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HYPNOTISME ET DOUBLE CONSCIENCE

Dr Azam

SUITE DE L'OBSERVATION DE FÉLIDA
ANALYSE RÉFLEXIONS ET HYPOTHÈSES


A Monsieur Le Directeur De La Revue Scientifique :
On sait qu'en fait, et quelque interprétation qu'on en donne, cette jeune femme a ou parait avoir deux consciences, deux personnalités, dont l'une est séparée de l'autre par l'absence du souvenir; l'une de ces personnalités, qui sur deux ou trois mois no dure que quelques heures, est la représentation exacte, la suite -du mode d'existence de Félida jusqu'à l'âge de quinze ans, c'est-à-dire de sa -vie ordinaire jusqu'à l'observation de la maladie. Les périodes qui, -en 1858,-duraient plusieurs jours, ont diminué peu à peu jusqu'à deux ou trois heures. Or, pendant ce temps d'existence normale, Félida ignore absolument tout ce qui s'est passé pendant les deux ou trois mois de condition seconde qui précèdent. L'autre personnalité, c'est la condition seconde qui est aujourd'hui la vie presque entière, état acquis, lequel, grandissant année par année depuis dix huit ans, est arrivé à l'énorme importance actuelle; cet état, plus complet que le précédent, est caractérisé par l'intégrité de tous les sens et de toutes les facultés, particulièrement dey fa mémoire pendant sa durée, élida se souvient non seulement de ce qui s'est passé pendant la condition seconde qui précède, mais aussi pendant les courtes périodes d'état normal.
Il faut qu'il soit bien naturel do penser quo la perfection est l'apanage de l'état normal; car la plupart des lecteurs de l'histoire de Félida (lisent ou écrivent que je me trompe, et quo son état normal ne peut être que celui qui est caractérisé par l'intégrité du souvenir.
Cette objection, que je reconnais du reste être naturelle, m'avait été faite pour la première fois par M. Bersot, à qui, l'an dernier, j'avais lu mon manuscrit avant de l'adresser à l'Institut; mais l'éminent philosophe avait été convaincu par ma réponse verbale, et j'avais ajouté le résumé de cette réponse à mon travail. J'y ai donc déjà répondu. Malgré cela, il parait nécessaire d'y revenir; je le ferai donc avec quelques développements.
Cependant, avant de traiter ce point, vous me permettrez de m'occuper en peu de mots d'une objection sérieuse que je trouve dans le journal de philosophie Mind.
Le savant professeur Robertson, auteur de l'article, dit peu prés ceci:
" M. Azam appelle état NORMAL, chez Félida, un état qui est caractérisé par l'absence du souvenir. Or, il croit que cette amnésie est due à une diminution momentanée dans l'apport du sang à une certaine partie du cerveau; mais ce phénomène est morbide. Comment alors admettre que l'état qui le caractérise soit normal, et n'est-il pas plus rationnel de supposer que les deux existences de Félida sont morbides?
Je trouve cette objection si sérieuse, que je suis disposé à l'admettre sans difficulté; car M. Robertson et moi ne différons que par l'interprétation d'un mot.
En effet, en appelant normal l'un des états de Félida, je n'ai pas voulu dire état de santé parfaite. Je ne l'ai nommé ainsi que par` comparaison avec l'autre, et par suite de l'absence d'un mot plus convenable. Mais, en l'ait, aucun des deux états n'est normal; car, je rai dit, Félida est hystérique. Cette diathèse domine sa vie entière, et dans ses deux existences, dans ses deux conditions, nous trouvons des phénomènes- appartenant à cette maladie, si bien que l'amnésie qui en découle peut exister dans l'état normal au même titre que les douleurs nerveuses, les convulsions, les sommeils subits, etc., etc., etc., qu'on rencontre dans ce môme état.
Il n'y a donc aucune difficulté à ce; que j'admette, avec M. Robertson, que les deux états sont plus ou moins morbides, tout en poissant que l'un d'eux, celui que je nomme NORMAL, faute d'un meilleur mot, ressemble plus que l'autre à la vie antérieure, laquelle n'est assez inconnue et qui n'a jamais dû être la santé parfaite, bien qu'elle n'ait pas préoccupé l'entourage de Félida.
En ce qui touche la seconde objection signalée, je ne répéterai pas les arguments que j'ai donnés dans mon travail précédent et que je considère toujours comme bons; mais j'apporterai des raisonnements nouveaux basés sur l'analyse du sommeil et du somnambulisme
Avant d'entrer dans cette analyse, je rappellerai comment se comporte la mémoire dans les diverses formes du rêve. Ce sera comme un préambule.
D'ordinaire, le rêve simple laisse des' traces dans le souvenir; mais, il arrive, souvent que le souvenir est si fugace, qu'on croit n'avoir point rêvé. De plus, il est arrivé à tout le monde do continuer la nuit suivante un rêve commencé; on peut rêver d'un rêve: même dans cet état quasi-physiologique, il y a liaison entre les états surajoutés.
Pour peu (lue leur somnambulisme soit complet, les somnambules ne se rappellent jamais leurs accès; de plus, dans ces accès, ils se souviennent parfaitement de leur existence ordinaire, laquelle est toujours la base, le point de départ de leurs idées ou de leurs actes. S'ils ne s'en souvenaient point, à quoi pourraient-ils penser, au moins dans le premier accès?... Enfin, dans cet état, ils ont le parlait souvenir des accès analogues, qui sont ainsi reliés entre eux, la mémoire chevauchant, comme chez l'élida, par-dessus les périodes d'état normal. Tout 1e monde sait l'histoire de la jeune fille qui, ayant été outragée pendant qu'elle était en somnambulisme, l'ignorait pendant, la veille, mais raconta tous les détails de cet outrage à sa mère pendant l'accès suivant.
Félida, malgré la perfection de sa condition seconde qui est une -vraie vie, même supérieure à l'autre, rentre donc, au point de vue, de la mémoire, dans; la règle ordinaire, sauf qu'elle y voit ; elle est une somnambule comme les autres.
Voici, maintenant ce qui se passe chez le rêveur et chez le somnambule : la nuit est venue, le carne s'est fait; fatigué par le "travail, l'homme s'étend et s'endort. S'il est bien portant, son sommeil est profond et son corps peu sensible aux excitants extérieurs. À son réveil, il. est reposé et- n'a aucun souvenir de ses rêves s'il en a fait, ou bien il n'a' pas rêvé.. Pendant ce temps, son pouls est calme, l'activité de sa circulation générale est diminuée; si même pendant son, sommeil; il accomplit un acte physiologique qui nécessite hors du cerveau l'appel du sang, la digestion d'un bon repas, par exemple, son sommeil est plus profond encore. Tout le monde sait cela, de même qu'on sait aujourd'hui en physiologie que, pendant le sommeil, le cerveau est dans un état relatif d'anémie.
Mais, pendant la veille, cet homme est agité par des réoccupations. Il pense beaucoup, ou en dormant il est soumis à des excitants quelconques; alors il dort moins profondément, il n'a plus le sommeil dur, il a le sommeil léger. il réve et ses rêves, depuis le plus simple jusqu'au cauchemar, portent l'empreinte (le ces préoccupations ou de ces excitants physiologiques. Le cerveau conservant un reste d'activité, certaines de ses fonctions sont.' en jeu, et le rêve se rapproche plus ou moins de la réalité suivant que le raisonnement et la coordination des idées demeurent plus ou moins actifs. Ces deux, fonctions constituant le lien qui réunit en faisceau les facultés de l'esprit, s'il se relâche, celles-ci flottant indécises, la moindre impulsion agit sur elles et leur donne une direction souvent fort singulière. Mais ce qu'on sait des actes réflexes explique suffisamment ces prétendues singularités.
Un exemple me fera mieux comprendre; vous me pardonnerez de le tirer de moi-même. En` cela je suis la méthode excellente de M Alfred Maury.
Au printemps, quand les matinées sont fraîches, je fais toujours le même rêve. Je me représenté une plage, une rivière,, avec un paysage quelconque moi connu ou fait de souvenirs (le rêve n'inventant rien) et je prends un bain froid. Si je m'éveille, j'acquiers la certitude que mon corps entier est refroidi et que mon rève n'est que le résultat de la sensation de froid dont je n'ai pas eu conscience; mais qui suffisamment sentie par ma peau et perçue par mon cerveau, a agi comme action réflexe et a-enfanté l'idée du bain froid par lequel mon corps s'est rafraîchi. Mais je m'éveille et j'augmente mes couvertures; alors, cette forme de rêve disparaît; la chaleur revenant et rappelant à la peau le sang du cerveau, le sommeil redevient profond et sans rêves. Quand on a la fièvre, on fait- toujours le même rêve, on voit confusément des montagnes et des précipices se mouvant par des ondulations immenses, incohérentes et tourmentées. C'est que le coeur, violemment agité, envoie au cerveau des quantités anormales de sang, lesquelles, arrivant à flots pressés, troublent le calme ordinaire des rêves et enfantent ces conceptions maladives.
Par contre, si les ivrognes dorment si fort, ils le doivent non à une prétendue congestion momentanée, mais à l'anémie cérébrale que pause le grand appel de sang fait à l'estomac et au poumon par la digestion et la combustion d'aliments très alcoolisés.
De, même, interrogez les femmes grosses ou qui ont eu des enfants à là suite de grossesses ordinaires; toutes vous diront que jamais elles n'ont plus profondément dormi que pendant leur gestation, alors leur sommeil était calme et sans rêves; rien n'est plus naturel si l'on songe à la dérivation considérable du sang vers l'utérus et son' contenu, dérivation qui se fait aux dépens du cerveau comme des autres organes, mais qui chez lui est plus sensible que chez aucun autre.
Une sensation plus forte, une douleur insuffisante cependant pour éveiller, le dormeur provoquent le cauchemar; la légende du chat noir eu' du diable qui, assis sur la poitrine du dormeur, l'oppresse
et l'épouvante de ses yeux flamboyants, a son origine dans une gène accidentelle ou maladive de la respiration, laquelle se transforme en ces idées que perpétue la tradition. La légende du vampire qui suce le sang des filles de la Valachie a une source analogue. Le malheureux dormeur, dont l'esprit est rempli d'histoires fantastiques, est la- victime d'un rêve que fait naître dans son cerveau une douleur physique ou la morsure d'un animal, d'un insecte quelconque. Scrutez a fond les histoires de revenants et de fantômes, vous n'y trouverez qu'hallucinations, rêves pénibles ou maladifs; la poésie et l'imagination -font le reste.
Chacun, en étudiant son propre sommeil, se rendra compte de la réalité de ce que j'avance.
Ce que je-viens de dire ne s'applique qu'au sommeil ordinaire plus ou moins profond ; recherchez maintenant les divers degrés qui nous conduisent de ce sommeil de tout le monde à la condition seconde de Félida X,.. et nous verrons comment cette jeune femme n'est autre chose qu'une somnambule dont tous les sens, toutes les facultés sent actifs, en un mot une somnambule totale.
Pour moi, en effet, j'y Insiste malgré la singularité d'une assertion qui renverse l'idée qu'on se fait d'ordinaire des somnambules, les quels sont gens qui marchent les yeux fermés... Félida n'en est pas moins `une somnambule, mais dont tous les nerfs et toutes les facultés fonctionnent; d'une façon normale. Pour tout le monde elfe est éveillée, car elle a tous les caractères de la veille. Cependant, en fait, elle ne veille peint : c'est je le répète, une somnambule parfaite, ou mieux, totale.
Pour le mieux démontrer, je passerai en revue dans l'analyse qui suit quelques-uns des degrés 'et des variétés du somnambulisme, et je montrerai que cette gradation vers la perfection ou la totalité n'est due qu'à la persistance ou à' l'éveil successifs des sens et des facultés. Je crois par cette méthode aider à la solution de ce problème difficile.
Notre dormeur est un enfant de huit à douze ans; il dort profondément comme on dort à son âge; on lui 'parle doucement et d'une voix monotone, il ne s'éveilla pas, mais répond... 0à dirige sa pensée à volonté et on lui fait dire ce qu'il aurait tu pendant la veille ; bien plus, il, obéit au désir d'autrui, se retourne, boit, etc.
Son activité obéissante peut aller plus loin encore. Ou sait l'histoire du jeune officier de marine auquel ses camarades s'amusaient ii suggérer des rêves, et qui, dormant sur un banc, se précipite sur le pont croyant plonger et sauver de la mer son meilleur ami qu'on lui disait se noyer, Chacun, a autour' de soi des exemples semblables, et on n'a qu'à les rechercher;
Il en peut être de même pour nombre d'autres endormis dont on a provoqué le sommeil par des manSuvres diverses, ou qui ont été soumis à l'ivresse, au chloroforme, au haschisch eu à la belladone, etc.
Chez las hypnotisés, par exemple, la suggestion peut avoir une importance plus grande encore; placez un somnambule de cet ordre dans la posture d'un homme qui- prie ou qui: combat (l'état cataleptique de ses membres le permet), bientôt son visage exprime la colère ou la piété, et s'il peut parler il raconte quelque scène violente ou religieuse.
Ainsi, d'où que vienne l'ordre, qu'il passe par le sens de l'ouïe ou par le sens musculaire, les facultés de l'esprit flottant indécises, sans volonté,' sans coordination, subissent passivement l'influence étrangère, le tout à l'insu de: la personne qui après ces actes et ces paroles, s'éveille sans en avoir conservé le moindre souvenir.
Mais l'activité de notre dormeur peut être plus grande, son sens musculaire s'éveille partiellement, il marche endormi, certains sens, certaines facultés deviennent actifs, il est somnambule.
Ici, depuis l'enfant que tout le inonde connaît, et qui se levant sous l'influence du rêve s'éveille après avoir heurté les meubles de sa chambre, depuis le marcheur qui endormi poursuit sa route, jusqu'à la condition seconde de Félida, somnambulisme total ou parfait, on peut observer tous les degrés.
Chaque sens, chaque faculté de l'esprit qui s'éveille partiellement ou isolément donne au somnambule un degré de perfection de plus. Bien mieux, tel sens eu telle faculté, isolement exalté peut dans sou fonctionnement dépasser de beaucoup la puissance normale; alors le dormeur devient un phénomène, un prodige, il entend par le talon, voit par le creux de l'estomac, prédit l'avenir, donne des consultations infaillibles et sait ce qui se passe à mille lieues de lui.
habitués que nous somme à voir nos sens et nos facilités réglés dans un certain équilibre relatif et avoir une puissance moyenne, quand cet équilibre est rompu au profit de tel ou tel d'entre eux, nous crions au miracle. Dans l'indigence ordinaire de notre nature, nous avons sans doute lieu de nous étonner, mais il n'est pas défendu de chercher des explications, car crier sans cesse au prodige, quand nous rencontrons un problème difficile, est preuve d'ignorance et d'incapacité.
Que peut-il se passer, après tout, chez cet étonnant dormeur?
Sans devenir normale sa vue s'exalte, sa rétine est hyperesthésiée; il voit dans l'obscurité. Or, ce que nous appelons obscurité, nous, gens éveillés, n'est pas l'absence absolue de lumière, Sa rétine, plus 'sensible que' la nôtre, se contente d'une lumière plus faible, il passe momentanément e l'état du chat ou de l'oiseau de nuit; la malade dont M. Dufay, de Blois, a entretenu vos lecteurs (I), et (lui enfilait son aiguille sous la table, est un nouvel exemple de ce que je rappelle : cent fois j'en ai fait l'expérience, le somnambule cesse tout travail si l'on interpose entre ses yeux et l'oeuvre commencée. un - corps absolument opaque, à moins que pour ce travail le sens musculaire exalté ne puisse, comme chez l'aveugle, remplacer la vue, et de_ plus, ses yeux, bien que paraissant -fermés, ne le sont jamais complètement. L'exaltation ou la perversion du goût et de l'odorat' amènent des phénomènes analogues. Et le sens m scolaire hvperesthésié donne au somnambule l'équilibre (lu danseur de corde qui le fait marcher sur l'arête du toit.
Tel somnambule dont l'abstraction ou d'autres facultés veillent encore ou s'exaltent, résout un problème au-dessus de ses moyens ordinaires ou compose des vers grecs; tel autre dont la mémoire est devenue prodigieuse, raconte des faits d'autrefois que dans la veille il paraissait avoir oubliés, - l'entourage croit qu'il les invente ou les devine; - tel parle une langue que les auditeurs étonnés croient qu'il n'a jamais apprise. Tout cela n'est après tout que réminiscences, pour lesquelles, on le sait, la durée n'existe pas.: Les beaux livres de MM, Alfred Maury, Bersot, Albert Lemoine, etc., et
les innombrables histoires de somnambules depuis l'antiquité jusqu'à nos jours, sont remplis de
faits semblables. Relisez ces relations, analysez-les au même point de vue, et vous verrez la prédominance de telle ou telle faculté, la persistance ou l'exaltation temporaire de tel ou tel sens donnant à' chacun d'eux le caractère extraordinaire qui le distingue des' autres et frappe l'observateur.
Mais, je le reconnais, dans aucun fait relaté jusqu'ici vous ne verrez le sens de la vue ayant persisté, donner à un somnambule le singulier caractère de la condition seconde de Félida.
Loin de moi, cher Monsieur Alglave, la pensée de traiter à fond, dans une lettré, un, si vaste sujet, je n'en veux retenir que ceci :
Les somnambules, quelle que soit l'origine, de leur état, diffèrent suivant que tel ou tel sens, telle ou telle facule, prédomine chez eux, et aussi suivant la nature de leur esprit, la qualité de leurs sens; j'ai vu un sourd somnambule, rien n'était plus hizarre.
De plus, leurs idées flottantes privées d'équilibre et de coordination peuvent 'être dirigées à tort et à travers, soit par leur entourage, soit par des suggestions venues d'excitants extérieurs, bruits, odeurs, dont cet entourage ne peut avoir la moindre notion.
Un exemple nie fera mieux comprendre : Prenons un somnambule dont le sens de l'ouïe est momentanément exalté, il entend ce que nul n'entend autour de lui ; mais il dort, ses facultés intellectuelles sont flottantes, alors la perception de ces sens donne en lui naissance à une série d'idées-images. -- Ainsi, loin de lui on touche du piano, son ouïe exaltée permet à lui seul' d'entendre : alors ces sons deviennent' un concert admirable dont il voit les splendeurs; il entend des mélodies célestes et se croit en paradis, l'entourage stupéfait écoute le récit de ces merveilles, et si notre somnambule parle d'enfer ou de meurtres, on en fait un possédé du diable. Mon compatriote Pierre de Lancre a brûlé bien des innocents qui n'en avaient pas tant dit. Cependant quoi de plus simpîe? Plus grand sera le nombre des sens ou des facultés qui fonctionnent chez le somnambule, plus son état sera extraordinaire, car plus il se rapproche de la vie normale, plus il 'est étrange.
Ce qui lui manque le plus, quelle que soit cette perfection relative, c'est l'équilibre fonctionnel. Tous les sens n'agissent pas ou agissent
mal. Il ne saurait donc avoir du monde extérieur qu'une idée fausse ou incomplète.
Que faudrait-il donc pour que ce somnambulisme fût parfait? Il faudrait le fonctionnement total des facultés et des sens, particulièrement du maître d'entre eux, de la vue. Celle-ci, en effet, donne, la notion exacte du monde extérieur, par suite rectifie les idées et aide à les coordonner (je ne parle, bien entendu, que de l'homme sain d'esprit et non de l'halluciné).
Mais ce somnambule fictif, dans lequel les facultés de l'esprit agiraient à l'ordinaire, et auquel les sens fonctionnant régulièrement donneraient la notion exacte de ce qui l'entoure, n'est autre chose qu'un homme ordinaire, éveillé.
Je reconnais qu'il eu a temporairement toutes les apparences; mais pour l'observateur il n'en a pas la réalité, car, l'accès passé, il rentre dans la vie ordinaire, et alors il a oublié, comme un somnambule qu'il est, tout ce qui s'est passé pendant son accès, pendant sa condition seconde ou sa deuxième vie, quelle que soit la durée, la perfection ou la cause de celle-ci.
Donc, l'absence de souvenir demeure le critérium de la différence des deux états, et si,-par hypothèse, nous supprimons ce critérium, nous n'en saurons plus faire la distinction.. Il doit y avoir des gens que nous trouvons bizarres ou fous, surtout parce qu'ils rie nous ressemblent pas, et qui ne sont ;,que des somnambules totaux gardant le souvenir de leurs accès, - ceci, bien entendu, ne peut être qu'une hypothèse dont la vérification est impossible dans l'état actuel de l'analyse psychologique. - Cependant, je la livre aux méditations des lecteurs. fous les somnambules ont donc ce caractère commun: l'absence du souvenir de l'accès.. Ainsi est la malade de M. Dufay, de Blois; aussi, la comparant à Félida, mon savant confrère dit : x Chez l'une comme chez l'autre, l'amnésie appartient à l'état normal, à; l'état physiologique. "
Or, soit dit en passant, je ne pense pas qu'aucun critique, ait la pensée que, cirez la malade de Blois, l'état normal soit le plus par fait, celui dans lequel elle se souvient de sa vie entière, bien que pendant cet état, ainsi que pour Félida, son intelligence soit supérieure à ce qu'elle est dans l'autre.
Eh bien! rendez par la pensée à Mlle R..., de Blois, le sens complet et normal de la vue, mettez-la ainsi en rapport avec le monde extérieur : elle aura toutes les apparences de la vie ordinaire, avec une intelligence plus grande.' Ce sera une somnambule totale, et au point de vue psychologique elle sera Félida X...
Abordons maintenant une question fort délicate. Ces deux états séparés l'un de l'autre par l'amnésie constituent-ils un dédoublement de la personnalité, une double conscience?
Interrogé par vous, un éminent philosophe, M. Paul Janet, ne croit pas qu'il en soit ainsi, tant pour Félida que pour d'autres exemples célèbres. Raisonnant au point de vue psychologique pur, il dit que la nature du moi est faite de deux éléments : " 1° Le sentiment fondamental de l'existence, que nous appelons le sentiment du moi, lequel est indivisible et ne peut varier que par l'intensité; 2° le sentiment de l'individualité, lequel est un fait complexe et peut varier dans ses éléments sans que le sentiment du moi soit atteint. Ce sentiment de l'individualité détermine le sentiment du moi, niais ne le constitue pas."
Le moi fondamental ne saurait donc être atteint par des variations dans le sentiment de l'individualité.
Je n'ai pas à m'étendre sur cette explication ingénieuse et subtile, car en fait je n'ai jamais pensé que telle qu'elle est Félida fût un exemple pur do double conscience. En effet, elle se sent toujours la même personne, et n'a pas la conscience d'une double existence comme la dame anglaise qui, à certains moments, croyait être un vieux clergyman.
Cependant, s'il en est ainsi de Félida, en ce qui touche sa propre conscience, celui qui l'observe ne peut s'empêcher de penser que l'absence de souvenir établit entre ses deux modes d'existence une barrière si haute, que cette jeune femme n'a pas dans l'état normal plus de connaissance de ce qu'elle a fait ou pensé pendant sa condition seconde, que si une autre personne avait fait ou pensé ces mêmes choses.
Par l'analyse qui, précède, je crois avoir établi quo l'éveil successif des sens et des facultés constitue, une gradation du sommeil ordinaire au somnambulisme,' que j'appellerai total, en passant par toutes les formes connues du somnambulisme.
Il en résulte que Félida n'est qu'une somnambule chez laquelle, en plus des autres sens ou facultés, le sens de la vue, accidentellement éveillé, fonctionne normalement; par suite, elle a la notion exacte de ce qui l'entoure et peut rectifier les impressions fausses qu'auraient pu lui donner les autres sens ; c'est ainsi que sa condition seconde est une personnalité complète.
Mais, cher Monsieur Alglave, Ies réflexions qu'un tel sujet provoque pourraient nous conduire trop loin ; il suffit d'en dire assez pour provoquer les pensées de vos lecteurs, pour les engager à étudier leur propre sommeil, celui de leur entourage.
Je serai assez récompensé de mon travail si, rencontrant quelque anomalie comme celle que présente Félida, ils l'analysent et la publient.
Voici maintenant les observations nouvelles que j'ai pu faire sur Félida depuis ma dernière publication, et son état en septembre 1876.
Au moment où s'arrêtait mon étude, les 'conditions secondes duraient environ: deux ou trois mois contre des intervalles d'état normal de douze à quinze heures; cette situation ne s'est pas maintenue. Pendant les mois de novembre et décembre 1875, chaque jour et à des heures indéterminées s'est montrée une période d'état normal de quelques minutes à une demi-heure de durée, En janvier 1876 les intervalles grandissent, et dans les trois ou quatre mois qui suivent ils arrivent jusqu'à vingt-cinq jours contre deux ou trois heures d'état normal.
.Aujourd'hui 6 septembre 1876, Félida n'a pas eu de période de vie normale depuis environ deux mois et demi, et la dernière n'a duré que trois heures. Du reste, rien de changé dans les caractères respectifs des deux états; cependant le désespoir que lui cause cette amnésie est devenu si grand, que pendant une de ses dernières périodes de vie normale Félida a cherché à se suicider. Je ne l'ai appris que récemment, - Cette pénible disposition d'esprit doit fortement influer sur son caractère et accuser plus encore les différences que celui-ci présente dans les deux états.
Il -y a évidemment tendance chez Félida à revenir à l'état décrit dans mon Gravait précédent,, dans lequel la condition seconde durait trois et quatre mois contre douze à quinze heures d'état normal.
Plus que jamais, Félida est impressionnable et souffre de mille douleurs.
Ici, bien que les phénomènes que je vais décrire touchent plus particulièrement à l'hystérie proprement dite, je vous demande la permission de les dire, vu leur singularité, -vu aussi l'appui qu'ils donnent à la théorie de cette maladie, que j'ai précédemment exposée ;
Félida perd des quantités de plus en plus notables de sang par la muqueuse de l'estomac ou de l'oesophage. Il s'écoule lentement de sa bouche pendant son sommeil. Mors, je le dis en passant, elle rêve qu'elle est à l'abattoir ou qu'elle voit égorger quelqu'un.
Une fois, pendant la nuit, sans blessure d'aucune sorte, il s'est écoulé, par exsudation, de la partie postérieure de la tête, une notable quantité de sang. - Elle a des saignements de nez d'une seule narine, la gauche.
Spontanément, une moitié de sa face rougit; aussi des points épars sur les membres du même côté et les points rougis donnent une, vive sensation de chaleur, presque de brûlure. Ces sensations s'accompagnent d'un gonflement local quelquefois si marqué, qu'un jour Félida étant dans la rue, le gant qui recouvrait sa main gaucho cri a craqué.
Du côté des sens, on observe aussi des phénomènes singuliers. Félida est très souvent sourde de l'oreille gauche; son odorat est presque- oblitéré, sauf pour l'odeur du sang, qu'elle perçoit mieux qu'aucun autre. Son goût est presque nul.
La prédominance des accidents du côté gauche n'a rien d'extraordinaire; elle est de règle dans l'bystérie; on ignore encore pourquoi.
On voit combien ces faits viennent à l'appui de ma pensée quo les phénomènes de nature hystérique sont sous la dépendance immédiate de la circulation capillaire. Que sont, en effet, ces hémorragies, ces gonflements? Ce sont des états passifs, ce sont les effets d'une paralysie momentanée des tuniques des capillaires. Ceux-ci se laissant distendre outre mesure par l'impulsion du coeur, le sang transsude au travers de leurs parois; par suite, il suinte; des muqueuses et rougit ou gonfle les parties du corps recouvertes de peau,
J'ai interrogé Félida sur un point que j'avais jusqu'à ce jour négligé : sur son sommeil. Elle dort comme tout le monde et au moment ordinaire. Seulement son sommeil est toujours tourmenté par des rêves ou des cauchemars; de plus,' il est- influencé par des douleurs physiques : ainsi, elle rêve souvent d'abattoirs et d'égorgements,' nous avons dit pourquoi. Souvent aussi elle se voit chargée de chaînes ou liée avec des cordes qui lui brisent les membres. Ce sont ses douleurs musculaires ordinaires qui se transforment ainsi.
Enfin, quelquefois la transition de l'état normal à la condition seconde se fait pendant le sommeil naturel, je crois en avoir déjà, parlé.
Félida dort donc comme tout le monde; du reste, il en est de même de la plupart des somnambules. Pour peu qu'il soit complet, le somnambulisme est en général surajouté à la vie ordinaire. Félida n'échappe pas à l'usage.
Septembre 1870.