Les journées qui se sont tenues à Poitiers les 9 et 10 novembre 2002 à
l'initiative de l'Ecole Psychanalytique du Centre-Ouest ont permis de
remettre sur le métier cette essentielle et si difficile question qui
traverse la civilisation depuis l'antiquité et dont la psychanalyse a
su cependant renouveler l'approche.
Nos travaux ne furent pas sans évoquer la spéculation philosophique, en
commençant par Aristote bien sûr, déplier les fils de l'étymologie, en
particulier ceux donnés par la langue arabe, apprécier dans le
développement des sciences l'isolation d'un pur hasard tant en physique
qu'en mathématique, mais aussi l'ambivalence avec laquelle l'homme de
science reçoit ce message, ce qui n'est pas sans lui faire signe d'une
certaine horreur.
C'est avec la clinique analytique que nous avions choisi de nous
orienter dans cette réévaluation ; avec ce point d'appui dans le
singulier, nous sommes conduit immanquablement au cSur de la
civilisation et de la culture.
La clinique du joueur semble ici s'offrir comme une figure exemplaire
de la place du sujet dans son rapport au hasard, le temps de
l'incertitude étant ici renouvelable à loisir, bref état de grâce avant
qu'il ne devienne destin. Mais on peut aussi se demander si le joueur
supporte si bien le hasard : avec sa martingale, n'est-il pas dans une
tentative d'abolir le hasard ? Son destin en tout cas vient s'accrocher
à cet espace clos du jeu et donner au désir de l'Autre une figure figée
dans un théâtre dérisoire.
Le phobique se proposerait plutôt de faire du hasard une manière de
culte : ca peut surgir de toute part. Mais l'aléatoire du surgissement
est pris dans une fiction. Il s'agirait d'imaginariser le réel du
symbolique. Dans le cas du petit Hans par exemple on voit comment
l'animal et sa jouissance viennent animer la peur de l'enfant. Freud en
imaginarisant un ordre généalogique va permettre que la jouissance
s'apprivoise et que s'ouvre un ordre qui dégage l'enfant d'une
identification à une image.
Du coté de la paranoïa, nous avons un sujet qui proteste contre le fait
que le réel ne soit pas une pure homogénéité avec lui-même. Il n'y a
pas de place pour le hasard dans sa conception du monde car le lieu de
l'Autre n'est pas marqué par un manque. Rien n'échappe à cet empire du
signe et l'hypothèse du hasard y est exclue.
A propos des phénomènes psychosomatiques, on note que leurs
déclenchements est souvent rattaché par le patient lui-même à des
événements de sa vie. Ils surviendraient après cet événement, ce qui
confirme alors la logique rétroactive du signifiant. Mais il peut aussi
précéder la réalisation d'un événement prévu. L'accident
psychosomatique comme effet d'un signifiant de l'Autre non-barré aurait
pour fonction non de représenter le sujet mais de le présenter. Le
signifiant devient un pur signal pour le corps. Nous ne sommes pas ici
dans le champ d'une possible signifiance mais dans une pensée
opératoire. L'aléatoire ne se propose pas comme point d'appui d'une
subjectivité qui lancerait l'interrogation sur l'Autre mais sur qu'il y
aurait à traiter.
Le rapport au hasard, on l'aperçoit avec ces quelques indications,
n'est pas uniforme selon les structures.
Dans la conduite de la cure du névrosé l'évocation si fréquente du
hasard par le patient réclame aussi un examen, de même que cette sorte
d' automatisme mentale de l'analyste qui le porte à la suspicion quant
un tel recours est fait. L'usage dogmatique de la suggestion freudienne
de ne croire qu'au hasard extérieur et en aucune manière au hasard
intérieur peut ne pas conduire nécessairement le patient à retrouver le
chemin de ce qui le cause. Il y a de purs accidents, comme la chute des
cierges et l'incendie qui se déclare dans la chambre mortuaire de
l'enfant mort. Ce qui ne l'est pas, c'est la formulation du rêve pour
le père à son réveil : là, la répétition engage ses effets.
C'est ce qui nous conduit à poser l'articulation de la tuché et de
l'automaton.
Le recours au "comme par hasard" n'est certes pas univoque, et
l'analyste ne s'y laisse pas en principe duper. Cependant le refus de
principe de tout aléa viendrait entériner un pur automaton et à se
tenir à l'abri de toute tuché, c'est-à-dire de toute rencontre du réel.
L'abolition de tout hasard conduit à une tentative de forclusion de la
dimension Autre.
L'effet immédiat de la tuché est le plus souvent celui d'un
évanouissement subjectif. La clinique du traumatisme de ce point de vue
nous est précieuse. C'est d'abord une mauvaise rencontre, un instant de
pur non-sens. Ce n'est que dans un deuxième temps qu'il devient
possible d'en ressaisir quelque chose, c'est-à-dire autre chose : C'est
l'articulation entre la tuché et l'automation qui réintroduit la
possibilité de la métaphore. Encore faut-il apprécier à quel type de
causalité il est fait alors appel.
C'est en tout cas au désir du psychanalyste de soutenir l'hypothèse
d'une solidarité de la tuché et de l'automaton. C'est par leur
désarticulation que l'automaton devient un ennui mortel et la pure
tuché, traumatique.
Le désir de l'homme comme désir de l'autre n'est bien sûr pas à
entendre comme un accord sans faille ni médiation. Le manque est aussi
bien du coté de l'un que de l'autre, et c'est ce qui permet de situer
le hasard comme causalité. L'objet a a donc une fonction essentielle
dans cette question du hasard et de la causalité. Il permet que le
désir du sujet ne soit pas dans une réduplication de l'autre, un
automaton sans fin.
L'interprétation vient faire césure. Ca déplace ce qui sous se place
sous l"automaton et en ce sens relève d'un effet de tuché. Mais pour
autant le psychanalyste est requis à ce que " jamais un coup
d'interprétation n'abolisse le hasard."
Alain HARLY