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SUR QUELQUES QUESTIONS TOUCHANT LA RECONNAISSANCE

Stéphane THIBIERGE

Je vous proposerai ici quelques remarques sur la manière dont nous pouvons nous servir de cette matrice logique apparemment très simple qu'a laissée Lacan, et qu'il écrivait comme vous le savez i(a). Je vais l'expliciter un peu, puisque certains d'entre nous travaillent dans d'autres champs que la psychanalyse et ne connaissent pas cette écriture. Je m'en servirai pour montrer de quelle manière i(a) peut nous permettre d'appréhender un certain nombre des phénomènes visés par le titre qu'Alain Harly a proposé pour ces journées. Cela vient bien à la suite de ce qu'a évoqué auparavant Claude Dorgeuille concernant la manière dont, chez des sujets psychotiques ou non psychotiques, quelque chose de l'image du corps peut s'imposer sur un mode insupportable, et rendant assez bien compte de la manière dont le rapport que nous entretenons à notre image est un rapport qui est fondamentalement un rapport d'impossibilité. D'impossibilité, puisque c'est effectivement un rapport impossible, même s'il n'est pas habituel de le saisir comme tel. Mais dans les cas que nous rapportait Claude Dorgeuille cela venait au premier plan.

Pour entrer dans cette question. La Grimace de l'objet, je vais partir très directement de ce qui constitue pour nous le champ de ce qu'on peut appeler la reconnaissance. La reconnaissance, entendons par là ce qui prend pour nous valeur de réalité: le fait que nous nous levions tous les matins sans avoir l'impression que les choses sont anormales, le fait que nous nous retrouvions tous les matins dans le même rôle social, etc., sans que ça nous pose en principe trop de problèmes. C'est cela que j'appelle ici le champ de la reconnaissance. C'est le sensible en tant qu'il fait sens et vient s'intégrer sans difficulté apparente, sans bruit, dans l'expérience du sujet. C'est là une définition générale de la reconnaissance, mais elle suffit à ce que je voudrais ici évoquer. Nous reconnaissons donc ce qui se présente à notre expérience, en principe - nous sommes censés le reconnaître.
La reconnaissance ainsi posée est en somme le négatif de ce qu'on appelle le sentiment d'étrangeté en psychiatrie. Le sentiment d'étrangeté, c'est au contraire ce qui se passe - ça arrive, ça peut arriver à n'importe qui - lorsqu'apparaît dans l'expérience du sujet quelque chose qui est en quelque sorte enclavé hors de ce sens, et hors de cette reconnaissance.

Claude Dorgeuille nous en a donné des exemples remarquables: par exemple le cas de cette bretonne évoquant de quelle manière son nez était électivement désigné comme un objet erratique, support d'une sorte d'autonomie étrangère et venant décomposer pour ce sujet le champ de la reconnaissance.
Pour faire bref, je rappelle simplement comment la psychanalyse et la psychiatrie ont montré que la forme princeps, la forme primordiale de la reconnaissace, ce qui nous permet de reconnaître, c'est l'image du corps. C'est ce qui nous permet aussi ce faisant d'évoluer dans un monde essentiellement monotone, terne, c'est-à-dire ou rien ne se signale à proprement parler, sauf dans les cas, et c'est ce qui nous intéresse, où quelque chose de l'objet vient à se manifester d'un peu trop près. Cette monotome de notre monde est ce par quoi nous nous y déplaçons sans trop de difficultés, quand nous sommes des névrosés normaux. La forme princeps de cette reconnaissance pour nous, c'est l'image du corps qui lui donne son support et ses conditions. C'est la manière dont nous saisissons cette image et dont nous sommes saisis par elle qui constitue la matrice initiale d'un rapport à la réalité à la fois monotone et supportable.

Cette image du corps telle qu'elle constitue la matrice de la reconnaissance, je vais en rappeler une définition simple. Lacan a pu montrer comment l'image du corps prenait consistance pour le sujet humain de la manière suivante. Lorsque le petit enfant est encore dans l'état de dépendance du nourrissage, et dans l'état d'une incoordination motrice qui lui font éprouver son corps réellement comme quelque chose de morcelé, qui n'a aucune unité, c'est dans ce temps situable entre les 6 et 18 premiers mois de la vie qu'il va s'établir ceci: la précipitation dans le reflet au miroir d'une forme que l'enfant va anticiper. Il ne peut que l'anticiper, puisque lui-même est dans un état réel qui n'a aucun rapport avec cette forme.
Nous pouvons l'écrire comme ceci:
(langage) réel / forme anticipée (virtuelle) Je

Vous avez donc d'un côté un état réel, l'état réel de morcellement du corps de l'enfant entre 6 et 18 mois. Et il se produit un autre lieu de l'autre côté, marqué ici d'un trait de séparation pour souligner ce qui prend la valeur d'une radicale impossibilité de faire coïncider ces deux côtés. C'est ce que nous montre toute la clinique à laquelle se rapporte ce schéma. Elle montre comment nous recevons la réalité à partir d'une reconnaissance idéalement close sur elle même et en quelque sorte parfaite: le point important étant que cette forme, cette image anticipée, est saisie dans une virtualité que le réel du sujet ne rejoindra jamais. L'enfant reçoit dans le miroir une forme qu'il saisit et dont il est saisi, unitaire, belle et captatrice de cette unité même, mais cette forme est virtuelle, nécessairement décalée par rapport à l'état réel. Et ce qu'indique Lacan à cet égard, c'est que le Je - lorsque nous disons Je, lorsque nous parlons Je - le Je est produit de cette division en tant que le sujet de la parole va tenter d'assumer ensemble un attelage qui n'est en aucun cas homogène, et qui comporte la distinction et la séparation de ces deux côtés. Le Je est articulé à cette antinomie fondamentale. Et il suppose, ce Je, en tant qu'il est un support symbolique et support symbolique précisément de cet écart, que le sujet soit inscrit sous des catégories de langage, qu'il soit nommé, appelé, ce qui prend ordinairement effet dès avant la naissance.
Tels sont, brièvement posés, les éléments de constitution de l'image du corps J'ajoute que Lacan a été amené à écrire ces éléments i(a), i pour l'image et a pour signifier que l'image du corps en cette forme virtuelle anticipée ne peut être reconnue, ne peut être supportable et tenable qu'à partir du moment où nous n'identifions pas l'objet, l'objet au sens de ce que cette image est faite à la fois pour habiller et pour recouvrir.

Lacan souligne donc comment l'image / ne peut avoir de consistance que dans la mesure où elle est la mise entre parenthèse d'un objet que nous appelons un objet refoulé, qui doit être refoulé pour que cette image tienne. Aussi pouvons-nous dire que cette forme anticipée de l'image est faite pour résoudre une antinomie fondamentale qui caractérise le sujet humain et qui est tout le problème de ce que nous appelons la représentation,
Le titre de ces journées sollicite le problème de la représentation. Il n'est évidemment pas possible de le déplier dans les limites de cet exposé, mais nous pouvons en désigner quelques aspects qui nous retiennent plus directement. La représentation, pour le sujet humain, renvoie d'abord à l'antinomie et à la difficulté radicales que suppose la représentation de son corps. Cette représentation est impossible au sens où elle n'est pas possible dans l'espace tel que nous le percevons. Il y a au principe de notre rapport à notre corps et à l'espace une antinomie irréductible, fondamentale, qui tient au fait que ce corps est toujours traversé par l'impossibilité de faire se rejoindre son état réel et son anticipation virtuelle. C'est en quoi ce corps, support réel de toute représentation pour nous, ne peut être homogène à l'espace que nous percevons.

On s'est demandé depuis longtemps, on continue d'ailleurs de se demander, si l'espace est continu ou discontinu. Cette interrogation est l'une des conséquences de la constitution élémentaire de l'image spéculaire. On se demande si l'espace est continu ou discontinu: en fait, du moins dans l'ordre des faits que j'évoque ici, il est fondamentalement discontinu pour nous, bien que nous ne le percevions pas comme tel.
C'est la raison pour laquelle Lacan a pu chercher à tordre de façon remarquable toute une série de moyens, notamment topologiques, pour essayer de rendre compte de ce rapport du sujet humain à son corps et à ses objets, à partir de la manipulation d'une forme spatiale dont les coordonnées réelles sont d'un abord surprenant.
Que nous apprennent les psychoses, et que nous apprennent ces états dans lesquels vient au premier plan cet objet que Lacan a noté comme l'objet a ? Ce qui est intéressant, c'est ce qui se passe lorsque cette forme i(a) vacille. Elle n'est jamais assurée, pour les raisons que j'ai évoquées. Il y a des configurations cliniques dans les psychoses mais aussi dans les névroses où l'objet sort des parenthèses. Il quitte cet habillage qui orne l'image. Ce qui est très surprenant à cet égard, c'est ce que nous livrent des syndromes sur lesquels j'ai eu l'occasion de travailler, et qui sont des syndromes au premier plan desquels vient une décomposition du champ de l'image et du regard. Ce sont des syndromes dans lesquels les malades ont par exemple la conviction qu'ils ont affaire à un autre ou à des autres qui se dédoublent sans cesse et qui ne sont jamais semblables - à chaque fois que je rencontre Untel, c'est un autre qui se substitue à lui. Autrement dit ces syndromes permettent de mettre au jour une structure fondamentale de réduplication, de redoublement. L'objet a, de la manière dont se présentent ses effets dans les psychoses à la fois dans l'ordre du regard et dans l'ordre de la voix, est tributaire de cette structure réduplicative. L'isolement de l'automatisme mental de Clérambault, ça a consisté à faire ressortir principalement cela Clérambault désignait la base de l'automatisme mental dans les phénomènes d'écho, c'est-à-dire comment le sujet affirme: "Ce que je dis ou ce que je pense, avant que je ne le dise, c'est déjà dit et je l'entends, ou bien après que je l'ai dit, ça me revient".
Ce sont ces phénomènes d'écho dans l'ordre de la voix et de réduplication dans l'ordre du regard qui portent à relever du côté de l'objet une structure élective de redoublement. Cette structure se trouve dans l'image spéculaire méconnue mais présente, puisque cette image, forme princeps de la reconnaissance, a bien une structure de redoublement A ceci près que dans l'image spéculaire normale, il y a un côté nel, le corps du nourrisson, et un côté virtuel, c'est-à-dire projeté dans une anticipation
Dans les psychoses ce lieu virtuel n'est pas virtuel, il est actuel. Ce redoublement qui constitue le socle de la représentation chez le sujet humain, il est dans la psychose feuilleté de telle sorte que les deux versants sont actuels. C'est en quoi il semblerait que nous ayons affaire, à travers les effets les plus purement déployés de l'objet dans les psychoses, à une structure fondamentalement réduplicative.
Je voudrais maintenant évoquer un phénomène tout à fait notable dans le champ de la reconnaissance, et qui est le suivant. On a depuis longtemps remarqué que dans l'image spéculaire, le visage était porteur de phénomène étranges ou paradoxaux, dont l'exposé de Claude Dorgeuille nous a donné plusieurs exemples. Dans la forme de l'image du corps, le visage est le support de phénomènes spécifiques. Curieusement ils ont été isolés tardivement puisque c'est seulement en 1947 que Bodamer a désigné en neurologie, comme trouble spécifique, ce qu'on appelle les agnosies des physionomies ou les prosopagnosies.

Je vous proposerai ici quelques remarques sur la question du visage. La clinique ordinaire nous montre comment nous avons au visage un rapport qui est normalement et couramment interprétatif, il n'y a pas besoin d'être fou pour cela. Autrement dit, nous ne pouvons pas saisir un visage autrement que dans la dimension du: "Que signifie-t-il, que marque-t-il, que me veut -il ? Quels sont les affécts qui le traversent ? Est-il en colère, est-il joyeux", etc. Bien souvent d'ailleurs on se trompe dans l'interprétation, mais peu importe: nous avons en tout cas ce rapport volontiers interprétatif au visage, ce qui est tout de même étrange.
C'est d'ailleurs ce rapport interprétatif au visage que la langue française vise entre autres de façon très parlante sous le terme de la gueule. La gueule est un terme qui renvoie à une racine indo-européenne gwel ou gwer voulant dire "avaler". Ça renvoie à la bouche animale, l'ouverture simplement béante. Vous voyez que nous sommes là reconduits, par un autre chemin, à cette manière dont l'image spéculaire telle qu'elle se constitue normalement est toujours une manière de répondre par anticipation à une attente de l'Autre. Notre image, notre moi et la façon dont nous nous reconnaissons et dont nous reconnaissons les choses en général, comportent toujours une manière de boucher ou de tempérer une dimension d'angoisse que suscite la question de ce que Lacan appelle le désir de l'Autre. Qu'est-ce que qu'on me veut, qu'est-ce qu'on attend de moi ? Et c'est cette question que nous renvoyons du côté du petit autre, du semblable, quand justement nous saisissons son visage assez spontanément d'une manière interprétative.

Pour aller directement à ce qui nous intéresse en l'occurrence: le visage se signale comme quelque chose qui n'est pas exactement intégré dans l'ordre de la reconnaissance Nous ne reconnaissons pas à proprement parler les visages. Je reconnais ce bout de craie, ce verre, les objets environnants, etc. Le visage, lui, n'est pas reconnu: il est identifié et il est identifié très vite, les neurologues n'ont pas manqué de le remarquer, beaucoup plus vite que la plupart des objets, et en particulier des objets de forme apparemment plus simple. On identifie les visages à des traits caractéristiques. Ces traits, ça en indique la proximité avec la lettre. Je n'ai pas le temps de développer beaucoup, mais je vous propose ceci: il y a une affinité du visage avec la lettre, qui tient à ce que dans les deux cas nous avons affaire à quelque chose que l'on identifie mais que l'on ne peut pas reconnaître Je vous en donne un exemple: la lettre est par excellence un objet que l'on identifie mais que l'on ne reconnaît pas. Si j'écris au tableau "A",ou bien vous l'identifiez ou bien vous ne l'identifiez pas, mais vous ne reconnaissez pas à proprement parler. Si vous ne l'identifiez pas. vous aurez beau l'observer sous tous ses aspects, vous ne pourrez pas savoir de quoi il s'agit Si j'écris ça, cette lettre chinoise, c'est pareil, il n'y a aucun moyen de reconnaître une lettre. Vous ne pouvez que l'identifier, ou pas. Le visage est à beaucoup d'égards quelque chose qui se présente en affinité avec la lettre de ce point de vue II est beaucoup plus à situer dans le champ de ce qu'on identifie que dans le champ de ce qu'on reconnaît. Il se signale d'abord comme support privilégié d'une dimension interprétative que j'évoquais tout à l'heure, qui est premier plan dans son appréhension. Il se signale comme support de traits à identifier plutôt que de forme à reconnaître: c'est son rapport avec la lettre. Et on peut en cela distinguer dans le visage une incidence privilégiée de l'objet - l'objet au sens où il est irreprésentable pour nous, où c'est son refoulement qui rend possible la tenue de l'image spéculaire.
Il y a donc un rapprochement à faire que je ne peux pas beaucoup étayer dans les limites de temps de cet exposé, mais qui peut être indiqué de manière cursive: un rapprochement entre visage, trait, objet, lettre. C'est ce qui peut expliquer que le visage soit immédiatement saisi dans le type d'interprétativité que j'évoquais, et qu'il soit aussi un support privilégié de la stylisation dans toute culture, et aussi chez les psychotiques.
Je me souviens d'une patiente que je suivais régulièrement à l'hôpital, qui arrivait à ces entretiens tantôt avec le visage complètement défait et déjeté, tantôt allumée comme un phare avec un maquillage très violent, très mis en avant. Il fallait toujours essayer de tempérer che Zelle l'amplitude entre un affaissement par moments ou au contraire cette manière d'avoir le visage complètement illuminé à d'autres. Pour la calmer je lui disais - c'est un conseil qu'on peut lire chez Clérambault et je trouvais que ce n'était pas mal, ça marchait assez bien avec elle -, je lui disais: "faites de la broderie". Elle faisait de la broderie, ça lui réussissait plutôt bien,
Dans les cultures qui réservent à ces questions une place et une fonction plus précisément articulées que chez nous, il y a tout un travail sur les traits du visage, travail dont on peut supposer qu'il répond entre autres à la nécessité de tempérer cette dimension interprétative du visage. Prenez par exemple, les indiens Caduveo exemple entre beaucoup d'autres dont parle Lévi-Strauss dans un de ses articles les plus intéressants, "Le dédoublement de la représentation dans les arts d'Asie et d'Amérique".

La peinture des visages chez les Caduveo révèle de quelle manière est prise en compte la question de la symétrie telle qu'elle se pose dans la structuration du rapport à l'autre spéculaire, et donc à l'image du corps, mais comment cette symétrie est élaborée et travaillée à la faveur d'un dédoublement qui se produit, lui, d'une façon très précisément dissymétrique. C'est-à-dire que vous allez avoir un double dédoublement, comme vous le verrez si vous vous reportez à la figure 21, p. 280: au lieu que ce soit simplement le motif de la partie gauche du visage repris symétriquement à droite, le visage est partagé en quatre parties s'ordonnant suivant deux axes qui se recouperaient en croix, ce qui permet une symétrisation décalée par rapport à la spéculante simple. Il y a une symétrie d'une part entre le haut à gauche et le bas à droite, d'autre part entre le haut à droite et le bas à gauche. Ce n'est pas une symétrie directe mais une symétrie croisée avec une autre, et de plus chacune des deux fait se répondre des éléments qui sont dissymétriques, c'est-à-dire qui, soit par la dimension des figures soit par leur ornementation soit par les deux ensembles, ne sont pas des symétries simples ni complètes Autrement dit ces motifs peints sur le visage aboutissent à une structure réduplicative, mais décomposée et savamment articulée d'une manière qui n'est pas directement spéculaire. Lévi- Strauss note la haute valeur de sexualisation et d'érotisation de ces motifs, ainsi que leur valeur de distinction hiérarchique et sociale. Il mentionne aussi un adage des Caduveo disant que celui qui n'est pas peint est "stupide". La stupidité au sens propre désigne l'engourdissement, la paralysie, le fait d'être ahuri par une émotion vive et immédiate. Nous pouvons la rapprocher de la captation par la situation actuelle, en particulier duelle, et vous savez que c'est à peu près en ces termes que Lacan a pu proposer la définition la plus générale de la folie. Quand les Caduveo disent: celui qui n'est pas peint est stupide, ils renvoient à ce savoir très élaboré par lequel ils tempèrent de ces traits stylisés la dimension paranoïaque du face à face spéculaire.
Pour conclure, je voudrais dire quelques mots sur les premiers entretiens, puisque les premiers entretiens dans l'analyse sont un moment spécifique qui peut sans doute revêtir des formes très diverses, mais où il me semble que i(a) se trouve interrogé d'une manière asse Z caractéristique par le sujet qui vient demander une analyse. Ce sujet qui vient demander une analyse, lors de ces entretiens, que fait-il ? Nous pouvons dire qu'il y a là quelque chose de l'ordre du passage à l'acte. J'entends par là qu'il se trouve porté et déterminé par quelque chose qui le situe bien souvent hors du champ de la reconnaissance. En venant voir un analyste, il se déplace dans un espace où il ne reconnaît pas. C'est cela qui est corrélatif de ce que nous pouvons appeler un acte, voire un passage à l'acte. Quand j'ai commencé à recevoir, j'ai constaté que chaque fois que j'entendais quelqu'un en entretien préliminaire, je reprenais ensuite les choses avec un papier et un crayon, pour noter tout ce qui me venait, non seulement les paroles mais les postures, le ton, les mimiques, les gestes, démarches, attitudes, etc. Pendant un certain temps je l'ai fait sans très bien savoir pourquoi. Bien entendu chacun en use à cet égard selon son mode, et l'on peut concevoir les modes les plus divers. Je procédais ainsi tout en me disant qu'il fallait essayer de saisir pourquoi. Il me semble que ces entretiens préliminaires sont précisément non pas toujours mais souvent un temps où i(a) n'est plus tenu, n'est plus ce qui oriente. Le sujet se trouve à parler, il parle à partir de cet objet, disons de cet objet refoulé ou ordinairement entre parenthèses, mais qui d'une façon très étrange, dans ces entretiens, se trouve porté au premier plan sans qu'il le sache. C'est sans doute pourquoi ces entretiens peuvent se prêter d'une manière élective à la lecture et à l'écriture. C'est-à-dire qu'il ne s'agit pas d'y reconnaître à proprement parler quelque chose, au sens où j'évoquais tout à l'heure que ce qu'il en est de la lettre, nous ne pouvons que l'identifier ou non, et non pas le reconnaître. Par contre, il se donne là un matériel à lire et à écrire, éventuellement à l'insu de l'analyste. C'est pourquoi, me semble-t-il, c'est un temps à propos duquel il peut y avoir lieu de proposer des repères de cette sorte, autrement dit autrement orientés que dans le champ de la reconnaissance. Ensuite, lorsqu'on allonge le patient, après ces entretiens, lorsqu'on fait éventuellement passer à la position allongée, il se produit souvent un recouvrement de ce qui s'est dans un premier temps donné à lire parfois d'une manière après coup remarquablement parlante et déployée. Quand on relit les notes on s'en aperçoit quelquefois. Quand le sujet passe à la position allongée - naturellement ceci est à nuancer dans la généralité où je l'évoque - étrangement il y a fréquemment quelque chose de cela qui est recouvert, qui disparaît ou qui est tempéré et qui ne reviendra que parfois longtemps après et sur un tout autre mode.