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La soupe à la grimace

Jean-Jacques Lepitre

Lorsque l'objet fait la soupe à la grimace, et que disparaissant, il ne reste plus que l'Autre qui fait la gueule...
Cet Autre dont il s'agit de jouir, du corps qui le symbolise... Cet Autre, dont Lacan dit :" le désir de l'homme, c'est le désir de l'Autre", ambiguïté du "de", et "l'homme" à entendre comme tout être parlant...
Mais nous sommes là au très ordinaire de notre clinique, celle du divan, de ce qui s'y énonce, celle du transfert aussi... Mais également celle de la "psychopathologie" de la vie quotidienne la plus commune, du discord amoureux, de la scène de ménage, etc..
L'affirmation lacanienne, surprenante, provocatrice: " Il n'y a pas de rapport sexuel!", peut-elle ici nous éclairer? Si on peut supposer à Lacan un minimum de savoir concernant la fabrication des bébés, pourquoi une telle formule? Simple provocation, goût du paradoxe? Il y a bien sûr la référence à l'écriture mathématique, glissement de l'acception du terme "rapport", nous en verrons plus loin l'articulation. Mais avant cela, une telle opposition à l'évidence n'est-elle pas pour indiquer que, contrairement à l'imagerie amoureuse habituelle, la relation entre un homme et une femme n'irait pas de soi? L'imagerie amoureuse banale, elle se trouve aussi chez Freud, c'est le mythe qu'expose Aristophane, dans le "Banquet" de Platon. Au commencement des temps, les êtres humains étaient des sphères androgynes, complètes... S'en sentant menacés, les dieux, ( qui, en général, ne supportent pas la complétude du un, si elle ne leur est pas réservée, cf. Babel par exemple), décidèrent de les couper en deux. Les caractères sexuels du corps seraient la cicatrice de cette coupure. C'est depuis ce temps que chacun ou chacune cherche sa moitié, celle qui viendrait le ou la compléter parfaitement d'être l'autre moitié de la sphère originaire dont il a été si cruellement séparé... C'est ce "faire un", union, qui serait la visée amoureuse, ce sur quoi reposerait la demande d'amour, le désir...
C'est bien, là, la clinique de l'ordinaire, celle de la plainte amoureuse, que ça ne fasse pas assez un, que ça devrait faire un, union, retrouvaille, ajustement parfait des deux parties s'étant trouvées, etc....
C'est peut-être ici qu'il faut entendre ce que la formule de Lacan a de véritablement provocant, choquant, d'avancer que, contrairement, à la mythologie amoureuse, à son imagerie ordinaire, ce qui est normal entre un homme et une femme, c'est que ça ne colle pas, que ça ne peut pas faire un, au sens de l'union des deux parties du mythe, par exemple. Que ce n'est pas une affaire de hasard, ( ce n'est pas parce que ce ne sont pas les deux bonnes moitiés qui se sont trouvées, ce qui laisserait l'espoir que..), ni une affaire de malentendus,( ce n'est pas parce que ce sont les deux bonnes moitiés mais qu'elles n'ont pas été capables de se reconnaître).... Que ce n'est pas non plus une affaire de pathos, donc de ce qui est l'objet de notre clinique éventuellement. Le pathos, dans ce registre, se situerait un peu plus loin, un peu ailleurs. Non, le normal se serait ça, entre un homme et une femme, ça ne peut pas faire un, le rapport sexuel est impossible. C'est quelque chose de fondamental, qui est lié à la structure, à ce que tout être, humain, est pris dans le langage.
Comment peut-on justifier une pareille assertion ?
Homme et femme sont des signifiants. Des signifiants, ce ne sont pas de l'anatomie. En tant que signifiants, ils sont des lieux ou des bannières sous lesquelles vont venir se ranger les uns et les autres, êtres parlants, selon un choix ou une préférence dont la diversité montre suffisamment que cela ne tient pas au sexe anatomique.. Mâle ou femelle, l'animal n'en a que faire, ce sont des signifiants, l'instinct ou quelques engrammes viennent lui dicter la conduite sexuelle appropriée. L'être parlant, lui, d'être pris d'emblée dans la structure du langage en subit quelques différences, entre autre de devoir, quant à sa conduite sexuelle, se référer non à un instinct mais bien à ce qu'organise les signifiants. Car c'est de cela qu'il s'agit quand un être quelconque vient à se ranger du côté d'un signifiant, homme ou femme peu importe ... Dire "je suis un homme" n'indique en rien en quoi consiste, ce que recouvre le signifié que désigne "homme". Il y a fort à parier que cela soit différent pour chacun, et que puisqu'un signifiant peut toujours renvoyer à un autre signifiant, il y ait là une possibilité de renvois infinis. Mais qu'il s'agisse d'un signifiant inclus aussi qu'il obéisse à la structure différentielle du symbolique, à savoir qu'il se constitue dans sa différence avec un autre signifiant. Une autre façon d'aborder cela, c'est le rappel que les signifiants homme, femme, déterminent des places. Une place, si elle est seule, si elle est unique, en devient sans frontières, sans borne, et donc n'est plus, à proprement parler. Il en faut au moins deux, pour que de se différencier, elles puissent se définir.
De cet abord on entrevoit, peut-être, qu'il puisse y avoir, en effet, quelques difficultés à articuler un rapport sexuel comme quelque chose d'assuré. Qu'on songe aux places, et ce serait une topologie de noeud dont il s'agirait. Mais si un noeud peut bien faire union de deux éléments, fait-il pour autant un? Puisqu'il ne reste noeud qu'à conserver la distinction de ses deux éléments constituants. Si on songe aux signifiants que ces places représentent, comment faire rapport avec deux signifiants? Si on pense au rapport S1/S2, cher à Lacan, cela détermine des places, là aussi, mais en aucun cas une union. La métaphore, dimension de la langue importante, fondamentale, se présente bien comme la mise en rapport de deux signifiants, les unissant, mais c'est au prix de la disparition de l'un des deux. ( Il y aurait, quant à la métaphore, quelque chose sans doute à explorer, de ce qu'elle soit particulièrement sollicitée dans la relation et la littérature amoureuse. )
Deux objections possibles à ce qui précède:
- La première est de rappeler que ce rapport sexuel, c'est d'un acte qu'il s'agit et non de signifiants. Objection qui parait massive et qui est pourtant facile à lever. Cet acte, c'est un sujet qui le supporte et en tant que sujet, il est pris dans le signifiant, aussi bien de s'être situé, et indexé, comme homme ou femme. Et c'est en tant, également, que celui qu'il rencontre, c'est d'abord comme ce qui est représenté, pour lui, par un signifiant, homme ou femme, qu'il l'aborde et qu'il en jouit. Donc cet acte s'avère bien être supporté du signifiant.
- La seconde serait celle de l'homosexualité. De ce que, ce qui précède, semble se fonder sur la structure différentielle organisant ces deux signifiants, homme et femme, qu'en serait-il de cet impossible du rapport sexuel, dans le cas de partenaires de même sexe, hors de cette différence par conséquent? Il y a dans le mythe d'Aristophane des êtres originaires de même sexe. Ceux-ci pourraient-ils en faire Un, mieux Un, d'être de même sexe? Il serait logiquement tentant de le penser. Mais n'est-ce pas alors oublier que pour ceux-là aussi, pour ces chacuns cherchant leur chacun, ou chacunes cherchant leur chacune, c'est en tant qu'ils se sont rangés sous la bannière d'un signifiant, homme ou femme, dans sa différence de l'autre signifiant, qu'ils abordent l'objet de leur désir? Et de se ranger ainsi, sous la bannière d'un signifiant, veut dire, que forcément, l'autre signifiant, celui de l'autre sexe, en prend existence, pour le sujet, et qu'ainsi se déterminent deux places pour lui, quelques soient ses amours. Il y a là un mode d'abord de la bissexualité freudienne par le signifiant, en tant que celui-ci, pour chacun commande cette mise en place du deux, deux sexes, logiquement à partir du choix du un.
Autrement dit, il n'y a pas de hors sexe! Hétéros ou homos, l'impossible du Un, du rapport sexuel, à partir du deux, fondateur en sa différence, est la même... ( Il y aurait à digresser, de ce que, justement, la perversion au sens freudien repose sur le déni, déni de la castration, déni de cette différence, mais la tentative du déni ne met pas hors sexe pour autant).
Un deuxième abord de l'impossible du rapport sexuel, c'est celui qui conjoint la problématique de l'objet a à la question de l'Autre, et qui nous rapproche des formulations de départ, "la soupe à la grimace", mais maintenant éclairées de la dimension différentielle des signifiants. Ce qu'il en est pour chacun, chacune, précisément, selon qu'il se range sous la bannière de l'un ou l'autre des signifiants, je ne le développerai pas. Je renvoie là aux formules de la sexuation que Lacan énonce et explicite dans le séminaire "Encore". Il suffit de rappeler certaines des assertions lacaniennes. En premier que la jouissance sexuelle, c'est la jouissance d'un corps qui symbolise l'Autre. Et que cet Autre, c'est "l'en-forme de a", ( cf le séminaire "d'un Autre à l'autre"), c'est l'Autre décomplété de l'objet a. Cet objet a, qui est aussi bien la visée de la pulsion, la cause du désir, que le soutien du sujet divisé dans le fantasme. Pour les deux partenaires du rapport sexuel, il s'agit de jouir de l'Autre, mais de cet Autre, troué, de ce qui y fait pourtant cause du désir, a. Cet objet a, interchangeable, participant du semblant, vient ainsi s'opposer à tout Un espéré de cette jouissance.
Or cette opposition, au sein même de ce qui serait le rapport des deux partenaires, vient donc redoubler l'impossibilité d'écriture de ce rapport, puisque ce qui s'entend ici, c'est l'hétérogénéité radicale de l'Autre et de l'objet a, dans la visée même de ces deux partenaires, désir et jouissance, pour chacun. Comment faire rapport de deux éléments, quand chacun de ceux-ci est constitué d'éléments radicalement hétérogènes?
On en arrive à l'assertion de Lacan, en effet, qu'il y a un impossible du rapport sexuel. L'impossible, catégorie de la logique modale, aussi bien, qu'il formule lui-même comme ce qui ne cesse pas de ne pas s'écrire.
Ce serait cela la normalité, qu'il n'y a pas de rapport sexuel! Qu'il y a là un impossible! Même si on espère que, on rêve qu'il en soit autrement!...
Cela peut paraître d'une provocation, voire d'un pessimisme fou. Mais, si on songe un instant aux oeuvres littéraires ou cinématographiques qui peuplent nos mémoires, notre culture, voire notre culture populaire, les milliers de chansons qui hantent ou ont hantés nos radios, il est très facile de s'apercevoir que toutes déploient le même scénario en ce qui concerne les histoires amoureuses. Nous sommes toujours en présence d'amours merveilleuses, dont les merveilles sont conservées intactes justement de ce qu'un obstacle vienne en fonder l'impossibilité de réalisation, ou l'impossibilité de continuation. Que ce soient les familles ennemies de Roméo et Juliette, le roi, mari d'Yseult, ou le devoir du Cid... La dimension du merveilleux, posée comme axiome, est conservée, intacte, espoir d'une réalisation, d'une continuation qui auraient été telle, merveilleuse, si, si cet élément tiers n'avait pas été... Face à la systématique de ces scénari, comment ne pas renverser la proposition, et ne pas dire, que cet obstacle, cet élément tiers est justement là pour préserver cette dimension de merveilleux de ces amours, de ce que précisément ils ne puissent s'accomplir. Autrement dit, cet élément tiers a pour fonction de masquer, ce qui est la constance de ces scénari, que, finalement, de rapport sexuel, il n'y en a pas, ou il n'y aura pas, ou plus. Et puisqu'il s'agit de dimension littéraire, le scénario, on peut y constater qu'en conséquence le rapport sexuel n'y cesse pas de ne pas s'écrire. Retrouvant là, la formulation de Lacan. Il suffit de reformuler cet élément tiers comme défense face à l'impossible du rapport sexuel pour en percevoir la fonction et la généralité dans cette littérature, ( culture?), amoureuse...
Pour enfoncer le clou, il suffit de faire remarquer la fonction de ce tiers, obstacle, ennuis, emmerdements, familiaux, professionnels, voisinages, etc..., entre les partenaires non plus littéraires, mais des couples ordinaires...
Alors ce serait ça notre normalité, quoiqu'on en pense, l'impossible du rapport sexuel, ce que nous disent tous nos romans, nos chansons, ce serait jusque là qu'il faudrait entendre la formule de Lacan!..
Il y a un personnage littéraire, je ne sais plus qui le définit comme le seul mythe moderne, qui me parait émouvant, de, peut-être, justement, refuser cet impossible du rapport sexuel. Et de pousser ce refus à l'extrême limite, celle de la mort. Je veux parler de Don Juan. Don Juan magnifié par Molière et Mozart, qui est peut-être bien la tentative désespérée que le rapport sexuel soit possible, qu'il fasse Un, Un enfin, de façon épurée. Paradoxe? Sous prétexte qu'il ne parait animé que par la multiplication de ses conquêtes, la somme de ses objets, l'arithmétique de ses amours? Paradoxe? Pas du tout! Quelle semble être la raison de ses mille et trois? Si on en croit Mozart et da Ponte, mais aussi Tirso de Molina, c'est que, justement, il n'y ait pas de rapport sexuel. En effet, tout ça, toutes ses amours, au nom des quelles on le condamne, de s'en jouer, lui, Don Juan, ce à quoi il s'y heurte, c'est qu'elles ne tiennent pas le coup. Toutes ces histoires d'amour, ce à quoi elles se réduisent, et ce n'est pas de son fait, ce n'est à rien d'autre qu'à des histoires d'objet, d'objet a, c'est à dire d'objet interchangeable, objet du côté du leurre, du semblant, du grime.
Ainsi, dans l'opéra de Mozart, la première de ses conquêtes, Dona Anna, pourtant définie comme la fiancée de Don Ottavio, il suffit à Don Juan de profiter de l'obscurité de la nuit pour obtenir ses faveurs. Profiter de l'obscurité de la nuit, c'est se réduire au masculin anonyme, corps d'homme ramené aux traits communs. Alors, est-ce cela l'amour? N'importe quel homme fait l'affaire? Le jour, la fiancée de Don Ottavio, mais la nuit, quand il s'agit de la mise en acte de cet amour, n'importe lequel fait l'affaire? C'est peut-être bien pour barrer la route à cette vérité inaudible qu'a lieu le duel inaugural entre Don Juan et le père de Dona Anna, et qui de ce commandeur fera statue.
Et la seconde de ses conquêtes, Zerlina, la jolie paysanne sur le point de se marier à Mazetto, il suffit à Don Juan de lui agiter sous le nez les colifichets de l'aristocratie pour qu'elle renonce à son mariage. Quelques mots hypocrites et brillants, rutilants, et elle renonce à Mazetto, est prête à épouser Don Juan, prête à lui céder. "Andiam, andiam", souvenez-vous du duo de Zerlina et de Don Juan, c'est tellement beau qu'on ne peut qu'y croire. ( La fonction de la beauté, là aussi, est peut-être mise en cause?). On y croit, mais pas Don Juan. Comment pourrait-il y croire? Il lui a suffi de quelques mots, et Zerlina a désiré changer de mari!? Alors, est-ce cela l'amour? Quelques mots brillants, rutilants?
Mais la troisième, elle, Dona Elvira, d'être l'amante de Don Juan lui-même, de l'aimer malgré toutes ses turpitudes, de l'aimer au point de l'avoir préféré à Dieu, ( elle a renoncé à ses voeux pour lui, a quitté le couvent), elle, au moins, n'est-elle pas l'incarnation même d'un amour absolu, de l'aimer malgré, au delà, des mille et deux autres femmes? Hélas, quand Don Juan fait revêtir son chapeau et sa cape à Leporello, son valet, pourquoi faut-il qu'elle se jette dans les bras de celui-ci? Pourquoi nous montrer que l'objet de son amour, de cet amour si entier, si absolu, il se réduit à ça, un chapeau, une plume, une cape!? Un grime!? Un chiffon!? Alors est-ce cela l'amour? Un chiffon, un chapeau, et cela suffit?
Comment mieux dire l'impossible du rapport sexuel? Il y a un crescendo dramatique, dans cet opéra, de la dénonciation du semblant de cet objet, qui conduit le désir amoureux. Mais aussi de la place d'où celui-ci s'énonce. N'importe quel homme, n'importent quels mots rutilants, un chapeau... Et la fiancée, la mariée, l'amante au delà de Dieu...
Arrivé à ce point dramatique, face à cette vérité insupportable, inaudible, comment Don Juan pourrait-il avoir d'autre solution que de finir dans les bras du commandeur? D' être face à cet impossible inéluctable, ( Dieu en a aussi pris un coup dans l'affaire...)! Et les bras du commandeur ne sont pas ceux de la vengeance, de la punition, mais bien ceux d'une conséquence logique où la mort est inscrite comme nécessaire, seule restante comme ne cessant pas de s'écrire...
De tout ceci, Molière, en offre un éclairage un peu différent, mais qui, de ce fait, peut-être, en précise certains aspects. Oh, l'objet du désir, des unes, des autres, est tout autant un grime, un leurre, et le rapport sexuel rate à pouvoir s'inscrire là comme ailleurs, mais ce en quoi Don Juan, chez Molière, insiste c'est que cet impossible est lié à la question de la vérité et du langage. Et s'il se joue de ses amantes, c'est de leur mensonge qu'il se joue, en tant qu'elles mentent à leur insu, concernant cet objet de leur désir, l'objet a. C'est ce que ne supporte pas Don Juan, ce qu'il conteste si violemment. Lui désire la vérité, la vérité nécessaire d'un discours sans ambiguïté: il ne croit qu'à "deux et deux font quatre, et quatre et quatre font huit". Cette hypocrisie du semblant, de la grime dont le discours enrobe l'objet du désir, il la dénonce aussi bien chez le pauvre, le croyant, le cadavre habillé de marbre des pompes funéraires, que chez ses amantes. Héros moderne, c'est à dire du discours scientifique, il dénonce l'impossible du rapport sexuel, rapport à entendre au sens mathématique, des deux signifiants, homme et femme, chacun étant pris dans le leurre de son objet. Et s'il apparaît cynique, c'est de n'être pas dupe de cet objet, de refuser le discours qui l'enrobe, et que face à l'impossible du rapport, il ne lui reste plus qu'à être comptable de ses amours, arithméticien de ses conquêtes, 1003. Seule vérité restante. Seule vérité qui lui en agrée, promue par le discours scientifique. C'est en son nom qu'il dénonce l'hypocrisie et le semblant résultant du discours ordinaire, "normal". Mais ce semblant, justement, du discours social, de la "norme", il tient habituellement, à venir recouvrir l'impossible, d'être accroché à la figure du père qui en est garante.
La scène terrible et pathétique où Don Luis vient exhorter son fils, Don Juan, à se ranger à la "norme", au discours de tous, est fondamentale. Don Juan en effet y acquiesce au désir de son père. Mais acquiesçant à ce qu'il sait, lui, être fondé sur du semblant, sur un univers d'hypocrisie sociale, d'accepter de s'y inscrire, disant oui, il sait qu'il dit non. Il sait que ce oui est alors un non! Sorte de paradoxe du menteur, où au nom de la vérité d'un discours nécessaire s'annule la figure du père, en ce qu'elle vient recouvrir l'impossible. Don Juan refuse cet impossible, et son recouvrement. La figure du père, venant garantir que, malgré tout, malgré que ce discours ordinaire, la "norme", ne puisse être qu'un "mi-dire", ( et c'est, entre autre, cela la castration), vient aussi garantir que ce discours est accroche, articulation au réel, à cet impossible à tout dire. Par là, la figure du père, c'est aussi la possibilité de pouvoir s'en débrouiller, un peu, de ce réel. Car c'est peut-être cela, la "norme", ce discours, ce "mi-dire", ce qui permet de se débrouiller un peu du réel, grâce à la figure du père? Mais Don Juan réfutant cette figure, que lui reste t-il pour fonder cet impossible auquel il se heurte au sein même de ses amours? Rien, si ce n'est la mort! C'est cela qu'il rencontre dans sa quête inéluctable. Et c'est cela le commandeur. La mort comme seul réel subsistant à témoigner de cet impossible qu'il rencontre en ses amours et qu'il récuse. C'est ce mouvement de refus de l'impossible, et du refus conséquent de la figure du père, au profit de la vérité d'un discours articulé dans la catégorie du nécessaire qui peut faire penser Don Juan comme drame, un drame du discours scientifique.
( Il est à noter que Descartes, contemporain du Don Juan de Molière, débute ses méditations par l'hypothèse d'un Dieu menteur, un Dieu du semblant!). Et les conséquences de l'émergence du discours scientifiques n'ont pas encore fini de résonner...
Est-ce le mot de la fin? Est-ce à ce qui apparaît comme d'un pessimisme radical que s'en tient Lacan? A cet impossible venant faire échec à la dimension qu'on voudrait croire nécessaire de nos amours? ( mais aussi échec à la tentation de les "scientificiser"?). Oui, il semble s'en tenir là, à cet impossible tel que nous l'avons décrit du rapport sexuel, mais aussi parce que cet impossible, dans un mouvement dialectique, vient fonder un réel. Lacan le précise, (à la fin du séminaire "Encore") : "Il n'y a pas de rapport sexuel parce que la jouissance de l'Autre comme corps est toujours inadéquate - perverse d'un côté en tant que l'Autre se réduit à l'objet a - et de l'autre, je dirai folle, énigmatique. N'est-ce pas à cette impasse, à cette impossibilité d'où se définit un réel, qu'est mis à l'épreuve l'amour". Ce réel, qui ainsi se définit, ne peut-on y entendre ce que Bataille appelait "la petite mort", ( la mort que Lacan, par ailleurs, définit comme exemple le plus simple du réel), c'est à dire le temps de l'orgasme. Ce temps qui est à proprement parler impensable pour le sujet, comme le réel, puisqu'à le penser il n'y est plus; à y être, il ne se pense plus, se révélant ainsi dans sa structure de sujet divisé. Et ce réel qui donne sa consistance à l'acte, au rapport sexuel, consistance d'impensable, de vide, et c'est à tenter de le symboliser que visera l'amour, à ce qu'il y en ait reconnaissance, et par là aussi du sujet divisé qui s'y révèle, et ceci dans l'adresse à l'Autre dont il s'agit de jouir. C'est ainsi que le rapport sexuel peut cesser de ne pas s'écrire, et qu'une rencontre peut être...
C'est sur ce chemin que nous mène, semble-t-il, Lacan. Un chemin étonnant, et formidable, de suivre l'acception du terme rapport en son sens mathématique quant à la question du sexuel, puisqu'à en articuler le nécessaire, la question des signifiants, celles de l'objet et de l'Autre, et d'en pousser les conséquences, il parvient à cet impossible. Mais à la différence de Don Juan, cet impossible est fondateur d'un réel, ( rejoignant par là, peut-être bien, le plus intime de l'expérience sexuelle, malgré et avec ce départ mathématique), réel d'où pourrait se subvertir précisément la question de cet impossible même!