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L'homme: un animal comme les autres


Jean-Jacques Lepitre
Avant propos:

Bosch-teteÀ l'heure actuelle, où la psychanalyse est souvent considérée comme désuète, voire caduque, et inappropriée dans sa pratique, il semble important, voire urgent d'examiner ce qui lui est opposé, ce au nom de quoi elle serait obsolète. Le formidable engouement pour une approche scientifique de l'humain, avec ses corollaires de mécanicisme du fonctionnement corporel et d'égalisation de l'homme et de l'animal, a permis les avancées médicales considérables qu'on connaît, une espérance de vie encore jamais égalée par exemple. C'est sur ce chemin également que se sont développées les neurosciences cognitives et affectives, mais aussi l'intelligence artificielle s'originant d'une même approche, de reproductivité du mécanisme humain. Là encore, les progrès sont considérables. Les ordinateurs battent les champions d'échecs ou de "jeu de go". On a pu déterminer les aires cérébrales de la lecture, des émotions, celles en jeu dans la colère, dans l'action, etc.. On a pu émettre des hypothèses quant à leurs fonctionnements ou dysfonctionnements, à partir de ces éléments objectivement observables. Et les opposer à la psychanalyse, qui serait juste capable de suppositions induites, conjecturelles, voire mythiques, sans qu'elle puisse produire véritablement de faits objectivement mesurables.
Pourtant, il n'est pas certain que ces domaines, neurosciences cognitives ou affectives, ne viennent pas buter sur un mur épistémologique dans leur exploration de l'esprit, ou des cent milliards de neurones qui constituent notre cerveau, c'est la même chose, la psychanalyse aussi est matérialiste. Ainsi, si les neurosciences étudient la conscience, il ne s'agit que de la conscience vigile, celle que nous partageons sans doute avec un certain nombre d'animaux, la conscience de nos perceptions par exemple. Mais jamais la conscience, peut-être plus proprement humaine, de notre conscience. Celle que Descartes met en jeu, sans le dire, dans son "Je pense donc je suis", qui suppose pour être énoncé, une capacité d'auto-observation, une conscience de conscience, témoin de cette pensée, et donc un autre Je. Inintégrable à sa "méthode". Il en va sans doute de même aussi pour d'autres capacités de l'esprit humain. Les neurosciences venant à buter sur les limites inhérentes à leur méthode: scientifique, elle ne peut se fonder que sur la calculabilité d'un observable. Elles calculent beaucoup: taux d'oxygénation, potentiels électriques, échanges chimiques, etc... De ces observables mécaniques que sont les organes, ici, précisément les neurones et leurs groupements.
C'est peut-être ici que la psychanalyse a à se prévaloir d'une certaine avance, voire à proposer son secours aux neurosciences. Car elle sait depuis longtemps que l'humain possède des organes exo somatiques, que ceux-ci sont indispensables à son développement et qu'on ne peut penser l'humain, l'esprit, les neurones, sans en tenir compte. Ces organes exo somatiques, ne sont pas que les prothèses qui font la une des médias, mais, suivant Leroi Gourhan à propos des outils, tous les éléments qui ne faisant pas partie intrinsèquement du corps, soma, sont pourtant parties constituantes de l'humain. Qu'on pense au premier d'entre eux: le langage, et le système symbolique qui s'en constitue, qu'on pense à l'Autre au sens lacanien, etc... Pourtant Lacan, lui aussi, s'est essayé à la calculabilité. En témoignent ses mathèmes ou ses hypothèses topologiques... Mais est-ce à dire que ces organes exo somatiques sont réellement calculables?
Et s'ils le sont, au prix de quelle réduction?
C'est à une causerie plus qu'à une conférence que je vous invite en ce jour de rentrée. J'y aborderai un certain nombre d'éléments de réflexion, auxquels j'associe bien volontiers "les remarques du Dr M Robin à propos de "médecine clinique et médecine technique". Tout cela étant, je l'espère, prétexte à échanges et discussions.



Conférence:

L’homme, un animal comme un autre..

Au départ, qu’y a-t-il ? L’agacement de la supériorité condescendante des sciences cognitives ou des neurosciences, face à la psychanalyse, le bruit des médias sur ces sujets qu’on nous dit révolutionnant nos vies, ou cette interrogation continue sur la signification globale de l’idéologie à l’œuvre dans nos sociétés, idéologie au sens large et noble de modalité historique de notre culture aujourd’hui ? La même question, à Céret, me faisait m’interroger sur la place idéologique du pop art dans notre culture.
Ici, mon interrogation, et qui en annonce d’autres semblables dans l’avenir, c’est un thème appelé à s’approfondir au sein de notre groupe, tournera autour des fondements de ces sciences neuronales et cognitives.

I L’Homme et l’animal : des machines comme les autres

1) René.
(Clin d’œil : Il a fait ses études à la faculté de Poitiers.)

En 1634 Descartes, publie un ensemble de feuilles qui seront rassemblées sous le titre : « Traité de l’homme ». Trois ans avant le « discours de la méthode ». Dans ce traité, il y élabore une fiction : celle de créer une machine, en tout semblable à nous, « où ses fonctions suivent tout naturellement la seule disposition de ses organes, ni plus ni moins que font les mouvements d’une horloge, ou autre automate, de celle de ses contrepoids et de ses roues ». Et il y décrit ce que sont ces fonctions, selon ses connaissances, à son époque de la façon suivante. Il connaît la circulation sanguine, connaît le processus de la digestion par fragmentation du bol alimentaire par des sucs, mais surtout élabore une conception du système nerveux. Il n’a pas fait de dissection humaine, mais ayant fréquenté des bouchers a pu s’interroger sur des cadavres animaux, y constater les trajets nerveux, et la nature du cerveau. Il conçoit alors que les nerfs, sur le modèle hydraulique, sont des tuyaux plus ou moins gros dans lesquels se déplacent ce qu’il appelle les « esprits animaux » venant depuis le cerveau qui est leur origine jusqu’à l’organe concerné. Ainsi pour le mouvement physique, il suppose qu’il y a des nerfs, des tuyaux correspondant aux muscles antagonistes permettant la marche ou tout autre mouvement. De même pour les diverses sens avec l’ajout important de la notions de quantité. Ainsi le toucher, prenant l’exemple de la chaleur, il suppose des pores au niveau de la peau correspondant à l’ouverture de ces tuyaux. Si c’est une douce chaleur, quelques-uns seulement sont ouverts et c’est un sentiment d’agrément qu’on ressent, si la chaleur est plus forte, plus proche, plus de pores seront ouverts, et on aura vraiment chaud, enfin si la flamme nous touche, qu’elle nous brule, ce sera la douleur : beaucoup de pores seront ouverts. C’est donc en fonction du nombre de pores ouverts et des esprits animaux qui, en conséquence, sont envoyés au cerveau que s’éprouve la sensation : douceur, chaleur, ou brulure. C’est une notion de quantification. Il va répéter la démonstration à propos des autres sens. En y ajoutant, pour ce qui concerne l’ouïe et la vue, des nerfs spécialisés, discriminants. Mais en indiquant aussi la capacité combinatoire de ces nerfs, ainsi pour la vue, qui l’intéresse, il a écrit un traité d’optique : « La dioptrique », la capacité à estimer la distance d’un objet en fonction de la prunelle, du cristallin et des points de la surface du nerf optique et des angles de vision qui en découlent. Alors, les sensations éprouvées par cette machine sont bien le résultat de la transmission des esprits animaux par les nerfs au cerveau. Pour ce qui est des passions, aujourd’hui nous parlerions de sentiments, la joie, la colère, l’amour, la tristesse, etc…, elles correspondent à des états particuliers des esprits animaux : chaleur, vitesse, expansion, densité. Ceci explique les battements de cœur de l’amoureux, ou son serrement de l’angoissé, etc. Il ne semble pas ici indiqué une cause, mais un état correspondant conditionnant des sensations. Approche toujours appliquée en psychiatrie : les traitements chimiques n’agissent pas sur les causes mais sur les états supposés en résulter. Enfin, il décrit un modèle de fonctionnement de système nerveux central. Imaginons un rectangle, un tissu dit-il, dont les mailles correspondent à toutes les ouvertures des nerfs arrivant au cerveau. En face, semblable, un autre tissu dont les mailles sont les ouvertures des nerfs partant du cerveau. Entre les deux, une glande, qu’il nomme H, glande H, qui a le pouvoir en se déplaçant d’obturer l’ouverture de certains nerfs aussi bien afférents qu’efférents, et, ou au contraire d’en ouvrir d’autres. Ainsi pour reprendre l’exemple de la brulure, les esprits animaux conduits dans le cerveau par les nerfs frapperont la glande H qui se déplacera et ouvrira les nerfs efférents commandant les muscles qui par leur contraction retireront la main de la flamme. Il suppose que par répétition de mêmes trajets nerveux, ces tissus soient capables de déformations, de plissures, acquérant une certaine permanence. Et fait l’hypothèse qu’il y a là l’origine de la mémoire.
On peut relever les erreurs de Descartes, les relents de la théorie des humeurs : les esprits animaux, et qui acquièrent leur chaleur et leur vitesse dans le cœur, etc. Sa conception nerveuse fondée sur la mécanique des fluides. Mais il lui aurait suffi de la connaissance de l’électricité, et les esprits animaux auraient été sans grand changement l’influx nerveux.
Mais l’important n’est pas là. L’important, me semble-t-il, est la modélisation sous-jacente à son exposition et qu’il offre à la postérité scientifique. Cette machine, qui est le corps, celui de l’homme, et aussi bien dans d’autres textes celui de l’animal, est comme toute machine un assemblage de parties qui la composent. Et selon la « méthode » exposée trois ans plus tard mais déjà ici présente, si la machine apparaît trop complexe pour être appréhendée dans son ensemble en une seule vision on peut examiner ses différentes parties les unes après les autres, ainsi des rouages complexes des horloges, ou pour la machine corporelle : ses organes et ses fonctions. Et en final, le fonctionnement des parties de la machine ayant été compris, tenter de comprendre comment fonctionnement ensemble ces différentes parties à partie de leurs caractéristiques. C’est le plan qu’il suit pour ce traité terminant par le système nerveux central. Ces parties, organes, fonctions, donc semblables à celles d’une machine, obéissent comme celles-ci à la loi de causalité simple : une cause -> un effet. Toute force appliquée à un objet mobile provoque un mouvement, par exemple. Tout élément entrant dans un organe provoquera un effet. Ces organes comme les parties de toute machine sont de l’ordre de « l’étendue », c’est-à-dire de la réalité physique et comme tels mesurables, comme l’est le mobile de notre exemple ainsi que la distance qu’il parcourt et le temps qu’il met pour le faire. Le modèle est en place. Il n’y aura pas jusqu’à nos jours d’évolution quant à ce modèle. Les progrès vont venir du perfectionnement et de l’émergence des champs de mesure et d’observation. Ainsi avec la chimie, pourra se perfectionner les analyses des composants des organes, des sucs, du sang, analyse générale des fluides dans la machine dont les variations, et leurs effets, sont à rapporter à des causes matérielles. Cette mesurabilité, des divers composants de la machine, va permettre de calculer des moyennes, et du coup des normes du fonctionnement de cette machine, par exemple les divers taux des composants sanguins. Mais aussi l’augmentation des capacités d’observation vont permette de diviser les organes en organes plus petits, et donc appliquer la même approche à des sous-éléments de la machine, ainsi les microscopes, visuels puis électroniques, permettant l’observation des cellules du foie, de la rate ou du cerveau. Et aussi l’augmentation des capacités de mesure qui vont avec : par exemple taux de consommation d’oxygène, de glucose de tel organe, de telle cellule. Ce qui s’applique aux organes peut aussi s’appliquer aux fonctions. Que ce soit la marche, la digestion, la circulation sanguine, la pensée, et même si certains composants en sont encore inconnus, on va pouvoir procéder un certain nombre de mesures donnant des indications sur les variations des éléments entrant et sortant de cette fonction, qu’on pense aux lipides, glucides, etc…, rapportés à la vitesse et à la distance parcourue concernant la marche…
La force de ce modèle du corps machine, en ce qu’il est de ce fait calculable, est ce qui a permis les formidables progrès de la médecine jusqu’à nos jours et qui a fait que l’espérance de vie a pu progresser de façon si spectaculaire, par exemple. Cette calculabilité a permis d’imaginer à des gens comme Turing, entre autre, la création de biomathématiques, où les diverses variables d’une fonction mathématique sont constituées par les variables organiques dont on calculerait ainsi les variations.
Notre corps est une machine. Cette disposition mécanique nous la partageons avec tous les vivants ayant un corps, les animaux, et ceci d’autant plus que ce corps est analogue au nôtre. Et dit Descartes à la fin du « Traité de l’homme », en cette machine, « il ne faut concevoir en elle aucune âme végétative ni sensitive, ni aucun autre principe de mouvement et de vie que son sang et ses esprits (animaux) agités par la chaleur du feu qui brûle continuellement dans son cœur et qui n’est point d’autre nature que tous les feux qui brulent qui sont dans les corps inanimés » Je souligne aussi ce point, de ce que ce feu, qu’on peut remplacer par le terme d’énergie, et même s’il est situé de façon erronée, est le même chez les êtres vivants que dans la matière inanimé. Cette machine obéit donc aux lois générales de la physique.

2) Quelques premières conséquences.
En guise de remarques rapides. Si le corps est une machine se pose naturellement la question : à qui appartient cette machine ? Tant qu’il n’était pas aussi radicalement défini comme machine, il pouvait y avoir un doute sur sa propriété. Produit de la volonté de Dieu, il lui a longtemps appartenu, interdiction du suicide. Elément du corps social, il appartenait à la nation, qu’on se souvienne de 14-18. Mais s’il est purement une machine, celle-ci ne peut appartenir qu’à son propriétaire, c’est-à-dire celui qui y est situé. Alors propriétaire de cette machine qu’est mon corps, pourquoi n’en lourais-je pas une partie ? Prostitution, ou mère porteuse. A la différence de la location de ma force de travail, celle-ci, n’est pas une partie de la machine, mais un produit de son fonctionnement. Pourquoi n’en vendrais-je pas une partie ? Trafic d’organes. Pourquoi n’en ferais-je pas une copie de cette machine ? Clonage. Pourquoi ne pas en faire des copies partielles, organes exo somatiques, des améliorations possibles : manipulations génétiques, etc.., etc… Ou pourquoi ne pas créer des machines qui copient les fonctions de cette machine : PMA, Cœur-poumon artificiel, intelligence artificielle, etc… De façon plus générale, c’est ce modèle du corps comme machine qui permet d’envisager les hypothèses trans-humanistes les plus variées, voire les plus folles. On entend tout le questionnement éthique ?

3) La machine, l’animal et l’homme.
Dans la description précédente on a pu malgré tout rester sur un mystère d’importance : quelle est donc cette glande H, située au centre du cerveau, d’une importance capitale pour la gestion des flux des esprits animaux. Descartes d’ailleurs la compare à l’organiste dont les mouvements commandent la circulation de l’air dans les tuyaux de l’orgue. Dans la cinquième partie du « Discours de la méthode », en 1637, où il expose sa conception mécanique des animaux, il spécifie l’homme de posséder une âme qui serait le lieu où réside la pensée, à entendre au sens large de la raison, du jugement, de la représentation, des émotions, des sentiments. Les animaux n’ayant pas d’âme, ils n’auront pas de représentation, pas de sentiment, de la douleur par exemple. Ainsi Malebranche pouvait dire qu’il battait son chien et que les cris de celui-ci n’étaient que mécaniques et non l’expression d’une douleur. Cela peut paraître étonnant. Mais cela n’est-il pas à l’origine de toutes les expériences menées sur des animaux vivants au nom de la science : depuis les électrodes ou autres instruments de mesure plantés dans le corps d’animaux vivants jusqu’aux vivisections. L’analogie des corps mécaniques animaux et humains justifiant pareilles pratiques pour le bien de la recherche. Ils n’ont pas d’âme. Heureusement qu’un siècle plus tôt, à Valladolid il avait été accordé une âme à toute l’humanité, sans cela… Dans le « Traité des passions », en 1649, Descartes reprend sa description du corps machine de l’homme, et précise que les passions sont ce que le corps, la machine, font éprouver à la glande H, alors précisée d’être pituitaire ou pinéale, qui est le point de jonction de l’âme, et par où celle-ci éprouve l’action, les esprits animaux venus du corps.

4) L’âme
L’homme aurait donc une âme, en tout cas une pensée telle qu’il pourrait faire le constat de son existence : « Je pense donc je suis ». Cette conscience de soi Descartes la nomme âme. Kant la pensera sous les termes d’identité, du « Je ». Pour Hegel ce sera l’Esprit. Quelque chose excèderait la mécanique, serait au-delà. La nomination est ici toute relative à chaque auteur.

5) Quelle âme ?
Hobbes du temps même de Descartes critiquait cette conception dualiste, pour lui la substance ne peut être à la fois matérielle et spirituelle, elle n’est que matérielle, et la pensée n’est que le mouvement du corps. Allant jusqu’à dire : « L'âme est de la même substance que ce qui apparaît dans les rêves. », chimérique. La Mettrie affirmera fortement en 1745, dans « L’histoire naturelle de l’âme » que celle-ci n’existe pas, et que l’homme est entièrement une machine. Exactement comme les animaux. Il y a donc une analogie, une similitude entre eux et nous. Et la seule différence serait de degrés. L’homme est donc un animal comme les autres. Et comme tel pourra s’y comparer pour en tirer des enseignements dans diverses branches de l’éthologie comparée.

II L’homme : un étrange animal
Alors comparons l’animal humain et ses semblables.

1) Quant au sexuel :
La nature dans la sagesse de son évolution darwinienne, au fil de celle-ci et de ses coups de hasard, semble généralement stabiliser les solutions éprouvées de façon pérenne. Autrement dit, quand une solution efficiente est trouvée, qu’elle fonctionne, la nature la conserve. Concernant la sexualité et la reproduction chaque espèce, ou groupe d’espèces, a sa façon stable de procéder. Les uns, la plupart, s’en tiennent au partenaire d’occasion, se renouvelant lors de chaque saison des amours. D’autres ont un partenaire fixe, retrouvé à chacune de ces saisons. D’autres encore sont organisés en groupe, la plupart constitué autour d’un mâle dominant. Et chaque espèce s’en tient à sa façon. Et à la périodicité de ses relations sexuelles. Or chez l’animal humain aussi bien concernant ses relations sexuelles que leur périodicité, on trouve tout, et même n’importe quoi : couple d’occasion, couple fixe, groupe, abstinence, perversion, homosexualité, pansexualité. Contrairement à la plupart des animaux, il n’y aurait pas chez l’homme de schème constant, préétabli concernant la sexualité. Autre façon de formuler ce que dit Lacan : « Il n’y a pas de rapport sexuel ». Ou d’illustrer ce que cerne Freud avec le mythe oedipien : chez l’animal humain, faute d’instinct, la sexualité s’étaye sur l’amour.
Donc concernant la sexualité : l’homme est un étrange animal.
Ici, je ne peux m’empêcher de m’amuser d’une spéculation personnelle : Si la nature, pour qui la perpétuation de la vie est l’élément primordial, a retenu comme solution dans la plupart des cas que celles qui en sont les agents principaux, les femelles, soient plus faibles physiquement que les mâles, ce n’est peut-être pas sans raison. Ainsi elle s’assurait que les femelles s’occuperaient de la vie et laisseraient aux mâles plus forts le soin des bagarres et batailles concernant les questions de territoire, prestige. Ils pouvaient y risquer leur existence, étant moins indispensables à la vie.
Un autre petit point : Les Bonobos. Ce sont des cousins chez les grands singes se situant entre les gorilles et les chimpanzés. On en a dit grand bien de ce qu’ils réglaient leur différent non par l’agression mais par la sexualité : un petit coup par ci, un petit coup par là, une petite chatouille. En fait cela semble moins fréquent que ce qu’on a cru et concerne en majorité les adolescents. Mais une autre particularité est qu’il s’agit de sociétés en quelque sorte matrilinéaires. Le groupe est dominé non par un mâle mais par une femelle. Et l’absence d’agression serait illusoire : nombre de femelles ont été observées à qui il manquait des doigts, un œil, présentant des traces de morsure profonde. La lutte pour la place de femelle dominante y existe tout pareillement à celle pour la place de mâle dominant dans les groupes masculins, par exemple des chimpanzés. (le « phallus » n’a pas de sexe, même chez les animaux ?)

2) Quant à l’alimentaire.
Là encore, le modèle du corps machine permet de faire l’hypothèse de l’adéquation des organes de la fonction alimentaire, dentition, organes digestifs, avec son objet : le type d’alimentation. Ainsi les ruminants auront une dentition, et un estomac adapté à une alimentation végétale. Les félins à une alimentation carnée. Et quelque soit l’espèce, les mécanismes de faim et de satiété viendront déclencher ou arrêter la fonction selon les besoins énergétiques de la machine. Toutes les espèces respectent le régime alimentaire pour lequel leur machine corporelle est adaptée, sauf circonstances exceptionnelles, et toutes régulent faim et satiété autour de l’équilibre énergétique propre à la machine.
Toute sauf l’homme. Celui-ci, comme quelques autres espèces, de par ses caractéristiques mécaniques a un régime alimentaire omnivore, soit un mélange varié d’alimentation végétale et carnée. Or il se rencontre des animaux humains ne mangeant que des végétaux, moines bouddhistes, ou quelques autres régimes à la mode actuellemnt, ou quasiment que de la viande, Louis XIV par exemple, qui en eut un intestin sensiblement allongé. Sans parler de ceux ayant une alimentation majoritaire en sucres, en graisses, ou autres. On peut aussi parler de diverses étrangetés : l’alcool, les épices, etc. Et concernant l’équilibre faim, satiété, l’animal humain va du manger « rien », satiété du rien, de l’anorexie jusqu’au manger « tout » de la boulimie, obésité, sans satiété, seule l’impossibilité de la machine arrêtant le processus.
Là encore l’homme est un étrange animal.

3) Quant à l’agressivité.
L’animal, en dehors même de ses nécessités vitales, où l’agressivité s’exerce à l’encontre d’autres espèces, le lion attaquant l’antilope, l’animal est agressif, y compris à l’endroit de ses congénères. Que ce soit dans la lutte pour la chefferie du groupe, ou lors des amours pour la préséance dans la possession des femelles, les mâles s’affrontent violement. Ils s’affrontent aussi pour la possession ou la délimitation d’un territoire. Cela peut même être en groupe, qu’on songe aux loups et leur meute. Ressemblant par là aux hommes. Mais, là encore l’homme est un étrange animal. Dans la plupart des luttes animales, le vaincu n’est pas tué par le vainqueur. La lutte s’arrête quand le vaincu, blessé ou simplement impressionné par son adversaire, se retire du combat. Il n’y a que chez l’homme que la mise à mort de l’ennemi peut être systématique. Comme il n’y a que chez lui que des guerres sont véritablement réalisées. C’est-à-dire des luttes de groupes qui ne sont pas constitués par proximité, familiale, territoriale, et donc limités en nombre, mais par et autour d’une abstraction : religion, patrie, amour du roi, jouissance, fantasme persécuteur, etc. D’où la possibilité de groupes bien plus importants que chez les animaux. Guerres mondiales… Et puis cette agressivité, l’homme la tourne contre lui-même. Il y a le suicide qui ne semble pas exister chez les animaux.

4) Quant à la communication.
Les machines animales parlent. On nous le répète assez. Le langage des abeilles, des dauphins, ces merveilleux chimpanzés capables d’échanger avec leur moniteur à l’aide de petites images. Précisons. Précisons justement à l’aide de ce qui justement semble fonder l’assertion de l’existence de ces langages animaux, la théorie de la communication. Soit un élément A, dit émetteur, quelconque, un homme, un animal, une machine, produisant des signaux, eux aussi quelconques, sonores, visuels, électriques, etc…, porteurs d’informations, elles-mêmes de toutes natures, que reçoit un élément B, dit récepteur, traitant d’une quelconque façon les informations ainsi reçues : rien, enregistrement, réaction diverse. Mon téléphone, A, sonne : signal, information : un appel, B, moi, je décroche. La petite abeille, A, danse, signaux, devant ses congénères B, informations : il y a un massif de fleurs avec du pollen succulent à tel endroit. Réception et réaction de B. « Attention requins sud-sud-ouest, 20m de profondeur. Les femelles autour des petits. Les mâles en formation d’attaque ! » Ce pourrait être le contenu de la communication d’un dauphin sentinelle. La petite guenon, à qui on a appris à manipuler des images, tendant celle d’une banane à son moniteur l’informe qu’elle désire en manger une. On peut lui avoir appris à combiner plusieurs images. Elle tendra l’image d’une banane et celle d’un panier pour indiquer que c’est précisément celle qui est dans le panier qu’elle désire.
Ce que je veux indiquer par ces exemples c’est que dans la théorie de la communication, à tout signal correspond une information, qu’elle soit simple ou complexe.
Or un des propres de l’animal humain est qu’il est capable de parler pour ne rien dire. C’est même une de ses principales occupations. Autrement dit, en termes de communication, si A produit des signes, ils ne sont accompagnés d’aucune information. Et B pourtant les reçoit et y réagit bien souvent de la même façon. C’est ce que nous faisons par exemple lorsque nous parlons de « la pluie et du beau temps ». A ne donne aucune information à B, puisque étant au même endroit, B sait parfaitement s’il pleut ou il fait beau. Ce « parler pour ne rien dire » s’étend à beaucoup de domaines de la vie quotidienne. Lacan en soulignait son importance : un moyen pour deux animaux humains dans leur rencontre de se reconnaître mutuellement, à la fois comme humains, et comme ne situant pas dans un rapport d’agressivité de prestige ou de rivalité.
Pensée personnelle : « Le jour où deux robots, non programmés pour ça, se parleront de la pluie et du beau temps, ils ne seront pas loin de pouvoir tomber amoureux. »
Une autre étrangeté de la parole de l’animal humain est la possibilité de créer des métaphores. Elles sont partout, sous forme fossilisée dans le langage courant, sous forme jaillissante sous la plume du poète, sous forme renaissante dans le langage amoureux. Or elles sont inintégrables dans le schéma de la communication. Booz, sa gerbe, on entend bien qu’il s’agit de son sexe, de sa virilité, mais cela n’est indiqué nulle part dans le texte d’Hugo. Autrement dit la métaphore, en terme de communication, entre A et B, c’est une information qui surgit, de la suite des signes et des informations qu’ils transmettent, en dehors de cette suite même, et sans que celle-ci ne la contienne. Ce qui est impossible logiquement dans le cadre de la communication.
Ceci, les caractéristiques de la parole humaine me parait devoir être souligné à plus d’un titre. Tout d’abord pour souligner la différence avec le langage animal. Celui-ci est communicationnel, il transmet de l’information, que de l’information. Le langage humain lui est capable de réduire l’information à ce presque rien du « parler pour ne rien dire » ou au contraire de l’excéder dans l’invention de la métaphore. Ensuite parce qu’aussi bien les recherches cognitivistes que celles en intelligence artificielle s’appuient sur la notion d’information avec cette dimension littérale qu’elle a dans la communication. Et que je pense qu’on est là, avec la métaphore, pas la métonymie, qui peut s’entendre en communication comme l’élision d’une partie du message restant malgré tout compréhensible, dans ce qui peut être conçu comme test ultime aussi bien d’un apprentissage d’un langage animal que des capacités d’une machine pensante. Pour le premier ce serait que la gentille guenon tende l’image de la banane à son moniteur non parce qu’elle désirerait qu’il lui en donne une mais pour lui signifier qu’elle a envie du beau Julot, le beau chimpanzé assis plus loin sur le rocher. Quant à la machine, I.A, ce serait que celle-ci, sans qu’elle soit programmée pour cela, soit capable à partir du corpus lexical qu’elle contient de produire d’elle-même une quelconque métaphore. Cela serait plus convaincant que le test un peu bidon de Turing concernant la dite intelligence artificielle : le dialogue à l’aveugle d’un individu avec soit un autre individu soit un ordinateur. Il considérait qu’on pourrait estimer cette intelligence artificielle existante quand plus de 50% des gens penseraient avoir eu affaire à un interlocuteur humain alors qu’ils auraient eu affaire à une machine. Il penserait que ce serait pour bientôt. Bidon, parce qu’il y a plus de trente maintenant, me mettant à l’informatique, je m’étais amusé à reprogrammer pour moi-même le programme Elisa. Celui-ci, un programme assez simple, consiste, dans un dialogue, à l’époque au clavier, entre un interlocuteur humain et une machine. Celle-ci, c’est le programme Elisa, construit ses réponses selon la technique non directive de Rogers. A savoir en reformulant le dire de l’interlocuteur sous forme interrogative ou affirmative. « Je suis triste » « Vous êtes triste.. ». Ceci demandait à être varié pour n’être pas trop perçu comme mécanique. On pouvait alors glisser aussi des « Ah bon », « Bien », « Dites-moi plus ». J’y avais ajouté pour ma part un petit lexique de mots clés : « amour, tristesse, angoisse, désir, père, mère, etc… » qui lorsqu’ils apparaissaient pouvaient produire des phrases autres que de reformulation : « Voilà, qui est important ! » « Vraiment, c’est dur en effet ». Or aux U.S.A où ce programme avait été créé, déjà à l’époque, 30% des gens étaient persuadés avoir affaire à une personne humaine. Sans qu’il y ait là autre chose qu’une programmation astucieuse.
Donc l’homme un animal machine, mais étrange. Et le défi serait de pouvoir rendre compte de cette étrangeté.

III Cognitivisme, neurosciences, sciences, psychanalyse…
Je crains d’avoir été un peu long jusque-là. Mais il me semblait nécessaire d’assurer certaines assises conceptuelles.
Comme notre aïeul, Freud, nous sommes donc matérialistes, et que ce qui est nommé de façon variable âme, conscience de soi, esprit, moi, sujet, ne peut donc pas être de nature transcendante, mais bel et bien contenu et partie de la machine que nous sommes, dans ce qui apparaît lui être central du point de vue fonctionnel, c’est-à-dire notre cerveau et dans l’agencement des quelques 80 milliards de neurones qui le composent.
C’est bien ce modèle d’homme machine qui est au principe des sciences cognitives et des neurosciences.
Mais déjà en son temps, peu après la découverte des neurones, Freud élaborait un modèle neuronal de la machine tentant d’en éclairer sa fonction psychique. C’est « l’esquisse ». Il y spécule que l’énergie transmise à partir des perceptions internes ou externes par les nerfs aux neurones se répartit parmi ceux-ci selon, déjà, des regroupements neuronaux, des transmissions spécialisées, avec effets de seuil, d’inhibition, de prévalence par répétitions, somations, effets de mémoire donc, etc… Et s’il abandonnait ce modèle, peut-être avec regret, puisqu’il dit penser qu’un jour la psychanalyse sera remplacée par la science du cerveau, ce n’était que partiellement. Si l’aspect neuronal ne pouvait guère être poussé plus avant, du fait des connaissances neurologiques de son époque, et aujourd’hui encore les diverses notions de regroupement fonctionnel, de seuil, d’inhibition, de frayage sont toujours utilisées en neurosciences, de ce premier modèle de la fonction psychique de la machine, il conservait la dimension énergétique. C’est le modèle thermodynamique qui y est sous-jacent. Dans une machine quelconque l’introduction d’énergie produit une modification jusqu’à la dissipation de cette énergie où la machine retrouve son état initial. Libido, pulsions, principe de plaisir, instinct de mort, principe de l’inertie thermodynamique. Et lorsqu’il évoque l’économie, même financière, on peut l’entendre comme celle de la thermodynamique : est économe une machine dont, pour une tâche donnée, la dépense énergétique est minimum.
A la même époque, mais à l’inverse, le comportementalisme estime qu’il est impossible de connaître les rouages, les opérations internes de cette fonction, le psychisme. Par contre, comme pour toute partie d’une machine, il est possible d’y observer et d’y mesurer les éléments en entrée et en sortie. Par exemple les éléments du monde extérieur qui y entrent par les systèmes perceptifs et les diverses réactions qui en sortent en réponse. De ces observations et mesures pourront se déduire des éléments du fonctionnement de la machine.
Dans les années 1950-1960, l’approche comportementaliste est apparue trop restreinte. Pourquoi s’interdire de tenter de modéliser les éléments en jeu dans cette fonction ? D’autant qu’à la même époque l’informatique naissante donnait l’exemple de la modélisation d’une machine ayant comme le psychisme en entrée des informations et en sortie, après un traitement par des modules logiques et computationnels, d’autres informations. Les sciences cognitives définissent pareillement les capacités mentales du système nerveux central comme des moyens de traitement de l’information qu’elles enregistrent, transforment, élaborent en connaissances, informations en sortie. Et on étudie non pas les connaissances elles-mêmes mais le processus, la cognition, qui les rend causalement possibles. On est bien à étudier une fonction de la machine, et il s’agit d’informations comme dans la communication. Ces informations sont constituées de symboles, au sens large de la communication : un élément quelconque représente une information quelconque. Ces symboles entrant forment des représentations qui vont être additionnées, comparées, aspect computationnel, avec les différentes couches de représentation déjà existantes dans la fonction : connaissance immédiate, connaissances spécialisées, connaissances générales, croyances. Comme les 1 et 0 de l’ordinateur sont les représentations des portes ouvertes ou fermées de ses transistors, computés à l’ensemble des 1 et 0 présents dans sa mémoire.
Deux modèles se sont développés, le premier considère la fonction dans son ensemble avec des processus hiérarchisés, le second l’envisage comme un réseau de sous-ensembles spécialisés. On retrouve ces deux modèles en intelligence artificielle.
Les sciences cognitives se veulent à l’opposé du behaviorisme, mais aussi, bien entendu, de toute forme d’introspection, il s’agit de produire une modélisation objective et d’en mesurer l’efficience, pour cela d’ailleurs, il sera construit des échelles de mesure pour évaluer certains processus, mesures pouvant amener à la possibilité de calculs. Mais elles se veulent aussi à l’opposé des neurosciences qui se centrent sur l’organe, en termes informatiques, le « hardware », c’est-à-dire la matérialité de la machine, alors qu’elles seraient centrées sur le « software », les principes de son agencement, la fonction.
L’Intelligence artificielle, on l’entend, est une source importante de modélisations et de réflexions pour les sciences cognitives. Mais, elle présente une difficulté, qui se retrouvera semble-t-il avec les T.C.C, où elle se précisera. De cette difficulté résulte qu’elle n’existe pas. Et ce n’est pas moi qui l’affirme mais des spécialistes renommés d’informatique : Gérard Berri, professeur d’algorithmie au Collège de France, Jean Gabriel Ganascia philosophe et professeur d’informatique, Yoshua Benjio directeur de l’institut d’informatique de Montréal. Elle n’existe pas car ces machines, robots ou ordinateurs ne sont que des mécaniques matérielles, et l’intelligence qu’elles contiennent n’est que celle de leur concepteur, qu’ils soient électroniciens ou programmateurs. Pour eux, ils n’existent réellement que des automatismes de plus en plus perfectionnés. Une intelligence véritablement artificielle serait un programme capable de créativité, c’est-à-dire de produire un élément qui ne soit pas inclus comme possibilité, même infime, dans le programme lui-même. C’est aussi la question de la métaphore que j’énonçais avant. Non, pour ces spécialistes, la véritable question que posent ces automatismes, c’est la question éthique. Ainsi, pour un accident d’une voiture autonome, qui est responsable ? Le propriétaire, le constructeur ou la voiture elle-même ? La question a déjà été soulevée devant des tribunaux. Plus gravement le soulignaient ces spécialistes, qui va assumer la disparition possible de millions d’emplois remplacés par ces automatismes, ou l’interdire ? Qui va assumer la responsabilité de l’emploi de machines militaires autonomes ?
Du cognitivisme, dérivent directement les thérapies cognitivo-comportementales. Leur présupposé est celui d’un dysfonctionnement de la fonction cognitive d’où résulte le trouble du patient. Il s’agit donc de faire prendre conscience à celui-ci de ce dysfonctionnement et l’amener à le corriger. Déjà, ici, une remarque : le monisme dont se réclame le cognitivisme semble être remis en question de diviser le patient entre une fonction cognitive et un individu agent apte à le corriger. Les mécanismes cognitifs sont pour la plupart inconscients. Les T.T.C reposent sur l’hypothèse « que ce n’est pas l’événement qui est comme-ci ou comme- ça mais la représentation qu’on s’en fait », la cognition. On distingue trois strates cognitives : les cognitions et/ ou pensées, les biais cognitifs, les schémas de pensées. Ce sont les cognitions donc, les représentations, issues du traitement de l’information par les schémas de pensée et les biais cognitifs, qui sont dysfonctionnelles. Elles résultent donc du mauvais traitement de l’information par ces schémas de pensée et ces biais cognitifs. Les schémas de pensée, ce sont de façon large, notre façon de voir le monde, nos croyances, ce que j’ai pu nommer nos « lunettes à voir le monde », ce que Lacan rattache à la constitution de l’image spéculaire et aux fantasmes inconscients. Mais la différence, ici, est qu’il n’y soit rattaché aucun sujet, ni par son désir ou ni par ses identifications, ce sont des données. De même pour les biais cognitifs, que nous rencontrons souvent aussi dans notre clinique : loi du tout ou rien : « soit je suis génial, soit je suis nul », un détail comme preuve du tout : « il pleut, la vie est pourrie », la disqualification du positif : « on me complimente, mais c’est qu’on me connaît pas », etc… Ces biais sont conçus comme des erreurs logiques de modélisation de la machine amenant au traitement erroné de l’information en quoi consiste le trouble du patient, par exemple la dépression ou la phobie. On amènera le patient à prendre conscience de ces biais, par entretiens plus ou moins non directifs ou par auto-évaluation à l’aide de grilles d’observation, et à les corriger à l’aide de pensées, de cognitions alternatives apparaissant logiquement possibles, le biais s’en corrigeant. « Dans telle situation vous n’étiez ni nul, ni génial, mais moyen, or vous étiez heureux. Outre la question du dualisme étrangement rétabli, un élément important est celui de l’erreur. Elle résonne ici comme l’erreur de calcul d’un programme défaillant, d’avoir affaire à une machine. Elle exclut la faute, la culpabilité, aussi bien que la fiction. Si elle intègre un jugement, c’est le seul jugement d’existence. Nul jugement moral, encore moins d’auto-jugement. Cela peut résonner étrangement : Elizabeth Leftus, psychologue américaine, grande spécialiste des faux souvenirs, ayant contribué à l’arrêt de l‘épidémie de viols remémorés par des patientes il y a quelques années, racontait qu’Hillary Clinton durant sa campagne électorale rapportait qu’elle savait ce qu’était la peur d’avoir dû, lors d’une arrivée dans une capitale du Moyen-Orient, sous le tir de mitraillettes presque ramper de l’avion jusqu’aux bâtiments avec l’aide de ses gardes du corps. Or, disait Elizabeth Leftus, on sait que ce voyage s’est déroulé absolument sans encombre, voilà l’exemple même d’une erreur de la fonction cognitive. Erreur ? On avait décrit à Mme Clinton ce qu’il y aurait lieu de faire en cas d’attaque terroriste. Erreur. Erreur des associations cognitives. Erreur et/ou propos de campagne électorale ?
Cette dimension décrite de l’erreur mécanique excluant toute autre raison de méconnaissance, jugement moral, auto-jugement, est d’autant plus surprenante que ces thérapies justement semblent combattre ces même jugements à travers les réajustements des biais cognitifs, et des buts éventuels « d’affirmation de soi ». Combat comme méthode dans des thérapies associées comme la méditation de pleine conscience, si prisée par l’H.A.S qui la préconise très largement, où il s’agit pour le patient de s’abstenir de tout jugement, c’est l’ennemi, autre que du jugement de l’existence de « l’ici et maintenant » : information du présent. En fait, et du coup, cela la faisant ressembler fort à la consigne psychanalytique, la parole en moins : « laissez-vous aller, ne dirigez votre pensée sur rien, dites ce qui vous vient à l’esprit sans y porter de jugement ». Il y aurait beaucoup à dire sur toutes les thérapies qui s’avèrent être des reprises partielles de morceaux de pratique analytique.
Les neurosciences se définissent quant à elles d’étudier l’organe et non pas la fonction. L’origine historique, on pourrait la situer dans la phrénologie, de Gall, qui supposait pouvoir déduire l’importance du développement de régions cérébrales spécialisées de la forme du crâne des individus ; il nous en est resté des expressions comme avoir « la bosse des maths ». Il y eut ensuite les aphasies, Broca et Wernike, dont on découvrit qu’elles correspondaient à l’atteinte d’aires cérébrales précises. Aujourd’hui grâce à des appareils d’observations et de mesures de plus en plus précis, on peut visualiser les aires cérébrales de façon de plus en plus fine, et mesurer de façon de plus en plus nanométrique les diverses variations.de potentiel électrique, d’échanges chimique, de consommations d’oxygène, etc… Et selon l’objet ciblé auquel sont confrontés les individus dont on observe et mesure les différentes aires cérébrales, on parlera de neurosciences cognitives, affectives ou sociales. Ainsi Stanilas Dehaene, professeur de neurosciences au Collège de France, montre l’existence d’un centre de la lecture, ou examine le phénomène perceptif en montrant qu’il y a déjà une activation neuronale de certaines aires avant qu’il y ait conscience de la perception et lorsque le seuil de la conscience est atteint comment l’activation de ces aires se multiplie. Le Dr Catherine Gueguen, en neurosciences affectives, montre comment le stress déclenche la production de cortisol au niveau de l’amygdale cérébrale, lequel perturbe le fonctionnement de l’hippocampe intervenant dans la mémoire et l’apprentissage et aussi celui du lobe préfrontal, et préfrontal occipital, essentiels chez la machine humaine et qui la différencient de ses cousins, les grands singes. Autrement dit pour qu’un enfant apprenne bien, il ne faut pas qu’il soit stressé. Le maternage, les contacts doux, déclenchent au contraire la production d’ocytocine provoquant la sécrétion de dopamine, d’endorphine, de sérotonine, molécules liées au bien-être, au plaisir, à la créativité. Les neurosciences sociales ont découvert des neurones dits « miroirs » de ce qu’on observe l’activation de groupes de ces neurones à la perception de gestes semblables ou de mimiques semblables à ceux du sujet observé. De là à les supposer neurones de l’empathie, le pas a pu en être franchi dans certaines vulgarisations. Ce qui est à souligner, c’est peut-être que des intuitions, dans certains cas évidentes, « un enfant apprend mieux quand il n’est pas stressé » trouvent ici une confirmation au niveau même de l’organe, validée par un appareil de mesure. Toujours la notion de mesurable de la machine comme fondement de la consistance de réalité examinée.
Par ailleurs, il est bien évident que malgré leur déclaration d’hétérogénéité, les sciences cognitives et les neurosciences interfèrent et échangent entre elles de façon étroite s’occupant toutes deux, des deux abords du même objet.
Ce que je voudrais ici souligner, c’est que les neurosciences semblent elles aussi buter sur ce même élément que les sciences cognitives ou l’intelligence artificielle, c’est-à-dire ce qui pourrait s’aborder comme ce qui serait proprement humain dans la capacité métaphorique, ou dans ce qui a à voir avec, ce qu’on appellerait faute de mieux, conscience de soi, conscience réflexive. D’ailleurs dans les expériences que mène Stanilas Dehaene, où il parle de la conscience, c’est d’évidence de la conscience vigile, être conscient de sa perception, qu’il s’agit et non de la conscience de soi. C’est d’ailleurs une des butée de la démonstration cartésienne : le « Je pense donc je suis » n’est possible qu’à la condition qu’il y ait un autre « je » capable de constater ce « je pense », ce que Descartes omet pour la possibilité de sa démonstration, car le doute aurait pu porter aussi sur ce « je » divisé.
Une parenthèse : Dehaene parle d’un groupe de neurones spécialisé dans la lecture, mais il précise que c’est un groupe qui se spécialise lors de l’apprentissage de la lecture, et dont l’absence ne signifie pas une incapacité d’apprendre à lire mais que l’enfant n’a pas encore appris, ou n’a pas pu apprendre pour des raisons diverses. Ce groupe, préalablement spécialisé dans la discrimination des traits des visages, qui elle migrera vers l’hémisphère droit, est une conséquence de l’apprentissage pas une condition. Je cite ce fait parce qu’il est un exemple de la différence entre une démarche scientifique et la doxa médiatique-scientifique à laquelle on a affaire souvent y compris dans les quotidiens sérieux. Il y a quelques années, il y avait presque chaque semaine dans la rubrique scientifique du « Monde » une étude expliquant qu’on avait trouvé une anomalie génétique chez 6 autistes sur 10. Ces études ne comportaient aucune population témoin, or si les autistes sont 1% de la population générale, celle-ci aurait dû comporter 1000 personnes, et sachant que nous sommes tous porteurs d’anomalies génétiques, aurait dû être vérifié que les anomalies relevées dans ces études ne faisaient pas partie des anomalies ordinaires ? Or, depuis qu’il a été publié une étude scandinave sérieuse, il y a deux, trois ans, portant sur plusieurs milliers d’autistes, avec une population témoin en conséquence de plusieurs centaines de milliers de personnes, et qui avait pour conclusions que la proportion de probabilité héréditaire, génétique était de 50% et de 50% de probabilité environnementale, ce type d’articles d’études portant sur une dizaine d’individus a disparu. De même dans les années 90 de nombreux articles du même type étaient publiés pour montrer l’aspect génétique de l’homosexualité. Or une études portant sur des milliers d’homosexuels vient de conclure à l’absence totale de corrélation entre l’homosexualité et la dimension génétique. Il y a donc deux niveaux, celui de la doxa, des médias, et qui a peut-être à voir avec une certaine dimension idéologique, (croyance religieuse d’une vérité ?), et celui qui serait proprement de la science. Mais il semble que celle-ci actuellement fournisse peut-être les outils de celle-là. A savoir la prévalence de la calculabilité, du mesurable, du scalairisable du moyennisable. Ce que mettent en jeu ces différentes disciplines, ce sur quoi repose toute machine. Le scalairisable, c’est-à-dire de mettre sous forme d’échelle ce qui jusqu’alors n’était pas quantifiable, d’être des concepts, l’amabilité, l’empathie, etc…, par exemple, c’est ce qu’on voit à l’œuvre aussi bien en sciences cognitives qu’en psychiatrie avec les échelles du DSM. Mais ce qui s’est généralisé. Pour le moindre de nos achats, il nous est demandé de noter, de 1 à 5 ou de 1 à 10…. le restaurant où nous avons mangé, la peccadille que nous avons acquis. C’est cette calculabilité généralisée, il faut que tout soit calculable, que dénonce Bernard Stiegler, amène selon lui à une prolétarisation générale de la noosphère. Car cette calculabilité, par son principe même, amène à une réduction de la singularité. Celle-ci doit se mouler à être une unité. Or ce que nous ont appris les poètes, c’est au contraire que chaque être est unique et que c’est dans cet unique de l’être que se révèle sa présence. Que la sphère de la pensée soit appauvrie de cette réduction de la singularité, c’est probable. Et les sciences cognitives, dans leur calculabilité, dans leur rapport à la moyenne, arrivant à la définition d’un mode standard de pensée, de cognition, participent de cet appauvrissement.
Alors que vient faire ici la psychanalyse ? Va-t-elle faire objection ? Dénoncer cette calculabilité généralisée. Un dernier titre récent de quotidien: « La psychiatrie française implose ». Face au malaise généralisé des hôpitaux psychiatriques la réponse de la ministre est une rallonge budgétaire, calcul, pour plus de personnels, calcul, plus de lits, calcul. A aucun moment n’est remise en cause l’approche psychiatrique actuelle, où au dialogue, même naïf, « le parler pour ne rien dire », de l’infirmier et du patient se sont substitué des échelles d’évaluation, au diagnostic clinique né du dialogue du médecin de son patient est venu s’interposer un diagnostic, scalairisé, quasi automatique et impersonnel de type DSM.
Alors la psychanalyse va-t-elle faire objection, rappeler que ce sur quoi semblent buter ces disciplines a sans doute à voir avec le sujet divisé, non unitaire justement, qui est au centre de ses préoccupations ? Va-t-elle retrouver la virulence que savait avoir Freud face aux adversaires de la psychanalyse ? En ramenant certains à leur fantasme, d’autres au sophisme de leur logique, cf. Popper.
Ou au contraire va-t-elle tenter, à se vouloir du côté de la science, même sans s’y confondre, à se mettre à la calculabilité ? On pourrait comprendre ainsi les mathèmes de Lacan, ainsi que sa topologie, y compris borroméenne, la topologie étant une part entière des mathématiques. Tentant ainsi de faire entrer la psychanalyse dans la machine.
Ou encore, faut-il penser la machine, car étant matérialiste, on ne peut qu’y être attaché, comme étant pourvue d’organes exosomatiques ? Des organes faisant partie d’elle, mais pas de son corps, qui le prolongent, l’amplifient, lui donnent des possibilités que, par lui-même, il n’a pas. La moitié de l’humanité a un smartphone dans sa poche, par exemple. Par cet organe exosomatique elle peut communiquer aux quatre coins du globe. Communiquer plus que parler d’ailleurs, d’où l’importance des sms. Mais il est d’autres organes essentiels à la machine humaine, exosomatiques, et indispensables, sans lesquels elle ne pourrait pas se développer et être ce qu’elle est, et qui sont au fondement même de la possibilité psychanalytique. Je pense bien sûr au langage, en ses caractéristiques proprement humaines, et aussi à l’Autre, de l’Autre primordial, maternel par exemple, à l’Autre surmoïque. Il peut en être d’autres. Alors faut-il modéliser la machine en y incluant ces organes exosomatiques. Ceux-ci d’ailleurs pouvant éclairer ce sur quoi butent les autres disciplines : la créativité, ou la conscience de soi, ou le sujet divisé… Mais comment alors formaliser, modéliser ces organes, leurs fonctions, pour pouvoir les penser dans des échanges forcément calculables, la machine toujours, avec les autres organes ? Et si cela est réalisable, n’y a-t-il pas, pour être exact, à préserver cependant une singularité, un incalculable, qui existe même en mathématiques, (cf. Gödel), au sein même de la machine ?

J.J.L Poitiers 21 09 2019