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Retour et Réflexions sur la Réunion des cartels 2015

Marie Christine Salomon Clisson

Notre réunion des cartels a eu lieu le 24 janvier dernier et, bien que le nombre des participants ait été très restreint, je tenais à vous faire part de la qualité de ce qui a pu être dit et qui a pu se partager au risque de la psychanalyse.
Nous avons pu y entendre les avancées du cartel de Limoges « autour de la voix » et leurs effets dans la clinique, nous avons pu entendre, pour le cartel de Poitiers (« lecteurs des Ecrits ») à propos du comment y mettre du sien pour que quelque chose se noue avec l’Autre dans une lecture en commun, une lecture partageable laissant chacun libre de son propre cheminement.
Je me suis trouvée dans l’embarras pour, à nouveau, parler de ce travail spécifique proposé par Lacan car la préparation de cette réunion a réveillé en moi un intérêt très vif pour cette proposition qui nous permet, comme je l’ai entendu ce jour-là, de « transmettre ce que l’on ne sait pas qu’on sait » à la condition d’une adresse possible. Car « il ne suffit pas d’entendre pour qu’un cri devienne appel » et il nous revient de faire face à l’énigme.
Oui, cette proposition nous agrée pour que quelque chose de l’invention de Freud puisse se transmettre, à partir de notre singularité et de notre transfert de travail avec Lacan se redoublant du transfert de Lacan à Freud.
Le point de départ de ma réflexion a été la lecture de l’Editorial d’Espace Analytique écrit par Giselle Chaboudez et les questions qu’elle a suscitées. Il m’a semblé important de revenir sur les effets d’une nomination et sur les points qui vont la déterminer. Pour le choix du mot « cartel » Lacan n’est pas parti de l’étymologie « cartello », mais de son inspiration inconsciente avec l’affirmation du signifiant « cardo », introduisant l’équivoque du nécessaire « gond » pour ouvrir la porte à la béance de l’inconscient.
Chemin faisant avec Lacan, son séminaire « l’insu que sait de l’une bévue s’aile à Mourre » m’a ramenée à l’identification et à son séminaire éponyme de 1961-1962 où elle est envisagée comme identification de signifiants, le signifiant pensé au croisement de la parole et du langage avec la possibilité de distinguer ce qu’il en serait d’une énonciation et d’un énoncé. Pour chacun, l’énonciation élide le nom de ce que nous sommes comme sujet de notre dire, où nous sommes irrémédiablement divisé entre notre désir et notre idéal. C’est à ce moment que Lacan va nous proposer un objet topologique : le tore, tore qu’il utilisera une nouvelle fois dans ses dernières élaborations concernant le nouage borroméen. Je vous recommande l’article sur l’identification de Claude Dorgeuille dans le dictionnaire de la psychanalyse sous la direction de Roland Chemama et Bernard Vandermersch.
Lacan, en 1976, reprend le point vif de l’identification dans son séminaire « l’Insu » avec la tentative de pouvoir désigner de façon homologue les trois identifications apportées par Freud. En effet, participer à un cartel implique une identification au groupe et nous fait revisiter, à notre insu, la fonction torique du Nœud Borroméen grâce à la position d’extériorité du 4ème dans ce dispositif avec une fonction attribuée au « + 1 », celle de faciliter l’énonciation d’un dire adressé qui vienne faire acte pour le sujet divisé.
Pour le cartel, Gisèle Chaboudez parle de cellule élémentaire. Nous pouvons faire une équivalence avec ce que Lacan appelle groupe fondamental dans son séminaire « l’Insu ». En effet, le cartel est une proposition où il s’agit de faire un nouveau nœud car c’est à partir de cette tresse à 3+1, que peut se former un nœud ayant une structure torique, avec un trou central qui ouvre au désir. Je pense que c’est à partir de cette hypothèse que Lacan avait envisagé le travail en cartel au sein de son école. Quelle est la fonction d’un groupe fondamental ? Lacan nous dit qu’il permet le repérage de trajets qui eux-mêmes nous permettent de repérer la constance de 4 trous, constitués par ces trajets.
La structure du cartel est équivalente à celle du sinthome mais la fonction est différente, pour le premier il s’agit d’établir un transfert de travail par une identification au groupe, au service de la transmission de la psychanalyse et de notre praxis. Pour le second il s’agit de produire pour exister, un savoir-faire pour savoir y faire avec l’inconscient, avec le Symbolique au principe de faire impliquant un dire. Il s’agit pour tous deux, d’un nœud de langage.
Gisèle Chaboudez, dans son éditorial, et je vais la citer, nous parle du dénouage du cartel au moment où le +1 - qui est la consistance réelle qui fait tenir la chaîne - disparaît. Le nœud à trois était au principe de l’existence d’une unité qui a besoin de tous, de façon équivalente, ils sont tous équivalents quoique différents et ont besoin de tous pour tenir ensemble. Mais avec le chiffre proposé par Lacan pour le cartel, 3+1 ou 5+1 le cartel est une chaîne et au bout de la chaîne un élément distinct boucle et tient l’ensemble. Donc le cartel n’existe plus si celui qui les fait tenir ensemble s’en va. Il s’agit donc d’une alliance pour une action commune, durant un temps nécessaire pour que cela produise quelque chose. Cela produit d’abord une identification : ce groupe ainsi créé, avec ce mode de lien, constitue un Autre réel selon les trois points d’identification freudiens. Elle déplie ensuite ces trois identifications : « Par exemple, au point central que constitue l’objet, celui qui a causé le désir de cette assemblage en somme, et il y a là une identification au désir de cet Autre, s’adressant à son imaginaire. L’identification peut se faire aussi à un point symbolique où le groupe se reconnaît un trait unaire, qui peut être bien sûr le signifiant du thème abordé. Elle peut aussi se faire au réel de ce groupe avec ce qui fait pour lui Nom-du-Père. C’est par cette identification éphémère à un Autre réel que peut se produire un effet de savoir ». Pour autant, cela ne veut pas dire que le cartel se dénouera pour cette unique raison. Nous pouvons penser qu’il se dénouera dès qu’une personne se retirera du groupe. En effet, le cartel peut s’envisager comme une quatresse qui solidarise trois cercles formant un nœud Borroméen. Lacan situe ce nouage, cette quatresse, comme une représentation du Réel « en ceci que c’est ici que nous pouvons appréhender l’Imaginaire, le symptôme et le Symbolique (à penser ici en tant que signifiant), le signifié étant un symptôme et le corps l’Imaginaire différent du signifié. C’est une façon de faire chaîne ». Le cartel, constitué selon ce principe, ouvre aux rencontres, aux réponses possibles à nos questions. Mais ce nouage n’est possible qu’à partir de trois, ce trois, précise Lacan, étant une réponse de l’inconscient à « il n’y a pas de rapport sexuel » et c’est bien la présence du rond supplémentaire, tant pour le cartel que pour le sinthome, qui fera tenir ces trois de façon borroméenne, Lacan identifiant cette fonction à celle du Nom-du-Père. Ce nœud ne peut commencer qu’à trois et le cartel est dans l’héritage de ce fait, c’est la raison pour laquelle je disais que si l’un des trois se retire, le cartel s’arrêtera de fait, ne permettant plus « la révélation d’un mouvement par lequel l’existence a commencé et qui est toujours commençant » comme Alain Didier-Weill en fait l’hypothèse dans « Un mystère plus lointain que l’inconscient ». Le 4ème n’aura plus sa raison d’être, à savoir tenir les trois ensemble. Ce qui nous permet de dire qu’il y a une double nécessité pour qu’un cartel devienne un opérateur : il y faut au moins trois et il y faut un quatrième pour les faire tenir ensemble grâce à une identification produite au sein d’un transfert de travail.
En effet, Lacan affirme que c’est par le transfert - qu’il propose comme l’un des quatre concepts de la psychanalyse – que peut se transmettre d’un sujet à un autre l’enseignement de la psychanalyse. Dans ses dernières élaborations il tente d’inventer une logique autre pour y situer la spécificité de la psychanalyse. Dans son acte de fondation, Lacan nomme son Ecole : l’Ecole Freudienne de Paris. Il donne également le nom de cartel à un de ses propositions de travail où il s’agit de mettre en place une action commune dans un petit groupe ponctuel où chacun doit exister en son nom propre, lié et séparé. C’est le cardo, c’est à dire le cartel qui nous ouvre à l’action de carder, de faire en sorte que les fils soient séparés pour se lier de la bonne façon, comme le disait Lacan.
Lors de notre réunion, j’avais pensé resituer le contexte de sa proposition et donner un aperçu historique et politique, ce que je n’ai pas fait et que je vous propose aujourd’hui. En effet, l’acte de fondation de son Ecole a été une réponse de Lacan à la censure : celle de ne plus être autorisé à enseigner et donc à transmettre. Il s’agissait d’une atteinte à sa praxis, « cette action concertée par l’homme qui le met en mesure de traiter le Réel par le Symbolique » (les quatre concepts de la psychanalyse).
Je vous propose un bref historique pour resituer le cartel :
- Radiation de la liste des didacticiens de l’IPA (1963)
- unique leçon, en 1963 : « introduction du séminaire les Noms-du-Père, que Lacan ne poursuit pas, percevant l’impossibilité des psychanalystes à entendre, ce qui, pour lui, est au cœur de l’invention freudienne.
- Séminaire Les quatre concepts de la psychanalyse (1963-64), qu’il ouvre par : « ce qui origine la psychanalyse c’est le désir de Freud, dans le champs de l’expérience de ce qu’il va nommer Inconscient, la porte d’entrée ». Et comme vous le savez, pour ouvrir une porte, il y faut un gond, notre fameux cardo.
- En 1964, il fonde l’EFP (l’Ecole Freudienne de Paris)
- Dix ans plus tard, Lacan revient sur les Noms-du-Père avec l’équivocité signifiante « les nons-dupes errent » dans le titre de son séminaire.
- Séminaire RSI (1974/1975). Il fait du Nom-du-Père ce qui fait tenir le nouage et permet l’identification réelle de l’Autre Réel. Dans la leçon du 15 avril, il parle du cartel avec son souhait d’identification au groupe où il dit que l’identification c’est le point de départ de tout nœud social, et que, pour le cartel c’est l’identification au point où « a » est écrit dans le nœud borroméen, qui est le point où manque le savoir (le trou dans le Symbolique), là où se situe le désir.
- Séminaire le « Sinthome »(1975/1976), puis « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à Mourre » (1976/1977). En 1977/1978, «Le moment de conclure » Et pour finir : « la topologie et le temps » (1978/1979). Lacan nous précise qu’il parle d’une place d’analysant dans ses séminaires et qu’il souhaite que son école soit une école d’analysants. Il pense qu’en s’inscrivant dans un cartel chacun va pouvoir mettre en question, à son insu, ce qu’il y a de plus Réel en lui-même, par le dire qui est un acte rendant les énonciations possibles et pourra ainsi se faire passeur de la psychanalyse.
Nous avons à accepter ce lieu d’épreuve de la formation analytique. Le savoir dans un cartel se partage, il ne s’échange pas et permet la production d’un nouveau savoir grâce au « +1 », cette présence supplémentaire qui soutient le désir de l’Autre. Lacan pense que la transmission de la psychanalyse ne peut se faire que par les seules voies de ce transfert de travail avec une transmission d’un sujet à un autre, d’où sa proposition. Il s’agit d’une expérience dialectique de discours. Le cartel est une organisation circulaire, ça tourne autour, à l’instar de la pulsion.
Je relève cette phrase de Lacan lors des journées de réflexion sur les cartels qu’il avait initiées en 1975 : « Il n’y a aucune espèce de véritable réalisation du cartel. Le cartel, c’est ce qui participe du maintien du trou de l’inconscient. Il s’agit que chacun s’imagine être responsable du groupe, à avoir comme tel à en répondre. Nous avons à imaginer et pas à tort, que chacun tient le groupe mais il s’agit de montrer à quel point c’est Réel ». Sa phrase même est un nouage qui nous permet d’entendre ce sur quoi Lacan insiste, à savoir, le cartel en tant qu’opérateur d’une fonction. Pour conclure, il s’agit bien de « reployer » notre praxis, je reprends ici un signifiant de Lacan (leçon du 18 janvier 1977) que je trouve judicieux. Voilà le travail que nous avons à accomplir dans une Ecole de psychanalyse si nous voulons que la psychanalyse reste vivante et produise des effets. Pour cela, il nous faut travailler avec assiduité et continuer à insister avec nos embarras, en tant qu’épreuves nécessaires d’un certain type de travail à accomplir qui exige un engagement se concrétisant par des liens à construire à l’intérieur et à l’extérieur de l’Ecole.