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Azam Hypnotisme Double Conscience
DÉDUCTIONS THÉRAPEUTIQUES QU'ON PEUT TIRER DE L'HISTOIRE DE FÉLIDA
Travail présenté à la Société des Sciences physiques et naturelles de Bordeaux, publié dans les Annales en 1870
J'ai déjà présenté à l'Académie des sciences morales et politiques, et publié dans la Revue scientifique l'histoire de Félida X. Je ne saurais donc revenir sur les détails que j'ai donnés dans ces publications. Cependant, je crois devoir en faire ici comme un court résumé, cet exposé étant nécessaire aux déductions physiologiques et thérapeutiques qu'on peut en tirer.
Vers la fin de 1858, il y a vingt ans, j'ai été appelé à donner mes soins à une jeune fille de seize ans qu'on croyait folle; on le croyait, vu la singularité des phénomènes, qu'elle présentait. Une courte étude me convainquit que cette' jeune fille, Félida X..., n'était qu'hystérique. Elle présentait, en effet, la plupart des symptômes de cette maladie dans sa forme grave : convulsions, hémorragies, anesthésies et hyperesthésies locales et passagères, etc.., plus un phénomène plus étrange que les autres et que je vais décrire. C'est lui qui donnait le change à l'entourage de la malade, et qui peut être caractérisé par les noms de dédoublement de la personnalité, ou de double conscience.
Félida, couturière de son état, travaille tout le jour à des travaux d'aiguille. A un moment donné, sans cause connue, après avoir éprouvé, dit-elle, un sentiment de pression aux tempes, elle est prise d'un assoupissement, d'un état de torpeur qui ressemble au sommeil, et qui n'est point lui, - état quelquefois observé, chez les hystériques. Cette torpeur, dont rien ne peut l'éveiller, dure quelques minutes; après ce temps, elle ouvre les yeux, sa physionomie exprime la gaieté, et elle entre dans une autre existence, que je nomme sa condition seconde.
Continuant l'ouvrage commencé, elle vit ainsi comme auparavant, avant une personnalité saine et complète qui ne diffère, je l'ai (lit, de la précédente que par la nature du caractère. Il y a vingt ans, cette condition seconde durait quelques heures sur vingt-quatre, souvent quelques instants; je dirai plus loin comment aujourd'hui elle constitue presque toute la vie. La sortie do la condition seconde est semblable à l'entrée : torpeur ou assoupissement et retour à l'état normal Seulement, dans l'état normal,
Félida ignore absolument tout ce qui s'est passé pendant la condition seconde dont elle sort; quelle que soit sa durée et quelle que soit l'importance des faits accomplis, l'amnésie est absolue; mais c'est, une amnésie limitée et 'qui ne porte pas sur les notions ou idées générales ou anciennement acquises, car Félida sait toujours lire, écrire, compter, etc..
De plus, si la mémoire manque, un de ses éléments, la conservation des idées, persiste, car dans la condition seconde qui, suivra, Félida reprendra la suite interrompue de ses souvenirs. En un mot, l'amnésie est un phénomène de l'état normal. Il en est de même chez l'homme qui sort de l'ivresse ou de tout autre état pathologique : il ne sait pas ce qui s'est passé pendant une période de temps pendant laquelle son cerveau- était inhabile à fonctionner normalement.
Je dois faire remarquer ici que si pendant su périodes d'état normal Félida ignore absolument tout ce qui s'est passé pendant tes conditions secondes, pondant celles-ci, ainsi que je l'ai dit plus haut, la chaîne des souvenirs se renoue; en un mot, elle sait alors, non seulement tout ce qu'elle a fait, tout ce qui s'est passé pendant - les conditions secondes précédentes, mais aussi tout ce qui s'est passé pendant tes états normaux interposés. Si bien que son existence morbide accidentelle ou surajoutée est supérieure à son existence normale. Elle le sont si bien qu'aujourd'hui elle nomme

crises ses courtes périodes d'état normal; on comprend que je n'ai pas à la détromper, ce serait accroître son chagrin.
Le fait que la chaîne des souvenirs se renoue à chaque condition seconde nouvelle a été observé d'autres fois. On sait l'histoire d'une jeune fille qui, ayant été outragée pendant une période de sommeil provoqué, l'ignorait dans son état normal, et îe raconta à sa mèro pendant une période de sommeil semblable. Forbes-Winslow cite aussi le fait d'un ivrogne qui, pendant une période d'ivresse, avait remis un paquet il une adresse inexacte, et qui, sortant de l'ivresse, crut l'avoir perdu. Il ne se souvint de cette adresse que lorsqu'il se grisa de nouveau.
Pendant environ trois ans, j'ai- observé cette - succession de phénomènes jusqu'au moment où Félida étant devenue mère d'un enfant conçu à son insu dans la condition' seconde, je l'ai perdue de vue,.
Mais au même moment, entre autres symptômes de l'hystérie confirmée, notre jeune malade présentait des troubles circulatoires qui, à mon sens, ont une importance considérable. Ces 'troubles étaient des hémorragies, des' congestions locales, se manifestant par des vomissements de sang, des saignements de nez, etc..
Quinze ou seize années s'écoulent, pendant lesquelles rien n'est changé, si ce n'est que les hémorragies et les congestions locales sont devenues plus, fréquentes et que la durée des conditions secondes s'est' singulièrement accrue. En 1858, cet état durait au maximum deux heures sur vingt-quatre. Vers 1874, comme aujourd'hui, après avoir, duré autant que les périodes d'état normal, douze' heures- sur vingt-quatre, il s'est accru sans cesse, et constituant presque toute la vie, il dure deux ou trois mois contre quelques instants ou quelques heures d'état normal. Ilion n'est singulier comme l'existence de cette, pauvre femme; sa vie ressemble à un livre auquel on aurait arraché de loin en loin des feuillets, elle n'a pas et ne saurait avoir plus de suite. Mais je n'insiste pas sur ces détails, leur développement me détournerait du but de ma communication.
Au point de vue de ce but, le fait le plus considérable c'est qu'aujourd'hui, comme toujours depuis vingt 'ans, se montrent lesmêmes phénomènes circulatoires,, hémorragies des muqueuses, gonflements et hyperémie limitée de la peau, semblables aux stigmates dont on a voulu Paire trop facilement des miracles. Une fois même Félida a eu une hémorragie, ou plutôt un suintement de sang par la peau de la région postérieure du cou.
Le phénomène intellectuel qui se manifeste par l'altération de la mémoire a donc lieu en même temps que les altérations de la circulation.
Examinons s'il est entre les deux un rapport de cause à effet.
Avant d'aller plus loin, rappelons un fait incontesté, c'est qu'il existe un rapport étroit entre l'exercice d'une fonction et la quantité de sang que reçoit l'organe chargé d'exécuter cette fonction. Cela est vrai peur les muscles, pour les reins comme tour le cerveau. Ainsi, en ce qui touche ce dernier organe, on; sait, si on admet l'opinion d'Hammond, que, pendant le sommeil, ;qui est le repos des fonctions intellectuelles, le cerveau reçoit une quantité de sang plus petite que pendant la veille. On sait, par contre, que chez les paralysés généraux où l'exercice de ces mêmes fonctions a été ou est excessif, la désorganisation de l'organe central est précisément due à une hyperémie constante eu souvent répétée. Il est d'expression vulgaire de dire : Trop travailler porte le sang a la tête.
Cela étant admis, il parait certain que la; cessation ou l'exaltation momentanée d'une fonction dépendra du plus ou du moins de sang que reçoivent la partie ou les parties du cerveau préposées à l'exécution de -cette fonction ; ainsi, les éclipses de mémoire de Félida seraient dues à des anémies cérébrales partielles ou ü des actions circulatoires analogues.
Cette donnée nous conduit à deux propositions quo nous allons examiner successivement.
La première touche la localisation de la mémoire.
La deuxième, et c'est particulièrement celle qui fait le sujet de ces lignes, a trait à l'action que peut avoir la médecine sur la circulation dans le cerveau et par suite sur le fonctionnement des facultés de l'esprit.

Si chez Félida nous voyons s'altérer, sous l'influence d'une anémie partielle, la faculté mémoire, cette altération coexistant avec l'état parfait de toutes les autres facultés, il est naturel d'en déduire qu'elle ne porte que sur les éléments de la mémoire. Mais où sont ces éléments? Dans quelles parties du cerveau se trouvent-ils? En un mot, la mémoire est-elle localisable?
Si le mot de localisation devait être entendu dans le sens courant comme indiquant un siège dans un point limité, cela ne saurait être vrai, car l'exercice de la mémoire est commun à toutes les facultés de l'esprit, aucune d'elles- ne saurait fonctionner sans mémoire. Dans une publication précédente, j'avais émis la pensée que chez Félida la fonction du langage articulé, dont on sait le siège situé à gauche, demeurant intacte, alors que la mémoire est atteinte, celle-ci devait siéger à droite; mais la fonction du langage ne peut elle-même se passer de mémoire, donc il serait difficile d'admettre que l'hémisphère droit a le monopole de la mémoire; mais rien ne s'oppose à ce que le mot de localisation soit entendu autrement : au lieu d'être limitée en un point déterminé, la
mémoire serait comme disséminée; eu un mot, les éléments des facultés seraient épars dans les diverses parties de l'organe central.
En août 1878, j'ai dit cette pensée nouvelle à M. de Quatrefages, et. ce savant n'a pas paru éloigné de l'admettre. Il y aurait, disait-il en la développant, comme des cellules mnémoniques qui seraient éparses parmi les cellules présidant aux autres facultés. C'est une vue de l'esprit, je le veux bien, mais qui peut avoir son importance. Aussi ai-je été heureux de voir que M. Brown-Séquard, dont nul ne contestera la science et l'autorité, a exprimé la même pensée dans sa leçon d'ouverture au Collège de France le 2 décembre 1878.
Après avoir dit qu'il aurait à émettre des doctrines nouvelles sur les fonctions du cerveau, il dit:
" Que les cellules nerveuses de l'encéphale formant les centres doués d'une fonction cérébrale quelconque, loin de former un groupe ou une agglomération dans une partie distincte ou bien délimitée, sont au contraire disséminées de telle manière que

chaque; fonction a des éléments pour son exercice dans des parties variées de l'encéphale "
De ce qui précède, il résulte que si la mémoire n'est pas localisable d'une façon limitée, elle doit l'être, comme les autres facultés, d'une façon que l'appellerai disséminée,
Mais s'il en est ainsi, comment admettre qu'une action sur la circulation, une dilatation au un resserrement (le vaisseau sanguin puissent agir sur les éléments disséminés dans le cerveau?
J'avoue que dans l'état actuel de la science, il est Impossible de donner une réponse précise; on peut cependant, par une analogie, faire comprendre comment la chose est possible. Si entre deux hommes qui, sur un violon, exécutent le même air, c'est-à-dire la même succession de notes, il existe la différence du musicien ordinaire au musicien de talent ou de génie, c; est que ce dernier, en variant la pression du doigt ou le mode d'attaque de l'archet sur la corde, sait donner au son une qualité ou une expression particulières. Si une variation dans la pression du doigt peut produire de semblables effets, ne peut-on pas attendre un effet analogue, quasi insaisissable, d'une variation dans la constriction ou dans le relâchement o d'un vaisseau (lui porte le sang au siège d'une fonction intellectuelle?
Si, enfin, l'action de la volonté sur les muscles de la main et des doigts peut produire; de tels résultats, est-il déraisonnable de croire que l'action de certaines maladies ou de certains agents thérapeutiques peut avoir sur les éléments contractiles des vaisseaux ; un effet comparable?
Pour me résumer, le système nerveux des vaisseaux cérébraux aurait sur les fonctions intellectuelles une action excitante ou modérante, et dans le fait qui nous occupe, l'un des éléments constitutifs de la faculté mémoire devrait sa disparition momentanée à une action temporaire de l'hystérie sur ce système.
Ma deuxième proposition a trait à l'action que peut avoir la médecine sur la circulation dans 'le cerveau et par suite sur les fonctions de cet organe.
La compression des carotides a une action certaine sur la quantité de sang que reçoit l'organe central. En effet l'expérience a démontré par les observations de Blaud de Beaucaire, de Merz et de Fevez, que cette compression était un moyen excellent de faire cesser les accès de migraine et les convulsions des enfants. Albert de Bonn a réussi à modérer ainsi les attaques d'épilepsie, Trousseau appuie la vérité de, ces faits de son autorité et de sa haute expérience. Or, que sont les maladies sur lesquelles agit ainsi ce moyen purement mécanique? Ce sont des maladies fonctionnelles du cerveau.
A côté de ce fait certain, il en existe d'autres qui peuvent être. interprétés dans le même sens. Tout le monde sait que l'on travaille moins bien, que les facultés intellectuelles sont moins nettes, pendant la digestion; or, à ce moment, l'équilibre général de la circulation est altéré par l'afflux plus grand du sang à l'estomac; de là, une légère atteinte au fonctionnement des facultés. Pendant le sommeil les facultés intellectuelles fonctionnent, mais mal, leur équilibre est rompu; si le sommeil est profond, elles fonctionnent très peu ou point; or, qu'est, le sommeil, si ce n'est un état relatif d'anémie cérébrale?
Provoquer le sommeil par des manSuvres externes ou par des agents hypnotiques internes peut donc être un moyen d'agir sur la circulation du cerveau.
L'expérience m'a démontré que le strabisme convergent chez les épileptiques provoque l'accès. Or, n'est-il pas probable que ce strabisme agit sur le cerveau d'une façon contraire à la compression de la carotide, en comprimant par la contraction de certains muscles moteurs de l'Sil les quelques veines qui retirent le sang de la base 'du cerveau et qu'on sait passer dans l'orbite? L'électricité, le chaud, le froid, l'opium, le seigle ergoté, la digitale, le curare, l'attitude, l'hydrothérapie, etc.., sont ou peuvent être des modificateurs de la circulation. Il en est certainement nombre d'autres dont l'action peut être démontrée par l'expérience.
Le médecin est donc dès aujourd'hui en possession de moyens nombreux qui peuvent agir sur la quantité de sang que reçoit le cerveau.- Et si mon hypothèse (qui, en ce qui touche certaines fonctions, est une certitude) était admise, l'expérimentation augmenterait bien vite le nombre, la variété et l'efficacité de ces moyens.
Est-ce à dire pour cela que la médecine soit en mesure de conjurer les innombrables altérations fonctionnelles du cerveau? Nous ne le pensons, pas, pour aujourd'hui, niais il est permis (le l'attendre de recherches faites dans; le sens que j'indique.