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Le risque d’une déshumanisation des prises en charge tant en médecine qu’en psychiatrie


Michel Robin

La vaste question de la santé est en rapports étroits avec les caractéristiques même du discours social. Dans son livre, "Les couleurs de l'inceste", Jean-Pierre Lebrun montre comment s'origine cette question à partir de ce qui est perçu dans les débuts de la vie familiale et les conséquences sur le fonctionnement d'une société néo-libérale. Il nous dit : "Le Oui n'a de place que si la possibilité existe pour le sujet de dire Non. La mécanique du néolibéralisme sera d'annuler cette négativité et de s'assurer ainsi qu'il ne pourra qu'être dit Oui à ce qui est proposé". L'auteur montre qu'à l'origine, c'est la distance prise avec la mère, sous l'effet de celui qui est en place d'exception (le plus souvent le père) qui permet à l'enfant, puis plus tard au sujet d'exprimer un écart, une distance voire un "Non" vis-à-vis de ce qui lui est proposé; écart qui accompagne l'entrée du sujet dans le langage. Si on ne dit pas parfois "Non" à la mère, on risque de ne pas dire "Non" à la mère - société néo-libérale. Ainsi la faillite de ce système, de même que l'érosion progressive de la place d'arbitre du médecin, conduit de plus en plus à une acceptation sans critique des traitements et ce d'autant plus que les chiffres, et donc ce qui est considéré comme scientifique, sont invoqués d'une façon qui ne souffre aucune contestation. Trop souvent, tout ce qui concerne le corps, du fait des nécessaires approches scientifiques, ne peut être discuté. Comme le dit Charles Melman dans sa conférence "Le corps sur le divan" : "le rapport au corps est inséparable du discours de la maîtrise". Et c'est cette façon d'envisager les choses, qui a tout le temps, influencé l'action médicale et conduit, à juste titre, à la recherche des causes, d'une classification des différents troubles et d'un traitement approprié.

 Mais le côté très systématique du phénomène conduit à quelque chose d'excessif où l'on pourrait schématiquement décrire deux étapes :
- d'abord soulager les malades, déterminer ce qui se passe en précisant les maladies, leurs causes, leurs traitements éventuels.
- puis dans une étape plus récente une poursuite de ce travail avec en plus un inventaire de tous les troubles de l'être humain conduisant à une multitude de traitements donc à un énorme marché.
La caricature alors de l'action médicale et pharmaceutique est une sorte déroulement obligatoire et presque réflexe : trouble - étiquetage - traitement. C'est ce qui a conduit au DSM dans le domaine psychiatrique mais c'est ce qui se voir aussi dans le domaine du corps. Le DSM, en ce qui concerne les problèmes psychiatriques, comme tout ce qui conduit à des diagnostics rapides concernant les problèmes du corps, pose un problème théorique général : celui de l'étiquetage et de ses implications. Ainsi, mettre une étiquette, phénomène inséparable de ce qui se relie au discours de la maîtrise, conduit à une démarche qui pose problème même si, bien sûr, il est nécessaire de se poser la question d'une maladie sévère impliquant un traitement. C'est là qu'on peut évoquer l'expérience médicale, la position classique du médecin, comme étant celle d'un arbitre entre la nécessaire action rapide et la réflexion. Cette position d'arbitre, dans le contexte néo-libéral actuel, est de plus en plus difficile à tenir.

Certaines discussions "théorico-scientifiques" sont perdues dans diverses façons de soutenir la prédominance d'un produit sur un autre pour une bataille commerciale qui ne prend en compte d'aucune façon les avantages pour celui auquel il est prescrit. La science se situe dans une exigence de ce qui est exact et inexact mais elle n'a rien à faire du côté de l'éthique, laquelle est le fait de ceux qui en recueillent les données. L'envahissement de l'expérience médicale par des considérations financières et commerciales n'est pas le fait des scientifiques eux-mêmes et s'est fait en plusieurs étapes. Ainsi, une étape importante a été la remise en cause des données cliniques comme étant non scientifiques et donc sujettes à caution. Du côté de l'humain, y compris concernant certains phénomènes somatiques, il y a de nombreux phénomènes qui ne peuvent pourtant être ramenés à la science et aux chiffres et ce sans évoquer pour autant des données ésotériques voire magiques. La psychanalyse nous en donne des exemples comme ce que Lacan évoque dans la leçon du 18 mars 75 du séminaire RSI en disant : 'il n'y a pas d'élaboration logicisable et du même coup mathématisable du rapport sexuel". Ainsi, la question du désir et de la jouissance ne peut comme beaucoup d'autres éléments qui touchent à l'humain, être ramenés à des données scientifiques et chiffrées. Même si ces données sont importantes dans la prise en charge de maladies sévères, il s'agissait de s'emparer de tout ce qui fait symptôme, de tout ce qui souffre chez l'être humain pour en faire un gigantesque marché et faire en sorte que le diagnostic clinique échappe au médecin et à sa position d'arbitre entre la clinique et les données scientifiques. Dans un texte Gérard Pommier parle de "la chute du patriarcat, dont la légitimation religieuse est pulvérisée par les avancées de la science". C'est un résumé rapide où Pommier semble confondre trois registres différents. Il ne s'agit ni de rétablir le patriarcat ou la religion, ni de remettre en cause les avancées nécessaires de la science. Les données scientifiques par elles-mêmes ne supposent ni philosophie, ni croyances, ni éthique. Elles nous précisent ce qui est exact ou inexact. Ce qui est observé ensuite ce sont des "effets de discours". Le discours de ceux qui vont se servir des données scientifiques.

Les messages du corps Ce que le sujet en perçoit et en fait Les messages qu'un sujet perçoit comme venant de son corps sont nombreux et variés ; certains d'entre eux deviennent pour le sujet des symptômes. Ce terme même suppose déjà une certaine fixation et fait redouter parfois une certaine gravité. Il y aurait là une reconnaissance, quelque chose de déjà ressenti. L'esprit est alors fixé sur le symptôme. On cherche une cause, une maladie et dans cette démarche la clinique peut orienter et des explorations plus scientifiques peuvent être utiles. Mais pour tout sujet il est important de s'interroger et de connaître aussi les messages du corps comme pouvant traduire, entre autres, les inquiétudes de chacun. La répétition de ces messages est aussi à prendre en compte comme ce qui traduirait le refoulement d'un sens du message et conduirait à sa fixation en symptôme somatique. Ainsi le refoulement vers l'inconscient est aussi un refoulement vers le corps avec des effets perceptibles. Phénomènes dont Charles Melman fait remarquer qu'il se produit de plus en plus souvent au cours de ce qu'il a appelé "la nouvelle économie psychique". C'est aussi ce qui peut nous rappeler que Lacan a pu, en certaines occasions, proposer l'idée que "l'inconscient c'est le corps". Ces phénomènes somatiques peuvent conduire aux mêmes erreurs que celles rencontrées pour la vie psychique, c'est à dire répondre à chaque symptôme par un médicament approprié et répondre ainsi à une demande résultat immédiat. On se trouve en face de ce que dans le discours de la médecine classique on pourrait appeler symptôme "organique" traduisant une maladie. Dans sa lettre à Jenny Aubry, Lacan dit que le symptôme somatique donne le maximum de garanties à la méconnaissance de l'objet a . Ainsi, pour l'être humain quelque chose se trouve ainsi détourné de ce qu'implique l'objet cause du désir. Ce qui n'est pas sans pouvoir être rapproché de ce que Martine Bonamy, dans un article, a pu pointer comme "doux-leurre". Et c'est en cela que le symptôme traduit la vérité du désir du sujet. Ce qui est impliqué alors c'est une demande tournée vers un autre, en règle un médecin, lequel est appelé pour tenter de surmonter cette question qu'implique la vérité. L'attitude du sujet pourrait être traduite ainsi : "cette question de la cause de mon désir, je n'en veux rien savoir".

Le médecin se trouve alors comme toujours dans une position d'arbitre difficile et qui lui est de plus en plus contestée entre ce qu'implique le traitement d'une maladie avérée et le fait de tenir compte d'un symptôme exprimant la vérité du sujet. Cette vérité qui s'exprime par le corps implique aussi la question phallique et une pathologie bien connue, l'anorexie, pose cette question de façon évidente. Pour l'anorexique la voie de l’assomption du phallus et du complexe de castration est fermée et cela au profit d'une jouissance de type "jouissance autre" au cours de laquelle les effets corporels de la nourriture, aussi bien dans l'immédiat que dans ses effets sur le corps à plus long terme sont décrits comme tellement insupportables et avec une telle intensité, qu'ils suggèrent une forme de jouissance. Ce double aspect, à la fois corporel et psychique, tellement évident et radical dans l'anorexie, peut être retrouvé à l'occasion de certains symptômes, décrits eux aussi comme insupportables et pouvant être entendus avec le même aspect de jouissance ; sans la radicalité perçue au cours de l'anorexie mais avec la question du phallus et de la castration impliqués là aussi. Si les avatars de la phase phallique et du complexe de castration conduisent à des symptômes phobiques voire de nature perverse ou fétichiste, on peut retrouver certaines équivalences dans les manifestations corporelles d'un sujet. Certains symptômes sont ainsi redoutés comme la répétition d'un peur phobique ou parfois mis en avant dans une idée de démonstration de type fétichiste. En réponse à Gérard Pommier on pourrait dire que corps et esprit parlent la même langue : celle de l'inconscient. Dans l'optique d'une langue commune esprit et corps, il faut citer les expressions langagières où l'évocation du corps évoque, voire constitue, la métaphore d'une disposition psychique. Elles sont nombreuses et nous pouvons citer à titre d'exemples : "j'en ai plein le dos", "tu me casses les pieds", "il a la dent longue", il n'a pas froid aux yeux", "ça me fait une belle jambe" ... Si esprit et corps parlent la même langue, la prise en charge d'un symptôme corporel ne doit pas faire oublier la vérité du sujet qui s'exprime et inversement on ne peut pas non plus oublier le corps et ses "doux-leurres" et se contenter d'éclaircir ce qui a pu provoquer les symptômes. Cette position du médecin orienté vers les deux aspects tend à disparaître. Il reste dans ce domaine à insister sur la nécessaire présence du sujet lui-même. Jean-Pierre Lebrun a bien montré que la présence du sujet à son propre dire est rendue difficile car la division subjective que suppose sa condition de PARLETRE est mal supportée. On peut y ajouter une présence difficile du sujet à son propre corps, aux messages venus du corps avec dans tous les cas le risque de se trouver avec de plus en plus de symptômes. Cette façon d'aborder le corps et ses symptômes et le rejet que souvent ceux-ci provoquent chez un sujet, oriente aussi vers la question des addictions qui, pour la plupart, ont des effets sur le corps ; comme une fuite des messages du corps eux-mêmes témoins de refoulements : ce qui est une façon de dire encore : "je n'en veux rien savoir". Phénomène qui n'a rien de "contemporain".

La dictature des chiffres La question d’une médicalisation excessive de tout ce qui est de l’humain ne se pose pas seulement pour les événements de la vie psychique mais aussi pour les manifestations du corps. Tout n’a pas à être renvoyé du côté des tests et des chiffres. Il faut en connaître les différents aspects. Du côté du corps il faut remarquer que pour beaucoup d’entre nous, une manifestation traduit quelque chose d’étranger. C’est même là l’idée première : cette étrangeté venue d’ailleurs qui fait aussitôt évoquer une possible maladie. Pourtant notre corps se manifeste sans arrêt, comme notre vie psychique d’ailleurs ; alors comment se familiariser avec ses manifestations sans pour autant faire intervenir très vite les chiffres et la science. La science elle-même pourrait être envisagée autrement c’est-à-dire comme ce qui permet de comprendre ce qui se passe et d’apprécier s’il faut intervenir et comment. La science n’a pas de morale ou d’éthique ; elle n’est basée que sur la question de ce qui est exact ou inexact. L’éthique est le fait de ceux qui l’utilisent. Aurait-elle été peu à peu « colonisée » par les intérêts économiques ? Classiquement, le médecin était là pour préciser ce qui nécessite un recours à la technique mais il a été de plus en plus court-circuité avec en plus la crainte de l’erreur coupable. Il n’est pas question de remettre en cause la nécessité de se baser sur certains chiffres pour soigner quelqu’un. Un patient atteint de diabète, par exemple, doit savoir où en est son taux de glucose dans le sang. La question est plutôt de savoir quel rapport nous allons entretenir avec tous ces chiffres. Ce sont des points de repère indispensables dans de nombreux cas mais sous prétexte d’une utilisation rigoureuse, il ne s’agit pas d’oublier qu’il y a là une personne, un sujet dirions-nous, personne qui n’est pas la même que toutes les autres personnes. La rigueur des chiffres ne doit pas effacer nos différences et c’est à cette place là que la médecine se situe. Il ne s’agit pas d’oublier d’écouter et d’examiner cliniquement au risque de voir la relation aux chiffres se radicaliser. Ce qui était une aide pour comprendre devient alors un système uniformément imposé à tous.
 
C’est ainsi qu’il y a quelques années il avait été envisagé de faire baisser, à l’aide de traitements, la pression artérielle d’une grande partie de la population pour tenter de diminuer la fréquence des accidents cardiaques et cérébraux. Envisagé ainsi cela donnait l’impression qu’il fallait surtout faire travailler l’industrie pharmaceutique. Quels que soient les troubles dont se plaint une personne, il semble qu’il faut avant tout faire un bilan chiffré avant même d’écouter son histoire et de faire un examen de base. Toutes les instances, qu’elles soient locales, nationales ou internationales, semblent préoccupées par la définition de normes chiffrées, avant tout destinées à ne prendre aucun risque. Prendre un peu de temps, écouter, examiner, cela s’appelle la « clinique » et l’effet d’un manque d’attention à la personne est aussi d’empêcher cette personne de prêter justement attention à elle-même ; c’est à dire d’empêcher le travail d’autocontrôle, d’auto- attention dont les effets peuvent même être thérapeutiques ; travail qu’il est souhaitable de favoriser plutôt que d’en détourner le sujet. Nous ne savons pas encore très bien jusqu’où le psychisme peut avoir une part d’effet thérapeutique. A l’inverse, s’en remettre excessivement aux chiffres c’est s’en remettre à l’autre et renoncer à avoir un certain effet sur soi-même ; un peu comme si derrière les chiffres le corps de la personne était en quelque sorte déshabité. Ceci est un des effets de l’effacement de la clinique. Redisons que s’en remettre à l’autre, c’est renoncer à avoir un certain effet sur soi-même. Bien sûr il ne s’agit pas de refuser toute approche scientifique et chiffrée. Ce qui est en cause c’est de créer, par un recours à trop de technique, une sorte de démission de la part du sujet. Cette démission du sujet devant les problèmes que lui posent les symptômes corporels a toujours existé. Démission infantilisante qui consiste à s’en remettre à l’autre ; quand ce n’était pas le médecin, c’était le sorcier ou le guérisseur.

Il s’agirait plutôt de faire que l’attitude soit une prise en charge de soi-même, quitte parfois à se dire dépassé et à faire appel à la science de l’autre. Faire immédiatement appel à la science et aux chiffres conduit à une façon de percevoir le corps comme déshabité ; on pourrait même dire abandonné, source de symptômes perçus comme totalement incompris, étrangers. Alors, quand ce corps se manifeste le sujet renonce à y entendre quelque chose et dit seulement : “Ah, moi, je ne suis pas médecin”. Les chiffres sont aussi présents dans le phénomène énorme de l’industrie pharmaceutique avec indirectement un impact sur la santé. Il ne s’agit pas de priver les patients de soins mais de réfléchir au phénomène et d’en induire une approche qui ne soit pas qu’une question économique. Derrière les défis de la science où est la déficience ? Elle est dans l’oubli de l’humain, dans l’oubli que nous sommes des êtres de parole et de langage et que nous sommes traversés par des désirs et des affects. Nous sommes aussi constitués d’un corps dont la présence est la condition nécessaire à toute jouissance. Là aussi, dans cette question de la jouissance, les chiffres ne sont pas à même d’en rendre compte, et pourtant corps et jouissance sont concernés chaque fois qu’il y a symptôme ou maladie, et qu'au-delà de la question d’une éventuelle maladie à traiter (ce qui n’est pas toujours le cas) le symptôme exprime une vérité qui ne peut, ni être refusée, ni être négligée, au risque de voir cette vérité ressurgir ailleurs. On peut même tenter de faire la distinction suivante : les chiffres sont du côté du savoir et même s’il ne s’agit pas de les oublier, le symptôme, lui, est du côté de la vérité du sujet. Il faut aussi rapprocher cette question des chiffres de ce qui, dans le domaine de la vie psychique, est exploré par des tests. Il y a là une tentative de se rapprocher de l’illusion scientifique que donnent les chiffres. Ainsi des patients adultes ou enfants passent des tests et se retrouvent rangés dans une catégorie qui a très vite pour conséquence un traitement médicamenteux. Là encore l’écoute, la réflexion, la clinique sont supplantées par ce qui semble avoir une allure scientifique.

Les chiffres comme les tests sont trop souvent investis comme ce qui permettrait d'éviter la perte inéluctable liée, dans toute activité humaine, au passage par le langage. Déclarer cette perte inéluctable ne veut pas dire s'y résigner mais plutôt savoir qu'il faut faire avec ce réel, ces doutes, ces imprécisions. Ce qui est proprement humain, c'est justement de réduire le plus possible l'imprécision d'une activité, quelle qu'elle soit, tout en sachant que forcément elle existe.

La santé présentée avec une idée de perpétuelle menace Dès l'instant où, dans la situation habituelle, il s'agit de nier toute perte liée à notre entrée dans le langage, du coup, il ne s'agit plus seulement de s'appuyer sur la science pour réduire les inévitables imprécisions mais plutôt de dénoncer toutes les imprécisions et d'en faire une perpétuelle menace. On est ainsi passé d'un discours qui semblait dire, à propos de la santé, qu'il faut "veiller au grain", à un autre discours qui induit une perpétuelle peur de la maladie. C'est cette inversion de l'énoncé du discours dont Jean-Pierre Lebrun parle dans son livre : "Les couleurs de l'inceste". Les effets de cette peur largement répandue permettent de mieux encore manipuler ceux qui y sont sensibles. Il ne s'agit plus de quelques conseils que chacun peut entendre pour préserver sa santé mais de faire le catalogue de ce qui partout peut être un risque presque inévitable ; d'où la recherche aussitôt de ce qui peut être une protection voire un traitement. Le discours largement répandu de la menace s'éloigne donc des lois de la parole et du langage qui sont d'accepter que les signifiants opèrent avec une perte (le réel). Si ce fait n'est pas accepté, tout doit alors opérer sans reste, c’est à dire sans qu'il y ait du non maîtrisable d'où l'idée de la menace constante que laisse planer le réel, quelles que soient les avancées scientifiques. Cette réalité incontournable est alors mise en avant pour mieux manipuler l'opinion. La menace est exprimée dans les médias et aussi par ce que disent beaucoup de nos contemporains sur toutes les questions de santé. Si on prend l'exemple des différentes infections dues aux bactéries ou aux virus, leur présence est perpétuellement présentée comme ce qui sans cesse pourrait nous tomber dessus. Il faudrait se méfier de tout et de tout le monde et au lieu de conseiller quelques règles d'hygiène, il n'est pas rare de créer une sorte de panique. Pourtant notre peau comme notre tube digestif sont recouverts de ces germes et leur présence est même nécessaire. A l'inverse il est inutile, voire dangereux de vouloir tout désinfecter alors qu'il n'est pas exclu que leur présence permet de développer l'immunité.

On retrouve une approche identique en ce qui concerne les produits chimiques et autres pesticides. Il ne s'agit pas de nier leur danger et d'oublier de lutter contre leur présence, mais là encore, il ne s'agit pas pour autant de faire naître une peur. A la façon dont les choses sont présentées cette peur envahit facilement les esprits. En fait, les risques réels sont présentés comme quelque chose contre quoi l'être humain est démuni, voire impuissant. Concernant tous les risques de maladies, la présentation est la même devant des risques souvent présentés comme inévitables à des humains démunis qui doivent se retrancher derrière les progrès des techniques et de la science pharmaceutique. Nous ne discutons pas le recours à toutes ces techniques mais du discours qui les présente et les impose presque à tous. Jean-Pierre Lebrun dans son livre "Les couleurs de l'inceste" reprend ainsi la façon dont opèrent les médias : "Cette force nouvelle qui hier, n'existait pas comme telle, celle de la course à l'immédiat, vient en effet bien de l'extérieur, via un discours social qui ne donne plus sa place à l'exigence du détour, qui ne soutient plus la prescription de différer, qui en revanche promet le "tout, tout de suite". Et, ajoutons, qui pourra faire alliance avec une part du sujet, justement celle qui refuse de consentir à ce qu'exige l'humanisation. Dans le domaine plus spécifiquement médical, nous pouvons dire que le médecin a perdu ainsi sa place dans la réflexion, dans l'exigence du détour, dans l'exigence du différer mais s'est vu imposer une place de super-technicien qu'il s'efforce bien sûr d'occuper au mieux. Quel que soit le domaine de spécialité médicale cette fameuse présentation de la menace a joué son effet. Il ne s'agit plus de faire ce qu'il faut pour pouvoir dire à un patient tout ce qui a pu être éliminé et qui n'est donc plus à craindre, mais plutôt de faire la liste de ce qui , de toute façon, le menace ou le menacera bientôt. Redisons à nouveau qu'il s'agissait d'abord d'éviter les facteurs extérieurs pouvant causer une maladie, puis il s'est agi de guetter l'apparition de cette maladie par des explorations régulières et maintenant il y a plus : il faudrait redouter ce qu'on ne sait même pas comment guetter, ni par quelle exploration (en sachant que des techniques soit- disant "nouvelles" vont nous être proposées). Nous en arrivons un aspect menaçant encore plus difficile à appréhender : ce qui est inscrit dans nos gènes.

La génétique ayant énormément progressé, il est devenu possible de prévoir certains risques de façon non absolue mais comme quelque chose de possible. Ici encore ces avancées peuvent être tout à fait bénéfiques mais tout dépend du discours que les résultats de ces études vont susciter. Et malheureusement très vite la menace qui pèse sur les patients semble prédominer ; ce qui vient poser une question fondamentale sur les rapports de notre cerveau et de notre corps. Qu'en est-il pour quelqu'un, sur qui pèse la menace d'une maladie grave voire, au pire, mortelle. L'incertitude et la menace semblent devenir plus lourdes alors même que nous sommes dans une période de grandes avancées scientifiques. Répétons-le, c'est la façon dont les choses sont reprises dans le discours qui circule partout, qui génère l’inquiétude ; alors que les progrès de la science pourraient peut-être nous rassurer et au contraire atténuer l'idée de menace qui pèse sur notre santé.

Que veut dire ”Comprendre” ? Dans son livre ”L’homme et son cerveau”, Catherine Morin montre que la question du psychisme humain a pu être abordée à la fois sous l’angle des neurosciences et par l’expérience psychanalytique. Pourtant ce livre donne l’impression que ces deux voies sont très difficilement complémentaires. La nature des réponses obtenues est évidemment très différente en fonction de la façon dont les questions sont abordées. Une recherche scientifique peut apporter des éléments ou des confirmations à d’autres recherches de même type et du côté psychanalytique des séances avec un patient précisent peu à peu ce qui a déjà pu être abordé. Mais il s’agit d’approches qui ne semblent nullement pouvoir s’étayer l’une l’autre... L’une du côté des données scientifiques expérimentales, l’autre du côté du langage et de la question du désir humain. Même si ces données viennent s’insérer du côté registre symbolique, comme le résultat de différentes interrogations et confrontations au Réel pour autant elles restent encore dans des domaines différents. Quelle que soit l’approche envisagée, si nous nous référons aux registres du Réel et du Symbolique, un rouage type noeud baronéen est pourtant possible et fait intervenir à chaque fois et pour tout type d’approche ce que nous appelons la compréhension, c’est à dire la notion d’Imaginaire dont Lacan nous dit dans RSI (leçon du 10 Déc. 1974) ”que le départ de celle-ci est la référence au corps”. Sans lui donner une connotation péjorative, il y a intervention du registre Imaginaire quand on parle de la compréhension des phénomènes observés. D’où un rouage. Compréhension I R S (science et langage) Cette compréhension acquise sur les différents troubles de l’humain est une étape nécessaire mais qui peut conduire à des impasses. Elle conduit à ce qui semble un raisonnement sans défaut puis à un traitement de façon presque automatique. C’est à dire qu’une fois le sens énoncé (I sur S), il est très difficile de le remettre en cause. Nous sommes passés d’une énonciation sous la forme prudente suivante : ”tout se passe comme si il se produisait tel ou tel phénomène” à une énonciation beaucoup plus rigide sous la forme : ”les scientifiques nous disent que les choses se passent ainsi”. Pour terminer il parait important de revenir sur deux situations cliniques décrites par Charles Melman dans la 3ème de ses conférences ”Le corps sur le divan”. Il s’agit d’une part d’un torticolis spectaculaire et d’autre part de contractures invalidantes de l’épaule et du bras qui vont céder lors de la démarche analytique. Melman parle de quelque chose dont on n’arrive pas à se débarrasser qui s’exprime dans un domaine moteur et non pas idéique : symptôme du corps lié à un effet de langage et curable par le langage. C’est là tout l’enjeu de beaucoup de symptômes corporels et de leur lien au langage et toute l’importance de la prise en compte de cette clinique.