(I) Revue par M. Blocq, d'après les
leçons de M. Charcot. Extrait de la Gazette hebd de méd. et de chir.
(22 mars 1890). Voir aussi (n° XXVIII et. XXX) mes deux mémoires sur.
ce sujet, où la question est exposée en détails. (G. G.)
Les diverses questions qui se rattachent au
somnambulisme, comme toutes celles qui touchent en quelque point au
domaine du merveilleux, bien que douées de l'incontestable privilège de
provoquer un intérêt considérable, sont encore, malgré cela, entourées
d'une très grande obscurité.
Cela tient en partie, sans doute, à ce que le mot somnambulisme est un
mot vague sous lequel sont confondus une masse d'états distincts : le
somnambulisme qui survient spontanément au milieu du sommeil, ceux qui
dépendent de crises 'nerveuses épileptiques et hystériques, celui enfin
que l'on provoque artificiellement. Aussi, M. le P Charcot vient-il,
dans une remarquable leçon, dont nous nous inspirerons ici, de tenter
la classification nosographique de ces divers états.
Si les somnambulismes méritent d'être étudiés par les psychologues, ils
n'importent pas moins aux pathologistes. Leurs caractères communs sont
surtout d'ordre psychologique, puisque tous ils représentent, à cet
égard, des discontinuités de la vie psychique normale. C'est pourquoi
les signes cliniques offriront actuellement plus de prise pour
entreprendre cette différenciation. C'est du moins à ce point de vue
presque exclusif que nous allons nous placer. Nous
exposons, en premier lieu, la division clinique que
vient de formuler M. Charcot, car il nous sera commode de la suivre
dans la description; et par cela même, nous la commenterons en la
justifiant.
Le somnambulisme naturel ou physiologique est le plus
anciennement, mais non le plus complètement connu ; c'est de lui qu'on
s'occupe si habituellement dans le monde extra-médical. Le somnambule
de cette catégorie est, d'après l'étymologie du mot, celui a qui marche
en dormant. m Notre collègue Gilles de la Tourette, qui a consacré
plusieurs pages fort intéressantes de son livre à cette étude, accepte,
sous certaines réserves, la définition qu'en a donnée J. Frank: " Il y
a somnambulisme (naturel), dit ce dernier auteur, lorsque les fonctions
qui appartiennent à l'état de veille s'exécutent pendant un sommeil
d'ailleurs normal.
Nos connaissances relativement à cet état sont très peu précises, car
les observations ne peuvent être faites que pendant la nuit, et par
suite rarement par des médecins. On sait, toutefois, que ce
somnambulisme n'existe pour ainsi dire que chez les enfants; il est
rare chez l'adulte et presque inconnu dans la vieillesse. Ce sont de
préférence les femmes qui en sont atteintes. Le noctambulisme serait
aussi fréquemment en rapport avec l'hérédité neuropathique.
C'est ordinairement au milieu de la nuit qu'il se développe. Le sujet
s'est couché comme d'habitude, puis, après quelques heures de sommeil,
brusquement, ou à la suite d'une légère agitation de peu de durée, il
se lève hors du lit. Il se livre alors, pendant un temps variable, aux
actes les plus divers ; il se recouche ensuite, et, au réveil, il n'a
conservé aucun souvenir de ce qu'il a fait pendant la nuit.
Tel le sujet dont parle Voltaire, qui pendant son sommeil saute tout à
coup hors du lit, fait la révérence, danse le menuet, puis va se
recoucher. Telle aussi, cette malade observée par M. Charcot, qui, au
milieu d'un cauchemar où elle rêve de voleurs, quitte précipitamment
son lit, descend éveiller et avertir la concierge de sa maison, remonte
en sa compagnie dans sa chambre, et, arrivée là, regagne sa couche et
se rendort, sans que cette scène lui laisse au réveil aucun souvenir.
On connaît assez, pour que nous n'ayons pas besoin de la rappeler, la
scène fameuse de Macbeth. Il ne manque pas non plus d'observations dans
lesquelles on a noté que les somnambules s'occupaient, dans leur accès,
de leurs travaux habituels : élèves préparant leurs devoirs, ouvriers
s'occupant de leur travail journalier, etc.. D'autres sujets ont des
impulsions de caractère ambulatoire; on sait les nombreux récits qui
ont trait à ces promenades des noctambules sur les crêtes des murs, les
corniches et les toits. Parfois, les actes accomplis pendant le sommeil
paraissent moins précisément déterminés ; nous nous rappelons à cette
occasion, avoir observé une malade de la Salpêtrière qui, dans son
accès, se livrait à des séries incoordonnées d'actes ; elle se dressait
en sursaut sur son lit, fuyant d'abord, comme sous le coup d'une
poursuite en manifestant tous les signes de la terreur, sautait par
la fenêtre, puis courait au jardin, et là le sol était gelé à cette
époque elle semblait cueillir des fleurs comme pour faire un bouquet.On
a pu compléter ou vérifier, à l'occasion de cette dernière malade,
quelques-uns des symptômes qui relèvent de ce somnambulisme. Le
somnambule a les yeux grands ouverts, mais il les tient fixes, les
pupilles contractées; il se dirige sans hésitation, ne voyant en
apparence que les objets ou les personnes qui jouent un rôle dans
l'épisode qu'il exécute. Certains somnambules entendraient, mais cette
notion est moins établie ; interpellés à haute voix, ils n'en ont cure,
en général, et poursuivent l'exécution des actes qu'ils ont commencés.
Le sens musculaire serait remarquablement conservé chez eux, et c'est à
l'hyperesthésie de ce sens que pourrait être attribuée la facilité avec
laquelle ces sujets se tirent souvent avec succès d'exercices assez
périlleux: sauts, courses en équilibre sur des toits, etc.. De plus, il
n'existerait pas chez eux cette prédisposition aux contractures
musculaires spasmodiques qui caractérise le somnambulisme hypnotique.
Au réveil, et c'est là un signe très important, le somnambule a
complètement oublié tout ce qu'il a fait pendant son accès.
Ainsi qu'on s'en rend compte par la lecture des quelques exemples que
nous avons cités, le somnambule commet des actes très différents. Mais,
d'une façon générale, il semble toujours poursuivre un rêve en action,
rêve qui comprend une ou plusieurs séries d'épisodes très distincts. Le
noctambulisme apparaît ainsi comme l'expression motrice d'un rêve, qui,
en raison de son intensité ou de l'état spécial du sujet, passerait de
l'idée à l'acte.
A l'appui de cette conception on peut remarquer que les actes des
somnambules sont on rapport, tout comme les rêves, avec des idées qui
les ont frappés récemment. Une jeune pensionnaire" dont j'ai recueilli
l'histoire, reproduisait dans son noctambulisme la scène de la
confession, alors seulement que dans la journée précédente elle s'était
livrée à cet acte religieux.
La malade de la Salpêtrière, à laquelle j'ai déjà fait allusion, fuyait
apeurée de son lit, alors que dans la journée la présence au
laboratoire d'un singe destiné à des expériences l'avait vivement
impressionnée.
En dépit des incertitudes qui règnent encore sur bien des
particularités de cet état, il est relativement facile de le
reconnaître et de le diagnostiquer, si l'on tient compte de l'état tout
à fait normal du sujet dans l'intervalle des accès, et du caractère
nocturne de ceux-ci.
Au sujet de sa nature, on ne peut faire que des hypothèses. Gilles de
la Tourette, se basant sur un certain nombre d'observations dans
lesquelles des hystériques confirmés auraient présenté antérieurement
des accès de somnambulisme, pense que ce dernier état se rapproche à ce
point de l'hystérie qu'il est assimilable à une sorte d'hystérie larvée
". Les cas auxquels Gilles de la Tourette fait allusion sont en effet
relativement nombreux, et, pour notre part, nous en avons recueilli des
exemples frappants, qu'on pourrait joindre au fait que nous avons
autrefois communiqué à cet observateur. Mais il est juste d'ajouter que
beaucoup de sujets, ayant été somnambules dans leur jeunesse, n'offrent
plus ultérieurement le moindre accident nerveux d'ordre hystérique;
cette considération ne permet, à notre avis, d'accepter l'hypothèse de
notre collègue qu'avec réserve.
Dans tous les faits de somnambulisme naturel, le point capital, reste
que les sujets, en dehors de leurs accès nocturnes, ne souffrent
d'aucun trouble de la santé.
Il en sera rarement ainsi, en ce qui concerne le somnambulisme
épileptique. Toute épilepsie comporte une sorte d'automatisme qui,
rudimentaire habituellement, peut, dans de certaines conditions,
acquérir un développement considérable.
Il s'agit alors de ces cas si bien étudiés par Hughlins Jackson, sous
le nom d'automatisme mental, cas dont M. Ribot a rapporté de curieux
exemples, et auxquels M. Charcot a consacré plusieurs de ses leçons.
Leur diagnostic est souvent des plus embarrassants. Les formes simples,
les moins rares, sont celles qui ressortent du petit mal; c'est le
petit automatisme de M. Charcot. Tantôt le trouble dont il s'agit ne
dure que quelques instants, et alors le malade, par exemple, continue
inconsciemment le travail auquel il se livrait au moment' de l'accès.
D'autres fois, l'accès est plus long et plus complexe un magistrat,
cité par Trousseau, siège dans une société savante ; tout à coup, il
sort nu-tête de la salle, fait une centaine de pas au dehors, puis
revient prendre part à la discussion, sans conserver aucun souvenir de
ce qu'il a fait.
Les actes exécutés pendant l'accès peuvent encore être répréhensibles,
comme en témoigne l'histoire de ce professeur qui, sous l'influence
d'une crise de ce genre, se mettait à se déshabiller complètement, en
pleine classe, comme s'il allait se mettre au, lit. (Charcot).
Il s'agit enfin, d'autres fois, d'actes criminels, les malades sont en
proie à un véritable délire : un cordonnier, le jour de son mariage,
tue son beau-père à coups de tranchet, et, revenu à lui ensuite, n'a
pas la plus légère connaissance de ce qu'il a fait (Ribot). Les cas de
cette catégorie sont relativement faciles à diagnostiquer, car ces
accès à caractères psychiques et impulsifs sont rarement les seuls que
présente le malade. Le plus souvent il a eu de véritables vertiges ou
même des accès d'épilepsie convulsive, et ces signes, dans certains de
ces cas, ont précédé immédiatement le désordre psychique.
La difficulté s'accroît considérablement dès qu'il s'agit des autres
formes, de celles que M. Charcot a proposé de désigner sous le nom
d'automatisme initial ambulatoire, et qu'il, a étudiées à l'occasion
d'un malade extrêmement intéressant. Nous rapporterons l'histoire de ce
malade qui peut être considérée comme un type de ce genre.
Cet homme est sujet à des accès consistant en ce que, tout à coup, au
milieu de ses occupations habituelles, sans prodromes bien marqués, il
perd la conscience de ses actes, se met en marche résolument, sans
savoir cependant où il va, à la manière d'un automate, et ne reprend sa
lucidité qu'au bout d'une période de temps dont la durée peut varier do
quelques heures à quelques jours.
Ces accès se sont manifestés à partir de l'âge de 35 tans, et ont été
au nombre de 7 en une période de 3 ans; leur durée a varie de 2 heures
à 6 jours. Dans la plus longue de ces fugues, le sujet, livreur de son
état, se rappelle avoir fait la troisième de ses courses,
- c'était rue Mazagran, puis de là il se réveille sur un pont suspendu,
au milieu d'une ville inconnue. Il va à la gare et se rend compte qu'il
est à Brest ; là, de crainte d'être pris d'un nouvel accès, il confie
son aventure à un gendarme, qui, ne comprenant rien à ses explications,
et le trouvant porteur d'une somme importante, le met en état
d'arrestation. Ce n'est qu'après avoir passé quelques jours en prison
que, grâce aux démarches de son ancien patron, il fut libéré. Toutes
les fugues de ce malade ont été de même caractérisées par cette
tendance à la déambulation, et il est à remarquer que, pendant toute la
durée de chacun de ses accès, cet homme a toujours vécu inconsciemment,
mais avec les apparences d'un homme normal, n'attirant pas l'attention,
et ne commettant aucune action qui pût le faire considérer comme un
malade.
Il existe dans là science un certain nombre d'histoires analogues. M.
Charcot les considère comme des équivalents épileptiques. Le diagnostic
en sera aisé, si le malade présente des crises convulsives dans ses
antécédents, et surtout si le début de la période d'inconscience est
marqué par des prodromes d'ordre comitial.
Mais il se peut qu'il n'en soit pas ainsi. C'est alors, en se basant
sur des signes plutôt négatifs - absence de stigmates hystériques et
d'attaques et sur les analogies présentées par ces impulsions
inconscientes avec celles qui suivent les accès comitiaux, c'est enfin
en tenant le plus grand compte des résultats positifs de la médication
bromurée, qu'on sera autorisé à ranger ces cas parmi les somnambulismes
épileptiques.
***
Le somnambulisme hystérique est caractérisé par des accès qui, le plus
ordinairement, sont précédés et suivis des phénomènes moteurs de
t'attaque hystérique, et plus rarement se manifestent primitivement.
On peut considérer les somnambulismes hystériques comme des
transformations d'une certaine période de l'attaque
hystéro-épileptique, celle qui dans la nomenclature de M. Charcot porte
le nom de phase des attitudes passionnelles. Les différences, en
apparence considérables, qui séparent les variétés de ces formes,
présentent comme limites extrêmes d'un côté la phase passionnelle de
l'attaque elle-même, de l'autre le somnambulisme hypnotique. Entre ces
deux états prennent place tous les intermédiaires.
Ce n'est pas là une simple vue de l'esprit, car, au cours de cette même
leçon, dont nous reproduisons l'expression, M. Charcot a pu montrer à
ses auditeurs divers malades dont chacun réalisait objectivement les
différents termes de cette série qu'il établissait.
On sait que cette troisième phase de l'attaque hystéro-épileptique est
caractérisée par un délire dans lequel le malade, par ses paroles et
par ses gestes, parait être sous le coup d'hallucinations de diverse
nature : gaies, tristes, lubriques, terrifiantes, etc & Les
tableaux animés que les sujets interprètent alors se recommencent
généralement dans le même ordre, et il en résulte une sorte de série.
Or, de même que la première phase (épileptoïde) et la deuxième
(convulsive) de l'attaque peuvent exister à l'état d'isolement, il
arrive aussi que la troisième période se manifeste d'emblée. Cette
manière d'attaque est surtout fréquente chez les enfants. Sous le titre
d'hystérie maniaque j'en ai publié récemment un très bel exemple, à
l'occasion duquel j'avais pu dire : Si l'on admet que l'attaque
hystérique offre une sorte de synthèse des symptômes de la névrose,
l'hystérie maniaque, selon cette conception, représenterait l'une des
phases dissociées de l'attaque, la période des attitudes passionnelles
isolée à l'état de simplicité, et anormalement prolongée.
Examinons, à l'aide de cette conception, les différents aspects sous
lesquels se présente le somnambulisme hystérique.
Dans un premier groupe de faits, il s'agit d'une attaque d'hystérie
dont la période convulsive est raccourcie, et dont la période
passionnelle, exagérée par sa durée, offre l'apparence somnambulique.
Lorsque l'attaque survient, elle débute par quelques mouvements
épileptoïdes de peu de durée, puis apparaît la phase délirante,
comportant,. comme d'habitude, une succession de tableaux toujours les
mêmes. C'est alors que le sujet est un vrai somnambule; il a les yeux
ouverts, le plus souvent du moins, mais ne voit que le rêve qu'il
poursuit; il marche, gesticule, parle, crie ou chante. Voici des bêtes
noires, il se précipite à terre, les invective, les chasse, les écrase;
brusquement son attitude change, il ôte respectueusement sa casquette,
et regarde avec curiosité : l'enterrement cérémonieux d'un
fonctionnaire passe, auquel il assiste d'un bout à l'autre, etc..
Parfois on arrive par la parole, ou par certains bruits, à intervenir
dans ce délire, mais seulement pour modifier l'ordre de succession des
tableaux.
On n'y ajoute rien de nouveau, c'est-à-dire que la suggestion n'a
aucune influence créatrice. Enfin, il est souvent possible de provoquer
l'attaque, par la mise on oeuvre des procédés d'hypnotisation, de même
qu'on pourrait l'arrêter par la compression des zones
hystéro-frénatrices.
Dans un autre ordre de faits, ce n'est pas à une phase anormalement
prolongée de l'attaque qu'on assiste, mais à une phase complètement
isolée. A peine le sujet prélude-t-il la scène qu'il va jouer par
quelques mouvements de torsion des mains, qui représentent, en
raccourci, les périodes convulsives de l'attaque. Il se livre d'emblée
aux divers actes qui sont en rapport avec les hallucinations qui le
hantent, et sur la nature desquelles on est renseigné, autant par ses
paroles, que par sa mimique expressive.
Cette fois l'intervention étrangère est déjà plus efficace; non
seulement on modifie les tableaux du délire, sans y rien, ajouter de
neuf toutefois, mais encore on provoque des réponses du sujet aux
questions qu'on lui adresse (1). Cependant le malade n'est pas
autrement suggestible, et ne présente pas la contracture somnambulique.
Mais son apparence est plus calme, son activité propre diminue, son
passivité augmente.
Enfin, dans une dernière classe se rangeront ces cas - actuellement
considérés comme des exemples de a dédoublement de la personnalité ".
La description bien connue du cas de Félida, par M. Azam, est à cet
égard démonstrative. On sait que cette femme vivait, pour ainsi dire,
d'une double vie, passant alternativement par deux états que M. Azam a
désignés sous les noms de condition première et condition seconde. Dans
son état normal ou condition première, la malade est grave et
travailleuse. Tout à coup, il semble qu'elle s'endorme ou qu'elle ait
une syncope, elle perd connaissance, et, revenue à elle, on la trouve
en condition seconde. Dans ce nouvel état, son caractère a changé elle
est devenue gaie et oisive. Elle se souvient de tout ce qui s'est passé
pendant les autres états semblables qui ont précédé et pendant sa vie.
normale. Au bout d'un temps variable, une sorte de torpeur la reprend,
et elle revient â sa condition première. Dans cet état elle a oublié
tout ce qui s'est passé dans sa condition seconde, et ne se souvient
que des périodes normales antérieures. (Ribot.)
La malade que M. Charcot a présentée à son cours comme type de cette
catégorie est non moins intéressante; elle est dotée, elle aussi, d'un
état n° 1 et d'un état n° 2. Tout ce qui se passe dans l'état n° 2,
elle ne le sait que dans un nouvel état semblable, et il en est de même
pour l'état n° 1.
Elle renferme donc, en réalité, deux 'personnalités qui s'ignorent
l'une l'autre. Dans son état n° 2, elle offre les signes somatiques de
la contracture somnambulique qui n'existent pas dans l'état 1; de mêmc
l'hémi-anesthésie et le rétrécissement double du champ visuel, observés
dans l'état 2, sont très exagérés dans l'état 1 : on note enfin chez
elle, dans l'état 1, une véritable abasie, qu'en ne retrouve pas dans
l'état n° 2.
Du côté psychique, elle se conduit comme tout le monde en état 2 mais
elle y est éminemment suggestible, disposition qu'on ne constate pas
dans l'état normal. Enfin, lorsqu'elle passe de l'un à l'autre état,
elle présente une esquisse d'attaque convulsive.
Une autre malade de la Salpétrière, qui est également
hystéro-épileptique, se trouve depuis 3 ans dans un état second tout à
fait semblable; c'est-à-dire qu'elle est constamment contracturable et
suggestible.
On voit par ce qui précède que cette conception des somnambulismes
hystériques comme des modes d'attaques passionnelles est en quelque
sorte la clef qui permet d se rendre compte de la place nosographique
de ces états. M. Charcot fait remarquer, avec raison, qu'il existe une
sorte de gradation de ces états, gradation qui va de l'attaque
passionnelle normale, dans laquelle l'activité propre du sujet est
exaltée, au somnambulisme hypnotique, où la passivité domine. C'est
ainsi qu'on peut tout d'abord intervenir dans les actes du
somnambulisme hystérique pour éveiller les seuls tableaux qui font
partie de son programme; à un degré d'activité moindre, on va pouvoir
développer de nouveaux tableaux; enfin l'activité étant réduite aux
actes de la vie ordinaire sans hallucinations, la passivité augmente et
permet la suggestion. La passivité du sujet devient-elle en dernier
lieu complète, il s'agit alors du somnambulisme hypnotique.
De ce somnambulisme hypnotique nous ne dirons que quelques mots. Nous
rappelons que M. Charcot désigne ainsi l'une des trois périodes du
grand hypnotisme tel qu'il l'a décrit chez les hystéro-épileptiques. On
l'obtient, consécutivement aux périodes de léthargie et de catalepsie,
par de légers frottements sur le vertex. Le sujet paraît alors se
réveiller; mais, en réalité, il n'en est rien, ainsi qu'on peut s'en
rendre compte par la constatation des signes somatiques de cet état. Il
existe une hyperexcitabilité musculaire qu'on met en oeuvre par une
excitation superficielle du tégument externe. Le souffle, ou un
frôlement très léger, détermine la contracture, que font disparaître
des manSuvres de même ordre, exercées sur leurs antagonistes. On
remarque aussi dans cet état une exaltation notable da la puissance
musculaire, et surtout des sens spéciaux. Enfin, le sujet n'a aucune
activité, et il est passivement docile à toutes les suggestions qu'il
plaît à l'expérimentateur de lui ordonner. De même que dans les états
précédents, il oublie au réveil tout ce qui s'est passé, mais peut en
conserver le souvenir au cours d'un nouveau somnambulisme.
M. Pierre Janet (1) a fait remarquer, dans un livre excellent sur
l'automatisme psychologique, que la transition est facile entre les
modifications de la personnalité que nous venons de signaler et celles
qui ont lieu pendant le somnambulisme provoqué. Le même auteur ajoute
que le passage est aisé d'un délire naturel à un somnambulisme
artificiel. Ce sont là, pour le noter en passant, autant d'arguments à
l'appui de cette opinion de M. Charcot formulée autrefois, et maintenue
en dépit des assertions contradictoires, à savoir qu'il existe des
rapports étroits entre l'état hypnotique et l'état hystérique.
Somme toute, si l'on fait abstraction des amnésies traumatiques,
analogues sans doute, mais dont l'étude est encore insuffisante
aujourd'hui pour permettre de les classer, les états somnambuliques se
réduiraient aux suivants : somnambulisme naturel, épileptique,
hystérique et hypnotique.
Le somnambulisme épileptique comprend deux formes : grand et petit
automatisme. Le somnambulisme hystérique admet un nombre extrêmement
varié de formes dont nous avons décrit quelques types - mais qui toutes
représentent une phase transformée de l'attaque hystérique. Leur
comparaison montre enfin qu'elles tendent à réaliser des modes de
transition entre cette phase de l'attaque et le somnambulisme
hypnotique.