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Leçon XXXI

J M Charcot

Sur un cas d'amnésie rétro-antérograde probablement d'origine hystérique

SOMMAIRE. - Présentation du cas : shock nerveux, attaque, amnésie rétrograde; amnésie antérograde (impossibilité d'enregistrer dans la mémoire les faits actuels). Caractère hystérique du cas.
Cette amnésie n'est en réalité qu'apparente. La malade enregistre les faits dans son cerveau : Preuves tirées des rêves et de l'hypnotisme : Elle rêve tout haut de faits dont elle n'a pas notion à l'état de veille, et dans l'hypnotisme elle' se souvient de tous les faits de chaque jour depuis le shock nerveux.
Nature de cette amnésie: morceau d'attaque hystérique transformée.
Messieurs,

L'étude clinique à laquelle nous allons nous livrer dans la leçon d'aujourd'hui pourrait être intitulée Sur un cas d'amnésie rétro-antérograde vraisemblablement de nature et d'origine hystérique. Mais, avant de vous présenter la malade qui doit faire l'objet de cette étude, il me semble nécessaire d'entrer dans quelques explications préalables.
II s'agit d'une femme d'environ trente-quatre ans, habitant C..., mariée. à un brave homme qui exerce la profession de menuiser. C'est un ménage de gens modestes, dont l'intérieur respire le calme et la tranquillité. Entourée de son mari et de ses deux enfants.

elle vivait en bonne mère de famille, simplement, paisiblement. La vie avait toujours été heureuse pour elle, jusqu'au jour où est survenu un événement qui l'a profondément bouleversée. C'était le 28 août dernier. Vers quatre heures du soir, on vint, sans plus de façons, lui annoncer la mort de son mari ; la nouvelle était fausse, mais le coup était porté et lorsque, quelques minutes après, on ramena le mari, elle tomba dans un état nerveux, marqué surtout par un délire dont j'aurai à vous faire connaître tous les détails, on temps opportun.
Pour le moment, je veux me borner à ceci : lorsque, le 31 août, cette femme sort du délire, elle a perdu le souvenir de tout ce qui s'est passé, à sa connaissance, depuis six semaines, c'est-à-dire depuis le 14 juillet au soir. Cependant elle connaît tous les faits antérieurement écoulés, depuis sa plus tendre enfance jusqu'au 14 juillet, et elle les connaît parfaitement ; elle peut en rendre compte avec une exactitude et une précision qui témoignent chez elle d'une mémoire véritablement très fidèle et très brillante. Mais, je le répète, à partir du 15 juillet au matin, il n'y a plus rien dans sa mémoire ; c'est la nuit profonde. Elle ignore aussi l'événement cause de tout le mal, je veux dire la nouvelle de la mort de son mari et la longue crise de trois jours qui en est résultée.
Cette période de six semaines, qui s'étend du 15 juillet au 28 août, nous l'appellerons, si vous voulez, période d'amnésie rétrograde (B C), pour employer un terme déjà consacré par l'usage et emprunté à l'histoire des amnésies traumatiques. Nous réserverons le nom de période normale à la période A B, qui s'étend de la naissance au 14 juillet, et qui se trouve composée de plus de trente-trois ans, remplie d'événements innombrables dont la malade a conservé le parfait souvenir.
Or, fait qui mérite d'être souligné en passant, durant ce laps de temps oublié par la malade (période d'amnésie rétrograde), la mémoire s'est exercée d'une façon absolument normale, comme cela est établi par lés personnes qui l'ont approchée ou qui ont vécu avec elle. Oui, Messieurs, la mémoire est restée normale jusqu'au 28 août. Mais l'événement néfaste et l'ébranlement mental qui s'en est suivi ont eu, à cet égard, un effet rétroactif. Tous ces souvenirs accumulés pendant six semaines ont été comme balayés ; ils n'existent plus ou paraissent ne plus exister. Remarquez, je vous prie, cette réticence ; vous en connaîtrez la raison tout à l'heure.
Nous voici donc au 31 août, sortis de la crise qui a duré trois jours entiers. C'est alors qu'on constate ce fait déjà fort singulier de l'amnésie rétrograde portant, comme je vous l'ai déjà dit, sur les six semaines antérieures au 28 août. On constate alors que cette amnésie porte en outre sur le temps de la crise elle-même (C D). Enfin et surtout on s'aperçoit, à partir de ce même moment, que la malade est devenue incapable désormais d'enregistrer dans sa mémoire les faits actuels quels qu'ils soient. Non seulement elle ne sait plus ce qui s'est passé depuis le 14 juillet, mais elle est encore incapable de se rappeler ce qu'elle entend, ce qui se passe autour d'elle. A peine conserve t-elle le souvenir de l'impression pendant une minute et puis tout s'efface irrévocablement, qu'il s'agisse de phénomènes visuels, auditifs ou moteurs. C'est une amnésie générale, dans toute la rigueur du terme.
Eh bien, Messieurs, voilà quatre mois que cet état dure sans modification d'aucune espèce. Il y a donc aujourd'hui chez cette femme amnésie rétrograde, mais il y a encore et surtout amnésie actuelle, permanente, postérieure à l'événement du 28 août. C'est sur ce dernier phénomène que je tiens à appeler tout particulièrement votre attention. Cette amnésie actuelle porte exclusivement sur les faits qui se sont accumulés depuis l'événement et qui se produisent chaque jour. S'agit-il de faits antérieurs au 15 juillet, aujourd'hui
comme le lendemain de la crise et comme toujours depuis lors, les organes de la mémoire fonctionnent parfaitement, brillamment même, comme je vous le disais. Singulier contraste qui fait de ce cas un cas exceptionnel, peut-être unique jusqu'ici !
Appelons, si vous voulez, cette période qui s'étend du 31 août au moment présent période d'amnésie antérograde (D E), par opposition à la période rétrograde. Vous comprenez maintenant le sens de cette dénomination d'amnésie rétro-antérograde que je vous proposais au début de cette leçon. Si j'ai ajouté : vraisemblablement d'origine et de nature hystérique, c'est que, à mon avis et c'est là l'opinion que je chercherai à faire prévaloir- la crise, origine de tout le mal, a été une attaque de grande hystérie.
Nous avons, en effet, quelques raisons de croire qu'il ne s'agit pas ici de phénomènes dynamiques irrémédiablement destructifs, mais uniquement de troubles organiques transitoires. Cette opinion sera suffisamment corroborée si nous parvenons à démontrer que l'hystérie est en jeu, car les manifestations hystériques, bien que quelquefois tenaces, aboutissent souvent à la guérison. J'ai dit amnésie antérograde, je n'ai pas dit amnésie progressive, car les choses restent dans l'état originel. Elles sont antérogrades par rapport au temps écoulé depuis leur apparition. Mais elles ont été, dès le début, ce qu'elles sont aujourd'hui; d'un seul coup elles ont atteint leur maximum. Outre un début brusque et une constitution d'emblée, qui ne sont généralement pas de mauvaise augure, il y a, Messieurs, un autre fait bien propre à nous faire espérer un pronostic favorable. Vous avez déjà remarqué certaine réticence, lorsque je vous parlais du caractère pourtant si accentué de l'amnésie de notre malade. En vous entretenant de la période rétrograde, je vous disais que les souvenirs accumulés dans cette période n'existent plus ou paraissent ne plus exister. En vous parlant de la période antérograde et actuelle, j'insistais sur ce fait que cette femme n'enregistre point les événements qui se succèdent. L'impression, vous disais-je, dure à peine une minute, puis s'évanouit et ne peut être rappelée. Eh bien, ces mots: elle n'enregistre point, sont trop absolus. En réalité, les faits qu'elle oublie si vite, à l'état de veille, et qu'elle ne peut plus faire apparaître dans sa conscience, elle les a vraiment enregistrés. La preuve en est que, spontanément, elle a pu les faire connaître, la nuit, dans son sommeil. Nous l'avons fait observer par ses deux voisines de lit, et nous avons ainsi appris qu'elle rêvait tout haut et que, dans ces rêves, elle faisait parfois allusion aux événements des jours précédents, évoquant ainsi dans son sommeil des souvenirs qu'elle est incapable de faire revivre à l'état de veille. Mais la preuve en est surtout dans le fait suivant: Cette femme, que nous avons pu hypnotiser, retrouve dans le sommeil hypnotique la mémoire de tous les faits écoulés jusqu'au moment présent et tous ces souvenirs ainsi enregistrés inconsciemment revivent dans l'hypnose, associés, systématisés, ininterrompus, de manière à former une trame continue et comme un second moi, mais un moi latent, inconscient, qui contraste étrangement avec le moi officiel dont vous connaissez l'amnésie profonde.
J'avais donc raison de l'espérer, Messieurs, la situation est moins grave foncièrement qu'elle ne le paraissait tout d'abord. Nous n'avons pas affaire ici à une amnésie destructive, mais à une amnésie purement dynamique. Survienne une secousse, un ébranlement nerveux, un changement de polarisation des éléments organiques de la mémoire, et tout pourra rentrer dans l'ordre. Et déjà vous entrevoyez la suggestion post-hypnotique comme méthode curatrice: la malade gardera à l'état de veille la trace des suggestions de l'hypnose; le moi conscient s'assimilera ainsi peu à peu les souvenirs du moi inconscient, et, tous ces souvenirs on apparence perdus, la mémoire consciente ou psychologique les fera siens et s'en enrichira. De plus, sous l'influence de cette sorte de gymnastique méthodiquement et fréquemment répétée, les organes de la mémoire réapprendront peu à peu à fonctionner suivant la norme et à livrer au moi conscient ce qu'ils réservaient à l'inconscient.
Ne vous effarouchez pas trop, Messieurs, de ces études qui pénètrent en pleine psychologie. N'oubliez pas que la psychologie appartient, dans une. certaine mesure, au domaine de la médecine et qu'elle n'est, en somme, au moins pour la majeure partie, que la physiologie des parties supérieures ou nobles du cerveau.
Il me reste maintenant à vous donner la preuve des propositions que j'ai avancées. La tâche sera peut-être un peu difficile, mais, avec un peu de patience attentive de votre part, nous parviendrons, je l'espère, à la remplir. Avant de faire entrer cette malade, je voudrais encore ajouter quelques mots pour vous donner certains renseignements qu'elle n'entendrait vraisemblablement pas sans émotion pénible.Ils ont trait à ses antécédents de famille. Mme D..., âgée de trente-quatre ans, lingère, habitant C..., est venue à Paris le 5 novembre, sans le savoir, pour y suivre le traitement préventif de la rage. Elle a subi ce traitement dans son entier, sans s'en douter, et n'en a gardé aucun souvenir. Le 10 novembre, elle s'est présentée pour la première fois à la Salpêtrière, munie d'un lettre de M. le Dr J... (de C...), relative à la maladie nerveuse dont elle est atteinte. Après avoir fréquenté le service durant une quinzaine de jours, elle est enfin rentrée salle Cruveilher, n° 17. Sa mère, qui était très émotionnable, n'avait point de véritables attaques de nerfs, mais il lui arrivait parfois de tomber à terre à la suite de discussions de famille ; elle est morte d'ictus apoplectique. Son père serait, parait-il, un homme violent, ivrogne et débauché, qui s'est séparé de sa femme dans des conditions assez exceptionnelles. Cette tare de débauche et d'ivrognerie, nous la retrouvons très accusée chez presque tous les membres de sa famille, du côté paternel. Enfin, la soeur de Mme D... est une nerveuse qui tombe facilement en syncope, quand on la contrarie.
Le moment est venu de vous présenter la malade. C'est, comme vous le voyez, une femme d'aspect normal, bien portante, n'offrant d'autre anomalie que celle que je vous ai déjà signalée, je veux dire son défaut de mémoire. Il faut que je vous dise cependant qu'elle a toujours été assez émotive et très peureuse ; elle a toujours eu peur des araignées, des chiens, des rats.., un rien l'effrayait : un jour, un de ses voisins caché derrière une porte lui ayant fait peur, elle est tombée par terre de frayeur. Mais, en dehors de cette émotivité excessive, nous n'avons pu relever dans son passé aucune autre particularité intéressante. Après une enfance et une jeunesse sans incident pathologique, elle s'est mariée, à vingt ans, et a eu trois enfants ; après son mariage, comme avant, sa santé a toujours été parfaite. Je dois cependant vous mentionner ici une série de petits accidents survenus dans ces trois dernières années, qui nous ont été racontés par la malade elle-même et confirmés par le mari et le médecin. Un jour il s'agit d'une blessure à la cuisse, un autre d'une plaie à la main. Plus tard, c'est une brûlure du poignet, une morsure de rat ; enfin, c'est une aliénée qui la poursuit pendant plusieurs mois de lettres anonymes et de menaces. Telle est, en résumé, la série des petites misères qui ont peut-être pu préparer un terrain déjà prédisposé par l'hérédité.
C'est aussi de la bouche de la malade elle-même quo nous tenons les renseignements relatifs à ses antécédents jusqu'au i4 juillet au soir. Elle nous a fait ce récit avec un tel luxe de détails qu'il me serait impossible de vous l'indiquer tout au long. Mon interne, M. Souques, qui a pris cette observation avec soin, doit en faire l'objet d'une publication spéciale et les rapporter dans leur ensemble. Je vous dirai simplement que, pour tous les faits antérieurs au 15 juillet, pour tous sans exception, qu'il s'agisse de faits très éloignés ou très rapprochés de cette date, la mémoire de cette femme est également heureuse. Le fait lui-même, les circonstances qui l'ont précédé ou suivi, le jour, la date, l'heure même parfois, tout y est, avec une fidélité dont nous serions, pour la plupart, complètement incapables. Elle sait fort bien tous les événements de son enfance, toutes les circonstances de son mariage, le jour et la date précise de la naissance de ses enfants, etc.. Elle sait aussi bien les détails d'une noce à laquelle elle a assisté le 6 juillet dernier; elle vous racontera heure par heure, pour ainsi dire, tout ce qu'elle a fait, et entendu le 14 juillet le matin, la revue des enfants de l'école laïque sur la place B...; dans l'après-midi, l'inspection des pompiers sur la place C..., avec discours du maire et du préfet; dans la soirée, le feu d'artifice, etc.... Le soir elle s'est couchée vers les dix heures et demie.
Mais à partir de ce moment la nuit est complète. Le 15 juillet au matin, elle a dû, dit-elle, se lever vers six heures comme d'habitude, mais elle n'en sait absolument rien. Demandez-lui ce qui s'est passé depuis lors, elle vous répondra invariablement : Je ne sais pas, je ne me rappelle pas.
Eh bien! ce, qui s'est passé le 15 juillet, je vais vous le dire, conformément au récit qui nous a été fait par le mari de cette malade. Tout d'abord, dans la période rétrograde, rien d'anormal : aucune modification dans l'état (le santé, aucun changement dans le caractère, aucun trouble intellectuel. Vous savez cependant que tous les souvenirs accumulés dans cette période ont complètement disparu. Cette disparition s'est faite d'un seul coup, en bloc, consécutivement à l'événement tragique du 28 août. Pourquoi la coupure s'arrête-t-elle rigoureusement au 14 juillet au soir? Je ne pourrai vous en donner d'explication suffisamment justifiée.
Nous savons qu'il en est ainsi dans les amnésies d'origine traumatique bien étudiées par Adam (1), que ce même caractère rétroactif se retrouve, avec pareilles limites, dans les amnésies consécutives à un accès d'épilepsie, à une attaque d'éclampsie puerpérale (2). On retrouve encore la même coupure brusque dans l'amnésie qui suit une émotion morale violente. M. Rouillard (3), M. Arnozan (4) ont cité, chacun de leur côté, un exemple de ce genre. Or, chez notre malade, il y a eu émotion violente. Ne pourrait-on pas songer ici à un de ces rares faits d'amnésie par choc moral? Nous verrons tout à l'heure ce qu'il faut en penser.
Je vous disais, Messieurs, que cette femme avait oublié tous les événements de la période rétrograde. Quelques-uns d'entre eux sont pourtant assez saillants. Le 17 août, elle allait visiter R..., qu'elle n'avait jamais vu, en compagnie de quelques amis; elle en revint émerveillée, ne tarissant pas sur les beautés de la mer, du parc, du casino. Quelques jours auparavant, avait eu lieu, à C..., la distribution des prix de sa fille. Or, cette distribution de prix, ce voyage à R..., deux événements qui l'ont pourtant vivement impressionnée, elle les a complètement oubliés. Et cet oubli profond, absolu, parait irrémédiable. Mais rassurez-vous, ces souvenirs ne sont pas irrévocables ; vous allez les voir reparaître tout à l'heure dans le sommeil naturel et dans le sommeil provoqué.
Nous voici enfin à l'événement du 28 août. Il était environ quatre heures du soir ; notre malade venait de quitter une voisine chez qui elle travaillait d'habitude; elle était rentrée chez elle depuis un quart d'heure environ, lorsque tout à coup un individu franchit le seuil de sa porte restée ouverte et, brusquement, sans autre forme de procès lui dit : " Madame D..., préparez un lit; votre mari est mort, on va vous l'apporter. . Vous devinez sans peine l'émotion et la douleur de cette pauvre femme. Les voisines accourent à ses cris de désespoir et elle leur fait le récit de la scène que je viens de vous raconter.
Bientôt un rassemblement se forme dans la maison et, pendant qu'on prodigue à cette malheureuse femme les consolations d'usage, un assistant court aux informations, trouve le mari à l'atelier et le ramène. Une voisine l'apercevant de loin a la malencontreuse idée de s'écrier : Le voilà. A ces mots, croyant sans doute qu'on ramenait son mari mort, Mme D... tombe dans une crise de nerfs que je dois vous faire connaître en détail. A son entrée, le mari la trouve sans connaissance, en proie à un accès d'étouffement, portant ses mains au-devant de sa poitrine, autour de son cou, comme pour les dégager. Elle se tordait, parait-il, se débattait au point qu'on était obligé de maintenir ses membres et sa tête pour éviter des contusions. On la délaça et après l'avoir déshabillée on la transporta sur un lit. Là, quinze ou vingt minutes après le début de cette crise convulsive, l'agitation et les étouffements cessent pour faire place, sans le moindre intervalle de lucidité, à une scène délirante: " Quel malheur ! disait-elle, mes pauvres enfants vous pouvez pleurer... Ses mains se décharnent déjà... laissez-le moi encore, je veux le garder... Cette pauvre Jeanne qui n'a pas de vêtements de deuil... " Et ce délire dura ainsi quatorze heures, roulant sans cesse sur ces scènes funèbres. Puis, à ce délire avec hallucinations visuelles, succède un état léthargique profond qui dure une journée et dont aucune espèce d'excitation ne peut la sortir. Enfin, elle ,sembla reprendre ses sens, reconnut les assistants, leur parla et les embrassa, mais ce retour à la raison fut tout à fait éphémère; dix minutes après, le délire hallucinatoire reparaissait avec un changement de tableau : " Oh ! cet homme..., cet homme..., " criait-elle, en se dressant sur son lit, dans l'attitude de l'effroi, comme pour fuir une vision terrifiante. On la retient, on la calme, on lui parle ; elle répond en reconnaissant l'erreur de ses sens, mais, presque aussitôt, le délire revenait avec les mêmes caractères. Et ces hallucinations et ce délire persistent ainsi durant deux jours, entremêlés d'intervalles de raison de plus en plus longs. Enfin, au sortir de cette attaque d'hystérie délirante, Mme D... se trouva dans l'état où vous la voyez aujourd'hui.
Je viens de dire attaque d'hystérie, car c'est bien d'hystérie qu'il s'agit dans l'espèce, malgré l'absence actuelle de tout stigmate. La description que je viens de vous en donner, d'après les témoignages du médecin et des témoins, ne peut laisser aucun doute dans votre esprit.
Je pourrais du reste ajouter, pour vous convaincre entièrement, que dans l'hypnose cette malade nous a raconté que la crise avait été précédé de douleurs ovariennes dans le flanc droit, d'ascension d'une boule à l'épigastre et au cou, de sensation de strangulation, de battements dans les tempes, de céphalalgie, bref, de tout le cortège classique de l'aura. De sorte que maintenant rien né manque au tableau et que l'existence d'une attaque d'hystéro-épilepsie, de grande hystérie, devient incontestable (1).
Cette attaque a donc duré trois jours entiers. Nous voici, Messieurs, au 31 août au soir : la crise est finie, le délire a disparu et la raison est revenue. C'est à ce moment, vous ai-je dit, qu'on constate, dans son entourage, cet étrange phénomène de l'amnésie rétrograde. C'est à ce même moment que l'on découvre le phénomène encore plus singulier que nous avons appelé amnésie antérograde. On s'aperçoit - j'insiste sur ce fait - qu'elle oublie en un instant ce qu'elle vient de faire, de dire d'entendre ou de voir. Les choses vues ou entendues peu auparavant, elle croit toujours les voir ou entendre pour la première fois. Et cet oubli s'étend à tous les faits qui se succèdent dans le courant de la journée. Et cette amnésie s'est ainsi prolongée jusqu'au moment présent. Tous les faits qui se sont écoulés depuis cette. époque, elle ne les connaît pas. C'est en somme une amnésie actuelle très singulière en vérité et dont on trouverait difficilement, je crois, un exemple analogue. Je sais bien que dans les amnésies traumatiques on a exceptionnellement signalé quelques faits de ce genre et qu'on retrouve une esquisse de ce caractère antérograde dans les observations de MM. Motet (1), Ribot (2) et KSmpfen (3). Mais ce caractère antérograde y est à peine esquissé ; il est de plus essentiellement éphémère et ne peut être comparé, ni comme degré ni comme durée, au cas qui nous occupe, dans lequel l'amnésie dure déjà depuis quatre mois.. Or, c'est là le fait essentiel, capital. Un court interrogatoire de cette malade va du reste vous donner un spécimen de son amnésie.
D. - Connaissez-vous R..., Madame?
R. - Non, Monsieur, je n'y ai jamais été.
D. - Votre fille a-t-elle eu des prix cette année ?
R. - Je ne sais pas.
D. -Vous rappelez-vous si, au mois d'août, un individu vous a faussement annoncé la mort de votre mari ?
R. Je n'ai jamais entendu rien de semblable..
D.. - Qu'est-ce que cette plaie que vous avez à la main droite ?
R. - C'est une brûlure.
D. - Quand et comment vous êtes-vous brûlée?
R. Je n'en sais rien.
D.- Ne serait-ce pas une morsure de chien
R-- Je n'ai jamais été mordue par un chien.
D. - N'avez-vous jamais vu Paris ?
R. - Non, Monsieur.
D. - Vous n'avez jamais vu la tour Eiffel, le Louvre?
R. - Jamais.
D. - Connaissez-vous L'Institut Pasteur?
R. - Oui, de nom; je n'y ai jamais été. C'est à Paris.
D. - Où êtes-vous donc ici ?
R. - Je ne sais pas ; je ne connais pas cette salle.
D - Connaissez-vous la Salpêtrière?
R. -Je ne l'ai jamais vue, mais j'en ai entendu parler.
D. - Connaissez-vous ces deus dames (ses deux voisines de lit).
R. - Non, Monsieur, je ne les ai jamais vues.
D. - Et ce Monsieur (M. S..., interne du service).
R. - Pas du tout.
D. - Et moi, me connaissez-vous ?
R. - (Après une courte réflexion)... Oui, vous êtes M. Charcot... Je suis donc à Paris ?
D. - Avez-vous déjeuné ce matin ?
R. - Je ne sais pas, je dois avoir déjeuné, car l'estomac ne me demande rien.
D. Qui vous a amenée ici tout à l'heure? d'où venez-vous?
R. - Je sais pas.
D. - Quel jour sommes-nous ?
R. - Oh ? Monsieur, je ne connais ni les jours ni les mois, je ne sais pas comment je vis, je suis bien malheureuse.
D. -Qu'est-ce que je viens donc de vous demander?
R. Je l'ai déjà oublié, je ne sais plus... ; j'ai beau chercher, je ne trouve pas.
Il me semble inutile, Messieurs, de prolonger devant vous cet interrogatoire. Vous voyez que le_ contraste est. complet, l'opposition absolue, entre la fidélité de sa mémoire pour les faits antérieurs au 15 juillet (1) et la défaut de souvenir pour les faits postérieurs à cette date. Vous voyez qu'elle ignore tous les événements écoulés depuis le 14 juillet, qu'elle ignore l'endroit où elle se trouve, ce qu'elle a fait ce matin, ce qu'elle vient de dire et de faire à la minute, et que l'oubli des faits actuels se fait presque instantanément. Et cette perte des souvenirs est aussi profonde que totale, quelque intense et répétée qu'ait été l'impression. Ainsi elle ne reconnaît pas mon interne, M. S..., qui depuis un mois l'interroge tous les jours ; elle ne reconnaît pas davantage ses deus voisines de lit. avec lesquelles elle vit du matin au soir. Il y a cependant une exception, une seule : elle m'a reconnu et a retrouvé mon nom. C'est que, Messieurs, elle me connaît de nom déjà depuis longtemps ; elle me connaît même en effigie depuis plusieurs années,., par conséquent depuis une époque antérieure au 14 juillet dernier. Elle a vu mon portrait, chez son médecin, à C..., sur ce tableau de Brouilhet qui représente Une leçon à la Salpétrière, et elle l'a vu très souvent. A son arrivée dans le service, nous lui avons montré une copie de ce tableau qu'elle a immédiatement trouvée semblable à la gravure de son médecin ; elle m'a regardé, a saisi la ressemblance et a dit : Vous êtes M. Charcot. Nous l'avons maintes fois obligée de faire cette comparaison et cette reconnaissance. Plus tard, lorsque je lui demandais si elle me reconnaissait, elle portait spontanément ses yeux sur le tableau et prononçait mon nom. Mais ma présence est nécessaire pour ce ressouvenir, car elle affirme qu'elle ne m'a jamais vu si on la questionne, à ce sujet, en mon absence.
En réalité, elle ne connaît dans son état amnésique actuel que mon nom et mon portrait, acquisitions du passé, et ces souvenirs anciens lui servent, par comparaison et par raisonnement, à me reconnaître lorsqu'elle me voit, de sorte que ce souvenir ne fait qu'exception apparente à son amnésie actuelle. Il est surtout fait des notions du passé: Néanmoins, il y a dans cette reconnaissance quelque chose d'acquis. Quand je lui demande qui je suis, elle tourne directement les yeux vers le mur, comme si elle savait qu'un tableau particulier est placé en cet endroit précis. Il y a là, semble-t-il, une sorte d'acquisition inconsciente, mais c'est la seule que nous ayons constatée jusqu'ici.
Malgré cette amnésie actuelle si rapide et si prononcée, Mme D... vaquait, parait-il, très convenablement.. aux soins de son ménage et suffisait aux nécessités de la vie habituelle. Après la crise délirante, elle ne tarda pas à constater son amnésie - elle en a du reste aujourd'hui parfaitement conscience - et les inconvénients de cet état. Elle eut alors l'idée de recourir à l'usage d'un carnet pour suppléer son défaut de mémoire. Sur ce carnet elle inscrivait, car elle écrit, lit et calcule parfaitement, ce qu'elle avait à faire, ce qu'elle avait fait, ses achats, ses dépenses, ses courses, etc... Grâce à ce procédé, grâce surtout à l'aide de ses voisines et de ses enfants, elle pouvait suffire à l'entretien de son intérieur. Ce carnet elle le plaçait dans une poche (elle n'a qu'une seule poche), ou forcément elle devait le retrouver. Par l'usage, elle a ainsi peu à peu acquis l'idée inconsciente qu'elle possède un-calepin, car très souvent, au cours d'un interrogatoire, elle met spontanément la main à sa poche, en tire ce carnet et l'ouvre pour en lire la réponse, quand par hasard elle s'y trouve. Ce souvenir est en réalité un souvenir inconscient, car elle - ne sait ni la grandeur, ni la
forme, ni la couleur de ce carnet ; elle ne le reconnaît qu'après l'avoir ouvert et avoir vu, reconnu sa propre écriture. Et ici encore, dans l'acquisition de ce souvenir, le raisonnement semble avoir joué un rôle important.
Messieurs, cette amnésie de la période antérograde porte non seulement sur les faits vulgaires de l'existence, mais encore sur les événements mémorables. N'est-ce pas un événement mémorable entre tous que celui du 30 octobre dernier? Dans une rue de la ville, notre amnésique est mordue par un chien suspect de rage; aussitôt elle consigne le fait sur son carnet. On cautérise deux fois sa plaie et on décide immédiatement son envoi à Paris. Or, cet événement, elle l'a oublié ; elle arrive donc à Paris, après un long voyage, sans le savoir et, sans le savoir, y subit le traitement antirabique durant quinze jours. Sans le savoir, elle est descendue rue de l'Odéon chez de vieux amis qu'elle connaît depuis vingt ans; elle a visité les principaux monuments et magasins de Paris sans le savoir. Sans le savoir enfin, elle est entrée le 23 novembre à la Salpêtrière où elle se trouve actuellement, toujours sans le savoir. La disposition des lits lui fait bien reconnaître une salle d'hôpital, mais elle est incapable de dire si c'est un hôpital de Paris ou de Bordeaux. Elle sait uniquement que ce n'est pas l'hôpital de d..., qu'elle connaît depuis son enfance, et arrive ainsi logiquement à déduire qu'elle ne doit pas être, qu'elle n'est pas à C...
Or, depuis que cette femme est dans le service, malgré le haut degré de cette amnésie, nous avons acquis la conviction que ce défaut de' mémoire est purement apparent. Je m'explique. Nous avons, comme vous le savez, appris de ses voisines qu'elle rêvait à haute voix, que, dans ses rêves, elle parlait parfois de tel ou tel événement de la période amnésique, soit rétrograde, soit antérograde, qu'elle disait par exemple : " M, Charcot... Des douches je n'en veux pas... Ce sale chien, il m'a mordu et a déchiré toute ma robe. Ces rêves parlés témoignaient déjà hautement du dépôt inconscient, dans sa mémoire, des événements qu'elle ignore à l'état de veille. Plus tard, des tentatives d'hypnotisme couronnées de succès sont venues confirmer l'existence de ce dépôt et démontrer, d'une manière péremptoire et irréfragable, l'emmagasinement de tous les faits écoulés depuis le 14 juillet au soir jusqu'au moment présent. Dans le sommeil hypnotique, elle nous a raconté tous lés événements de cette période, nous apprenant même des détails que nous ignorions et dont nous avons pu depuis contrôler l'authenticité. Elle nous a raconté la scène du 28 août, la morsure du chien, l'arrivée à Paris, le traitement antirabique,, ses courses dans Paris, son entrée à la Salpêtrière, etc.., avec une facilité et une fidélité très frappantes, dont nous allons essayer de vous rendre juges.
Mais, pendant qu'on va tâcher de l'endormir, il nous faut, Messieurs, discuter ensemble la nature de cette étrange amnésie. Je me bornerai ici exclusivement au côté médical, laissant volontairement dans l'ombre le côté psychologique pur. Très évidemment, il ne saurait s'agir ici d'une lésion organique, d'une lésion grave résultant, par exemple, d'un ramollissement cérébral. C'est l'hystérie, Messieurs, qui est en jeu, et l'hystérie seule. Or, l'attaque convulsive et délirante a duré trois longs jours.. Ne pourrait-on pas, pour expliquer cette amnésie, invoquer un ébranlement profond, un épuisement nerveux consécutif à cette longue crise ? Je ne le pense pas. A mon avis, il s'agit simplement d'un équivalent d'attaque d'hystérie, d'une attaque d'hystéro-épilepsie prolongée sous forme d'amnésie. Vous savez que la période délirante de l'attaque se transforme souvent et que cette transformation peut revêtir des modalités cliniques très différentes. Vous savez que le somnambulisme hystérique, peut-être aussi le somnambulisme spontané, n'est autre chose qu'une transformation de cette phase délirante de l'attaque, et que l'automatisme ambulatoire, le sommeil hystérique, le vigilambulisme relèvent, dans la théorie, de la même interprétation. Eh bien! chez notre malade, il s'agit encore d'une transformation de la phase délirante de l'attaque classique, mais d'une transformation sous le mode amnésique, mode fort original et inconnu jusqu'ici, si je ne me trompe. Et la longue durée de cette amnésie ne vous étonnera point, si vous voulez bien réfléchir à la durée souvent très prolongée de certaines attaques de sommeil ou de vigilambulisme hystérique.
Maintenant, Messieurs, nous allons interroger ensemble cette femme dans le sommeil hypnotique.
D. Madame, connaissez-vous R...?
R, Oui, Monsieur. J'y ai été le 17 août dernier avec M. et Mme V. Nous avons visité le parc, le casino; j'ai vu dans le parc une dame qui jouait s au sabot et qui a perdu 500 francs. Le soir, nous avons été à la comédie et nous ne sommes rentrés à C... que le lendemain par le train de midi.
D. Votre fille a-t-elle eu des prix cette année-ci?
R. Oui. Elle en a eu trois : un de lecture, un d'écriture, un d'orthographe, le premier, je crois.
D. Que s'est-il passé chez vous le 28 août ?
R. Je venais du quitter Mme V.; j'étais en train de piquer un tablier à la machine, lorsqu'un homme que je ne connaissais pas entre et me dit brusquement " Votre mari est mort, on va vous l'apporter, préparez un lit, Madame D... " Il devait connaître mon nom. Je fus tellement émue que je m'affaissai subitement; ma tête vint frapper sur le porte-aiguille de la machine et je me fis là une petite plaie qui me fit mal pendant plusieurs jours. Je sentis alors que cet homme me frappait sur l'épaule en me disant : " Au lieu de vous désoler, montez donc en haut préparer un lit. " Puis il partit, je ne sais trop comment, tant j'étais bouleversée;
D. Et l'histoire du chien ?
R. C'était le 30 octobre, un vendredi, à 9 heures' du matin. J'étais sur la route de B... J'allais chercher un logement, un petit chien jaune me mordit à la main et déchira ma robe. Une dame vint à mon secours et me dit que je devais me faire cautériser, ou il y avait des chiens enragés dans la ville. J'écrivis cela sur mon calepin. Je fus brûlée à l'alcali, puis au thermocautère.
D. Quand êtes-vous venue à Paris ?
R. Je suis venue à Paris .le 5 novembre avec mon mari; nous sommes descendus chez M. L..., rue de l'Odéon. Tous les jours, pendant quinze jours, nous avons été aux inoculations à l'Institut Pasteur,
D. Quelles sont ces dames ? .
R. Ce sont mes deux voisines de lit; elles sont venues tout à l'heure au parloir avec moi. Elles sont au 16 et au 18 de la salle Cruveilher. Ce sont Mme C... et Mme x...
D. Quel jour sommes-nous, Madame?
R. Nous sommes mardi, le 22 décembre.
Je crois superflu, Messieurs, de prolonger plus longtemps ce dialogue. Vous voyez que tous les souvenirs, en apparence oubliés, sont inscrits dans sa personnalité inconsciente. Son sommeil hypnotique est réellement peuplé de faits enregistrés à l'état de veille. Le contraste est éclatant et mes réticences du début entièrement légitimées. Puisqu'il en est ainsi, allez-vous me dire, rien n'est plus facile que de profiter du sommeil hypnotique pour suggestionner cette malade et lui rendre ainsi sa mémoire. C'est en effet le procédé que nous nous proposons de, mettre en oeuvre, ces suggestions post hypnotiques nous ayant déjà donné quelques résultats. Ne pourrait-on pas songer ici à provoquer une crise d'hystérie, dans l'espérance de voir l'attaque défaire ce qu'elle a fait? La chose pourrait être tentée, je crois, et avec d'autant plus de chance de succès que ces modifications de la phase délirante de l'attaque hystérique sont d'ordinaire incluses entre deux crises convulsives. Cependant, notre malade ne présentant aucune zone hystérogène, nous nous en tiendrons, jusqu'à nouvel ordre, à la suggestion hypnotique (1), sans négliger les adjuvants habituels : l'hydrothérapie, les toniques, etc.. Il est malheureusement à craindre qu'il ne s'écoule un temps fort long avant que nous arrivions à des résultats complètement satisfaisants.
J'ai fini, Messieurs. Je n'ai pas voulu discuter devant vous l'hypothèse absurde en vérité de supercherie et de simulation. J'aurais pu, à propos de ce cas, soulever un intéressant problème de médecine légale, mais je préfère vous laisser sous l'impression d'un fait pathologique curieux, simple et peut-être unique dans son genre.
Après quelque temps, la malade fut confiée aux soins de M. Pierre Janet, professeur agrégé de philosophie, élève du service, qui continua à appliquer le traitement, en même temps qu'il s'attachait à faire l'analyse psychologique de ce cas intéressant. C'est d'après les renseignements qu'il m'a fournis que j'ai rédigé cette courte note, destinée à montrer les progrès réalisée depuis la leçon précédente, lesquels sont bien en rapport avec le pronostic porté par M. Charcot.
Tout d'abord M. Janet put fournir, par des procédés différents dé ceux qui ont été énumérés plus haut, une nouvelle preuve dé l'enregistrement inconscient, dans la mémoire dé la malade, de tous les faits qu'elle paraissait oublier au fur et à mesure de leur production. Ce n'est plus dans l'état de sommeil naturel, dans les rêvés, ni dans l'hypnotisme, mais pendant la veille la plus normale que ce résultat fut obtenu. Cette reproduction dés souvenirs d'une manière subconsciente, dans l'état de veille, s'effectuait par l'intermédiaire, soit des actes, soit dé l'écriture ou même dé la parole automatiques. Je n'insisterai pas sur ce sujet que Janet a traité d'une façon spéciale dans une leçon faite à la Salpétrière, avec quelques mots en particulier sur le cas de Mme D... (Voir Archives de Neurologie, juillet, 1892,41.)
Nous n'entrerons pas dans lés détails du traitement psychique institué. pour détruire cette amnésie de nature purement fonctionnelle, renvoyant pour cela à une communication dé M. Pierre Janet, qui paraîtra prochainement dans la Revue générale des Sciences. Voici quels sont, au . 20 octobre 1892, les résultats de ce traitement,
i° Lés souvenirs du passé sont redevenus conscients à peu près tous, et avec une précision étonnante. Aujourd'hui (20 octobre 1892) Mme D peut raconter tout ce qui s'est passé jusqu'à la fin de septembre. Elle n'a donc plus qu'une lacune d'une quinzaine dé jours;
2° La mémoire présente s est beaucoup élargie : au lieu de garder les souvenirs une minuté ou deux, comme elle faisait autrefois, elle les garde 24 heures;
3 Il reste beaucoup de troublés de l'attention, du jugement, dé l'intelligence moins forts cependant qu'autrefois, mais suffisants pour empêcher dé comprendre ce qu'elle lit, ou d'écrire une lettre.
Il persisté encore beaucoup de phénomènes d'aboulie..
Des résultats favorables, qui peuvent se résumer en ces mots : disparition dé l'amnésie rétrograde, amélioration considérable de la mémoire présente, font espérer que la guérison pourra être obtenue dans un délai plus ou moins rapproché, suivant le pronostic qui avait été porté dès le début par M. le professeur Charcot. (G. G.).