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De l'éviction de la croyance

Jean-Lionel Villessuzanne

Un théologien chrétien catholique peut-il décemment contribuer à l'étude des cliniques et structure de la croyance ? Nous en connaissons plus d'un suspendus d'enseignement pour s'y être aventurés ! Certains critiqueront : d'où s'autorise-t-il ? Ne trahit-il pas le magistère pontifical ? Ne pervertit-il pas la psychanalyse lacanienne ? L'exercice serait-il schizoïde ? L'expérience en mérite le risque !…
Tout d'abord il y a le cheminement spirituel personnel qui est protestation, selon l'ancienne acception ; puis la mise au travail de la clinique des anorexiques avec une équipe de soignants et enfin la réflexion à partir des observations de confrères, comme de l'Histoire ecclésiastique. Aussi serait-il plus éloquent de préciser : "De l'éviction de la croyance chez les chartreux et les carmélites à son hypertrophie chez les saintes anorexiques".
Souvent, même pour les intellectuels, le fait religieux rassemble nombre de vocables tous plus équivalents les uns que les autres. Cette confusion terminologique ne facilite guère un discernement au sein des cliniques de la croyance. En effet, lorsque nous tenons les engagements religieux pour une praxis de la vie quotidienne, nous décelons promptement la place structurale qu'occupe la croyance dans ces vocations. Le désert de Chartreuse est l'héritier des premières contestations érémitiques, pour ne pas dire hérétiques, de l'ordre social et religieux subverti par la croyance et la superstition. Le Carmel puise ses sources dans les ténèbres d'une grotte que seul un vent anime. Les saintes anorexiques furent recluses pour que cessent les prodiges manifestés et catalysés par elles, tout en exacerbant les mouvements de la piété collective. Aux extrêmes de l'expérience mystique possible, toutes les composantes de la religiosité (hérésie, schisme, secte, religion, foi, superstition, croyance…) sont passées au crible du soupçon ; tant, que seule la croyance nous y semble ce qui peut faire rempart à l'athéisme dont est porteur, en creux, tout monothéisme. Pourtant l'éviction de la croyance est une composante essentielle de la foi chrétienne. Comme la clinique lacanienne nous le suggère grâce au soutien du nœud borroméen questionnons la structure de trois variantes de l'identité mystique : cartusienne, carmélitaine et mystico-anorexique.
Lorsque BRUNO , fuyant les vanités du Monde, fonda l'ordre des Chartreux, il ne songeait pas qu'au XXe siècle des moines vivraient encore selon son ascèse… Près de Toulon, non loin du "Signal des Béguines" dans le massif de la Sainte-Baume, gîtent, dans le secret, les Chartreux de Notre-Dame de Montrieux. Petite communauté par rapport à la gigantesque maison mère, il n'en demeure que celle-ci ne se visite pas non plus. Pour y voir, seule la demande de vouloir y vivre sert de laissez-entrer. Souhaiter devenir chartreux ne se spécule pas, cela se fait par un passage à l'acte : un saut dans le Réel de la vie en Chartreuse.
Le prieur de cette communauté était à l'époque un homme à la haute stature et à la voix peu diserte autant que lente : " Qu'aspirez-vous à être : frère de chœur, convers ou laï ?… De chœur !… Voici la chef de votre ermitage et une suggestion d'emploi du temps. Sachez que personne ne vous imposera d'observer strictement ce dernier, mais n'oubliez pas que depuis près de neuf siècles il a fait ces preuves. La force de la chartreuse c'est de n'avoir jamais était réformée donc déformée ! ". Se présenta alors un crâne glabre, comme celui du supérieur, à l'habit d'épaisse laine blanche : robe et scapulaire à capuce. L'œil était vif pour un homme ayant passé les quatre-vingts ans. Il était maître des aspirants à la vie cartusienne. Le novice se devait tout à l'abandon, au don et à l'obéissance envers lui. La cellule s'articulait en quatre pièces, chacune ayant une fonction bien particulière. Une de celles du rez-de-chaussée servait d'atelier. " Pour ouvrir à l'âme l'horizon surnaturel, nous voudrions esquisser une méthode simple et pratique de méditation, de façon à lui permettre de s'habituer à faire de toute sa journée une oraison continuelle " …en ces lieux, hors la méditation et la contemplation du divin, point de fabrication ou création de quoique ce soit. Rien : ni embellir un jardin de cent mètres carré, ni espérer y récolter le moindre fruit ou légume. La productivité n'a pas de raison d'être en Chartreuse, encore moins la rentabilité. Au terme d'une semaine de deux heures quotidiennes de jardinage où l'herbe fut arrachée quasiment avec une pince à épiler, histoire de faire durer cette activité, il n'est pas étrange d'y entendre : " …il ne saurait être question de semer des plantes en ce jardin… replantez au besoin l'herbe qui vient d'y être ôtée ! L'essentiel est d'occuper et de fatiguer le corps par pure hygiène ! ". En tout l'anonymat est de règle : " Il faut déclarer sans détour la vanité parfaite d'un ascétisme qui n'a d'autre idéal que le perfectionnement du "moi" " . Anonymat au sens fort : sans nom : " L'ombre est la plus faible des réalités, semble-t-il : notre ombre n'est rien en comparaison de nous-mêmes. Mais en comparaison de Dieu, nous avons moins de réalité encore " . Sans nom du sujet, sans nom du désir, sans nom de la vie comme de la mort : chaque cellule de frère est uniquement marquée d'une lettre de l'alphabet, son patronyme disparaît ; un tourniquet creusé dans le mur permet à un frère convers, inconnu du résidant anonyme, d'y glisser l'un des 185 repas annuel servi à chaque frère de chœur ; une unique croix griffée d'aucun nom signale le cimetière sis au centre du cloître ; les miracles n'y sont point admis, et si, post-mortem, un frère s'y adonnait ses restes seraient promptement déplacés jusqu'à ce que le silence de Chartreuse ne soit plus dérangé par tant de présence : " Mon Dieu, je crois que vous êtes ici présent en moi, moi pauvre néant. Si je n'étais que néant. ! mais je Vous ai offensé… je suis donc au-dessous du néant " .
L'expérience cartusienne borde la bouddhique. Or, nul n'ignore que l'enseignement hinayânique de Siddharta GAUTAMA , fort proche de celui de VARDHAMANA initiateur du jaïnisme, quoique religieux, nie toute croyance en un quelconque dieu conjointement à la réalité du sujet. Cela n'est pas sans mettre à l'épreuve l'étude freudienne sur la religion . L'imaginaire n'y est que béance et vacuité : " Le travail de l'imagination est une activité purement humaine, ce n'est donc pas une prière.… Construire et maintenir des représentations imaginaires, c'est un travail trop fatigant pour que l'on puisse le prolonger d'une façon continue.… L'imagination ne saurait d'ailleurs atteindre les réalités surnaturelles, qui ne sont accessibles qu'à la foi pure " .
Ainsi, le stade du miroir, si bien repéré et établi par Jacques LACAN, outre de s'élaborer sur un semblant de subjectivité, serait le mode même d'être à maîtriser puis à dépasser. Ici, se forme l'un des points de rencontre entre les mystiques d'Orient et d'Occident : la vanité du sujet ! En effet, la religion n'implique pas nécessairement la croyance ni la croyance la foi. Que ce soit la spiritualité cartusienne ou bouddhiste, moins que de croire à partir d'un sujet illusoire et Imaginaire, il s'agit pour le Réel de l'être de se livrer, en une totale confiance, soit à un dieu soit à un enseignement ; chacun étant une source de la pensée et de la morale, et partant du Langage. " La foi est un guide sévère, mais infaillible ; elle ignore les concessions et les calculs, elle ne mesure pas les obstacles : derrière le voile des apparences, elle devine déjà la vérité éternelle.… Elle espère en dépit de tous les facteurs humains qui cherchent à ralentir ou à briser son élan " .
Poursuivons notre "introspection clinique" par celle du Carmel ; principalement à travers l'expérience mystique de la sainte à la légendaire "pluie de roses" inspiratrice d'une littérature prolixe, psychanalytique ou non !… Nous l'avons déjà évoqué, la spiritualité carmélitaine s'enracine sur la présence, au mont Horeb en pays de Madian, du prophète Élie vainqueur des serviteurs de Baal dans les montagnes du Carmel en Palestine vers 870 A.C. : " Il vient là, vers la grotte, nuite là, et voici à lui la parole d' 'Adonaï …/… Il dit : "Sors. Tiens-toi sur la montagne, face à 'Adonaï". Et voici, 'Adonaï passe. Un souffle, grand et fort, ébranle les montagnes, brise les rochers, face à 'Adonaï. Pas dans le souffle, 'Adonaï. Et après le souffle, un séisme. Pas dans le séisme, 'Adonaï. Après le séisme, un feu. Pas dans le feu, 'Adonaï. Après le feu, une voix, un silence subtil. Et c'est quand 'Élyahû entend, il emmitoufle ses faces dans sa cape. Il sort et se tient à l'ouverture de la grotte " . Au début du XIIIe siècle, dans les grotte du mont Carmel, se trouvaient quelques ermites appliqués à imiter l'exemple d'Élie qu'ils considéraient comme un nouveau Moïse-Messie et leur fondateur. Ils vivaient du travail de leurs mains, dans la solitude et la pauvreté, ayant pour occupation principale "la méditation jour et nuit de la loi du Seigneur, veillant dans la prière". C'est le pape HONORIUS III, qui à la demande d'ALBERT de Jérusalem, codifia et régla leur style de vie en 1226. En 1247, leur règle fut modifiée par le pape INNOCENT IV pour les assimiler aux ordres mendiants : augustins, franciscains, dominicains. Suite à un réel relâchement de l'observance primitive, le 24 août 1562 Teresa de CEPEDA fonda le premier couvent réformé des Carmélites Déchaussées : San José d'Avila. Six ans plus tard, fray JUAN de la Cruz appliqua la pensée thérésienne au couvent des carmes de Durvelo. Nous n'ignorons point la leçon lacanienne du 20 février 1973 ni la relecture qu'en fit Denis VASSE ; mais le film d'Alain CAVALIER demeure le plus éloquent de tous sur la vie carmélitaine pour un agnostique même s'il brosse l'existence mystique de l'autre THÉRÈSE, la sainte de Lisieux et de la "petite voie" ! Si la fin du XIXe siècle déployait encore un vaste cortège d'injustices et de misères sociales, le couvent des carmélites de Lisieux n'affichait pas plus d'austérité que d'autres carmels de France. Le temps s'y divisait en six heures et demie pour la prière dont deux heures d'oraison mentale et quatre heures et demie pour la messe et l'Office choral, une demi-heure de lecture spirituelle, cinq heures environ pour le travail souvent manuel, deux heures de récréation communautaire, quarante-cinq et trente minutes pour les repas en commun, en silence [accompagnés d'une lecture à haute voix], une heure de temps libre et six heures de sommeil en été [complétées par une sieste facultative d'une heure] ou sept heures continues en hiver. La Règle du Carmel prescrivait l'abstinence perpétuelle de viande, mais elle en autorisait l'usage en cas de maladie ou de faiblesse. Le pain constituait la base de l'alimentation, qui comportait aussi beaucoup de lait et de féculents. Certes, la haine de soi n'était pas hissée aussi haut qu'en Chartreuse mais le Carmel quêtait son silence par le délaissement du leurre de la croyance : [tous les soulignements reprennent ceux de son auteur] " Céline, le bon Dieu ne me demande plus rien… dans les commencements Il me demandait une infinité de choses. J'ai pensé quelque temps que maintenant, puisque Jésus ne demandait rien, il fallait aller doucement dans la paix et l'amour en faisant seulement ce qu'Il me demandait… Mais j'ai eu une lumière. Ste Thérèse dit qu'il faut entretenir l'amour. Le bois ne se trouve pas à notre portée quand nous sommes dans les ténèbres, dans les sécheresses, mais du moins ne sommes-nous pas obligées d'y jeter de petites pailles ? Jésus est bien assez puissant pour entretenir seul le feu, cependant il est content de nous y voir mettre un peu d'aliment, c'est une délicatesse qui lui fait plaisir et alors Il jette dans le feu beaucoup de bois, nous ne le voyons pas mais nous sentons la force de la chaleur de l'amour. J'en ai fait l'expérience quand je ne sens rien, que je suis INCAPABLE de prier, de pratiquer la vertu, c'est alors le moment de chercher de petites occasions, des riens qui font plaisir, plus de plaisir à Jésus que l'empire du monde ou même que le martyre souffert généreusement, par exemple, un sourire, une parole aimable alors que j'aurais envie de ne rien dire ou d'avoir l'air ennuyé, etc., etc. " . La famille MARTIN appartenait à la moyenne bourgeoisie alençonienne. Thérèse était la benjamine de neuf enfants, les deux garçons et deux filles décédèrent en bas âge ; les cinq filles survivantes devinrent toutes des religieuses. La mère mourut dans la quatrième année de sa dernière fille. L'univers imaginaire des provinciaux de cette fin de siècle décadent et de la naissance du prolétariat anticlérical s'aiguisait des querelles passionnées entre "calotins" et "libertins". Quoique très tôt fascinée par les images, la poésie et les signes multiples, sœur THÉRÈSE de l'Enfant Jésus rencontra tout aussi vivement l'essence de la spiritualité carmélitaine : " Notre Dieu, l'hôte de notre âme le sait bien, aussi vient-Il en nous dans l'intention de trouver une demeure, une tente VIDE au milieu du champ de bataille de la terre " . Plus elle "voudra" devenir l'héroïne de Dieu, plus elle manifestera le "besoin" de marquer chaque moment de sa vie religieuse d'un signe tangible, comme les degrés d'une échelle conduisant vers la sainteté, mais le Carmel lui enseignera le renoncement aux vanités du Monde. La règle quémandait d'au moins changer de cellule tous les trois ans afin de combattre l'illusion de l'enracinement ; nombre d'objets de cultes ou non étaient soit changés de place soit distribués au dehors pour qu'aucune ne s'y attacha. Sa volonté de croyances, et donc de gloires mystiques, s'émoussera jusqu'à ne plus connaître le sens de la vocation qu'elle avait mis tant d'acharnement à défendre. Aussi, avec les cinq novices dont elle eut la charge, THÉRÈSE instaura le rite de jeter des pétales de rose, chaque soir, vers la Croix de granit du préau, afin que le sentiment de néantisation ne la plongea pas dans la neurasthénie ; elle le raconta en un des nombreux poèmes qu'elle rédigea : "Jeter des Fleurs" . L'année 1897, déjà rongée par la tuberculose, épuisée, incapable de faire ce geste, elle en reparlera dans un poème intitulé :"Une rose effeuillée" . Sans pourquoi !… Le spectre d'une rose… Comment ne pas songer au "Pèlerin Chérubinique" de SILESIJ en lisant la rose thérésienne ? Faudrait-il concevoir que la sainte lexovienne traversa une période perverse comme l'aurait peut-être suggéré LACAN avec sa leçon du 20 février 1973 ? Y-aurait-il de cela dans la phase abandonnique que lui imposa la communauté carmélitaine ? : " …comprenez que pour aimer Jésus, être sa victime d'amour, plus on est faible, sans désirs, ni vertus, plus on est propre aux opérations de cet Amour consumant et transformant… Le seul désir d'être victime suffit, mais il faut consentir à rester pauvre et sans force et voilà le difficile car "Le véritable pauvre d'esprit, où le trouver ? il faut le chercher bien loin" a dit le psalmiste … il ne dit pas qu'il faut le chercher par mi les grandes âmes, mais "bien loin", c'est-à-dire dans la bassesse, dans le néant … Ah ! restons donc bien loin de tout ce qui brille, aimons notre petitesse, aimons à ne rien sentir, alors nous serons pauvres d'esprit et Jésus viendra nous chercher, si loin que nous soyons il nous transformera en flammes d'amour … Oh ! que je voudrais pouvoir vous faire comprendre ce que je sens !… C'est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l'Amour " . Tout est dit, du moins pour ce qui autorise une distinction entre : croyance et foi. Il ne suffit pas d'évincer l'illusion de la croyance, il faut nourrir l'Autre du désir, quelqu'en soit le prix : " …sainte Thérèse disait à ses filles lorsqu'elles voulaient prier pour elle-même : "Que m'importe à moi de rester jusqu'à la fin du monde en purgatoire si par mes prières je sauve une seule âme !" Cette parole trouve écho dans mon cœur, je voudrais sauver des âmes et m'oublier pour elles ; je voudrais en sauver même après ma mort, aussi je serais heureuse que vous disiez alors au lieu de la petite prière que vous faites et qui sera pour toujours réalisée : "Mon Dieu, permettez à ma sœur de vous faire encore aimer" " . Peut-être une forme de la charité chrétienne dont la sanction en serait cet ultime : encore ! Sanction, en tant que ce qui sanctifie ; voici pourquoi au-delà de la mort l'en-corps persiste, faute d'exister. C'est cela l'hystérie, commente à sa façon Michel BOUSSEYROUX lorsqu'il passe au crible de la psychanalyse lacanienne le cas de Maguerite-Marie ALACOQUE . Hystérie, dont l'amour est souvent masochiste ; THÉRÈSE ne s'y était-elle pas livrée dès le dimanche 13 mai 1888 lorsqu'elle décida de signer tout son courrier d'un : "…carmélite indigne", ce jusqu'à sa mort ? En lisant les Manuscrits et la Correspondance de THERESE de Lisieux nous suivons son combat pour abroger le besoin volontariste d'une sainteté prométhéenne. Laquelle serait rétributive et partant : croyante, vers l'impossibilité d'accéder à la présence de celui qui est désiré par déréliction de son fantasme ; ce qui ne laisse en partage que la confiance. Malgré les blandices des sens et des jouissances de l'âme où "L'Orpheline de la Bérésina" trigauda avec la castration et son détachement de la mère morte, les règles et rites du Carmel librement interprétés, lui évitèrent la mise en place d'une relation duelle psychotisante avec Dieu par sidération du désir et névrose obsessionnelle .
Enfin la voici, la toute belle, occupant la Une de la press-people et faisant se pâmer les filles, la très glorieuse et triomphante anorexique de mode ! Ne nous fourvoyons pas, Elle n'est point nouvelle sous le soleil ! Ne perpétue-t-Elle pas la longue liste des saintes anorexiques écrite depuis le XIIe siècle ? À sa façon n'itère-t-Elle pas la réclusion exhibitionniste des mystiques de l'époque scolastique, enfermée qu'Elle se trouve dans la boite télévisuelle et l'audimat ? Déjà vers la fin du IIe siècle P.C., au Sinaï, en Égypte, Palestine, Syrie et Asie Mineure, il seyait de contester le pouvoir urbain en fuyant au désert. Cette forme de réaction phobique vis-à-vis des mégalopoles s'accompagnait d'une ascèse poussée jusqu'à l'anéantissement du sujet. Écho prémonitoire d'une mort annoncée du monde antique et de l'Empire romain, la récusation s'ornait de moult signes et observances tous plus austères les uns que les autres : jeûne permanent, abstinence envers des mets ou boissons estimés impurs, continence sexuelle, privation de sommeil, logement volontaire en un lieu hostile ou incongru [le sommet d'une colonne : stylite], réclusion ou emmurement, négligence des soins du corps, flagellation, automutilation et auto-humiliation, etc. Cette ascèse mortifère visait tout le corporel et l'impur pour libérer l'âme et l'esprit. L'anachorète exhibait son masochisme en clamant que celui-ci préparait au contact avec la divinité. La solitude du Désert, la distance par rapport à soi-même et au monde, jusqu'au seuil de la haine étaient les conditions préalables à l'expérience mystique. Nostalgie d'un certain passé, l'anorexie mystique, tant masculine que féminine, éveilla, à son insu, une soif de liberté et d'absolu. Mis en manque devant Dieu, on expérimentait l'enfer de la réclusion, l'abandon par Dieu et par les humains, mais aussi le désir insatiable et l'inéluctable culpabilité. Manifeste hypertrophie du moi et appréciation erronée sur l'ego du sujet comme sur Dieu, dans la mesure où ne sont supportables ni la grandeur ni la misère du moi ! Un "véritable" ascétisme naquit ainsi de la rencontre du christianisme avec les religions à mystères hellénistiques et la pensée gnostico-dualiste où un principe mauvais causerait le corps. Chez PAUL de Tarse, l'exaltation du célibat obéit à des motivations strictement eschatologiques qu'il ne conviendrait pas d'appliquer uniformément à tous afin de ne pas céder au fantasme psychotique tel que nous pourrions le rencontrer dans un certain radicalisme bouddhiste. Des passages sur l'abstinence alimentaire ou sur l'ascèse sexuelle mettent en évidence le conflit d'hégémonie opposant la pensée biblique à la pensée gnostico-dualiste. PAUL tenta de résoudre le problème en se référant au Dieu créateur mais la polarisation entre un idéal de vie chrétienne dans le monde et un ascétisme reniant le monde et le corps restera vivace dans la suite de l'Histoire de l'Église. L'anorexie servit à la révolte politique, les grèves répétées de la faim de Mohandas Karamchand GANDHI en sont un exemple récent. Au fil du temps, elle devint un outil d'affranchissement. À l'époque carolingienne, avec les moines, les femmes de la noblesse occidentale détinrent la connaissance. Elles ne voulurent plus subir les brimades ni les grossesses successives que leur imposaient leur époux ; fuyant ainsi la forte mortalité féminine que ces dernières impliquaient. Associée à une mariologie en plein essor, l'anorexie sainte devint l'arme d'un massif courant d'émancipation des femmes du XIIIe au XVIe siècle. Nous ne brosserons pas ici l'ensemble du tableau clinique que cette "psychopathie-mystique" développe, nous rappellerons seulement qu'elle comporte des manifestations de : lanugo, aménorrhée, bradycardie, hypomanie, extase hallucinée, tyrannie et apathie. Nombre d'auteurs s'accordent à délivrer la palme des championnes en la matière à sainte CATHERINE de Sienne . Avant d'essuyer de graves revers financiers, le père fera connaître à sa famille l'aisance grâce à son métier de maître teinturier. D'un tempérament doux, presque effacé, assez éloigné des affaires domestiques, celui-ci entretint avec sa fille des relations d'une discrète tendresse. La mère, Lapa PIACENTI, atteignait la quarantaine d'années lorsqu'elle accoucha de ses vingt-troisième et vingt-quatrième enfants. Catherine était jumelle d'une Giovanna morte alors qu'elle était en nourrice. Lapa n'allaita aucun de ses enfants comme Catherine, qu'elle garda contre elle jusqu'à environ un an. Mère qui, au demeurant, rappellera souvent à Catherine qu'elle était sa préférée puisqu'elle lui sacrifia sa sœur jumelle ; inscrivant ainsi en la jeune enfant la culpabilité, la morbidité et l'horreur de sa vie. Elle se trouva ensuite enceinte d'une dernière fille prénommée Giovanna, comme la défunte jumelle ; laquelle mourut lorsque Catherine atteignit sa seizième année. Cette mort, répétant la première dont le deuil n'avait pas encore était fait, conduisit Catherine à totalement se livrer à la passion anorexique. Sa sœur aînée : Bonaventura, seule apte à rendre Catherine à sa féminité et chez qui elle vécut entre 12 et 15 ans, était décédée l'année précédente. Une lourde activité volontariste de devoirs, de croyances, de rites à observer envahira l'ordinaire de l'adolescente autrefois gracieuse et enjouée. Peu à peu, avec entêtement et "virilité", elle martela elle-même et les autres d'une autorité, d'un ascendant grandissant, proportionnellement de son décharnement physique. Ayant décidé de renoncer aux hommes dès l'âge de sept ans, elle prit en même temps la résolution " d'enlever à cette chair toute autre chair, autant du moins que cela lui sera possible ". Elle se priva de viande, la donnant soit à ses frères et sœurs, soit la jetant à son chat à l'insu de tous, comportement que nous observons très fréquemment chez les anorexiques d'aujourd'hui : " Jésus meurt de la soif et de la faim de notre salut. Et moi je vous prie […] que vous proposiez, pour principal objet, la faim de cet agneau. Voici ce que désire mon âme : vous voir mourir d'un saint et sincère désir, c'est-à-dire que pour l'attachement et l'amour que vous avez de la gloire de Dieu, du salut des âmes et de l'exaltation de la sainte Église, je veux vous voir accroître tellement cette faim que vous tombiez mort de cette faim, que pareil au Fils de Dieu qui, pour une si grande faim, mourut, vous tombiez mort à tout égoïsme " . Sa mère ayant découvert ses manœuvres, la réprimanda. Elle répondit, prélude à un combat acharné contre cette dernière : " Ô ma mère, quand j'accomplis insuffisamment ou quand j'excède vos ordres, je vous supplie de me battre autant que vous voulez pour que je sois plus prudente une autre fois, c'est votre droit et votre devoir. Mais, je vous en supplie, ne laissez pas, à cause de mes défauts, votre langue maudire qui que ce soit, bon ou mauvais. Car cela ne convient pas à votre âge et m'est grande affliction de cœur " . Une vie de colère, de rage et d'infinis reproches, mais aussi de complicité et de dépendance passionnée scellera les deux femmes. Femme de ténacité, fougue, véhémence, vindicte et du "io voglio e vi commando !" , Catherine se fit construire une petite cellule et rassembla autour d'elle un groupe d'épigones qui ne tarda pas à la nommer : "dolcissima Mamma"[Maman très douce]. Plus tard, obsédée par la réalité du lait, du sang, de la chair et de la mort du Christ, elle transfèrera la demande obstinée de sa mère à ce qu'elle se maria en des noces mystiques avec son époux crucifié : " Crées par Dieu, nous sommes sortis de lui. C'est au bout de huit jours qu'il s'enleva un anneau de chair. Il nous paya ainsi un acompte destiné à nous donner pleine confiance dans le règlement définitif. Et c'est sur le bois de la très sainte croix que cet Époux, que cet Agneau immaculé s'en acquitta, lorsque, égorgé et saignant, il lava, de son sang abondant, les souillures de l'humanité son épouse. Et prenez garde : ce n'est pas un anneau d'or que son amour enflammé nous a offert, mais un anneau fait de sa chair très pure " . Fantasme et croyance apertement anthropophagiques et érotiques d'un retour de la chair, après en avoir fait le sacrifice : déni de la castration ! Autour de 1370, elle s'affaira et s'agita à la politique de l'Église. Se rendant en Avignon à l'été 1376, elle mit quasiment en demeure le pape GRÉGOIRE XI de retourner à Rome afin de restaurer le Siège de Pierre en sa ville légitime. Quoique ses injonctions cédèrent souvent à l'autoritarisme, ceci ne l'empêchait pas de surnommer ledit pape : "dolcissimo Babbo" [Papa très doux]. Elle voulut rétablir la paix entre les Républiques urbaines ennemies composant la mosaïque italienne, afin d'envoyer les belligérants en Croisade ; mais elle échoua. Puis, elle s'attacha à réconcilier deux familles siennoises, mais les autorités municipales la suspectèrent de complot ; ce fut un nouveau revers. Lors du Grand Schisme d'Occident ouvert en 1378, où dans l'Église catholique les magistères de trois papes coexistèrent, elle opta activement pour le pape romain : URBAIN VI , tout en œuvrant inlassablement à ce qu'il entreprit enfin une réforme de la chrétienté occidentale. Ne sachant pas écrire et à peine lire, elle dicta à des disciples ses pensées et ses presque 400 lettres adressées aux papes, cardinaux, princes des divers États italiens, religieux, famille, un juif…, jeunes et vieux, hommes et femmes, riches et pauvres… de son temps. Femme prolixe et ardente, le verbe : desiderare est employé 93 fois et le substantif : desiderio 308 fois parmi les 167 chapitres du "Dialogue de la divine Providence". Soupçonnée de possession diabolique, le chapitre général des Frères Prêcheurs de 1374 lui attribua RAYMOND de Capoue comme cornac. Elle ne manqua pas de le séduire et de se l'annexer. Déchirée entre le merveilleux et l'abjection, elle maltraitait sa chair force flagellations, port de chaînes maculées de son propre sang, insomnies sans que ceci ne diminua sa logorrhée. La violence de ses mortifications, jusqu'à la fétichisation de la souillure par l'absorption du pus d'une cancéreuse, n'était que l'épiphanie de sa jouissance totalement aliénée au Réel du sacrifice christique. Lors d'un précédent Séminaire Pictave, à l'invitation d'Alain HARLY, nous traitâmes de l'hallucination psychotique qu'une présence trop réelle de la Présence Réelle dans l'hostie suscite . La tertiaire dominicaine s'arrogea la théologie politique thomiste pour en souligner fortement l'anthropologie de la liberté sans limite de la volonté humaine : retour d'une jouissance phallique dans le corps de la mère afin de pourvoir à son implosion. Notons que, de sa génitrice, elle fit un report sur l'Église en tant que Mère ; il n'est point établi que toute l'agitation de Catherine servit utilement la politique de la chrétienté occidentale. Avec la sainte anorexique, par une recherche aveugle d'identité, d'autonomie comme d'un colmatage narcissique et une appropriation des prérogatives masculines, puis par l'union physique et mystique avec Dieu, l'époux spirituel communie directement avec elle. Rendant ainsi vaine toute forme de médiation, les ordres donnés par les hommes ici-bas devenant négligeables . Après la Réforme, l'autonomie religieuse des femmes fut peu à peu considérée comme une hérésie ou l'œuvre du Diable . Ne fantasions pas sa disparition de la scène catholique, Marthe ROBIN dont le cornac fut le père FINET arbora durant cinquante ans : stigmatisation, inédie, voyances, visions, insomnie totale, guérisons subites, paralysies intermittentes en fonction des fêtes religieuses, principalement autour du mémorial de la Passion du Christ, les vendredis à 15 heures. Les jouissances mystique et anorexique dans la saisie de la divinité campent le rapport paradoxal du vide à la plénitude comme le stipula si bien Jean-Jacques LEPITRE lors de son intervention : VIDE = RIEN = DIEU, VIDE ‡ RIEN ‡ DIEU. Identifier le vide à la plénitude constitue pour la théologie négative non seulement une tentation constante et inévitable mais un risque suprême. De fait, ne pas confondre par équivalence vide et plénitude, rien et dieu, n'a pas pour fonction de tourner l'Homme vers le néant, bien que ce soit l'objet même de son angoisse, mais d'instaurer une distance coupant l'Homme d'une jouissance mythique. Le vide de l'anorexique est aussi proche, sur le mode désespéré, de l'approche comblante du rien. Ainsi, l'état de sécheresse du domaine religieux devient la "délectation morose" chez la sainte anorexique.
Dans les deux premiers types de vies religieuses, l'éviction de la croyance semble apodictique mais avec des implications structurales différentes pour l'une et l'autre. Comment ne pas songer à un "borderline" [ou à une structure d'obsessionnel] chez les chartreux lorsqu'ils travaillent à l'évidement du scopique, à la disparition du désir soutenu d'un objet - a -, et partant, de l'imaginaire pour n'en rester qu'à la "scrutation" sans angoisse du trou ainsi formé ? Nous ne sommes pas dans une psychose ni dans une névrose puisque seuls tiennent, on ne sait comment, le Réel et le Symbolique de part et d'autre de la béance de l'Imaginaire. Certes, on évoquera la quatrième boucle du "sinthome" qu'est la règle ; c'est-à-dire non pas un savoir mais une science doctrinale, une chose rationnelle et raisonnable comme dévoilement de la Vérité, une épiphanie du Phallus, pour faire tenir le tout. Pour les carmélites, si leur mystique y cherche de même à éliminer toute forme de croyances, l'Imaginaire n'y est pas absent pour autant ni le désir, au contraire [cf. le séminaire : Encore]. La règle y a une autre fonction que chez les chartreux, celle de cadrer l'hystérie. Les deux ordres religieux combattent la croyance, en tant que divulgation de la superstition et risque d'une possession, grâce à la foi comme don à l'Autre, sans aliénation de la liberté, et mise à l'épreuve du Sujet. Quant aux saintes anorexiques, zélatrices de la fabrique du lien, jusqu'à l'aliénation du désir de l'Autre, elles ont opté pour une religion sans dogme et la paranoïa de la croyance. L'on serait en droit de se demander si un chartreux est psychanalysable, la réponse versera probablement vers la négative à cause d'un impossible transfert, alors qu'une carmélite semblera apte à la cure.
Ces "collations" portent en elles assez de sens pour autoriser une différenciation dans la terminologie religieuse. Tout autant que l'excellent essai d'Henri REY-FLAUD ou le très pertinent article de Jean-Pierre LEHMANN , nous affirmerons que si la foi est du domaine de la confiance inconditionnelle, voire irrationnelle - du latin : fides et du grec : ?ß????, pistis : fidélité et engagement par pacte ou serment fait à et en autrui -, la croyance en appelle toujours à une comptabilité de la "fiance" cédée - en latin la : credentia, c'est-à-dire la : créance, ce à quoi l'on accorde crédit -. Cette dernière se manifeste par la certitude et son lien à l'économie du sujet, alors que la foi procède toujours d'une ignorance : oubli de l'oubli. Autrement la religion. Deux étymologies latines la soutiennent : religare, en tant que ce qui crée du lien et relie à autrui ou à une idée commune ; relegere, comme ce qui favorise l'élaboration d'un sens de l'Histoire grâce à une lecture dite herméneutique ou analytique de celui-ci et d'une Histoire du sens grâce à une relecture de celle-ci. " La religion, c'est le rapport que l'Homme entretient avec son origine et sa fin. Rapport médiatisé par un certain nombre de rites sociaux. Ainsi, en Occident, allons-nous au cimetière le jour des morts. La foi, c'est l'adhésion personnelle à un Dieu reconnu comme transcendant et unique. Elle implique le monothéisme, ce qui n'est pas le cas pour la religion " . Il convient d'en supposer une troisième, quoiqu'excessive : relegare, car la part d'appartenance qu'elle produit isole et relègue chaque membre rassemblé sous la commune pensée de tous ceux qui n'y adhèrent pas. L'abus de coupures engendre le phénomène sectaire. Secte : d'une racine indo-européenne : sekw- : suivre, venir après, à laquelle se rattache en latin l'adverbe : - secus : le long de, autrement - qui a pour dérivé l'adjectif : - sequester : intermédiaire, médiateur -, lui-même neutre substantivé : - sequestrum : séquestre -. D'où, en bas latin : sequestrare : mettre en dépôt, séparer, éloigner. Le substantif latin : secta, implique le fait de suivre une ligne de conduite ou une école philosophique. Jusqu'au XIIIe siècle, il s'assimile à toute forme de doctrine, alors qu'à partir du XIVe siècle il désigne un petit groupe de gens professant la même doctrine religieuse. De l'idée étymologique de " suite " viennent la locution - être d'une secte et d'un accord - " prendre la même décision " (vers 1340) et les emplois pour " troupe " (au XVe siècle), " corps de métier " (en 1477), tous disparus. Par influence du latin : - sectio : action de couper, coupure - et du supin : sectum, lui-même de : - secare : couper -, le mot : sete (vers 1230) puis : secte (1525) dénomme un groupe constitué à l'écart d'une Église pour soutenir des opinions théologiques particulières. Récemment, le mot, sous influence de l'anglais : sect, qualifie des organisations fermées exerçant une influence psychologique forte sur leurs adeptes et se réclamant d'une pensée religieuse ou mystique étrangère aux grandes religions constituées. Aussi ce vocable est-il généralement utilisé dans un sens aussi vague que péjoratif. Il désigne dans l'usage courant, soit un petit groupe d'adeptes séparé d'un plus grand, soit l'ensemble des disciples d'un maître hérétique. Dans l'un ou l'autre cas, il n'est employé que pour désigner des groupes qui récusent eux-mêmes cette appellation parce qu'elle est chargée de mépris et de normativité. En ce temps de centenaire et de mémorial où se placera la psychanalyse dans l'avenir ?
La sociologie religieuse tente depuis Max WEBER de dégager le contenu des signifiants antithétiques de : secte et d'Église. Pour ce dernier, la secte se présente comme un groupe de volontaires alors que l'Église est une institution salvatrice. Celle-ci est un corps social établi et une institution universelle, alors que la première est un groupe contractuel qui s'oppose au système d'assimilation religieuse en rejetant tout compromis avec le Monde.
Le spécifisme de la secte réside en l'incarnation historique d'une jonction de l'eschatologie et de l'illuminisme, ce qui n'est pas sans lien avec une structure psychique de : borderline ou de : delirium mysticus. Sous ses divers visages, la secte est toujours la même : elle pointe vers une sortie de l'Histoire par le haut - illuminisme - et vers l'avant - eschatologisme -. De plus, la secte se caractérise par son radicalisme éthique. En rupture avec la société et en dissidence avec les institutions religieuses établies, la secte vit dans un radicalisme qui s'érige sur l'absence du dialogue avec l'Histoire, la Science et la Culture. Radicalisme qui garantit la pureté doctrinale et le rigorisme moral en rejetant tout genre de corruption : laxisme, compromis, adaptation, prise en compte des situations et du cheminement singulier des personnes. La secte est pour les purs, les parfaits. Ce qui, néanmoins, ne manque jamais de provoquer un schisme au sein de la cohésion sociale et psychique. Schisme : d'une racine indo-européenne : skeid- : fendre, comportant une variante expressive : skheid- qui se réalise dans le latin : - scindere : déchirer, fendre, arracher,
diviser, séparer -. En grec : - scizein - skhizein : fendre, d'où : - scistoV - skhistos : fendu, qu'on peut fendre ; -scisma, -atoV - skhisma, -atos : fente, séparation ; - sciza - skhiza : éclat de bois, emprunté par le latin sous la forme : schidia. Au XIIe siècle, le mot apparaît avec le sens de : séparation, anarchie, désaccord. À partir de 1172-1174, le mot : cisme désigne la formation, dans une religion établie, d'un groupe qui se sépare de la communauté reconnue, sans qu'il y ait dissidence complète sur les points essentiels du dogme et du culte. Vers 1381, le mot : scisme se mit à décrire la période anarchique que l'Église chrétienne catholique traversa entre 1378 et 1429 où il y eut plusieurs papes en même temps, chacun se prétendant légitime.
Le schisme répond par une forme d'egotisme à la phobie d'une disparition du Sujet : idiotês . Le comportement schismatique dénote une antinomique défense en ultime recours d'un narcissisme défaillant susceptible de mener une personne à la schizophrénie. La clinique psychanalytique ne nous instruit-elle pas de la difficulté pour tout un chacun d'assumer la castration sans pour autant sombrer dans la schize ? Le schismatique tenterait un sauvetage de l'intégrité de son être afin d'éviter la castration en tant que cause du manque par renoncement à sa toute puissance. Il ne parviendrait pas à dissocier sa phobie de la psychose de l'amputation symbolique que représente la reconnaissance de son manque à être. Peur de l'éviction et de la souillure du Moi menant un Sujet à sa marginalisation sociale et communautaire !
C'est à cet exemple que surgit également le danger de la pureté, pour reprendre un ouvrage publié aux éditions Grasset par Bernard-Henri LÉVY . Ne pouvant tenir l'un et l'autre, notre hérétique sectaire sombre dans le schisme qu'alors seul le dogme peut sauver ou permettre d'éviter à la cohésion sociale la contamination schizoïde :
Dogme : mot de la famille indo-européenne - dek-, dok-, dk- : acquérir ou faire acquérir une connaissance ; comportant en grec une variante dak-. Nous trouvons le grec : - dokesn - dokein : sembler, paraître, croire bon, juger, décider et penser, d'où - d"gma - dogma et -d"gmatoV - dogmatos : ce qui paraît bon, opinion, doctrine, thèse, décret ; puis - d"xa - doxa : opinion et bonne réputation. C'est le XVIe siècle qui francisa le grec et le latin : dogma, pour former les mots : dogme et dogmatique ; alors que déjà, grâce au bas latin : dogmatizare, notre langue possédait depuis le XIIIe siècle le verbe : dogmatiser.
Étude philologique du dogme que nous entendons plus que toutes les autres puisqu'elle fait écho aux doctes savoirs de nos éminents docteurs, issus des divers secteurs des sciences, lesquels se prennent parfois à discipliner les paradoxes de leurs condisciples rendus enfin à la docilité !!! S'avisera-t-on d'énoncer que tout docteur serait irrémédiablement à l'abri d'un comportement doctrinaire ? Lequel n'est pas loin parfois d'exclure !
Selon Henri REY-FLAUD : " L'arithmétique présente en effet le modèle d'une croyance sans défaut, supposée par une forme particulière de langage, constituée d'un réseau de signes, dans lequel la question du manque ne se pose pas plus que celle d'avoir à distinguer le vrai du faux " . L'arithmétique compte et crédite la vérité d'une certitude, elle est la parfaite réalisation de la croyance. Mais nous n'ignorons pas que : " Sur la faillite du signifiant, le croyant, le militant ou le nazi deviennent alors les agents acharnés de la volonté des "dieux obscurs". La croyance religieuse traditionnelle (chrétienne) semble, en revanche, respecter la fonction phallique qui constitue la structure de la croyance… Dans l'espace religieux, le sujet n'a accès qu'à un Autre barré : le dit premier n'est jamais délivré, la cause originelle n'est jamais dévoilée. Aussi la croyance est-elle supportée par un certain nombre de "mystère" (Incarnation, Trinité), qui ont pour fonction de désigner le point où la Cause est perdue. Toutefois, l'on découvre bientôt, en sens inverse, que la Cause refusée au fidèle est supposée détenue au lieu de l'Autre, si bien que la croyance dans l'Autre barré est, en réalité, noué à la croyance dans l'Autre non barré, conçu comme savoir absolu, ce que confirme le crime primordial de l'Homme d'avoir voulu rivaliser avec la science de Dieu (Gn. 3,2-6). Ainsi le fidèle n'a accès à l'Autre non barré qu'à travers l'Autre barré, ce que figure le thème de la mort de Dieu, incarné dans le "mystère" de la Croix. La croyance religieuse se constitue donc de la contradiction qui la soutient : elle renvoie dans une monde de ténèbres à un Dieu de vérité, elle maintient l'Homme, au milieu des injustices et des misères, dans l'espérance qu'au jour de la révélation, la raison de tout ce désordre lui sera donnée. Ce faisant, elle reproduit la structure du langage, qui témoigne, chaque fois que nous parlons, de la même croyance dans l'Autre barré et dans l'Autre non barré. Car toute parole dans son fond s'adresse à l'Autre barré qui seul peut donner sens à notre adresse, en la recevant du lieu de son manque, ce que traduit la conviction que Dieu a besoin des hommes. Mais, dans le même temps, nous attendons de ce même Autre qu'il réponde, non pas seulement à notre demande, mais à notre désir, qu'il satisfasse notre désir en termes de jouissance. Ainsi la croyance religieuse, comme Credo, se caractérise-t-elle de ce que le sujet fait crédit à l'Autre du signifiant à la Cause, ce qui définit le procès du refoulement originaire fondateur du langage. Mais, à ce moment, elle avoue sa parenté avec la névrose, qui présente le même caractère de révéler la structure symbolique du langage en l'imaginarisant - cette homologie établie par FREUD étant fondée sur le constat que les deux phénomènes trahissent la même nostalgie de la Cause " .
Ces distinctions philologiques et psychanalytiques nous invitent à poser sur le nœud borroméen conçu par Jacques LACAN l'articulation suivante :

Outre ce nouage et l'installation de la secte comme point de sa rupture, ce peut-il que l'hérésie d'un Sujet ou des sociétés humaines soit salutaire ? Pourtant elle fut et reste fondamentale à la constitution dogmatique des grands courants religieux des diverses civilisations ! Hérésie : est un emprunt savant au latin classique - hæresis : doctrine, système -, spécialement en latin ecclésiastique : doctrine contraire aux dogmes de l'Église catholique. Le latin est tiré du grec - amresiV - hairesis : action de prendre, de choisir, car dérivé de - amrein - hairein : prendre ; ce terme désignera de façon tardive dans la société grecque une école philosophique puis une secte religieuse. Au XIIe siècle - erisie - nomme : un choix, une opinion particulière. Herite ou erede : qui choisit, fut remplacé au XIVe siècle par : hérétique ; alors que le XVIe siècle créa le mot : hérésiarque, du grec - amresi-PrchV - hairesi-arkhês : chef d'une secte. Souvent, dans l'Histoire humaine, l'hérésie dénonça les imprécisions et failles d'une logique linguistique ou philosophique que l'élaboration d'un dogme vint en réponse sanctionner. Elle signale la recherche d'un sens et d'une intégration œuvrant tant à la construction subjective qu'à une quête d'amour et de reconnaissance d'une - idiotês - sans exclusion communautaire… Religion athée ou pas, la psychanalyse use des mêmes structures pour agir. C'est pourquoi l'R.S.I. lacanienne canonise la pensée freudienne lorsqu'elle réactualise les Ça - Moi et Surmoi d'un Sujet névrosé en : Réel - Symbolique et Imaginaire.
Le psychanalyste lacanien, loin de combler de ses charismes le patient, place son éthique dans son "décharitage" vis-à-vis de l'analysant ; laquelle est effacement du thérapeute devant la vérité de la parole. Cette dernière ne saurait donc ni excommunier ni enfermer l'autre au nom d'un quelconque savoir de maître ou de gourou. La psychanalyse opère dans le champ de la haine de soi, le "sadomasochisme" latent manifesté par les multiples symptômes de la croyance souffrante ; eux-mêmes provoqués par le - kakoV - kakos : mal, mauvais, sordide, méchant, lâche, résidant dans l'espace du Moi où le pire ennemi d'une personne n'est qu'elle-même. N'est-ce pas pour ceci que le psychanalyste, à l'opposé du maître spirituel, acceptera d'accomplir "La tournée des dupes" du fait religieux comme renoncement du patient à la croyance, sans obligation d'ivresse hystérique ni de foi ; en juste et probe hérétique ?
Pour en finir, imprégné des méthodes scolastiques doublées d'un soupçon d'ironie quasi jésuitique, interrogeons les diverses causalités et efficiences de la foi dans ce qu'elle fabriquerait comme aliénation et exclusion. Entendez, qu'à l'inverse des doctes intervenants de ce Colloque pictave, je ne puis me targuer d'être capable d'y apporter la moindre réponse. Ainsi de la foi : quid ? Oui, de quoi est-il question ? N'est-elle pas, plus souvent qu'on ne le pense, porteuse de l'engendrement d'une ère nouvelle ? Est-ce scandaleux ? Une impitoyable logique terminologique, n'origine-t-elle pas ce pourquoi nous ne saurions énoncer que, théologiquement ou psychanalytiquement, Dieu ex-iste puisqu'il ne peut ni être in-clus ni être ex-clu ?! Tant dans son Essence que par son Nom, ce qui produirait une for-clusion dont nous devinons tous les risques de comportements psychotiques. Sa tautologie veut qu'Il soit, par définition, en-clos. Pourtant n'est-Il point la source d'ex-clusions chaque fois qu'une manifestation nouvelle de la Nature é-clôt ? Quel est ce jeu de langage ? Et quel en est la clef ? Précisément : elle !!! Puisque c'est soit devant ou derrière une clef que se détermine toutes les variantes du : clore . Mais, depuis le XVIe siècle, cette dernière racine est elle-même tombée en désuétude au profit d'une autre plus éloquente : fermer. Quitte à vous de jouer à lui appliquer tous les préfixes que la langue autorisa déjà pour : clore [en-, re-, con-, in-, ex-, é-, for-], façon de voir ce que cela produit… Peut-être que la crise traversée par une communauté humaine ne lui fait-elle pas moins opter pour des solutions dogmatiques de clôture que de communion et de communication ? L'hérésie, aux conséquences douloureuses, choisie par une société ne verserait-elle pas plus du côté de l'ex-communication que de l'ex-clusion ? Et la for-clusion du langage ainsi provoquée n'aurait-elle pas pour conséquence de rendre schismatique, c'est-à-dire : schizoïde cette société ? Contre la décadence et le formalisme culturels, n'aurions-nous pas, parfois, à souhaiter pour cette dernière qu'elle sache fabriquer un plus d'ex-clusion sans ex-communication afin qu'elle ne glisse pas dans la ré-clusion pour la sauver de toutes con-clusions figeant la fabrique des différences et diversifications ? Certes, la religion refuse souvent l'accueil et l'entrée de l'étranger au sein du groupe constitué, mais une Civilisation sans croyance, rites, liturgie et foi serait-elle moins totalitaire ? Le fantasme d'une mondialisation résultant de l'enfermement des humains dans une pensée commune, leur inclusion, est-il vraiment un bon projet pour le Monde ? Les psychanalyses freudienne et lacanienne ne soignent-elles pas la société occidentale moribonde, aliénante et décadente en prônant la nécessité du Sujet libre jusqu'à l'errance aventureuse comme primordiale ; la régénérant, grâce au potentiel d'imagination ainsi suscité, pour faire naître une personne active et créative ? Ne s'agit-il pas moins d'œuvrer à la communication - communion sans fusion du pluralisme et à la dignité humaine que d'éradiquer systématiquement la foi ?…
Ne convient-il pas de reconnaître que lorsque la théologie est bien faite, ne conduisant pas ainsi nécessairement à la névrose, elle peut intéresser au plus haut niveau la psychanalyse ? N'imaginons pas que l'émancipation de la religion passe par l'irreligiosité, ce serait s'illusionner d'un contresens, l'inverse philologique de la religion s'appelle la "nég-ligence". Or, la cure psychanalytique peut-elle se réduire à une thérapie de la négligence, sous prétexte que le psychanalyste décharite ? Même André GLUCKSMANN , que nous ne soupçonnerons pas de bigotisme, nous met en garde du haut de son athéiste héroïque contre un monothéisme cédant le pas à la négligence. Ce serait faire le jeu de la paranoïa de la Science. Celle qui se targue d'un possible non manque dans le sujet, d'un S non barré ! Peu nous importe qu'à l'exemple le christianisme soit un artefact de la névrose sociale et le lieu privilégié d'une illusion où paradoxes et aberrations se conjuguent pour enfermer l'Homme en…, en lui-même ! Avec tout ce fatras de la pulsion psychique productrice d'idéologies que certains se plaisent à qualifier de plus ou moins fumeuses, à quelle aliénation choisirons-nous de nous laisser duper ? Sûrement pas à celle de l'obscessionnalité de la Science qui comme l'a si justement exposé Mary LE CAÏNEC : ne parvient pas à y croire mais qui sans cesse vérifie ce qu'elle nous certifie savoir. Ne prétend-elle pas nous affranchir de la névrose de la foi ? Alors, autant que René GIRARD j'entends la vérité qu'enseigne Satan : la tentation de la négligence, puisqu'elle seule est absolument lucide - voyante sans faille - du vrai. Du savoir et de l'éthique anthropologiques, la fascination perverse fera-t-elle mieux demain que la névrose d'hier pour faire taire la plainte devenue insupportable à tous ceux affirmant que le discours parfait des mathématiques parviendra à soustraire l'Homme de la logique du "pas-tout" ? Étrange logique impliquant qu'il y aurait un signifiant qui soit adéquat à sa signification !!!