Sommaire. - Hémianeathésie et hyperesthésie ovarienne dans l'hystérie.
- Association fréquente de ces deux symptômes. Fréquence de
l'hémianesthésie des hystériques; - Ses variétés : elle est complète ou
incomplète. - Caractères de l'hémianesthésie hystérique. - L'ischémie
et les convulsionnaires. - Lésions des sens spéciaux. - Achromatopsie.
- Relation entre l'hémianesthésîe, l'hyperesthésie ovarienne, la
parésie et la contracture. - Variabilité des symptômes dans l'hystérie.
- Valeur diagnostique de l'hémianesthésie hystérique. - Restriction
qu'il convient d'y apporter.
hémianesthésie dépendant de certaines lésions encéphaliques. -
Analogies qu'elle présente avec l'hémianesthésie des hystériques. - Cas
dans lesquels l'hémianesthésie de cause encéphalique ressemble à
l'hémianésthésie des hystériques. - Siège des lésions encéphaliques
capables de produire l'hémianesthésie. - Fonctions de la couche optique
: théorie anglaise' et . théorie française. - Critique. -- Nomenclature
allemande des diverses parties de l'encéphale. - Ses avantages au point
de vue de la circonscription des lésions. - Cas d'hémianesthésie
observés par Türck : siège spécial (les lésions encéphaliques dans ces
cas. - Observation de M. Magnan. - Altération des sens spéciaux.
Messieurs,
Il est deux points de l'histoire de l'hystérie, sur, lesquels je veux
insister particulièrement dans cette leçon et dans la suivante. Ce
sont, d'une part, l'hémianesthésie hystérique, et d'autre part
l'hyperesthésie ovarienne. Si je rapproche ces deux phénomènes l'un de
l'autre, c'est que, en général, on les. trouve tous les deux associés
chez les mêmes malades. A propos de l'hyperesthésie ovarienne, j'espère
vous rendre évidente l'influence déjà signalée autrefois et, plus tard,
mise en doute, de la pression de la région ovarienne sur la production
des phénomènes de l'accès hystérique; je vous ferai voir que cette
manoeuvre détermine, soit seulement les prodromes dé l'attaque
hystérique, soit l'attaque complète dans un certain nombre de cas. Il
en ressortira pour vous l'exactitude de l'assertion émise naguère par
le professeur Schutzenberger, à propos de ce phénomène, malgré les
dénégations opposées par quelques observateurs.
Je vous indiquerai aussi un procédé que j'ai trouvé, ou plutôt
retrouvé, et qui permet d'arrêter, chez quelques malade,, les accès
hystériques même les plus intenses. Il s'agit de la compression
méthodique de la. région ovarienne. M. Briquet nie la réalité des
effets de cette compression. Je ne puis être de soin avis, et ceci me
conduit à vous présenter une remarque générale concernant le livre de
M. Briquet ;t). Ce livre est excellent; c'est le fruit d'une
observation minutieuse, d'un labeur patient, mais il a peut-être un
côté faible : tout ce (lui touche à l'ovaire et à l'utérus y est traité
avec une disposition d'esprit singulière de la part d'un médecin. C'est
une sorte de pruderie, un sentimentalisme inexplicable. Il semble qu'à
l'égard de ces questions, l'auteur soit toujours dominé par une seule
préoccupation. "En vouant tout rapporter à l'ovaire et à l'utérus,
dit-il, par exemple, quelque part, on fait de l'hystérie une maladie de
lubricité, une affection honteuse, propre à rendre les hystériques des
objets de dégoût et de pitié. "
En vérité, Messieurs, ce n'est pas là la question. Pour mon compte, je
suis loin de croire que fa lubricité soit toujours en jeu dans
l'hystérie; je suis même convaincu du contraire. Je ne suis pas non
plus partisan exclusif de la doctrine ancienne, qui place le point de
départ de la maladie hystérique tout entière dans les organes génitaux;
mais, avec Schutzenberger, je crois qu'il est péremptoirement démontré
que, dans une forme spéciale de l'hystérie - que j'appellerai, si vous
voulez, ovarienne ou ovarique - l'ovaire joue un rôle important. Cinq
malades, que je ferai passer tout à l'heure devant vous, sont, si je ne
me trompe, des exemples' évidents de cette forme de l'hystérie; vous
pourrez, en les examinant, vous assurer de la véracité de la
description que je vais entreprendre.
I. Vous connaissez tous l'hémianesthésie des hystériques. Il y aurait
quelque ingratitude à, ne pas savoir en quoi consiste ce symptôme, = -
par des études toutes françaises. Piorry, Macario, Gendrin, l'ont
décrit tour à tour et ont insisté. sur ses caractères. Ce n'est que
longtemps après eux que Szokalsky l'a fait connaître en Allemagne, et
il n'a eu qu'à confirmer par des observations, d'ailleurs très
recommandables, les faits énoncés par nos compatriotes.
Afin de me restreindre, j'envisagerai seulement, -- et cela suffira
pour le but que je me propose, - î'hémianesthésie complète, telle
qu'elle se présente dans les cas intenses. A ce degré même, c'est
encore un symptôme fréquent puisque, suivant. 31. Briquet, il se
rencontre 93 fois sur 400. Relativement au siège qu'il occupe, on
trouve, toujours d'après cet auteur, 70 cas pour le côté gauche et 20
pour le droit.
Fous savez de quoi il s'agit, en pareille circonstance. Les deux
moitiés du corps étant supposées séparées par un plan
antéro-postérieur, tout un côté, - face, cou, tronc, etc.., --- a perdu
la sensibilité et, si très souvent cette perte de la sensibilité porte
seulement sur les parties superficielles (tégument externe), - elle
envahit quelquefois aussi les régions profondes (muscles, os,
articulations).
L'hémianesthésie hystérique se montre, vous le savez, sous deux aspects
principaux : elle est complète ou incomplète. L'analgésie, avec ou sans
insensibilité à la chaleur et au froid° ou thermoanesthésie, est, dans
l'espèce, une des, variétés les plus communes. La netteté avec laquelle
les parties anesthésiées sont séparées des parties saines est encore un
caractère important de l'hémianesthésie hystérique. Sur la tête, la
face, le cou, sur le tronc, la délimitation est souvent parfaite et
correspond, je le répète, à peu de chose près, à la ligné médiane. U n
autre trait qui mérite bien d'être mentionné, c'est la pâleur et le
refroidissement relatifs du côté anesthésié. Ces phénomènes, liés à une
ischémie plus ou moins -permanente, -ont été, observés maintes fois.
Brown-Séquard et Liégeois (f, en ont cité des exemples. Cette ischémie
peut être caractérisée dans les cas intenses par la' difficulté qu'il y
a à tirer du sang des parties anesthésiées à l'aide d'une piqûre
d'épingle.
J'ai noté cette particularité dans le temps. Voici dans quelles
circonstances: des sangsues ayant été appliquées sur une malade
atteinte d'hémianesthésie hystérique, je remarquai que les piqûres
fournissaient très difficilement du sang du côté anesthésié, tandis
qu'elîes en donnaient comme d'habitude du côté sain. Grisolle, qui
était, vous le savez, un observateur très sage et très sévère, avait
constaté la même chose. Cette ischémie, qui d'ailleurs poussée à ce
degré est assez rare, peut expliquer certains faits. réputés
miraculeux. Dans l'épidémie de Saint-Médard, par exemple, les coups
d'épée que l'on portait aux convulsionnaires ne produisaient pas,
dit-on, d'hémorragie. La réalité du fait ne peut être repoussée sans
examen : s'il est exact que beaucoup de ces convulsionnaires se soient
rendues coupables de jonglerie, on est obligé de reconnaître cependant,
après une étude attentive de la question, que la plupart des phénomènes
qu'elles ont présentés et dont l'histoire nous a transmis la
description naïve (t), étaient, non pas simulés de toutes pinces, mais
seulement amplifiés, exagérés. Il s'agissait là presque toujours, la
critique l'a démontré, de l'hystérie poussée au plus haut point; et
pour que, sur ces femmes frappées d'anesthésie, une blessure par
instrument piquant, tel qu'une épée, ne fût pas suivie d'écoulement de
sang, iî suffisait, vous le comprenez d'après ce qui précède, que
l'instrument ne fût pas poussé trop profondément.
Il est encore d'autres caractères de l'hémianesthésie hystérique qui
méritent tout notre intérêt, tant au point de vue clinique qu'au point
de vue de' la théorie: Les membranes muqueuses sont atteintes d'un côté
du corps comme le tégument externe. Les organes des sens eux-mêmes sont
affectés à un certain degré du côté anesthésié. Le goût peut avoir
disparu sur la moitié correspondante de la langue, depuis la pointe
jusqu'à la base. L'odorat est émoussé. La vue est -affaiblie d'une
manière très-notable et si l'amblyopie occupe le côté gauche, il peut
se présenter un phénomène très remarquable, sur lequel M. Ga lezowski a
appelé l'attention et qu'il a désigné sous le nom d'achromatopsie. Nous
reviendrons ailleurs sur ce point.
L'hémianesthésie hystérique ne semble pas toucher les viscères. Ainsi,
pour ne parler que de l'ovaire, au lieu d'une anesthésie, c'est une
hyperesthésie que l'on constate. Cet organe. peut être très douloureux
à la pression, alors que la paroi abdominale correspondante est
absolument insensible. Or, il existe, Messieurs, entre le siège de
l'hémianesthésie et celui de l'hyperesthésie ovarienne, une relation
très remarquable. Si celle-ci occupe le côté gauche, l'hémianesthésie
siège à gauche et inversement. Quand l'hyperesthésie ovarienne est
double,- il est de règle que l'anesthésie se montre généralisée et
occupe par conséquent la presque totalité ou la totalité du corps.
Ce n'est pas seulement entre le siège de l'hémianesthésie et celui de
l'hyperesthésie ovarienne qu'une semblable relation existe; elle est
aussi très évidente en ce qui concerne 1a parésie ou la contracture des
membres. Ainsi, lorsque la parésie ou la contracture doivent survenir,
c'est toujours du côté:, de l'hémianesthésie qu'elle se manifeste. '
L'hémianesthésie telle qu'elle vient d'être décrite est, dans la
clinique de l'hystérie, un symptôme d'autant plus important qu'il est à
peu près permanent. Les seules variations qu'il présente sont relatives
au degré, à l'intensité des phénomènes
qui le composent et quelquefois aussi, nous devons îe dire, à la
fluctuation de quelques-uns d'entre eux.
L'achromatopsie est de ce nombre : constatée très nettement, il y a
quelques semaines, et à différentes reprises chez une de nos malades,
elle a disparu aujourd'hui.
Il importe de ne pas oublier, à ce propos, que l'hémianesthésie est un
symptôme qu'il faut chercher, ainsi que M. Laségue l'a fait remarquer
très judicieusement. Il est, en effet, beaucoup de malades qui se
montrent toutes surprises quand on leur en révèle l'existence.
Je veux rechercher maintenant jusqu'à quel point
l'hémianesthésie, telle qu'elle vient d'être décrite, est un symptôme
propre .
à l'hystérie. En réalité, il est très rare qu'elle puisse être
reproduite avec l'ensemble de tous ses caractères par une autre
maladie. Son existence bien constatée est donc un indice précieux et
qui fera reconnaître maintes fois la nature de bon nombre de symptômes
qui, sans cela, seraient restés douteux. C'est là un point sur lequel
M. Briquet a eu raison d'insister avec force: Pour montrer l'intérêt de
cette notion, il a rappelé le cas où une femme, à la suite d'une
émotion morale vive, serait tombée rapidement dans un coma plus ou
moins profond précédé ou non de convulsions (forme comateuse de
l'hystérie) et chez laquelle on aurait observé, au réveil, une
hémiplégie du mouvement plus ou moins complète. C'est là un ensemble de
circonstances qu'il n'est pas très rare de rencontrer dans la pratique.
Or, en pareille occurrence, il peut arriver que la situation soit très
embarrassante pour le médecin. Eh bien! la présence de
l'hémianesthésie, revètue de tous ses caractères qui. alors, ne ferait
vraisemblablement pas défaut, pourrait, dit M. Briquet, mettre sur la
voie. Cette assertion est parfaitement exacte, je n'ai rien à y
reprendre, si ce n'est cependant sur un point.
S'il est vrai que l'hémianesthésie soit un symptôme presque spécifique,
en ce sens qu'on ne le retrouve pas avec les mêmes caractères dans
l'immense majorité des cas de lésions matérielles de l'encéphale
(hémorrhagie, ramollissement, tumeurs), on ne saurait admettre que ce
caractère est absolu. Il est inexact, surtout, de dire que
l'hémianesthésie développée sous l'influence des lésions encéphaliques
diffère toujours de l'hémianesthésie hystérique en ce que dans celle-là
la peau de la face ne participe pas à l'insensibilité, ou que, quand
elle existe, elle ne siège jamais du même côté que celle des membres.
C'est là une inexactitude qu'on voit reproduite, à peu près avec les
mêmes termes, dans la thèse d'ailleurs très intéressante de M. Lebreton
J'éprouve quelque répugnance à m'attaquer encore à l'oeuvre si.
remarquable de M. Briquet, mais plus- cette oeuvre est estimable, et
justement estimée, plus les inexactitudes qui ont pu s'y glisser
acquièrent de gravité. Cette considération justifiera,
je l'espère, ma critique.
Messieurs, dans des cas à la vérité exceptionnels,. mais parfaitement
authentiques certaines lésions cérébrales en foyer peuvent reproduire'
l'hémianesthésie avec tous les caractères qu'on lui connaît dans
l'hystérie, ou peu s'en faut. Permettez-moi d'entrer à ce sujet dans
quelques développements.
La doctrine classique, du moins parmi nous, doctrine qui
invoque d'ailleurs à la lois les données de l'observation clinique et
celles fournies par l'expérimentation chez les animaux, veut que les
lésions cérébrales en foyer qui affectent si profondément la motilité -
en particulier quand elles occupent la région de la couche optique et
du corps strié - restent à peu prés sans effet sur la sensibilité. A ce
point de vue, Messieurs, le résultat est, dit-on, toujours le même,
qu'il s'agisse de lésions intéressant spécialement le corps strié, la
couche optique, ou encore l'avant-mur.
Tout d'abord, lorsqu'il s'agit de lésions à développement brusque,
déterminant une attaque apoplectique et portant sur l'un quelconque des
points qui viennent d'être énumérés, le .symptôme qui frappe, c'est une
hémiplégie, plus accusée au membre supérieur qu'à l'inférieur et
s'accompagnant de flaccidité. A la face, la paralysie affecte
d'ordinaire le buccinateur et l'orbiculaire des lèvres; le plus souvent
aussi la langue est tirée du côté paralysé. A la paralysie du mouvement
se surajoute une paralysie des nerfs vaso-moteurs qui se traduit par
une élévation de la température du membre paralysé. Quelquefois cette
paralysie vaso-motrice apparaît dès l'origine. ,
Quant à la sensibilité, elle n'est pas modifiée d'une manière
appréciable ou, au moins, d'une manière durable. Les sens spéciaux
n'offrent aucun changement sérieux, à moins de complicatlon, par
exemple l'embolie de l'artère centrale de la rétine, s'il s'agit d'un
ramollissement consécutif à la migration d'une végétation valvulaire,
ou encore la compression, par voisinage, d'une des bandelettes
optiques, dans le cas d'un foyer hémorrhagique quelque peu volumineux.
Tel est, en résumé, l'ensemble symptomatique que l'on rencontre dans
l'immense majorité des faits d'hémorragie ou de ramollissement.
Affectant les points de l'encéphale que nous avons indiqués.
Incontestablement, Messieurs, c'est bien ainsi que se passent les
choses dans la grande majorité des cas. Mais, à côté de la règle, il y
a le chapitre des exceptions. Il est des cas, et pour mon compte j'en
ai observé plusieurs de ce genre, dans lesquels la sensibilité est
affectée d'une façon prédominante et dans lesquels l'anesthésie
persiste, même après la restauration du mouvement.
Ces altérations de la sensibilité peuvent se présenter avec les
caractères suivants: L'anesthésie affecte toute une moitié du corps et
s'arrête juste à la ligne médiane. La moitié correspondante de la face,
la peau aussi bien que les membranes muqueuses, se montrent
insensibles, absolument comme dans l'hémianesthésie hystérique. Il est
possible d'observer alors l'analgésie et la thermoanesthésie, avec
conservation de la sensibilité tactile, ainsi que l'ont constaté MM.
Landois et Mosler. Enfin, il est encore des cas, plus rares à la vérité
et jusqu'ici imparfaitement observés, mais qui, malgré tout, ont bien
leur valeur, cas qui rendent probables les altérations, en pareille
circonstance, des sens spéciaux du côté opposé à la lésion
encéphalique, c'est-à-dire du même côté que l'hémianesthésie.
Les médecins du siècle dernier avaient déjà remarqué ces faits
exceptionnels. Borsieri, entre autres, raconte l'histoire d'un malade
qui, trois mois auparavant, avait, été frappé d'apoplexie et chez
lequel l'anesthésie existait encore quoique la motilité fat revenue. Il
cite quelques autres observations du même genre, empruntées à divers
auteurs..
Des faits analogues ont été rapportés par Abercrombie, Andral, plus
récemment par Hirsch, Leubuscher, Broadbent, H. Jackson et surtout par
L. Türck. Seul, ce dernier a su donner, relativement au siège que les
lésions encéphaliques occupent dans ces cas-là, des notions décisives.
Presque toujours, lorsque l'hémianesthésie se présente avec ces
caractères, la couche optique est lésée d'une manière sinon ex-
clusive du moins prédominante (Broadbent, II.' Jackson). En. ce qui me
concerne, j'ai vu l'hémianesthésie se surajouter à l'hémiplégie chez
plusieurs sujets atteints d'hémorrhagie cérébrale et toujours alors
j'ai rencontré à l'autopsie la lésion de la couche optique dont,
pendant la vie, j'avais cru, pouvoir annoncer l'existence.
Faut-il, Messieurs, induire de ce qui précède que la lésion de la
couche optique est la véritable cause organique de l'hémianesthésie
observée dans tous ces cas? C'est là une question qui mérite de nous
arrêter.
Je suis ainsi amené à vous parler de la théorie physiologique qu'on
pourrait appeler théorie anglaise, puisque ce sont deux auteurs
anglais, Todd et Carpenter, qui l'ont les premiers, je crois, émise et
soutenue. D'après cette théorie, la, couche optique serait le centre de
perception des impressions tactiles : elle répondrait, en quelque
sorte, aux cornes postérieures de la substance grise de la moelle. Le
corps strié, lui, serait l'aboutissant du tractus moteur et en rapport
avec l'exécution des mouvements volontaires : il serait l'analogue des
cornes antérieures de la moelle.
Cette théorie, dont Schroeder Van der Kolk (1) s'est montré partisan
déclaré, est, si l'on peut ainsi dire, l'antipode de la doctrine
française que vous trouverez exposée d'une manière très complète dans
les Leçons de M. Vulpian. D'après celle-ci, le centre où les
impressions sensitives se transforment en sensations ne serait pas dans
le cerveau proprement dit,; puisqu'un animal auquel le cerveau y
compris la couche optique et le corps strié a été enlevé continue à
voir, à entendre, à ressentir la douleur, etc.. Ce serait donc plus
bas, dans la protubérance et peut-être aussi dans les pédoncules
cérébraux, que résiderait le centre des impressions sensitives.
Suivant cette hypothèse on apprécie' comme il suit dans le domaine
pathologique, les faits bien avérés où une lésion de. la couche optique
coïncide avec la diminution ou l'abolition de la sensibilité sur le
côté du corps frappé d'hémiplégie. Souvent il s'agit là, dit-on, et cet
argument est parfaitement fondé, de lésions récentes telles que
l'hémorrhagie intra-encéphalique ou le ramollissement, ou bien encore
de tumeurs, lésions par suite desquelles la couche optique se trouve
distendue à l'extrême et qui peuvent, en conséquence, avoir pour effet
de déterminer la compression des parties voisines, des pédoncules
cérébraux, par exemple. 11 est bien établi, d'un autre côté, que, dans
nombre de cas, la couche optique peut être lésée, même profondément et
dans une grande partie de son étendue, sans qu'il s'ensuive aucun
trouble appréciable, dans la transmission des impressions sensitives.
Au dernier argument, les auteurs anglais, M. Broadbent, entre autres
(4), opposent que la couche optique, centre présumé des impressions
sensitives, doit sans doute être assimilée 'à l'axe gris de la moelle
épinière; celui-ci, comme on sait, continue à transmettre ces
impressions, alors même qu'il a subi les désordres les plus graves,
pour peu qu'un petit lambeau de substance grise subsiste, capable de
rattacher le bout inférieur au bout supérieur. J'avoue que la
comparaison me parait forcée, du moment surtout où loti pose en
principe que la' couche optique doit être considérée comme un centre ;
car, en ce qui concerne la transmission des impressions sensitives,
l'axe gris de la moelle n'est évidemment qu'un conducteur.
Quoi qu'il en soit, voilà, Messieurs, où en sont les choses. A mon
sens, la question en litige ne pourra être résolue d'une maniéré
définitive qu'à l'aide de bonnes observations cliniques auxquelles
viendra s'adjoindre le contrôle d'études anatomiques très soignées,
dirigées principalement dans le but d'établir, avec une grande
précision, le siège des lésions encéphaliques auxquelles pourraient
être rattachés les symptômes constatés pendant la vie. De plus, les
circonstances de l'observation- devront se montrer telles que
l'influence de la compression ou de tout autre phénomène de voisinage
puisse être complément écartée. Or, Messieurs, dans l'état actuel de la
science, les faits réunissant toutes ces conditions-là sont, autant que
je sache du moins, . On peut citer toutefois, comme se rapprochant de
cet idéal, les cas qui ont été présentés par L. Türck à l'Académie des
sciences de Vienne (1) et auxquels j'ai déjà fait allusion. Ils sont au
nombre de quatre.
Dans les faits relatés par L. Türck, il, s'agit, Messieurs, soit
d'anciens foyers hémorrhagiques représentés par des cicatrices
ochreuses, soit de foyers de ramollissement parvenus à l'état
d'infiltration celluleuse. Dans tous les cas, l'hémiplégie, liée à la
présence des foyers, avait disparu depuis longtemps lors de l'autopsie
; mais L'hémianesthésie avait persisté jusqu'à la. terminaison fatale.
Les parties de l'encéphale intéressées par l'altération sont indiquées
avec soin.
La nomenclature germanique des diverses parties de l'encéphale, toute
rebutante qu'elle nous paraisse en raison de la multiplicité et de la
singularité des termes, présente cependant, - à mon sens, un avantage
incontestable : c'est, passez-moi la comparaison, une géographie très
complète , où le plus petit hameau se trouve désigné par un nom. La
nomenclature 'française a le mérite, sans doute, de tendre à la
simplification; mais c'est parfois au détriment de l'exactitude absolue
: elle est souvent incomplète. Or, pour les questions du genre de celle
qui nous occupe, il n'est pas de détail, si minutieux qu'il soit, qui
doive être négligé. A tout prix, if faut tenir-compte des moindres
détails, car nous ignorons totalement, dans l'état où en est encore, à
l'heure qu'il est, la physiologie du cerveau, si. tel petit point, qui
n'a pas de nom dans la nomenclature française, n'est pas une position
de première importance.
Faisant appel à la nomenclature en usage de l'autre côté du Rhin,
cherchons à nus orienter, afin, de bien reconnaître %e siège des
parties lésées dans les observations de L. Türck.
Je mets sous vos yeux une coupe frontale faite au
travers des hémisphères cérébraux, immédiatement en arrière des
éminences mamillaires. (Fig18.) Vous reconnaissez sur cette coupe
immédiatement en dehors des ventricules moyens le noyau caudé (Noyau
intraventriculaire du corps strié), qui, dans cette région, n'est plus
représenté que par une toute petite masse de substance grise ; -
au-dessous de lui , et en dedans, la couche .optique, offrant ici un
grand développement;,- en dehors de la couche optique, la capsule
interne, formée principalement par des tractus de substance blanche qui
ne sont autres que le prolongement de l'étage inférieur du pédoncule
cérébral, et qui vont s'épanouir dans le centre ovale pour concourir à
la
composition de la couronne rayonnante ` plus en dehors, le noyau
extra-ventriculaire du corps strié où l'on distingue trois noyaux
secondaires désignés parles numéros 4, 2, 3 : le troisième, le plus
externe, est désigné parfois bous le nom de Putamen. Plus en dehors,
encore, se trouve une mince lamelle de Substance blanche, la capsule
externe, et, enfin, une bandelette de substance grise , l'avant-mur
(Vormauer).
Or, Messieurs, dans les cas de M. Türck, les lésions avaient envahi à
la fois la partie supérieure et externe de la couche__ optique, le
troisième noyau de la partie extra-ventriculaire du corps strié, la
partie supérieure de la capsule interne, la région, correspondante de
la couronne rayonnante et la substance blanche avoisinante du lobe
postérieur.
il s'agit là par conséquent de lésions complexes; mais elles permettent
tout au moins de circonscrire la région dans laquelle devront être
dirigées les recherches. Des études ultérieures et suffisamment
multipliées nous feront bientôt connaître l'altération fondamentale,
celle à laquelle devra être rattachée l'existence de l'hémianestbésie.,
Quelques autres faits d'hémianesthésie de cause
cérébrale, publiés postérieurement à ceux de Türck, signalent des
altérations portant sur la même circonscription de l'encéphale et
n'ajoutent d'ailleurs rien d'important aux résultats obtenus-par cet
observateur. Tel est entre autres le cas de M. Hughlings Jaokson (4) ;
ici encore l'altération n'était pas limitée au thalamus; elle
s'étendait au noyau extra-ventriculaire du corps strié, et par
conséquent la capsule interne avait dû être lésée dans sa partie
postérieure. Il en a été de même dans le fait observé pari M. Luys : le
centre médian de la couche optique était lésé, mais l'altération avait
envahi le corps strié (vraisemblablement le noyau extra-ventriculaire.)
En résumé on peut conclure, je crois, de ce qui précède
que, dans .les hémisphères cérébraux, il existe une région complexe
dont la lésion détermine l'hémianesthésie ; on connaît
approximativement les limites de cette région; mais . actuellement la
localisation ne saurait être poussée plus loin, et personne n'est en
droit de dire si c'est, dans la région indiquée, la couche optique qui
doit être incriminée plutôt que la capsule interne, le centre ovale, ou
encore le troisième-noyau du corps strié.
Quant à présent l'anesthésie de la sensibilité générale parait seule
avoir été signalée, en conséquence d'une altération des hémisphères
cérébraux; de telle sorte que l'obnubilation des' sens spéciaux
resterait comme caractère distinctif de l'hémianesthésie des
hystériques. Mais il est permis de douter que les organes des sens
aient été attentivement explorés dans les faits d'hémianesthésie par
lésion cérébrale publiés jusqu'à ce jour; les observations ne
contiennent aucune mention à cet égard (i).
Je suis porté à croire, pour mon compte, que la participation des sens
spéciaux sera, en pareil cas, reconnue quelque jour,' lorsqu'on aura
pris soin de la chercher. Voici sur quoi je me fonde.
Il existe dans la clinique des maladies organiques des centres nerveux
un appareil symptomatique peu connu, peu remarqué encore, je le crois
du moins, et dont j'aurai l'occasion de vous entretenir quelque jour en
détail Il s'agit là d'une sorte de convulsion rhythmique qui occupe
tout un côté du corps, la face y compris, du moins fort souvent, et qui
revêt tantôt les apparences de la secousse clonique de la chorée,
tantôt celles du tremblement de la paralysie agitante. Ce tremblement
hémilatéral se montre quelquefois primitivement; d'autrefois il succède
à une hémiplégie dont le début a été subit, et il commence à apparaître
dans ce dernier cas, à l'époque où la paralysie motrice commence à
s'amender. La lésion consiste dans la pré sente, soit d'un foyer
d'hémorrhagie ou de ramollissement, soit d'une tumeur; dans tous les
cas de ce genre que j'ai observés jusqu'ici, et dans les faits
analogues que j'ai recueillis dans les auteurs, elle occupait la région
postérieure de la couche optique et les parties adjacentes de
I'hémisphère cérébral situées en dehors de celle-ci.
Or, l'hémianesthésie est un accompagnement assez habituel, mais non
constant toutefois -- de cet ensemble de symptômes, et elle siége du
même côté que le tremblement.
Elle existait à un haut degré chez un homme dont M. Magnan a communiqué
récemment l'histoire à la Société de Biologie, et chez lequel la forme
de tremblement, dont j'ai voulu vous donner une idée sommaire, se
montrait des plus accusées. Tout porte à croire - je ne puis être plus
affirmatif, l'autopsie n'ayant, pas été pratiquée - que la lésion
encéphalique était, chez- cet homme, du même genre, quant au siège, que
celle que j'ai rencontrée chez mes malades. Eh bien, dans ce cas, M.
Magnan a reconnu, de la manière la plus nette, que la sensibilité
tactile n'était pas seule en cause ; les sens spéciaux étaient
eux-mêmes affectés, comme ils le sont dans l'hémianesthésie hystérique.
Du côté frappé d'hémianesthésie, l'Sil était atteint d'amblyopie,
l'odorat perdu, le goût complètement aboli.
Il devient vraisemblable par là, si je ne me trompe, que
l'hémianesthésie complète, avec troubles des sens spéciaux, et telle,
par conséquent, qu'elle se présente dans l'hystérie,. peut être
produite, dans certains cas, par une lésion en foyer des hémisphères
cérébraux.
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