Il
semblerait qu'il nous faille, pour être dans un certain air du temps,
c'est-à-dire politiquement correct, nous apprêter à devoir porter
plainte contre les divers auteurs de contes pour enfants : Grimm,
Perrault, et leurs successeurs jusqu'à aujourd'hui, en particulier tous
ces auteurs de dessins animés dont nos télévisions sont si friandes à
abreuver nos enfants. Depuis la marâtre de Blanche Neige ou les parents
défaillants du Petit Poucet, combien de figures parentales ou leurs
succédanés, (c'est-à-dire des adultes devant amour, protection,
attention à des enfants), ont été décrites comme cruelles, violentes,
rejetantes, voire homicides, dans ces contes et autres dessins animés ?
Car c'est de cela qu'il s'agit.
Lorsqu'on voit que dans un film, « Le mur », il est fait un montage tel
qu'un fantasme enfantin, dont l'image de la « mère crocodile » est une
illustration théorique et humoristique issue de l'enseignement de
Lacan, est présenté comme l'opinion réelle de la psychanalyse
concernant les mères réelles; on peut s'inquiéter des contes et des
dessins animés.
Une telle lecture, car le montage d'un réalisateur témoigne de la
lecture qu'il fait des éléments qu'il expose, fiction, documentaire,
actualité, revient à considérer que, pour l'auteur de Blanche Neige,
toute mère est un assassin potentiel réel de sa fille, si elle la
trouve jolie. Or quelle mère ne trouve pas sa fille jolie ?
C'est pourtant une telle lecture qui a été présentée, en son temps, sur
la page d'accueil du site France autisme comme preuve irréfutable
concernant le rôle des mères réelles selon la psychanalyse ! Or cette
association a fait partie du lobbying intensif, à partir d'une telle
lecture, ayant abouti à l'avis de la H.A.S de non recommandation de la
psychanalyse dans le traitement de l'autisme. Avis repris tel quel par
des ministres de la santé! Sans consultation des pourtant nombreuses
équipes pluridisciplinaires, c'est-à-dire composées de pédagogues,
d'orthophonistes, d'éducateurs, de psychomotriciens, de
pédopsychiatres, de psychologues, qui, quelle que soit leur orientation
théorique, ont à se confronter au problème de l'autisme.
Jusqu'au glissement actuel où une A.R.S décrète autoritairement quelle
est la bonne ou mauvaise formation pour des soignants sans tenir compte
de l'avis de l'équipe pluridisciplinaire dont ils font partie. Cf. le
document ci-joint.
Tout ceci fait preuve d'une telle confusion, et pas seulement des
dimensions fantasmatiques et réelles comme indiqué, d'une telle
opacité, d'un tel enjeu d'idéologies et de rumeurs, etc., que nous
avions renoncé jusque-là à nous exprimer.
Mais devant l'accumulation d'opinions, d'éléments témoignant d'une
telle méconnaissance de la théorie et la pratique psychanalytique, il
semble nécessaire de rappeler quelques points.
Tout d'abord concernant la théorie.
Lorsque Kanner, il y a plus de 50 ans, isole le syndrome autistique
parmi l'ensemble de ce qui serait aujourd'hui appelé les T.E.D, c'est
sans doute armé de quelques concepts et approches psychanalytiques.
Cela lui permet, à partir de la position subjective des enfants qu'il
rencontre, de distinguer, parmi ceux-ci, un groupe qui semble se
caractériser par une grande difficulté, voire une impossibilité de
relation, de communication avec autrui, besoin d’immuabilité de
l’environnement, et par une difficulté de symbolisation, laquelle est à
la base de la communication verbale, mais pas seulement, et des
apprentissages. Il en impute alors la responsabilité aux mères réelles.
Mais comme il est rigoureux, 10 ans plus tard, il revoit ces enfants
ayant grandi, afin de noter leur évolution, qui s'avère variable selon
les formes d'autisme. Mais surtout, il constate son erreur concernant
les mères. Cela apparaît beaucoup plus complexe que ça. Les
psychanalystes, pour la plupart, ont peu ou prou suivi l'évolution de
Kanner. Du simplisme d'une remise en cause maternelle, ils en sont
venus à considérer les particularités de la fonction maternelle.
Celle-ci se caractérise par les interactions entre l'enfant et sa mère,
ou plus précisément le personnage maternel, lequel est le plus souvent
la mère mais pouvant être aussi le père, un membre de la famille, un
autre adulte également...
Ceci permit de percevoir, entre autres, qu'il y a différentes formes
d'installation et de présentation du syndrome autistique, massives et
d'emblée, ou plus progressives avec quelques signes d'interactions
possibles, voire d'abord intermittentes... Et qu'il y a donc nécessité
d'éclairer et de soutenir les parents, dans leur guet des possibilités
d’interaction, les mères surtout, qui peuvent désespérer de ce que
leurs soins, leur amour, leur attention reste sans écho chez leur
enfant. D'où la nécessité d'un diagnostic précoce. Et ce fut un
plaisir, que parmi les diverses recommandations de l'H.A.S, qu'a
contrario de celle visant la psychanalyse, soit enfin recommandé un tel
diagnostic. Voilà 15 ou 20 ans que de nombreux spécialistes, parmi
lesquels des psychanalystes, réclame la mise en place de la possibilité
d'un diagnostic précoce. Il faut espérer que les A.R.S feront montre de
la même autorité concernant cette mise en place que celle montrée
concernant les formations qui ne sont pas de leur responsabilité. Il
existe des pays où sont distribués dans les salles d'attente des
pédiatres des questionnaires, s'adressant aux mères de jeunes enfants,
très simples, très courts, trois ou quatre questions suffisent, à y
répondre par oui ou par non, concernant les signes précoces de
l'autisme, (absence d'échange de regards lors de l'allaitement, des
soins, absence de suivi du regard des personnages familiers, intérêts
prépondérants pour les objets inanimés, etc...).
Second rappel, concernant la pratique psychanalytique.
Pour résumer celle-ci de façon la plus générale et la plus concise
possible, c'est l'aide apportée par le thérapeute, ici le
psychanalyste, à un individu concernant sa souffrance subjective.
Celle-ci, nous l'avons signalé, dans le cas de l'autisme, se
caractérise principalement par les difficultés, voire l'impossibilité,
d'entrer en relation avec autrui et de communiquer avec lui, et par les
difficultés de symbolisation afférentes, une crainte du changement.
C'est de cela qu'il s'agit dans la pratique véritablement, et pas
seulement psychanalytique, mais aussi bien pédagogique, éducative, et
quelle que soit l'orientation théorique. Comment aider des personnes,
des sujets, atteints d'une telle souffrance dans la réalité de celle-ci
? Car ici comme ailleurs, il faut bien supposer un sujet, pour penser
une relation, un désir de communication, ou d’apprentissage. C'est cela
la véritable question pour la pratique, et non la recherche d'une
quelconque cause. Que celle-ci soit attribuée à la mère, aux gènes, à
la conjonction des planètes ou à la température ambiante, ne change
strictement rien à cette question et à la pratique qui doit en
découler. À cette pratique, cette problématique de la cause apparaît
étrangère, voire superfétatoire.
Concernant cette pratique, et malgré la méconnaissance dont elle semble
être l'objet, la psychanalyse a élaboré des conceptualisations
théoriques de la relation à l'autre, de la subjectivation, et de la
symbolisation, et qui sont susceptibles de grandement l'éclairer. (À ce
propos, dans le cadre de cette pratique, l'image de la « mère crocodile
» ne concerne ni la mère, ni l’enfant, qui, même s'il peut en avoir les
éléments d'angoisse correspondants, n'en a certainement pas l'image
consciente, mais bien plus le thérapeute comme mise en garde : qu’il ne
soit ni intrusif, ni envahissant, mais au contraire circonspect dans
cette relation si délicate à l'autre que lui-même représente).
Quant à la cause, même si on peut déplorer qu'elle vienne occulter ce
dont il s'agit dans la pratique, la souffrance subjective des personnes
autistes, on ne peut qu'espérer qu'elle soit mieux cernée. Qui ne
l'espérerait ? Qui n'espérerait, que dans un avenir plus ou moins
proche ou lointain, une possibilité de thérapie génétique vienne à
diminuer les risques d'une telle souffrance ? Encore faudrait-il que
les résultats de différentes études ne risquent pas d'être invalidés
par divers défauts méthodologiques : échantillons insuffisants, absence
ou taille réduite de la population témoin, impossibilité de re-testing.
Ainsi, qu'on détecte une anomalie génétique chez 6 autistes sur 10,
outre la taille restreinte de l'échantillon, cela demanderait la
vérification de l'absence totale de cette anomalie auprès de 1000
personnes de la population générale, si la proportion de 1% d'autistes,
généralement admise, est correcte. Nous sommes tous porteurs
d'anomalies génétiques, compensées habituellement par les redondances,
les combinaisons et les structurations dont la nature fait preuve. À la
décharge des laboratoires et des chercheurs, il faut rappeler que leur
reconnaissance et leur budget sont soumis au principe des métadonnées.
Ce principe détermine que cette reconnaissance tient moins au contenu
proprement dit des articles qu'au nombre de fois où ceux-ci sont cités
dans d'autres articles. D'où l'importance pour chaque laboratoire ou
chercheur de multiplier le nombre d'articles rapidement pour favoriser
leurs chances d'être cités. C'est ce principe qu'a repris Google du
système universitaire pour son référencement des pages Internet, les
plus citées sont les premières affichées. D'où le piratage et les
prestations de services visant à produire des pages Internet citant
celle qu’on désire être affichée la première.
Une étude récente, échappant à toutes ces critiques, vient d'être
publiée, « le Monde » du 05/05/2014. Portant sur un large échantillon,
environ 14 000 personnes autistes, comparé à une très importante
population témoin, 2 000 000 de personnes, effectuée par des agences
d'État en Suède, donc non soumise à des problèmes de reconnaissance ou
de contraintes budgétaires, cette étude conclut à une probabilité des
causes de l'autisme comme étant à 50% des causes génétiques
héréditaires et à 50% des causes environnementales.
La recherche a encore du travail à venir...
(Il existe quelques équipes de recherche où des spécialistes tentent
avec rigueur et honnêteté de partager leur savoir : neurobiologistes,
généticiens, cognitivistes, psychanalystes, encore faudrait-il que
leurs articles soient lus de façon non erronée.)
Pour terminer, sur la question des apprentissages, dont la
méconnaissance actuelle de la psychanalyse laisserait croire qu’elle
leur serait opposée dans sa pratique. Quelle aberration ! Quel
thérapeute, qu'il soit analyste ou pas d'ailleurs, pourrait penser
qu'il puisse seul faire face aux problèmes d'apprentissages, et se
substituer aux éducateurs et aux pédagogues ? D'où la nécessité des
équipes pluridisciplinaires ! D'autant que chacun sait, toute personne
aidante, (familles, pédagogues, éducateurs, médecins, thérapeutes, mais
aussi les enfants eux-mêmes), quelle course contre la montre est
engagée ! Et ceci d'ailleurs vaut pour tout enfant dont le trouble
provoque des difficultés d'apprentissage scolaire, et pas seulement
autistique. L'exigence de synchronisation entre âge et acquis scolaires
est telle que si une année de retard est possible, deux deviennent
difficiles, et trois quasi impossibles. Or toutes ces personnes
aidantes précitées peuvent pressentir, et à juste titre un certain
nombre de fois, que le trouble étant levé, même partiellement, l'enfant
sera capable des apprentissages scolaires demandés, voire même,
quelques fois, de combler partiellement ou totalement son retard. Mais
à condition d’être dans les temps ! D'où ce sentiment de course contre
la montre que peut ressentir toute personne aidant ces enfants.
Et ce n'est pas leur intégration dans les classes ordinaires qui en
change la donne fondamentalement. Peut-être, au moins dans certains
cas, faudrait-il d'autres approches et d'autres pédagogies ? Mais il y
a 20 ans trouver une classe ou un établissement réellement adaptés à
certains troubles était quasiment impossible. Qu'en est-il aujourd'hui ?