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Science avec croyance : par Giordano BRUNO

Jean-Louis Chassaing

en hommage au Professeur Gaston Pierre DASTUGUE, et à Monsieur Guy MOURLEVAT, de l'Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Clermont-Ferrand.

Il y a une quinzaine d'années à l'Hôpital un patient, paranoïaque qui émergeait à peine d'un état délirant mystique me disait, du haut de sa grandeur : "ici vous ne pouvez rien comprendre ils suivent le vent : on a mis la science à la place de Dieu !"
J'ai été amené à cette question également par d'autres rencontres.
Chargé d'enseignement au Centre hospitalo-universitaire de Clermont-Ferrand il y a quelques années, il m'avait été demandé de parler de psychanalyse à un groupe d'externes en médecine. L'affaire faite, une collègue me rapporte dès le lendemain les propos évaluatifs de ma prestation, propos tenus donc par ces futurs médecins : "c'était bien, c'était intéressant mais on n'y croit pas !". J'osais - et j'ose encore - croire quant à moi qu'il s'agissait bien entendu de propos dits "défensifs". L'intérêt du contenu était donc dissocié de la croyance intime. Ils ne s'étaient pas prêtés à y croire mais en quoi ? A la question immédiate : s'agit-il pour la psychanalyse de croyance ? s'est substituée la question du transfert, avec la face toujours prête à surgir de la suggestion, et l'autre face du dispositif, face plus logique, liée non pas à une pratique magique mais à un autre type de croyance, concernant le savoir et le sujet, relevant si l'on suit LACAN d'une supposition. Je cite André GIDE : "Il y a ce que l'on sait et ce que l'on ignore. Entre les deux il y a ce que l'on suppose".
Cette supposition subjective chez un étudiant en médecine est difficile pour lui à reconnaître ; c'était là leur transfert à mes propos : pas de sujet admissible au savoir transmis, mettant ainsi en acte - transférentiel - leur impossible dé-croyance, déconstruction de leur croyance en la science médicale. Ici ça n'est donc pas la croyance, religieuse, qui serait opposée à la science, mais la croyance en la science qui tiendrait bon face à la supposition subjective mise en Suvre dans la psychanalyse.
L'affaire est toutefois plus complexe, à suivre FREUD et LACAN dans leur rapprochement de la psychanalyse avec les sciences - ou bien selon un rappel de LACAN, un rappel quelque peu anachronique (on trouve notamment cela "le Mythe individuel du névrosé"), rappel de l'appartenance de la psychanalyse aux sept arts libéraux de l'époque médiévale. Opposés aux arts mécaniques, ils comprenaient le Trivium : grammaire, dialectique, rhétorique, et le Quadrivium : arithmétique, géométrie, astronomie, musique.
Egalement : la psychanalyse non pas comme "science humaine" - termes que LACAN récuse : "Il n'y a pas de science de l'homme parce que l'homme de la science n'existe pas, mais seulement son sujet" - mais psychanalyse assise sur une " Esquisse pour une psychologie scientifique " (FREUD), ou bien encore en tant que "science conjecturale" (LACAN).
FREUD est "moderne" dans son idée, dans son épistémologie de référence à la construction d'une théorie, moderne puisqu'il n'hésite pas à remettre en cause ses hypothèses dès lors qu'un fait clinique vient les contredire. Il n'en renie pas forcément le montage mais en effectue un, nouveau, plus congruent aux faits récents que ne pourrait l'être l'ancien montage. Ainsi peut-on noter dans le texte "Pulsions et destins des pulsions" : "Mais le progrès de la connaissance ne tolère pas non plus de rigidité dans les définitions. Comme l'exemple de la physique l'enseigne de manière éclatante, même les concepts "fondamentaux" qui ont été fixés dans des définitions voient leur contenu constamment modifié" (in Métapsychologie ; 1915).
Ou bien encore, dans "Pour introduire le narcissisme" (1914), FREUD s'efforce ici aussi d'établir une distinction entre théorie spéculative et théorie scientifique, et il énonce que la première se fonde sur un concept défini avec rigueur, alors qu'en ce qui concerne la seconde, la théorie scientifique donc, "les idées (la construction) ne constituent pas les fondations mais le faîte de tout l'édifice, et elles peuvent sans dommage être remplacées ou enlevées. Nous faisons encore, de nos jours, la même expérience pour la physique : ses intuitions fondamentales sur la matière, les centres de force, l'attraction etc. sont à peine moins discutables que les conceptions correspondantes en psychanalyse". Nous verrons plus loin une certaine analogie, qui vaut ce qu'elle vaut, avec des énoncés de Karl POPPER.
FREUD a donc, par sa réflexion sur son élaboration, sur sa méthodologie, un maintien sans cesse présent d'agir en scientifique, rappel incessant et nécessaire au vu de son objet d'étude, lequel va induire obligatoirement une autre démarche voire une autre définition de la science, sans pour autant renier ou bien s'éloigner de celle-ci Une croyance - hypothèse, supposition, conjecture est ainsi incluse dans la démarche. Elle ne sera ni certitude ni de fait dérive délirante telle celle, également construite à partir de sa propre expérience, de SCHREBER. Cette dernière est plus (ou : bien moins) qu'une théorie scientifique, elle est monstration, c'est-à-dire qu'elle a une adresse particulière et elle rate alors l'accrochage de ce particulier à ce qui serait une théorie universelle mais scientifique FREUD sait de quoi il parle : il a commencé, et sa théorie et son analyse avec FLIESS ! Sans doute la particularité de cette "nouvelle science" se trouve déjà dans cette origine : à savoir la nécessité de ce dialogue particulier, transférentiel, élaboré, et la nécessité également de s'en dégager. Et pour FREUD ce dégagement concernait tout aussi bien son transfert d'analysant que la "communauté théorique" (de fait inexistante) avec le délirant FLIESS.
Ceci est probablement un des sens à donner à la lecture de cette lettre de FREUD à FERENZI, lettre du 06 octobre 1906, lettre citée par Ernest JONES :
"Vous avez non seulement observé mais également compris que je n'éprouve plus le besoin de révéler complètement ma personnalité et vous l'avez fort justement attribué à une raison traumatisante. Depuis l'affaire FLIESS que j'ai dû récemment m'occuper de liquider, le besoin en question n'existe plus pour moi. Une partie de l'investissement homosexuel a disparu et je m'en suis servi pour élargir mon propre moi. J'ai réussi là où le paranoïaque échoue".
Il nous semble que ceci concerne le transfert avec sa nécessité et son piège narcissique, et ceci encore une fois tout autant pour sa propre analyse que pour l'élaboration, scientifique obligatoirement, sinon : Schreberienne ou Fliéssienne FREUD ouvre la voie.
FREUD "moderne" donc sur ces deux points : non certitude des hypothèses et autonomie scientifique - si l'on se réfère à un de ses critiques, épistémologue, Karl POPPER. Ce dernier en effet n'en reste pas à un scepticisme classique, celui du doute à priori sur la validité de toute connaissance ; mais il avance un "rationalisme critique". Pour lui, "toutes les théories scientifiques sont irréductiblement conjecturales ; elles ne peuvent jamais être vérifiées, confirmées ou justifiées, mais seulement falsifiées, c'est-à-dire réfutées sur la base des expériences" (J.J. ROSAT ; préface du traducteur de "La connaissance objective" - édition Aubier).
Donc "on élimine progressivement toutes les théories à mesure qu'elles échouent pour les remplacer par des théories nouvelles qui résistent mieux aux tests " C'est à cet énoncé que nous avons renvoyés les énoncés antérieurement cités de FREUD.
POPPER préférera quant à lui parler de "progrès scientifiques" plutôt que de "connaissance", ceci incluant alors la notion de mouvement (voir par exemple la "métaphysique du changement" comme l'appelle Renée BOUVERESSE ; 1981).
Ainsi le doute n'est plus ici un à priori, extérieur à la démarche, mais il est inscrit dans le processus même, consubstantiel à, de la même marche que le processus.
De même l'intérêt, pour POPPER, quelque peu utopiste, serait qu'il s'agit là d'un processus objectif "sans sujet connaissant", qui mettrait aux prises des hypothèses largement indépendantes des individus qui les ont produites (c'est ainsi qu'il est amené à intituler son livre "La logique de la découverte scientifique"). "Le progrès de la science ne repose en fin de compte sur rien d'autre que sur elle-même, sur son propre mouvement" (J.J. ROSAT).
POPPER veut se démarquer de cette tradition de la théorie de la connaissance qui pour lui a été "pour l'essentiel subjectiviste : on a considéré la connaissance comme un genre de croyance humaine particulièrement assurée et la connaissance scientifique comme un genre de connaissance humaine particulièrement assurée".
Nous avons ici un lien entre science et croyance, lien qui nous semble aussi ambigu, mais sans doute d'une autre façon, que celui qui existe entre théorie psychanalytique et transfert ; à savoir lien nécessaire à ce départ mais reposant sur une subjectivité. Est-il nécessaire de croire pour poser une hypothèse, et pourquoi la poser ? Et même le jeu de lettres une fois posé, quel est le désir qui en anime, et en assure, le mouvement ?

Un autre lien, celui-ci plus personnel et cette fois de complémentarité, s'est révélé à moi et a pu susciter cet intérêt : science et croyance. Ce fut une rencontre, inédite, prolongée en amitié fraternelle, avec un "vieux" professeur de biochimie, une science médicale très "désubjectivée", professeur qui fut un des conseillers pour le choix des prix Nobel, qui était également un des conseillers du Vatican pour les questions scientifiques les plus pointues. Il ne cessa de tenter de me montrer la nécessité, pour lui-même mais aussi disait-il "pour l'homme", de la présence de ces deux "croyances" qui s'enrichissent ou tout du moins se "contre balancent", en la science et, d'une manière plus élevée, en Dieu.
La cohabitation semblait ici réussir !
Cette cohabitation, celle d'une croyance religieuse et d'une recherche scientifique,
a-t-elle toujours été aussi "réussie" ?
Qu'est-ce qui fait cet intérêt, que j'ai éprouvé il y a quelques années, certains de mes amis également, et que l'on a vu récemment fleurir dans la presse et dans l'édition autour du 17 février dernier, qu'est-ce qui fait cet intérêt pour Giordano BRUNO ?
"Son martyre reste comme le symbole de tous les crimes contre l'esprit" écrit Jacques ATTALI dans son article du Monde, du 17 février 2000 justement. Celui qui n'abdiquera quasiment jamais, même sous les tortures et devant une mort horrible et dans l'humiliation - il fut en effet conduit nu au bûcher en place publique, une planche clouée sur la langue pour entraver sa parole - est facilement ce symbole d'une volonté farouche qui ne plie pas, d'une vérité combattue par une autorité ayant tout pouvoir, et ce d'autant plus qu'elle est elle-même remise en cause, symbole aussi de l'injustice criante, symbole d'une certaine parole qui cherche à se faire reconnaître en sa vérité alors qu'elle est bâillonnée par le Maître. La figure de Giordano BRUNO condense probablement plusieurs identifications possibles mais la Vérité - qui serait après coup démontrée, admise puisque scientifique - et l'exclusion - du même coup injuste - sont comme les deux bras d'une croix dont chacun peut se plaindre, se complaire à la porter
Toutefois Giordano BRUNO a suscité d'autres intérêts, heureusement moins dramatiques et plus élaborés : SPINOZA, LEIBNITZ et DIDEROT se sont inspirés de son Suvre ; GALILEE probablement bien sûr mais il n'a pu dire le nom de BRUNO, élaborant lui-même sa théorie à quelques années seulement de la condamnation de Giordano BRUNO Ils ont probablement, sans aucun doute, discuté ensemble d'ailleurs, dans le cercle des hommes sages et savants qui se réunissaient chez l'historien Andréa MOROSINI, à VENISE, en 1592, très peu de temps avant justement l'arrestation de BRUNO.
VOLTAIRE le décrivait au-delà de son anti-dogmatisme systématique, non seulement comme un hérétique - c'est-à-dire celui qui se situe dans cette position, qui soutient une hérésie, qui participe du mouvement - mais bien plus comme hérésiarque - c'est-à-dire auteur même d'une hérésie.
Deux auteurs italiens, MOLAND et STAMPONATO, ont trouvé des ressemblances entre les comédies de MOLIERE et celle de BRUNO, ainsi qu'ils ont trouvé des traces dans une pièce de SYRANO DE BERGERAC, "Le pédant joué" de l'Suvre de BRUNO. BRUNO savait et aimait à se moquer. Sa comédie satirique, le " Candelaio ", parue en 1582 alors qu'il se trouvait à PARIS, première Suvre en italien vulgaire, dans laquelle se débat le petit peuple de Naples, met en scène les pédants et les charlatans, et ceci en utilisant toutes les formes de langues et de dialogues, mélangeant l'italien, l'argot, le dialecte napolitain James JOYCE s'intéressera à ce travail de la langue et le nom plus ou moins déformé de Giordano BRUNO, le NOLAIN se retrouve dans "Finnegans Wake". SHAKESPEARE avec sa pièce "Peines d'amour perdues" (1597) prend le contre-pied de Giordano BRUNO dans "Ses fureurs héroïques" (1584) ; l'auteur de Stratford fait triompher l'amour et la société des femmes à l'encontre de la vie austère, de la vie adonnée à la recherche. Mais BRUNO avait déjà quitté LONDRES et ceci depuis plus de 10 ans
Filippo BRUNO naît à NOLA, non loin de NAPLES en 1548. A l'âge de 7 ans il possède parfaitement le latin et jongle avec les commentaires et les textes de philosophie. A l'âge de 14 ans, il part à NAPLES pour étudier les lettres, la logique et la dialectique. Un de ses maîtres Giovan VINCENZO COLLE, bien qu'aristotélicien, est un féru d'AVERROES (auteur du XIIè siècle), ce qui donne un enseignement sans doute un peu décalé par rapport à celui des "grammairiens" aristotéliciens officiels. A l'âge de 17 ans, il entre au couvent de San Domenico Maggiore, comme novice (moine) sous le nom de GIORDANO. Il entre ainsi au service de la Vérité (Veritas est le "cri d'armes" des Dominicains), il entre donc dans cet Ordre, fondé en 1215 pour lutter contre l'hérésie Cathare. San Domenico Maggiore à NAPLES, est le monastère où mourut Thomas d'AQUIN, trois siècles plutôt (1274). Ce dernier y travailla la troisième partie de sa "Somme Théologique", et BRUNO assimila alors le thomisme et ceci dans la fabuleuse bibliothèque du monastère. Mais ses professeurs, qui l'apprécient, remarquent toutefois ses questions assez souvent osées. En effet, si l'Suvre de Thomas est ouverte sur le monde et la nature, il ne faut pas expliquer les choses de la Terre sans d'abord entendre le Ciel. BRUNO était sans doute déjà influencé au moins par AVERROES qui avait prôné cette "double vérité" grâce à laquelle le philosophe pouvait dire ce que les sciences lui prouvaient sans trop se préoccuper des contradictions avec les Ecritures.
C'est donc dans une ITALIE menacée par la Réforme protestante (Martin LUTHER est mort en 1546), contre laquelle l'Eglise catholique dresse la Contre-Réforme, mais également dans une ITALIE touchée par l'essor des connaissances, que Giordano BRUNO étudie, notamment durant trois années la philosophie.
A l'âge de 20 ans, il part à Rome : le pape avait demandé à l'entendre réciter des textes. En effet PIE V, lui-même ancien père dominicain, avait entendu parler de la mémoire exceptionnelle de Giordano BRUNO. La passion de ce dernier pour la mnémotechnie n'était pas étrangère à la lecture d'un "mage" napolitain, Giovanni BATISTA DELLA PORTA, et surtout d'un auteur également féru de magie, auteur du XIIIè siècle, Raymond LULLE. BRUNO récita donc un psaume en hébreu, mais quelque peu choqué par le faste clérico-papal qu'il découvrait à ROME, il écrit un premier texte, texte satirique qu'il va alors dédier au vicaire du Christ ! Ainsi, réciter les textes des autres ne l'intéressait plus essentiellement. Il devait chercher, créer, proposer, polémiquer peut-être est-ce ainsi qu'il en vint à ce refus de croire d'emblée, par exemple en la divinité de Jésus, en la virginité de Marie, en la Trinité, et ceci sans l'avoir lui-même démontré
Lors de son procès - de 1592 à 1599 - il tente en effet de s'expliquer :
"Cette sagesse née de l'Esprit que les philosophes ont appelé Intellect et les théologiens Verbe et qui, selon la foi, se serait incarnée, j'avoue que maintenant aux termes de la philosophie, je n'ai pas compris et j'ai douté "
" Pour l'Esprit divin, considéré comme la troisième personne : je n'ai pas réussi à comprendre de quelle façon il faut y croire. Je m'en suis tenu à la conception pythagoricienne, conforme à celle de Salomon "
"J'ai conçu des doutes sur ce nom de personne attribué au Fils et au Saint-Esprit, car je ne comprenais pas de quelle façon ces deux personnes étaient distinctes du Père, à moins d'adopter l'interprétation que j'ai expliquée : c'est-à-dire philosophiquement parlant, en assignant au Fils l'Intellect du Père et au Saint-Esprit l'amour sans d'ailleurs attacher trop d'importance à cette distinction de personne Ce fut mon opinion, du reste à l'âge de 18 ans, et ce l'est encore, mais je ne l'ai jamais enseignée ni écrite ; j'en ai simplement douté, en mon fort intérieur "
" Je sais que dans certaines de mes Suvres, j'ai enseigné et tenu philosophiquement des choses qui selon la foi chrétienne devraient être attribuées à la puissance, à la sagesse et à la bonté de Dieu, alors que moi je fondais ma doctrine sur le sens et la raison, non sur la foi".
Nommé sous diacre (1572) puis diacre (1573) il étudie encore quatre années durant la théologie, il soutient deux thèses. Mais, lecteur en théologie, ses doutes en des croyances non vérifiées, doutes publiquement énoncés, ses lectures d'Suvres hérétiques condamnées (Saint-Chrystosome ; Saint-Jérome : Cicéron ; Lucrèce ; Arius Erasme ), ses écrits satiriques sur la vie du couvent, le font interdire du droit de prédication, d'enseignement et d'étude. Il s'en était pourtant défendu, de défendre les hérétiques : "non, vous vous méprenez, vous confondez le verbe avec la choses. Je dis seulement qu'il faut essayer de comprendre qu'il existe d'autres langues que la nôtre !" Première excommunication donc.
Il préfère alors partir, défroqué, ce qu'il fait en février 1576. Une longue vie d'errance commence, à la recherche de lieu où apprendre, où enseigner, à la recherche de protecteurs. Il part à GENES (le 15 avril 1576), il pense toujours à l'Université de PADOUE, il arrive à NOLI où il sera professeur de grammaire, puis d'astronomie, valet de ferme (1577) ; il va, finissant toujours par être suspecté, de TURIN à VENISE, à PADOUE, MILAN, le pied du Mont-Cenis Il suscite l'intérêt, inquiète, fascine, dérange, et reçoit toujours le conseil de fuir. C'est ainsi qu'il arrive à GENEVE, ville des Réformateurs, la "ROME du protestantisme" ; il a 30 ans. Martin LUTHER est mort en 1546 ; le second "père", CALVIN, étend son pouvoir, de même que son successeur Théodore de BEZE. Giordano est correcteur d'imprimerie et s'inscrit à l'Académie avec le titre de "Professeur de Sainte Théologie". Il y rencontre le principal, un lecteur de philosophie, médecin diplômé de PADOUE, Antoyne de la FAYE. Ce dernier prononce un discours aristotélicien ; BRUNO ne supporte pas et ne peut s'empêcher de riposter par une brochure. Le sieur Antoyne était toutefois l'assistant de Théodore DE BEZE ! BRUNO se retrouve en prison ; il comparait par la suite devant le Vénérable Consistoire, équivalent protestant du Saint Office, et il reconnaît sa faute : calomnie des ministres et errances en la doctrine (août 1579). Deuxième excommunication, par les calvinistes donc. Il part à TOULOUSE, où naquit l'Ordre des Dominicains fondé selon la règle de Saint-Augustin, il commente "De anima" d'ARISTOTE et devant l'avancée de la Sainte Ligue Catholique, il fuit alors, à PARIS (1581). Il a 33 ans, il trouve comme protecteur le Roi lui-même, HENRI III, passionné par les Italiens, la philosophie et par la mnémotechnie. BRUNO devient lecteur extraordinaire, lecteur royal à ce qui deviendra le Collège de France. Mais il dérange toujours, lui-même se reconnaît "irritable, rebelle et bizarre". Il part alors pour LONDRES en 1583, avec une lettre de recommandation à la Reine Elisabeth D'ANGLETERRE, de la part d'HENRI III, il part avec l'ambassadeur Michel DE CASTELNAU, il part aussi avec un message qui le précède, message au grand secrétaire du Conseil Royal : "Le Docteur Giordano BRUNO NOLANO, Professeur de philosophie a l'intention d'aller en ANGLETERRE. C'est un homme sans religion". Giordano est donc deux fois excommunié, en habit civil, et Londres n'est pas un milieu sans hostilité. Sous haute protection cependant, il sera lecteur attitré de l'Université d'OXFORD, il sera dès le début de ses cours accusé de plagiat d'un auteur du début du siècle Marcille FICIN, auteur qu'il appréciait notamment pour son platonisme à l'opposé d'ARISTOTE. Mais auparavant cela, au cours d'un Banquet, il avait mouché deux docteurs d'OXFORD et leur pédantisme. Il écrira "Le Banquet des Cendres", livre de philosophie écrit en italien, puis il écrira contre les puritains d'ANGLETERRE "L'Expulsion de la bête triomphante" ou l'on pourra lire quelques tirades plus ou moins délirantes. Toutefois, il est écrasant de par son savoir et de son inventivité.
La situation des catholiques à LONDRES s'aggravant, il revient à Paris (février 1585) ; il a alors 37 ans. Il tente en vain de se réconcilier avec l'Eglise. Le mercredi 28 mai 1585, il préside au Collège de Cambrai - futur Collège de France - une séance devant une salle de lecteurs royaux. Une dispute violente à propos d'ARISTOTE - dispute que le NOLAIN semble avoir provoquée - avec notamment un jeune avocat défenseur du philosophe grec, amène Giordano BRUNO à prendre la fuite, afin d'éviter les fanatiques de la Ligue Catholique. Il part en ALLEMAGNE, l'ALLEMAGNE de LUTHER : juin 1586 ; c'est à l'Université de MARBOURG qu'il est accueilli par un milieu qui aurait pu lui convenir : l'école mêlait la pratique du doute scientifique à celle de la foi et les élèves étaient qui platonicien, qui spécialiste en psychologie ; ou encore GUILLAUME IV se disait ami de l'astronome Tycho BRAHE Pourtant le NOLAIN claque la porte après une violente dispute avec le Recteur d'Académie. Il part à WITTENBERG où il enseigne l' " Organon " d'ARISTOTE (! ), la cosmogonie, l'art de la mémoire et la "liberté philosophique" soit : l'obligation du doute (ce qui est mal vu à l'époque). C'est pour lui un moment paisible, dans une des meilleures universités de l'EUROPE de la fin de la Renaissance. Mais les calvinistes prenant le pouvoir, il fuit : PRAGUE (1588), HELMSTED. Dans cette ville, devenue une sorte de précepteur du fils du Duc de BRUNSWICK, il prononce cependant l'éloge funèbre de ce dernier devant l'Académie et ne peut s'empêcher un diatribe contre les extrémistes religieux. Le pasteur de la ville l'excommunie en plein temple. Il part à ZURICH, arrive à FRANCFORT. Le prieur du couvent des Carmes, Johan MÜNTZENBERGER le considère comme "un homme universel mais qui n'avait point de religion" FRANCFORT sera le lieu de sa perdition. Il y rencontre en effet deux libraires vénitiens qui lui demandent de venir enseigner l'art de la mémoire à un riche noble de la Cité Lacustre, Giovani MOCENIGO. Sans doute BRUNO songe-t-il toujours à l'Université de PADOUE dont la chaire de mathématiques est vacante. De retour en Italie, il postulera mais elle sera donnée en fait l'année suivante, le 26 septembre 1592, à un jeune professeur nommé GALILEE BRUNO rencontre des pères dominicains, cherche à trouver la tranquillité, auprès du nouveau Pape CLEMENT VIII. Le Sieur MOCENIGO de son côté pressait en fait BRUNO de lui enseigner la magie. BRUNO traîne les pieds. MOCENIGO le dénonce à l'Inquisition, qui vient le chercher dans la nuit du 22 mai 1592. Le procès durera plus de huit années, avec, malheureusement pour BRUNO, son transfert à ROME, tortures et sévères humiliations se succéderont. Il n'abjure pas, essaie de négocier, ne peut défendre sa nouvelle philosophie qui contrarie les écritures. Le texte exact de la sentence a aujourd'hui disparu, par contre viennent de paraître le tome 1 des Suvres complètes de Giordano BRUNO, tome 1 intitulé "Le Procès". Il ne resterait du texte exact de la sentence que la copie donnée au gouverneur. Il y avait 34 chefs d'accusation.
Giordano BRUNO est brûlé sur le Campo dei Fiori le 17 février 1600 ; ses livres sont mis à l'index.
Que lui était-il reproché ? Quelle flamme a-t-on fait brûler ? Pourquoi s'est-il fait toujours "incendié" ? Son ironie mordante, ses talents de polémiste, son dégoût affiché pour la scolastique et les sacrements ; ses doutes publiques ; son savoir considérable aussi probablement De fait, il connaissait parfaitement les auteurs classiques, autorisés ARISTOTE, PLATON, AVICENNE, AVEROES, LUCRECE, PARACELSE Thomas d'AQUIN et les Pères de l'Eglise Mais aussi, il connaissait les auteurs plus "cachés", comme ERASME, PIC DE LA MIRANDOLE, ou encore des auteurs très suspects de magie : HERMES TRISMEGISTE en EGYPTE, les druides en GAULE, les gymnosophistes en INDE, les cabalistes près des Hébreux, les mages en PERSES (les disciples de Zoroastre), les sophistes en GRECE, les Sages proches des latins" (voir J. ROCCHI).
Auteurs protestants, philosophie occulte, magie naturelle accompagnaient le savoir théologique et philosophique, scientifique donc à l'époque de BRUNO. Pour lui, contrairement à ARISTOTE, et encore plus à Thomas d'AQUIN, et un peu plus sur la voie de la "double vérité" d'AVERROES, savoir et croyance devaient être séparés. C'est d'ailleurs tout au long de ses errances, également tout au long des huit ans de son procès, la confrontation difficile entre théologie et philosophie qui sera l'enjeu des débats, et de sa vie. Philosophie c'est-à-dire science.
C'est bien dans cette même tradition que Jean-Paul II, dans sa dernière lettre encyclique du 14 septembre 1998 - "Fides et Ratio" - foi et raison - confronte la foi à la philosophie, à la pensée philosophique moderne.
Nous insisterons ici sur trois auteurs particuliers, sur lesquels Giordano BRUNO s'est appuyé. Le premier est bien sûr le moine polonais Nicolas COPERNIC, et notamment son ouvrage "De revolutionibus orbium caelestinium libri VI", paru en 1543, dans lequel il expose son heliocentrisme au détriment de la planète Terre. Il y avait déjà eu de telles intuitions bien sûr, notamment ARISTARQUE DE SAMOS, au IIIème siècle avant JESUS CHRIST Ouvrage donc qu'il adressa au pape PAUL III (Alexandre FARNESE) avec une préface témoignant d'une certaine lucidité à l'égard "des gens de mauvaise foi et ignorants des mathématiques". COPERNIC eu la "bonne idée" de mourir le jour même où il reçu l'imprimé de son Suvre, à NUREMBERG, soit le 24 mai 1543 !.
Le second auteur est Nicolas de CUES, aîné de BRUNO de plus d'un siècle, auteur de la " Docte Ignorance ", théologien féru de mathématiques, homme politique, dirigeant de l'Eglise. La " Docte Ignorance " situe les limites de la connaissance, dans une confrontation entre l'intelligence de l'homme, limitée, et la Vérité, que cet auteur dira être infinie. Ainsi pour lui, Vérité et Dieu sont du registre de la méconnaissance humaine. Cette notion d'illimité est appliquée à l'univers, lequel alors ne peut avoir de centre ni de circonférence
Ajoutons que Giordano BRUNO lisait PLATON semble-t-il dans la traduction et commentaires de Marcile FICIN, contemporain de MACHIAVEL au début du siècle, opposé à ARISTOTE, BRUNO lisait donc PLATON qui également s'étonnait que l'on pu et découvrir et, encore moins pour lui, faire connaître Dieu
Le troisième auteur est un peu à part. Il s'agit de Raymond LULLE (1232 ; environ 1326) et de son "Ars Magna". C'est un auteur du XIIIème siècle dont l'importance est grande pour BRUNO, ainsi que l'a montré une spécialiste de la Renaissance, l'historienne anglaise, anoblie par la Reine, Frances (Amalia) YATES ("Raymond LULLE et Giordano BRUNO"). Dans l'étude, inlassablement, de la mnémotechnie, BRUNO s'appuie en effet sur les éléments techniques de LULLE, qu'il va réélaborer : "Pour contrôler la mémoire, il est nécessaire de disposer en ordre les nombres et éléments ( ) en utilisant les formes faciles à se rappeler " ; ou encore : "Etant donné que les idées constituent les formes principales des choses, à partir desquelles toute chose est formée ( ), nous devons former en nous les ombres des idées de telle sorte qu'elles puissent s'adapter à toutes les formation possibles " BRUNO reprend ainsi la technique des "roues du savoir" de LULLE, lesquelles devaient constituer un savoir mobile, une mémoire à la fois fixée en symboles et mouvante, tournante, qui facilitait les associations d'idées. Les éléments fixes étaient représentés par des lettres qui se combinaient avec des figures géométriques et des symboles divers, l'ensemble étant articulé selon un mouvement tournant qui donnait de multiples combinaisons possibles. LULLE est un personnage curieux. Il est persuadé que sa combinatoire logique peut donner réponses à toutes questions concernant la réalité ; l'apparence scientifique est vite recouverte par les idées quelque peu grandiloquentes, l'intérêt plutôt pour la magie, et l'usage politique basé sur cet occultisme et l'idée de convertir ou de réconcilier les différentes religions.
Cet héritage quelque peu "sulfureux", comme celui de COPERNIC et celui de la " Docte Ignorance " de Nicolas de CUES ne pouvaient que frapper l'Eglise, en proie à la poussée de la Réforme et à la montée des savoirs, des connaissances. La détermination farouche quant à la connaissance atteinte par la raison, le talent et l'intransigeance de polémiste en ajoutaient.
Mais plus encore, sa théorie de la pluralité des mondes, de l'Infinitude de l'Univers l'amenait à penser que Dieu n'était, ne pouvait alors être mis dans un extérieur ni dans un au-dessus, mais bien plutôt en chacun des mondes, en chacune des unités L'accusation de panthéisme n'était pas difficile Giordano BRUNO ne l'a jamais prôné semble-t-il.
En octobre 1992, lorsque le pape Jean-Paul II reconnaît les erreurs de l'Eglise à propos de "l'affaire GALILEE", il précise par exemple que les systèmes de COPERNIC et de GALILEE s'opposent aux écritures notamment dans le passage du livre de JOSUE où celui-ci "arrête le soleil". L'interprétation des textes ne peut alors plus être littérale ce qui ouvre un champ très vaste aux exégètes. Par ailleurs, la bible en plusieurs endroits, notamment au psaume XXVIII, évoque une terre fixe et un soleil mobile D'autre part, du début du mois de février 2000, le cardinal POUPARD, responsable du Pontificam Concilium Cultura évoque la réhabilitation de Jean HUSS et de GALILEE mais il refuse la réhabilitation de BRUNO bien que déplorant l'acharnement mortel de l'Eglise à son égard. Le pape Jean-Paul II vient en ce dimanche 12 mars 2000, demander, globalement, le pardon pour les erreurs de l'Eglise, y compris semble-t-il pour celles de l'Inquisition ; de manière globale. En visite à TORUN, ville natale de l'astronome GALILEE, le lundi 7 juin 1999, Jean-Paul II regrettera la séparation de la foi et de la raison à la Renaissance. Mais à l'Université Nicolas COPERNIC, il ne répondra pas à la lettre de l'astronome, lequel dédiait alors son Suvre on s'en souvient au pape PAUL III.
Par ailleurs, à l'occasion de la représentation de la pièce de Bertold BRECHT, "La vie de Galilée" (avec Jacques Weber dans le rôle), Michel COURNOT dans un article du Monde rappelle que "l'Inquisition et les grands prélats n'allaient pas main dans la main". Ainsi pour l'affaire GALILEE il cite un historien italien, Pietro REDONDI, qui aurait " récemment prouvé que l'Inquisition s'en serait prise à GAILEE parce qu'il soutenait une théorie de la chaleur qui confirmait la doctrine eucharistique de la transsubstantiation. Accusation d'une gravité extrême. Le pape URBAIN VIII aurait obtenu l'échange contre l'hérésie Copernicienne, moins radicale". GALILEE aurait de plus abjuré ; et toutefois cette "rétraction" aurait eu lieu "au secret", contrairement aux lois de l'Inquisition qui l'exigeait publique !
La réhabilitation de GALILEE par l'Eglise a commencé en 1979. Il est rappelé en note, dans l'Encyclique "foi et raison" de 1998 le Discours de Jean-Paul II à l'Académie Pontificale des Sciences, le 10 novembre 1979, : "GALILEE a déclaré explicitement que les deux vérités, de foi et de science, ne peuvent jamais se contredire " GALILEE est cité ! Dans cette lettre Encyclique Jean-Paul II souhaite le rapprochement de la foi et de la raison, des sciences, s'enrichissant l'une et l'autre, l'une par l'autre. En effet, avec toutefois des rappels salutaires contre un certain utilitarisme nocif des sciences et des techniques, le pape prône une certaine réconciliation : "Il est illusoire de penser que la foi, face à une raison faible, puisse avoir une force plus grande, au contraire, elle tombe dans le grand danger d'être réduite à un mythe ou à une superstition. De la même manière, une raison qui n'a plus une foi adulte, en face d'elle n'est pas incitée à s'intéresser à la nouveauté et à la radicalité de l'Etre".
"C'est lorsqu'elle croit que la personne pose l'acte le plus significatif de son existence ; car ici la liberté rejoint la certitude de la Vérité et décide de vivre en elle".
Car dans l'acte de croire c'est bien de la Vérité qu'il s'agit. La Vérité est vérité de la foi, et celle-ci est Révélation laquelle s'effectue par JESUS CHRIST, Fils de Dieu, Verbe Eternel, Verbe fait chair.

Y a-t-il deux Vérités en présence l'une de l'autre ? "double vérité" selon AVERROES ; croyance séparée de la foi pour Giordano BRUNO, ce dernier se défendant en tant que philosophe d'intervenir comme théologien si ce n'est comme philosophe dans la théologie !
Alors, pour reprendre une question de Gérard POMMIER lors du colloque de la Fondation Européenne pour la Psychanalyse à CLERMONT-FERRAND l'an dernier , "faut-il brûler BRUNO une seconde fois ?", de nos jours, au nom cette fois non pas de la religion mais d'un anti-scientisme, souvent justifié quant aux arrogances de certains mais de fait assez peu raisonnable Jean-Paul II nous montre-t-il la voie d'une nouvelle alliance ?
Pour la psychanalyse telle que le conçoit Jacques LACAN, la Vérité est une, elle est une place ; en bas à gauche dans le quadrangle des discours, elle peut donc être occupée par chacune des quatre lettres : objet a, signifiant Maître, savoir, sujet. Il n'y a pas de discours de la science ni de discours de la religion, à moins de les rattacher de manière conjecturale et occasionnelle, à l'un de ces quatre discours. Mais cette place de la Vérité, "de la Vérité comme cause", peut selon les processus qui vont s'y rapporter définir quatre praxis distinctes, "qui se réclament de la Vérité". Dans la leçon d'ouverture du séminaire tenu l'année 1965/1966 à l'Ecole Normale Supérieure, "La Science et la Vérité", texte repris dans les Ecrits, LACAN distingue la science, de la magie, de la religion et de la psychanalyse. Pour la première, il y aurait forclusion de la Vérité comme cause ("elle n'en voudrait rien savoir"). Mais, contrairement à la magie et à la religion, ce savoir là de la science se communique. Que la science ne veuille rien savoir de la Vérité peut paraître surprenant, sauf à préciser que le sujet est divisé entre savoir et vérité, lesquels ne se confondent pas ! En ce qui concerne la magie la cause doit être "efficiente" : c'est dans le corps du Chaman par exemple, que le signifiant dans la nature est appelé par le signifiant de l'incantation. Il y a corrélation de signifiant à signifiant, le sujet est négligé, il doit être "mise en état" ; la vérité comme cause est refoulée.
"Pour la religion, dit-il, elle doit bien plutôt nous servir de modèle à ne pas suivre La fonction qu'y joue la révélation se traduit comme une dénégation de la Vérité comme cause, à savoir qu'elle dénie ce qui fonde le sujet à s'y tenir pour partie prenante Disons que le Religieux laisse à Dieu la charge de la cause, mais qu'il coupe là son propre accès à la vérité. Aussi est-il amené à remettre à Dieu la cause de son désir, ce qui est proprement l'objet du sacrifice. Sa demande est soumise au désir supposé d'un Dieu qu'il faut dès lors séduire. Le jeu de l'amour entre par là."
"Le religieux installe ainsi la vérité en un statut de culpabilité. Il en résulte une méfiance à l'endroit du savoir, d'autant plus sensible dans les Pères de l'Eglise qu'ils se démontrent plus dominants en matière de raison.
La Vérité y est renvoyée à des fins qu'on appelle eschatologiques, c'est-à-dire qu'elle n'apparaît que comme cause finale, au sens où elle est reportée à un jugement de fin du monde. D'où le relent d'obscurantisme qui s'en reporte sur tout usage scientifique de la finalité".

Alors que peut-on lire avec "l'affaire" Giordano BRUNO ? A-t-il participé, inconsciemment, de son destin ? Bien évidemment en tant que psychanalyste nous sommes touchés par cette phrase :
"Vous savez où je suis.
J'y poursuis un travail, depuis plus d'un an soutenu dans les conditions torturantes qui sont maintenant le su de tous. C'est le mieux que je puisse faire pour présenter et préserver les fins de notre Société dans ce qu'elles ont d'essentiel. Croyez à ma fidélité".
C'est signé Jacques LACAN, à GUITTRANCOURT, le 10 novembre 1963. C'est une lettre à Serge LECLAIRE, après son exclusion, son excommunication de la liste des didacticiens par l'International Psychanalytique ou IPA le 13 octobre de la même année.
BRUNO nous semble être pris à la fois par son désir et par son époque. Il participe à la fois, et brillamment de la Religion et du Savoir, celui de la philosophie qui incluait les sciences, qui incluait pour BRUNO certains traités de magie pour la mnémotechnie Cela à un moment où les sciences tentent, inexorablement et logiquement de se détacher et de la magie, et de la religion. C'est-à-dire que, à reprendre LACAN, BRUNO se trouve, s'engage, s'engouffre dans des systèmes qui fonctionnent par rapport à la Vérité dans la dénégation, le refoulement et surtout la forclusion.
Que devient le sujet BRUNO ? Il devient un sujet errant, exclu, fuyant et rejeté. Il est probable qu'à l'époque existaient des sociétés scientifiques , auxquelles il n'appartint pas pas plus qu'il ne sut rester dans les communautés religieuses
Peut-on dire que le désir de BRUNO s'accorde avec cette mise à l'écart du sujet ? Ou bien est-il recouvert, ce désir, par cette dernière, la mise à l'écart, mise en place par les systèmes dans lesquels il est pris ? ou bien est-il ce désir encore, tel celui d'ANTIGONE, conducteur d'une détermination farouche jusqu'à la mort ?
Toutefois, si le destin d'ANTIGONE est réglé par un désir pris dans les liens familiaux, à l'encontre des lois de la cité, le cas de Giordano BRUNO peut-il apporter quelqu'autre éclairage, dans la mesure où ce ne sont pas deux Vérités qui s'affrontent à ce moment de l'histoire mais deux opérations, deux rapports différents à la Vérité, celui d'une dénégation où la Révélation par la foi lui est substituée, et celui d'une forclusion où c'est le savoir scientifique qui en tient lieu. Avons nous affaire à l'affrontement de deux discours, ou bien plutôt à l'affrontement de deux praxis pour la place d'un même discours, à savoir le discours du Maître ?
Sur ces bases, la psychanalyse doit bien en assurer le discours à l'envers, et l'on comprend qu'elle puisse être mise à l'index ; l'on comprend aussi que les discours montants, selon le cas et selon l'éthique des psychanalystes certains puissent vouloir qu'elle soit à leur égal, discours du maître donc, ce qui vaut aussi une mise au bûcher Il serait sage de maintenir une troisième voie, ou plutôt un quatrième discours, le discours psychanalytique.