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Croire en (la) psychanalyse?

Jean-Jacques Lepitre

En guise de préambule:
Dans l'après de l'exposé oral de ce qui suit, il s'est avéré que le parti pris de ce que l'auditeur soit interrogé dans sa position de croyance en la psychanalyse a fait ambiguïté. Alors, contrairement à ce qui fut dit de confus comme introduction, afin de permettre cette interrogation, ici, je dis tout net et par avance ce qui en fut la conclusion: il n'est pas nécessaire de croire en la psychanalyse, celle-ci n'est pas du ressort de la croyance. Freud et Lacan ont participé à cette fin de la métaphysique que décrit Heiddeger. Le père, l'Autre, même symboliques, ne sont pas des notions transcendantales.
Mais de ce qu'elle interroge le sujet, en tant qu'il se fonde de son articulation aux signifiants, la psychanalyse, dans sa pratique, ne peut qu'être intéressée à la question de la croyance.
C'est ce double versant, de la théorie et de la pratique, qui est ici abordé.

Introduction:
La croyance et la psychanalyse, ce "et" disjonctif, la croyance, d'un côté, et la psychanalyse, de l'autre, ce "et" de confrontation, me semble devoir devenir inclusif: la croyance en psychanalyse, c'est-à-dire la croyance au sein de la psychanalyse. Ce qui équivoque: croyance selon la psychanalyse, croyance en la psychanalyse. Je dis croyance, et pas seulement foi. Equivoque indispensable de ce qu'à vouloir penser le "croire en la psychanalyse" se soulève forcément la question du croire, du tenir pour vrai, selon la psychanalyse, et ceci, de l'appliquer à elle-même.
I Logique modale et Platon

Pour commencer, je vais vous proposer un premier tour, premier passage, ramassé et condensé, dont certains éléments en seront développés par après.
Si croire, c'est tenir pour vrai, selon la définition la plus large et la plus commune, il nous faut repartir de celui qui est à l'origine d'un tournant de notre pensée qui se poursuit jusqu'à nous, concernant la vérité et son statut, à savoir Platon.
Pour celui-ci, la vérité est de l'ordre du nécessaire, de la science véritable, de l'être, et s'oppose à la croyance, au paraître vrai, à l'opinion, à la doxa, toutes choses qui s'identifient au variable, au conditionné. La vérité, elle, est de l'ordre de l'immuable comme nécessairement vraie, c'était dire dans tous les mondes, dans tous les temps. L'ignorance, la croyance, sont ce qui résulte de l'illusion due aux sens, au corps, Cf. le mythe de la caverne. Elles sont du ressort du paraître s'opposant à l'être. L'âme, elle partant de l'opinion, de la croyance, en son mouvement discursif interne atteindra à la science, au vrai, par la coïncidence quasi sémantique de son discours interne, le jugement d'attribution, avec l'idée de la chose sur laquelle porte ce jugement. L'idée étant cette essence permanente, en tous les mondes en tous les temps, qui perdure au travers les représentations sensibles contingentes ou possibles de la chose. Elle est la réalité même, et la représentation véritable et comme telle, elle est l'être.
L'être, la réalité, le nécessairement vrai s'opposent donc au sensible, au paraître, à la croyance aussi bien qu'au probable et au contingent de l'opinion.
Mais peut-être, ces deux derniers termes peuvent-ils être distingués, si avec les Stoïciens, nous distinguons de la croyance opinion platonicienne, la croyance assentiment qui accompagne le processus du jugement attributif. Ici, croire sera faire foi, avoir foi, en une représentation, en une proposition. La foi sera le mouvement intérieur par lequel se produit le tenir pour vrai. On rangera ce mouvement de la foi dans l'ordre du contingent, puisque ce mouvement sera de l'ordre de la rencontre éventuellement unique, originale, de l'assentiment avec son objet. Alors que l'opinion, la doxa, se présente plus comme étant d'ordre statistique, de l'ordre de la probabilité, donc du possible.

Ces différents éléments exposés, nous allons les ranger, le plus simplement du monde à partir de ce que nous y avons entendu, dans le carré de la logique modale et de ses différentes catégories: le nécessaire, le contingent, le possible, et l'impossible.


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Dans la catégorie de l'impossible, restée vide, de ne pas avoir été évoquée, nous mettrons, comme nous l'indique Lacan, le Réel, ainsi que lui-même les égalise. Dans la catégorie de l'impossible, restée vide, de ne pas avoir été évoquée, nous mettrons, comme nous l'indique Lacan, le Réel, ainsi que lui-même les égalise.
Du fait de cette égalité du Réel et de l'impossible, nous nous trouvons devant un certain nombre de paradoxes.
- Le Réel comme impossibilité à connaître, à appréhender, peut-il être d'un autre ressort que la croyance, puisque échappant, comme impossible, aux catégories du savoir ?
- S'il est du ressort de la croyance, est-ce du côté de la doxa, effet social ou groupe analytique, culture ambiante, ou du côté de la foi, problème du transfert?...( et ici, le Réel se présente comme un paradigme de tout concept psychanalytique).
- Ou bien peut-on articuler un nécessaire du Réel? Mais énoncer cela, n'est-ce pas énoncer une proposition contradictoire? Puisque c'est énoncer qu'il y a un impossible à dire la vérité, toute la vérité, (le nécessaire), c'est pourtant ce qu'énonçait Lacan.
- Alors, à sa suite, y aurait-il une réalité du Réel? Puisque le nécessairement vrai est ce qui s'articule d'une réalité? Si la réalité, c'est ce à quoi on se heurte, cf. Freud dans l'établissement du principe de réalité, aussi bien que les philosophes, comment concevoir ce heurt au Réel? Le trauma? Mais de rester non symbolisé, celui-ci ne semble pas faire heurt au sens de la réalité? & Alors peut-être la cure?..
- Et on imagine la modification qu'en subit le carré de la logique modale &

II Le signifiant
Après cette première approche un peu ramassée, un peu difficultueuse, je vais essayer d'en déployer quelques points.
On sent bien dans ce qui précède que l'élément problématique se situe dans notre pente naturelle à égaliser le signifiant avec l'idée qu'il représente et la réalité qu'il désigne. L'adéquation entre la chose et sa représentation, "adequatio rei et intellectus", l'adage des philosophes du moyen âge issu de la métaphysique inaugurée par Platon concernant la vérité, continue jusqu'à nous. En effet comment ne pas croire au langage ?

C'est de là que dans un premier temps je pensais commencer mon propos. Toujours à partir de Platon, mais plus précisément de ce texte qui m'a, depuis ma première lecture, sidéré et me laisse encore aujourd'hui hésitant: "Est-ce de l'humour noir ou de la mise en acte comme preuve ultime de cette métaphysique qui est encore la nôtre?" Ce texte, c'est celui du Phédon. Je vous rappelle en deux mots de quoi il s'agit:
Socrate, condamné à mort, est dans sa prison, le jour prévu de son exécution. Ses amis viennent lui rendre visite. Ils ont un plan pour le faire évader afin qu'il échappe à la sentence. Or, à leur grand étonnement, il refuse. Tout d'abord, et il préfigure là le: "Rendre à César ce qui appartient à César" du Christ, en évoquant qu'il ne saurait aller contre les lois de la cité même si celles-ci sont injustes à son endroit. Mais, ensuite et surtout, il va développer une argumentation visant à démontrer que l'existence des signifiants ne peut correspondre qu'à une réalité des idées, des concepts qu'ils désignent et qu'ils incluent. Et ceci même pour les signifiants dépourvus de réalité tangible, d'ailleurs le corps et les sens ne sont-ils par les origines de l'illusion et des croyances ... Pour ce faire, Socrate va évoquer un certain nombre de signifiants et de concepts, comme le chaud, le grand, demandant à ses amis s'ils sont d'accord avec lui pour en affirmer la réalité. Ceux-ci acquiesçant, il leur propose d'en examiner les antonymes, le froid, le petit, et de lui dire si, également ceux-ci, correspondent bien à une réalité,( il leur a montré auparavant que ces idées ne vont pas sans leur contraires). Ses amis l'ayant approuvé, Socrate leur propose d'examiner le couple d'opposés : mortel et immortel. De ce que le concept, l'attribut mortel correspond bien à une réalité, ils en sont d'accord, il s'en suivra que son contraire, immortel, correspondra aussi à une réalité.

Ayant ainsi montré l'existence de l'immortalité Socrate va démontrer à ses amis que les idées, les concepts demeurent immuables, invariables, non contingents. Ainsi, si on peut faire varier un nombre pair ce ne peut être que dans certaines limites au-delà des quelles il deviendra impair. Les caractéristiques de pair ou d'impair, elles mêmes ne varient pas, elles sont immuables, et donc parfaites. Or l'âme, partie la plus parfaite de l'homme, siège de l'intellect, ne peut que participer de la nature des idées, car sans cela comment ferait-elle pour les penser ?

Arrivé à ce point, l'existence de l'immortalité ayant été montrée, celle-ci ne peut que s'appliquer aux idées et à l'âme qui y participe, au contraire du corps qui, englué dans les sens et les passions, dans la corruption des illusions, ne peut être que périssable. Socrate en tire alors quelques conclusions: - Si l'âme est immortelle, l'homme doit en prendre soin car toutes les fautes qu'il commettra de son vivant perdureront avec son âme ... - Mais surtout, si toutes les idées ont cette caractéristique de perfection d'être immuables, complètes, etc..., la perfection étant elle-même une idée, c'est une idée supérieure d'être présente chez toutes les autres, une idée des idées en quelque sorte, un être supérieur de tous les êtres, que Socrate nomme le Souverain Bien. L'âme ne peut que tendre vers cet Etre supérieur, de participer à la perfection des idées.

L'immortalité de l'âme ayant été montrée et même située sur le chemin de la perfection, Socrate peut mettre en jeu sa vie pour prouver la vérité de son dire, et boire la cigüe puisque, en ce qui concerne l'âme, la mort n'existe pas!...

Cette conclusion me permet d'aborder directement la seconde histoire que je voulais vous narrer, de ce qu'elle soit étrangement similaire, et qui est celle du Christ. D'avoir détaillé un petit peu celle de Socrate va nous permettre d'aller plus vite. Jésus, comme Socrate, était quelqu'un qui croyait radicalement aux signifiants, à sa parole. D'ailleurs ne commençait-il pas la plupart de ses phrases par : "En vérité, je vous le dis ...". Comme Socrate il glose sur les êtres, les idées, (le bien, le beau, le bon, l'amour, etc...). Comme lui aussi, c'est à un être suprême, transcendantal, que sont rapportés tous les êtres, et le fondement de sa propre parole: "ce n'est pas moi qui parle, mais le père par ma bouche ...". Comme Socrate, il énonce que l'être de l'homme, c'est en son âme qu'il se trouve, et que celle-ci participant de l'être suprême est immortelle. Comme Socrate, il indique que le corps est source d'imperfections, d'illusions, d'erreurs, de fautes ... Comme Socrate, il n'hésite pas à mettre sa vie en jeu comme preuve de la croyance en la vérité des signifiants qu'il énonce, ... Comme pour Socrate, "la mort, celle de l'âme, n'existe pas!"
III Fission
Arrivé à ce point, point de fission, d'y devoir décomposer en questions élémentaires ce qui me paraît inclus en ces deux récits &. Point de fission, il me vient que c'est peut-être une métaphore indue, selon Sokal et Bricmont, les auteurs des "Impostures intellectuelles"; venue peut-être pas de hasard, qu'il soit question du nécessairement vrai et de la science? &

La premières question élémentaire qui s'en dégage, c'est celle de la croyance au signifiant, que le signifiant correspond nécessairement à la vérité de l'être qu'il énonce. C'est le départ du message de Socrate aussi bien que de celui du Christ. De là découle, pour Platon, le rejet de la métaphore et des arts métaphoriques, poésie, théâtre, etc,.., et sans doute que la plupart des paraboles du Christ ont trait à l'être. C'est aussi cette croyance aux signifiants qui faisait égaliser, par Platon, la science avec le nécessairement vrai. Ax+b désigne nécessairement et véritablement l'être de cet ax+b, équation du premier degré, car si il désignait autre chose, a2 ou d+e+f, même métaphoriquement, plus aucun calcul mathématique ne serait possible ... D'où, sans doute, l'évocation pour partie des auteurs des "Impostures intellectuelles", qui semblent avoir une position très platonicienne, quant aux concepts scientifiques et leurs emplois , ( ceci est juste une indication..) ...
Si vous je signalais tout à l'heure la métaphysique platonicienne comme notre pente naturelle, c'est que cette croyance au signifiant et à la vérité qu'il désigne est la loi primordiale du langage, le pacte fondateur du Symbolique. Rien de moins. Comme le rappelait avec humour Melman dans un de ses séminaires, si, au guichet de la gare vous demandez un billet pour Lyon et que vous fâchiez le préposé de ce qu'il vous donne effectivement un billet pour Lyon et non pour Poitiers, selon la blague de Lemberg et Cracovie que rapporte Freud, ça risque de tourner rapidement au vinaigre ...

La deuxième question élémentaire s'origine de ce que mon analyse et mon rapprochement de Socrate et de Jésus s'appuient non seulement de leur énoncé mais aussi et principalement de leur position en tant que sujet de leur énonciation. C'est en tant que croyant absolument à la vérité des signifiants qu'ils énoncent, qu'ils peuvent aboutir à ce que la mort n'existe pas et passer à l'acte.
Cette position d'un dire vrai du sujet de l'énonciation, c'est aussi l'invite qui est faite à chacun venant en analyse, implicitement par la situation et explicitement par la règle fondamentale: "dites tout, même l'absurde, l'incongru, ...". ( Ce qui rejoint aussi la question de la parole pleine évoquée par Lacan, ou le début de son articulation de son article, la "Chose Freudienne": -"moi, la vérité, je parle!"..).
C'est aussi sur ce chemin que se règle l'écoute de l'analyste, jusqu'y compris dans le paradoxe de la dénégation, comme le montre Freud dans le départ de son article. C'est au creux de cette tentative d'un dire vrai que résonne étrangement le "ce n'est pas ma mère" qu'y énonce le patient. Car, si ce n'était pas celle-ci, même sous cette forme négativée, quelle raison y aurait-il à la survenue de ce signifiant "mère" à l'esprit du patient, au sein de cette tentative?
C'est ainsi également que se résout le paradoxe du menteur, comme le montre Lacan. Celui qui énonce:" Tous les Crétois sont menteurs, or je suis Crétois", l'énonce vraiment, c'est-à-dire avec vérité, sans cela le paradoxe ne tiendrait pas. Mais rapportés au désir de vérité de son énonciation, il apparaît qu'il ne peut que proférer un mensonge : soit il n'est pas Crétois, soit tous les Crétois ne sont pas menteurs. Dans les deux cas, il ment. Il ment pour de vrai.
Ce qui nous interroge ici c'est la fascination qu'exercent ceux qui, comme Socrate ou Jésus, croient radicalement au signifiant, qui ont cette position comme sujets de l'énonciation. ( Ce n'est pas la position la plus commune, où nous pouvons douter de notre dire, et du caractère éventuellement trompeur du signifiant). Ne sommes-nous pas aussi dans cette fascination par rapport à Lacan, en ce que sa position d'énonciation, par rapport au signifiant, soit semblable.(N'a-t-il pas dit lui-même qu'il était en position d'analysant, c'est à dire visant cette parole pleine?). Et s'il n'a mis sa vie en jeu comme preuve de sa croyance aux signifiants qu'il énonçait, il a risqué et assumé l'éviction de là où il était reconnu, cf. l'excommunication de l'IPA.
Il est aussi remarquable que le Phédon comme les évangiles, ou les séminaires de Lacan, ne sont pas des écrits directs, mais des témoignages de leur discours, des transcriptions, c'est peut-être pour cela que peut s'y repérer plus facilement leur position comme sujets de l'énonciation. Est-ce pour cela aussi que nous étudions, par exemple, plus les séminaires que les "Ecrits"? (Il y aurait parallèlement à s'interroger, dans nos sociétés, sur l'importance prise par les reportages, télévisuels, journalistiques, et autres témoignages, etc..).
Un dernier point : si nous avons tendance à être fasciné par cette position du sujet de l'énonciation comme croyant au signifiant, et j'ai indiqué aussi que c'était la position de l'analysant, vers la parole pleine, alors en quoi cette fascination participe-t-elle du désir de l'analyste, si celui-ci est ce qui soutient son écoute ?
Enfin, il resterait, mais est-ce possible, à comprendre en quoi consiste cette fascination? (Anticipant ce qui suit, peut-être, juste en indiquer, ce qui, dans cette position, témoignerait d'un rapport au père, à l'Autre , symboliques).

Mais, avant, il nous faut envisager une troisième question élémentaire. Vous avez pu entendre que pour Socrate comme pour Jésus, leur croyance dans les signifiants était appendue à l'existence d'un Etre suprême, transcendantal. (c'est pour cette raison que j'ai noté en dehors, au dessus, de la case du nécessaire sur le carré logique, l'être). C'est parce que chaque signifiant renvoyant au concept, à l'idée, qui est l'être immuable, constant, de la chose qui l'actualise, que la réalité, c'est-à-dire l'ensemble des choses, qui consiste en cette coïncidence, peut être dite vraie. Sans cela elle ne pourrait être qu'évanescence, chaos, illusion, croyance... Mais , tous ces êtres ayant cette caractéristique d'être, il doit bien exister un être supérieur, rendant compte de cette caractéristique elle-même. C'est ainsi que s'articule la preuve ontologique de l'existence de Dieu.
Or je vous rappelais que nous sommes tous croyants dans les signifiants, que c'est notre condition de parlêtre. Peut-être, pas au point d'un Socrate ou d'un Jésus ... Mais cela veut dire malgré tout que nous sommes tous appendus à l'existence d'un "être suprême" qui garantit la vérité de nos signifiants, et aussi, il faut le noter, du coup, de notre réalité.
Cette croyance en un être suprême, peut-être faut-il la spécifier d'être du côté de la foi ? Elle n'est pas du côté de la doxa, de l'opinion, mais bien du côté de la rencontre, de la tuché, les mystiques ne parlaient-ils pas de révélation ? Elle est aussi du côté de l'amour, car comment ne pas aimer l'être qui soutient la vérité de mon dire ? ...
Or, et c'est là que se produit la fracture, Freud nous a appris à reconnaître dans cet être suprême la figure du père. Lacan en a précisé les contours avec la notion du grand Autre. Ne désigne-t-il pas celui-ci, d'ailleurs, comme le lieu des signifiants? C'est peut-être alors le moment de s'interroger sur le transfert comme foi ?
De ce que nous avons dit précédemment de la position d'énonciation de l'analysant, cette tentative de dire vrai, il apparaît que celui qui l'écoute dans cette tentative est aussi mis en place, du coup, de garant de la vérité des signifiants énoncés. C'est en cela que l'analyste est sujet supposé au savoir, entre autre. Que cela soit de l'ordre de la rencontre, c'est ce que montre aussi l'instauration du transfert, qui peut être là d'emblée, voire même avant la première entrevue. Et qu'il en découle de l'amour, nous avons déjà dit pourquoi. Et que l'analyste soit garant de la vérité des signifiants ne se limite pas forcément à l'histoire de l'analysant. D'être mis ainsi en place de sujet supposé au savoir, ce qui est donc l'équivalent de l'être suprême de la métaphysique platonicienne, peut venir le mettre en place éventuellement de garantie de tous les signifiants, par cette opération du transfert. Et à fortiori de ceux de la psychanalyse. C'est pourquoi j'évoquais la foi ou la croyance, au départ, avec le réel comme paradigme, puisqu'aussi bien, de cette façon, tout concept analytique peut être du ressort de la foi.

Mais Freud nous ayant donc appris à reconnaître la figure du père en cette place de l'être suprême, et Lacan à sa suite, dans celle de l'Autre, qu'ont-ils faits? Rien moins que de ramener la dimension transcendantale de cet être à la dimension historique individuelle, de la métaphysique à la physique. Les conséquences en sont d'importance. Avant de les explorer un petit peu, je voudrais faire une digression car elle est à mi-chemin du problème de la foi et des conséquences de la chute freudienne de cet être.
Digression:
Il peut m'arriver que guidé ou poussé par l'enchaînement de mes idées ou la dialectique de mes associations, je parvienne à des choses me paraissant un peu difficiles ou un peu grosses, comme celle qui précède, le rapprochement de Socrate et Jésus. Je vais alors voir dans les "Ecrits" ou séminaires de Lacan, (et là, ne suis-je pas du côté de la foi?), afin d'y trouver quelques éléments qui pourraient m'indiquer si oui ou non cette dialectique, ces enchaînements sont cohérents ou possibles. Et j'ai souvent la surprise incroyable, je souligne justement incroyable, de trouver là, par exemple, Socrate et Jésus, séminaire VIII, p 125, la similitude de l'âme selon Socrate et le Christianisme... C'est à dire plus que des éléments, mais bien déjà des parties de ma conclusion!..
Alors une question me fait vertige, s'il ne s'agit pas d'un déjà su, oublié, voire refoulé, ce qu'il ne me semble pas, quelle signification ont pareilles retrouvailles? Suis-je à ce point possédé par le discours lacanien, rappelez-vous la possession de Loudin que je pense du Lacan sans le savoir ? Y a-t-il une possession psychanalytique ? Quelle serait-elle ? Et Lacan en serait-il notre diable ? La possession, c'est un critère des exorcistes, se marque de ce que quelqu'un parle une langue dont il ignore la signification. Est-on certain de ne jamais être des possédés de la psychanalyse ?
On se souvient de la fonction du diable chez notre chère Jeanne des Anges... Comment le diable la prenait, la tenait, comment il était là comme élément de son refus d'une certaine castration, dans son rapport à l'amour divin, mais en même temps comme il avait fonction de pousse à l'acceptation de la dite castration...
Sommes-nous donc, nous aussi, dans ce compromis, cette ambivalence, par rapport à la castration, dans nos quotidiens, plus radicalement notre ex-istence, pour être habités de la psychanalyse comme du diable ?
Mais il y a une autre réponse possible à cette question, seulement elle n'est pas aussi simple qu'il y paraît. Lacan semble lui-même y avoir eu difficulté. C'est celle de la scientificité de la psychanalyse ...
En effet, à partir d'une batterie conceptuelle de base, celle de la psychanalyse ou d'une autre science, peu importe, ne peut être produit qu'un certain nombre de propositions bien formées, au sens de la logique formelle, et pas d'autres. C'est une question de cohérence des discours scientifiques. Il est donc normal que deux auteurs partant de la même batterie conceptuelle parviennent aux mêmes conclusions. Pour nous tous, si chacun respecte la batterie conceptuelle de l'arithmétique la conclusion de 2 + 2 est égale à 4. C'est cette même cohérence qui est à l'Suvre dans la possibilité de journées d'études. L'emploi de mêmes concepts avec les mêmes acceptions induit des discours, des propositions, qui en sont compréhensibles et congruents.
Peut on en conclure pour autant à une scientificité de la psychanalyse? Rien n'est moins sûr, n'en déplaise aux deux auteurs précédents, Sokal et Bricmont, car l'emploi des mêmes concepts avec les mêmes acceptions, peut aussi être l'Suvre de la foi ou du diable !...
IV Fracture...
J'en reviens à ce moment, qui est aussi un moment historique, où Freud et Lacan font redescendre sur terre, à l'exemple de Marx, l'être suprême de la métaphysique. C'est donc un moment historique, et s'ils ne sont pas les seuls, ils ont ceci de particulier de situer dans l'histoire singulière de chacun, et non l'histoire générale, dans les figures du père, de l'Autre, ce qu'il en était de cet être suprême.
Par ailleurs, un survol rapide de la philosophie occidentale depuis ses débuts, depuis les pré-socratiques, permet de constater qu'elle a toujours été embarrassée comme d'une guigne des questions de la connaissance et de la réalité. Sous les deux modes du jugement d'attribution et du jugement d'existence, ne parvenant pas à les résorber, elle a tenté de lier la dimension d'existence pure, la chose en soi, avec la connaissance de la réalité, à savoir l'adéquation de la pensée avec la chose pensée, de la représentation avec son contenu . Mais la plupart du temps, depuis et avec Platon, ce fut au détriment de la chose en soi.
Heidegger, dans sa conclusion de "Qu'appelle-t-on penser?", indique ainsi que la métaphysique depuis Platon a séparé en deux lieux différents, le métaphysique et le physique, l'être là, la chose en soi, et l'étant, le phénomène par lequel s'actualise cet être là. On sait combien Lacan s'est appuyé sur Heidegger dans l'établissement du concept de réel,( cf. l'articulation autour de "das Ding" ).
Le réel est donc cet être-là, cette chose en soi, pur ex-istant, qui, comme tel, échappe à toute connaissance, tout savoir, impossible donc à connaître, à appréhender.
Mais là où Lacan n'est pas philosophe, c'est qu'il ne privilégie pas une dimension au détriment de l'autre, ce qu'a tendance à faire Heidegger par exemple en mettant en avant l'être-là , ou les philosophes le précédant en résorbant la chose en soi dans le registre de la connaissance. Non, Lacan maintient et la question du réel et la question de la réalité.
Nous voyons donc que l'être suprême de la métaphysique se divise en deux : d'un côté le père, l'Autre, comme garantie de notre croyance en nos signifiants, et Lacan a montré que son absence, sa forclusion, entraînait des ravages : la psychose.
De l'autre côté le réel, l'impossible. Vous avez sans doute noté que chez Socrate il n'y a pas trace d'impossible, et que la question en est juste, peut-être, effleurée lors de l'épisode du jardin des Oliviers dans les évangiles, et rapidement résorbé. C'est pour cela que, dans la case de l'impossible, du carré de la logique modale, il n'a pu être marqué que le seul réel lacanien. Celui-ci est, en fait, chez Platon ou le Christ, inclus dans l'être suprême, il y est absorbé. De là, la possibilité de gloser sur Dieu comme réel.
Alors que devient la réalité dans cette affaire ? Si on suit toujours Platon, que la réalité est bien cette coïncidence de la pensée avec son objet, ce qui est la définition la plus large et la plus généralement admise, qui est notre position spontanée, aussi bien que celle de la science, il est facilement déductible que si la garantie en est en l'Autre, et non plus en un être suprême, transcendantal, l'appréhension de cette réalité va dépendre des contingences historiques de cet Autre, qui en a ses caractéristiques propres pour chacun.
Pourtant la psychanalyse n'est pas un idéalisme individuel, et elle doit être capable de rendre compte de cette réalité, qui est la notre, commune, et qui est aussi celle de la science, c'est-à-dire celle sur la quelle la science a une action. Mais si chaque réalité de un chacun parlêtre se fonde de cet Autre personnel, nous avons alors chacun notre réalité, ce qui semble juste, mais jusqu'où cela va-t-il ? Cela va-t-il jusqu'à ce qui pourrait être une réalité radicalement hétérogène pour chacun ? Cela entraînerait que chacun a une réalité, une vision du monde, particulière et spécifique, et, entre autre, une appréhension particulière de la psychanalyse &
Ce pourrait être en effet. Mais on ne peut qu'y objecter. Car si toutes les réalités étaient purement individuelles, hétérogènes, toute discussion, y compris de comptoir, serait impossible ... Et toute science également ... Si la réalité est à la fois subjective, individuelle, et générale, participant au nécessairement vrai, c'est que ce rapport à l'Autre, grand Autre, propre à chacun, que ce rapport, lui, est organisé par une structure qui, elle, est commune.
Cette structure que je ne vais pas détailler, allant de la perte de l'objet jusqu'à l'érection du père symbolique... C'est celle aussi bien que Freud a décrit avec l'Sdipe, que Lacan avec les noms du père...
Le réel, quant à lui, est cette permanence que Platon attribuait à l'être suprême, garant de la permanence des idées : le beau est toujours le beau, etc. ... Et l'impossible, par définition reste toujours l'impossible.

Alors et pour conclure, trois remarques :

- La première est que cette approche de la psychanalyse conteste mais n'annule pas l'approche platonicienne de la réalité, cette approche platonicienne de la science, comme le nécessairement vrai de l'adéquation de la pensée avec la réalité. Mais elle la conteste en tant que cette approche repose sur l'exclusion ou le refoulement du réel, de l'impossible, sur son passage du physique au métaphysique, comme l'indiquait Heiddeger...

- La seconde remarque : si un certain nombre d'éléments permettent de penser, semble-t-il, à la possibilité de la psychanalyse comme science, il y a un problème, et c'est cette affaire de réel, habituellement refoulé par la science, qui, ici, de faire partie du corpus théorique même de la psychanalyse, ne peut pas être refoulé et qui de par sa valeur d'impossible ne peut que faire trou au nécessairement vrai.
Alors, s'ensuit une rude question: une science trouée est-elle pensable? Pensable, pas seulement imaginable, et pas une science du trou, ce qui est une topologie, mais bien une science trouée, comme il semble que Lacan ait tenté d'approcher dans ses derniers séminaires sur le nSud borroméen...

- Une troisième remarque concernerait le passage de la pratique psychanalytique, qui s'articule du transfert, à la théorie, qui s'associe à cette fin de la métaphysique. Mais ce serait ouvrir un autre débat, bien que partiellement évoqué, celui de la transmission.