Historique
Les travaux qui suivent concernant la double conscience (amnésie
périodique, dédoublement de la personnalité) ont été publiés à des
époques différentes et dans des recueils divers; ils ont eu pour base
l'observation de Félida X..., observation qui a fait un certain bruit
dans le monde scientifique. Seulement, les lecteurs de ce volume
voudront bien excuser nombre de répétitions, en se rendant compte que
le fait initial a dû être rappelé plusieurs fois; sans ce rappel, ou
sans ces répétitions, j'aurais couru le risque de ne pas être compris.
Bien que l'observation de Félida n'ait été publiée qu'en 1876, elle i
datait pour moi de 1858, puisque, ainsi que je l'ai dit dans le mémoire
qui précède, c'est la singularité de son état qui m'a fait rechercher,
dans le livre de Braid, un moyen de la soulager, et c'est chez elle,
sur une de ses amies, Maria X..., que j'ai fait mes premières
expériences d'hypnotisme.
J'avais souvent raconté le fait singulier cité plus loin; mais, comme,
pour l'hypnotisme, j'étais arrivé à n'en plus parler. Je continuais, de
loin en loin, à voir Félida, et je notais avec soin les péripéties de
son état, certain qu'un jour viendrait où ces notes seraient utiles.
Il en était ainsi depuis longues années, lorsque, au printemps de 1875,
à Paris, dans une conversation sur les bizarreries de la mémoire avec
MM. Germer-Baillière, et Alglave, alors directeur de la Revue
scientifique, - qui ne l'ont peut-être pas oubliée, - je racontai
l'histoire de Félida; ces Messieurs, certains que je ne me trompais
pas, me prièrent de réunir mes notes ; pensant que la Revue
scientifique aurait à le publier, je fis ce travail, vers l'automne, me
trouvant à Arcachon avec mon maître et ami Bersot, je le lui lus.
Borsot comprit l'importance du fait, et me dit que l'Académie des
Sciences morales et politiques devait en avoir la primeur. Cela fut
convenu, et quelques mois après, M. Charles Lévêque lut cette
observation à l'Académie. Dès sa lecture, elle fut publiée dans la
Revue scientifique et aussi dans les Comptes rendus de l'Académie des
Sciences morales.
Cette publication fit un grand bruit, particulièrement dans le milieu
où on s'occupe des problèmes biologiques. Il était donc possible qu'une
personne put avoir comme deux existences séparées l'une de l'autre par
l'absence du souvenir, l'unité du moi; n'était-elle pas atteinte?...
Cette personne est-elle responsable? etc, etc...., et nombre d'autres
questions que ce fait pouvait soulever. On fit des recherches, on
trouva des faits analogues; moi-même en rapportai un autre, et depuis
ma publication, on en a observé un certain nombre. Aujourd'hui que
l'éveil est donné, on en rencontrera certainement d'autres.
Le plus ancien de ces faits est celui de Mitchell et Nott, qui a été
publié en 1816 dans le Medical Repository de New-York (journal
introuvable), et qui a été reproduit par Mac Nish, par Franck, par M.
Taine; il est connu sous le nom de l'Histoire de la dame américaine de
Mac Nish.
Quant à ceux qui ont suivi 1876, ils sont indiqués dans l'une des
publications qui suivent.
La question du dédoublement de la personnalité, soulevée par
l'observation publiée plus loin, avait, une importance particulière,
car elle touche aux difficultés de la psychologie et de la biologie
cérébrale. Aussi, dès l'apparition de l'histoire de Félida, j'ai eu à
donner des éclaircissements à des savants qui s'intéressaient à ces
problèmes, et aussi a discuter avec eux : en France, Littré, Bersot,
Charles Lévêque, Alfred Maury, Luys, Ribot, Paul Janet, etc., etc. ; à
l'étranger, MM. Delboeuf, Alexandre Herzen, Ernest Naville, Hack-Tuke,
etc., etc.; à Bordeaux, divers professeurs de philosophie: MM Liard,
Marion, Egger et Espinas.
Je me félicite d'avoir eu la bonne fortune d'observer cette hystérique
singulière ; en publiant son histoire, j'ai attiré l'attention d'hommes
considérables sur des questions difficiles dont la solution sera
certainement trouvée
Dans la sphère sérieuse où ces questions s'agitent, je n'avais pas à
craindre la promiscuité fâcheuse du charlatanisme, promiscuité qui,
dans l'étude de l'hypnotisme, a eu ses dangers.