il désigne. L'adéquation entre la chose et
sa représentation, "adequatio rei et intellectus", l'adage des
philosophes du moyen âge issu de la métaphysique inaugurée par Platon
concernant la vérité, continue jusqu'à nous. En effet comment ne pas
croire au langage ?
C'est de là que dans un premier temps je pensais commencer mon propos.
Toujours à partir de Platon, mais plus précisément de ce texte qui m'a,
depuis ma première lecture, sidéré et me laisse encore aujourd'hui
hésitant: "Est-ce de l'humour noir ou de la mise en acte comme preuve
ultime de cette métaphysique qui est encore la nôtre?" Ce texte, c'est
celui du Phédon. Je vous rappelle en deux mots de quoi il s'agit:
Socrate, condamné à mort, est dans sa prison, le jour prévu de son
exécution. Ses amis viennent lui rendre visite. Ils ont un plan pour le
faire évader afin qu'il échappe à la sentence. Or, à leur grand
étonnement, il refuse. Tout d'abord, et il préfigure là le: "Rendre à
César ce qui appartient à César" du Christ, en évoquant qu'il ne
saurait aller contre les lois de la cité même si celles-ci sont
injustes à son endroit. Mais, ensuite et surtout, il va développer une
argumentation visant à démontrer que l'existence des signifiants ne
peut correspondre qu'à une réalité des idées, des concepts qu'ils
désignent et qu'ils incluent. Et ceci même pour les signifiants
dépourvus de réalité tangible, d'ailleurs le corps et les sens ne
sont-ils par les origines de l'illusion et des croyances ... Pour ce
faire, Socrate va évoquer un certain nombre de signifiants et de
concepts, comme le chaud, le grand, demandant à ses amis s'ils sont
d'accord avec lui pour en affirmer la réalité. Ceux-ci acquiesçant, il
leur propose d'en examiner les antonymes, le froid, le petit, et de lui
dire si, également ceux-ci, correspondent bien à une réalité,( il leur
a montré auparavant que ces idées ne vont pas sans leur contraires).
Ses amis l'ayant approuvé, Socrate leur propose d'examiner le couple
d'opposés : mortel et immortel. De ce que le concept, l'attribut mortel
correspond bien à une réalité, ils en sont d'accord, il s'en suivra que
son contraire, immortel, correspondra aussi à une réalité.
Ayant ainsi montré l'existence de l'immortalité Socrate va démontrer à
ses amis que les idées, les concepts demeurent immuables, invariables,
non contingents. Ainsi, si on peut faire varier un nombre pair ce ne
peut être que dans certaines limites au-delà des quelles il deviendra
impair. Les caractéristiques de pair ou d'impair, elles mêmes ne
varient pas, elles sont immuables, et donc parfaites. Or l'âme, partie
la plus parfaite de l'homme, siège de l'intellect, ne peut que
participer de la nature des idées, car sans cela comment ferait-elle
pour les penser ?
Arrivé à ce point, l'existence de l'immortalité ayant été montrée,
celle-ci ne peut que s'appliquer aux idées et à l'âme qui y participe,
au contraire du corps qui, englué dans les sens et les passions, dans
la corruption des illusions, ne peut être que périssable. Socrate en
tire alors quelques conclusions: - Si l'âme est immortelle, l'homme
doit en prendre soin car toutes les fautes qu'il commettra de son
vivant perdureront avec son âme ... - Mais surtout, si toutes les idées
ont cette caractéristique de perfection d'être immuables, complètes,
etc..., la perfection étant elle-même une idée, c'est une idée
supérieure d'être présente chez toutes les autres, une idée des idées
en quelque sorte, un être supérieur de tous les êtres, que Socrate
nomme le Souverain Bien. L'âme ne peut que tendre vers cet Etre
supérieur, de participer à la perfection des idées.
L'immortalité de l'âme ayant été montrée et même située sur le chemin
de la perfection, Socrate peut mettre en jeu sa vie pour prouver la
vérité de son dire, et boire la cigüe puisque, en ce qui concerne
l'âme, la mort n'existe pas!...
Cette conclusion me permet d'aborder directement la seconde histoire
que je voulais vous narrer, de ce qu'elle soit étrangement similaire,
et qui est celle du Christ. D'avoir détaillé un petit peu celle de
Socrate va nous permettre d'aller plus vite. Jésus, comme Socrate,
était quelqu'un qui croyait radicalement aux signifiants, à sa parole.
D'ailleurs ne commençait-il pas la plupart de ses phrases par : "En
vérité, je vous le dis ...". Comme Socrate il glose sur les êtres, les
idées, (le bien, le beau, le bon, l'amour, etc...). Comme lui aussi,
c'est à un être suprême, transcendantal, que sont rapportés tous les
êtres, et le fondement de sa propre parole: "ce n'est pas moi qui
parle, mais le père par ma bouche ...". Comme Socrate, il énonce que
l'être de l'homme, c'est en son âme qu'il se trouve, et que celle-ci
participant de l'être suprême est immortelle. Comme Socrate, il indique
que le corps est source d'imperfections, d'illusions, d'erreurs, de
fautes ... Comme Socrate, il n'hésite pas à mettre sa vie en jeu comme
preuve de la croyance en la vérité des signifiants qu'il énonce, ...
Comme pour Socrate, "la mort, celle de l'âme, n'existe pas!"
III Fission
Arrivé à ce point, point de fission, d'y devoir décomposer en questions
élémentaires ce qui me paraît inclus en ces deux récits &. Point de
fission, il me vient que c'est peut-être une métaphore indue, selon
Sokal et Bricmont, les auteurs des "Impostures intellectuelles"; venue
peut-être pas de hasard, qu'il soit question du nécessairement vrai et
de la science? &
La premières question élémentaire qui s'en dégage, c'est celle de la
croyance au signifiant, que le signifiant correspond nécessairement à
la vérité de l'être qu'il énonce. C'est le départ du message de Socrate
aussi bien que de celui du Christ. De là découle, pour Platon, le rejet
de la métaphore et des arts métaphoriques, poésie, théâtre, etc,.., et
sans doute que la plupart des paraboles du Christ ont trait à l'être.
C'est aussi cette croyance aux signifiants qui faisait égaliser, par
Platon, la science avec le nécessairement vrai. Ax+b désigne
nécessairement et véritablement l'être de cet ax+b, équation du premier
degré, car si il désignait autre chose, a2 ou d+e+f, même
métaphoriquement, plus aucun calcul mathématique ne serait possible ...
D'où, sans doute, l'évocation pour partie des auteurs des "Impostures
intellectuelles", qui semblent avoir une position très platonicienne,
quant aux concepts scientifiques et leurs emplois , ( ceci est juste
une indication..) ...
Si vous je signalais tout à l'heure la métaphysique platonicienne comme
notre pente naturelle, c'est que cette croyance au signifiant et à la
vérité qu'il désigne est la loi primordiale du langage, le pacte
fondateur du Symbolique. Rien de moins. Comme le rappelait avec humour
Melman dans un de ses séminaires, si, au guichet de la gare vous
demandez un billet pour Lyon et que vous fâchiez le préposé de ce qu'il
vous donne effectivement un billet pour Lyon et non pour Poitiers,
selon la blague de Lemberg et Cracovie que rapporte Freud, ça risque de
tourner rapidement au vinaigre ...
La deuxième question élémentaire s'origine de ce que mon analyse et mon
rapprochement de Socrate et de Jésus s'appuient non seulement de leur
énoncé mais aussi et principalement de leur position en tant que sujet
de leur énonciation. C'est en tant que croyant absolument à la vérité
des signifiants qu'ils énoncent, qu'ils peuvent aboutir à ce que la
mort n'existe pas et passer à l'acte.
Cette position d'un dire vrai du sujet de l'énonciation, c'est aussi
l'invite qui est faite à chacun venant en analyse, implicitement par la
situation et explicitement par la règle fondamentale: "dites tout, même
l'absurde, l'incongru, ...". ( Ce qui rejoint aussi la question de la
parole pleine évoquée par Lacan, ou le début de son articulation de son
article, la "Chose Freudienne": -"moi, la vérité, je parle!"..).
C'est aussi sur ce chemin que se règle l'écoute de l'analyste, jusqu'y
compris dans le paradoxe de la dénégation, comme le montre Freud dans
le départ de son article. C'est au creux de cette tentative d'un dire
vrai que résonne étrangement le "ce n'est pas ma mère" qu'y énonce le
patient. Car, si ce n'était pas celle-ci, même sous cette forme
négativée, quelle raison y aurait-il à la survenue de ce signifiant
"mère" à l'esprit du patient, au sein de cette tentative?
C'est ainsi également que se résout le paradoxe du menteur, comme le
montre Lacan. Celui qui énonce:" Tous les Crétois sont menteurs, or je
suis Crétois", l'énonce vraiment, c'est-à-dire avec vérité, sans cela
le paradoxe ne tiendrait pas. Mais rapportés au désir de vérité de son
énonciation, il apparaît qu'il ne peut que proférer un mensonge : soit
il n'est pas Crétois, soit tous les Crétois ne sont pas menteurs. Dans
les deux cas, il ment. Il ment pour de vrai.
Ce qui nous interroge ici c'est la fascination qu'exercent ceux qui,
comme Socrate ou Jésus, croient radicalement au signifiant, qui ont
cette position comme sujets de l'énonciation. ( Ce n'est pas la
position la plus commune, où nous pouvons douter de notre dire, et du
caractère éventuellement trompeur du signifiant). Ne sommes-nous pas
aussi dans cette fascination par rapport à Lacan, en ce que sa position
d'énonciation, par rapport au signifiant, soit semblable.(N'a-t-il pas
dit lui-même qu'il était en position d'analysant, c'est à dire visant
cette parole pleine?). Et s'il n'a mis sa vie en jeu comme preuve de sa
croyance aux signifiants qu'il énonçait, il a risqué et assumé
l'éviction de là où il était reconnu, cf. l'excommunication de l'IPA.
Il est aussi remarquable que le Phédon comme les évangiles, ou les
séminaires de Lacan, ne sont pas des écrits directs, mais des
témoignages de leur discours, des transcriptions, c'est peut-être pour
cela que peut s'y repérer plus facilement leur position comme sujets de
l'énonciation. Est-ce pour cela aussi que nous étudions, par exemple,
plus les séminaires que les "Ecrits"? (Il y aurait parallèlement à
s'interroger, dans nos sociétés, sur l'importance prise par les
reportages, télévisuels, journalistiques, et autres témoignages,
etc..).
Un dernier point : si nous avons tendance à être fasciné par cette
position du sujet de l'énonciation comme croyant au signifiant, et j'ai
indiqué aussi que c'était la position de l'analysant, vers la parole
pleine, alors en quoi cette fascination participe-t-elle du désir de
l'analyste, si celui-ci est ce qui soutient son écoute ?
Enfin, il resterait, mais est-ce possible, à comprendre en quoi
consiste cette fascination? (Anticipant ce qui suit, peut-être, juste
en indiquer, ce qui, dans cette position, témoignerait d'un rapport au
père, à l'Autre , symboliques).
Mais, avant, il nous faut envisager une troisième question élémentaire.
Vous avez pu entendre que pour Socrate comme pour Jésus, leur croyance
dans les signifiants était appendue à l'existence d'un Etre suprême,
transcendantal. (c'est pour cette raison que j'ai noté en dehors, au
dessus, de la case du nécessaire sur le carré logique, l'être). C'est
parce que chaque signifiant renvoyant au concept, à l'idée, qui est
l'être immuable, constant, de la chose qui l'actualise, que la réalité,
c'est-à-dire l'ensemble des choses, qui consiste en cette coïncidence,
peut être dite vraie. Sans cela elle ne pourrait être qu'évanescence,
chaos, illusion, croyance... Mais , tous ces êtres ayant cette
caractéristique d'être, il doit bien exister un être supérieur, rendant
compte de cette caractéristique elle-même. C'est ainsi que s'articule
la preuve ontologique de l'existence de Dieu.
Or je vous rappelais que nous sommes tous croyants dans les
signifiants, que c'est notre condition de parlêtre. Peut-être, pas au
point d'un Socrate ou d'un Jésus ... Mais cela veut dire malgré tout
que nous sommes tous appendus à l'existence d'un "être suprême" qui
garantit la vérité de nos signifiants, et aussi, il faut le noter, du
coup, de notre réalité.
Cette croyance en un être suprême, peut-être faut-il la spécifier
d'être du côté de la foi ? Elle n'est pas du côté de la doxa, de
l'opinion, mais bien du côté de la rencontre, de la tuché, les
mystiques ne parlaient-ils pas de révélation ? Elle est aussi du côté
de l'amour, car comment ne pas aimer l'être qui soutient la vérité de
mon dire ? ...
Or, et c'est là que se produit la fracture, Freud nous a appris à
reconnaître dans cet être suprême la figure du père. Lacan en a précisé
les contours avec la notion du grand Autre. Ne désigne-t-il pas
celui-ci, d'ailleurs, comme le lieu des signifiants? C'est peut-être
alors le moment de s'interroger sur le transfert comme foi ?
De ce que nous avons dit précédemment de la position d'énonciation de
l'analysant, cette tentative de dire vrai, il apparaît que celui qui
l'écoute dans cette tentative est aussi mis en place, du coup, de
garant de la vérité des signifiants énoncés. C'est en cela que
l'analyste est sujet supposé au savoir, entre autre. Que cela soit de
l'ordre de la rencontre, c'est ce que montre aussi l'instauration du
transfert, qui peut être là d'emblée, voire même avant la première
entrevue. Et qu'il en découle de l'amour, nous avons déjà dit pourquoi.
Et que l'analyste soit garant de la vérité des signifiants ne se limite
pas forcément à l'histoire de l'analysant. D'être mis ainsi en place de
sujet supposé au savoir, ce qui est donc l'équivalent de l'être suprême
de la métaphysique platonicienne, peut venir le mettre en place
éventuellement de garantie de tous les signifiants, par cette opération
du transfert. Et à fortiori de ceux de la psychanalyse. C'est pourquoi
j'évoquais la foi ou la croyance, au départ, avec le réel comme
paradigme, puisqu'aussi bien, de cette façon, tout concept analytique
peut être du ressort de la foi.
Mais Freud nous ayant donc appris à reconnaître la figure du père en
cette place de l'être suprême, et Lacan à sa suite, dans celle de
l'Autre, qu'ont-ils faits? Rien moins que de ramener la dimension
transcendantale de cet être à la dimension historique individuelle, de
la métaphysique à la physique. Les conséquences en sont d'importance.
Avant de les explorer un petit peu, je voudrais faire une digression
car elle est à mi-chemin du problème de la foi et des conséquences de
la chute freudienne de cet être.
Digression:
Il peut m'arriver que guidé ou poussé par l'enchaînement de mes idées
ou la dialectique de mes associations, je parvienne à des choses me
paraissant un peu difficiles ou un peu grosses, comme celle qui
précède, le rapprochement de Socrate et Jésus. Je vais alors voir dans
les "Ecrits" ou séminaires de Lacan, (et là, ne suis-je pas du côté de
la foi?), afin d'y trouver quelques éléments qui pourraient m'indiquer
si oui ou non cette dialectique, ces enchaînements sont cohérents ou
possibles. Et j'ai souvent la surprise incroyable, je souligne
justement incroyable, de trouver là, par exemple, Socrate et Jésus,
séminaire VIII, p 125, la similitude de l'âme selon Socrate et le
Christianisme... C'est à dire plus que des éléments, mais bien déjà des
parties de ma conclusion!..
Alors une question me fait vertige, s'il ne s'agit pas d'un déjà su,
oublié, voire refoulé, ce qu'il ne me semble pas, quelle signification
ont pareilles retrouvailles? Suis-je à ce point possédé par le discours
lacanien, rappelez-vous la possession de Loudin que je pense du Lacan
sans le savoir ? Y a-t-il une possession psychanalytique ? Quelle
serait-elle ? Et Lacan en serait-il notre diable ? La possession, c'est
un critère des exorcistes, se marque de ce que quelqu'un parle une
langue dont il ignore la signification. Est-on certain de ne jamais
être des possédés de la psychanalyse ?
On se souvient de la fonction du diable chez notre chère Jeanne des
Anges... Comment le diable la prenait, la tenait, comment il était là
comme élément de son refus d'une certaine castration, dans son rapport
à l'amour divin, mais en même temps comme il avait fonction de pousse à
l'acceptation de la dite castration...
Sommes-nous donc, nous aussi, dans ce compromis, cette ambivalence, par
rapport à la castration, dans nos quotidiens, plus radicalement notre
ex-istence, pour être habités de la psychanalyse comme du diable ?
Mais il y a une autre réponse possible à cette question, seulement elle
n'est pas aussi simple qu'il y paraît. Lacan semble lui-même y avoir eu
difficulté. C'est celle de la scientificité de la psychanalyse ...
En effet, à partir d'une batterie conceptuelle de base, celle de la
psychanalyse ou d'une autre science, peu importe, ne peut être produit
qu'un certain nombre de propositions bien formées, au sens de la
logique formelle, et pas d'autres. C'est une question de cohérence des
discours scientifiques. Il est donc normal que deux auteurs partant de
la même batterie conceptuelle parviennent aux mêmes conclusions. Pour
nous tous, si chacun respecte la batterie conceptuelle de
l'arithmétique la conclusion de 2 + 2 est égale à 4. C'est cette même
cohérence qui est à l'Suvre dans la possibilité de journées d'études.
L'emploi de mêmes concepts avec les mêmes acceptions induit des
discours, des propositions, qui en sont compréhensibles et congruents.
Peut on en conclure pour autant à une scientificité de la psychanalyse?
Rien n'est moins sûr, n'en déplaise aux deux auteurs précédents, Sokal
et Bricmont, car l'emploi des mêmes concepts avec les mêmes acceptions,
peut aussi être l'Suvre de la foi ou du diable !...
IV Fracture...
J'en reviens à ce moment, qui est aussi un moment historique, où Freud
et Lacan font redescendre sur terre, à l'exemple de Marx, l'être
suprême de la métaphysique. C'est donc un moment historique, et s'ils
ne sont pas les seuls, ils ont ceci de particulier de situer dans
l'histoire singulière de chacun, et non l'histoire générale, dans les
figures du père, de l'Autre, ce qu'il en était de cet être suprême.
Par ailleurs, un survol rapide de la philosophie occidentale depuis ses
débuts, depuis les pré-socratiques, permet de constater qu'elle a
toujours été embarrassée comme d'une guigne des questions de la
connaissance et de la réalité. Sous les deux modes du jugement
d'attribution et du jugement d'existence, ne parvenant pas à les
résorber, elle a tenté de lier la dimension d'existence pure, la chose
en soi, avec la connaissance de la réalité, à savoir l'adéquation de la
pensée avec la chose pensée, de la représentation avec son contenu .
Mais la plupart du temps, depuis et avec Platon, ce fut au détriment de
la chose en soi.
Heidegger, dans sa conclusion de "Qu'appelle-t-on penser?", indique
ainsi que la métaphysique depuis Platon a séparé en deux lieux
différents, le métaphysique et le physique, l'être là, la chose en soi,
et l'étant, le phénomène par lequel s'actualise cet être là. On sait
combien Lacan s'est appuyé sur Heidegger dans l'établissement du
concept de réel,( cf. l'articulation autour de "das Ding" ).
Le réel est donc cet être-là, cette chose en soi, pur ex-istant, qui,
comme tel, échappe à toute connaissance, tout savoir, impossible donc à
connaître, à appréhender.
Mais là où Lacan n'est pas philosophe, c'est qu'il ne privilégie pas
une dimension au détriment de l'autre, ce qu'a tendance à faire
Heidegger par exemple en mettant en avant l'être-là , ou les
philosophes le précédant en résorbant la chose en soi dans le registre
de la connaissance. Non, Lacan maintient et la question du réel et la
question de la réalité.
Nous voyons donc que l'être suprême de la métaphysique se divise en
deux : d'un côté le père, l'Autre, comme garantie de notre croyance en
nos signifiants, et Lacan a montré que son absence, sa forclusion,
entraînait des ravages : la psychose.
De l'autre côté le réel, l'impossible. Vous avez sans doute noté que
chez Socrate il n'y a pas trace d'impossible, et que la question en est
juste, peut-être, effleurée lors de l'épisode du jardin des Oliviers
dans les évangiles, et rapidement résorbé. C'est pour cela que, dans la
case de l'impossible, du carré de la logique modale, il n'a pu être
marqué que le seul réel lacanien. Celui-ci est, en fait, chez Platon ou
le Christ, inclus dans l'être suprême, il y est absorbé. De là, la
possibilité de gloser sur Dieu comme réel.
Alors que devient la réalité dans cette affaire ? Si on suit toujours
Platon, que la réalité est bien cette coïncidence de la pensée avec son
objet, ce qui est la définition la plus large et la plus généralement
admise, qui est notre position spontanée, aussi bien que celle de la
science, il est facilement déductible que si la garantie en est en
l'Autre, et non plus en un être suprême, transcendantal, l'appréhension
de cette réalité va dépendre des contingences historiques de cet Autre,
qui en a ses caractéristiques propres pour chacun.
Pourtant la psychanalyse n'est pas un idéalisme individuel, et elle
doit être capable de rendre compte de cette réalité, qui est la notre,
commune, et qui est aussi celle de la science, c'est-à-dire celle sur
la quelle la science a une action. Mais si chaque réalité de un chacun
parlêtre se fonde de cet Autre personnel, nous avons alors chacun notre
réalité, ce qui semble juste, mais jusqu'où cela va-t-il ? Cela va-t-il
jusqu'à ce qui pourrait être une réalité radicalement hétérogène pour
chacun ? Cela entraînerait que chacun a une réalité, une vision du
monde, particulière et spécifique, et, entre autre, une appréhension
particulière de la psychanalyse &
Ce pourrait être en effet. Mais on ne peut qu'y objecter. Car si toutes
les réalités étaient purement individuelles, hétérogènes, toute
discussion, y compris de comptoir, serait impossible ... Et toute
science également ... Si la réalité est à la fois subjective,
individuelle, et générale, participant au nécessairement vrai, c'est
que ce rapport à l'Autre, grand Autre, propre à chacun, que ce rapport,
lui, est organisé par une structure qui, elle, est commune.
Cette structure que je ne vais pas détailler, allant de la perte de
l'objet jusqu'à l'érection du père symbolique... C'est celle aussi bien
que Freud a décrit avec l'Sdipe, que Lacan avec les noms du père...
Le réel, quant à lui, est cette permanence que Platon attribuait à
l'être suprême, garant de la permanence des idées : le beau est
toujours le beau, etc. ... Et l'impossible, par définition reste
toujours l'impossible.
Alors et pour conclure, trois remarques :
- La première est que cette approche de la psychanalyse conteste mais
n'annule pas l'approche platonicienne de la réalité, cette approche
platonicienne de la science, comme le nécessairement vrai de
l'adéquation de la pensée avec la réalité. Mais elle la conteste en
tant que cette approche repose sur l'exclusion ou le refoulement du
réel, de l'impossible, sur son passage du physique au métaphysique,
comme l'indiquait Heiddeger...
- La seconde remarque : si un certain nombre d'éléments permettent de
penser, semble-t-il, à la possibilité de la psychanalyse comme science,
il y a un problème, et c'est cette affaire de réel, habituellement
refoulé par la science, qui, ici, de faire partie du corpus théorique
même de la psychanalyse, ne peut pas être refoulé et qui de par sa
valeur d'impossible ne peut que faire trou au nécessairement vrai.
Alors, s'ensuit une rude question: une science trouée est-elle
pensable? Pensable, pas seulement imaginable, et pas une science du
trou, ce qui est une topologie, mais bien une science trouée, comme il
semble que Lacan ait tenté d'approcher dans ses derniers séminaires sur
le nSud borroméen...
- Une troisième remarque
concernerait le passage de la pratique
psychanalytique, qui s'articule du transfert, à la théorie, qui
s'associe à cette fin de la métaphysique. Mais ce serait ouvrir un
autre débat, bien que partiellement évoqué, celui de la transmission.