AMNÉSIE PÉRIODIQUE OU DOUBLEMENT DE LA VIE
HISTOIRE DE FÉLIDA
PREMIER FAIT OBSERVÉ EN FRANCE
(Comptes rendus de l'Académie des sciences morales et Revue
scientifique, 1876.)
Je vais raconter l'histoire d'une jeune femme dont l'existence est
tourmentée par une altération de la mémoire qui n'offre pas d'analogue
dans la science; cette altération est telle qu'il est permis de se
demander si cette jeune femme n'a pas deux vies.
Quelle que soit la nature des phénomènes que je vais décrire, ils
méritent de provoquer les réflexions des psychologues, car si la
physiologie ne peut se passer de l'étude des maladies, de même d'étude
des facultés de l'esprit, qui n'est que la physiologie des fonctions de
l'ordre le plus élevé, ne saurait être faite sans l'analyse de leurs
lésions
Devant un sujet presque ou entièrement nouveau, éprouvant quelque
embarras pour choisir un titre, j'ai préféré laisser le choix au
lecteur; après lecture, il verra la désignation qu'il préfère. Il
voudra bien être indulgent et prêter une attention soutenue, car les
termes, les mots dont je dois me servir sont les termes ordinaires
détournés de leur acception et pourront amener quelque obscurité. De
plus, je prie de ne pas oublier que, médecin, je raconte de mon mieux
une observation qui appartient plus à la psychologie qu'à la médecine,
et que, simple narrateur d'un fait, je n'ai pas à prendre parti pour ou
contre telle solution délicate qui peut se dégager de son analyse.
Les réflexions qui suivent mon exposé sont plutôt destinées à le
compléter qu'à prendre couleur dans un débat; en racontant ce fait
sincèrement et clairement, je borne mon ambition à porter ma faible
contribution à la connaissance de l'homme.
Félida X... née en 184I, à Bordeaux, de parents bien portants; son
père, capitaine dans la marine marchande, a péri quand elle était: en
bas âge, et sa mère, laissée dans une position précaire, a dû
travailler peur élever ses enfants.
Les premières années de Félida ont été difficiles cependant son
développement s'est fait d'une façon régulière.
Vers l'âge de treize ans, peu après la puberté, elle a présenté des
symptômes dénotant une hystérie commençante, accidents nerveux variés,
douleurs vagues, hémorragies pulmonaires que n'expliquait l'état des
organes de la respiration.
Bonne ouvrière et d'une intelligence développée, elle travaillait à la
journée à des ouvrage de couture.
Vers l'âge de quatorze ans et demi se sont montrés les phénomènes qui
font le sujet de ce récit.
Sans cause connue, quelquefois sous l'empire d'une émotion, Félida X...
éprouvait une vive douleur aux deux tempes et tombait dans un
accablement profond, semblable au sommeil. Cet état durait environ dix
minutes après ce temps et spontanément elle ouvrait les yeux,
paraissant s'éveiller, et commençait le deuxième état que je nommerai
condition seconde que je décrirai plus tard; il durait une heure ou
deux, puis l'accablement et le sommeil reparaissaient et Félida
rentrait dans l'état ordinaire. Cette sorte d'accès revenait tous les
cinq ou six jours ou plus rarement, et ses parents et les personnes de
son .entourage, considérant le changement de ses allures pendant cette
sorte de seconde vie et son oubli au réveil, la croyaient folle.
Bientôt les accidents de l'hystérie proprement dite s'aggravèrent.
Félida eut des convulsions, et les phénomènes de prétendue folie
devinrent plus inquiétants; je fus alors appelé à lui donner mes soins,
car, étant alors médecin, adjoint de l'asile public des femmes
aliénées, il était naturel qu'on me demandât de traiter une maladie
qu'on croyait mentale.
Voici ce que je constate en octobre 1858
Félida X... est brune, de taille moyenne, assez robuste et d'un
embonpoint ordinaire; elle est sujette à de fréquentes hémoptysies
probablement supplémentaires. Très intelligente et assez instruite pour
son état social, elle est d'un caractère triste, même morose, sa
conversation est sérieuse et elle parie peu, sa volonté est très
arrêtée et elle est très ardente au travail. Ses sentiments affectifs
paraissent peu développés. Elle pense sans cesse à son état maladif qui
lui inspire des préoccupations sérieuses et souffre de douleurs vives
dans plusieurs points du corps, particulièrement à la tête; le symptôme
nommé clou hystérique est chez elle très développé.
On est particulièrement frappé de son air sombre et du peu de désir
qu'elle a de parler; elle répond aux questions, mais c'est tout...
Examinée avec attention au point de vue intellectuel, je trouve ses
actes, ses idées et sa conversation parfaitement raisonnables.
Presque chaque jour, sans cause connue ou sous l'empire d'une émotion,
elle est prise de ce qu'elle appelle sa crise; en fait, elle entre dans
son deuxième état; ayant été témoin des centaines de fois de ce
phénomène, je puis le décrire avec exactitude. J'en ai parlé plus haut
d'après ce qu'on m'avait raconté; je le décris actuellement d'après ce
que j'ai vu.
Felida est assise, un ouvrage quelconque de couture sur les genoux;
tout d'un coup, sans que rien puisse le faire prévoir et après une
douleur aux tempes plus violente qu'à l'habitude, sa tête tombe sur sa
poitrine, ses mains demeurent inactives et descendent inertes le long
du corps, elle dort ou parait dormir, mais d'un sommeil spécial, car ni
le bruit ni aucune excitation, pincement ou piqûres ne sauraient
l'éveiller; de plus, cette sorte de sommeil est absolument subit. Il
dure deux à trois minutes; autrefois il était beaucoup plus long. Après
ce temps, Félida s'éveille, mais elle n'est plus dans l'état
intellectuel où elle était quand elle s'est endormie. Tout parait
différent. Elle lève la tête et, ouvrant les yeux, salue en souriant
les nouveaux venus, sa physionomie s'éclaire et respire la gaieté, sa
parole est brève, et elle continue, en fredonnant, l'ouvrage d'aiguille
que dans l'état précédent elle avait commencé; elle se lève, sa
démarche est agile et elle se plaint à peine des mille douleurs qui,
quelques minutes auparavant, la faisaient souffrir; elle vaque aux
soins ordinaires du ménage, sort, circule dans la ville, fait des
visites, entreprend un ouvrage quelconque, et ses allures et sa gaieté
sont celles d'une jeune fille de son âge bien portante. Son caractère
est complètement changé: de triste elle est devenue gaie, et sa
vivacité touche à la turbulence, son imagination est plus exaltée; pour
le moindre motif elle s'émotionne en tristesse ou en joie:
d'indifférente à tout qu'elle était, elle est devenue sensible à
l'excès.
Dans cet état, elle se souvient parfaitement de tout ce qui s'est
passé: et pendant les autres états semblables qui ont précédé et aussi
pendant sa vie normale. J'ajouterai qu'elle a toujours soutenu que
l'état, quel qu'il soit, dans lequel elle est au moment où on lui
parle, est l'état normal qu'elle nomme sa raison, par opposition à
l'autre état qu'elle appelle sa crise.
Dans cette vie comme dans l'autre, ses facultés intellectuelles et
morales, bien que différentes, sont incontestablement entières : aucune
idée délirante, aucune fausse appréciation, aucune hallucination, je
dirai même que dans ce deuxième état, dans cette condition seconde,
toutes ses facultés paraissent plus développées et plus complètes.
Cette deuxième vie où la douleur physique ne se fait pas sentir est de
beaucoup supérieure à l'autre; elle l'est surtout par le fait
considérable que nous avons déjà indiqué, que pendant sa durée Félida
se souvient non seulement de ce qui s'est passé pendant. les accès
précédents, nais aussi de toute sa vie normale, tandis que, ainsi que
je le redirai plus loin, pendant sa vie normale elle n'a aucun souvenir
de ce qui s'est passe pendant ses accès.
Après un temps qui, en l858, durait trois ou quatre heures presque
chaque jour, tout à coup la gaieté de Félida disparaît, sa tête se
fléchit sur sa poitrine, et elle retombe dans l'état de torpeur que
nous avons décrit.. - Trois à quatre minutes s'écoulent et elle ouvre
les yeux pour rentrer dans son existence ordinaire. - On s'en aperçoit
à peine, car elle continue son travail avec ardeur, presque avec
acharnement; le plus souvent c'est un travail de couture entrepris dans
la période qui précède. Elle ne le connaît il lui faut un effort
d'esprit pour le comprendre. Néanmoins elle le continue comme elle peut
en gémissant sur sa malheureuse situation ; sa famille, qui a
l'habitude de cet état, l'aide à se mettre au courant.
Quelques minutes auparavant elle chantonnait quelque romance : on la
lui redemande, elle ignore absolument ce qu'on veut dire; on lui parle
d'une visite qu'elle vient de recevoir, elle n'a vu personne.
Je crois devoir préciser les limites de cette amnésie. - L'oubli ne
porte que sur ce qui s'est passé pendant la condition seconde, aucune
idée générale acquise antérieurement n'est atteinte; elle sait
parfaitement lire, écrire, compter, tailler, coudre, etc.., et mille
autres choses qu'elle savait avant d'âtre malade ou qu'elle a apprises
dans ses périodes précédentes d'état normal.
Dès 1858, je l'avais remarqué et je l'ai vérifié dans ces derniers
temps, sur l'invitation de MM. Liard et Marion, professeurs de
philosophie. Ces psychologues, qui ont bien voulu m'éclairer de leurs
conseils, m'ont fait comprendre l'importance de ce caractère, car dans
quelques faits célèbres de doublement de, la vie l'oubli portait sur
toute la vie passée, y compris les idées générales. - Il en était ainsi
de la dame américaine de Mac Nish .
Physiquement Félida est une hystérique très caractérisée; elle a la
boule épigastrique, sa sensibilité tactile est altérée; son goût, dans
l'état normal, est détruit, car j'ai pu lui faire mâcher des pilules
d'un goût détestable sans qu'elle y trouvât aucune saveur; son odorat
est diminué, et nombre de points de son corps sont anesthésiques;
enfin, pour la moindre émotion elle a des convulsions sans perte
complète de la connaissance. Je n'insiste pas sur ce tableau si connu;
il me suffira de dire que chez Félida l'hystérie est certaine, et que
les accidents singuliers qu'elle présente doivent être sous la
dépendance de cette maladie générale. .
A cette époque s'est montré un troisième état qui n'est qu'un
épiphénomène de l'accès. J'ai vu cet état seulement deux ou trois fois,
et pendant seize ans son mari ne l'a observé qu'une trentaine de fois;
étant dans sa condition seconde, elle s'endort de la façon décrite, et
au lieu de s'éveiller dans l'état normal comme à l'habitude, elle se
trouve dans un état spécial que caractérise une terreur indicible; ses
premiers mots sont : " J'ai peur... j'ai peur... " ; elle ne reconnaît
personne sauf le jeune homme qui est devenu son mari. - Cet état quasi
délirant dure peu, c'est le seul moment où j'aie pu percevoir chez elle
des conceptions fausses.
J'aurais pu prendre pour des hallucinations de l'ouie et de l'odorat
certains états hyperesthésiques de ces sens, mais une étude attentive
m'a démontré que l'exaltation seule de ses sens lui permettait
d'entendre des conversations on des bruits et de sentir des odeurs que
personne dans son entourage ne pouvait percevoir. L'histoire de
l'hystérie est remplie de faits semblables; je n'insiste pas.
Si j'avais pu avoir des doutes sur la séparation complète de ces deux
existences, ils eussent été levés par ce que je vais raconter.
Un jeune homme de dix-huit à vingt ans connaissait Félida X... depuis
son enfance et venait dans la maison; ces jeunes gens, ayant l'un pour
l'autre une grande affection, s'étaient promis le mariage.
Un jour, Félida, plus triste qu'à l'ordinaire, me dit les larmes dans
les yeux que sa maladie s'aggrave, que son ventre grossit et qu'elle a
chaque matin des envies de vomir " ; - en un mot, elle me fait le
tableau le plus complet d'une grossesse qui commence. -- Au visage
inquiet de ceux qui l'entourent, j'ai des soupçons qui devaient être
bientôt levés. En effet, dans l'accès qui suit de près, Félida me dit
devant ces mêmes personnes :
" Je me souviens parfaitement de ce que je viens de vous dire, vous
avez dû facilement me comprendre je l'avoue sans détours..., je crois
être grosse. "
Dans cette deuxième vie, sa grossesse ne l'inquiétait pas, et elle en
prenait assez gaiement son parti.
Devenue enceinte pendant sa condition seconde, elle l'ignorait donc
pendant son état normal et ne le savait que pendant ses autres états
semblables. Mais cette ignorance ne pouvait durer: une voisine, devant
laquelle elle s'était expliquée fort clairement et qui, plus sceptique
qu'il ne convient, croyait que Félida jouait la comédie, lui rappela
brutalement sa confidence après l'accès. Cette découverte fit à la
jeune fille une si forte impression qu'elle eut des convulsions
hystériques très violentes, et je dus lui donner mes soins pendant deux
ou trois heures.
L'enfant conçu pendant l'accès a seize ans aujourd'hui; nous en
reparlerons plus loin.
A cette époque (1859), je racontai ce fait à divers confrères; la
plupart me crurent le jouet d'illusions ou de tromperies. Seuls, trois
hommes éminents, après avoir vu Félida X... avec moi, m'encouragèrent
dans son étude ; Parchappe, le célèbre aliéniste; Bazin, médecin en
chef de l'asile public des femmes aliénées et professeur à le faculté
des sciences de Bordeaux, et Gintrac père, directeur de l'Écolo de
médecine et correspondant de l'Institut. -. Pour tous les autres, la
science était faite, et tout ce qui est en dehors du cadre connu ne
pouvait être que tromperie.
Pour ces esprits d'élite elle était à compléter en ce qui touche à
l'étude si délicate des fonctions du cerveau, et aucun fait ne devait
être négligé. M. Bazin me mit entre les mains un livre presque inconnu
en France, Neuropneumology or the nervous sleep, de Braid, où
l'hypnotisme est décrit; c'est la lecture de ce livre qui fut l'origine
des recherches qui occupèrent le monde savant à la fin de 1859 et que
j'ai résumées en 1860 dans les Archives de médecine et de chirurgie et
dans les Annales médico-psychologiques de Paris. Ces recherches,
signalées par Velpeau à l'Institut, ont été confirmées par MM. Broca,
Follin, Verneuil, Alfred Maury, Baillarger. Lasègue, etc.., et ne sont
tombées dans une sorte d'oubli que, par suite de leur malheureuse
analogie avec les pratiques justement décriées du magnétisme animal.
C'est sur Félida X... et particulièrement sur une de ses amies, Maria
X..., que j'ai fait les expériences; qui ont été la base de cette
étude, laquelle, après Braid et nombre d'auteurs anciens, a établi
l'action du strabisme convergent sur les fonctions cérébrales, tant
chez l'homme que citez les animaux.
Pour ne pas sortir de mon sujet, je ne décrirai que ce quej'observai
sur Félida X... en ce qui touche à l'hypnotisme: Félida étant dans l'un
de ses deux états et assise en face de moi, je l'invite à regarder
attentivement un objet quelconque placé à 15 ou 20 centimètres
au-dessus de ses yeux ; après huit à dix secondes, elle clignote et ses
yeux se ferment. Pendant quelques instants elle ne répond à aucune
question, le sommeil dans lequel elle parait être la séparant
complètement du monde extérieur;-- de plus elle est anesthésique. Après
ce temps très court elle répond aux questions et présente ce fait
particulier que, dans ce somnambulisme provoqué et quel que soit son
état au moment où elle a été endormie, elle est toujours dans l'état
animal.
Alors elle présente les phénomènes ordinaires de ce somnambulisme,
catalepsie, anesthésie, hyperesthésie de la peau, développement exagéré
de l'odorat, du toucher, exaltation du sens musculaire, tous phénomènes
très faciles à produire par le procédé indiqué, même sur les animaux
(poules, chats) et sur lesquels je n'ai pas à insister ici.
Le réveil se fait avec la même facilité par les moyens connus : la
friction on l'insufflation sur les paupières.
Si, après avoir lu l ivre de Braid où sont rapportées nombre de cures,
dans lesquelles j'ai peu de foi, j'ai provoqué chez ma malade le
sommeil artificiel par les moyens qu'il recommande, c'était, je dois le
dire, dans l'espérance de la guérir. Cet espoir a été déçu, car je n'ai
amené chez elle aucune modification.
L'existence chez notre malade d'un phénomène spontané : la transition
d'un état à l'autre, m'avait fait naturellement songer à l'hypnotisme,
qui, de même que le somnambulisme, que tous connaissent, peut être
spontané.
Les exemples n'en sont pas rares; on en connaît un grand nombre, je
n'en citerai que quelques-uns :
Au commencement de 1875, M. Bouchut a observé dans son service une
jeune fille qui tombait en somnambulisme avec catalepsie toutes les
fois qu'elle travaillait à des boutonnières, ouvrage difficile qui
exige une certaine attention et une grande fixité du regard.
C'était une hystérique qui s'hypnotisait elle--même.
M Baillarger a cité devant moi, à la Société médico-psychologique de
Paris, une jeune fille qui, tombait en catalepsie en se regardant à la
glace. - Je pourrais nommer un pasteur éminent de l'Église réformée qui
s'endort à volonté pendant une demi-heure, en fermant les yeux et
convulsant les globes oculaires en haut et en dedans. Ici le phénomène
est complètetement à la discrétion de la personne.
Enfin, il y a neuf ou dix ans, une jeune femme, entrée dans mon service
clinique pour une tumeur du sein, s'endort en plein jour pondant trois
heures, et rien ne peut l'éveiller. Interrogée, elle raconte qu'à un
certain moment du mois elle est sujette à ces sommeils, pendant
lesquels elle est anesthésique, ruais non somnambule.
Je ne tirerai aucune conséquence de ces faits. Ils paraissaient
autrefois merveilleux. Tous aujourd'hui sont entrés dans la science.
Je viens de décrire l'état de Félida en 1858 et 1859. A la fin de cette
dernière année, les phénomènes parurent s'amender, on me le dit du
moins; elle accoucha heureusement, nourrit son enfant. A ce moment,
détourné par d'autres sujets d'études, je la perdis complètement de
vue; elle avait épousé le jeune homme dont nous avons parlé. Or, ce
jeune homme, très intelligent, a observé avec soin l'état de sa femme
de 1859 à 1876.. Ses renseignements remplissent la lacune de seize
années qui existe dans mon observation directe.
Voici le résumé de ce qui s'est passé pendant ces seize années.
Vers l'âge de dix-sept ans et demi, Félida a fait ses premières
couches, et pendant les deux années qui ont suivi, sa santé a été
excellente, aucun phénomène particulier n'a été observé.
Vers dix-neuf ans et demi, les phénomènes déjà décrits reparaissent
avec une moyenne intensité.
Un an après, deuxième grossesse très pénible, crachements de sang
considérables et accidents nerveux variés se rattachant à l'hystérie,
tels que accès de léthargie qui durent trois et quatre heures. A. ce
moment et jusqu'à l'âge de vingt-quatre ans, les accès se sont montrés
plus nombreux, et leur durée, qui a d'abord égalé celle des périodes
d'état normal, commence à la dépasser. Les hémorragies pulmonaires, qui
ont duré jusqu'à ces derniers temps, sont devenues plus fréquentes et
plus considérables, Félida a été atteinte de paralysies partielles,
d'accès de léthargie, d'extases, etc., tous phénomènes dus, comme
chacun sait, à l'hystérie qui domine son tempérament.
De vingt-quatre à vingt-sept ans, notre malade a eu trois années
complètes d'état normal. Après ce temps et jusqu'à 1875, c'est-à-dire
pendant les six dernières années, la maladie a reparu avec la forme que
je décrirai bientôt. J'ajouterai que pendant ces seize années Félida a
eu onze grossesses ou fausses couches (y compris les couches de 1859)
pour deux enfants aujourd'hui vivants.
De plus, je dois signaler une particularité considérable.
La condition seconde, la période d'accès, qui en 1858 et 1859
n'occupait qu'un dixième environ de l'existence, a augmenté peu à peu
de durée, et est devenue égale à la vie normale, puis l'a dépassée pour
arriver graduellement à l'état actuel où, comme nous allons le voir,
elle remplit l'existence presque entière.
Dans les premiers mois de 1875, l'Académie de médecine de Belgique,
saisie de la question Louise Lateau, chargea M. Warlomont de faire un
rapport sur le sujet. Ce travail, très bien fait, insiste sur la
réalité scientitique du phénomène dit doublement de la vie, double
conscience, condition seconde, états qui peuvent être spontanés ou
provoqués. M. Warlomont rappelle des faits célèbres, mais assez rares,
Je reconnus en ces faits les analogues de mon observation de 1858. Bien
que dès cette époque j'en eusse apprécié l'importance, je ne l'avais
pas publiée, la considérant comme trop isolée dans la science, ou comme
trop en dehors de la chirurgie que je professe à Bordeaux.
Je me mis donc à la recherche de Félida X... et je la retrouvai
présentant les mêmes phénomènes qu'autrefois, mais aggravés.
Aujourd'hui Félida X... a trente-deux ans, elle est mère de famille et
dirige un magasin d'épicerie.
Elle n'a que deux enfants vivants; l'aîné, conçu, nous l'avons dit,
pendant une période d'accès, a le tempérament nerveux de sa mère, est
très intelligent, excellent musicien. Il a des attaques de nerfs, sans
perte complète de connaissance, et après ces crises nerveuses, des
terreurs inexplicables qui rappellent le troisième état que nous avons
décrit. Évidemment cet enfant, qui a aujourd'hui seize ans, subit
l'influence de l'hérédité morbide.
Au physique, Félida X... est amaigrie, sans avoir l'aspect maladif.
Dès mon, arrivée, m'ayant reconnu, elle me consulte avec empressement
sur les moyens de sortir de sa triste situation.
Voici ce qu'elle me raconte: Elle est toujours malade, c'est-à-dire
elle a toujours des absences de mémoire qu'elle nomme improprement ses
crises. Seulement ces prétendues crises, qui ne sont, après tout, que,
les périodes d'état normal, sont devenues beaucoup plus rares; la
dernière remonte à trois mois. Cependant l'absence de souvenir qui les
caractérise lui a fait commettre de telles bévues dans ses rapports
avec les voisins que Félida en conserve le plus pénible souvenir, et
craint d'être considérée comme folle.
Je l'examine au point de vue de l'intégrité de` ses fonctions
intellectuelles,
et je' n'y rencontre aucune altération.
Cependant, dans ce qu'elle vient de me dire je démêle aisément qu'elle
se souvient très bien de ce qui s'est- passé pendant ce qu'elle nomme
sa dernière crise, et cette intégrité du souvenir me donne à penser. Il
y avait lieu, car le lendemain son mari, dont je reçois la visite, me
dit que l'état dans lequel est actuellement Félida depuis plus de trois
mois est l'état d'accès ou de condition seconde, bien qu'elle croie et
soutienne le contraire. En effet, pour elle, aujourd'hui comme
autrefois, l'état quelconque dans lequel elle se trouve est toujours
l'état de raison, le souvenir que j'avais du passé m'avait donc déjà
éclairé.
Seulement, depuis, que je ne l'avais étudiée, les périodes d'état
normal sont devenues de plus en plus rares et de plus en plus courtes,
si bien que l'état de condition seconde occupe l'existence presque
entière.
Dés ce jour, reconnaissant ce qu'avait de remarquable un état qui,
durant seize années, modifiait si complètement la manière d'être, la
personnalité de ma jeune malade, je l'étudiai presque chaque jour, avec
le désir de publier son histoire. Pour éviter des longueurs, je ne
relaterai que les faits principaux de mon étude, ceux du moins qui sont
caractéristiques.
Le 21 juin, Félida, qui est évidemment dans l'état de condition
seconde, me raconte qu'il y a quatre ou cinq jours, elle a eu dans la
mètre journée trois ou quatre petits accès, d'une heure ou deux chacun;
pendant ce temps, elle a complètement perdu le souvenir de son
existence ordinaire, et pendant ces moments, elle est si malheureuse de
cet état singulier, qu'elle pense au suicide. Elle était alors,
dit-elle, certainement folle, car elle ignorait que je l'avais revue.
Elle me supplie même, pour le cas où le hasard m'amènerait à un moment
semblable, de faire comme si je la voyais pour la première fois; une
preuve nouvelle de son infirmité augmenterait son chagrin,
Elle reconnaît que, dans ces moments, son caractère se modifie
beaucoup; elle devient,: dit-elle, méchante, et provoque dans son
intérieur des scènes violentes.
Averti par le souvenir du passé et par la grande habitude qu'a son mari
de ces variations, il m'est très facile de reconnaître que Félida est
dans l'état de condition seconde, bien qu'elle prétende le contraire.
Comme autrefois, en effet, sa parole est brève, son caractère décidé,
son naturel relativement gai et insouciant; c'est bien la même gaieté
qu'il y a seize ans, mais tempérée par la raison de la mère de famille.
Je crois devoir rapporter ici certains épisodes de l'existence de notre
malade, raconté par elle. Ils donneront de son état une idée excellente
et, complète.
Pendant l'été de 1874, à la suite d'une émotion violente, elle a été
prise de ce,qu'elle nomme à tort une crise, qui a duré plusieurs mois
sans interruption, et pendant laquelle elle a, suivant l'usage, perdu
le souvenir. En effet. son mari m'avait dit qu'elle avait eu à cette
époque une période d'état normal si parfaite et si longue qui il avait
espéré la guérison,
Il y a deux ans, étant dans son état ordinaire (c'est-à-dire en
condition seconde), elle revenait en fiacre des obsèques d'une dame de
sa connaissance; au retour, elle sent venir la période qu'elle nomme
son accès (étai. normal), elle s'assoupit pendant quelques secondes,
sans que les dames qui étaient avec elle dans le fiacre s'en
aperçoivent, et s'éveille dans l'autre état, ignorant absolument
pourquoi elle était dans une voiture de deuil, avec des personnes qui,
selon l'usage, vantaient les qualités d'une défunte dont elle ne savait
'pas le nom, Habituée à ces situations, elle attendit; par des
questions adroites, elle se fit mettre au courant, et personne ne put
se douter de ce qui s'était passé.
Il y a un mois elle a perdu sa belle-soeur à la suite d'une longue
maladie. Or, pendant les quelques heures d'état normal dont j'ai parlé
plus haut, elle a eu le chagrin d'ignorer absolument toutes, les
circonstances de cette mort; il ses habits de deuil seulement, elle a
reconnu que sa belle-soeur qu'elle savait malade, avait du succomber,
Ses enfants ont fait leur première communion pendant qu'elle était-en
condition seconde, elle a aussi le chagrin de l'ignorer pendant les
périodes d'état normal.
Je dois noter entre la situation ancienne de notre malade et son état
actuel une certaine différence autrefois Félida perdait entièrement
connaissance pendant les courtes périodes de transition; cette perte
était même si complète qu'un jour, en 1859, elle .tomba dans la rue et
fut ramassée par des passants. Après s'être éveillée dans son autre
état, elle les remercia en riant, et ceux-ci ne purent naturellement
rien comprendre à cette singulière gaieté,
Aujourd'hui il n'en est plus de même, cette période de transition a peu
à peu diminué de longueur, et bien que la perte de connaissance soit
aussi complète, elle est tellement courte que Félida peut la dissimuler
en quelque lieu qu'elle se trouve, Cette période a la plus grande
analogie avec ce qu'on nomme en médecine le petit mal, qui est la plus
petite des attaques d'épilepsie, toutefois avec cette différence que le
petit mal est la plupart du temps absolument subit, tandis que certains
signes, à elle connus, tels qu'une pression aux tempes, indiquent à
Félida la venue de ses périodes.
Voici ce qui se passe. Dès qu'elle les sent venir, elle porte la main à
la tète, se plaint d'un éblouissement, et après une durée de temps
insaisissable elle passe dans l'autre état. Elle peut ainsi dissimuler
ce qu'elle nomme une infirmité. Or, cette dissimulation est si
complète, que dans son entourage son mari seul est au courant de son
état du moment. L'entourage ne perçoit que les variations de caractère
qui, je dois le dire, sont très accusées.
Nous insisterons sur les variations que Félida a signale elle-même avec
la plus grande sincérité.
Dans lot période d'accès ou de condition seconde, elle est plus fière,
plus insouciante, plus préoccupée de sa toilette; de plus elle est
moins laborieuse, mais beaucoup plus sensible; il semble que dans cet
état elle porte à ceux qui l'entourent une plus vive affection,
Ces différences avec l'état normal sont-elles dues à ce que, dans ce
dernier état, elle porte à ceux qui l'entourent une plus vive affection?
Ces différences avec l'état normal sont-elles dues à ce que, dans ce
dernier état, elle perd le souvenir, tandis que dans, la condition
seconde elle le recouvre? Cela est probable, nous y reviendrons plus
tard.
Quelques jours après, le 5 juillet, je suis frappé, en entrant chez
Félida, de sa physionomie triste; elle me salue cérémonieusement et
parait s'étonner de ma visite. Son allure me frappe, et je pressens
qu'elle est dans une période d'état normal; pour en avoir la certitude,
je lui demande si elle se souvient de la dernière fois où nous nous
sommes vus,
" Parfaitement, répond-elle. Il y a environ un an, je vous ai vu
montant en voiture sur la place de la Comédie, je crois que vous ne
m'avez pas remarquée. Je voua avais vu d'autres fois, mais rarement,
depuis l'époque où vous veniez me donner des soins avant mon mariage. "
La chose état certaine, Félida était dans l'état normal, car elle
ignorait ma dernière visite faite, on s'en souvient, pendant la
condition seconde, Je l'interroge, et j'apprends qu'elle est dans sa
raison (elle dit juste aujourd'hui) .depuis le matin à huit heures, Il
est environ trois heures de l'après-midi.
Profitant d'une occasion, difficile peut-être à retrouver, je l'étudie
avec soin. Voici le résumé de mes observations
Félida est d'une tristesse qui touche au désespoir, et m'en donne les
motifs en termes éloquents. Sa situation est, cri effet, fort triste,
et chacun de nous, faisant un retour sur lui-même, peut aisément
comprendre ce que serait aujourd'hui sa vie, si l'on supprime par la
pensée le souvenir des trois ou quatre mois qui précédent. Tout est
oublié, ou plutôt rien n'existe: affaires, cire ces importantes,
connaissances faites, renseignements donnés, c'est un feuillet, un
chapitre d'un livre violemment arraché, c'est une lacune impossible à
combler.
Le souvenir de Félida n'existe, nous le savons, que pour les faits qui
se sont passés pendant les conditions semblables, les onze couches, par
exemple. Je ferai ici une remarque. Onze fois Fêlida a été mère.
Toujours cet acte physiologique de premier ordre, complet ou non, s'est
accompli pendant l'état normal.
Je lui demande à brûle-pourpoint la date de ce jour. Elle cherche et se
trompe de près d'un mois.
Je lui demande où est son mari; elle l'ignore., ne sait pas à quelle
heure il l'a quittée,' ni ce qu'il a dit en la quittant. Or, à huit
heures, l'état normal était survenu, et il était sorti un quart d'heure
auparavant.
Auprès d'elle est un petit chien ; elle ne le connaît pas et l'a vu, le
matin pour la première fois. Cependant les allures de l'animal
indiquent qu'il est dans la maison depuis longtemps.
Je n'aurais que le choix sur les circonstances du même ordre mais les
exemples qui précèdent sont, je crois, suffisants.
En dehors de ces modifications qui résultent directement de l'absence
du souvenir, je note d'autres différences entre l'état normal et la
période d'accès
Les sentiments affectifs ne sont plus de la même nature. Félida est
indifférente et manifeste peu d'affection pour ceux qui l'entourent;
elle se révolte devant l'autorité naturelle qu'a son mari sur elle. "
Il dit sans cesse : je veux, dit-elle, cela ne me convient pas; il faut
que dans mon autre état je lui aie laissé prendre cette habitude. Ce
qui me désole, ajoute-t-elle, c'est qu'il m'est impossible d'avoir rien
de caché pour lui, quoiqu'en fait je n'aie rien a dissimuler de ma vie.
Si je le voulais, je ne le pourrais pas il est bien certain que dans
mon, autre vie, je lui dis tout ce que je pense. "
De plus, son caractère est plus hautain, plus entier.
Ce qui la touche particulièrement, c'est l'incapacité relative
qu'amènent ses absentes de mémoire, surtout en ce qui tource son
commerce.
" Je fais des erreurs sur la valeur des denrées dont j'ignore le prix
de revient, et suis contrainte à mille subterfuges, de peur de passer
pour une idiote. "
Trois jours après, son mari me raconte que, l'état de raison complète
dont je viens de parler a duré de huit heures du matin à cinq heures de
l'après-midi; depuis ce moment, elle est dans la condition seconde pour
un temps dont il ne saurait prévoir la durée. Il ajoute un détail
intéressant :
Il est plusieurs fois arrivé que s'endormant le soir dans son état
normal elle se réveillait le matin dans l'accès, sans que ni elle ni
son mari en aient eu conscience; la transition a donc eu lieu pendant
le sommeil. On sait que certaines attaques d'épilepsie ont aussi lieu
pendant le sommeil, et que les, malades ou le médecin ne s'en peuvent
douter que par l'extrême faiblesse que ressent le malade au réveil. Il
est même des épileptiques qui n'ont jamais eu d'attaques pendant la
veille et qui, par suite, ne sauraient avoir conscience de leur
situation.
Au moment où je publie cette étude, l'état de notre malade s'est peu
modifié. Les périodes d'état normal ne durent que deux ou trois heures
au plus et se représentent tous les deux à trois mois.
Je crois devoir ajouter à l'exposé de ce fait quelques réflexions qui
aideront peut-être à l'interpréter. Comment caractériser l'état de
Félida X-? Présente-t-elle un dédoublement de la personnalité, un
doublement de la vie? Est-ce un cas de double conscience? ou
présente-t-elle une altération de la mémoire qui, ne portant que sur la
mémoire seule, laisse intactes les autres facultés de l'esprit?
Si, en quelque état qu'elle soit, on demande à Félida ce qu'elle pense
d'elle-même, elle ne croit et n'a cru à aucun moment de sa vie être une
autre personne; elle a parfaitement la conscience qu'elle est toujours
semblable à elle-même; elle ne répond donc pas à la définition de M.
Littré qui dit :
La double conscience est un état dans lequel le patient, ou bien a la
sensation qu'il est double, ou bien sans avoir connaissance de sa
duplicité a deux existences qui n'ont aucun souvenir l'une de l'autre
et s'ignorent respectivement.
Félida n'a pas cette sensation, et dans l'une de ses existences elle a
le souvenir parfait de ses deux vies.
Elle ne croit pas non plus être une autre personne, comme la dame que
cite Carpentier dans sa Mental Physiology, qui, se croyant devenue un
vieux clergyman, trouvait ridicule que ce médecin lui proposât un
mariage,
Elle n'est pas non plus semblable au pasteur cité par Forbes-Winslow
qui sentait en lui deux moi, l'un bon, l'autre méchant; ni à la dame
américaine de Mac Nish, laquelle à un moment donné, à la suite d'un
sommeil spontané, oublia toute son existence antérieuse même ce qu'elle
avait appris pendant cette existence, lecture, écriture, musique, et
qui fut obligée de recommencer son éducation jusqu'à ce que, rentrée
dans l'état normal, ces notions lui fussent revenues, Nous avons vu que
l'amnésie de Félida n'a jamais porté sur la série des idées générales
ou des notions antérieurement acquises.
Félida ne représente aucun de ces trois types, lesquels répondent assez
bien aux dénominations de dédoublement de la personnalité, de
dédoublement de la vie ou de double conscience, ces termes étant ceux
qui jusqu'à ce jour ont été employés par les auteurs, notamment dans
ces derniers temps par MM. Warlormont et Littré.
Il est probable qu'une analyse précise des faits permettrait de
remplacer ces termes l'un par l'autre. Mais nous n'avons pas à discuter
ici ce point de doctrine.
Quelle est donc en résumé la situation de cette jeune femme?
Je reconnais qu'elle parait avoir deux vies; mais n'est-ce pas une
apparence, une illusion que donne à l'observateur l'absence du souvenir
qui caractérise ses périodes d'état normal?
Recherchons les analogies.
Les personnes qui sont sujettes à des accès de somnambulisme naturel ne
se souviennent pas au réveil de ce qui s'est passé pendant leurs accès,
Il en est do môme pour Félida, Mais on n'a jamais vu de somnambulisme
aussi parfait, car .dans l'état qui correspond à l'état de
somnambulisme elle ne dort point, elle vit et pense complètement, sa
vie y est même supérieure à sa vie normale, car pendant la seule durée
de cette période elle peut avoir la notion complète de son existence,
J'en dirai autant du somnambulisme provoqué par le strabisme convergent
ou autrement; ce somnambulisme est aussi, dans la rigueur du mot, une
condition seconde, comme le somnambulisme naturel, il ressemble par
l'amnésie à l'état de Félida, mais ne le reproduit pas exactement,
ainsi les personnes qui lui sont soumises n'ont aucune spontanéité ; de
plus elles présentent des anesthésies, des hyperesthésies et autres
altérations ou manques d'équilibre des fonctions sensorielles ou du
sens musculaire qui n'ont rien de commun avec l'intégrité fonctionnelle
où est Félida dans la condition correspondante.
Il est d'autres conditions secondes artificielles ou morbides qui
méritent d'être rappelées.
L'alcool, le haschisch, la belladone, l'opium provoquent des états dans
lesquels ceux qui leur sont soumis, pensent et agissent sans en
conserver le souvenir lorsque l'action de ces substances est éteinte.
Les délirants par folie, épilepsie ou maladie transitoire, paraissent
aussi avoir deux existences, dont l'une raisonnable, dans laquelle la
plupart du temps ils ignorent ce qui s'est passé dans l'autre. Mais là
s'arrête l'analogie, car dans ces états, les idées émises ou les actes
accomplis sont déraisonnables, non parce qu'ils sont émis ou accomplis
en dehors de ce qu'on nomme raison, mais parce que en eux-mêmes ils ne
sont pas le résultat de conceptions logiquement coordonnées. Ces états
sont à proprement parler des taches dans la vie, des manifestations
morbides, des absences. Chez Félida, au contraire, nous n'y saurions
trop insister, l'état d'accès, de condition seconde, est une existence
complète, parfaitement raisonnable, si parfaite que nul, même averti,
s'il n'était guidé par son mari ou moi, ne saurait discerner celui de
ces deux états qui est l'état surajouté.
S'il était nécessaire de corroborer ces différences par un argument de
plus, nous comparerions les deux conditions de Félida au point de vue
de la responsabilité légale.
Nous ne pensons pas qu'aucun juge éclairé puisse, incriminer un acte
délictueux commis dans l'une (les conditions secondes que nous venons
d'énumérer. Le malade, l'aliéné, l'épileptique, le somnambule sont
irresponsables, l'homme ivre l'est dans une certaine mesure. En
serait-il de même de Félida, si dans un de ses deux états elle
commettait un acte répréhensible? La question doit être posée,
discutée, mais il faut reconnaître qu'elle n'est pas facile à résoudre.
A celui qui dirait qu'elle n'est pas responsable, on pourrait répondre
qu'une personne qui pendant des mois entiers est dans le même état
intellectuel, d'ailleurs, parfaitement sain, doit avoir la conscience
et par suite la responsabilité de ses actes, bien qu'il puisse arriver,
qu'au moment de l'instruction ou du jugement elle n'en ait pas conservé
le souvenir.
A celui qui soutiendrait la responsabilité on dirait, avec autant de
raison, qu'il serait,: impossible de condamner une personne dont les
fonctions intellectuelles sont aussi altérées.
En effet, étant admise l'unité du moi, une telle personne pourrait
n'avoir pas la conscience bien entière, surtout si on se souvient du
troisième état, dont nous avons signalé les apparitions rares mais
certaines.
De plus, celui qui ne peut se souvenir d'un acte accompli, si récent
qu'il soit, ne saurait être compos mentis, ainsi que l'entend le
législateur.
Si donc pour les autres conditions secondes, l'irresponsabilité n'est
pas douteuse, elle est, en ce qui concerne celle de notre malade,,
parfaitement discutable.
Nous croyons avoir établi que la condition seconde qui nous occupe
n'est pas de la même nature que les états analogues déjà observés, ou
plutôt déjà publiés , il nous reste à examiner si l'amnésie n'est pas
la seule cause des différences que présentent les deux états, et si,
comme nous l'avons énoncé plus haut, ce n'est pas elle qui est
l'origine de cette apparence de doublement de la vie.
Il est certain que le caractère et les sentiments affectifs de Félida
ne sont pas les mêmes dans les deux états.
Étant donnée la connaissance que nous avions de sa manière d'être,
quelle est la valeur de ces différences?
N'oublions pas qu'avant la maladie et pendant les périodes- d'état
normal qui reproduisent exactement l'état antérieur, Félida était et
est naturellement sérieuse et triste.
Or, dans sa condition seconde, elle est. gaie, frivole et plus
préoccupée de sa toilette et de mille futilités. Mais cette gaieté, ce
changement de caractère ne sont-ils pas chose naturelle? En effet, dans
cet état son souvenir est complet, il porte sur la vie entière, Félida
sait bien qu'elle perdra la mémoire, qu'elle aura des absences, mais
cette pensée n'est rien en comparaison de la situation pénible où la
place une amnésie foudroyante qui supprime des mois entiers de son
existence et l'atteint dans son amour-propre, en l'exposant à passer
pour folle ou imbécile, Dans son deuxième état, les sentiments
affectifs paraissent plus développés; mais n'est-ce pas encore une
conséquence directe de sa plus grande liberté d'esprit? Elle est moins
préoccupée d'elle-même, partant elle s'intéresse davantage à ce qui
l'entoure. Quand elle est dans son état normal, ayant la conscience de
sa triste situation, elle ne songe pour, ainsi dire plus qu'à elle. -
Tout le monde connaît l'égoïsme des vieillards et des malades; il n'a
pas d'autre origine que le sentiment de leur faiblesse. Forte et
relativement bien portante, Félida a les sentiments des forts, l'amour
des autres, le dévouement, la générosité.
Dans cet état son caractère est plus souple et elle se plaint moins de
la légitime autorité qu'a son mari sur elle; n'est-ce pas encore chose
naturelle? On supporte plus doucement ce qu'on aime davantage,
Quant à sa frivolité plus grande, à son plus grand souci de la
toilette, ils dérivent; directement de sa plus grande liberté d'esprit
et de ce fait déjà signalé que dans ces périodes ses douleurs physiques
n'existent pour ainsi, dire plus. - Les personnes qui souffrent ne
songent pas à leur ajustement et trouvent souvent dans un travail
assidu un soulagement à leurs souffrances. - En ces moments
Félida n'a pas à rechercher ces soulagements.
Du reste, si dans ces conditions secondes Félida est plus gaie, plus
frivole et moins laborieuse, - si elle paraît plus attachée à ceux qui
l'entourent, ce n'est qu'en comparaison avec ce qu'elle est dans l'état
normal, car, j'y dois insister, tout ce qu'on peut observer chez elle
sur ces points ne dépasse pas l'ordinaire; elle est, en ces moments,
semblable à nombre de femmes ou de filles auxquelles nul ne songerait à
faire attention.
On pourrait donc soutenir que chez Félida X..., la mémoire seule est
atteinte et que les différences dans le caractère ou les sentiments
affectifs ne sont que des conséquences de l'altération de cette
faculté.
J'ajouterai que cette altération de la mémoire, cette amnésie est comme
périodique. En effet, dans l'état normal, le souvenir enjambe,
chevauche par-dessus les états de condition seconde pour relier
ensemble toutes les périodes de cet état, quel que soit leur
éloignement, le schéma suivant me fera,- je crois, très bien
comprendre.
Appelons A, A1, A2, A3, A4 les périodes d'état normal; B, B1, B2, B3,
B4 les périodes de condition seconde. Admettant pour un instant leur
égalité, le souvenir représenté par la ligne C embrasse, nous le
savons, lorsque Félida est en condition seconde, toute la vie, soit de
B en A4. Quand elle est dans l'état normal, le souvenir représenté par
les courbes D, D1, D2, D3, etc.., etc.., chevauchant par dessus les
autres périodes est altéré périodiquement.
S'il est exact de prétendre que chez Félida la mémoire seule est
atteinte, et tout le prouve, n'en peut-on pas tirer un argument en
faveur d'une localisation de cette faculté dans une partie quelconque
du cerveau?
Nous n'avons aucune idée préconçue au sujet de la localisation des
fonctions intellectuelles, et nous considérons comme des rêveries la
plupart des tentatives faites dans ce but. Cependant il faut
reconnaître que le fait qui précède est au moins une présomption. En
effet, l'altération de la mémoire seule, les autres facultés demeurant
intactes, est un acheminement vers cette conclusion de la même façon
que l'altération de la faculté du langage articulé, les autres facultés
demeurant intactes, a conduit peu à peu M. Broca et d'autres
observateurs à localiser cette fonction dans la troisième
circonvolution frontale du lobe antérieur gauche.
Pour conclure à cette localisation, les éléments de la connaissance ont
été les suivants:
1° Altération de cette faculté, toutes les autres demeurant intactes;
d'où probabilité qu'elle a pour instrument un point isole,
2° Altérations concomitantes d'un point du cerveau, limité et toujours
le même. En ce qui touche la mémoire, nous ne connaissons aujourd'hui
que le premier de ces termes; ne peut-il pas nous conduire à l'autre?
Recherchons les faits semblables à celui qui précède et ne; perdons pas
les occasions d'en faire l'étude nécroscopique.
Il est un point de cette histoire sur lequel je crois devoir insister,
car il est d'application générale. Je veux parler de la façon éclatante
dont elle prouve l'importance du souvenir.
Théoriquement, chacun connaît cette importance, mais jamais peut-être
elle ne reçut une preuve pratique plus frappante, et nul en s'examinant
lui-même ne saurait arriver aussi nettement à cette conception qu'en
étudiant cette jeune femme.
On ne saurait croire, en effet, l'impression singulière que donne à
l'observateur une personne qui, comme Félida, ignore tout ce qui s'est
passé, tout ce qu'elle a vu, tout ce qu'elle a dit, tout ce qu'on lui a
raconté pendant les trois ou quatre mois qui précèdent. Elle ne sort
pas d'un rêve, car un rêve, si incohérent qu'il soit, est toujours
quelque chose. Elle sort du néant, et si, comme la plupart des
délirants, elle n'avait pas vécu intellectuellement pendant cette
période, la lacune serait de peu d'importance. Mais pendant ce temps
son intelligence, ses actes ont été complets et raisonnables; le temps
a marché et sa vie a marché avec lui et aussi tout ce qui l'entoure.
J'ai plus haut indiqué comme comparaison à cette existence un livre
auquel on aurait arraché de loin en loin des pages. Ce n'est pas assez,
car un lecteur intelligent, imbu de l'esprit général de l'oeuvre,
pourrait reconstituer ces lacunes, tandis qu'il est absolument
impossible à Félida X... de se douter d'un fait quelconque arrivé
pendant sa condition seconde. Comment saura-t-elle, par exemple, que
pendant ce temps elle a contracté une dette, reçu un dépôt, ou qu'un
accident, un mal subit lui auront enlevé son mari ou ses enfants? Elle
ne les retrouvera pas auprès d'elle, elle attendra leur retour
Le voyageur qui demeure trois ou quatre mois loin de son pays sans
lettres ni nouvelles, a la notion du temps écoulé; il peut s'étonner de
ce qui est arrivé dans cette période, mais il sait qu'il a dû se passer
quelque chose. Il s'attend à l'apprendre; pour lui le temps a marché.
Tandis que, lorsqu'après quatre mois de condition seconde, Félida a une
journée d'état normal, elle. n'a, pendant cette journée, aucune
connaissance des mois qui précèdent, elle ne sait pas combien cette
période a duré : une heure ou quatre mois sont tout un pour elle.
Aussi, dans son appréciation du temps, se trompe-t-elle de la façon la
plus singulière, en supprimant des mois entiers; elle est toujours en
arrière, en un mot, si cette figure m'est permise, son appréciation
retarde. L'almanach même ne peut lui servir, car elle n'a pas de base
pour le consulter.
Son mari, ou son livre de vente, en remontant jour par jour à quelque
vente dont elle se souvienne, l'éclaire sur le monent où elle se trouve
et sur celui où a commencé sa période d'amnésie.
J'ai laissé au lecteur le soin de déduire les mille conséquences les
mille péripéties qui peuvent surgir dans une existence ainsi partagée.
Mon rôle n'est pas d'imaginer des situations d'un intérêt plus ou moins
palpitant. Il se borne à raconter la vérité.
Nous croyons devoir ici prévenir tune objection : à la lecture de cette
observation, ou en étudiant Félida seulement aujourd'hui, on pourrait
être tenté de penser que j'ai mal apprécié la situation de notre
malade, et que l'état complet, l'état de raison est celui dans lequel
le souvenir est complet, celui dans lequel elle a la parfaite
possession d'elle-même, et que l'état maladif est celui que caractérise
l'amnésie.
On se tromperait; voici pourquoi :
Tout d'abord, ayant vu naître et grandir les accès, je puis affirmer
l'identité entre l'état accidentel d'autrefois qui durait une heure
dans un jour, et l'état d'accès presque constant d'aujourd'hui qui dure
quatre mois contre un jour.
De plus, l'absence de souvenir- est un mince critérium de l'intégrité
des fonctions intellectuelles; car l'oubli n'est pas nécessairement
amené par un état intellectuel incomplet ou maladif au moment où l'on
cherche à se souvenir. La plupart du temps, l'amnésie est amenée par le
peu d'impression faite sur le cerveau, par le fait au moment qu'il
s'est passé. On n'oublie pas, parce qu'on ne peut pas se souvenir; on
oublie parce que le fait oublié n'a fait qu'une impression
insuffisante.
L'homme qui, après un délire de quelques jours, ne se souvient pas, une
fois guéri, de ce qu'il a fait pendant un délire, n'en est pas moins en
parfaite santé. Il n'était incomplet et malade que quand il délirait,
et c'est parce qu'il délirait qu'il a perdu le souvenir, son cerveau
n'a pas reçu une impression durable ou suffisante.
Nous croyons devoir insister de nouveau sur une circonstance
remarquable. 'Aujourd'hui la condition seconde s'est tellement agrandie
aux; dépens de la vie normale, que les rôles entre les deux périodes se
sont intervertis. Il y a seize ans, les accès ne duraient que quelques
heures sur plusieurs jours, ils étaient un accident, une tache dans la
vie; aujourd'hui, la condition seconde est pour ainsi dire la vie
ordinaire, car elle dure trois et quatre mois de suite, contre des
périodes de vie normale qui n'ont que trois ou quatre heures de durée :
aujourd'hui, celles-ci sont' la tache, l'accident; c'est à elles que
Félida doit le trouble de son existence.
Les caractères spéciaux à ces deux états n'ont en rien changé; leur
durée seule s'est modifiée : l'un s'est simplement agrandi aux dépens
de l'autre. Le schéma ci-dessus figure l'existence de Félida X...
depuis 1857 jusqu'en 1875. La ligne noire indique l'état normal, le
sinueux la période d'accès ou de condition seconde.
L'accroissement de ce tracé aux dépens de la ligne noire est à peu près
en rapport avec l'accroissement de périodes de condition seconde; aux
dépens de la vie normale.
Cette modification, amenée par seize années, fait naître une pensé : la
diminution toujours croissante dans la durée des périodes d'état normal
et la rareté de plus en plus grande de leur apparition ne font-elles
pas présager qu'elles disparaîtront complètement d'ici à quelques
années? Cela n'est certainement pas impossible, c'est même probable.
Mais alors, qu'arrivera-t-il? La condition seconde deviendra toute la
vie. Félida X,,., aura une personnalité complète : intelligence,
souvenir entier du passé, tout y sera; mais, elle n'aura plus la même
personnalité qu'elle avait autrefois elle sera une autre personne. Elle
n'en vaudra pas moins; elle vaudra même davantage, car elle n'aura plus
d'amnésie mais, en fait, elle sera autre, Son existence, vue de haut,
aura montré le singulier phénomène d'avoir compté trois personnalités
successives : la première, normale, qu'elle a portée pour ainsi dire au
monde en naissant, la deuxième, partagée en deux par l'amnésie; la
troisième, nouvelle et différente par son intégrité.
Le bien naîtrait ainsi de l'excès du mal; car là serait, en réalité,
une sorte de guérison. Je n'oserais en espérer une autre, Si cette
modification survient, ce serait dans douze ou quinze ans, à l'âge dit
critique, époque ordinaire de la fin de l'hystérie. Si cela m'est
permis, j'aurai à le constater plus tard.
Quelle hypothèse peut-on faire sur la cause prochaine de l'amnésie que
nous venons de décrire?
Voyons si ce qu'on sait ne peut pas nous mettre sur la voie de ce qui
nous reste à apprendre, Les beaux travaux de MM: Claude Bernard et Luys
ont établi d'une façon certaine l'action de la circulation sur les
fonctions cérébrales. L'exagération dans l'afflux du sang amène
I'excitation dans ces fonctions; sa diminution amène , leur calme, leur
repos. L e sommeil est provoqué par cette diminution (ischémie),
laquelle est elle-même amenée par le rétrécissement momentané des
vaisseaux qui apportent le sang au cerveau.
Raisonnons par analogie et prenons pour exemple une fonction dont la
localisation parait certaine, la fonction du langage articulé. Eh bien!
si les vaisseaux qui conduisent le sang dans la troisième
circonvolution du lobe antérieur gauche sont diminués de calibre, cette
fonction sera altérée, les autres demeureront intactes. De méme si la
mémoire est abolie, on est parfaitement en droit de penser que cette
altération est due à une diminution dans l'apport cette fonction. Or,
l'état maladif de Félida rend parfaitement compte, par l'action de
l'hystérie sur les éléments contractiles (les vaisseaux, de la
diminution de leur calibre. Telle est, du moins, ma conviction
personnelle que je n'ai pas à développer ici.
Ce qui se passe lorsqu'on provoque le sommeil chez l'homme ou chez les
animaux, en les obligeant à loucher en haut ou en dedans, en est une
preuve de plus. En l'absence d'une étude nécroscopique non encore
faite, on peut le comprendre d'après l'analyse de cette manoeuvre :
Etant donnée une personne ou un animal placés dans ces conditions, la
contraction prolongée des muscles de l'Sil qui le convulsent en dedans
et en haut comprime les vaisseaux de l'orbite, modifie leur
circulation, et par suite agit sur la circulation cérébrale qui a avec
celle de l'orbite une étroite connexion. N'est-il pas probable que le
sommeil et le somnambulisme qui le suit sont amenés par cette
action?... .
La manière d'éveiller ces endormis le prouve aisément. M. Puel a
démontré depuis longtemps; dans un mémoire couronné par l'Académie de
médecine, que la catalepsie spontanée cédait à des frictions légères
sur les muscles contracturés. Après lui, Braid et l'expérience de tout
le monde enseignent qu'on éveille ces endormis par une friction sur les
paupières; cette friction agit évidemment sur les muscles contracturés
et fait cesser leur contracture, comme elle la fait cesser ailleurs;
par suite, les vaisseaux sanguins sont délivrés de toute compression,
la circulation cérébrale n'est plus troublée et l'animal ou la personne
rentrent dans l'état ordinaire. En résumé, nous pensons que l'amnésie,
chez cette jeune femme, a pour cause prochaine une diminution
momentanée et périodique dans l'afflux du sang à la partie du cerveau
qui préside à la mémoire. Nous estimons, de plus, que'ce rétrécissement
momentané des vaisseaux est dû à l'état d'hystérie de notre malade,
état qui a une action sur les éléments contractiles de ces canaux.
Cette conception, qui fait jouer à l'hystérie un rôle nouveau, nous
mènerait à des considérations trop spéciales de médecine et de
physiologie qui trouveront place dans un autre travail.
CONCLUSIONS
I. - Félida X... est atteinte depuis seize ans d'une altération de la
mémoire qui a toutes les apparences d'un doublement de la vie-
II -. Cette altération est une amnésie qui porte sur des périodes de
temps d'une durée variable, lesquelles, ayant grandi peu à peu,
occupent aujourd'hui l'existence presque entière.
III - Le souvenir, chevauchant par-dessus ces états de condition
seconde, relie entre elles toutes les périodes d'état normal, si bien.
quo Félida X... a comme deux existences : l'une ordinaire, composée de
toutes les périodes d'état normal reliées par le souvenir; l'autre
seconde, comprenant toutes les périodes des deux états, c'est-à-dire
toute la vie.
IV - L'oubli est complet, absolu, nais il ne porte que sur ce qui est
arrivé pendant la durée de la condition seconde. Il n'atteint ni les
notions antérieures ni les idées générales.
V. - En outre de l'amnésie, qui est un phénomène de l'état normal,
Félida présente pendant les périodes d'accès des modifications dans le
caractère et dans les sentiments affectifs qui n'en sont que la
conséquence.
VI. - Cette altération de la mémoire et les phénomènes qui
l'accompagnent ont pour cause une diminution dans l'apport du sang à la
partie du cerveau encore inconnue où doit être localisée la mémoire.
VII. - Le rétrécissement momentané des vaisseaux, qui est l'instrument
de cette diminution, est provoqué par l'état d'hystérie de Félida X...