Dr MAURICE BOUVET Nous publions ce texte remis en page par nos soins, dont
la numérisation originale,se trouve sur le site Gallica de la BNF,
extrait de la RFP 1953, aux fins d'études du séminaire IV de J Lacan,
qui le cite abondament, en une critique constructive
Le moi dans la névrose obsessionnelle
Relations d'objet et mécanismes de défense
Rapport clinique
par le Dr MAURICE BOUVET . (Paris)
INTRODUCTION
Présenter un rapport sur le Moi dans la névrose obsessionnelle peut
paraître osé, puisqu'aussi bien c'est dans cette affection que cet
aspect de la personnalité que l'on nomme le Moi fut depuis longtemps,
et de prime abord d'ailleurs, l'objet de l'attention des analystes. Il
ne pouvait être question en effet d'envisager l'étude de la névrose
obsessionnelle sans aborder celle du Moi, puisque celui-ci est de façon
si active impliqué dans cette névrose, et qu'il est si intimement mêlé
au développement de sa symptomatologie. FREUD n'a-t-il pas intitulé
l'un de ses premiers articles sur la névrose obsessionnelle, Les
neuropsychoses de défense.
Tout n'a-t-il pas été dit sur ce sujet. N'a-t-on pas décrit, sous tous
ces aspects, la pensée prélogique, n'a-t-on pas suffisamment insisté
sur les formations réactionnelles de l'ego ; s'il est un aspect
pathologique du Moi, dont la clinique analytique ait donné une
description précise, c'est bien celui du Moi obsessionnel.
Aussi n'ai-je pas l'intention de revenir sur des faits qui sont connus
de tous, ni sur ces études si pénétrantes qui nous ont fourni les
connaissances que l'on sait sur les principaux mécanismes
psychopathologiques de la névrose obsessionnelle.
Je désirerais aborder ici, devant vous, un point particulier : Celui
des relations d'objet que le Moi obsessionnel, noue avec son
environnement, c'est là, je le sais bien aussi, un problème qui dès le
début des études analytiques a suscité l'intérêt des auteurs, et chacun
a en mémoire les travaux d'ABRAHAM. Néanmoins, mes lectures, tout aussi
bien que mon expérience personnelle si limitée fut-elle, m'ont engagé à
consacrer ce rapport à l'étude de cette question.
Comme on le verra en effet en lisant le chapitre qui suit, les travaux
les plus importants qui eurent trait ces vingt dernières années à la
névrose obsessionnelle ont eu pour objet précisément l'examen de ces
relations. Peut-être s'étonnera-t-on du titre que j'ai donné à cette
présentation : Le Moi dans la névrose obsessionnelle alors que je viens
d'en tracer les limites et d'indiquer que je ne ferai qu'allusion à
tout ce que la clinique psychanalytique, disons classique, nous apprend
sur le Moi obsessionnel; si je l'ai ainsi arrêté c'est que certaines
des études contemporaines s'essaient à une description d'ensemble de la
personnalité totale du sujet obsédé à la lumière de ses relations
objectales, et par là introduisent le problème des rapports de la
névrose obsessionnelle, et des autres syndromes psychopathologiques
tout aussi bien psychotiques, que névrotiques, alors que d'autres
travaux restent limités à un aspect plus restreint de ces relations
d'objet.
J'ai pensé que l'on pouvait tenter une synthèse des résultats, obtenus
par les auteurs qui se sont récemment intéressés à la névrose
obsessionnelle, résultats qui ne font d'ailleurs que compléter et
préciser ce qui était déjà impliqué dans les études plus anciennes ; il
m'a semblé, que de l'ensemble de ces données, se dégageait la notion
d'une relation d'objet dont la portée était très générale et dont j'ai
recherché l'expression clinique. Aussi, je consacrerai une large partie
de ce travail à un exposé clinique, peut-être un peu minutieux et un
peu long et je vous prie de m'en excuser.
J'ai adopté dans cette présentation le plan suivant : Le Ier chapitre
sera consacré : à l'état actuel de la question. Le 2e chapitre : à une
étude clinique du Moi et de ses relations
d'objet en général. Le 3 e chapitre : à l'étude des relations d'objet
dans le transfert. Le 4e chapitre : aux instruments de cette relation
et à son évolution
au cours du traitement analytique. Le 5e chapitre : à l'exposé d'une
observation qui m'a semblé être assez
démonstrative. Le 6e chapitre : enfin à quelques considérations d'ordre
thérapeutique
avant que je ne vous présente les conclusions que je pense pouvoir
dégager de cette étude.
I ÉTAT ACTUEL DE LA QUESTION
Le terme de relation d'objet, étant pris dans le sens le plus général,
s'applique à toutes les relations du sujet dans le monde extérieur, et,
dans le cas particulier de la névrose obsessionnelle, il ne peut être
question, étant donné l'importance des déplacements et des
représentations symboliques, qu'il en soit autrement.
J'ai fait allusion plus haut aux études d'ABRAHAM sur ce sujet. Il a en
effet consacré toute une série de publications à la question des
relations de l'obsédé et de ses objets d'intérêt et d'amour, à leurs
différences et à leurs similitudes avec celles qui caractérisent
d'autres états psychopathologiques comme la mélancolie, la manie, etc.
Névrose obsessionnelle et états maniaco-dépressifs, 1911 ; Courte étude
du développement de la libido vue à la lumière des troubles mentaux,
1924 ; Contribution à la théorie du caractère anal, 1921 ; pour ne
citer que les principales.
Il en arrive à la conclusion que voici : la névrose obsessionnelle
aboutit à une régression au stade sadique anal de l'évolution
libidinale, où les relations d'objet peuvent être définies comme suit :
Le sujet est capable d'amour partiel d'objet, c'est-à-dire qu'il ne
vise qu'à la possession d'une partie de l'objet, ce qui implique un
respect relatif de l'individualité de celui-ci. Ce désir de possession,
de conservation d'un objet, qui donne au sujet des satisfactions
narcissiques, est le témoin de l'organisation instinctuelle de la
deuxième phase du stade sadique anal, telle que ABRAHAM lui-même l'a
différenciée ; il l'oppose à la première où les désirs sadiques
destructeurs avec visées d'incorporation prédominent. La régression de
la névrose obsessionnelle est essentiellement pour lui stabilisée à
cette phase anale conservatrice, mais il n'en reste pas moins, que ce
désir de conservation de l'objet est contrebalancé par un désir
d'expulsion, de destruction, ce qui donne à la phase anale ses
caractéristiques d'ambivalence bien connues : la conservation répondant
à l'amour, la réjection à la haine.
Cette phase de l'organisation anale est celle à laquelle la très grande
majorité des auteurs, pour ne pas dire presque tous, fixent le terme de
la régression de la névrose obsessionnelle. Tout en effet concorde à ce
qu'on la situe à ce niveau : l'existence à ce stade d'une distinction
très franche entre le sujet et l'objet, la séparation complète du Moi
et du non Moi, l'intensité des différentes formes de sadisme aux phases
sadiques anales, l'existence d'une ambivalence physiologique,
l'intervention vigoureuse et progressive dans la vie de l'enfant d'une
organisation psychique de plus en plus puissante, mais qui s'exprime
encore précisément sur un mode archaïque — le mode prélogique. Et il
est en effet hors de question que l'on puisse d'une manière générale
assigner à la régression dans cette affection des caractères plus
primitifs encore ; néanmoins, comme nous le verrons plus loin,
l'affirmation d'ABRAHAM : que le sujet dans la névrose obsessionnelle,
a renoncé a toute visée d'incorporation, est discutable et controuvée
par les faits. Sans doute faut-il voir là, la conséquence d'une trop
grande rigueur dans les oppositions qu'ABRAHAM a voulu faire. Étant
donné, en effet, que les phases de l'évolution se recouvrent les unes
les autres et s'interpénétrent, ainsi que l'a explicité une fois de
plus Mme Mack BRUNSWICK, il n'y a pas de difficulté à admettre qu'il
n'existe aucune division tranchée, et que les tableaux de concordance
des syndromes névrotiques et des phases d'organisation libidinale
n'aient qu'une valeur générale et ne puissent servir qu'à établir un
rapport entre la structure d'ensemble d'un trouble et une phase de
l'évolution. Aussi ne faut-il pas s'étonner qu'à travers une structure
psychopathologique donnée, s'expriment, et des signes témoignant de la
survivance de formations conflictuelles appartenant à des périodes
antérieures et des angoisses inhérentes à ces mêmes phases du
développement.
Ce qui est indiscutable, c'est que la phase où est restée fixée et où
régresse la libido dans la névrose obsessionnelle, est une phase
intermédiaire extrêmement importante du développement en ce qui
concerne les relations d'objet, et que comme le fait remarquer ABRAHAM,
dès que la libido ne s'exprime plus, sur le mode et avec les qualités
des investissements qui sont ceux de la phase sadique anale
conservatrice, elle régresse avec une extrême facilité à ses
organisations antérieures.
Ceci nous rend compréhensible, sur le plan de l'évolution des pulsions,
les rapports intimes qui unissent la névrose obsessionnelle aux
psychoses, puisque celles-ci témoignent d'une régression libidinale aux
stades d'organisation antérieure.
NACHT, dans Le masochisme, a fait remarquer que les rapprochements que
fait ABRAHAM entre la névrose obsessionnelle et la mélancolie sont
discutables, et sur le plan topique : dans un cas il s'agit d'un Moi
névrotique et dans l'autre d'un Moi psychotique, et sur le plan
dynamique : dans le premier cas l'agressivité est transformée en
masochisme de par sa réflexion sur le Moi, par l'intermédiaire d'un
Surmoi archaïque, et dans l'autre elle prend, sans transformation
préalable, le Moi pour objet.
De toute manière l'introjection du déprimé est la conséquence de la
rupture des relations libidinales d'objet ; et classiquement, elle est
assimilée aux relations d'objet de cannibalisme total de la phase orale
sadique de l'évolution instinctuelle, qui est immédiatement antérieure
au stade sadique anal (FREUD). De même la rupture de ces relations avec
concentration de la libido sur le Moi peut aboutir à la schizophrénie,
avec retrait au moins prédominant des investissements objectaux. La
clinique nous montre chaque jour le bien-fondé du schéma d'ABRAHAM, en
nous imposant la notion des rapports étroits des états obsessionnels et
des psychoses, que celles-ci soient caractérisées par une prédominance
des mécanismes de rejet et de projection, comme les psychoses de
persécution, ou par celles des introjections destructrices comme la
mélancolie, ou par un retrait massif des investissements objectaux
comme la schizophrénie. La Clinique psychiatrique concorde ici avec les
enseignements de la théorie analytique.
Par ailleurs, ce que j'ai dit plus haut, du recouvrement des phases du
développement les unes par les autres, rend compte, non seulement de la
présence de formations orales sadiques dans toutes les analyses de
névroses obsessionnelles qui sont rapportées dans la littérature, mais
encore dans certains cas, de troubles de la structuration du Moi qui
sont le reflet de son état dans les phases antérieures du
développement, comme par exemple, l'absence de séparation complète
entre le Moi du sujet et l'objet.
FERENCZI a attaché la même signification qu'ABRAHAM aux conséquences
pour l'évolution des relations d'objet, des phases anales du
développement. Le sens de la réalité est étroitement lié pour lui à
l'éducation des sphincters et à leur « moralité ».
FREUD accepta complètement, comme on le sait, le schéma d'ABRAHAM, et
adopta la subdivision des phases orales et anales qu'il avait décrites
en phases préambivalentes et orales sadiques d'une part, sadiques
anales destructives et sadiques anales conservatrices d'autre part.
C'est ce schéma que l'on retrouve sur le tableau des concordances entre
les phases du développement libidinal, les relations d'objet, et les
manifestations psychopathologiques que Mme Mack BRUNSWICK publia, et
qui représente l'opinion définitive de FREUD sur cette question.
Je voudrais simplement faire une remarque sur la position de FREUD à
l'égard de la névrose obsessionnelle ; sans insister sur ses études
classiques sur cette affection, je tiens à attirer l'attention sur ce
qu'il n'a cessé de réaffirmer, à savoir : que les formes les plus
archaïques de la libido sont très voisines des manifestations
agressives, qu'un transport d'énergie instinctuelle peut, sous
l'influence de la frustration ou d'une cause interne se faire de la
signification libidinale de la relation à sa signification destructive,
diverses formulations qui expriment toutes cette idée majeure :
qu'après que la régression, à partir du conflit oedipien, ait fait son
oeuvre, les manifestations agressives expriment autant d'amour que de
haine. C'est là, je crois, un point essentiel et sur lequel on ne
saurait trop ramener l'attention.
Je ne puis, dans le cadre de cet exposé, que citer des noms qui vous
sont connus : celui de JONES, par exemple, dont les études sur Haine et
érotisme anal dans la névrose obsessionnelle et traits de caractère
anal érotique sont classiques.
Parmi les travaux contemporains dont l'objectif reste limité à la
description d'un mécanisme relationnel particulier, je voudrais
insister, non que je lui accorde l'importance des travaux de JONES par
exemple, sur la tentative de BERGLER. Comme vous le savez, BERGLER,
attachant une importance toute spéciale à la phase orale du
développement, vit dans les difficultés de l'allaitement le prototype
des relations ambivalentes qui précisément sont celles de la névrose
obsessionnelle. Il retrouva dans le cours du développement toute une
série de circonstances pouvant présenter une analogie avec la situation
initiale et se charger des angoisses non surmontées de cette première
relation ambivalente, l'éducation des sphincters par exemple, autre
expérience de passivité, imposée.
Je ne pouvais pas ne pas être frappé par ces travaux et par ce
sentiment qu'il eut qu'une bonne partie de l'agressivité de la névrose
obsessionnelle était une réaction de défense contre une tendance
passive, masochique, survivance de ces expériences dé passivité
imposées. J'ai moi-même étudié l'aspect homosexuel du transfert dans la
névrose obsessionnelle, et j'ai pu constater précisément, qu'à partir
du moment où le sujet pouvait prendre conscience de son désir
homosexuel, c'est-à-dire l'accepter, le contact affectif avec ces
malades devenait plus sûr ; ce qui ne veut pas dire pour autant que des
traumatismes importants de la période orale soient toujours en cause.
GLOVER en 1935, publia un article sur L'étude du développement des
névroses obsessionnelles, qui, me semble-t-il, est d'une importance
toute particulière pour la compréhension de la signification d'ensemble
des symptômes obsessionnels qui apparaissent comme l'expression d'une
véritable technique destinée à maintenir des relations de réalité.
Ce travail s'inspire des conceptions de Melanie KLEIN, et fait allusion
au stade paranoïde et psychotique de la petite enfance, à la théorie
des bons et des mauvais objets introjectés, théorie au sujet de
laquelle GLOVER fait d'ailleurs dès cette époque les plus extrêmes
réserves, souhaitant qu'une description plus rigoureuse des phases
primaires du développement puisse être élaborée. Mais ce qui me paraît
donner à ce travail toute sa valeur, c'est son caractère clinique. Se
basant sur l'étude des formes marginales ou limites de la névrose
obsessionnelle : névrose obsessionnelle et dépression — névrose
obsessionnelle et toxicomanie — phobie, recouvrant un processsus
obsessionnel ainsi que sur des cas de névroses obsessionnelles
caractérisées. GLOVER démontre que la technique obsessionnelle :
déplacement, isolation, symbolisation, permet au sujet de maintenir, à
travers un jeu psychologique complexe, des relations d'objet concrètes,
et stables, grâce à un émiettement des affects dont l'intensité et
l'alternance rapide eussent été insupportables au Moi, le sujet évitant
ainsi les dangers des introjections durables et des projections
irrémédiables de mauvais objets, par la succession rapide des conduites
d'introjection et de projection.
Depuis, GLOVER a, dans de nombreux travaux, pris résolument position
contre le concept des objets partiels, en lui déniant la qualité de
concepts de base, Concepts mentaux de base, leur valeur clinique et
théorique, et en insistant sur l'inexistence de l'objet dans les phases
primaires du développement. Il ne nie pas pour autant que l'enfant
fasse avec son corps des fantaisies simples qui lui servent à
s'exprimer. Mais il différencie ces fantaisies d'objet des imago dont
il rappelle le processus de formation, à partir des expériences réelles
de plaisir ou de souffrance vécues dans les relations d'objet. Après
abandon ou disparition de l'objet se forme, suivant les cas, une bonne
ou une mauvaise imago, qui est assimilée à une partie de soi, ce sont
ces mauvaises imago qui sont responsables des projections qui
transforment les objets en mauvais objets. Mais ces restrictions
n'enlèvent rien à la valeur clinique de son travail ; et d'ailleurs,
dans la dernière édition de son traité, il fait de nombreuses allusions
à la thèse qu'il défendait en 1935, soit par exemple la suivante : les
obsédés qui ne souffrent plus de leurs obsessions semblent être privés
d'un appui (constatations que j'ai moi-même pu faire à de multiples
reprises), ou encore en général la névrose obsessionnelle est une bonne
garantie contre la psychose.
Il est d'ailleurs tout à fait certain que ce qu'il écrit, sur les
aspects positifs de la régression, soit en substance : qu'elle est une
technique sûre et longuement éprouvée de stabilité à laquelle on
recourt devant les dangers nouveaux, précisément parce que l'on a
l'expérience qu'elle avait déjà protégé contre des dangers antérieurs
au stade qui la marque, ne peut manquer d'avoir une valeur générale en
dehors de toute discussion relative au concept d'objet.
Au surplus cette thèse cadre trop bien avec ce qu'implique le schéma
d'ABRAHAM d'une part, c'est-à-dire qu'après les relations d'objets de
caractère sadique anal il y a la psychose, et ce que nous apprend
d'autre part l'étude des relations, mais cette fois sous l'angle
psychanalytique entre la névrose obsessionnelle et les psychoses.
Ces études démontrent qu'en tout état de cause, en pratique, et quelles
que soient les conclusions auxquelles on arrive quant à la
signification de la névrose par rapport à une psychose concomitante ou
sous-jacente, au sujet de leurs connexions réciproques l'on n'a aucun
intérêt à détruire inconsidérément la relation d'objet névrotique, car
alors la psychose se précise et s'amplifie.
Je regrette de ne pas avoir le temps d'insister ici sur les études de
FEDERN, de STENGEL, de GORDON, de PIOUS, et de bien d'autres. Il est
vrai que depuis que l'analyse de la schizophrénie semble devenue de
pratique plus courante, soit par l'emploi d'une technique modifiée
(FEDERN, PIOUS), soit par une analyse assez classique (ROSENFELD), la
position du problème peut être différente ; mais en restant dans les
limites de ce travail, il me semble qu'une notion capitale se dégage de
l'ensemble de ces recherches : le caractère vital de la relation
obsessionnelle, car elle supplée aux relations plus évoluées que le
sujet n'a pu atteindre, et les effets cataclysmiques de sa rupture sur
l'état d'équilibre et de cohérence du Moi d'un sujet donné.
Peut-être pourra-t-on m'objecter précisément qu'il n'est nullement
démontré qu'il y ait une relation de causalité, entre le maintien d'une
relation d'objet obsessionnelle et celui d'un certain degré de
cohérence du Moi et que, ce sont là simplement deux aspects
concomitants et parallèlement variables de la personnalité morbide,
ceci est vrai, mais il n'en reste pas moins que l'argument clinique
garde toute sa valeur et que si nous admettons depuis FREUD, une
échelle de régressions de plus en plus profonde et allant même jusqu'à
la stupeur catatonique, il n'y a pas de raison pour ne pas admettre
qu'un stade régressif moins profond qu'un autre, et qui par conséquent
représente un progrès sur ce stade antérieur, ne soit un palier, une
plate-forme, sur lequel se réfugie le sujet qui n'ayant pu accéder à
des relations plus évoluées, est sur le point de céder au vertige de la
régression sans limite. Cette manière de voir d'ailleurs est en accord
avec les constatations faites par les auteurs qui s'occupent de
schizophrénie et dont l'un deux écrivait en substance : il est émouvant
de voir ces sujets (les schizophrènes) s'efforcer de retrouver à
travers un système obsessionnel, un contact avec la réalité.
N'est-ce pas d'ailleurs dans une perspective un peu comparable que
BOREL et CÉNAC ont soutenu, devant la conférence des psychanalystes de
langue française leur rapport sur L'obsession ? Certes ils mettent
avant tout l'accent sur l'essai de résolution par l'obsession d'un
conflit intrapsychique, mais en insistant sur son caractère de réaction
générale hédonique ils rejoignent par un côté le point de vue
précédent. Dans l'auto-observation, rapportée dans ce travail, de
l'obsession d'une mélodie apparaissant précisément lors d'un état de
fatigue, peut-être en partie comparable à ces. états légers de
dépersonnalisation que FEDERN avait étudiés sur lui-même, l'obsession,
si l'on peut donner ce nom aux phénomènes rapportés, n'était-elle pas
précisément un reflet d'une technique de défense destinée à maintenir
le contact avec une représentation d'objet ?
Mais je vous ai rapporté, à partir du travail de GLOVER, toute une
série d'études visant les rapports de la relation d'objet
obsessionnelle et de celle des états de régression plus accentué de
l'appareil psychique, autrement dit les psychoses. Il reste les
rapports de cette relation avec celle des régressions moins accentuées,
et en particulier de l'hystérie d'angoisse. Ici je ne puis que vous
renvoyer à l'admirable rapport d'ODlER (La névrose obsessionnelle)
devant cette assemblée, ou du moins celle qui l'a précédée ; je n'ai
pas besoin de vous rappeler qu'il y précise les relations d'objet dans
l'une et dans l'autre de ses affections, et qu'il y définit avec la
clarté que l'on sait le fonctionnement du Surmoi dans chacune d'elles.
Il me reste maintenant à faire allusion à un texte trop court de LACAN,
où cet auteur écrit que la névrose obsessionnelle est un trouble
résultant des premières activités d'identification du Moi ; il y note
que l'effort de restauration du Moi se traduit dans le destin de
l'obsédé par une poursuite tantalisante du sentiment de son unité, et
l'on verra dans la suite de ce travail combien les idées ici défendues
sont voisines de celles de LACAN.
Dans mon travail sur l'importance de l'aspect homosexuel du transfert
dans le traitement de quatre cas de névrose obsessionnelle masculine,
auquel j'ai déjà fait allusion, j'étudiais les phénomènes
d'identification régressive qui procurent à ces sujets un sentiment de
force et d'unité nécessaire qui leur permet de passer de cette
identification prégénitale et archaïque à une identification adulte.
Sans doute trouverez-vous précisément que l'objection que je me faisais
d'avoir donné à ce travail un titre trop prometteur est méritée,
puisqu'aussi bien je vous ai présenté jusqu'alors des travaux
intéressant la relation d'objet, et rien en ce qui concerne le Moi
lui-même.
Ceci tient à ce que, en dehors de tout ce que l'on a écrit sur le Moi
et la pensée magique dans la névrose obsessionnelle, je n'ai rien
trouvé dans la littérature qui concerne d'autres aspects du Moi, sauf
un travail de FEDERN, auquel d'ailleurs je ferai allusion dans le
chapitre suivant. Cette étude d'un style très différent de celles que
j'ai pu lire jusqu'ici est une tentative d'estimation de la valeur du
Moi, et non une analyse de ses mécanismes de défense. Elle consiste en
une comparaison avec le Moi hystérique, et se complète d'ailleurs par
les descriptions cliniques visant le Moi schizophrénique.
Comme on le voit, l'ensemble des travaux contemporains sur la névrose
obsessionnelle se rapporte en somme à l'étude de la relation objectale
de l'obsédé, qu'ils soient plus spécialement consacrés à la description
de ces relations, ou qu'ils s'intéressent d'une manière plus générale à
la signification de la structure obsessionnelle.
Comme on le voit aussi, ces études ne font que prolonger et compléter
l'effort des premiers chercheurs. Elles aboutissent toutes à une même
conclusion : les relations objectales de type obsessionnel sont pour un
sujet donné d'une importance vitale.
II LE MOI DANS LA NÉVROSE OBSESSIONNELLE . SES RELATIONS D'OBJET
Il n'est pas dans mon intention dans cette partie de mon travail
d'envisager autre chose que ce que l'on est convenu d'appeler la
faiblesse ou la force du Moi. Il est en effet habituel de dire que le
Moi dans la névrose obsessionnelle est dans certains cas débile, dans
d'autres cas plus fort, et d'en tirer des conclusions pronostiques.
Tous les auteurs insistent à juste titre sur le dédoublement du Moi,
FENICHEL par exemple dans son traité sur Hystérie et névrose
obsessionnelle, note que la partie magique du Moi est du côté de la
résistance et que la partie logique est l'alliée du thérapeute ; il
met, dans l'examen qu'il fait des conditions qui rendent le traitement
de la névrose obsessionnelle particulièrement difficile, en bonne place
ce dédoublement du Moi. Dans les phases de l'analyse où la partie
magique de celui-ci domine la personnalité, elle fait du traitement une
analyse de psychose. De plus, ce dédoublement crée une difficulté
particulière. L'interprétation même bien comprise n'agit pas, elle
permet au malade de se constituer une théorie de sa maladie sans vivre
son traitement. Autrement dit, le sujet utilise cette scission entre
les deux parties de son Moi comme un écran qu'il place entre l'analyste
et lui, et déjà se pose la question des relations d'objet au cours du
traitement. ODIER, dans son livre sur L'angoisse et la pensée magique
parle de secteur prélogique du Moi. NUNBERG insiste s.ur la régression
du Moi au stade animistosadique (Traité général des névroses).
Comme je l'ai déjà dit, je ne voudrais pas revenir sur la description
du mode de pensée prélogique caractéristique du secteur régressif du
Moi. Ce serait une redite qui ne ferait que surcharger inutilement ce
travail, de même par la suite, je ne définirai pas systématiquement les
mécanismes qui président à la genèse de l'obsession ou qui
conditionnent sa maîtrise et ce pour la même raison.
Qu'entend-on donc au juste par force ou faiblesse du Moi. C'est là, une
notion bien difficile à définir. NUNBERG, à la suite d'une longue étude
arrive à la conclusion suivante : La force ou la faiblesse du Moi
dépend de la proportion dans laquelle les instincts de vie et de mort
sont combinés, il ajoute : « Bien que cette conclusion ne soit pas très
significative... » Aussi je m'en tiendrai à la définition clinique de
GLOVER qui examinant le même problème dans un article sur le concept de
dissociation écrit en substance : que l'on peut qualifier de fort un
Moi qui assure pleinement l'exercice des pulsions instinctuelles
modifiées et contrôlées par lui, d'une façon compatible avec les
exigences de la réalité extérieure. Il souligne qu'une soumission trop
marquée à l'instinct est tout autant une preuve de faiblesse, qu'une
limitation trop grande imposée à ce dernier. Dans ce travail, GLOVER
fidèle à sa théorie nucléaire du Moi définit sa faiblesse comme le
résultat d'une intégration insuffisante des noyaux du Moi primitif dans
le Moi total, mais surtout, attitude qui me semble répondre à une
conception vraiment réaliste du problème, il insiste sur le fait que
c'est de l'examen de la personnalité entière et de son adaptabilité que
découle la notion de la force ou de la faiblesse du Moi.
Est fort le Moi qui peut sans désordre majeur faire face aux demandes
actuelles et normalement prévisibles de la réalité extérieure.
Je voudrais précisément, en prenant deux exemples concrets, montrer
combien est trompeuse, sur le plan pratique, la référence pure et
simple à l'importance de la symptomatologie et à sa plus ou moins
grande extension, et combien, dans tous les cas, le Moi de l'obsédé est
adultéré dans son ensemble, ceci par l'étude des. relations
objectables, qui sont l'expression de l'adaptation du sujet au monde.
J'ajouterai tout de suite que de cette démonstration qu'un Moi
apparemment moins atteint est en réalité malade à un certain degré dans
sa totalité, et si l'on veut bien y réfléchir de façon importante, je
ne compte pas tirer de conclusion particulière quant au pronostic
éloigné d'une telle affection ; je crois qu'il est raisonnable
d'admettre que le Moi, qui malgré une amputation réelle et profonde,
fait preuve avant toute analyse de la plus grande capacité de synthèse,
est plus capable qu'un autre de, maintenir les gains acquis à
l'analyse, mais je pense, en tout cas, qu'en ce qui concerne la
facilité de la cure elle-même, j'entends d'une cure réelle et non d'une
analyse intellectualisée, il est illusoire de tirer un argument
pronostic de la force apparente du Moi telle qu'elle nous est sensible
au cours d'un examen clinique où sont pourtant minutieusement étudiés
et les antécédents morbides, et la date d'apparition des troubles et
l'efficience apparente du sujet dans la vie sociale, et enfin
l'importance de la symptomatologie. Évidemment, tout ce que je viens de
dire n'est valable que dans une certaine limite, il reste hors de doute
qu'un sujet atteint de névrose obsessionnelle symptomatique, de
schizophrénie latente et présentant de façon massive des phénomènes
d'étrangeté et d'aliénation, ainsi que cette réaction paradoxale de la
disparition massive en quelques mois de traitement de toute ou de
larges pans de symptomatologie obsessionnelle, a un Moi dont la
faiblesse pose des problèmes pronostics et thérapeutiques très
particuliers. Aux frontières de la névrose obsessionnelle tout ceci est
une question de nuances, et dans certains cas, d'ailleurs, bien
difficiles à apprécier : cette étude n'intéresse que des cas
appartenant indiscutablement au groupe des névroses obsessionnelles et
je désirerais comparer entre eux, deux sujets atteints d'une névrose
obsessionnelle dont la gravité est apparemment très différente, pour
montrer que dans un cas comme dans l'autre la personnalité est atteinte
dans son ensemble et que les relations d'objet sont également troublées
in toto ; par ailleurs, je dois ajouter que le cas en apparence le plus
facile s'est montré le plus résistant. Cette dernière constatation
corroborée par tout ce que j'ai pu, jusqu'ici, constater est en accord
avec ce que FENICHEL nous apprend du pronostic de la névrose
obsessionnelle ; dans l'ouvrage déjà cité, il conclut qu'il est
impossible d'établir de règle pronostique ferme et que seule l'épreuve
du traitement est concluante. GLOVER place le pronostic de cette
affection dans l'importance relative de la fixation et de la régression
; je reviendrai sur ce point en étudiant l'aspect homosexuel de la
relation d'objet, mais je dois dire d'ores et déjà qu'il y a là, me
semble-t-il, un élément'permettant d'apprécier l'importance de ces deux
facteurs dont la signification pronostique est évidemment certaine.
Voici ces deux observations : le premier cas est celui d'un garçon que
nous appellerons Paul et dont l'analyse sera rapportée plus loin, aussi
ne noterai-je ici que les éléments susceptibles d'intéresser cette
partie de mon exposé. Agé de 25 ans, il est malade depuis quatre ans
lorsqu'il vient me voir, accompagné de ses parents, car il n'aurait
jamais pu venir seul ; il s'exprime avec difficulté et son discours est
continuellement accompagné de gestes d'annulation, il présente un léger
bégaiement et un tic de réjection nasale qu'il répète continuellement,
il m'expose avec beaucoup de réticences ses symptômes qui l'empêchent,
actuellement, et en vertu d'une progression croissante, de se livrer à
une quelconque activité.
Ce sont des obsessions de « recommencement » qui lui interdisent tout
travail et toute lecture. Il doit en effet après avoir lu quelques
lignes recommencer, comme s'il regrettait de laisser quelque chose en
arrière ; il a encore des obsessions de zones qui sont de beaucoup les
plus pénibles l'espace pour lui est divisé en zones fastes et néfastes
; quand il est brusquement saisi de l'idée que tel mouvement engagera
une partie quelconque de son corps dans une zone néfaste, il doit, soit
suspendre, son mouvement, soit faire usage d'un procédé conjuratoire ;
son corps lui-même était divisé en zones ainsi que le corps des autres,
comme je l'apprendrai au cours de l'analyse. Il accuse en outre des
obsessions « homicides » : « Si j'achète telle chose, si je fais tel
geste, mon père mourra ou ma mère !... » et. des obsessions de
castration : quand il lisait un roman ou qu'il voyait un film, toute
description, ou toute vision d'un acte de violence, lui donnait
l'obsession d'avoir le bras coupé ou la gorge tranchée, bref, de
ressentir le dol dont la victime avait souffert ; il luttait contre
tous ces phénomènes par diverses techniques d'annulation. Son lever et
surtout son coucher donnaient lieu à un rituel qui durait pendant des
heures et auquel ses parents devaient participer.
Il présentait en outre des phénomènes de dépersonnalisation; il se
sentait soudain changé, vertigineux, hésitant, ses mouvements lui
paraissaient incoordonnés, maladroits, inadéquats, il avait
l'impression parfois que telle partie de son corps lui était étrangère,
sa main par exemple. Ce qui se produisait le plus souvent était un
trouble de la perception des relations spatiales qu'il désignait sous
le nom de trouble de l'accommodation : les objets s'éloignaient, la
dimension d'une pièce lui paraissait immense, les situations relatives
des objets, étaient modifiées : dans d'autres cas, la luminosité d'un
éclairement variait, ou encore une sorte de brouillard s'interposait
entre les êtres et lui.
Tout cela était accompagné d'un sentiment d'angoisse indéfinissable,
l'angoisse du troisième degré selon sa classification personnelle mais
il faut ajouter que ces phénomènes étaient très brefs, parfaitement
contrôlés par le Moi, et ne se produisaient qu'à l'occasion de poussées
extrêmement violentes d'agressivité provoquées par une frustration
quelconque. Comme je ne voudrais pas revenir sur cette description
symptomatologique en relatant son observation, j'ajouterai que pour
lutter contre ces . phénomènes de dépersonnalisation, les procédés
magiques se montraient insuffisants et qu'il devait, comme d'ailleurs
es autre sujets dont je parlerai plus loin « s'accrocher au réel en
s'intéressant volontairement à quelque chose », en principe à quelques
« secteurs consolants de sa vie ». Cet effort de maîtrise, je l'ai
retrouvé chez tous les sujets souffrant de tels phénomènes et l'on doit
me semble-t-il le considérer comme un procédé de défense, contre la
rupture des relations d'objet, à la manière de l'obsession elle-même :
On y retrouve le même besoin narcissique d'un objet de complément, la
même angoisse à le perdre éventuellement : « Quand je me sens atteint
dans mon propre corps, je n'ai plus rien à quoi me raccrocher, puisque
mon trouble est en moi, il n'y a plus à compter sur un point d'appui
extérieur », les mêmes procédés de déplacement et souvent le même
symbolisme. Il faut certainement rapprocher ces « étrangetés » de la
forme particulièrement passive de ses obsessions de castration qui me
semblent témoigner d'une incertitude des limites du Moi. Devant cette
symptomatologie si complexe le diagnostic de schizophrénie avait été
évoqué mais écarté en raison du caractère énergique et sans défaillance
de la défense dont le sujet avait toujours fait preuve. Ces faits de
dépersonnalisation, je lésai rencontrés dans presque toutes mes
observations ; les malades ne les avouent qu'avec beaucoup de
difficultés et s'ils témoignent d'un trouble de la synthèse du Moi, ils
ne sont nullement un argument décisif en faveur de la schizophrénie;
pour FEDERN lui-même, ils n'acquièrent une valeur alarmante qu'à
condition d'être particulièrement fréquents et de s'accompagner
d'autres symptômes, dans ce cas, ils ont toujours été très rares et
très brefs. Comme on le verra d'ailleurs ce garçon après trois ans et
demi d'analyse est je le crois profondément amélioré.
J'insisterai davantage sur ses relations d'objet, avant l'analyse, dans
la vie, telles que je puis maintenant les reconstituer, il gardait de
son enfance un souvenir malheureux et de fait il n'avait jamais noué de
relations émotionnelles libres et riches avec qui que ce soit ; quoique
très entouré par sa famille, il vivait en marge, solitaire, secret, il
avait un frère aîné de quelques années seulement plus âgé que lui et
dont il dira plus tard qu'il regrette de n'avoir pu l'aimer davantage,
ce frère avait, d'après lui, un caractère charmant ce qui n'empêche
pas, qu'en dehors des services que ce dernier lui rendait, le sujet
n'eut jamais avec lui la moindre intimité foncière, il ne lui confia
jamais rien de sa vie intime craignant des moqueries, des rebuffades
que rien ne lui permettait de prévoir, d'ailleurs il le jalousait
intensément parce qu'il avait le sentiment que ses parents le lui
préféraient. Il eut pour son père une certaine admiration pendant une
brève période de son enfance, mais là encore il lui fut impossible de
se confier, il avait toujours peur que l'on attentât à sa liberté, il
eut d'ailleurs de très nombreuses difficultés avec ses parents, sous
l'angle de la discipline familiale, il était terriblement ombrageux, et
supportait difficilement la moindre manifestation d'autorité ou la
moindre taquinerie.
D'un autre côté, il ne songea jamais, sauf ces dernières, années et
pour des raisons que j'exposerai dans l'observation, à s'éloigner des
siens, il avait trop besoin d'eux pour apaiser une angoisse latente ;
dans son enfance, il était sujet à des peurs violentes et craignait
pardessus tout la solitude, l'isolement ; ce n'est pas que sa vie
émotionnelle fut pauvre, il avait en secret nourri pour sa mère et pour
des jeunes filles entrevues, ou camarades de lycée, des sentiments,
qui, les progrès de l'analyse le permettant, purent être rapportés dans
leur intégrité et qui se montrèrent exceptionnellement vigoureux et
violents, il était capable de ressentir des bonheurs indiscibles mais
tout aussi bien des peines poignantes ; comme il ne se manifestait
jamais, il souffrait atrocement de l'indifférence ou des froideurs que
ces réactions de dépit, exacerbées par la moindre frustration, lui
faisaient subir, tant et si bien que ce fut précisément à l'occasion
d'une déception sentimentale de sa petite enfance qu'il éprouva pour la
première fois, à son souvenir du moins, sa première sensation de
dépersonnalisation.
Au début de l'analyse, il vivait avec ses parents dont sa maladie le
rendait complètement dépendant; il avait quelques amis avec qui il
n'entretenait que des relations superficielles, à qui il ne confiait
rien de son affection, mais vis-à-vis de qui surtout il n'éprouvait
aucun sentiment réel ; il s'en servait avant tout comme de partenaires
dans des discussions où il aiguisait ses facultés de réparties et
d'argumentation trouvant dans ces joutes oratoires une satisfaction
narcissique essentielle à son sentiment de confiance en soi. Il
éprouvait dans des circonstances les plus variées de brusques émois
homosexuels, s'il se trouvait en présence d'un homme qui pour un motif
quelconque évoquait en lui le sentiment d'une puissance supérieure, il
avait alors peur et le fuyait, même, si les circonstances commandaient
des rapports sociaux ; si j'essayais de caractériser brièvement le
style de ses relations d'objet, je dirais que loin d'être indifférent,
il était au contraire d'une extrême sensibilité et capable
d'attachement passionné mais qu'il fut toujours gêné, non seulement par
sa possessivité, par son incapacité à tolérer la moindre frustration,
par son agressivité, mais encore par sa peur, car sa réaction à l'émoi
homosexuel était représentative de ses difficultés à toute relation
objectale ; il avait peur de ce qu'il souhaitait le plus, le contact
avec un être fort quel que soit son sexe, contact dont le désir lui
était imposé par ses peurs, ses préoccupations hypocondriaques, sa
terreur de la solitude, qui lui rendaient ces relations indispensables.
Elles devinrent à la fois nécessaires et lourdes, passionnées et
glaciales, denses et superficielles ; ce sujet ne connut jamais une
récompense instinctuelle substantielle, il vécut, sauf à de rares
phases de son existence où son état s'améliora spontanément, dans une
atmosphère de terreur où son moi était perpétuellement en danger.
Il trouvait comme beaucoup d'obsédés, un élément de sécurité
indispensable dans ses vêtements. Paul, comme le sujet dont
l'observation est rapportée par FENICHEL, éprouvait un malaise physique
dès qu'il n'était plus habillé à sa convenance ; il souffrait d'une
véritable hypocondrie vestimentaire — il en était de même, lorsque se
trouvait « terni » un objet lui appartenant en propre, et il préférait
le détruire plutôt que de le conserver, de. la même manière qu'il se
serait débarrassé à n'importe quel prix d'un lésion cutanée.
Voici un deuxième sujet que nous appellerons Pierre : bien entendu, il
s'est présenté seul à ma consultation, son comportement est absolument
normal, très soigné, il parle d'une voix douce sans choisir les mots,
avec élégance, il sourit sans affectation ; j'apprends qu'il est âgé de
25 ans, qu'il est chef d'entreprise et qu'il assume des fonctions de
directions délicates, comportant de lourdes responsabilités ; il est
malade depuis quatre ans environ, il souffre d'un symptôme qui à
première vue semblerait tenir davantage de la phobie que de
l'obsession'. Il est en effet en lui-même très limité, néanmoins, la
pulsion qui s'y exprime par son contraire franchit toutes les mesures
de défense d'apparence logique que le sujet tente de lui opposer, c'est
ainsi que des contaminations se produisent et que l'extension toujours
croissante des mesures d'évitement n'arrive pas à apporter un
apaisement définitif à la crainte du sujet. D'autres obsessions
viennent d'ailleurs se joindre à la précédente et elles ont toutes la
même signification agressive, et surtout l'analyse montra qu'il
existait un Surmoi non seulement moral mais sadique et que les pulsions
avaient subi une régression massive au stade sadique anal ; si je
rapporte cette observation en l'opposant à la précédente, c'est que
dans ce cas le Moi ne paraît pas avoir subi de régression de type
magique, et ceci peut faire illusion, je dis bien faire illusion, car
je découvris à l'occasion d'un rêve, à quel point la pensée de Pierre
était imprégnée d'une croyance à la toutepuissance de la pensée.
N'employait-il pas de procédé de défense magique, je ne saurais le
prétendre avec certitude ; après m'avoir violemment exposé sans ambages
son besoin d'omnipotence et son mépris systématique de la réalité
extérieure : « Ce qui compte, c'est ce que je pense et la réalité c'est
ce que j'imagine. » Il me raconta un rêve où il voyait un immeuble dont
il souhaitait que les étages supérieurs fussent recouverts de neiges
persistantes et voici comment il fournissait une base en apparence
rationnelle à ses obsessions : « Quand j'ai une obsession, je m'efforce
de la justifier à mes propres yeux, car j'éprouve un sentiment pénible
d'insécurité et de déficience mentale à avoir une idée absurde ou
inexplicable, je faisais sans bien m'en rendre compte comme dans ce
rêve ; en rêvant, je m'étonnais que cet immeuble puisse être aussi
haut, je pensais à en compter les étages, mais comme je savais bien que
le nombre des étages ne correspondrait nullement à mes désirs, qu'ils
soient recouverts de neiges éternelles, je décidais dans le rêve
lui-même de conférer la valeur d'un étage, a chacune des lamelles de
bois qui constituaient les stores dont chaque fenêtre était garnie, et
ainsi je trouvais le compte qu'il me fallait ; j'ai toujours transformé
la réalité au gré de mes désirs ; je pourrais multiplier les exemples
de ces rationalisations absurdes qu'il employait pour justifier ses
obsessions ; en leur donnant une apparence de réalité, il se rassurait
en même temps que sur le plan pulsionnel, il assurait en quelque sorte
la pérennité de son agressivité. Il me dira plus tard : « J'ai une
telle haine quand je me sens rejeté, qu'au fond je le vois maintenant
je m'arrange inconsciemment pour appuyer mes pensées agressives sur un
raisonnement si arbitraire soit-il, mais cela se retourne toujours
contre moi. Je tiens à mes obsessions, tout en les subissant je le vois
maintenant. Dans le transfert d'ailleurs, et je pense que c'est un
argument de plus en faveur de la nature obsessionnelle de son trouble,
il utilisa au maximum l'isolation affective et associative de ses
contenus idéatifs. Si j'ai choisi cet exemple, c'est précisément parce
que la régression du Moi n'y est à première vue pas apparente, que le
sujet témoigne d'un effort de synthèse constant, que la symptomatologie
y est très frustre et que par conséquent sur le plan qui nous occupe,
il s'oppose trait pour trait au cas précédent, mais voyons ces
relations d'objet :
Il garde de son enfance en général, l'impression d'un bagne où la seule
consolation est de voir un jour arriver la délivrance, dont la forme ne
se précise pas d'ailleurs ! L'enfance est un bagne parce qu'il ne s'y
trouve nulle joie ; la vie adulte qui devait apporter la délivrance
tant attendue n'est pas plus satisfaisante, il n'y trouve de temps à
autre que de rares points de bonheur et cette comparaison spatiale
prend tout son sens : le point est en effet un lieu géométrique idéal
et le bonheur est si fugace, si passager que l'on peut le figurer par
un point. Il est apporté par des satisfactions minimes, purement
narcissiques, sans éclat, labiles, toujours à la merci d'un événement
quelconque et le reste du temps en dehors de quelques satisfactions
professionnelles trouvées dans la conduite de ses affaires, « car
l'argent c'est du solide, et le bonheur du vent », tout n'est que
grisaille, obligations, efforts comme dans l'enfance : « Si je suis
tant attaché à l'argent, dont d'ailleurs je n'use pas pour moi-même,
c'est qu'il ne me reste pas autre chose. » La réalité extérieure est
peuplée de dangers, d'obligations, de contraintes. « Les gens disent
qu'ils sont heureux, ou on dit qu'ils le sont, je ne comprends pas ce
que l'on veut dire par là, pour moi c'est absolument irréel, c'est un
état dont je n'ai pas le sentiment... Je ne sais pas ce que cela veut
dire... Maintenant, j'attends encore quelque chose, probablement la vie
future que je ne me représente pas davantage. Quand je suis avec les
miens, j'ai le sentiment désagréable d'une contrainte. Quand je suis
seul, j'ai peur ! Si ma famille est partie, je ne puis coucher seul
dans ma villa, j'ai peur d'être assailli par des voleurs, ou même
d'être assassiné, ou encore d'avoir un malaise et de mourir seul, sans
que l'on me porte secours, tout ceci est en dehors de mes obsessions.
Enfant, l'on m'a envoyé dans une Colonie de Vacances, je n'ai jamais pu
m'y adapter, je suis immédiatement tombé malade d'angoisse et de
terreur, j'ai toujours considéré ce moment-là comme bien pire que tous
les autres, j'étais en effet séparé de ma mère !... Ses relations à sa
mère qui sont les plus significatives de son existence n'en sont pas
moins extrêmement narcissiques, je me rends compte me disait-il, que ma
famille m'est chère, dans la mesure où elle fait partie de moi-même, où
je serais perdu sans elle, je n'y ai aucune indépendance, puisque je ne
dispose pas d'argent personnel et j'en souffre, mais j'y suis en
sécurité, nous formons un bloc et malgré tous les inconvénients que
comporte cette situation, j'y trouve mon avantage ; je sais bien qu'il
faut que je songe à me faire une vie personnelle, que le maintien de
cette optique enfantine est dangereux et absurde mais il me faut le
reconnaître, tout mon sentiment de moi-même est assis sur notre fortune
et sur ma famille, je ne puis imaginer la vie sans une fortune solide,
et la pire catastrophe serait pour moi une révolution qui me priverait
de cette sécurité. Un autre fait me trouble encore, l'idée du
vieillissement de ma mère ! Sa beauté me flatte et je me demande quelle
sera mon attitude quand elle aura vieilli ou ce que je ferais si elle
était défigurée, ce serait terrible ! Je me sentirais plus que diminué,
et ce serait la même chose si mes frères ne réussissaient pas, je suis
heureux de leurs brillantes études, parce que mon importance s'en
trouve accrue et tout est ainsi ! C'est la même chose pour mes amis, je
m'y attache dans la mesure où j'ai besoin d'eux, pour leur confier mes
obsessions et pour trouver en eux un secours contre l'isolement. Tous
ceux qui m'entourent remplissent la même fonction, ce sont des
réservoirs de puissance.
Il ne faudrait pas croire pour autant que ce sujet n'a jamais été
capable que de sentiments strictement utilitaires, l'analyse l'a
démontré amplement, il est, lui aussi, susceptible de ressentir des
passions violentes, faites de sentiment d'adoration, de tendresse, de
dévouement, de connaître un bonheur profond,^ comme je pus le constater
en l'entendant me raconter de brèves épisodes d'amours enfantines ou
adolescentes qui ne furent qu'un rêve, puisque jamais il ne se risqua à
leur donner un commencement de réalité, l'intensité même de ses
mouvements émotionnels tout aussi bien dans le sens de l'exaltation et
du bonheur que dans celui de la peine, de la rancoeur et de la haine,
était telle qu'elle le contraignait à s'interdire, par mesure de
précaution, tout mouvement, qui ne fut pas strictement contrôlé, vers
un autrui quel qu'il soit, d'ailleurs, derrière ces femmes qu'il aurait
bien voulu aimer, comme il aurait bien voulu aimer sa mère, se cachait
pour lui une image terrifiante et destructrice, qui se traduisait dans
sa conscience par une peur telle des femmes, qu'il craignait le rapport
sexuel comme équivalent à un suicide, et c'est ainsi que gêné dans son
évolution, tout aussi bien par cette peur de castration par la femme
que par celle d'une mutilation par l'homme, il en était resté à ce
style archaïque de relation d'objet qui hormis l'échappée
obsessionnelle ne pouvait se traduire que par cette restriction quasi
totale de sa vie émotionnelle.
Ce sont d'ailleurs ces restrictions qui permettent aux obsédés de
protéger certains secteurs de leur vie sociale et professionnelle.
Pierre pouvait exercer ses fonctions, à condition de s'y interdire
toute satisfaction profonde, de les réduire à une série d'actes très
automatisés, d'éviter autant que faire se pouvait toute espèce de
conflit, dans le cadre même de son activité, de n'y jouir d'aucune
liberté, et c'est ainsi que la vie, pour lui, continuait à être un
bagne comme dans l'enfance.
L'anafyse démontra, et j'aurai l'occasion d'y revenir à propos de
l'aspect masochique de ses relations d'objet, que ce sujet souffrait
d'une véritable incertitude de ses limites corporelles sans phénomène
de dépersonnalisation; comme Paul il trouvait dans ses vêtements un
élément de protection indispensable.
J'ai tenu à opposer ces deux tableaux cliniques si différents de sujets
du même sexe, sensiblement du même âge, de la même intelligence, de la
même culture, mais dont la symptomatologie est si contrastée, très
riche dans le premier cas, presque mono-symptomatique et très pauvre
dans le second, elle s'accompagne chez les deux sujets de la même
structure des relations d'objet, qui sont profondément viciées dans un
cas comme dans l'autre.
Sans doute, la cohérence du Moi du deuxième sujet est-elle supérieure à
celle du Moi du premier, qui n'en a pas moins fait preuve de réactions
de défense vigoureuses et poursuivies sans répit, il n'empêche
précisément que la structure émotionnelle, de leurs rapports avec le
monde, est identique chez l'un et chez l'autre et que malgré les
apparences, leurs capacités d'adaptation profonde sont sensiblement
équivalentes, car le Moi chez l'un comme chez l'autre est atteint dans
sa totalité de façon plus visible chez l'un, moins apparente chez
l'autre ; ce qui est essentiel, en effet, si l'on se place sous l'angle
de la réalité interne, ce qui compte pour un sujet donné, c'est la
richesse, la liberté, la qualité de ses rapports émotionnels avec le
monde, or, au départ, elle est sensiblement identique pour chacun
d'eux. Du fait de la régression, ils ont chez l'un comme chez l'autre,
un certain style que l'on peut définir comme suit :
Avant toute analyse, leurs rapports étaient tronqués, on pourrait
écrire, en transposant sur le plan psychologique le schéma d'ABRAHAM
qu'ils étaient partiels, ils ne retiraient de leur commerce avec autrui
que des satisfactions limitées, hautement narcissiques, de protection,
de réconfort et de sécurité, mais aucunement des satisfactions totales,
il n'y avait pas d'échange humain complet entre eux et autrui, toujours
menacés, toujours menaçants, ils corrigeaient l'un et l'autre leurs
tentatives de rapprochement par des réactions de fuite, exprimant à
travers ce comportement ambivalent la double signification de ce qui ne
nous paraît de prime abord que de l'agressivité, qu'il l'est d'ailleurs
en effet, mais qui n'en a pas moins, même sous cette forme, un sens
ambigu. Il aurait été inexact de dire qu'il n'y avait que des relations
de destruction entre eux et autrui, ils nouaient tout aussi bien avec
lui des relations libidinales à travers des conduites agressives il est
vrai, et c'est là précisèment
précisèment qui fait l'originalité de la relation d'objet
obsessionnelle, relation qui n'a pas seulement un double sens dans la
polarité double du désir qu'elle exprime, mais qui est double encore
dans son rapport au sujet, désirée et redoutée, libre et imposée en
restant seulement sur le plan clinique le plus superficiel d'une étude
objective. Je voudrais marquer par là qu'étant donné la faiblesse
foncière du Moi, tout se présente comme si ladite relation était
imposée du dehors au sujet.
Pour me résumer, je tirerai de ce parallèle, la conclusion qu'il est
difficile d'apprécier la valeur relative des secteurs régressif et
rationnel du Moi, que les relations du Moi sont même, dans les cas où
le secteur régressif paraît peu important, viciées dans leur totalité,
et qu'enfin si la symptomatologie extensive peut faire faire les plus
grandes réserves quant au pronostic éloigné, elle ne permet pas
d'inférence sur la facilité ou la difficulté du traitement analytique.
J'ai soigné des sujets à symptomatologie très importante et ne me suis
pas heurté, comme dans le deuxième de ces cas, à des difficultés
majeures.
Le Moi obsessionnel est si fort par certains côtés, si faible par
d'autres, me disait l'un de ceux qui connaissent le mieux cette
affection : on peut, je pense, rappeler ici l'opinion de FEDERN qui
considère le Moi obsessionnel comme fort, parce qu'il tente de régler
le problème de l'angoisse par un jeu intérieur, une défense
psychologique spirituelle, qui exige un immense travail. FEDERN, en
effet, reconnaît au Moi
obsessionnel une vigueur, une subtilité, une capacité de résistance
qu'il oppose à la faiblesse fondamentale, à l'incapacité, à l'absence
de contrôle du Moi hystérique sans cesse passif et débordé par les
événements
événements Un fait demeure, c'est que l'obsédé s'engage dans son effort
pour conserver coûte que coûte des relations objectables à travers une
régression structurale, qui fut une défense contre des difficultés
impossibles à surmonter et qui, une fois établie, n'en arrive à rendre
la solution qu'encore plus difficile, dans une lutte qui ne peut
prendre fin que de trois manières : soit qu'à la longue un nouvel
équilibre relationnel s'installe sans qu'au fond rien ne soit changé,
soit qu'épuisé dans son effort et absolument exsangue le Moi
s'abandonne à la psychose, soit qu'enfin, dans les cas' qui peuvent
encore recevoir une solution, la dite relation puisse être remplacée
par une autre, celle-ci salvatrice quoique longtemps précaire ; cette
précarité me semble, autant que l'obstination anale, expliquer la
proverbiale ténacité des obsédés dans le maintien de leur système
contre les efforts de l'analyste, FENICHEL, dans l'ouvrage déjà cité,
conseille de tenter le traitement analytique dans tous les cas même
dans ceux à allure schizophrénique, FEDERN reste d'un avis plus réservé
suivant en cela l'opinion de FREUD ; quant à moi, je ne saurais, étant
donné mon expérience, tout à fait insuffisante, prendre parti dans un
tel débat, mais je crois qu'en tout cas, la cornpréhension,
cornpréhension, exacte que possible, à chaque instant du traitement, de
la signification de la relation d'objet dans le transfert, peut éviter
bien des surprises et des erreurs dont la conséquence serait, en
frustrant à contre-temps le sujet dans ses rapports à l'analyste, de
défaire ce qu'il a spontanément construit, pour, selon l'expression de
bien des
malades, « se maintenir accroché » ou au mieux de lui ôter sa chance de
troquer une mauvaise, mais valable relation d'objet, contre une
meilleure.
III LA RELATION D'OBJET DANS LE TRANSFERT
Le problème de la relation d'objet dans la névrose obsessionnelle n'a
cessé de préoccuper tous ceux qui se sont intéressés à cet état morbide
si particulier et si étrange et fait de contrastes les plus violents
à cet état qui se trouve aux frontières de la psychose, qui entretient
avec elle les relations les plus intimes, tout en lui restant tout au
moins dans certaines formes, tout au long d'une vie, étranger. Et
comment en serait-il autrement ? Comment ne serait-ce pas un problème
toujours
nouveau, que celui que posent ces sujets à la fois lucides et obéissant
aux rites les plus archaïques de la pensée magique, à la fois
minutieux, attentifs au moindre détail d'un réel de collection, et
assurés de dominer le monde par des affirmations purement déréelles de
toute-puissance de la pensée, susceptibles, dans les formes moyennes, à
la fois d'une maîtrisei efficace de la réalité de par le jeu d'une
intelligence souvent supérieure, et d'un attachement contraint à des
rituels enfantins chargés de leur permettre les actions les plus
élémentaires de l'existence.
La relation d'objet, telle que je voudrais la décrire ici, me paraît
répondre à tous les aspects multiples et contradictoires de leur
comportement, aspects que certains auteurs ont isolément décrits, et
auxquels ils semblent donner une valeur prédominante, ainsi que nous
l'avons vu au chapitre premier de ce rapport, alors que dans mon
expérience tout au moins, il m'a été impossible de reconnaître une
primauté constante à tel ou tel mécanisme : soit par exemple à la
composante active ou passive de la paire antithétique, activité,
passivité si caractéristique de la névrose obsessionnelle. Dans chaque
cas particulier, d'après ce qu'il m'a été permis de constater, toutes
les modalités de la relation d'objet sont à l'oeuvre ; le sujet a à la
fois une attitude sadique et masochique, masculine et féminine. Mais
surtout, de ces paires antithétiques, la plus importante et la moins
caractéristique parce qu'elle est d'une universalité telle qu'on la
retrouve hors des limites de la névrose obsessionnelle, celle de
l'amour et de la haine est impliquée dans les moindres détails de leur
action.
D'autres aspects relationnels opposés ont frappé les observateurs :
l'obsédé est un isolé disent les uns ; il s'accroche désespérément,
pensent les autres. Il n'est pas jusqu'à l'incertitude du choix
objectai qui ne soit déroutante ; de tels sujets semblent présenter une
ambivalence affectant tout aussi bien les êtres du même sexe que ceux
du sexe opposé. Mais ici pourtant une nuance à peu près constante se
dessine ; ils ont plus de possibilité d'échanges émotionnels avec ceux
de leur sexe. Et tous ces aspects de la relation d'objet sont
importants en eux-mêmes, seulement ils n'expriment qu'un moment de la
relation objectale, et un moment seulement où l'un de ces aspects est
prévalent : l'on pourrait dire de la même manière que l'obsédé est
rigide, ce qui est habituellement vrai, et qu'à d'autres moments il est
d'une suggestibilité étonnante, qu'il refuse et qu'il ne demande qu'à
accepter.
Tels sont les contrastes auxquels on se heurte lorsque l'on aborde le
traitement de ces malades. Quelle va être la relation d'objet dans le
transfert, et quelles vont être ses vicissitudes ? Tel est je crois,-le
test qui va nous permettre de mieux comprendre l'obsédé, puisqu'aussi
bien cette relation nous est la plus familière et la plus
compréhensible.
Lorsque le transfert a pu commencer à s'établir et que les premières
résistances ont été vaincues, se développe une relation d'objet
essentiellement narcissique et ambivalente qui constitue le noeud de la
situation de ces sujets dans le monde. Cette relation est objectale, je
veux dire
par là que c'est une relation d'objet authentique. Mais c'est une
relation
d'objet narcissique, c'est-à-dire que le sujet ne s'intéresse à l'objet
qu'en fonction de l'accroissement du sentiment de Soi que sa possession
lui procure, qu'en fonction du rôle immédiat qu'il joue auprès de lui
et du besoin inextinguible qu'il en a. J'avais autrefois qualifié une
telle relation « de narcissisme projeté », voulant montrer par là que
le contrôle et la possession de l'objet n'était souhaité qu'à des fins
strictement personnelles et égocentriques. Ces relations sont
évidemment très différentes des relations d'objet adulte auxquelles on
pourrait les opposer trait pour trait. Car si dans l'amour le plus
évolué « il y a toujours de l'amour-propre » et si la relation
amoureuse, même dans sa forme la plus haute, aboutit normalement à un
renforcement du sentiment de Soi de par l'apport de l'objet, et qu'en
fin de compte bien des auteurs reconnaissent actuellement que l'amour
ne s'oppose pas à l'identification de façon aussi rigoureuse que FREUD
l'avait dit (FENICHEL, GRABER, CHRISTOFEL), il n'en reste pas moins que
la relation génitale normale est très différente de la relation
narcissique décrite ici. Cette relation dans sa forme primitive ne
tient aucun compte de la spécificité de l'objet, il peut être remplacé
par un autre qui procure les mêmes bénéfices rigoureusement
indispensables. Au surplus, cette satisfaction peut être obtenue,
pleine et entière, sans qu'intervienne en quoi que ce soit la
considération des désirs et des besoins de l'objet lui-même. Le Moi
infantile ne sait pas renoncer à une satisfaction immédiate. Évidemment
un style de relation un peu améliorée s'installe-t-il très précocement.
ABRAHAM en fixe l'apparition dès l'établissement de la seconde période
de la phase sadique anale, qui est celle précisément à laquelle il
situe la régression de la libido dans la névrose obsessionnelle. Mais
il n'en reste pas moins que chez les obsédés adultes se retrouvent,
derrière les atténuations qu'un Moi plus évolué que celui du petit
enfant impose à l'expression instinctuelle, les traits essentiels de
cet amour infantile et avant tout l'utilisation de l'objet à des fins
de renforcement de l'ego, du sentiment de son unité (LACAN). J'y ai
insisté dans le chapitre précédent et essayé d'en administrer
administrer démonstration concrète dans la vie. Ces sujets, avec leur
sentiment d'incomplétude (JANET), leur peur, l'incertitude parfois des
limites de leur corps, leurs expériences de dépersonnalisation, sont
toujours engagés à exercer un contrôle d'autant plus étroit de leurs
objets significatifs que leur possession est d'une importance
absolument vitale pour eux. Dans le transfert, ils se montrent, malgré
l'acharnement avec lequel ils défendent leur for intérieur, étrangement
tributaires de leur analyste qui, un jour ou l'autre, devient l'objet
narcissique de leur univers.
Comme on le sait ABRAHAM qualifie les relations de l'obsédé d'amour
partiel de l'objet. Je m'excuse de revenir ici encore sur une notion
qui est si classique ; je ne le fais que dans la mesure où sa
discussion précise intervient dans l'analyse que j'essaie de la
situation actuelle des relations d'objet de l'obsédé.
Comme je l'ai dit, ABRAHAM a vu dans l'amour partiel, en même temps
qu'une réduction des exigences narcissiques, une tentative de
résolution de l'ambivalence inhérente à ses phases prégénitales du
développement où, selon son expression, la libido est de façon
prédominante hostile envers l'objet de ses désirs.
Limiter son exigence à la possession d'une partie seulement de l'objet
permet de satisfaire sur cette partie tous ses besoins pulsionnels,
sans mettre en danger l'existence de là totalité de l'objet, et la
relation objectale dans son ensemble ne risque pas d'être mise en cause
ou mieux rompue. L'objet par ce truchement de la relation partielle est
à la fois possédé et respecté.
ABRAHAM dans son travail Courte étude du développement de la libido à
la lumière des troubles mentaux, définit ainsi la relation d'objet de
l'obsédé : L'objet reste entièrement extérieur au corps du sujet qui a
renoncé complètement à toute visée d'incorporation. Sa libido reste
attachée à une partie de l'objet, mais le sujet se contente de la
contrôler et de la posséder. Cette relation correspond à là 4e phase du
développement selon ABRAHAM : la phase sadique, anale tardive où les
processus de destruction, sans considération de l'objet avec visée
d'incorporation de la phase précédente, sont remplacés par le désir
ambivalent de possession et de contrôle de l'objet. L'amour des
matières fécales, objet de la phase anale, et préfiguration de tous les
autres, est la première manifestation de l'amour d'un objet perçu comme
nettement indépendant du corps propre. La conservation, la rétention,
le contrôle des fèces sont les prototypes de la conservation, du
contrôle de ces objets dont la possession est si nécessaire à
l'équilibre narcissique du sujet. Génétiquement parlant, cette relation
aux matières fécales fait le pont entre le narcissisme proprement dit
et l'amour objectai, de même que la relation de l'obsédé au monde est
intermédiaire entre le narcissisme prédominant du schizophrène et la
relation génitale normale. A vrai dire pour ABRAHAM lui-même l'obsédé
est toujours sur le point de régresser à la première phase sadique
anale de destruction sans considération de l'objet et avec visées
d'incorporation, mais il ne s'y attarde pas. Ainsi qu'il le montre dans
l'alinéa consacré à : Névrose obsessionnelle et mélancolie, l'obsédé
entre immédiatement en alerte par peur de perdre son objet, c'est en ce
sens que l'on peut dire : Que son niveau de régression est celui de la
2e phase anale. Alors que le mélancolique « abandonne » ses relations
psychosexuelles, l'obsédé s'arrange finalement pour échapper à ce
destin. C'est d'ailleurs en cela, que la technique obsessionnelle qui
assure une perpétuelle oscillation entre les deux tendances
contradictoires de destruction et de conservation, s'efforce de
maintenir des relations de réalité. Par ailleurs, à travers ses
activités anales, l'obsédé comme l'enfant exprime ses divers sentiments
à l'endroit de son objet, et les fèces peuvent prendre la signification
d'un bon objet que l'on donne par Amour, ou d'un instrument de
destruction, par projection sur elles, des affects du sujet suivant la
prédominance momentanée de l'un des termes de la paire antithétique
Amour-Haine, qui me paraît être le noeud de la relation d'objet
obsessionnelle.
Cliniquement l'existence de visées d'incorporation dans la névrose
obsessionnelle est indiscutable, tous les auteurs les signalent et il
semble qu'il n'existe guère d'observation où on ne les retrouve, je ne
les ai jamais vu manquer.
Et ceci me ramène au problème des relations d'objet par introjection
dans la névrose obsessionnelle. Elles peuvent en effet avoir une double
signification, et l'on peut dire que le détour de l'amour partiel ne
résout qu'imparfaitement le problème de l'ambivalence. L'introjection
en effet d'une partie seulement de l'objet, lorsqu'elle est accompagnée
d'un fort investissement agressif, entraîne une réaction d'angoisse
extrêmement vive, un état « de panique », selon l'expression de GLOVER.
Le sujet se sent habité par une substance mauvaise, dangereuse,
toxique, qui met en danger sa propre existence ou plus simplement son
individualité. Il tend à se débarrasser de cet hôte dangereux en le
rejetant loin de lui. En effet, l'objet, qui a acquis ces propriétés
vulnérantes par le fait d'une projection préalable sur lui, ainsi que
j'y insisterai plus loin, des propres caractéristiques agressives du
sujet, est ressenti comme le vecteur d'un danger mortel, ou mieux comme
animé d'une intention mauvaise ; c'est ainsi en tout cas que réagissent
les sujets adultes qui se livrent à ces fantasmes d'incorporation avec
fort investissement agressif; la partie d'objet qu'ils incorporent
possède les mêmes propriétés dangereuses que l'objet tout entier qui
est visé dans leurs relations. D'ailleurs elle est, de par la
correspondance symbolique de la partie au tout, représentative de la
totalité de l'être avec qui il noue une telle relation, tout au moins
dans une certaine mesure, car la relation d'objet n'y est pas rompue
comme dans la mélancolie. Sans vouloir aborder ici le problème de la
valeur conceptuelle de là notion d'objet partiel de Melanie KLEIN,
disons simplement : que les malades s'expriment effectivement comme si
l'introjection agressive (dorénavant j'emploierai le plus souvent ce
qualificatif pour éviter l'expression : avec fort investissement
agressif), des parties d'objet équivalait non seulement à une
destruction, mais au risque d'être habité par un agent destructeur. «
Quels sont les sentiments qui accompagnent cette idée d'absorber votre
sperme, me disait l'un de mes patients dans un contexte d'irritation
violente ?... J'ai peur d'en mourir... d'être transformé... d'être
habité par un être tout-puissant et malfaisant qui échapperait à mon
contrôle. » Dans d'autres circonstances, une telle introjection
pourrait avoir un tout autre effet, et s'accompagner d'un sentiment de
joie, de force, d'invulnérabilité ; mais il est vrai qu'elle se
développerait dans une atmosphère non plus agressive, mais amoureuse,
véritable introjection conservatrice, dont je parlerai plus loin. Qu'il
me suffise de noter ici que, comme les activités anales, l'introjection
peut revêtir selon les cas deux aspects opposés, et que ces
significations différentes sont rigoureusement déterminées par l'état
affectif qui l'accompagne.
En tout cas, le correctif des introjections dangereuses est la
projection, car ce rejet est bien une projection, puisqu'aussi bien il
ne correspond pas seulement à une réjection hors du corps propre de
l'élément dangereux, mais aussi à l'attribution à cet élément de la
qualité de dangereux qui lui avait été conférée lors de l'introjection
de par une véritable projection, sur lui, au sens plein du terme, des
émois et des affects spécifiques du sujet, au moment de l'acte.
L'introduction de la notion d'une signification particulière de l'objet
par projection des affects du sujet me paraît être un élément essentiel
de la compréhension des relations d'objet obsessionnelles.
Pour l'instant, et quoique à partir de considérations sur « l'amour
partiel », une digression nécessaire m'ait amené à effleurer la
question de l'identification par introjection au cours de la cure
analytique de la névrose obsessionnelle, je m'en tiendrai à cette
notion d'une relation d'objet authentique et vitale du fait même de son
caractère narcissique. Ce qui tend à lui faire nier tout caractère
libidinal, c'est son archaïsme même, ce qui me semble abusif
puisqu'aussi bien sa valeur narcissique implique son caractère
libidinal. On ne conçoit pas en effet de relations d'objet purement
destructrices qui procureraient au sujet une assurance et un réconfort
dans son sentiment de Soi. Je pense qu'il y a là, quelque réserve de
style que l'on fasse, pratiquement comme un préjugé qui a pesé
lourdement sur la névrose obsessionnelle et qui va beaucoup plus loin
que ce que FREUD a voulu dire, quand il parle de l'agressivité des
obsédés. Ainsi que je l'ai rappelé, il a cependant pris soin de noter
dans toute son oeuvre que « après régression l'impulsion amoureuse se
présente sous le masque de l'impulsion sadique » (Introduction à la
psychanalyse).
Je pourrais ici multiplier les textes, qu'il me suffise de vous
rappeler celui-ci : Inhibition, symptôme et angoisse : « Ainsi d'une
part, les tendances agressives du passé se réveilleront, et de l'autre,
une partie plus ou moins grande des nouvelles pulsions libidinales...
La totalité dans les mauvais cas prendra le chemin fixé d'avance par la
régression et se manifestera, elle aussi, sous forme d'intentions
agressives et destructives. »
« Après ce déguisement des tendances erotiques... le Moi étonné se
révolte contre les suggestions choquantes... qui lui sont envoyées par
le ça dans la conscience, sans se rendre compte qu'il combat dans ce
cas des désirs erotiques et parmi eux plusieurs qui autrement auraient
échappé à sa protestation. »
L'activité instinctuelle a régressé à une phase où les pulsions sont
difficilement discernables, il s'agit d'une « substance d'où le sexuel
et le' sadisme pourraient ultérieurement sortir ».
C'est là je le sais bien un fait qui n'est nullement en discussion,
mais je crois qu'il n'est pas inutile d'attirer à nouveau l'attention
sur ce point essentiel ; la régression ramenant le sujet à un style de
relation d'objet strictement archaïque, et partant s'exprimant, de par
l'insatisfaction inévitable, sur un mode très strictement agressif,
l'on perd trop souvent de vue ce qu'une telle relation exprime de
vital, de fondamental, de dramatique même, derrière toutes les
défigurations qu'elle subit de par tous les mécanismes d'atténuation et
d'évitement dont nous verrons plus loin toute la portée. Ce qu'elle
exprime de positif, en même temps qu'une tendance violente à la
destruction dont je ne songe pas à sous-estimer l importance, c'est un
besoin d'amour exaspéré, inquiet, douloureux, jamais assouvi, toujours
présent, et d'autant plus fonda- mental que si le sujet, par le jeu des
substitutions, des symbolismes, des déplacements, n'arrive pas à s'en
fournir un ersatz, il ne lui reste plus — et déjà dans l'ambiguïté du
jeu intérieur heureusement sans cesse corrigé et adapté, il s'y engagé
— il ne lui reste plus qu'à se retrancher dans les ultimes défenses de
la psychose dont l'abandon aboutit à la mort elle-même.
Arrivé à ce point de mon exposé, je me rends compte que l'on pourrait
me reprocher de me laisser emporter par mon sentiment et d'avancer
comme un postulat qui ne s'appuierait sur rien. Aussi avant de revenir
sur ce sens que je crois devoir donner à la relation d'objet de la
névrose obsessionnelle, je voudrais insister sur le fait que je reste
ici dans la plus stricte ligne de la pensée freudienne. La
représentationobsédante : « Je voudrais te tuer. » signifie au fond
ceci : « Je voudrais jouir de toi en amour » (FREUD) — et que je
m'appuie sur le sens général de ce que, à travers une bibliographie
sans doute incomplète, j'ai pu dégager des études contemporaines et des
allusions à la névrose obsessionnelle contenues dans les travaux
relatifs à la structure du Moi. Comme je l'ai indiqué, ces travaux
obéissent à deux tendances ; les uns sont consacrés à l'étude de la
relation d'objet, les autres (GLOVER, Pioys, STENGEL) présentent la
technique obsessionnelle comme une ultime tentative pour maintenir des
relations de réalité, et comme des relations d'objet dépend
directement, et par voie de conséquence, l'intégrité du Moi en tant
qu'agent d'adaptation, par deux approches différentes, les deux
catégories d'étude convergent dans le même sens.
Si la relation obsessionnelle protège le sujet contre la psychose,
c'est qu'elle n'a pas seulement une signification destructrice mais
contient, en potentiel tout au moins, une relation d'objet libidinale :
L'agressivité est la force qui provoque et entretient la frustration
mais aussi la fait cesser. Je dévore tous ceux qui m'entourent et vous
aussi, je voudrais vous ouvrir, vous secouer, vous extraire ce que vous
avez dans le crâne... Je suis comme un enfant qu'on laisse tout seul et
qui a peur, je voudrais pénétrer en vous et savoir ce qu'il y a en vous
! Et de toute cette violence naît une haine et un remords terribles. Je
me dis que je suis une sale bête et pourtant c'est une sorte d'amour,
car je vous aime en vous détruisant, je vous prends en moi, et pour la
première fois j'emporterai quelque chose de vous en moi, le sentiment
d'une égalité. Vous ne m'avez pas rejeté, vous m'avez compris, et je me
sens en communion avec vous, j'accède au sentiment de ma liberté et de
ma dignité.
Ainsi cette relation d'objet authentique, mais de sujet à un objet
narcissique destiné à remplir une fonction précise en même temps
qu'élémentaire : augmenter le sentiment de puissance du Moi, lui
assurer un contact avec la réalité, cette relation si fortement
ambivalente, à quel objet primitivement s'adresse-t-elle, avant que
l'expérience répétée de la relation interhumaine du transfert n'en ait
interrompu le cours inévitable et modifié l'orientation strictement
destructrice à laquelle elle était condamnée, malgré le sens erotique,
qui quoique non perceptible de prime abord, y était potentiellement
inclus ?
Il est classique de dire, et en se plaçant à un point de vue purement
descriptif, que l'obsédé vit dans un monde funèbre où tout est danger,
mort, crime.
En étudiant les relations d'objet partiel, j'ai fait allusion à la
projection qui transformait l'objet du désir agressif ou mieux
ambivalent, « en une chose » agressive elle-même, ou, plus exactement,
dont les qualités sont tout aussi bien ambivalentes. Autrement dit, le
sujet ressent inconsciemment l'autre, comme il est inconsciemment
lui-même. Nous disons qu'il projette sur l'autre sa propre image ; je
ne suis pas assuré qu'il ne projette sur lui que son Surmoi, mais tout
aussi bien une partie de son Moi, l'identification étant au moment où
s'est structurée l'imago, dont la reviviscence rend précisément ce
monde si funèbre et si dangereux, à ce point globale et diffuse,
qu'elle engage tout l'être. Toujours est-il que le personnage, l'autrui
avec lequel il désire si vivement entrer en relation, lui apparaît
comme lui-même animé d'un désir incoercible de puissance sans limite,
comme aussi dangereux et aussi destructeur qu'il s'accuserait de
l'être, s'il connaissait tout ce qui se cache derrière ses rituels et
ses conjurations, cet autre, quel que soit l'agent masculin ou féminin
des traumatismes qui ont précipité la régression, est une
image phallique dont la figure est trop connue pour qu'il soit
nécessaire d'y insister ici : personnage tout-puissant, dévorant,
cruel, doué d'une puissance illimitée, magique qui, fait en apparence
paradoxal si nous n'en connaissions la racine génétique, est en même
temps dispensateur de tous les biens. C'est ce personnage fabuleux que
l'obsédé recherche et qu'il fuit. Il le recherche parce que lui seul,
comme la mère de la toute petite enfance, possède le charme qui peut
remplir son besoin, il lé fuit parce que l'essence même de ce besoin
étant de s'en approprier le contenu, la substance vitale, sur le mode
le plus archaïque qu'il soit, le sujet a peur d'être victime du talion
d'un tel désir retourné sur lui. Au surplus, la destruction de cet
objet même consommerait la perte d'une relation nécessaire
narcissiquement. Du fait du déplacement, de la substitution, tout être,
tout objet qui devient significatif pour le sujet, je veux dire par là,
sur lequel se transfère son besoin narcissique, est par le fait même,
de façon atténuée ou totalement, le substitut d'une telle image. Tout
se passe comme s'il en revêtait tous les caractères, il devient l'être
dispensateur de toutes les certitudes, et par là même indispensable,
tout aussi bien que figure de mort. Il n'est pas besoin de dire qu'une
telle situation est celle de l'analyse, l'obsédé s'efforce d'atteindre
à une relation intime qu'il redoute de tout son être. Il .ne peut pas
davantage renoncer à son besoin que surmonter sa terreur, et l'un comme
l'autre sont justifiés. Le premier de par la nécessité où il est de
nouer à tout prix des relations d'objet, la seconde de par la forme
même de son besoin. La résolution de cette antinomie est évidemment le
noeud de la question. Elle n'est peut-être pas toujours pleinement
possible, mais le plus souvent, elle me semble susceptible de recevoir
une solution très satisfaisante et dans certains cas complète. En tout
état de cause, c'est d'elle et d'elle seule que dépend ce que l'on peut
qualifier du nom de guérison ; et je pense que c'était là ce que FREUD
voulait exprimer quand il écrivait : « Nous n'avons plus qu'à attendre
que l'analyse elle-même devienne une obsession, car toute obsession
exprime, à travers tous les déplacements, toute l'armature symbolique,
toutes les isolations quelles qu'elles soient, ce dilemme de l'obsédé.
» Dire que l'analyse elle-même devient une obsession, n'est-ce pas
affirmer que le problème est simplement bien posé, et de la façon la
plus réaliste qui soit dans le transfert lui-même ?
Mais avant que le colloque analytique offre au malade l'occasion de
solutionner son dilemme, ou si l'on préfère de réduire son ambivalence
fondamentale, c'est-à-dire de surmonter les effets de la désintrication
des pulsions, qui à son tour est responsable de la régression, le
sujet, lui, a essayé de résoudre son problème et de s'accommoder au
mieux de la situation vitale dangereuse qu'il transporte avec lui dans
toutes les circonstances réelles de l'existence actuelle. Il arrive si
bien à le faire qu'en dehors des périodes où une circonstance rompt ce
que l'on appelle souvent l'équilibre des rapports agressifs du sujet au
monde, ce qui à mon sens est une expression insatisfaisante, toujours
pour la même raison qu'elle n'est descriptive que superficiellement, il
arrive à éviter le tourment de l'obsession évidente. Comme on le sait,
les procédés utilisés pour venir à bout de l'ambivalence peuvent
occasionnellement consister en une dissociation des rapports
ambivalentiels, et ceci est très sensible dans le transfert ; d'aucuns,
par exemple réservent, leur hostilité à leur anatyste, et recouvrent
les satisfactions libidinales narcissiques dont ils ont besoin en
investissant un personnage de fantaisie ou de réalité des affects
positifs qui sont destinés à leur médecin.
Mais la solution de ce dilemme, ou tout au moins sa solution approchée,
est contenue dans la structure même de la relation obsessionnelle, soit
qu'il s'agisse d'une relation dont le caractère pathologique est
absolument évident, parce qu'elle s'exprime, à travers une obsession
nettement caractérisée, non voilée et visant directement un sujet
déterminé, soit qu'elle constitue un modus vivendi apparemment normal,
de par un jeu bien compensé d'échanges, si l'on peut parler d'échanges
quand ils sont si étroitement surveillés.
La relation obsessionnelle apporte une solution au dilemme du désir et
de la crainte par son caractère fondamental de relation à distance.
Lorsque l'on se maintient à distance d'un objet dont le commerce est
absolument indispensable, mais dont l'intimité est redoutée, que ce
soit à travers le cérémonial correcteur d'une obsession agressive, ou
plus simplement en consentant un appauvrissement massif de la vie
émotionnelle, on peut maintenir, sans ressentir trop d'angoisse et pour
soi et pour lui, une relation d'objet, car il ne faut pas oublier que
si pour le sujet l'intimité avec l'objet est dangereuse, puisqu'elle
peut entraîner sa propre destruction, elle l'est tout autant pour
l'objet puisqu'à ce moment où la composante erotique de la relation
est, par suite de l'état de frustration permanent, transformée en une
pulsion agressive, le sujet ressent son désir pour l'objet comme
essentiellement destructeur ; or, l'objet est indispensable à
l'équilibre narcissique et sa disparition entraînerait la perte de la
relation à l'objet avec toutes ses conséquences.
Voici un exemple qui fera sentir je l'espère tout ce que je veux
exprimer dans cette notion de la relation à distance. Monique éprouve
le désir d'une relation sexuelle avec moi, ce qui se traduit par
l'obsession de me faire avaler, involontairement s'entend, une parcelle
de matières fécales qui est l'équivalent symbolique de son corps tout
entier ; en contre-partie elle a l'obsession complémentaire d'avaler
une parcelle de mes propres matières. Cette obsession qui correspond à
la reviviscence dans le transfert de fantasmes sado-masochiques de
l'enfance, au cours desquels elle était découpée « comme un poulet » et
dévorée par son père, l'amène à utiliser les procédés de défense que
l'on peut imaginer : lavage compulsionnel des mains, renonciation aux
soins de propreté des organes génitaux et de la zone anale, rétention
volontaire des matières fécales et des urines dans les heures qui
précèdent la séance, port de gants, puis refus de me tendre la main
même gantée, par suite de la transposition de la crainte de souillures
sur ses cheveux, lavage compulsionnel de la tête, toutes ces mesures
n'empêchant pas qu'elle s'accorde une satisfaction symbolique de son
désir en me parlant très fréquemment de sa crainte. Elle maintenait
donc une relation d'objet à travers toutes ces mesures de défense, mais
cette situation restait trop dangereuse, en fonction de la forme même
que la régression et là fixation combinées imposaient à son désir
sexuel. Après la reviviscence dans le transfert d'une situation
triangulaire typique de l'enfance dûment rendue consciente avec toutes
ses significations, elle sembla poursuivre son évolution libidinale, se
liant avec des jeunes gens de son âge et flirtant avec eux ; ses
résistances n'en subsistaient pas moins, et elle évitait toujours de
prononcer les mots qui pouvaient avoir une signification sexuelle ou
scatologique. J'acquis bientôt la conviction que ses flirts, qui
n'avaient aucune signification profonde pour elle, n'étaient qu'une
transposition de la relation qu'avec moi, objet significatif, elle ne
pouvait soutenir, et qu'à travers eux elle me parlait de ses sentiments
pour moi, ce qu'elle me confirma plus tard; la relation avec moi, mais,
grâce à ce déguisement restait donc maintenue sans qu'elle s'en rendît
clairement compte. Par contre voici comment elle avait consciemment
procédé pour me garder comme son soutien, sans me faire courir le
risque d'une destruction totale. La situation amoureuse était pour
elle, en effet, insupportable, moins pour des motifs d'interdiction que
parce qu'elle avait peur que je la tue et peur de me tuer : « Si je me
rapprochais de vous je vous prendrais quelque chose (castration) et
j'aurais peur d'être tuée. » Telle fut la première formulation. La
seconde fut plus explicite : « J'ai le sentiment que si j'avais des
rapports sexuels avec vous je vous dévorerais et que vous risqueriez
d'en faire autant. » Au plus fort de sa maladie elle avait l'obsession
que son père se levait la nuit pour aller dévorer des cadavres. Lorsque
son attirance pour moi était devenue trop impérieuse, elle m'avait,
selon son expression, tué par précaution en accumulant à mon sujet
toutes les critiques possibles de manière à se détacher de moi, ce à
quoi elle avait d'ailleurs réussi, tout au moins en partie. Me tuer
était une solution qui réservait la relation narcissique : « Si je vous
tuais je pourrais encore m'appuyer sur votre cadavre que j'imaginerais
dans votre cercueil, mais si j'avais des relations sexuelles avec vous,
j'aurais l'impression de vous avoir dévoré, vous seriez digéré, il ne
resterait plus rien et je serais absolument seule. »
Je crois que cet exemple est tout à fait représentatif de tous les
déterminants de la relation à distance de l'obsédé, et de la solution
qu'une distance optima apporte à leur dilemme.
Je n ai jusqu ici envisage la relation d' objet des obsédés qu'en
fonction de l'ambivalence fondamentale libidinale, agressive de leurs
pulsions instinctuelles ; je voudrais maintenant noter les autres
aspects ambivalentiels de cette relation : soit son aspect
sado-masochique. Je ne pense pas qu'il y ait ici à faire de longs
développements, quoique l'on ait tenté d'opposer le masochisme d'une
part et le sadisme obsessionnel d'autre part (BERLINER). Comme l'écrit
NACHT, en effet, la plus éminemment masochique des névroses est bien la
névrose obsessionnelle où le Moi, pour ne pas rompre sa relation
libidinale avec le Surmoi, pas plus d'ailleurs qu'avec ses objets,
s'impose par l'intermédiaire de ses mécanismes de défense des
expiations sans fin, ou bien s'astreint à un ascétisme dont la rigueur
peut dépasser toute imagination, et où d'ailleurs la limitation même
des pulsions instinctuelles constitue en soi une manifestation
masochique. Par le jeu des mesures de défense l'agressivité, qui
pourrait se développer sans restriction contre l'objet, se retourne
bien contre le sujet, c'est-à-dire contre son Moi.
Mais il y a plus. Si les mécanismes d'atténuation de la relation
objectale comportent un aspect auto-punitif, et si à travers eux le Moi
est puni par le Surmoi, comme si celui-ci connaissait la signification
agressive de la pensée obsessionnelle sous son déguisement, pour
reprendre une formulation classique, ceci ne constitue pas tout le
masochisme obsessionnel. Il y a un masochisme plus primitif (NACHT)
celui qui résulte directement de l'indifférenciation relative du sujet
et de l'objet, ou pour parler en termes génétiques, du Moi et
dujpersonnage phallique. Si le sujet, comme le disait ABRAHAM,
possédait un-Moi nettement différencié de celui de son objet, l'on ne
s'apercevrait pas, après avoir écarté les défenses les plus
superficielles, que cette individualité est d'autant plus défendue
qu'elle est à tout instant mise en cause et au fond d'autant plus
affirmée que moins assurée. Le sujet ressent constamment, en vertu de
ce transitivisme si frappant, en lui, l'atteinte qu'il inflige à
l'autre, et l'on peut sans exagération dire qu'il se dévore en le
dévorant, c'est par là au moins, autant que par le mécanisme de
l'auto-punition nécessaire pour apaiser l'angoisse du sentiment de
culpabilité, que l'obsédé est masochiste.
Je pourrais multiplier les exemples de ces identifications passives qui
unissent si étroitement sujet et objet. Je me contenterai de faire ici
état d'un cas récent qui m'a beaucoup frappé par la rapidité avec
laquelle se sont établies ces correspondances auxquelles j'ai fait
allusion. C'était un sujet qui n'est pas celui dont l'observation est
relatée plus loin qui présentait des manifestations obsessionnelles en
même temps que des inhibitions importantes. A la 7e séance d'analyse,
comme je toussais, il me dit avoir la pensée qu'une expectoration le
gênait, et il produisit à cette période toute une série de rêves qui
montrèrent avec évidence sur un mode très régressif d'absorption orale,
son désir de s'identifier à moi. Je ne veux ici faire état de ce
fragment d'observation que pour montrer l'étroitesse de la liaison
inconsciente entre le sujet et l'objet, et quels rapports intimes se
nouent rapidement entre l'objet du désir narcissique et le Moi ; de
tels sujets se défendent d'ailleurs extrêmement violemment contre les
sentiments d'angoisse que leur cause la perception confuse de la
fragilité de leur individualité.
Le malade Pierre, dont il a été question au Chapitre II de ce travail
comme présentant un Moi relativement fort, ne se sent protégé que par
ses vêtements. La situation la plus dangereuse qu'il puisse imaginer
est celle de la nudité, il s'y sent exposé à tous les dangers d'une
pénétration par autrui. Il lui était d'ailleurs impossible de tenir
dans ses mains un animal vivant, parce qu'il avait peur « de tout ce
qui se cachait derrière sa peau », et il redoutait les femmes à peau
très claire dont la surface cutanée, pensait-il, était irrégulière et
laissait filtrer plus aisément les contenus nocifs et sales de leur
corps. Pour lui, toucher des organes génitaux équivalait à une
pénétration anale et lui procurerait une exaltation de son sentiment
narcissique de puissance. On retrouve chez un sujet dont le Moi paraît
à première vue très stable, ce mélange de l'horreur et du besoin absolu
d'une identification consubstantielle avec l'objet de son désir, et
l'on peut dire que cette perméabilité de tout son être est un pas vers
ces identifications passives et instantanées auxquelles j'ai fait
allusion plus haut.
L'on comprend que dans de telles conditions toute action agressive sur
l'objet comporte ipso facto un aspect masochique. C'est d'ailleurs ce
que les malades expriment constamment. Pour Monique : « Me tuer c'est
se détruire » ; et je pourrais citer bien d'autres exemples. Je pense
que ce masochisme très régressif joue un grand rôle dans la relation
obsessionnelle à l'objet, et qu'il est responsable, pour une large
part, du luxe de précautions que le sujet développe dans ses rapports
avec autrui. Ici s'insère tout naturellement la théorie de BERGLER qui
fait de la défense agressive contre le désir de passivité masochique
refoulé, l'un des mécanismes essentiels de la névrose obsessionnelle.
Il qualifie cette défense de pseudo-agressive. Sans doute y a-t-il là
une tendance à méconnaître la puissance des instincts de destruction,
et quelques tendances que j'aie à mettre l'accent sur la signification
libidinale des rapports obsessionnels, je ne saurais souscrire à
l'opinion de BERGLER. L'aspect masochique de la relation d'objet dans
la névrose obsessionnelle exprime donc à la fois et concurremment les
deux significations fondamentales du masochisme, l'auto-punition par
sentiment , de culpabilité et l'auto-destruction par persistance d'une
confusion entre sujet et objet.
Un autre aspect de l'ambivalence, activité-passivité se rapproche
beaucoup du précédent : sadisme et masochisme. La question est complexe
en ce qui concerne l'opposition masculinité, féminité, bien que par un
certain côté il y ait une correspondance, chez ces sujets, entre
masculin et sadique, féminin et masochique.
Une' telle présentation des faits semble ne pas tenir compte de
l'influence du Surmoi sur les relations d'objet dans la névrose
obsessionnelle. Or très justement FENICHEL conclut ainsr: des causes
altérant les relations objectales, ces relations sont viciées : I° Par
les mesures interdictrices du Surmoi ; 2° Par la froideur des affects
dans les relations objectales ; 3° Par la nécessité de trouver des
appuis extérieurs pour vaincre l'angoisse du sentiment de culpabilité ;
4° Par des fantaisies d'introjection.
Si l'on a bien suivi mon raisonnement l'on verra que la relation
objectale, telle que j'ai essayé de la préciser, répond aux trois
dernières causes qui sont évoquées par FENICHEL. Quant à la première,
de l'influence interdictrice du Surmoi, elle ne paraît pas à première
vue intervenir dans l'exposé que je me suis efforcé de faire des
relations d'objet, alors que le Moi, « innocent » et qui le plus
souvent ignore complètement la signification profonde des relations
qu'il tend à nouer avec le monde, est contraint de supporter, comme
nous l'avons vu en étudiant l'aspect masochique des relations d'objet,
les punitions rigoureuses de cette instance morale inconsciente qu'est
le Surmoi. Celui-ci intervient donc éminemment dans les rapports du
sujet au monde.
Le fonctionnement du Surmoi dans la névrose obsessionnelle, est selon
l'expression d'ODIER, quasi spécifique, le Surmoi s'y montre non
seulement hypermoral mais sadique à l'égard du Moi, et l'on sait que
deux théories ont été avancées pour expliquer ces particularités.
ALEXANDER en fait une question économique ; il existe une sorte de
balance entre la sévérité de la répression et la possibilité
d'expression des pulsions instinctuelles. Pour FREUD, le Surmoi n'a pas
échappé à la régression et il s'y est produit une désintrication des
pulsions ; mais ce sur quoi je voudrais plus particulièrement attirer
l'attention en ce qui concerne les rapports, je dirai intérieurs du Moi
et du Surmoi, c'est l'extrême ambivalence de ces rapports. FREUD avait
déjà signalé d'une manière générale la complexité des rapports du Moi
et du
Surmoi; une partie du Surmoi est l'allié du Moi, une autre son
adversaire et son ennemi, et l'on sait la nécessité pour tout sujet de
bonnes relations entre le Moi et le Surmoi; elles sont d'une importance
capitale, et ce qui est vrai pour un sujet dont le Moi a sa cohérence
normale, l'est encore plus pour l'obsédé dont le Moi a de toute manière
la faiblesse que l'on sait; aussi l'obsédé doit-il se concilier sans
cesse cette instance, niais là encore son attitude est ambivalente.
Tous les auteurs qui se sont occupés des rapports du Moi et du Surmoi
dans la névrose obsessionnelle, et plus particulièrement BERGLER,
FEDERN, dépeignent ces relations comme un mélange de soumission
amoureuse et d'hostilité révoltée ; l'on insiste sur les bénéfices
narcissiques que le Moi tire de sa soumission au Surmoi, comme aussi
sur les techniques variées qu'il utilise pour enfreindre ses
commandements et le tromper : contradictions internes des lois de la
pensée obsessionnelle. Lois de FROM citées par FEDERN. Recours à
l'utilisation du principe de la toute-puissance de la pensée, etc.
Autrement dit le Moi se comporte
à l'égard du Surmoi comme un enfant vis-à-vis d'un parent sévère et
oppresseur, il le respecte en le haïssant et le bafoue en l'aimant. Il
faut tout aussi bien se garder de perdre l'amour de la mère
toute-puissante introjectée qu'éviter de se soumettre aveuglément à
elle, une soumission absolue équivaudrait à la mort. Il me semble par
conséquent que l'on retrouve ici une autre expression de la relation à
distance dont j'ai fait l'axe de ce travail, et qu'en interprétant les
difficultés de la relation d'objet comme la conséquence de projections
répétées à l'infini des images parentales, j'ai en réalité donné au
Surmoi toute l'importance désirable.
Il reste bien entendu que le sujet est absolument inconscient de la
signification instinctuelle réelle de ses obsessions, et que par
conséquent l'action du Surmoi qui impose au Moi des restrictions dans
cette relation n'est nullement déniée par moi au profit d'un mécanisme
plus direct, celui de la projection ; ce que je veux mettre en
évidence, dans
cette étude, c'est que le sujet est gêné dans sa relation d'objet, non
seulement par sa propre agressivité dont il ne perçoit que les rejetons
inexplicables pour lui, mais aussi par la qualité agressive qu'il
confère, par la projection inconsciente de sa propre agressivité à
l'objet de son désir, autrement dit qu'il se comporte sans en connaître
le double motif à l'égard de tout comme, enfant, il le faisait avec la
personne déjà à demi imaginaire de ses parents. Et comme dans l'enfance
avec les personnages parentaux, la relation aux objets significatifs
est comme je l'ai déjà noté, indispensable à l'équilibre, à la vie du
sujet.
Mais revenons à la question du Surmoi. Comme on le sait, FREUD
en fait l'héritier du complexe d'OEdipe et lui assigne des fonctions
morales, il le met à la source du sentiment de culpabilité inconscient.
Je ne pense pas qu'à l'heure actuelle se pose encore la question de
savoir si le Surmoi n'a pas aussi des origines plus anciennes ; chacun
admet
l'existence d'un Surmoi pré-oedipien, il reste à savoir si d'une
manière
générale on peut aux phases pré-oedipiennes du développement parler de
sentiment de culpabilité. GLOVER dont j'ai rappelé les critiques à
l'égard des théories de Melanie KLEIN, estime que l'on ne peut parler
de sentiment de culpabilité qu'à partir du moment où l'intervention du
langage, c'est-à-dire seulement au début de la troisième année, a été
suffisamment précise et prolongée pour que le moi et le non Moi, le Moi
et le monde extérieur soient parfaitement distincts. Auparavant les
relations d'objet sont encore trop confuses, trop peu différenciées
pour qu'un dialogue quelconque entre soi et une conscience morale
puisse s'engager. Il préfère employer le terme « d'anxiété de
projection » qui exclut toute intervention d'une voix de la conscience
même embryonnaire ; d'autres (HENDRICK) se servent de l'expression «
anxiété de talion » qui est l'équivalent de la précédente ; je pense
que cette distinction n'est pas inutile parce qu'elle répond à des
faits différents ; d'ailleurs ce travail fait, avant tout, état des
anxiétés de projection.
Reprenons le schéma de GLOVER et étudions la structuration progressive
du Surmoi ou mieux de l'appareil psychique en général.
L'auteur tout en décrivant avec beaucoup de prudence la phase primaire
du développement qui précède l'apparition du langage admet l'existence
d'un Moi et d'un Surmoi oral ou mieux d'un noyau oral du Moi et du
Surmoi, pour citer un exemple. Divers noyaux seront les témoins des
principales phases du développement et le Moi et le Surmoi total
résulteront de l'intégration de ces divers noyaux. En vertu du principe
de fonctionnements simultanés dans la personnalité (GLOVER) chaque
phase du développement donne à moins d'un effacement quasi complet, son
accord plus ou moins timide dans l'orchestration que nous entendons. Si
je fais cette digression, dans un domaine qui n'est pas apparemment
celui de ce travail, c'est que chez l'obsédé une telle intervention du
fonctionnement de niveaux d'organisation différents du Moi pris dans
son ensemble, est tout à fait caractéristique, aisément saisissable et
donne au tableau clinique cette allure si particulière de diversités et
de contrastes. En ce qui concerne le Surmoi nous voyons que différents
niveaux d'organisation de cette instance sont à l'oeuvre en même temps
et s'expriment d'ailleurs concurremment à travers la même expression
verbale : « Je ne peux pas ou j'ai peur. »
En quoi le Surmoi intervient-il dans les relations d'objet dans le
transfert ? Il y intervient de deux manières : d'une part à la façon
d'une tierce personne qui s'opposerait à l'intimité de ces relations,
ce fut par exemple le cas de Monique dont j'ai déjà parlé, le Surmoi
agissait à ce moment de l'analyse où elle revivait son oedipe à la
façon de sa mère qui, pendant son enfance, lui avait interdit toute
intimité avec son père. Toutes les femmes obsédées que j'ai eu
l'occasion d'analyser ont été gênées dans leur contact avec moi par des
interdictions facilement rapportées au personnage maternel qui leur
rendait difficile l'expression, même atténuée, d'une attirance pour
moi. Chez les hommes par contre, de pareilles interdictions, bien
entendu comprises comme condamnant une rivalité avec la mère auprès du
père, ne m'ont jamais semblé très importantes. De toute manière
l'intervention de la tierce personne oedipienne dans le dialogue
analytique m'a toujours paru secondaire et variable suivant les cas; au
surplus l'obsédé invoque fréquemment l'interdiction pour dissimuler son
besoin de faire appel à une troisième personne intervenant seulement à
titre d'allié contre l'analyste dans lé transfert.
La seconde modalité de l'intervention du Surmoi consiste en la
projection dont j'ai parlé tout au long de ce travail qui est faite sur
l'analyste des imago parentales, autrement dit du Surmoi lui-même, du
personnage phallique ; le médecin devient alors à la fois interdicteur
et dangereux en soi. Le sujet éprouve dans sa relation avec le médecin
des anxiétés qui sont à la fois de culpabilité et de projection et qui
se traduisent au début de l'analyse par des inhibitions qui s'expriment
au travers d'une verbalisation approximative. Quand le malade dit «
j'ai peur ou je n'ai pas le droit, je ne peux me permettre », il
exprime tout aussi bien ses sentiments de culpabilité dérivés de
l'interdiction que l'angoisse de ses projections. Plus tard il sent
fort bien ce qui revient à l'une et à l'autre, il dit : « Je n'ai pas
le droit », pour caractériser l'interdiction, et « J'ai peur de vous »
pour rendre compte précisément de sa peur de l'analyste en tant
qu'objet. Ceci est parfaitement sensible dans le déroulement d'une
analyse d'un obsédé. Le premier conflit abordé est celui de l'OEdipe,
du moins tel qu'il a été vécu. Dans le transfert le sujet éprouve la
peur d'être puni pour ses désirs incestueux ou mieux pour tous ses
désirs sexuels ; puis à travers le désir de passivité homosexuelle
s'exprime l'angoisse du rapport avec « l'autre », personnage phallique.
Ici c'est une anxiété plus violente, plus directe qui se dégage, il
n'est plus question d'interdiction mais bien d'une peur de destruction
en talion des désirs de rapprochement ressentis comme agressifs, telle
que la régression les a façonnés ; enfin l'analyse ayant atteint dans
sa marche rétrograde les anxiétés les plus primaires et le sujet les
ayant dépassées, les relations d'objet changent de signification, le
sujet a peur à nouveau de ses désirs incestueux mais sous l'angle plus
limité de l'interdiction ; l'analyste est entre lui et la femme, le
sujet hésite à se donner le droit de faire comme lui, il ne s'agit là
bien entendu, et j'ai à peine besoin de le souligner, que d'une
représentation schématique d'une telle évolution et je ne voudrais pas
que l'on put croire, que pour moi, les choses se passent suivant un
ordonnancement régulier, je crois néanmoins que ce schéma pour si
arbitraire qu'il soit peut servir de point de repère. C'est dans cette
dernière phase que viennent à jour les documents oedipiens réels, je
veux dire accompagnés de toute leur charge affective.
L'aspect homosexuel de la relation objectale a ceci de particulier, et
c'est pourquoi je l'ai détaché de l'ensemble des relations d'objet, de
nous fournir assez précocement des renseignements sur l'équilibre
pulsionnel dans un cas donné.
J'ai en effet remarqué que la relation d'objet homosexuel dans la
névrose obsessionnelle pouvait prendre deux aspects différents. Dans
un premier groupe de cas qui correspond à ceux qui ont fait l'objet de
mon travail sur « l'aspect homosexuel du transfert », l'attrait
homosexuel, spontanément ressenti dans l'enfance et l'adolescence,
s'accompagnait de réactions émotionnelles très riches, très nuancées de
véritables amitiés au sens plein du terme et ne donnait lieu qu'à une
défense modérée ; parfois même y avait-il eu des contacts sexuels ;
dans le transfert de telles situations sont revécues avec un minimum de
réactions de défense et dans un contexte émotionnel très exactement
comparable à celui des expériences juvéniles, dans ces cas l'imago
paternelle s'est toujours montrée infiniment plus accueillante que
l'imago maternelle.
Dans un second groupe de cas les choses se présentent tout à fait
différemment. Ces sujets ont comme ceux du premier groupe des
sentiments homosexuels conscients, mais ils consistent en phénomènes de
fascination brutale devant un homme offrant une image de puissance ce
qui détermine une réaction d'angoisse extrêmement profonde. Ces
patients ont des amis, même de « bons amis », mais leur commerce avec
eux est limité à des fins strictement narcissiques, ils n'ont pas «
d'amitiés ». Contrairement aux sujets du groupe précédent, dans le
transfert ils se défendent furieusement d'éprouver quelque sentiment
affectueux à l'égard de l'analyste utilisant une attitude paranoïaque à
minima, ils l'accusent de leur suggérer des sentiments homosexuels ;
dans leurs fantasmes ce ne sont que combats, luttes, ouverture du
corps, images sanglantes de castration... quand des fantaisies
d'introjection interviennent elles sont toujours chargées d'un énorme
potentiel agressif et provoquent des réactions de dégoût, de rejet, des
sentiments de panique. Nous verrons plus loin un exemple de ce tableau
clinique, les imago parentales sont mal différenciées.
Il m'a semblé que ces deux types de malades répondaient à des formules
pulsionnelles différentes ; chez les premiers là libido a atteint le
stade génital, l'OEdipe a été franchement abordé ainsi qu'en témoignent
non seulement la différenciation des images parentales, mais encore
l'extrême richesse des possibilités émotionnelles et leur grande
variété. La régression a joué un rôle plus important, toutes
proportions gardées, que la fixation; le transfert est plus aisé, la
résolution thérapeutique plus facile.
Quant aux seconds ils me paraissent témoigner d'une évolution
libidinale très timide. Dans leur évolution ils n'ont abordé l'OEdipe
que dans de très mauvaises conditions, les images parentales sont moins
bien différenciées que dans le cas précédent quoique l'imago
paternelle m'ait toujours paru un peu moins archaïque que l'imago
maternelle. Leurs émotions sont toujours extraordinairement violentes,
démesurées, sans nuance, déclenchées lorsque les défenses sont abolies
par les causes les plus minimes. Le transfert est très difficile, la
résolution thérapeutique moins aisée.
J'ai pensé qu'il y avait là, dans la mesure où le style des relations
homosexuelles dans le transfert témoigne du degré d'évolution génitale
de la libido, un élément de pronostic d'autant plus intéressant qu'au
moins, à travers leurs fantasmes isolationnés dont ils ne comprennent
d'abord qu'à demi la signification, les obsédés nous laissent jeter
assez vite un regard sur leur structure profonde.
IV
LES INSTRUMENTS DE LA RELATION D'OBJET
SON ÉVOLUTION AU COURS DU TRAITEMENT ANALYTIQUE
Je voudrais, avant d'aborder l'étude des instruments de la relation à
distance et de l'évolution de cette relation au cours du traitement
analytique, vous rappeler les principales conclusions auxquelles j'ai
été amené jusqu'ici :
I) Il m'a semblé que de l'ensemble des travaux consacrés à l'étude de
la relation d'objet, tant sous l'angle de la description d'un aspect
isolé de cette relation (BERGLER) que sous celui de la signification
générale de la structure des relations d'objet obsessionnelles
(ABRAHAM, GLOWER) se dégageait la notion de la nécessité vitale de la
dite relation qui, à la fois, supplée à des relations plus évoluées et
protège des ruptures relationnelles de la psychose, du moins chez un
sujet donné, en assurant le maintien de relation de Réalité ;
2) Que l'étude clinique du Moi dans la névrose obsessionnelle montrait
à l'évidence que, dans les cas les meilleurs, il était affecté d'une
faiblesse qui rendait précisément indispensable l'intimité de ces
relations ;
3) Que la nature des rapports de l'obsédé était, de par le fait de la
régression instinctuelle, d'une part, et de la projection, d'autre
part, telle qu'elle posait un véritable dilemme dont la solution
approximative et spontanée était le maintien d'une distance optima
entre le sujet et
l'objet d'où l'expression de relation à distance par laquelle j'ai
choisi, faute de mieux, de la caractériser. Ainsi, dans le chapitre
précédent, je me suis efforcé de préciser la nature de la relation
d'objet obsessionnelle et de montrer que tout ce que nous savions de la
structure de cette affection s'exprimait à travers cette relation.
Peut-être me reprochera-t-on de n'avoir pas assez, dans son analyse,
mis l'accent sur les facteurs qui nous apparaissent comme innés et de
n'avoir pas encore fait allusion aux éléments constitutionnels qui
peuvent jouer un rôle dans son déterminisme, soit à une répartition
malheureuse des énergies instinctuelles ou plus simplement à une
hyperagressivité. FENICHEL schématise ainsi les différentes causes
d'une fixation anormale à un stade évolutif donné :
1) Une répartition anormale des énergies pulsionnelles ;
2) Une récompense excessive des besoins instinctuels à ce stade ;
3) Une frustration extrêmement sévère de ces mêmes besoins ;
4) Une impossibilité quasi complète de tolérer l'anxiété en rapport
avec une frustration.
Je me suis attaché simplement, et avant tout, à caractériser un état de
fait et à en préciser la signification et non les causes ; la preuve en
est que j'ai réservé la question de la' nature des traumatismes
responsables.
Je crois que c'est là affaire de cas particuliers et que, seules, des
remémorations précises et des données convergentes issues de l'analyse
nous permettent d'assigner, à tel ou tel épisode que nous serions tenté
de considérer comme traumatique, une valeur univoque. J'ai eu eh
analyse un malade que tous ses fantasmes et ses rêves désignaient comme
le témoin d'une scène de coït parental, qui aurait entraîné chez lui
une identification à la mère possédée sadiquement, pourtant il n'a
jamais retrouvé un souvenir précis d'une scène de ce genre- etil semble
qu'il y ait eu peu de chance pour qu'il put en être réellement témoin ;
par ailleurs, il a revécu, avec beaucoup d'intensité et dans le
transfert et dans son souvenir, un conflit essentiellement oral qui fut
suivi quelques années plus tard de la vision traumatisante d'un coït
d'animaux ; sa mère lui faisait absorber contre son gré des bouillies
qui lui déplaisaient et qu'il recrachait au fur et à mesure. De moi, il
ne tolérait que des interprétations très courtes, dès que je parlais
trop, il s'agitait avec les réactions motrices d'un enfant qui se débat
: « Vos paroles, disait-il, avec une violente attitude d'opposition, je
voudrais les recracher. » Il semble qu'à la suite d'une série de
transpositions, il ait imaginé le. fantasme de la scène primitive, mais
que le traumatisme
significatif évoqué par le coït animal reste celui de ses rapports
oraux avec sa mère. Il n'est pas dans ma pensée de soutenir que toutes
ces incertitudes, quant au trauma, soient sans importance, je crois
tout au contraire qu'elles doivent être résolues dans la mesure du
possible, mais je pense que nous ne sommes à même de le faire qu'à
partir du moment où, précisément, cette relation à distance du
transfert s'est dissoute et muée en une relation directe.
Mon expérience clinique m'a toujours appris, comme à chacun de nous,
que c'est à partir de ce moment seulement que les faits déjà retrouvés
et abordés analytiquement prennent tout leur relief et acquièrent toute
leur valeur démonstrative.' C'est pour cela que je me suis attaché à
l'étude de la relation transférentielle, dont il ne suffit pas, à mon
sens, de dire par exemple qu'elle est sadomasochique pour la
caractériser suffisamment. Elle est d'une « qualité affective spéciale
», suivant l'expression si heureuse de NACHT, à propos du masochisme
prégénital qui est précisément l'un des aspects de la relation d'objet
obsessionnelle.
Voyons maintenant les instruments de cette relation, je pense que ce
titre se passe de commentaire, je serai très bref sur ce point, car il
s'agit ici de tous les procédés de défense de la névrose obsessionnelle
et ils ont été minutieusement décrits. Relations d'objet et mécanismes
de défense s'intriquent étroitement du fait que les mécanismes de
défense contre les pulsions s'appliquent à la situation actuelle
considérée comme dangereuse, et rendue telle d'ailleurs par les
exigences instinctuelles.
* L'obsédé en analyse est dominé par un dessein à peine inconscient
celui de garder sa relation à son analyste sans que cette relation
devienne dangereuse pour aucun des deux partenaires : les diverses
techniques qu'il emploie sont celles qu'il utilise dans la vie
habituelle, tout aussi bien dans le secteur de ses obsessions que dans
ses autres contacts humains symboliques ou concrets. Sous cet angle,
l'expérience analytique démontre à l'évidence que le Moi est malade
dans sa totalité et que le sujet est gêné dans l'ensemble de ses
relations d'objet, qu'elles soient obsessionnelles ou pas.
Pierre, auquel j'ai fait allusion dans le chapitre consacré au Moi,
manifeste une indifférence complète à l'égard de son traitement,
c'est-àdire envers moi, souligne très régulièrement qu'il vient pat
habitude,
qu'il n'attend rien de cette thérapeutique, qu'il ne pense jamais à
l'analyse en dehors des séances, que je lui suis complètement étranger,
telle est du moins sa position habituelle. Or, une circonstance
extérieure intervint brusquement, qui faillit lui imposer la cessation
de ses visites, Pierre fit une crise d'angoisse extrêmement violente,
tomba malade, dut s'aliter et lorsqu'il se releva quarante-huit heures
après, ses amis s'étonnèrent de l'altération de ses traits; il n'eut
aucune peine à se rendre compte qu'il était tombé malade en pensant
devoir se retrouver seul dans la vie. Je crois que le récit de cet
incident illustre d'une façon tangible ce qu'est la relation d'objet
chez les obsédés.
Je n'insisterai pas sur le caractère stéréotypé et la monotonie de leur
comportement, ils s'expriment toujours de la même manière et utilisent
d'ailleurs dans leurs discours le même procédé de défense, les uns
parlent sans arrêt, les autres ont tendance à garder continuellement
continuellement silence. Plus intéressant peut-être est l'emploi de la
périphrase qui sert à éviter de prononcer non seulement certains mots
tabous, mais aussi d'employer des expressions trop réalistes ;
l'abandon de ce procédé de défense, même dans ce dernier cas,
s'accompagne d'une libération instinctuelle, dont l'importance semble,
à première vue, sans rapport avec la cause qui la détermine, tant sont
grandes les implica-- tions dynamiques du langage. Puisque j'en suis au
discours des obsédés, je voudrais faire remarquer combien l'on risque
de faire d'erreurs en interprétant abusivement leur comportement en
termes d'agressivité dans le sens d'activité purement destructive : un
silence, par exemple, peut à bon droit, surtout chez une malade qui
refuse absolument de le rompre, être considéré comme une manifestation
d'hostilité, or, toutes mes malades m'ont affirmé un jour ou l'autre
qu'il leur
était beaucoup plus facile de me dire des choses désagréables ou
injurieuses,
injurieuses, pourtant authentiques d'agressivité, que de tenir des
propos amoureux. Elles n'étaient ici limitées que par la crainte que je
rompe le traitement, alors que l'allusion la plus lointaine à un
rapprochement, déterminait une angoisse intense. Pour les hommes, il
m'a semblé qu'il en était sensiblement de même. Et l'on saisit ici sur
le vif toute l'ambiguïté de ces manifestations agressives ;
l'agressivité
chez les obsédés est loin d'être toujours une manifestation
d'opposition ; l'on peut même dire que les manifestations agressives
qui équivalent à un mouvement d'opposition sont les plus facilement
produites, car elles sont les moins dangereuses, elles mettent à l'abri
et renforcent le sentiment de puissance et d'individualité, mais
l'agressivité liée au désir de rapprochement et, par conséquent, de
signification libidinale
au sens vrai du terme, constitue le vrai danger : celui contre lequel
les obsédés luttent.
Il en est d'ailleurs d'autant plus facilement ainsi qu'étant données
les restrictions nécessaires de la technique analytique, ces sujets
voient se muer en tendances agressives ce qui, dans leur désir de
rapprochement, à la naissance de leurs sentiments, avait une
signification libidinale directe, et ce n'est pas la moindre difficulté
de leur traitement que la transformation si facile de leurs tendances
affectueuses, fragiles en un désir de possession haineuse et exaspérée
en fonction de la frustration réelle des rapports analytiques. Ceci
explique, me semble-t-il, les difficultés plus grandes que j'ai
rencontrées dans le traitement des femmes obsédées ; car, pour les
hommes, les fantasmes homosexuels gardent un caractère de fantaisie
relative que les sentiments amoureux de transfert n'ont pas pour les
femmes et le dosage de la frustration est plus aisé. J'en terminerai
avec ces notations cliniques sur la manière dont, dans leurs
associations, ils cherchent à parler tout en ne disant rien, en
relatant le procédé que Pierre avait employé pour éviter de se confier
à moi. Alors qu'au début de son analyse, il avait eu les plus grandes
difficultés à m'apporter un matériel significatif, je remarquais que
peu à peu ses associations étaient exclusivement faites de fantasmes,
de propos, de signification scatologique ou homosexuelle ; il avait
utilisé conjointement l'isolation et le déplacement, ce qui était
devenu important était précisément ce qui ne l'était pas au. début, les
faits de sa vie journalière. « Ce que je fais ne vous regarde pas, vous
vous efforcez d'avoir un moyen de chantage, en sachant tout ce qui se
passe dans ma profession. »
J'ai prononcé le mot d'isolation, et ceci m'amène à énumérer la liste
des procédés de défense dont le Moi se sert, dans la névrose
obsessionnelle, pour maîtriser les impulsions du ça, que le refoulement
n'a pas réussi à juguler, réactions éthiques, annulation rétroactive,
expression du principe de toute puissance de la pensée. Ces procédés
sont évidemment utilisés dans les relations d'objet du transfert,
complétant les techniques de déplacement et de symbolisation communes à
toutes les activités de l'esprit, elles permettent au sujet d'assouplir
sa relation à son analyste. Je pourrais vous donner des exemples
multiples de l'utilisation de ces techniques dans le sens que je viens
de dire, je crois que ce serait inutile et fastidieux. Quand l'analyste
est l'objet d'une obsession, comme cela se présentait dans le cas de
Monique, il est tout à fait clair que la technique obsessionnelle
protège le contact entre les deux partenaires en présence, mais quand
un malade se contente de nier toute signification affective à ses
rapports d'analyse, ce qui, à mon sens, n'est absolument pas différent
de ce qu'il fait dans la vie courante quand il renonce à l'expression
de ses émotions en même temps qu'il s'interdit de les ressentir, ne
croyez-vous pas que là encore il sauvegarde ses relations d'objet ?
GLOVER insiste sur le fait que la technique obsessionnelle est celle
qui permet à l'enfant de nouer, pour la première fois, des relations de
réalité, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de rappeler, par
exemple, l'importance de la pensée symbolique dans la maturation de
l'appareil intellectuel et l'acquisition du langage, ni celle des
pratiques magiques dans l'essai de maîtrise active de la réalité et je
me contenterai seulement de faire un rapprochement entre ce que je
viens de vous exposer de la relation à distance et ce que FREUD a écrit
sur l'analyse de ses malades. Le terme même que j'ai employé, ce que
d'ailleurs j'ai souligné dans ma description, implique le maintien
aussi prolongé que possible de cette relation mitigée, FENICHEL note
l'horreur que les obsédés ont du changement ; or FREUD nous enseigne
que les analyses de ces sujets peuvent continuer indéfiniment, n'est-ce
pas précisément mettre l'accent sur le besoin qu'ils ont d'un contact
et de la difficulté qu'ils éprouvent à l'amener à une conclusion ?
J'insisterai davantage sur l'évolution des rapports analytiques de
l'obsédé, le sujet comme je viens de le dire ne désire que les
poursuivre en les stabilisant à un certain point, il est prêt à faire
toutes les concessions possibles et même à renverser complètement la
valeur relative de ses associations, à condition que les dits rapports
n'évoluent pas. Tous les auteurs ont noté combien il fallait prendre
garde aux tendances qu'ont ces sujets à intellectualiser leur analyse.
Parfois ils adoptent une attitude plus courageuse, apparemment du
moins, mais tout aussi inféconde. Ils parlent abondamment de l'analyste
sans le nommer, ils semblent aborder directement leurs conflits avec
lui à travers la personne dont ils parlent ; une de mes malades
m'exposa ainsi tout à fait clairement les angoisses qui s'attachaient
pour elle aux relations sexuelles, en m'entretenant de ses flirts. Tous
ces procédés dilatoires ont la même signification et le même résultat :
Ils représentent un effort pour maintenir le contact, mais quelle que
soit la richesse apparente du matériel apporté, la situation reste la
même.
Je ne voudrais pas que l'on puisse croire que dans une analyse de ce
genre je néglige le matériel infantile ; il est nécessaire à la
compréhension de la situation de transfert et trouve tout naturellement
son utilisation dans l'interprétation de celui-ci, mais dans l'exposé
que je désire faire maintenant, je serai amené à négliger tous les
autres aspects de l'analyse pour ne m'intéresser qu'à la relation
d'objet. Avant d'aller plus loin, je voudrais faire deux remarques : La
première analogue à celle que Ella SHARPE, pour d'autres raisons que
les miennes, faisait dans un travail où il était question du traitement
analytique de la névrose obsessionnelle : il faut laisser à ces sujets
le temps de s'habituer au contact analytique qui les amène
naturellement, à condition bien entendu que le transfert de défense
soit correctement analysé, à un « rapproché » qui se traduit par la
production de fantaisies sadiques dont le médecin est l'objet; la
seconde est que l'apparition de ces fantasmes coïncide régulièrement
avec une amélioration de la situation de transfert, je veux dire par là
que le malade réagit comme si le sentiment d'une sorte de communauté
entre son analyste et lui rendait son contact affectif plus
substantiel, plus aisé.
La façon dont s'introduisent ces fantaisies sadiques varie selon les
cas : tantôt elles émergent à travers des représentations de relations
génitales, tantôt elles s'imposent à l'esprit sans contexte affectif un
peu à la manière d'une obsession, parfois d'ailleurs, elles donnent
lieu, comme ces dernières, à des mesures d'annulation ou à des
comportements compulsionnels. En tout cas, elles sont au début très
régulièrement isolationnées, mais bientôt elles s'accompagnent de
réactions affectives extrêmement violentes.
Voici quelques exemples de ce type de réactions : Pierre me rapporte un
jour le rêve suivant qui témoigne d'un désir d'introjectioh encore
atténué : « J'ai rêvé cette nuit que je vous embrassais et que
j'avalais violemment votre salive, j'ai été très étonné de constater en
me réveillant que j'avais eu une éjaculation, ce rêve est ridicule, il
est idiot, il ne signifie rien, je vous déteste, je vous considère
comme un sadique qui s'acharne contre moi, qui prend plaisir à me
torturer, à m'arracher ce que j'ai en moi, à me violenter; vous le
savez, je vous l'ai déjà dit : Je pense que c'est par pure cruauté que
vous prolongez ce traitement, vous auriez pu me guérir depuis
longtemps, vous êtes responsable de ma maladie, mais le pire de tout
c'est de penser que j'ai pu.faire un tel rêve, cela me fait mal au
ventre d'imaginer que je puisse vous aimer, il faut que je sois fou...
jamais personne n'a pu m'influencer, et vous, insidieusement vous
arrivez à me modifier, j'ai peur, j'ai longtemps pensé que cette rue où
vous habitez était dangereuse ; je m'aperçois que je prends,
progressivement, vos façons de penser, de juger, vos intonations de
voix, vous m'empoisonnez vraiment, j'ai envie de vous précipiter par la
fenêtre, je ne peux pas concevoir que je continue ce traitement !» A ce
moment-là, le malade se soulève brusquement sur le divan et crie : «
Entendez-moi bien, je préférerais rester malade comme je le suis plutôt
que de vous donner raison en guérissant. » Cette crainte d'être possédé
et pénétré par moi repose sur l'idée qu'il se fait de ma cruauté et de
ma puissance, car dans une autre phase de son analyse particulièrement
significative pour lui, pour des raisons que je ne puis pas développer
complètement ici, il faisait toute une série de rêves, de relations
homosexuelles avec son père, et en me les relatant, il me disait : « Le
bonheur que j'éprouvais dans ces rêves était absolument extraordinaire,
je ne puis vous dire ce que j'éprouvais, j'étais si heureux, je n'avais
plus peur de rien, je me sentais fort, j'avais le sentiment d'avoir
compris combien l'amour peut transformer la vie d'un être, moi, pour
qui elle a toujours été et est encore un bagne sans fin ; vous
remarquerez ajoute-t-il que j'emploie la même comparaison en parlant de
l'analyse, mais ces temps-ci j'ai un peu changé d'opinion, je me dis
c'est un criminel ou c'est un Saint... je dois reconnaître que, quand
la deuxième impression domine, je me sens transformé, la vie me paraît
ouverte... »Pour rendre compréhensible pleinement le sens de ces
fantasmes, je dois préciser deux points :
Le premier est que le mode d'introjection utilisé par ce sujet est
essentiellement cutané : caresser, toucher équivaut à avaler, prendre.
Imaginer de toucher une verge me donne autant de plaisir que d'imaginer
que je l'embrasse, ce sujet souffrait, d'ailleurs, comme je l'ai dit
plus haut, de l'impossibilité de tenir un animal vivant dans ses mains
par peur de ce qui grouillait derrière sa peau, et se représentait que
les femmes étaient dangereuses parce qu'à travers leurs téguments
pouvaient filtrer des substances toxiques et mortelles. Le deuxième
point est que dans des relations sexuelles imaginaires il recherche la
cohabitation avec un personnage puissant qui le fasse participer à ses
qualités de force et de courage en se laissant caresser les organes
génitaux et le corps. Le rapport de puissance de l'objet au sujet est
réglé par toute une série de dispositions minutieuses.
Jeanne qui témoigna, dans son comportement, après que ses résistances
furent ébranlées, d'un besoin de recevoir quelque chose de moi en
sollicitant des réassurances, en posant des questions, produisit de
nombreux fantasmes d'introjection orales isolationnés. Un jour, elle
imagina le suivant : « J'ai rêvé cette nuit une fois de plus que je
vous mordais la verge avec une sorte de fureur, que je la mâchais
lentement, le besoin de m'approprier quelque chose de vous, de le
garder en moi définitivement et puis j'ai vu un sein dégoûtant, énorme
comme celui d'une femme qui allaite, j'ai eu une impression de dégoût
et de peur abominable, j'avais l'impression que vous étiez comme le
clou que je sens en moi et dont je vous ai parlé si souvent », et elle
ajouta : « Tiens j'ai une impression d'étrangeté ! » Comme je lui
demandais de me préciser ce qu'elle ressentait, elle ne me répondit
qu'au bout d'un moment : « Maintenant, c'est passé, c'est quelque chose
d'indéfinissable et d'abominable », mais je ne sus que beaucoup plus
tard en quoi consistait cette impression d'étrangeté : « C'est,
dit-elle (je condense ici, ce que j'ai obtenu en de nombreuses
reprises), un double phénomène dont je ne saurais dire lequel est le
premier. Toujours est-il que cela se produit quand j'éprouve une
émotion violente, soit de peur, soit de colère : mes perceptions
s'altèrent, je vois moins bien et j'entends les gens comme à travers du
coton, j'ai une impression d'irréalité, tout est flou et je suis saisie
d'une sorte de panique et c'est là l'autre face du phénomène, je me
penche sur le fonctionnement de mon corps, j'écoute mon coeur, le
battement de mes artères, j'ai l'impression que mon crâne va éclater,
mon cerveau se déchirer, j'ai un sentiment de misère, d'isolement
absolu, de mort imminente, il n'y a rien à faire contre cela, sinon
s'occuper immédiatement à quelque chose, à n'importe quoi, si futile
que ce soit, ou bien à compter, c'est le seul moyen de reprendre
contact. » J'ai choisi à dessein deux types très différents de
fantasmes d'introjection le premier à peine sadique, le second
violemment destructeur, pour bien montrer précisément que des réactions
qu'ils déterminent sont fonction de l'intention destructrice que le
sujet y met quelle que soit la forme qu'il leur donne.
Au fur et à mesure que l'analyse avance, ils tendent à revêtir tous le
même aspect sadique de dévoration rageuse dans un contexte violent de
sadisme oral ou musculaire, tout au moins jusqu'à ce qu'une autre phase
évolutive ne s'engage.
Voici d'ailleurs un exemple qui montre que les effets de l'introjection
sont independants de la forme même du fantasme et en rapport avec
l'état affectif du sujet. Jeanne se trouvait dans une phase de son
analyse où elle supportait mal les frustrations qu'impliquent cette
technique et où par conséquent son agressivité était exacerbée, elle
résolut de recourir au miracle et se fit apporter de l'eau de Lourdes
avec l'intention de l'ingérer, elle est croyante, avec cette
ambivalence que l'on retrouve chez les obsédés. Toujours est-il qu'au
moment d'avaler le liquide miraculeux, elle fut brusquement saisie de
la pensée que cette eau allait l'empoisonner et elle ne put qu'en
humecter ses mains, son dessein ne comportait en soi aucune idée
destructrice, il n'était question que d'avaler et non de mâcher ou de
mordre. Je dirai plus loin, ce qui paraîtra contradictoire avec le sens
1 de ce que je rapporte actuellement, que les fantasmes d'introjection
changent de forme, quand ils perdent leur agressivité et deviennent
conservateurs, ils consistent alors à sucer, à absorber un liquide
organique et non plus à mâcher, à dévorer ; à la lumière de cet exemple
et d'ailleurs d'autres encore, je pense que le changement de forme
témoigne et exprime une modification de l'équilibre pulsionnel mais que
la forme en elle-même, n'est pas à elle seule révélatrice de la
signification du fantasme.
Les exemples que je viens de rapporter montrent quel sentiment de
panique entraîne chez le sujet l'introjection avec forte composante
agressive, que ce sentiment accompagne ou non un état de
dépersonnalisation. Les menaces de frustration de l'objet produisent
des états analogues et peut-être encore plus accusés, or, la
frustration exalte l'agressivité du sujet, il n'est donc pas étonnant
que l'introjection agressive d'un objet entraîne les mêmes troubles que
la menace de sa perte. Dans les deux cas l'agressivité est à son
maximum et peut-être est-ce dans les états émotionnels de ce genre, qui
assaillent le sujet aussi bien quand il veut s'approprier avec rage ce
qu'il désire que quand il risque de le perdre, que se trouve la racine
de l'obstination avec laquelle les obsédés maintiennent une relation à
distance avec leur objet. Monique se persuade que par sa faute ses
parents seront ruinés et qu'elle ne pourra plus continuer son
traitement, elle éprouve un état tout à fait comparable à celui qui
l'avait assaillie quand elle était allée voir poser un homme nu, qui
évidemment, par déplacement, me représentait : « J'étais complètement
perdue, tout était sombre, la lumière avait baissé, je devais faire
attention à mes gestes pour que l'on ne s'aperçoive de rien, j'avais
peur de mourir. Enfant, j'ai éprouvé, bien des fois, la même sensation,
cette affreuse angoisse que tout était modifié, que moi-même je n'avais
plus aucune consistance, que j'allais me dissoudre sans que personne ne
fasse attention à moi, mon obsession au moins ne m'inflige jamais les
mêmes tourments. » Je voudrais ici, puisque l'occasion s'en présente,
insister sur la manière dont les malades parlent de leurs obsessions
lorsque l'analyse étant assez avancée, pour qu'ils aient retrouvé ces
intenses orages émotionnels que GLOVER qualifie de sentiments
préambivalentiels, ils puissent les situer par rapport au déchaînement
des affects qu'entraînent leurs relations directes et non atténuées à
leur thérapeute. En pensant à tous les cas qui m'ont servi à élaborer
ce rapport, je ne puis +-qu'être frappé de leur opinion unanime : si
pénible que soit l'obsession, elle est préférable à ces grands
déchaînements affectifs qui s'accompagnent le plus souvent de ces
sensations indicibles et ineffables de dépersonnalisation. J'ai déjà
noté que Jeanne, quand elle éprouve ce malaise profond se raccroche à
une occupation quelconque ou se prend à compter et l'on sait que la
.rithmomanie est classiquement considérée comme' recouvrant les pensées
agressives (BARTEMEIR). Monique déclare nettement que ces
préoccupations obsessionnelles la défendent contre ses impressions
d'émiettement ; le malade dont on lira plus loin l'observation accuse
une certaine nostalgie de ses mécanismes obsessionnels, une autre
malade, à laquelle je n'ai jusqu'ici pas fait allusion, présentait un
ensemble symptomatique dont l'analyse n'est pas sans intérêt, je n'en
rapporterai ici que les éléments absolument indispensables à la
compréhension du rôle de l'obsession. Cette femme ayant une obsession
relativement limitée, malade durant toute son existence, a présenté des
crises obsessionnelles importantes chaque fois que les circonstances de
la vie lui faisaient subir une frustration. La première crise a éclaté
à la suite de l'interdiction qui lui avait été faite de rapports
sexuels « réservés », cette crise cessa spontanément quand la malade
renonça à toute pratique religieuse, elle connut une accalmie d'une
dizaine d'années. La deuxième crise fut provoquée par la frustration
involontaire que lui infligea son mari revenant de captivité, il ne put
répondre à ses exigences sexuelles ; et elle connut une recrudescence
de ces phénomènes morbides chaque année au moment de la fête de Pâques,
époque de la communion obligatoire à laquelle elle était obligée de
renoncer du fait même de sa maladie qui lui interdisait, par
l'interférence de pensées agressives d'ailleurs, de recevoir le
sacrement. J'ai pu me rendre compte que son équilibre dépendait
étroitement de ses contacts affectifs avec des personnages
significatifs les siens ou une femme élue, quand ces contacts sont
mauvais, elle devient violemment agressive et se prive volontairement
de toute communion affective avec son entourage, souffre terriblement
de la frustration qu'elle s'impose, et c'est alors que l'obsession
proprement dite fait son apparition, son thème même est éloquent, elle
craint de voir Dieu, de marcher sur la verge du Christ, etc. Mais avant
que l'obsession ne s'installe, comme Jeanne, elle essaie de se
raccrocher à des occupations incessantes.
Dans tous ces cas la réaction obsessionnelle semble bien être à la fois
la conséquence d'une violente poussée agressive, insupportable au sujet
et la correction de cette poussée agressive elle-même non seulement
parce qu'elle constitue un essai de satisfaction substitutive mais
aussi dans la mesure où elle morcelle et tamise les violents affects
dont l'intensité provoque ces états de dépersonnalisation dont je ne
saurais affirmer qu'ils existent dans tous les cas, mais qui, de toute
manière, comme on vient de le voir, sont extrêmement fréquents. La
littérature analytique prête à la dépersonnalisation des significations
variées tout aussi bien en ce qui concerne sa signification que son
mécanisme ou les états psychopathologiques dans lesquels elle se
rencontre. Un certain nombre d'auteurs, dont BERGMANN, SCHILDER
soulignent qu'entre autres causes, ce symptôme peut être en rapport
avec de violentes poussées agressives plus particulièrement orales
sadiques ; dans les cas de névrose obsessionnelle que j'ai eu à
traiter, il semble qu'il en ait toujours été ainsi. Évidemment
obsession et état de dépersonnalisation peuvent à certains moments
coexister, mais je ne crois pas que cela enlève sa signification de
procédé de défense à l'ensemble de la technique obsessionnelle, il me
semble que l'on ne peut qu'en conclure que la défense est en partie et
transitoirement submergée par la violence des réactions émotionnelles,
qui sont responsables à leur tour des phénomènes de dépersonnalisation.
De toute manière, et quelle que soit la signification qu'on leur prête
que ce soit celle d'un surinvestissement narcissique (FREUD), ou d'une
insuffisance de la libido du Moi (FEDERN) ; ils témoignent d'une
déficience, au moins passagère, de la structuration de l'ego.
Je pense d'ailleurs que cette manière de voir trouve une démonstration,
par l'absurde dans les effets de Pintrojection, qui se développe dans
un tout autre climat affectif et que j'appellerai l'introjection
conservatrice.
Après que se sont développés, pendant un temps souvent assez long, ces
fantasmes d'introjection avec fort investissement agressif de l'objet,
apparaissent des fantaisies d'introjection avec fort investissement
libidinal, qui au lieu de provoquer cette sorte de panique à laquelle
j'ai tant de fois fait allusion, s'accompagnent d'un sentiment de
plénitude, d'unité de force. L'un de mes malades me disait : « J'ai
rêvé que nous avions un rapport sexuel, je participais à votre force et
à votre virilité, j'avais le sentiment d'un épanouissement, d'une
certitude, je n'avais plus peur, j'étais devenu fort, je vous portais
en moi. »
Pour ne pas surcharger ce travail, je ne reviendrai pas sur les
extraits que j'ai déjà fait des observations de Jeanne, de Pierre, et
je n'anticiperai pas sur celle de Paul que vous lirez plus loin, je
noterai simplement, ce dont vous pourrez vous rendre compte,
d'ailleurs, en lisant ce dernier protocole, le fait qu'à mon sens
l'apparition de tels fantasmes d'introjection conservatrice témoigne
d'une évolution libidinale et s'accompagne d'une augmentation de la
cohérence du Moi. Comme preuve de la première de ces assertions, je
citerai simplement quelques paroles de Jeanne relatives aux sentiments
qu'elle éprouve maintenant dans des relations sexuelles réelles ; je
dois dire que, jusqu'ici, elle n'avait pu accepter sa féminité et si
une première analyse avait diminué ses répugnances, elle restait
néanmoins à demi frigide et s'efforçait d'éviter le rapprochement
sexuel. Or, quelque temps avant de me confier ce que vous avez pu lire,
elle me disait ceci : « J'ai eu une expérience extraordinaire, celle de
pouvoir jouir du bonheur de mon mari, j'ai été extrêmement émue en
constatant sa joie, et son plaisir a fait le mien. » N'est-ce pas
caractériser au mieux des relations génitales adultes ; quant à
l'affirmation de la cohérence du Moi, elle ressort non seulement de la
disparition de la symptomatologie obsessionnelle et des phénomènes de
dépersonnalisation, mais encore se traduit par l'accession à un
sentiment de liberté et d'unité qui est une expérience nouvelle pour
ces sujets.
Telle m'a paru être l'évolution de la relation d'objet dans la névrose
obsessionnelle, au cours du traitement analytique et dans les cas
heureux, car je ne voudrais pas que l'on retire de ce travail
l'impression que je pense que tous les obsédés sont susceptibles d'une
pareille amélioration, et même dans les cas les meilleurs avant qu'elle
ne se stabilise, sous des influences accidentelles qui réactivent leur
agressivité, se produisent des rechutes, chaque amélioration
affermissant le Moi, d'ailleurs je devrais poursuivre mon exposé et
montrer comment, à partir de cette identification très archaïque,
s'instaure une identification génitale adulte ; l'observation qui suit
montrera qu'à partir de ce moment de l'identification régressive
peuvent être abordées les anxiétés de ce qui fut la période oedipienne.
Ce qui vient d'être dit sur l'évolution de la relation d'objet au cours
du traitement m'a obligé à me poser trois questions :
I° Comment s'accordent les faits constatés avec la théorie sadique
anale de la névrose obsessionnelle ?
2° Comment concevoir la résolution de la relation à distance en regard
de la théorie classique de l'identification ?
3) Comment se représenter sur le plan théorique l'amélioration
substantielle qu'entraîne l'introjection conservatrice ?
Le point de départ de la régression libidinale dans aucun de mes cas ne
soulève de difficulté, chacun d'eux a éclaté qu'il y ait eu ou non des
signes prémonitoires pendant la seconde enfance, au moment où la
maturation sexuelle plus ou moins précoce a posé les problèmes
correspondant à une réactivation d'un complexe d'OEdipe plus ou moins
bien abordé, et dans certains cas à peine effleuré. Par contre, ce qui
peut soulever une discussion, c'est le stade auquel s'est fixée la
libido et auquel la régression s'est arrêtée, et l'on sait que BERGLER
a situé le conflit d'ambivalence à l'époque orale du développement et
qu'il a vu une reproduction de ce conflit dans toutes les situations de
passivité imposée.
Je ne pense pas que les analyses d'obsédés que j'ai pu mener à bien me
permettent de confirmer la théorie de BERGLER. Si dans un certain
nombre de cas l'anamnèse révèle des difficultés variées de
l'allaitement ou du sevrage et l'existence de signes d'inhibition orale
certains, dans d'autres des traumatismes, paraissent plus tardifs. Je
ne crois donc pas que l'on soit en droit de généraliser, comme je l'ai
déjà dit d'ailleurs, d'autant plus qu'il est toujours difficile de
situer avec certitude le moment d'une fixation comme GLOVER le fait
très justement remarquer ; l'on ne peut guère compter sur la
signification en soi des fantasmes, les tendances orales sadiques se
retrouvant dans toutes les névroses d'ailleurs ; au surplus, et je
crois que c'est là l'argument le plus important, ce qui compte dans un
état pathologique, c'est sa structure et je l'ai déjà souligné en
étudiant l'état actuel de la question, la structuré des relations
d'objet et du Moi dans la névrose obsessionnelle est celle que l'on a
toutes les raisons d'attribuer à la phase sadique anale du
développement. Par contre, malgré que les intérêts de la sphère anale
remplaçant ceux de la zone orale, l'enfant, soit naturellement amené,
par l'apparition de cette nouvelle phase de l'évolution qui lui réserve
des satisfactions substantielles, à se détourner définitivement de ses
conflits antérieurs, il n'est pas exclu qu'il exprime à travers les
difficultés de la phase anale des angoisses mal surmontées de la phase
précédente, et c'est peut-être ce qui rend compte de la difliuence du
Moi de certains obsédés et de la violence de leurs réactions à la
frustration ou à l'introjection avec forte charge agressive, ainsi que
du caractère très archaïque des identifications auxquelles ils se sont
arrêtés.
L'on sait que pour FREUD l'identification primaire est représentée par
l'introjection qui est profondément ambivalente, et possède toujours un
caractère agressif; quant au processus de projection, il n'intervient
pas dans le phénomène de l'identification, il est toujours passif. Je
ne reprendrai pas ici les arguments de GRABER en faveur de l'inclusion
dans la sphère de l'identification des phénomènes projectifs, toujours
est-il que ce que j'ai constaté est en faveur de la thèse de GRABER, et
qu'il y règne un chassé-croisé continuel d'introjection et de
projection, et que d'ailleurs si l'introjection est le plus souvent
active et la projection passive, le contraire existe aussi ; ce
chassé-croisé me semble répondre au transitivisme auquel LACAN fait
jouer un rôle important. C'est justement de ce jeu que dépendent à la
fois les modifications que subit l'image que le sujet se fait de
l'objet et ses propres modifications à lui.
La persistance chez l'obsédé d'une image archaïque ne peut se concevoir
que comme un échec des identifications primaires, le sujet n'a pu
dominer- les anxiétés correspondant à ses désirs relationnels
archaïques et il avait la possibilité de solutionner cette difficulté,
soit en réprimant presque complètement ses agressivités, soit en
utilisant de façon prédominante les mécanismes de projection et
d'introjection.- Dans le premier cas, il eut connu des troubles
caractériels de la structure du Moi de type paranoïde (HENDRICK) et
dans le second il devait, après régression, devenir un obsédé, c'est ce
que ce travail tend à démontrer. La projection ne suffit pas toujours à
empêcher cette carence du Moi qui résulte de l'absence d'intégration
des agressivités primaires au Moi total et je crois que cette étude en
est une démonstration. HENDRICK a remarqué que les fantasmes agressifs
disparaissent quand l'identification difficile a été surmontée et que,
précisément, l'intégration des agressivités primaires au Moi total
s'est enfin réalisée ; cette thèse me paraît parallèle à celle de
GLOVER, qui se représente la structuration du Moi comme le résultat des
intégrations au Moi total des éléments nucléaires des premières phases
du développement. Je pense que cette façon de voir permet de comprendre
ces améliorations de la structure du Moi qui suivent les introjections
conservatrices, pourvu que celles-ci soient en rapport avec la
résolution du problème réel, c'est-à-dire après que se sont pleinement
effectuées, grâce à une technique humaine mais stricte, les projections
angoissantes nécessaires pour que l'identification surmontée, le
renforcement du Moi, et une évolution pulsionnelle puissent dans les
cas heureux se produire.
V L'OBSERVATION
Au Chapitre II de cet exposé, j'ai étudié la symptomatologie et les
relations objectales de Paul ; aussi, me limiterai-je ici au récit de
cet aspect de son analyse qui intéresse ce travail. Les traits
caractéristiques de son comportement allaient en s'affirmant. Au fur et
à mesure que le temps passait, il devenait de plus en plus violent et
secret, s'éloignait de plus en plus de son frère et de son père, se
battait avec l'un et refusait d'obéir à l'autre qu'il avait
complètement dévalorisé. Puis un jour, il eut un rêve qui l'éclaira
brusquement sur ses sentiments à l'égard de sa mère : « Elle se
penchait sur moi et j'eus une éjaculation. » A partir de ce moment, il
eut le sentiment d'être différent des autres, marqué par une faute
indélébile, et s'interdit toute pensée, qui puisse de près ou de loin
la mettre en cause. Et les obsessions s'installèrent progressivement.
Il me semble dans ce cas que la renonciation brusque aux relations
libidinales génitales ait, de façon particulièrement manifeste,
nécessité l'entrée en jeu d'un nouveau système de relations d'objet :
Le système obsessionnel avec les substitutions, la symbolisation,
l'isolation, les techniques de maîtrise magique et rationnelle que ces
relations impliquent. C'est là un fait bien connu que l'apparition des
phénomènes obsessionnels dans des circonstances identiques ; mais ici
tout se passe de façon presque schématique. Le sujet peut maintenir à
sa mère une relation vivante sur un mode atténué, ne l'obligeant pas à
faire face à des affects trop puissants et trop rapidement changeants.
En effet si, de prime abord cette régression pulsionnelle et
relationnelle semble être en rapport direct avec le sentiment de
culpabilité et la crainte de la castration par le père, ici, perçue
comme une condamnation sociale directe, elle fut aussi, et plus encore,
déterminée par la forme même qu'avait conservé, du fait de fixations
importantes, la sexualité de Paul, autrement dit par des angoisses de
projection ; il me dira bien longtemps après le début de son traitement
: « Ce qui reste pour moi chargé d'angoisse dans cet « OEdipe » c'est
la manière dont j'étais attiré par ma mère. Je me reproche encore le
fait d'avoir été poussé à sentir et à flairer ses vêtements les plus
intimes et d'avoir eu une sorte d'envie de les mordre, ce qui me donne
une impression de bestialité odieuse. Avant le rêve, je ne comprenais
pas ce que cela signifiait mais après !!!
La technique obsessionnelle le protégeait de la situation dangereuse du
rapport sexuel, dangereuse dans la mesure où elle impliquait une
rivalité avec le père, mais aussi des relations orales destructrices
avec l'objet aimé, qui était d'ailleurs lui-même une figure phallique
terrifiante. Sa libido génitale était en effet très faible comme en
témoigne la fixation dont je viens de parler ; j'ajouterai qu'il ne
s'était jamais masturbé durant son adolescence, et que dans ses rêves
même, il se retenait d'éjaculer. Quant à la résurgence de l'OEdipe dans
le rêve, elle paraît ici plus en rapport avec l'intensité des tensions
instinctuelles qu'avec une défaillance du Moi.
Pour rendre sensible cette suppléance par la relation obsessionnelle
des relations génitales rendues impossibles par l'angoisse de la
castration au sens le plus large du terme, je prendrai dans la
symptomatologie de ce malade un exemple simple et facile à exposer :
Soit l'obsession des zqnes. En usant du déplacement, le sujet avait
transformé l'angoisse insurmontable que lui inspiraient les organes
génitaux, jugés castrateurs de sa mère en celle plus aisément
maîtrisable : de zones néfastes, le retour du refoulé étant possible
sous cette forme symbolique et déplacée ; la zone néfaste représentait
symboliquement, à travers une généralisation, qui en garantissait
l'absence apparente de signification, la chambre où il s'était trouvé
seul à l'âge de 4 ans avec sa mère, tout aussi bien que le cabinet de
travail de son père ainsi qu'on le verra plus loin. La persistance de
la relation objectale était encore plus étroitement notifiée par
l'existence de zones néfastes sur son propre corps. Dans cette dernière
formation il utilisait, sans s'en douter et en le modifiant à peine, un
geste vulgaire dont la signification est bien connue : toucher un
espace interdigital de la main gauche avec l'index de la main droite
est une représentation symbolique du rapport sexuel. Quant aux
techniques de correction de l'obsession leur signification est trop
évidente, sous l'angle de cette relation symbolique, pour qu'il soit
nécessaire d'y insister.
LA PREMIÈRE PHASE DE L'ANALYSE
Je passerai très rapidement sur le récit de la première année de
l'analyse, non qu'elle ne fut vivante mais, parce que l'accumulation
des procédés de défense destinés à éviter un contact trop intime avec
moi, rend, du point de vue qui est celui de ce travail, moins
démonstratif le matériel recueilli pendant cette période, je ferai
simplement allusion à son comportement stéréotypé, à ses procédés de
défense habituels : Isolation, annulation, tabouisme.
J'étais pour lui un personnage terrifiant, assimilé avant tout à ce
médecin sadique qui attirait chez lui des malheureux qu'il torturait et
dont il brûlait ensuite les corps, mais aussi à un juge intègre et
sévère; mon action pouvait s'exercer d'une façon mystérieuse et s'il
dressait entre nous une barrière magique qu'il construisait avec son
manteau ou ses livres qu'il plaçait sur le divan du côté le plus proche
de moi, ce n'était pas seulement pour me protéger de Son agressivité
mais aussi pour se soustraire à la mienne. S'il ne l'eut pas fait, il
aurait dû faire face à une angoisse qui eut peut-être été
insurmontable, ce qui prouve bien, s'il est encore nécessaire d'en
fournir une preuve supplémentaire, que l'ensemble des procédés
obsessionnels assure au sujet la possibilité de maintenir une relation
d'objet qui garde même dans les cas les plus sévères, au moins sur le
plan intérieur, une certaine réalité. A l'abri de sa barrière et de
tous ses autres procédés de défense, il pouvait ne pas perdre le
contact avec moi.
Le sens général de son attitude durant les premiers mois fut celui d'un
masochisme terrifié, il était sans défense : devant un magistrat à qui
il n'osait avouer ses fantaisies sexuelles, devant un médecin cruel qui
pouvait se précipiter sur lui d'un instant à l'autre ; il apporta à ce
moment un matériel oedipien d'abord symbolique, puis de plus en plus
précis mais toujours objectivé sans aucune émotion, il me disait bien
qu'il avait honte, qu'il était coupable, qu'il avait peur mais rien
dans son ton ou son attitude ne trahissait quoi que ce soit de vécu.
Puis il produisit toute une série de fantaisies : de luttes, de duels
avec moi où il se défendait victorieusement, m'assassinait, me
détruisait. Ces fantasmes firent leur apparition d'abord timidement,
puis de façon de plus en plus claire, enfin s'imposèrent avec une telle
fréquence qu'ils servirent sa résistance.
Ils se développèrent dans un contexte oedipien : « Je fus
successivement l'homme que l'on fuit en compagnie d'une femme, à qui
l'on vole ses organes génitaux, le Roi que l'on poignarde au milieu de
sa Cour. » Je les laissais se développer pendant un temps assez long et
c'est ainsi qu'ils se transformèrent. Ils devinrent plus actuels, plus
dépouillés, en rapports plus directs avec la situation analytique, on
peut approximativement les classer ainsi :
I° Des fantaisies de rapprochement passif : « Je vous entends tousser
et cracher, je sens votre crachat couler dans ma gorge... vous venez de
remuer, j'ai l'impression d'avoir remué aussi... vos organes génitaux
sont au contact de mes lèvres... j'ai le sentiment d'être affreusement
distendu par une pénétration anale... » Dans toute cette série de
fantaisies il avait une attitude complètement passive, l'on ne peut
manquer de les rapprocher de certaines de ses obsessions de castration.
L'on y trouve la même tendance à ressentir sur lui ce qui se passe chez
autrui : « J'ai le sentiment que vous avez penché la tête et que la
mienne s'est penchée de la même manière... »; 2° Des fantaisies de
rapprochement actif : « Je mords votre sexe, j'ai des rapports sexuels
avec vous en jouant un rôle actif, je vous prends ce qu'il y a à
l'intérieur de votre corps, je vous prends dans mes bras et je vous
embrasse violemment... je vous prends votre sperme et je le bois... »
J'ai employé à dessein le mot de rapprochement ne voulant pas établir
une distinction rigide entre projection passive et introjection active.
Ce point a déjà été abordé dans le chapitre précédent et je n'y
reviendrai pas, je dirai seulement que dans ce cas, comme dans tous les
autres d'ailleurs, il existe des phénomènes d'introjection passive : «
Je sens votre sexe se placer sur mes lèvres... » et des phénomènes de
projection active : « Je bondis hors de ma peau pour me jeter en vous.
» Mais surtout projections et introjections sont intimement
entremêlées, il me semble difficile de séparer les deux processus :
s'il m'introjecte et se sent ensuite en danger, c'est par une
projection préalable d'une partie de lui-même qu'il a pu me rendre
agressif et dangereux,
Ce qui me paraît pratiquement plus important, c'est le contexte
affectif qui entoure ses fantaisies. D'abord elles se manifestèrent
sans aucune teinte affective, puis le sujet s'en défendit avec dégoût
et terreur, enfin il en éprouva à la fois du plaisir et de l'angoisse.
Je crois inutile de multiplier les exemples, d'ailleurs j'aurai
l'occasion, plus loin, d'en rapporter un autre en étudiant l'aspect de
« résistance » de ces fantaisies. Je dois noter toutefois que peu à peu
s'établit une sorte de division de mon corps en zones de valeur
différente : mon pénis fut l'objet de visées d'incorporation
accompagnées de plaisir et d'un sentiment de réconfort, tandis que
celles qui avaient trait aux contacts anaux furent toujours ressenties
avec dégoût et redoutées comme dangereuses et même mortelles. Peu
après, il me fut possible de lui rendre sensible le côté résistance de
ses imaginations, il lui arriva en effet de se souvenir des propos
grossiers de son grand-père ou de ses camarades. Il ne les répétait
jamais et se servait toujours d'une périphrase. Je le lui fis
remarquer, il ne le reconnut d'abord qu'avec difficulté, mais bientôt
se convainquit qu'une telle conduite était significative ; j'avais
remarqué en effet et lui avec moi, qu'il redoutait d'entendre qui que
ce soit employer ces expressions, ces mots qui « le blessaient » et
effectivement il ressentait une anxiété analogue à celle qu'il
éprouvait devant la nécessité de porter un vêtement taché ou de
conserver un objet personnel altéré ; il était menacé dans sa personne,
et symboliquement blessé, castré, il se sentait diminué, impuissant, en
danger, comme s'il avait reçu physiquement une blessure, et il
éprouvait immédiatement une violente réaction de haine contre le
coupable ; s'il s'interdisait, comme je viens de le dire, d'employer
des expressions de ce genre, c'est qu'il craignait les conséquences
d'une telle agression et pour lui et pour autrui ; et la formule
indirecte lui permettait de satisfaire à peu de frais ses besoins
d'agression, comme d'ailleurs de tendresse : « Je puis tout vous dire à
travers mes images, mais dès qu'il s'agit de vous parler plus
directement, plus concrètement dans le langage de tout le monde, j'ai
peur. Comme je vous raconte mes imaginations sans y participer ou en me
laissant aller le moins possible, ce qu'elles auraient de trop
violemment affectif ne se manifeste pas. » A partir de ce moment, il
fut plus direct, ses fantasmes d'introjection prirent un tour plus
violemment agressif. Il eut à cette époque, concurremment, de
nombreuses fantaisies de destruction par flattus émanent de lui ou de
moi, des phénomènes de dépersonnalisation stéréotypée qu'il qualifiait
de troubles de l'accommodation qui accompagnaient ces diverses
fantaisies, tout aussi bien celles d'introjection avec fort
investissement agressif que celles de réjection destructrice : « J'ai
eu le sentiment, je ne sais pas pourquoi, que vous étiez irrité et
sévère, je vous en ai voulu, je vous ai expulsé hors de moi, je vous ai
vomi et tout m'a semblé étrange, dans une atmosphère lourde et
angoissante, vous m'avez paru très loin, la table n'était plus à sa
place, je vous entendais parler d'une voix blanche... c'est
intraduisible. »
Maintenant le transfert changeait de signification. Plusieurs rêves de
duel rigoureusement identiques à ceux au cours desquels il se battait
avec moi, mirent en cause sa mère, qui se trouvait en mes lieux et
place, puis elle fut l'objet de plusieurs rêves dans lesquels elle
présentait des caractères phalliques, ce qui confirma l'émergence de
l'imago maternelle phallique dans le transfert. Un peu plus tard vint
le rêve qui devait clore cette période, après que furent rapportées
quelques fantaisies oniriques de rapprochement sexuel avec la mère, le
voici-: « J'ai embrassé la poitrine de ma mère. » J'eus, à ce moment,
l'intuition qu'il me cachait quelque chose d'important et lui dis qu'il
avait toujours peur et employait toujours son procédé de neutralisation
affective, il me répondit : « C'est vrai ! » D'abord il y avait dans le
rêve une confusion entre ma mère et moi, je portais ses seins, mais en
même temps, ils restaient les siens — ce que j'éprouvais ? : « La fin
de tous mes tourments, je pense que c'est ce que doit ressentir un
bébé, une sensation ineffable et indicible d'union, plus rien n'existe,
tout est fini, consommé, le sentiment de l'union que j'ai toujours
souhaité avec la femme idéale de mes rêves, un sentiment de béatitude,
de bonheur parfait, une absolue confusion », et il ajouta : « Je dois
vous dire aussi que je m'imagine avoir un sexe comme une femme, je
ressens une impression très douce de pénétration et c'est absolument
comparable ! » Il n'y avait que des sentiments de bonheur dans ce
fantasme qui ne comportait aucune destruction, semblable en cela aux
fantaisies de succion des mélancoliques d'ABRAHAM. Cette sorte
d'introjection que l'on pourrait peut-être qualifier de passive me
paraît beaucoup mieux mériter le nom de conservatrice. N'a-t-elle pas
des traits communs avec la communion religieuse où l'on avale sans
mâcher ; le changement de forme du fantasme traduisant seulement, comme
je l'ai fait remarquer plus haut, une modification capitale dans
l'affectivité du sujet, elle provoque chez Paul, le même sentiment de
force et d'identification à l'être idéal générateur de toutes les
puissances. Et ceci se traduira concrètement, d'une part en effet dans
les semaines qui suivirent il passa avec succès un examen comportant
non seulement un écrit mais aussi un oral, et embrassa une jeune fille
pour la première fois de sa vie ; d'autre part, sur le plan analytique,
il renonça presque complètement à ses techniques d'isolation ; l'un de
ses besoins narcissiques fondamentaux était satisfait ; l'objet
introjecté n'était plus mauvais ni dangereux, le désir de l'absorber ne
se heurtait plus à une défense narcissique exaspérée. Bien au
contraire, la possession de cet objet apportait un appoint considérable
à ce même narcissisme. Devenu moins agressif, parce qu'il avait
surmonté les anxiétés liées à l'acceptation de sa propre image reflétée
par l'analyste, le sujet n'avait plus à projeter sûr l'objet de son
désir ses propres caractéristiques agressives. Le cercle vicieux
névrotique se trouvait rompu comme si une sorte de satisfaction
symbolique eut pu progressivement atténuer le sentiment de frustration,
jamais apaisé jusqu'ici qui donnait à la pulsion orale régressive toute
sa qualité destructrice, et que sa signification libidinale ait pu
enfin se dégager.
LA DEUXIÈME PHASE DE L'ANALYSE
J'ai donné tous ces détails sur l'entourage, l'anamnèse et la
symptomatologie de l'affection de Paul, ainsi que sur l'évolution de
l'analyse jusqu'à ce point, de manière à ce que vous ayez un tableau
aussi exact que possible de ce cas et que ce qui va suivre puisse tout
naturellement se situer dans un contexte précis. Je voudrais, en effet,
vous exposer maintenant les interrelations qui m'ont paru lier, de
façon assez démonstrative, le Moi dans son degré de cohérence et les
pulsions dans leur dynamique du moment, les variations parallèles de
ces deux dimensions de la personnalité étant elles-mêmes en relation
étroite avec le style des relations d'objet. La faiblesse du Moi fait
que toute frustration est encore plus insupportable et moins tolérable,
celle-ci, à son tour, rendant plus sensible le défaut de structuration
de la personnalité, en détruisant l'état d'équilibre instable dans
lequel elle se trouve, ce qui aggrave derechef sa sensibilité à de
nouvelles frustrations. Ceci est particulièrement sensible quand il
existe des phénomènes de dépersonnalisation, conséquence directe des
frustrations subies, en même temps que témoin de la fragilité du sujet.
Mais un processus analogue, quoique moins apparent, peut être détecté
dans les cas où il faut une analyse minutieuse pour découvrir
l'équivalent atténué de ces troubles de la cohérence du Moi. Quant à la
forme obsessionnelle dès relations d'objet, elle prend alors toute sa
signification, puisqu'elle est la seule procédure susceptible
d'atténuer ou même de neutraliser ces frustrations capables, si elles
n'étaient aménagées, de précipiter la déchéance du Moi.
J'ai pensé à vous exposer successivement l'évolution des divers aspects
de la personnalité auxquels je viens de faire allusion, mais outre que
j'avais le dessein de vous présenter les faits de façon aussi
synthétique que possible, ils m'ont paru, de par la nature même de leur
interrelation si étroitement mêlés, que je me suis décidé à suivre
l'ordre chronologique qui vous permettra de suivre de façon plus aisée
la courbe générale de la cure, sans que soit artificiellement dissocié
ce qui, dans le temps, se trouve étroitement uni : transfert, relations
d'objet dans la vie, répartitions pulsionnelles, état du Moi,
résistances.
Deux événements essentiels ont marqué, pendant cette phase de
l'analyse, la vie de Paul ; je les prendrai comme point de repère : ces
deux événements, en face desquels l'attitude du malade me parut
étroitement déterminée par les progrès de la cure, furent : l'évolution
d'une liaison sentimentale et un échec à un concours.
Paul connaissait depuis quelque temps une jeune fille que je
prénommerai Geneviève, dont je dirai simplement qu'à travers les récits
du malade, elle m'apparut douce, intelligente, aimante, sans attitude
névrotique accentuée. Ce n'était pas le premier essai d'intimité avec
une femme qu'il tentait depuis le début de son traitement, mais jus-
qu'ici, après s'être traînées plus ou moins longtemps, ces relations
avaient toujours tourné court, et il n'était pas difficile de voir que
l'angoisse que la femme inspirait à mon malade en était la raison, mais
comme vous le savez, Paul embrassa Geneviève ; mon exposé sera plus
facile si je le situe par rapport à l'établissement entre eux de
relations sexuelles ; leur flirt s'échelonna sur plusieurs mois et
prit, dès l'abord, une allure un peu particulière. Paul en effet donna
à la maîtrise qu'il tentait de s'assurer de la jeune fille, les
caractères que l'on devait tout naturellement attendre, c'est-à-dire
qu'il fut, disons, sadique, d'un sadisme très anodin d'ailleurs et
beaucoup plus symbolique que réel ; mais enfin, d'une part, il pratiqua
sur elle toutes les prises de judo qu'il connaissait, ne dépassant pas
d'ailleurs le stade de la démonstration, d'autre part, il chercha à la
dominer intellectuellement, puis il éprouva pour elle une attirance
sexuelle plus précise que celle qui l'avait poussé à l'embrasser.
A ce moment le transfert pour un temps changea de signification : le
malade parut hésitant et je compris qu'il cherchait à me dissimuler les
progrès de sa relation amoureuse : « Cela me gêne... j'ai une
difficulté à vous dire que j'ai des relations plus intimes avec
Geneviève... », mais cela fut très court et je devins l'alter ego de
Geneviève par une sorte de transposition vraiment saisissante ; mais ce
qui nous intéresse davantage ici ce sont ses relations psychologiques
avec sa partenaire. Il avait peur de l'aimer, de souffrir tout autant
psychologiquement que physiquement, d'ailleurs la suite de l'analyse le
montra, il projetait très exactement dans cette nouvelle relation ce
qu'il avait vécu avec sa mère, ce que je savais déjà, et qu'il avait
déjà revécu dans Je transfert vis-à-vis de moi. Mais après ce « nouveau
début » auquel j'ai fait allusion plus haut, il lui était possible de
me donner toutes les nuances affectives de ses relations et avec elle
et avec moi : « Geneviève a changé mon existence, elle est comme un
point lumineux dans ma vie sombre et triste, mais j'ai peur, j'ai peur
qu'elle n'éprouve pour moi que de la pitié ou qu'elle m'aime en me
dominant, elle est très intelligente, très subtile, elle a une force de
caractère analogue à la mienne, un orgueil aussi puissant que le mien.
Je m'efforce de lui montrer dans nos relations de « discussion » que je
suis plus fort qu'elle sur le plan de l'intelligence pure, je tiens à
avoir le dernier mot dans chacune de nos polémiques parce que je me
sens toujours en danger d'être méprisé ou dominé, j'ai peur de souffrir
de sa supériorité ; à ce moment-là je cherche ce qu'il y a de plus
blessant, de plus susceptible de la faire souffrir, je tiens à me
venger. Sans trop de peine je lui ai fait sentir que physiquement je la
dominais, je veux la réduire à merci sur le plan de la pensée. »
Avec moi aussi, il en use de la même manière : « Vous me paraissez
intelligent, et je ne puis m'empêcher de craindre votre supériorité,
aussi j'essaie d'avoir raison, de vous entraîner dans des discussions,
de faire étalage de ma culture littéraire, j'ai en effet une répugnance
invincible à l'idée que vous puissiez me dominer. Ce qui me rassure
avec Geneviève c'est qu'elle n'est pas très jolie;, ainsi je ne serai
pas pris de toutes les manières ; hier soir au théâtre j'ai tout au
contraire trouvé qu'elle avait un visage fin et très agréable, j'ai
tout de suite pensé : « Mon Dieu ! Si je tombais amoureux d'elle, je
serais tout à fait perdu, il faut que je me garde, j'ai alors
immédiatement cherché quels pouvaient être ses plus gros défauts
physiques et je me suis efforcé de les exagérer. »
« Hier, je me suis disputé avec Geneviève, elle m'avait tenu tête et
j'ai fait un cauchemar la nuit suivante : j'étais avec une femme très
belle, grande, forte et autoritaire, ce n'est pas la femme idéale dont
je vous ai si souvent parlé et qui est plus douce, plus fine, tout en
gardant une élégance de raisonnement et un cerveau d'homme : celle-là
était plus impérieuse, elle s'est précipitée vers moi et a découvert
une verge énorme, je me suis réveillé en sursaut, j'avais la terreur
que sous sa pénétration mon corps n'éclate tout entier, j'avais une
crise de suffocation et je dus appeler mes parents. » Ainsi, ce
personnage phallique qui le fascine et qu'il recherche, qui est son
seul partenaire possible et dont il s'écarte constamment telle est
l'imago qui se profile derrière Geneviève et qui rend si difficiles, si
inquiétantes ses relations avec elle.
« Geneviève m'est indispensable, j'ai besoin qu'elle soit là, près de
moi, ne croyez pas que je désire seulement échanger quelque chose avec
elle, non c'est plus que cela, j'ai besoin qu'elle m'accompagne,
qu'elle soit là, qu'elle m'écoute ; hier j'ai voulu tenter une
expérience (en réalité il avait été blessé par une inattention
quelconque de sa part). J'ai décidé de ne pas la voir, de me libérer
d'elle, j'ai retrouvé cette sorte d'étrangeté dont je vous ai parlé :
un manque de contact, une inquiétude sourde, tout était noyé dans une
sorte de brouillard, du coton, tout était triste, désert, j'étais
obligé de faire attention à tout, il fallait que je surveille mes
gestes, il n'y a que les femmes de son genre qui m'intéressent ; une
femme douce et exclusivement féminine est pour moi un être sans
signification fut-elle très jolie, il faut qu'elle me soutienne. Si je
fais le tour de son intelligence et que je la découvre médiocre, alors
tout s'évanouit, sa beauté, ses attentions ne comptent plus, elle est
complètement dévalorisée, la femme idéale de mon rêve est un mythe
puisque je lui prête des qualités contradictoires, elle est
puissante-tout en ne me faisant pas peur. »
C'est une réaction que j'ai trouvé quasi constante chez les obsédés,
ils ne s'intéressent qu'aux personnages qu'ils jugent puissants hommes
ou femmes, et du fait même de la puissance qu'ils leur prêtent, ils les
redoutent et ne peuvent s'abandonner à eux ; telle est en première
analyse l'expression de ce dilemme auquel j'ai tant de fois fait
allusion ; ils ne peuvent, dans l'état actuel de leur organisation
psychique, arriver à le résoudre. La faiblesse de leur sentiment de soi
est telle qu'elle les pousse à rechercher toujours un personnage
dominateur à aimer, et le sentiment qu'ils ont de cette dépendance
aggrave leur insécurité et altère encore chez eux le sentiment du Moi
selon l'expression de FEDERN. Dans mon cas, les phénomènes de
dépersonnalisation qui accompagnent la frustration que, dans la
circonstance rapportée plus haut, le malade s'était imposé lui-même,
mais qui peut tout aussi bien venir du dehors, ces phénomènes qui se
produisent aussi lors d'un contact trop intime (introjection
destructrice) donnent au tableau clinique une allure très
spectaculaire, voire dramatique, mais même dans d'autres cas, où ils
manquent apparemment, la trame de la relation d'objet est la même.
Pierre par exemple me dit : « Vous avez raison, je ne puis avoir de
relations homosexuelles qu'en imagination et avant tout parce que dans
la réalité j'aurais bien trop peur d'être dominé, et encore faut-il
qu'en rêve je dose minutieusement les forces, en présence. »
Ainsi, ils ne peuvent s'attacher qu'à celui qui les rassure, mais qui
leur fait en même temps peur. Cette situation de dépendance analogue à
celle de leur petite enfance réveille en effet les angoisses attachées
aux fantasmes infantiles qu'ils projettent sur leur interlocuteur
actuel, comme je me suis efforcé de le démontrer. Et c'est là
l'expression profonde du dilemme obsessionnel. Ce rêve de la mère
phallique s'accompagnait d'une crise de dyspnée qui reste pour mon
malade beaucoup plus angoissante que toute autre manifestation morbide,
même que l'état de dépersonnalisation, or tout enfant et glouton il
s'étranglait fréquemment au cours de la tétée, ce qui semble d'ailleurs
confirmer les vues de BERGLER qui souligne l'importance des relations
mère-enfant du tout premier âge.
Cependant Paul revit dans le transfert une situation analogue : « C'est
terrible d'avoir le sentiment de dépendre de quelqu'un comme je dépends
de vous. Dans cette période pénible de rupture « expéri« mentale » j'ai
pensé à vous. » Suit le récit d'un fantasme d'incorporation : « Je sais
que je ne puis vivre seul et cela me crée un malaise indéfinissable, je
ne suis pas libre, je suis à la merci de vos moindres réactions et le
cours de mes pensées est orienté par l'expression de votre visage ou la
nuance que je crois trouver dans votre poignée de mains. C'est
exactement comme avec Geneviève, je passe mon temps à essayer de
tester, votre humeur, aujourd'hui vous m'avez accueilli froidement,
j'ai immédiatement pensé : une idée désagréable va me venir à son
sujet, puis, je vais émettre un flattus, puis j'ai eu la sensation ou
l'imagination que votre sperme me coulait dans la bouche avec un
sentiment de dégoût extrême, un besoin de vous rejeter une sorte de
hoquet intérieur : vous écarter violemment avec un coup de poing,
éliminer tout ce que vous avez pu m'apporter quelque chose comme : vous
défoncer la poitrine à coups de pieds, vous piétiner, vous réduire en
fragments, vous faire disparaître. » Ici, l'on saisit sur le vif le
désir d'incorporation agressif suscité par la frustration imaginaire
puis la réaction anxieuse à cette introjection et la réjection
exaspérée qui l'accompagne : « A d'autres moments, je pense que vous
avez un bon sourire, peut-être avez-vous plaisir à me voir, peut-être
me trouvezvous intelligent, bien fait, et alors j'ai un sentiment de
tendresse immense envers vous, quelque chose de profond, de chaud, qui
me pousse à imaginer que je vais vous rencontrer dans la rue, j'aurais
plaisir à vous ressembler, je me vois volontiers dans un fauteuil comme
le vôtre, je m'imagine que vous m'embrassez, que ce qu'il y a dans
votre bouche passe dans la mienne comme quelque chose de précieux qui
me donne la vie. Je suis frappé de la transposition que je fais
continuellement de Geneviève à vous. » Il passe en effet au même moment
dans sa relation amoureuse par des oscillations extrêmement rapides
d'enthousiasme et de refus ; il craint toujours d'être dominé et
frustré et sa peur le poussant, témoigne d'un désir d'omnipotence
infantile tout à fait caractéristique ! Geneviève doit penser comme lui
à la même minute. C'est d'ailleurs dans une certaine mesure ce qui se
passe, ils ont les mêmes goûts, beaucoup d'opinions semblables, mais il
y a autre chose qui ne le satisfait pas, elle ne l'aime pas d'un amour
absolu au sens métaphysique du terme. C'est vrai, dit-il, tout est
relatif et je comprends la différence que vous faites entre l'absolu
humain et l'absolu que je souhaite, je suis un. enfant. C'est absurde,
je m'en rends bien compte mais je ne peux pas m'en empêcher, je suis
même jaloux de l'affection qu'elle porte à sa mère ; quand elle veut
rentrer chez elle, je m'efforce de la retenir par n'importe quel
procédé. Je suis saisi d'une rage folle, d'un besoin de violence
indescriptible. Cela m'étouffe, je gronde intérieurement, j'affecte un
air glacial... le même besoin que dans mon enfance de tout refuser
parce que l'on me contrarie en quoi que ce soit... c'est d'ailleurs la
même chose avec vous... Il fit à ce moment un rapprochement : « C'est
saisissant quand mes parents sortaient, et qu'ils me laissaient à mes
grands-parents, je devais avoir 2 ans. Je me rappelle encore de mes
colères quand je m'apercevais qu'ils étaient partis et que mon
grand-père m'avait trompé, je l'aurais tué si j'avais pu, c'est pour
cela que je suis irrésistiblement poussé à retenir Geneviève. » J'ai
assez insisté je pense sur l'extrême dépendance de ce sujet vis-à-vis
de moi comme de son amie, et je voudrais maintenant aborder un autre
aspect de ses relations d'objet : « Je me suis aperçu que je pouvais
sans angoisse toucher quelques parties du corps de Geneviève, par
contre j'ai plus ou moins senti confusément son sexe sous sa robe ;
immédiatement j'ai eu un sentiment analogue à celui que j'éprouvais
quand je pénétrais dans une zone dangereuse et qu'accompagnait l'idée
d'avoir la main ou le bras coupé. » Le corps de la jeune fille est donc
divisé en zones : non dangereuses dont on a le droit de jouir, et en
zones interdites dont le contact évoque un danger de castration ; j'ai
déjà noté que le corps du sujet lui-même est divisé de cette manière.
Au plus fort de sa maladie il avait imaginé que l'espace interdigital
entre son médius et son index gauche était une zone néfaste, et
lorsqu'il touchait cet espace de son index droit il devait « annuler »
ce geste ; cette zone qui se révéla être représentative du sexe féminin
peut prendre comme on le verra d'autres significations, tout le
processus aboutissant à réaliser un contact symbolique entre l'objet de
son désir et lui-même.
Un jour où il lui avait semblé que j'étais particulièrement de mauvaise
humeur, et où il s'était demandé quelle faute il avait bien pu
commettre envers moi, faute qu'il s'était représentée comme un acte
d'agressivité anale, il produisit le fantasme suivant : « Je sens tout
d'un coup ma main gauche gonfler », ce qui le fit penser à une
érection, mais il eut dans le même moment la pensée qu'il mordait à
pleine bouche dans une balle de caoutchouc mousse, ce qui par
association évoqua la boule brillante qu'enfant il voyait dans les
cafés et qu'il considérait comme un objet précieux, il en faisait un
attribut viril « les garçons de café (personnages ambigus puisque
nourriciers), s'en servent », de là il glissa sans savoir pourquoi au
coin d'une cour de leur deuxième habitation qui revient souvent dans
ses associations : « Cette main dit-il est une main de femme étrangère
à moi, et pourtant appartenant à mon corps et que je tiens tendrement
dans ma main. » A ce moment, il soutenait sa main gauche de sa main
droite ensuite il continua :
« C'est aux confins de la folie. » J'interprétais cette confusion comme
une survivance de l'époque où l'enfant différencie mal son corps de
celui de sa mère, il conclut alors : L'énorme boule, c'est le sein de
ma mère et mon autre main qui serrait tendrement cette main-boule,
c'est ma petite main d'enfant qui essaie de maîtriser l'énorme sein
d'où la sensation de mordre dans une balle de caoutchouc mousse ; l'on
saisit le rapprochement qui peut être fait entre ce fantasme et celui
de l'index droit pénétrant l'espace interdigital gauche : la petite
bouche phallique mordant le vagin féminin (HENDRICK) ; je n'attacherais
pas une grande valeur à cette interprétation si le sujet n'avait
spontanément ajouté : Étrange « je pétris le sein de Geneviève avec mes
doigts pour le faire entrer en moi, à travers ma peau, comme une
pommade. Posséder réellement une femme, c'est la faire pénétrer en soi,
l'incorporer, c'est cela l'amour, mais je suis toujours déçu ce n'est
qu'un rêve »...
Je ne poursuivrai pas l'énumération de ces fantaisies de division des
corps en zones comme celles de l'espace. En tout cas, en entendant un
tel malade, on ne peut s'empêcher de penser aux fantaisies de corps
composés dés analystes d'enfants.
Sans doute en écoutant ou en lisant cette observation, aurez-vous le
sentiment que le Moi de ce sujet est bien débile, et qu'un autre
diagnostic aurait pu être porté. Je vous rappellerai seulement qu'il
réagissait vigoureusement contre de telles impressions, et que tout un
système obsessionnel en assurait le contrôle et la maîtrise. Toujours
ce sujet a su considérer ces phénomènes comme morbides et les ressentir
comme des pensées étranges, des impressions bizarres. D'ailleurs
SCHILDER nous a familiarisé avec l'existence de phénomènes de
dépersonnalisation chez les obsédés, les plus authentiques. En
conclusion et pour en terminer avec ce moment de l'analyse, je dirai :
1) Que son Moi était certainement faible, mais non psychotique. Qu'il
connaissait des expériences de dépersonnalisation intéressant aussi
bien le monde externe que la perception de soi, que ces phénomènes
étaient devenus infiniment moins fréquents et d'une thématisation
beaucoup plus précisé, à la suite d'un long travail analytique qui
avait défait les mécanismes d'atténuation de la relation à distance en
familiarisant le sujet avec la véritable signification de cette
relation.
2) Que l'existence de tous ces fantasmes témoignait de la régression
massive de l'organisation pulsionnelle au stade sadique anal avec
visées d'incorporation particulièrement orales ; qu'à cause de la
faiblesse de son moi, ici plus particulièrement sensible, la « distance
» dans sa relation prenait un caractère de nécessité d'autant plus
aiguë, que du fait de la régression d'une part et de la projection de
l'autre, le rapprochement nécessaire ne pouvait qu'être esquissé.
Avant de vous relater les conséquences de l'établissement de relations
sexuelles dans ce couple, je voudrais rapporter un incident qui, à mon
sens, montre précisément cette sorte de correspondance qui s'établit
entre l'analyste et l'analysé dans un cas de ce genre, et que l'on
pourrait être tenté d'attribuer au pouvoir magique prêté au médecin par
le malade. En l'espèce je pense qu'il s'agit simplement d'un phénomène
relevant de l'identification toujours plus puissante depuis le fantasme
d'introjection du sein, puis du pénis, qui a marqué le début de cette
phase de l'analyse. Je faisais, pour la ne fois, remarquer à mon
patient qu'il utilisait toujours sa barrière magique, il me rétorqua
qu'il y avait longtemps qu'elle n'avait plus, pour lui, aucune
signification et je me rappelle que j'avais désigné du doigt les livres
qui, ce .jour-là, lui servaient de rempart et le lendemain sans
commentaire, il me dit qu'il avait pour la première fois touché le sexe
de la jeune fille et qu'il avait éprouvé une vive angoisse; je pense
qu'il avait touché la barrière, alors qu'à la séance précédente je
l'avais montrée du doigt. Il m'était facile de lui faire sentir toute
l'angoisse qu'il mettait entre Geneviève et lui et le travail
analytique progressait ; il eut avec elle une première expérience
sexuelle qui le déçut, d'autant plus qu'il s'aperçut qu'il sourirait
d'une éjaculation asthénique et qu'il avait la crainte d'avoir provoqué
une grossesse. Pour ne pas être tenté de commettre à nouveau la même
faute, il renonça à sa chambre d'étudiant ; je pus démonter les raisons
qu'il se donnait et lui prouver que réellement son angoisse enfantine
d'être dévoré par la femme était l'un des principaux motifs qu'il avait
de s'éloigner de Geneviève; quelque temps après il tenta une nouvelle
expérience qui eut les conséquences les plus importantes, quoique
transitoires en partie : « J'ai, dit-il, ressenti une impression de
puissance extraordinaire, j'avais et j'ai depuis un sentiment de
plénitude, de force, d'unité, de liberté, d'indépendance, je vis seul
dans l'appartement familial, j'ai dû, par suite du manque de
transports, faire 8 kilomètres à pied, dans un quartier mal famé, moi
qui avait toujours la hantise d'être attaqué, je n'avais plus peur, je
prenais des précautions normales en marchant au milieu de la chaussée,
c'est tout. Chez moi, il y a une place dans le couloir sur laquelle je
ne marchais pour rien au monde : l'impression, disons l'imagination,
que le cercueil de mon frère est toujours là et qu'une vapeur
tremblotante se dégage du sol ; je n'y ai même pas pensé ! » Il se sent
fort, puissant, gai : « Non pas de cette exaltation morbide ou presque
qui me prend par période, mais d'une tranquillité calme, solide,
Geneviève voyez-vous me paraissait indispensable et ma dépendance
vis-à-vis d'elle m'oppressait ; elle était, puisque je me croyais
absolument incapable de conquérir une autre femme, la preuve vivante de
mon infériorité, maintenant cette sorte de preuve absurde de ma
déchéance, que je trouvais en elle, a disparu; j'ai le sentiment que
toute la vie, toutes les femmes sont ouvertes devant moi et je pourrai
aimer Geneviève puisqu'elle n'est plus pour moi castratrice malgré
elle. » Il était tellement heureux d'avoir cette femme totalement,
complètement à lui dans un hôtel inconnu et il enchaînait : « J'ai la
certitude qu'enfant, à 4 ans, j'ai eu la même joie tumultueuse,
violente, féroce, quand je couchais seul avec ma mère dans cet hôtel
dont je vous ai parlé, je l'avais à moi, bien à moi ; je suppose que
j'ai couché dans son lit, en tout cas il y eut quelque chose de
formidable dans ma joie et mon orgueil, l'exaltation de ma puissance,
puisque je pourrais vous décrire cette pièce pourtant banale avec des
meubles quelconques, comme si j'en avais la photo sous les yeux.
Pendant toute mon enfance, elle a été le centre de toute une série
d'imaginations et de rêveries tirées d'un roman La main du diable.
Tiens ! je ne sais pourquoi j'ai mis ce titre sur un conte qui ne le
porte pas, toujours est-il qu'il y était question d'un vase qui
contenait un diablotin et qui conférait à celui qui le possédait, la
toute-puissance, seulement le dernier possesseur de ce vase est damné.
» Il me fait remarquer que, sans doute, ce qu'il cherche désespérément
dans ses voyages, c'est cette chambre et sa mère dedans (il est, en
effet, presque compulsivement poussé à partir à l'étranger dès qu'il a
un moment de liberté). Et il est particulièrement intéressé, bien qu'en
en ayant peur, par les quartiers louches où il trouve des marins qui
pourraient lui vendre un vase magique comme celui du conte. Au cours
des séances qui suivirent, la signification d'une de ses obsessions les
plus importantes apparut clairement : Celle de la division de l'espace
en zones ; j'y ai déjà fait allusion plusieurs fois, cette division
reposait sur un double déterminisme, la zone néfaste représentait sur
le plan prégénital anal celle d'où peut sortir quelque chose de mauvais
; sa signification génitale était en rapport avec le thème du
remplacement du père auprès de la mère : « Dans notre appartement de
X... il y avait deux couloirs à angle droit, tout comme devant notre
maison de campagne il y a deux routes qui se croisent. Enfant, je
m'imaginais par jeu que l'une des branches de l'X... était zone
dangereuse, mais plus enfant encore je situais la chambre de l'hôtel à
la place du cabinet de mon père dans la branche de la croix, faite par
les couloirs, qui correspondait à la situation de la zone dangereuse à
la croisée des chemins. » Il marquait ainsi très précisément son' désir
de remplacer son père doublement auprès de sa mère et sur le plan
professionnel.
J'ai fait le récit de ces séances pour montrer combien la solidité
qu'il se sentait s'accompagnait d'un effondrement des résistances, tout
devenait clair, prenait sa place et ceci dans un contexte émotionnel
vigoureux. Maintenant la symptomatologie obsessionnelle était éclairée,
un souvenir de l'âge de 2 ans m'apporta en effet la clef de l'obsession
du recommencement, réaction à la frustration intolérable : ce qui passe
ne reviendra jamais. Le voici : « Enfant, tout petit, mal assuré sur
mes jambes, j'entrais dans la salle à manger et j'entendis à la T. S.
F. un air qui me remplit de ravissement, à ce moment quelqu'un tourna
le bouton, l'air s'en alla ; j'eus une crise de désespoir, on le
rechercha et on ne le retrouva jamais. Depuis, j'ai une atroce
tristesse devant les choses qui vont finir, mon obsession de
recommencement, de retour en arrière doit prendre ici son origine. »
J'aurais beaucoup d'autres choses à rapporter, mais puisque cette
observation n'a pour but que de démontrer les inter-relations entre
l'état du Moi d'un sujet donné, l'équilibre pulsionnel et les
manifestations obsessionnelles, je ferai simplement remarquer ceci :
c'est qu'à partir de ce deuxième pas qui consista en l'apparition de
relations libidinales adultes, comme on l'a sans doute remarqué : «
Maintenant, je pourrai aimer Geneviève. » Et comme on le verra plus
loin, la cohérence du Moi s'est progressivement renforcée et le système
obsessionnel a, de plus en plus, perdu de son importance pour
disparaître complètement.
Ces trois aspects de la personnalité morbide : déficience du Moi,
régression pulsionnelle, archaïsme des relations d'objet, m'ont paru
liés entre eux par une relation rigoureusement constante. Je ne veux
pas dire pour autant que le degré de structuration du Moi dépende
absolument de la formule pulsionnelle ; ce que j'ai dit au chapitre II
de cet exposé serait la démonstration du contraire, puisqu'un équilibre
pulsionnel perturbé correspond, chez Pierre, à un Moi qui, malgré ses
limitations, est incontestablement mieux structuré que celui de ce
dernier malade, FEDERN d'ailleurs a bien insisté sur le fait que l'état
du Moi est, partiellement du moins, indépendant du degré de régression
des pulsions, ce que je veux dire seulement : c'est que chez le même
sujet, le Moi s'affermit et se différencie parallèlement à
l'établissement de relations libidinales normales et que le système de
relations obsessionnelles qui n'est qu'une suppléance disparaît ou tend
à disparaître en fonction même de l'installation de relations
libidinales plus évoluées.
Je ne voudrais pas que l'on puisse tirer du protocole de ce fragment
d'analyse le sentiment que tout fut fini et qu'une catharsis
spectaculaire intervint. Ce fut une crise comme la première, un
deuxième grand pas simplement. Si, à la séance suivante, le malade
m'apporta un rêve tout à fait oedipien où je redevenais, de personnage
phallique que j'avais été de façon prédominante pendant cette phase, un
rival détesté et vaincu, il devait continuer à connaître les
difficultés que l'on devine et à apprécier par lui-même, de façon quasi
expérimentale, les désordres que peuvent déterminer sur un Moi fragile
encore une agressivité frustratrice.
En attendant, il était profondément heureux, beaucoup plus stable,
exerçait son agressivité de façon coordonnée au dehors, savait tenir
tête à divers personnages masculins dans la vie courante, et « étala »,
de façon beaucoup plus adéquate mais encore grâce à un certain
subterfuge dont il avait depuis longtemps le secret, cette épreuve
redoutable, entre toutes pour son narcissisme, qu'était le concours.
Sur le plan psychosexuel, son éjaculation asthénique avait disparu
lorsqu'à la suite d'un rêve de castration, j'avais pu lui en faire
connaître la signification, la crainte de blesser la femme.
Les épreuves du concours : il les passa sans angoisse, mais en
utilisant un procédé qui m'a paru très souvent-employé par les obsédés
pour faire face à certaines épreuves sociales : Prendre
artificiellement une position désintéressée à l'endroit de la dite
épreuve, ce qu'il fit et ce dont il comprit le sens ; il n'en reste pas
moins que quelle que fut la valeur relative de son comportement, il put
concourir avec sa liberté d'esprit habituelle et remettre des copies
cohérentes qui n'avaient que le défaut de témoigner d'une préparation
insuffisante, il saisit fort bien le paradoxe qu'il y avait à se donner
comme preuve de sa virilité le fait d'être reçu, après s'être donné
antérieurement comme preuve de cette même virilité, le fait même de ne
pas préparer son concours. Aussi il accepta l'échec avec beaucoup
d'objectivité.
Mais pendant les dernières semaines qui précédèrent les épreuves, il se
sentait dans un état d'exaspération et de violence sans précédent : «
Je hais le monde entier, disait-il, j'ai envie de tout détruire », et
il fit porter le poids de son animosité sur Geneviève et sur moi, et
voici ce qui nous intéresse le plus dans l'ordre des relations d'objet
et de la cohérence du Moi : « J'ai fait une constatation curieuse, vous
vous rappelez combien j'avais le pouvoir de ressentir instantanément
sur moi-même le coup qui frappait un personnage dans un film par
exemple ou la violence que me suggérait une lecture, cela en était venu
à un tel point que j'avais renoncé à voir un film quelque peu
dramatique, c'était une pensée, une sensation peut-être résultant d'une
contraction automatique de mes muscles : or j'ai vu deux films, tous
deux suggestifs. Pour voir le premier, j'étais en compagnie de
Geneviève, j'étais très intéressé par le spectacle, j'avais un
sentiment de pitié pour les malheureux que l'on martyrisait, mais
quelle que fut ma. participation émotionnelle, cela m'était
complètement étranger, je veux dire étranger à mon Moi. J'ai vu un
deuxième film, un autre jour, où j'étais seul parce que j'avais décidé
de punir Geneviève en refusant de sortir avec elle, j'avais accumulé
dans cette soirée ce que je pouvais faire de plus intéressant, de
manière à provoquer son dépit, quand j'ai assisté à ce film, j'ai
ressenti comme autrefois cette identification instantanée au héros
malheureux avec une différence toutefois c'est que cette sensation
n'éveillait plus en moi le malaise qui l'accompagnait habituellement,
je ressentais le coup qui le frappait, mais cela n'avait que la valeur
d'un phénomène curieux, je n'éprouvais plus le besoin d'annuler et j'ai
pensé que je devenais l'homme qui souffre par besoin d'auto-punition. »
Il me parla longuement, en faisant un rapprochement, des fantaisies
masochiques de son enfance en punition érotisée, des désirs de mort
qu'il avait vis-à-vis de son père. Je pense qu'il avait en partie
raison en ce sens que dans les fantasmes auxquels il faisait allusion,
et qui étaient très fortement érotisés comme je l'ai dit, son sentiment
de soi n'était nullement défaillant et bien au contraire très
violemment exalté, mais qu'il avait tort, par ailleurs, dans la mesure
où ce phénomène d'identification passive et très rapide était voisin de
ses obsessions de castration, qu'il éprouvait le besoin d'annuler
immédiatement, ce qui voulait dire que son sentiment de soi y était en
péril.
Toujours est-il que ce phénomène mixte ici, prouvait encore que la
régression agressive temporaire entraînait un trouble dans
l'organisation de son Moi, tout en n'altérant plus son sentiment
général de lui-même, ce qui était un progrès important !
D'ailleurs, il fut « collé » et voyant la peine de Geneviève, il se
sentit aimé, et se confirma chez lui le sentiment de l'autre en temps
que tel. Il fut saisi de pitié, d'un besoin immense de protection, d'un
désir de donner et de soulager qui n'avait rien d'une obligation mais
tous les caractères d'un courant libidinal riche et profond. Dans le
même temps, il liquidait avec moi la peur que je lui inspirais encore
du fait» des désirs incestueux qu'il avait transférés sur un couple
dont j'aurais fait partie. Le processus d'identification génitale se
poursuivait.
Je ne voudrais pas tirer de conclusions prématurées de cette évolution.
J'ai simplement rapporté ce fragment d'analyse de préférence à
d'autres, dont je suis sûr que la guérison reste acquise depuis
plusieurs années, parce que j'ai pu y suivre au jour le jour
l'évolution des relations d'objet, et les ai vues changer de qualité :
de narcissiques et partielles qu'elles étaient au début elles ont
tendance à devenir globales et adultes.
Même au plein de l'OEdipe, elles furent toujours marquées d'une intense
fixation. Il réagit à la crainte d'une castration, résultant avant tout
de cette même fixation, puisqu'aussi bien plus que la crainte du père
ou de son substitut (grand-père) ce fut celle de la mère qui compta.
Au cours de l'analyse, ces relations purent s'exprimer progressivement
dans des rapports concrets, tant et si bien qu'elles semblent perdre
leur caractère archaïque pour devenir des relations génitales au sens
plein du terme. Cette évolution ne fut possible qu'à cause du caractère
très modéré de la frustration qu'il y rencontra.
Les satisfactions libidinales qu'il reçut fortifièrent considérablement
son Moi-Actuellement, il n'est plus question de ces grands états de
dépersonnalisation qu'il connut, par ailleurs il n'a plus d'obsession
depuis longtemps, mais surtout, je pense que le système obsessionnel
lui-même ne se montrera plus nécessaire et sera remplacé définitivement
par un autre ordre de relations d'objet (1).
VI QUELQUES CONSIDÉRATIONS THÉRAPEUTIQUES
Me voici arrivé au terme de ce long travail, et sans doute vous
demandez-vous quel intérêt pratique s'attache à cette tentative de
rechercher l'expression clinique d'une synthèse des résultats, des
études anciennes et contemporaines sur la relation d'objet dans la
névrose obsessionnelle d'une part, et d'autre part de ceux des travaux
d'inspiration structuraliste. Car s'il n'est pas sans portée de
constater qu'en parlant de deux points de vue aussi différents que
celui de l'évolution pulsionnelle et celui de la structure d'une
personnalité morbide l'on arrive à une convergence telle qu'une
proposition simple puisse être avancée à savoir que la structure du
Moi, d'un sujet donné, est fonction de celle de ses relations d'objet,
et que dans une certaine limite s'entend, tout n'est qu'interjeu au
sens le plus littéral du terme entre le sujet et le monde, il n'en
reste pas moins que de la notion de relation à distance, expression
clinique de cette synthèse quelque inférence pratique doit se dégager.
(1) Lors de la correction des épreuves de ce texte, j'ai appris que ce
sujet dont l'analyse était, à ce moment, terminée depuis plusieurs
mois, était toujours « parfaitement bien » et venait d'être reçu parmi
les tout premiers au concours d'une de nos grandes Écoles.
Je pense qu'hormis tout ce qu'elle nous donne comme significations des
relations de transfert, elle nous en apporte au moins deux qui ne sont
d'ailleurs que le corollaire des dites significations :
Elles visent l'attitude générale de l'analyste, le dosage des
frustrations, et comme tout se tient on pourrait les formuler en ces
quelques mots : L'importance de la compréhension.
J'avoue que je suis très gêné dans cette partie de mon exposé car ce
que j'ai à dire est familier à chacun et beaucoup d'entre vous seraient
plus habilités que moi à parler d'un tel sujet, mais puisque j'ai pris
la charge d'en noter tous les aspects, je me hasarderai donc à en
aborder le côté thérapeutique.
Si l'on veut se souvenir que l'obsédé dans l'analyse est tout orienté
précisément par la nécessité d'une relation à distance et que l'on
veuille bien prendre en considération qu'il est, dans le silence et
dans son for intérieur, rendu plus sensible qu'un autre par
l'étroitesse de sa dépendance même à toute frustration réelle, l'on
comprendra peut-être mieux la raison de certains échecs du colloque
analytique.
Si le médecin se rapproche, le sujet prendra de la distance tant qu'il
n'aura pu faire l'expérience de l'irréalité de sa peur, si le médecin
se dérobe et il y a tant de façons de se dérober, le mieux que l'on
puisse attendre, c'est que le sujet frustré d'un contact réel aggrave
ses procédures obsessionnelles au sens très large du terme, qu'il
s'agisse d'obsessions vraies ou d'une neutralité affective
réactionnelle. C'est ainsi que le sujet réagit toujours en s'éloignant,
chaque fois qu'en temps inopportun, sans parler même de tentative de
séduction, car l'on devine aisément quel sens elles auront pour lui,
l'on s'efforce simplement de le déculpabiliser en prenant l'initiative.
Quelqu'effet apaisant que puissent avoir à un niveau très superficiel
de son organisation psychique, des paroles rassurantes, elles n'en
auront pas moins la valeur d'une proposition dangereuse pour l'obsédé.
Ici ce qui compte c'est le mouvement du médecin vers son patient, ce
mouvement est toujours ressenti comme une attaque, tout au moins par un
côté en raison de la projection préalable de l'imago phallique sur le
thérapeute. Bien d'autres causes interviennent dans ce recul,
surdéterminé comme on l'imagine : Interdictions, masochisme, sadisme,
mais je les considère comme secondaires en regard de la peur. Les
choses se présentent différemment quand le malade va vers son
interlocuteur, et il n'est pas de bonne politique d'opposer une
apparente incompréhension systématique aux demandes de réassurance ; je
ne -veux pas dire par là d'ailleurs qu'il faille promettre ou rassurer,
mais je crois qu'il n'est pas judicieux de garder le silence. Nous
avons en effet un moyen, d'éviter tout aussi bien d'entrer dans le jeu
du malade sans le lui rendre clairement compréhensible que de le
frustrer sans lui apporter le témoignage de notre compréhension
générale de ses particularités et de ses besoins, et ce moyen c'est
l'interprétation. Mais avant d'aller plus loin, je voudrais insister un
peu sur le second aspect de la relation de l'obsédé à son médecin : Le
besoin qu'il a de sa présence effective. Il est évidemment hors
question que le sujet ne reçoive pas toute l'attention qu'il est en
droit d'attendre, mais ce que je voudrais noter ici c'est son extrême
sensibilité à l'état intérieur de son partenaire ; les moindres
variations de comportement lui sont immédiatement sensibles et je ne
pense ici qu'à celles auxquelles personne, sauf lui et des
paranoïaques, ne songeraient à donner une signification quelconque et
j'irai même plus loin : dans certaines circonstances, le sujet fait
preuve d'une véritable divination ; il perçoit très exactement ce qui
se passe dans l'esprit de son interlocuteur, même si celui-ci est assez
,disponible pour lui donner tout ce qu'il lui doit, le moindre état de
fatigue, de préoccupation lui est perceptible et bien entendu lui sert
à nourrir sa projection. C'est dire combien ils sont sensibles aux
moindres variations du contre-transfert.
Je crois qu'ici la représentation exacte de la situation que donne
cette notion de distance peut aider le thérapeute à éviter un
contretransfert inadéquat en lui permettant d'apprécier à leur juste
valeur, les hésitations, les fuites, les comportements paradoxaux de
ces sujets, qui sur le point de s'abandonner à la confidence la plus
sincère, se réfugient dans une attitude d'indifférence affectée, qui
sollicitent des conseils qu'ils ne peuvent suivre et qui manifestent
sans cesse des « bonnes volontés » qui vont dans le sens opposé de ce
qu'ils semblent souhaiter. Mais il est vrai que la situation est
habituellement encore plus complexe que ce que j'en dis, puisque leurs
attitudes sont tout autant conscientes qu'inconscientes et que
l'imputation de mauvaise volonté viendrait bien souvent aux lèvres si
l'on perdait de vue tout ce que représente pour eux un rapprochement
complet.
Ils sont véritablement à l'affût de tout ce qui peut leur être un écho
du sentiment qu'ils ont, que l'autre est mauvais, dangereux, qu'il peut
à chaque instant se dévoiler sous son vrai jour, que son accueil même
est la marque de son impérieux désir de possession destructrice et leur
sentiment est si fort que quand ils sont absolument sincères, ils
avouent qu'ils se font de leur médecin une image ambiguë qui s'impose à
eux, au delà de tous les raisonnements qu'ils peuvent se faire et de
toutes les assurances rationnelles qu'ils peuvent se donner. L'on est
véritablement stupéfaits de la vigueur de ces projections qui
entraînent, dans les cas les plus accentués, des certitudes quasi
délirantes, ce qui a pu faire dire, à juste titre, que la partie
régressive de leur Moi se comportait comme un Moi psychotique et l'on
peut être assuré que ce qu'il y a de rationnel en eux joue un rôle bien
faible, quoique essentiel dans leurs échanges avec l'objet quand
celui-ci devient significatif : cette partie rationnelle de leur Moi
leur sert en effet à justifier à leurs yeux le bien-fondé de leur
démarche, à s'affirmer qu'ils ont raison d'attendre quelque chose et
que l'autre auquel ils s'adressent n'est pas seulement destructeur, et
c'est précisément cette aptitude si faible à une objectivité relative
qui adoucit la violence de leurs projections agressives, qu'il convient
de respecter avec le plus grand soin. Aucune affirmation ne saurait
jamais remplacer l'expérience qu'ils vivent profondément : de se
sentir, de se croire compris, il y a en eux à la fois tellement peu de
possibilités réelles de croire qu'ils ont affaire à un personnage
bienveillant et une tendance si puissante à saisir la moindre nuance de
l'agacement ou de l'indifférence même intérieure qu'il faut à tout prix
qu'ils aient l'expérience répétée d'une compréhension totale.
C'est à mon sens la seule condition dans laquelle sera assumé ce rôle
de miroir que FREUD assigne à l'analyste ; ils y verront se refléter
leur propre image agressive qu'ils considéreront d'abord comme
étrangère, puis ils en prendront la mesure, et ainsi domineront les
anxiétés de talion qui s'opposaient à ce qu'elles soient intégrées dans
l'ensemble de leur Je, de leur Moi suivant la terminologie classique :
« L'autre est comme moi et je suis comme lui » tel est, je pense, le
ressort « de cette désaliénation où LACAN voit le fruit propre du
Working Through analytique en tant que le sujet par l'analyse des
résistances est sans cesse renvoyé à la construction narcissique de son
Moi où il peut reconnaître à la fois son oeuvre et ce pourquoi il en a
été l'artisan : C'est-à-dire cette peur dont il peut se dire enfin : «
Lui, ne l'éprouve pas, ni de moi ni de lui-même. »
LACAN ajoute que : « C'est à cet autre enfin découvert, que le sujet
pourra faire reconnaître son désir en un acte pacifique qui à la fois
exige cet autre et constitue l'objet d'un don authentique... »
Par contre, si le sujet sent intuitivement que l'objet est hostile et
se retranche, il s'effraiera encore davantage d'un contact direct, leur
relation restera toujours aussi étroite mais son devenir sera
diamétralement opposé. Au lieu de servir dé point de départ, elle
deviendra une occasion d'arrêt.
Le transfert n'offrira plus au sujet l'objet narcissique indispensable
à sa sécurité. La frustration affective réelle exaspérera les tensions
agressives, l'objet du désir d'introjection en sera violemment investi
et les introjections seront génératrices d'anxiété et donneront lieu à
toutes ces manifestations de réjection sadique bien connues. Le senti--
ment que le sujet a de lui-même sera compromis et les conséquences de
la frustration sur la cohérence du Moi se feront, dans les cas où il
existe des troubles manifestes de sa structuration, durement sentir, ce
qui à son tour ne fera qu'aggraver l'incapacité du sujet à faire face à
ses projections terrifiantes.
Sans doute est-il nécessaire que le sujet puisse pleinement développer
ses projections et les surmonter, mais encore faut-il qu'il lui reste
une possibilité d'en sentir le caractère imaginaire et comme je l'ai
écrit plus haut, elle n'est pas naturellement bien grande et si le
contre-transfert est si aisément perçu, le danger dès qu'il n'est pas
tout à fait satisfaisant, qu'elle s'oblitère complètement, lui, est
grand.
Quant au dosage de la frustration, il me semble poser des problèmes
surtout dans la mesure où le contrertransfert n'a pas la qualité
désirable du fait d'une relative incompréhension de la situation,
génératrice elle-même de réactions affectives d'opposition plus ou
moins, conscientes chez l'analyste, une appréciation insuffisamment
exacte de la signification du transfert pouvant par ailleurs entraîner
des interprétations fausses, qui constituent en elles-mêmes une
véritable frustration puisqu'aussi bien le sujet a immédiatement le
sentiment de ne pas être compris.
Et ce sont ces frustrations-là, je veux dire, les frustrations
affectives de l'incompréhension qui comptent vraiment, je n'ai jamais
eu beaucoup de difficultés à faire accepter à mes malades les rigueurs
de la discipline analytique dans tout ce qui regarde le protocole de la
cure. Tout au contraire, l'exactitude avec laquelle sont maintenues les
dispositions arrêtées au début donnent à ces malades un sentiment de
sécurité, ils craignent plus que tout de voir leur analyste faiblir en
quelque mesure car alors il n'est plus ce personnage fort qu'ils
cherchent, leur relation avec lui perd tout son sens, ils ne trouvent
plus en lui l'appui narcissique dont ils ont tant besoin ; on leur a
infligé malgré les apparences la frustration la plus grave qu'ils
puissent ressentir : les priver d'un appui solide et intangible.
Par contre, ils sont très sensibles à une autre frustration, celle du
silence et c'est pour cela que j'ai dès le début insisté sur la
nécessité de leur apporter quelque chose, BERGLERG, dans une longue
étude d'ensemble consacrée aux malades souffrant des conséquences d'une
frustration orale, appuie sur la nécessité, dans une première phase du
traitement, de leur donner beaucoup. Je ne crois pas qu'il faille,
comme il semble l'indiquer, parler à tout prix, mais je pense par
contre qu'il convient d'apporter une grande attention à ne pas
méconnaître leur besoin de contact, non seulement parce que reste
toujours en suspens l'éventualité d'un syndrome obsessionnel
symptomatique, mais surtout parce qu'il n'y a nul intérêt à les laisser
s'enfoncer dans une technique de distance, où ils trouveront le moyen
de se satisfaire indirectement de leur commerce avec l'analyste, en
palliant aux frustrations que l'on croira nécessaire de leur faire
supporter, car alors se dérouleraient ces séances monotones où rien ne
bouge jusqu'au jour, où lassé, le médecin aura à dominer ce
contre-transfert si compréhensible mais si néfaste dont je parlais plus
haut ; je pense qu'une analyse serrée et précise du transfert obvie à
cet inconvénient et que son interprétation juste reste le plus sûr
moyen d'éviter toutes les difficultés que l'on côtoie dans un
traitement de ce genre. C'est la raison pour laquelle j'ai plus
particulièrement insisté autrefois sur la. détection précoce des
manifestations homosexuelles chez les hommes et des désirs de
castration chez les femmes, manifestations qui introduisent les désirs
d'incorporation chez les uns et chez les autres ; je me suis toujours
bien trouvé de laisser ces fantaisies d'incorporation se développer
librement pendant un temps assez long en m'efforçant d'amener le sujet
à leur donner leur pleine signification affective. Il semble que de
leur libre exercice résulte une sorte de maturation pulsionnelle, comme
si leur expression verbale et émotionnelle permettait la reprise d'une
évolution qui s'était trouvée bloquée.
Par ailleurs, je crois qu'il est nécessaire de les interpréter, dans le
sens général du transfert, au moment où elles se produisent, sans
insister systématiquement sur leur ambivalence. Il est bien certain
qu'elles sont ambivalentes, mais il est non moins évident que
l'investissement affectif dominant dont elles sont chargées est de
signe variable selon les circonstances et que saisir toute la
signification de leur charge émotionnelle est pour le sujet une
expérience cruciale qui n'est pleinement vécue qu'à condition de mettre
l'accent sur la signification qu'elles ont à un moment donné par
exemple, en fonction d'une impression de frustration.
En matière de névrose obsessionnelle les mots de neutralité
bienveillante prennent une signification toute particulière, si vous
avez bien voulu me suivre dans la description que j'ai tenté de leurs
relations d'objet, avec eux, il faut plus que partout ailleurs rester
neutre pour ne pas les effrayer et leur donner l'occasion de surmonter
pleinement l'identification archaïque, qu'ils n'ont pu dépasser, en
leur permettant dé la projeter toute entière sur l'analyste et être
aussi bienveillant pour saisir toujours ce qui fait leur dilemme et les
aider à le vaincre.
Mais il arrive un moment, et c'est là-dessus que je terminerai, où l'on
doit intensifier cette action médiatrice dont la fonction a été dévolue
par le sujet à son objet d'identification (LACAN). Je pense qu'il ne
convient de le faire qu'à partir du moment où les premières
identifications franchies, le sujet songe à imiter les conduites
adultes de son modèle ; là encore les interprétations correctes sont
nécessaires et suffisantes. Il n'est pas plus nécessaire de formuler
des conseils que d'imposer des consignes, il suffit d'analyser dans les
situations triangulaires nouvelles ou vécues, de façon nouvelle, que
l'évolution des relations d'objet ne peut manquer d'amener, les
aspirations et les craintes dissimulées du sujet, ce dont
personnellement je m'abstiens en règle générale tant que les
significations de la situation de transfert ne se sont pas complètement
éclaircies et qu'une évolution préalable ne s'est pas produite, pour
éviter précisément que le sujet n'en profite pour déplacer le centre de
gravité de l'analyse sur des relations réelles grâce à quoi il arrivera
à manifester indirectement son transfert en évitant le « Rapproché »
qu'il craint et pourtant vers lequel il tend nécessairement. Je crois
que l'accès à de nouvelles et substantielles relations d'objet de type
adulte est la seule garantie contre une rechute tout comme les
relations de type obsessionnel étaient le seul garant contre
l'effondrement psychotique. Le Moi s'affermissant dé plus en plus, le
sentiment de soi allant se confirmant sans cesse, le sujet peut nouer
des relations d'objet pleines et entières dont l'exercice à son tour
confirme la personnalité dans sa plénitude et comme je l'ai déjà écrit,
c'est là seulement que l'on peut parler d'une amélioration réelle, les
identifications génitales résiduelles se dissocient lentement et le
sujet peut accéder à une vie vraiment individuelle qui ne soit pas
l'expression d'une défense mais celle d'un libre exercice.
CONCLUSIONS
Il me reste à condenser en quelques lignes les conclusions que je crois
pouvoir dégager de cette étude, et que j'ai d'ailleurs déjà formulées
au fur et à mesure que j'avançais dans ce rapport.
I° De l'ensemble des travaux consacrés à la névrose obsessionnelle ces
dernières années, découle la notion de l'importance primordiale pour un
sujet donné, qui n'a pu accéder à un autre type plus évolué de
relations objectales de la « technique obsessionnelle », cette
technique assurant une relation stable du sujet aux objets ;
2° De l'étude clinique du Moi, sous l'angle de la notion communément
admise de sa force ou de sa faiblesse en fonction des critères
pratiques d'adaptabilité, se dégage la notion de l'atteinte du Moi dans
son ensemble au cours de cette affection, les relations objectales
étant profondément troublées dans tous les cas ;
3° J'ai essayé ensuite de caractériser aussi exactement que possible :
la relation d'objet obsessionnelle, je me suis efforcé de montrer la
nécessité de son maintien tout aussi bien que l'impossibilité
fondamentale de la réalisation du désir qui la sous-tend, et sa
stabilisation dans une solution de compromis : la distance ;
4° Cette situation dans certains cas peut et doit évoluer, le sujet
renonçant progressivement à employer les moyens qui lui permettaient de
maintenir la distance convenable entre lui et son objet d'amour.
J'ai insisté sur les états émotionnels qui accompagnent les relations
devenues intimes entre le sujet et l'objet qui indiquent le sens dans
lequel évoluent ces relations et sur la résolution finale du dilemme
obsessionnel, par l'instauration, dans les cas heureux, d'une
identification, point de départ de nouvelles identifications plus
évoluées. J'ai rapporté l'observation que vous avez lue pour illustrer
par un exemple clinique l'évolution tout aussi bien des relations
objectales que de la formule pulsionnelle et de l'état du Moi.
Enfin, je me suis permis de vous présenter quelques considérations
thérapeutiques, qui m'ont paru s'appuyer précisément sur l'analyse
relationnelle que j'ai essayée.
Je m'excuse de ce long exposé que j'aurai voulu plus vivant et plus
original car, en fin de compte, ce que j'ai décrit n'est qu'une
variation, sur des thèmes qui vous sont familiers.
Il y a cependant un point sur lequel je voudrais encore attirer
l'attention; j'ai le sentiment que de considérer sous cet angle général
la structure des relations objectales de la névrose obsessionnelle,
peut nous aider à comprendre mieux le sens et la portée du dialogue que
ces sujets s'efforcent d'engager avec nous. J'ai été frappé au moment
où j'écrivais ces conclusions de trouver sous la plume d'une analyste,
qui traitait des indications de la thérapeutique analytique dans la
névrose obsessionnelle, cette affirmation répétée que : le pronostic
était fonction de leur capacité à grandir — car il s'agit bien de cela
en effet : Il faut qu'ils grandissent c'est-à-dire qu'ils changent
radicalement leur manière de voir le monde. Plus que d'autres, gênés
seulement par des sentiments de culpabilité qui nous sont familiers
dans leur intimité, leur modalité, ils ont à parcourir un long chemin
car la structure de leurs rapports réels, significatifs est à ce point
archaïque, qu'aucune possibilité d'épanouissement ne leur est donnée.
Comme le dit FREUD : « Il est probable que c'est le rapport
d'ambivalence dans lequel est entrée la pulsion sadique qui rend
possible tout le processus ; l'ambivalence, qui avait permis le
refoulement par formation réactionnelle est justement le lieu par où
s'opère le retour du refoulé. C'est pourquoi le travail de refoulement
dans la névrose obsessionnelle se traduit par une lutte qui ne peut
connaître ni succès ni conclusion.
Si nous ne perdons jamais de vue qu'à la fois, leur agressivité exprime
autant d'amour que de haine, et que par la projection ils éprouvent
l'autre, comme ils sont, et que malgré leur grand besoin, ils en ont
peur, je pense que nous pourrons mieux les comprendre et les aider à
grandir, dans les limites où des facteurs innés ne s'y opposent pas.
Deux questions auraient dû trouver une réponse dans ce rapport, la
première est celle des indications du traitement analytique, l'autre a
trait à la possibilité d'un clivage dans le groupe des névroses
obsessionnelles.
J'ai essayé de trouver à la première une réponse, en décrivant les deux
types d'homosexualité que l'on y rencontre.
Quant à la seconde, elle ne me paraît pas susceptible d'une solution
d'ensemble, comme pour les traumatismes c'est affaire de cas
particuliers. Là encore la considération de l'aspect relationnel du
problème nous permet une compréhension plus exacte, si nous admettons
que l'obsédé oscille sans cesse entre des introjections et des
projections angoissantes, il nous est facile de comprendre qu'il existe
des cas, où de la prédominance de l'un de ces deux mécanismes dérivent
des traits dépressifs ou des attitudes paranoïaques ou paranoïdes de
même que, ce que nous savons sur l'amour partiel nous fait comprendre
les formes mixtes de perversions et d'obsessions ou de toxicomanie et
d'obsessions.
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Intervention de Mme MARIE BONAPARTE
Mme Marie Bonaparte rappelle qu'à diverses reprises Freud lui exprima
son opinion que les névrosés obsessionnels auraient manifesté dans
l'enfance une maturation du moi plus précoce que celle de la libido.
Comment concilier ce point de vue avec le concept d'un moi faible dans
cette névrose ?
Plus tard, dans la discussion des instincts de mort, Mme Marie
Bonaparte dit que Freud, chez qui elle se rendit plusieurs semaines ou
mois pendant une douzaine d'années, fit toute son analyse sans faire
une seule fois allusion aux instincts de mort, sinon pour des
discussions théoriques.
Intervention du Dr HELD
Nous avons été frappés à différentes reprises et depuis un certain
nombre de mois par le fait suivant : En dehors des faits ressortissant
à la médecine psychosomatique proprement dite, en dehors des «
balancements » qui se font parfois entre névrose et maladie organique
(par exemple une névrose obsessionnelle et une tuberculose pulmonaire)
il nous a semblé que certains symptômes, singulièrement dans le domaine
des voies digestives, permettaient au patient de garder avec le médecin
et avec autrui la possibilité de contacts rapprochés. Que si l'on «
attaquait » ces symptômes d'une manière ou d'une autre, en cas de
réussite même partielle, apparaissaient dans certains cas des
mécanismes de défense obsessionnels. En somme, au fur et à mesure que
le malade devenait un « patient », et le médecin un analyste, le
premier se trouvait amené malgré lui à user envers le second — comme
envers autrui dans la réalité extérieure — d'une technique
obsessionnelle de « relation à distance ». Par exemple : Un monsieur de
35 ans, avec qui un contact excellent est établi immédiatement sous le
signe de la maladie organique, veut prendre la fuite quand on parle de
névrose dissimulée derrière un syndrome douloureux épigastrique ayant
résisté à tous les traitements et au sujet duquel le diagnostic ne peut
être posé avec certitude. On discerne alors des traits évidents de «
caractère obsessionnel ». Ceci certes est très banal. Voici qui, à
notre connaissance, paraît l'être moins. Un jeune homme de 28 ans nous
est adressé pour troubles digestifs de caractère indéterminé, avec
symptômes vagues tels que subictère léger, langue saburrhale, douleurs
épigastriques, tous symptômes calmés par l'absorption de, nourriture.
Un contexte anxieux se dessine lors des entretiens suivants. Il y a
certes un sentiment global d'insatisfaction dans l'existence ; mais les
études, la vie sexuelle, les relations avec autrui paraissent
moyennement bonnes et troublées surtout par les malaises digestifs. On
relève dans l'enfance une naissance prématurée, un séjour en couveuse,
des lavages gastriques, etc.
Après une série d'entretiens disons psychosomatiques, avec tout ce que
cette psychothérapie a parfois de fluide et de décevant, nous décidons
devant la persistance des troubles, de faire passer le patient du
fauteuil sur le divan, et la technique du « tête à tête » fait place à
une technique analytique rigoureuse. Nous avions éliminé auparavant un
diagnostic de psychose hypocondriaque malgré quelques fantasmes de «
ver rongeant l'estomac » qui nous avaient temporairement inquiétés.
Après le déroulement classique des premières séances, si bien décrit
par Bouvet dans son beau rapport et sur lequel nous n'insisterons pas,
se manifesta une régression d'une intensité peu ordinaire. Tandis que
s'extériorisaient tous les symptômes d'une névrose obsessionnelle, que
notre patient mettait en jeu la technique la plus savante de relation à
distance (jusqu'à se poudrer les mains de talc avant de nous donner une
poignée de main, etc.) se constitua une situation que j'appellerai
volontiers « Repas de Tantale » et que Bouvet nous a également décrite.
L'analyste est pour le patient une nourriture vague, diffuse, un «
plasma » vital qui va l'apaiser et lui. donner la vie. Comme il ne peut
l'absorber, sa fureur croît à chaque séance. Cette envie de me tuer
provoquait ici une angoisse épouvantable, car, me disait mon malade «
nous sommes comme deux frères siamois, en vous tuant je meurs... ».
Il semble évident que la névrose obsessionnelle de ce jeune homme ait
été camouflée depuis des années sous les symptômes digestifs auxquels
elle est symboliquement si apparentée, tant sur le mode oral que
sadique anal Sous le couvert de ces symptômes, ce patient (et plusieurs
autres que depuis, et à la lueur de ce cas privilégié, nous avons
étudiés à l'hôpital) pouvait se rapprocher des siens, de ses amis, de
ses médecins. Ce faisant, il satisfaisait à la fois à ses tendances
agressives en leur fourrant sous le nez son « incurabilité » et aussi à
ses désirs narcissiques d'être palpé, soigné, dorloté, de toutes les
manières par une famille inquiète ou par de nombreux spécialistes
successivement consultés.
Nous pensons que certains malades vus uniquement par des médecins de
médecine générale ressortissent à cette catégorie de névrosés
obsessionnels, camouflant leur technique de relation à distance sous le
« rapproché » de l'examen du symptôme physique. Il y a là un aspect
particulier de la médecine psychosomatique qui nous paraît intéressant
à plus d'un titre et mériterait une étude plus approfondie.
Intervention du Dr LAFORGUE
J'ai déjà eu l'occasion de dire à Bouvet ce que sa conférence avait
pour moi d'émouvant. En effet, pour la première fois depuis la guerre,
je vois de nouveau la pensée psychanalytique atteindre le niveau auquel
nous avaient habitués Nunberg, Helena Deutsch, Théodore Reik et tant
d'autres. Rendons également hommage à Nacht qui, pendant les années
difficiles de l'après-guerre, a su défendre avec beaucoup de
discernement et de courage la qualité de cette pensée en France.
Bouvet nous a laissé entendre combien les traitements des obsédés lui
paraissaient longs, difficiles et — si j'ai bien compris — souvent
décevants. Cette constatation ne nous surprend guère et apporte un
témoignage supplémentaire de la sincérité avec laquelle Bouvet a fait
son travail. Nous voyons tous des obsédés améliorés menacés à chaque
instant de rechute et traîner, souvent pendant des années, en
s'accrochant d'une façon parfois pénible à leur psychanalyste. Comment
sortir du cercle vicieux que représente une obsession ?
Bouvet nous a montré, dans son rapport, comment on pouvait y entrer et
quelle était la nature des échanges qui pouvaient s'établir à
l'intérieur de ce cercle entre psychanalyste et malade, mais j'ai
l'impression qu'il ne nous a guère montré comment on pouvait en sortir,
et c'est sur ce point que je voudrais vous donner quelques indications.
Dans l'ensemble, mes critiques ne s'adressent pas directement à Bouvet,
mais à une certaine façon de poser le problème et de le concevoir,
façon qui — je le confesse — a été également la mienne il y a une
vingtaine d'années environ. A cette époque, je pensais que la technique
que j'employais, technique classique telle que Bouvet nous l'a exposée
et telle que Loewenstein et moi l'avons enseignée à nos élèves,
représentait déjà un progrès considérable par rapport à ce qu'on avait
pu faire avant d'employer la psychanalyse. Par la suite, au fur et à
mesure que j'ai pris davantage conscience de l'ampleur du problème,
j'ai modifié ma conception et ma technique, ne serait-ce que pour avoir
la certitude de pouvoir faire honnêtement mon travail et pour me mettre
à l'abri du reproche qu'auraient pu m'adresser certains malades de
méconnaître leurs difficultés ou d'abuser de leur faiblesse. Ne vous
étonnez donc pas si, pour préciser ma pensée au sujet des conceptions
de Bouvet, je suis amené — selon la mode du jour — à faire une sorte «
d'auto-critique » qui, je l'espère, nous apportera à tous un bénéfice.
La conception de Bouvet me paraît caractérisée par ce qu'il appelle
lui-même : la relation à distance avec l'objet. Je m'explique : la
façon dont nous avons conçu le problème au début de notre expérience,
en partant des bases qui nous avaient été fournies par Freud, Ferenczi
et leurs premiers élèves, m'apparaît aujourd'hui comme marquée par ce
qui caractérise la névrose obsessionnelle. Vous m'avez bien entendu :
selon moi, il existerait une façon obsessionnelle de concevoir la
méthode psychanalytique du traitement des malades, façon qui conduirait
l'analyste à sacrifier par principe le malade à l'idée, comme on
sacrifie un cobaye à l'expérience du laboratoire ou à la vivisection.
Comme vous le savez, et comme j'ai eu l'occasion de le préciser
ailleurs, on risque dans ces cas de substituer l'obsession de la
psychanalyse à l'obsession du malade que nous prétendons guérir. La
psychanalyse se trouverait plutôt utilisée pour fermer la porte de
sortie du cercle vicieux dont nous avons parlé au heu de l'ouvrir comme
ce serait nécessaire et pour l'analyste et pour le malade.
Je voudrais préciser davantage ma pensée à ce sujet en me servant du
cas de Paul dont Bouvet nous a rapporté l'observation d'une manière si
remarquable. Je ne crois pas qu'il soit suffisant de se réfugier
derrière la formule un peu abstraite : le surmoi est l'héritier du
complexe d'OEdipe pour comprendre effectivement les rapports entre le
surmoi et le moi, c'est-à-dire le conflit qui a déterminé l'obsession
chez le malade. Il me paraît indispensable, dans ces cas, de procéder à
une analyse correcte du super-ego étant donné que, dans la plupart des
obsessions, le conflit auquel nous avons affaire ne serait que
l'expression de la névrose de l'un, sinon des deux parents du malade.
En d'autres termes, nous devons tenir compte et analyser aussi
complètement que possible la situation créée chez l'obsédé par la
névrose familiale à laquelle il a dû s'adapter en faisant appel aux
mécanismes de défense caractéristiques de la névrose obsessionnelle.
Bien plus, cette névrose familiale est souvent dominée par la névrose
maternelle, davantage encore que par la névrose paternelle, la mère
ayant le pouvoir d'influencer l'enfant dès le bas-âge et de le marquer
par ses réactions beaucoup plus fortement que ne le fait généralement
le père.
C'est pourquoi, dans nos travaux sur les aspects cliniques de la
psychanalyse, nous avons toujours attiré l'attention des psychanalystes
— et cela dans toute la mesure du possible — sur les différentes formes
de névrose familiale, souvent dues à la reproduction des névroses des
grands-parents, reproduction assurée en vertu d'une tradition défendue
par le super-ego familial
Pour sortir du cercle vicieux de cette névrose, dont l'obsession du
malade n'est qu'un aspect, et pour donner un sens à cette obsession, il
ne suffit pas — comme Bouvet a un peu l'air de le préconiser — de
devenir l'alter-ego du malade ni un miroir froid sur lequel l'analysé
projetterait toutes ses, réactions.
L'attitude réservée, si bien décrite par Bouvet, est bien entendu
nécessaire au début du traitement pour faciliter le développement de la
névrose de transfert chez le patient. Par la suite, cette attitude a
besoin d'être révisée et corrigée pour aider le malade, par nos
interprétations, par les directives que notre expérience nous permet de
lui donner et par notre comportement, à toucher aux tabous de la
névrose parentale. Il s'agit d'intellectualiser cette névrose pour
corriger les influences à contre-sens qui, par l'intermédiaire des
parents ou des circonstances, se sont exercées sur l'individu, afin de
le rendre capable de se libérer de ces influences en neutralisant la
névrose parentale, familiale ou même collective dont il a été accablé
et qu'il a introjectée dans son moi pour en faire une partie de son
surmoi.
Le cas de Paul nous apporte un matériel particulièrement instructif à
cet égard. La première phase de l'analyse telle que l'a pratiquée
Bouvet me paraît, dans son ensemble, irréprochable. Mais le matériel de
la deuxième phase — où le malade explique jusqu'à quel point il
s'identifie avec la femme en ressentant exactement la même chose
qu'elle, où il rapporte le souvenir d'une nuit passée avec sa mère dans
une chambre d'hôtel, les rêveries inspirées par le roman La main du
Diable — m'oblige à envisager, parmi d'autres, l'hypothèse suivante :
Paul, confondant et différenciant mal son corps de celui de sa mère —
comme l'indique Bouvet — aurait pu éprouver, au contact de sa mère en
possession de la « main du diable », des extases dont il semble avoir
gardé dans son inconscient un souvenir profond et ineffaçable,
impressions qu'il chercherait à retrouver par l'intermédiaire des
fantaisies du « diablotin dans des vases ». Ne serait-ce pas le
souvenir de ces extases que Paul poursuivrait dans ses expériences
sexuelles qui semblent le décevoir par la qualité des émotions
éprouvées ? Ne serait-ce pas l'orgasme féminin qu'il cherche à
atteindre, orgasme vécu au contact de sa mère — cette dernière ayant
peut-être fui le père cette nuit-là — et en comparaison duquel tout ce
qui est à sa portée, c'est-àdire l'attitude et l'orgasme masculins, lui
paraît décevant et dénué d'intérêt ?
Cette hypothèse — qui, je le répète, n'en est qu'une parmi beaucoup
d'autres — nous obligerait à envisager le fait que la mère de Paul
pouvait être une femme névrosée et condamnée par sa névrose, comme
c'est si souvent le cas chez certaines femmes frigides dans les
rapports avec l'homme, à se contenter de l'orgasme solitaire éprouvé au
contact de la « main du diable ». S'il en était ainsi, seule la
compréhension de la névrose maternelle, ainsi que des situations
qu'elle aurait pu créer pour la mère et pour l'enfant, expliquerait la
tendance obsessionnelle du malade à mettre toujours la pointe de
l'index dans l'angle formé par deux doigts de sa main.
Je n'insiste pas davantage ; je crois en effet que le matériel apporté
par le malade a peut-être été insuffisamment analysé ou passé sous
silence pour des raisons de discrétion, mais je maintiens cependant que
la névrose familiale ne doit pas être méconnue ou sous-estimée.
Il est vrai que la simple reviviscence d'un souvenir traumatisant et
refoulé, même si cette reviviscence n'a pas été correctement analysée,
peut donner heu à certaines abréactions affectives qui soulagent le
malade. Elle peut déterminer une amélioration notable de l'état de ce
dernier, sans toutefois le réconcilier complètement avec les moyens
affectifs normaux qui seraient à sa portée, car il resterait plus ou
moins fortement prisonnier d'une inversion déterminée par un super-ego
qui lui est contraire.
Quelques mots encore au sujet du processus de guérison de l'obsession.
L'analyste qui réussit à libérer le malade de ses obsessions déclenche
généralement chez celui-ci une névrose d'angoisse, souvent caractérisée
par des idées de persécution. Cette névrose d'angoisse ne doit pas être
méconnue. Elle est la conséquence de ce que le travail analytique a
fait sortir l'analysé de ses retranchements en l'amenant à faire face
au problème qui l'angoisse et qui joue sur sa culpabilité. Une fois
cette névrose d'angoisse établie, il s'agit de la transformer par
l'analyse en névrose de conversion hystérique. Celle-ci fait en général
son apparition lorsque le moi angoissé, déjà en contact avec la
réalité, n'arrive pas encore à intégrer normalement ses pulsions au moi
conscient. Les pulsions se frayent alors un chemin vers la porte de
sortie que représente pour elle la névrose de conversion hystérique. A
ce stade, ce n'est ni l'obsession ni l'angoisse qui dominent le tableau
clinique de la maladie, mais une légère paralysie de la jambe ou du
bras, une tachycardie, des spasmes, bref, un ensemble de symptômes qui
se situent à la frontière de la névrose de conversion et de la névrose
psychosomatique. Cette névrose d'angoisse et de conversion se
trouverait environ à mi-chemin de la distance qui sépare la structure
normale du moi et sa structure obsessionnelle, celle-ci se situant au
stade anal du développement affectif, comme l'a très justement montré
Bouvet. Ce n'est donc que lorsque les symptômes caractéristiques de la
névrose de conversion seront entièrement liquidés que l'ancien obsédé,
à qui l'analyste a appris à faire face à ses pulsions, trouvera la voie
libre et pourra s'installer plus ou moins confortablement dans la vie,
en s'y intégrant d'une façon harmonieuse et selon ses moyens.
Tout cela m'amène à parler d'un aspect de la question que Bouvet ne
paraît pas avoir mis suffisamment en évidence. Nous sommes obligés de
conclure, du fait que la névrose obsessionnelle est une réaction — et
souvent même la réaction la plus normale — à une névrose familiale, que
les circonstances sociales peuvent également être pour beaucoup dans la
constitution d'un super-ego déterminant un comportement obsessionnel
chez un individu.
En effet, nombreux sont les cas où des groupes d'individus, des
collectivités et des peuples entiers se trouvent engagés normalement
dans une névrose obsessionnelle qui leur est indispensable pour
réaliser un contact avec la réalité. Il ne s'ensuit nullement que nous
devons toujours considérer dans ces cas la personnalité comme étant
malade et atteinte dans sa totalité. Bien plus, nous savons que des
circonstances ethniques peuvent avoir une telle influence sur la
formation du super-ego collectif d'un groupe que, dans des cas de ce
genre, seule la névrose obsessionnelle permet aux individus de ce
groupe de maintenir le contact avec la réalité en les empêchant de
sombrer dans l'anarchie, l'homme normal — dans notre sens — se révélant
incapable de faire face aux conditions ethniques en question.
Je me permets de rappeler ces faits surtout pour nous encourager à
renoncer à une certaine attitude de supériorité que le psychanalyste à
cheval sur ses conceptions et prisonnier de l'obsession de l'analyse
serait souvent tenté d'adopter à l'égard de tous ceux qui ne pensent
pas exactement comme lui. Nous devons lutter contre l'esprit de
chapelle qui est la conséquence inéluctable de l'attitude
obsessionnelle du psychanalyste, esprit de chapelle qui, avec ses
notions d'orthodoxie et de purisme, porte si souvent préjudice à une
compréhension vraiment scientifique des problèmes que nous avons à
étudier et des sujets que nous avons à traiter et à sauver.
Bouvet m'excusera d'avoir fait cette « autocritique ». Si j'ai pu la
faire, c'est grâce aux contacts que j'ai eus avec Freud que j'ai vu
parfois procéder d'une façon fort peu orthodoxe et qui m'a associé au
traitement de quelques-uns de ses malades dont les cas ont été pour moi
particulièrement édifiants.
Il serait trop long de vous expliquer comment je suis arrivé à modifier
complètement la façon de mener une psychanalyse en m'adaptant aux
possibilités morales et matérielles du malade, il me faudrait consacrer
une conférence à cette question. Je dirai seulement combien les
obsédés, au moment d'abandonner leur obsession, réagissent à
contresens, comme si leur boussole marquait à l'envers, c'est-à-dire
comme si on avait renversé chez eux l'échelle des valeurs éthiques et
morales. L'obsession leur donnait un sentiment de toute-puissance et de
supériorité ; engagés dans la névrose d'angoisse, ils ont un sentiment
de terreur et d'infériorité, alors même que leurs possibilités de
contact augmentent, qu'ils deviennent moins exclusifs et descendent du
haut de leur grandeur pour établir des échanges avec leurs semblables.
La femme, quoique devenant plus maternelle, se plaint d'avoir été «
ravalée » et renvoyée « à la cuisine », alors que — même si elle exerce
une profession comme celle de médecin ou d'avocat — par les contacts
plus directs qu'elle établit, son travail devient plus efficace et
qu'elle est moins dangereuse pour ses enfants. L'homme se plaint
d'avoir à subir des comparaisons humiliantes, de se sentir engagé dans
la mauvaise direction, en danger d'être abandonné, et cela au moment
même où la nouvelle direction lui permet de faire face à ses problèmes
en agissant dans le bon sens d'une façon de plus en plus adaptée à la
réalité.
Inutile de vous dire qu'à ce stade de l'analyse il ne suffit pas
seulement d'analyser. Il faut savoir également réconforter des malades
qui vous ont fait confiance et qui se sentent angoissés et en désarroi
du fait de votre traitement, dont ils ignorent encore l'action et dont
ils sont incapables de prévoir les conséquences. Se cantonner
uniquement dans une réserve prudente serait pour l'analyste un moyen
commode de ne pas se compromettre en évitant de payer de sa personne.
Mais cela ne suffit pas lorsqu'on veut mettre le traitement sur une
base nette. Malgré les difficultés que nous avons à affronter et qui
nous obligent souvent à une attitude non-conformiste par rapport à la
méthode classique de la psychanalyse, je vous avoue que la possibilité
d'éviter des malentendus certains' en servant de soutien et d'exemple
au malade dans les moments difficiles nous donne une force morale dont
nous avons absolument besoin. Elle nous est nécessaire, non seulement
pour réussir notre travail, mais aussi pour défendre la psychanalyse
contre les adversaires malveillants qui tirent argument de nos erreurs,
de nos faiblesses, en nous reprochant un dogmatisme sectaire et
obsessionnel excluant toute considération humaine et équitable.
Quelques mots encore concernant le moi fort et le moi faible. La
conception obsessionnelle du problème nous permettrait de croire que le
moi obsessionnel est un moi fort, solidement retranché derrière les
bastions de ses fixations infantiles et se cantonnant dans un domaine
où il se sent tout-puissant, parce qu'il se contente de prendre en
considération que ce qui lui cède et ce qu'il peut « avaler ». Il
rejette énergiquement tout ce qui lui résiste et se trouve, de ce fait,
hors des limites de son domaine, au delà de son moi, dominé par les
besoins impérieux de la personne accrochée au stade anal de son
développement affectif. Par contre, la conception réaliste du problème,
c'est-à-dire celle qui tient compte de la réalité à laquelle il faut
apprendre à s'adapter, nous amène à considérer le moi obsessionnel
comme étant faible, malgré ses manifestations agressives pour donner
l'illusion de la toute-puissance et les efforts qu'il fait pour cacher
sa faiblesse, dont il a peur et qui le pousse à faire peur.
En effet, alors que le moi obsessionnel ne s'attache qu'aux apparences
de la réalité et a toujours besoin de s'appuyer sur des notions
observables et statiques, le moi au stade génital de son développement
ne s'arrête pas aux apparences, mais saisit le jeu des relations de
forces qui conditionnent une situation, il le pénètre, comme j'ai
essayé de le démontrer dans mon travail sur la Relativité de la réalité
(1). Il élabore une connaissance qui va au delà des apparences et il
s'émancipe des notions statiques dont le moi au stade obsessionnel a
besoin pour se représenter la réalité. Il aboutit ainsi à une
conception dynamique des faits et de la réalité, celle-ci étant conçue
comme un système de forces et de pulsions en équilibre plus ou moins
stable et dont la matérialisation à un moment donné se présente
toujours comme relative et non comme absolue.
Mais je crois pouvoir vous présenter une formule qui permettra de
mettre d'accord les différentes conceptions de la force ou de la
faiblesse du moi au stade obsessionnel. Disons que ce moi — surtout
chez les sujets doués — est fort intellectuellement, mais faible
affectivement. Il défend les positions de l'individu et de
l'individualisme avec beaucoup de forces contre une réalité qui tend à
asservir l'individu et à l'intégrer à un système de vie dominé par les
besoins de l'espèce et non pas seulement de la personne.
(1) Denoël, Paris, 1937.
Intervention du Dr NACHT
Je me joins à tous ceux qui ont fait l'éloge du rapport Bouvet.
Certaines remarques que je vais faire, et qui ne soient pas, à vrai
dire, des critiques, s'imposent comme une mise au point.
Ces remarques portent sur la manière dont Bouvet a traité les
mécanismes décrits à la base des relations que l'obsédé vit, du rôle de
la peur qu'il éprouve, et de la qualité de son moi.
Les mécanismes si magistralement décrits par Bouvet ne sont pas
uniquement propres aux obsédés, ils prennent certes, ici, une plus
grande ampleur, mais ils se retrouvent aussi dans d'autres névroses.
Quant à la peur, qui domine et écrase toute la vie de l'obsédé, elle
aurait dû, à mon avis, être d'avantage analysée et définie dans son
rôle.
Et ceci m'amène tout naturellement à exprimer mon étonnement devant
l'affirmation faite ici par certains orateurs selon laquelle le moi de
l'obsédé serait un moi fort.
Il me semble de toute évidence, ainsi que les faits d'observation le
prouvent, que le moi des obsédés est écrasé par la peur intense qu'il
ne peut surmonter. L'énorme agressivité qui l'habite en est
responsable.
Mais ce moi, rendu faible de ce fait, n'est plus capable que de
déplacer l'agression à travers le circuit si compliqué des symptômes
obsessionnels afin que nul ne la reconnaisse. C'est ce qui explique
l'effondrement « cataclysmique » pouvant mener à la psychose, lorsque
l'obsédé perd l'usage de ses obsessions sans que son moi ait acquis au
préalable la force d'intégrer — et non seulement de déplacer — son
agressivité.
Intervention du Dr DE SAUSSURE
Je tiens à féliciter le Dr Bouvet de son remarquable rapport. La
relation du sujet à l'objet est un rapport particulièrement important
parce qu'il nous renseigne sur les modalités du transfert. Le travail
qui nous est présenté a donc une double utilité théorique et pratique.
(P. 134) : L'auteur insiste sur ce que le transfert des obsédés est une
relation d'objet narcissique, il ajoute : « C'est-à-dire que le sujet
ne s'intéresse à l'objet qu'en fonction de l'accroissement du sentiment
de soi que sa possession lui procure ; qu'en fonction du rôle immédiat
qu'il joue auprès de lui et du besoin inextinguible qu'il en a. »
Cette remarque est extrêmement juste et peut prendre des formes très
variées, car souvent le sujet ne s'intéresse guère aux qualités
intrinsèques de l'objet, mais cherche par toutes sortes de manoeuvres
(fishing des Anglais) à obtenir des compliments de l'objet. C'est dans
la mesure où il se sent apprécié qu'il valorise l'objet.
Ces malades tirent vanité ou tout au moins réassurance d'aller chez un
analyste qu'ils estiment le meilleur. Le fait même de cette association
leur apporte un bien-être et fait qu'ils ne veulent pas abandonner
l'image idéalisée de l'analyste.
Une des difficultés à faire sortir les premières fantaisies sadiques
est qu'elles représentent une rupture avec l'identification à l'image
parfaite.
Au cours d'une de mes analyses est survenu un incident assez
pittoresque : Un compulsif qui réussissait admirablement dans sa
profession reçoit la visite du contrôleur des impôts. Celui-ci voyant
les notes payées à l'analyste lui dit : « Mais vous êtes fou de payer
de pareilles sommes à un médecin quand vous réussissez si bien. » Le
malade introjecta le contrôleur qui le flattait et oubliant l'incident
vint pendant trois jours à son traitement, silencieux, ne laissant
échapper qu'une plainte, celle d'être en analyse alors qu'il ne savait
pas pourquoi il suivait ce traitement. L'introjection du contrôleur
s'était faite très inconsciemment au détriment de celle de l'analyste.
Cet exemple permet aussi de voir l'intrication des mécanismes de
projection et d'introjection. Le malade projette sur autrui son désir
d'être fort et il introjecte le personnage qui répond à sa projection.
Bouvet nous dit encore en substance : L'obsédé s'efforce d'atteindre
une relation intime qu'il redoute de tout son être. « Il recherche
d'autant plus cette puissance que l'objet apparaît plus fort et
qu'alors il a davantage peur d'être dominé par lui. » En somme, il y a
conflit entre l'omnipotence et la dépendance.
Toute cette lutte est particulièrement déterminée par le fait des
projections : Ainsi un de mes malades ne peut avoir de rapports avec sa
femme que lorsqu'il pense qu'elle les désire. Le cercle vicieux
s'établit ainsi : « Il ne peut pas prendre la responsabilité de l'acte,
mais il ne peut être puissant qu'en obéissant au désir de sa femme. »
Si sa femme montre de l'insatisfaction, c'est qu'elle ne veut pas de
rapport, qu'il ne peut pas la satisfaire et immédiatement il devient
impuissant. Le cercle vicieux vient de ce que la puissance est fonction
de la dépendance et celle-ci est toujours insatisfaisante.
Dans bien des cas, l'ambivalence est due à un mécanisme de projection
du type que nous venons de décrire.
Certaines difficultés des obsédés viennent encore de la structure de la
pensée magique, laquelle ne connaît pas la relativité de la pensée. Par
suite l'analyste ne peut pas commettre de faute, car une seule faute
correspondrait à l'échec de toute l'analyse puisqu'elle empêcherait le
patient de s'identifier à l'analyste.
On observe chez certains malades qu'à cause de leur omnipotence, ils ne
peuvent pas être névrosés et qu'ils ne viennent à l'analyse que pour
l'analyste parce que celui-ci veut qu'ils viennent. Il y a une sorte de
marché tacite : « Si j'accepte l'analyse de l'analyste tout-puissant,
je serais analysé donc omnipotent et comme, pour la pensée magique, le
temps n'existe pas, ils sont déjà omnipotents donc l'analyse n'est plus
nécessaire. »
C'est cette situation paradoxale qui les empêche de conquérir leur
indépendance et qui renforce leur ambivalence. Cercle vicieux dont ils
ne sortiront que lentement en acceptant progressivement leur
imperfection et éventuellement celle de l'analyste.
Cette ambivalence se marque encore en attribuant tout progrès à
l'analyste et non à eux-mêmes. Pierre, par exemple, le malade que j'ai
décrit au dernier Congrès international de Psychiatrie, a une
impossibilité de partir en vacances. Cependant le désir de partir est
là. Il en prend conscience, fait le projet de s'absenter et un jour
plus tard s'irrite contre l'analyste qui le force à partir.
Là encore nous observons cette alternance d'introjections et de
projections. Le malade introjecte l'analyste qui a la liberté de
s'absenter. Il s'identifie avec lui, puis projette son désir comme s'il
venait de l'analyste.
Lorsque Bouvet écrit p. 176 : « Les obsédés ne s'intéressent qu'aux
personnages qu'ils jugent puissants et du fait même de la puissance
qu'ils leur prêtent, ils les redoutent et ne peuvent s'abandonner à eux
», ce fait s'explique en grande partie par l'obligation qu'ils
ressentent (en suite de leur identification) d'agir avec puissance. Or
ils ne le peuvent pas et leur identification même devient un test de
leur impuissance.
Ils ne sortent que difficilement de ce paradoxe : A cause de leur
faiblesse, ils doivent s'identifier avec les forts. Mais cette
identification, dès qu'elle est mise à l'épreuve, les oblige à
constater leur faiblesse. C'est pour éviter ce cercle vicieux qu'ils
préfèrent l'isolation.
Intervention du Pr EMILIO SERVADIO
Je désire en premier lieu rendre hommage à notre estimé confrère, le Dr
Bouvet, pour son très remarquable exposé. A mon avis, la description
qu'il nous a donnée des relations d'objet chez les obsédés est une des
plus complètes qu'on puisse trouver dans la littérature
psychanalytique.
Il est dommage que les limites qu'il s'est lui-même imposées n'aient
pas permis au Dr Bouvet de nous faire connaître avec une égale ampleur
ses vues personnelles sur la structure génétique de la névrose
obsessionnelle. Dans quelques discussions préliminaires que nous avons
eues à Rome sur le thème qui nous occupe, nous avons constaté, mes
confrères et moi, que les problèmes des relations objectales dans cette
névrose sont à peu près inséparables de ceux qui concernent sa
psychogenèse. Le point de vue psychogénétique se reflète, en effet,
tant sur l'interprétation du comportement du névrosé vis-à-vis de ses
objets que sur les interprétations de transfert.
Je ne crois pas avoir à soulever de sérieuses objections sur aucun
point fondamental du rapport du Dr Bouvet. Je voudrais seulement
attirer son attention et la vôtre, sur la question des défenses
primaires et secondaires des obsédés en rapport à leurs pulsions
agressives.
Nous sommes tous familiers avec certaines formations caractérielles de
ces névrosés qui, par leur comportement stéréotypé, formel, froid et
suave nous donnent régulièrement l'impression de bloquer une
agressivité démesurée, laquelle se manifeste dans l'analyse aussitôt
que cette première ligne de défense est décelée et peut devenir matière
d'interprétation. Je crois pouvoir affirmer aussi que le déblocage de
cette ligne de défense caractérielle n'offre pas d'énormes résistances,
et que les patients reconnaissent assez tôt le degré de leur
agressivité et de leur ambivalence soit envers leur milieu social et
familier, soit dans leurs rapports avec l'analyste.
On doit cependant se demander si cette agressivité est primaire, ou
bien défensive à son tour. C'est la question que s'est posée Bergler,
et qu'il a résolue en affirmant que l'agressivité des obsédés cache de
profondes tendances passives, anales et orales, et que c'est contre ces
tendances que ces sujets se défendent en déployant leur agressivité.
Je dois dire que, dans mes analyses d'obsédés, j'ai pu constamment
vérifier le bien-fondé de la thèse de Bergler : au sujet de laquelle il
me semble que notre honoré confrère ne s'exprime pas toujours d'une
manière convaincante.
A la page 116 de son Rapport, le Dr Bouvet déclare en effet s'être
persuadé qu'une bonne partie de l'agressivité de la névrose
obsessionnelle est une réaction de défense contre une tendance passive,
masochique, survivance d'expériences de passivité imposée. Il souligne
encore autre part (p. 146) le rôle qu'un « masochisme très régressif
joue dans la relation obsessionnelle à l'objet », et l'aspect
masochique des actions agressives de ces névrosés. Cependant, il écrit
aussi (p. 116) que « cela ne veut pas dire que des traumatismes
importants de la période orale soient toujours en cause » ; et il se
demande si la qualification de « pseudoagressive », que Bergler emploie
pour définir la défense en question, ne manifeste pas « une tendance à
méconnaître la puissance des instincts de destruction » (p. 146).
Il me semble qu'il y a là un malentendu. En aucun passage des travaux
de Bergler on ne peut lire qu'il met en cause des traumatismes de la
période orale pour appuyer sa thèse. Bien au contraire, il répète assez
souvent (par exemple, dans son livre The Basic Neurosis, p. 9) que ce
qui est décisif, ce n'est pas tel ou tel traumatisme réel de la phase
orale, mais la projection de l'agressivité de l'enfant sur la mère, et
les fantasmes d'être attaqué qui s'ensuivent. « La névrose » — dit-il —
« a affaire avec des fantasmes refoulés, non point avec des réalités. »
Ce point, me paraît-il, ne fait désormais plus de doute, après les
travaux de l'École anglaise de Psychanalyse, travaux dont Bergler
d'ailleurs fait état. Je n'y insisterai donc pas. Quant à l'idée du Dr
Bouvet, que Bergler puisse méconnaître la puissance des instincts de
destruction, je trouve aussi qu'il s'agit là d'une impression que les
exposés de Bergler ne justifient pas. D'une manière constante, Bergler
insiste sur la qualité primaire des instincts destructifs et de leur
expression dynamique, de la « destrudo », comme il l'appelle en
adoptant le terme d'Edoardo Weiss. Il insiste, aussi, sur le fait que
le masochisme n'est qu'agressivité « névrotiquement déplacée » (The
Basic Neurosis, p. Il) ; et il schématise comme suit ses vues
génétiques sur la position masochique : « La séquence historique des
événements est la suivante : désir de recevoir — refus, ou fantasme de
refus — furie et haine — incapacité motrice — inhibition de
l'agression, premièrement de l'extérieur, puis de l'intérieur —
retournement de l'agression contre sa propre personne à cause de la
culpabilité — masochisation de la culpabilité. » Ici se termine, selon
Bergler, la description génétique de la position masochique, et
commence celle du cadre clinique, c'est-à-dire de l'élaboration
névrotique, par un premier refoulement massif, du plaisir masochique
d'être refusé, et du déploiement conséquentiel de ce qu'il appelle la «
défense pseudo-agressive ».
Le Dr Bouvet s'est peut-être mépris sur la valeur du terme « pseudo ».
On peut en effet s'y méprendre au premier abord, et croire que ce que
Bergler a voulu dire, c'est qu'au fond, celle de l'obsédé n'est pas une
agressivité vraie !... Mais je suis persuadé que cette impression n'est
pas justifiée. L'agressivité de l'obsédé est quelque chose de
terriblement vrai : seulement, elle est en grande partie tournée contre
une cible factice, pour des motifs de défense inconsciente du moi, qui
veut se détourner de la position que Bouvet, fort heureusement, appelle
de « soumission amoureuse ». C'est bien l'attitude que notre distingué
confrère décrit quand il rapporte (p. 160) les réactions violentes de
Pierre à ses rêves d'être possédé par l'analyste et d'avaler sa salive
; et Bouvet lui-même semble reconnaître la nécessité de faire prendre
conscience au malade de sa passivité masochique (qu'il essaie de nier
en manifestant son agressivité) lorsqu'il admet (p. 116) « qu'à partir
du moment où le sujet pouvait prendre conscience de son désir
homosexuel, c'est-à-dire l'accepter, le contact affectif... devenait
plus sûr ».
J'ai remarqué, enfin, que les exemples cliniques si instructifs et si
frappants, rapportés par le Dr Bouvet, confirment singulièrement les
vues de Bergler, même en ce qui concerne la qualité orale de la
position masochique de fond. Il n'est pas nécessaire que je cite des
passages à l'appui, car vous avez tous le texte sous vos yeux ou dans
votre mémoire. Je conçois qu'on puisse avoir de la peine à accepter la
proposition de Bergler, que les conflits de la phase anale et de la
phase phallique ne sont que des « stations de secours »
(rescue-stations) dont les névrosés se servent pour ne pas retomber
dans les affres de la phase orale. J'ai même l'impression que Bergler a
un peu trop souligné l'aspect négatif — ou, dirais-je mieux, négateur —
de ces « stations de secours », et qu'il a par contre négligé le fait
qu'elles sont aussi des étapes progressives et affirmatives, bien que
non finales, du développement de l'enfant et de l'établissement de ses
relations objectales — ce qui ressort si éloquemment, en ce qui
concerne la névrose obsessionnelle, de l'exposé du Dr Bouvet.
Cependant, il me semble résulter de plus en plus clairement, d'après
les recherches analytiques récentes, surtout de Melanie Klein et de son
école, que toute structure névrotique est un édifice défectueux par sa
base même, que les conflits et les mécanismes psychiques de fond
doivent nécessairement déterminer la qualité et le sens des mécanismes
plus mûrs et le développement futur de la personnalité totale, et que
le fait que ces mécanismes — tels que l'introjection et la projection —
s'établissent dans la toute première enfance implique forcément leur
qualification orale.
D'ailleurs, mon ami Perrotti me faisait remarquer, il y a quelques
jours, que Freud avait, comme toujours, devancé ces points de vue sans
en avoir trop l'air, et tout particulièrement dans son travail sur Un
souvenir d'enfance de Léonard de Vinci : travail qui n'est pas de
nature clinique, ce qui fait que nous pouvons facilement l'oublier
quand nous nous occupons de problèmes de clinique psychanalytique. Il
n'est pas moins vrai que Freud a vu dans une situation de dépendance
orale de Léonard envers sa mère, la clef de voûte de sa structure
psychologique et des traits obsessionnels de son caractère.
Je voudrais citer encore un exemple, tiré d'une de mes analyses. Je
négligerai évidemment une grande quantité de détails. Il s'agissait
d'un jeune homme, qui avait des fantasmes obsédants sado-masochiques :
la scène fondamentale était celle d'une femme mûre et dominatrice, qui
tyrannisait une jeune fille tremblante et soumise. En imaginant cette
scène, le sujet se masturbait. « Je suis un sadiste virtuel » —
disait-il. Dans la réalité, il avait une dose énorme d'agressivité
contre sa mère, et il cherchait toutes les occasions pour l'attaquer.
Il se défendit longtemps contre mon interprétation de son comportement
comme étant défensif, et employé pour rejeter un masochisme de fond, en
me disant, par exemple, que sa difficulté vis-à-vis des femmes était
due à ses fantasmes sadiques, et qu'il se retenait par crainte de les
détruire. Mais. après quelques mois d'analyse, il rêva, avec beaucoup
d'angoisse, qu'un serpent ailé avec deux têtes blanches était sur son
oreiller. J'interprétai ce rêve, lui montrant qu'il était
inconsciemment attaché à l'idée qu'il dépendait d'une mère agressive,
phallique, aux seins dangereux, pour sa nourriture et pour son
existence même — ce qui était vrai aussi dans la vie réelle ; et que
toute son agressivité ultérieure ne servait qu'à nier cette dépendance.
Alors il se rappela plusieurs attitudes masochiques qu'il avait eues
dans son enfance, et il me dit lui-même, en contredisant ce qu'il avait
toujours déclaré auparavant : « La femme qui me représentait dans mes
fantasmes obsédants n'était pas celle qui dominait et s'imposait,
c'était plutôt l'autre. »
Je remercie encore le Dr Bouvet de m'avoir donné l'occasion de
réfléchir sur des problèmes si importants, et je lui renouvelle toute
mon admiration pour son excellent travail.
Réponse du Dr BOUVET
Le rapporteur remercie tout d'abord les personnes qui ont bien voulu
l'argumenter avant de répondre en particulier à chacune d'elles.
Mme Marie Bonaparte rappelle que Freud a, à plusieurs reprises, soulevé
l'hypothèse d'une maturation du moi, plus précoce que celle de la
libido, comme facteur déterminant de la forme obsessionnelle de la
névrose et cette précocité de la structuration du moi paraît
inconciliable avec la démonstration que le rapporteur tente de faire de
l'existence d'une faiblesse fondamentale de l'Ego dans une telle
affection.
Dans sa réponse, le Dr Bouvet rappelle que précisément dans Inhibition,
symptôme et angoisse, Freud envisageant à nouveau le problème de la
pathogénie de la névrose obsessionnelle discute l'importance relative
de deux facteurs, l'un constitutionnel et l'autre chronologique. Au
facteur chronologique répond la précocité de la formation du Moi. Au
facteur constitutionnel, des caractéristiques particulières de la
libido qui rendent très labile son organisation génitale. Et Freud
conclut à la vraisemblance de la prévalence du facteur constitutionnel,
après avoir discuté divers arguments sur lesquels l'auteur n'insiste
pas.
Il n'en reste pas moins que le Moi obsessionnel est d'une qualité telle
que l'on peut, dans une certaine mesure, le considérer comme fort.
Fedenr n'oppose-t-il pas la vigueur, la précocité, l'ampleur des
défenses psychologiques du Moi obsessionnel à la fragilité, à
l'insuffisance, à la pauvreté des mêmes défenses dans le Moi
hystérique. Alors que le problème de l'angoisse est réglé par un jeu
psychologique, dans le premier cas, il est liquidé par des réactions
somatiques adaptatives inconscientes dans le second. Le Moi
psychologique obsessionnel apparaît donc comme plus fort que le Moi
hystérique.
Mais il ne s'agit là que d'une force relative. Et, faisant allusion à
l'intervention du Dr Lacan (1), le rapporteur met l'accent sur le fait
que la persistance, chez l'obsédé, de mécanismes de défense archaïques,
témoigne par là-même de la faiblesse profonde de son Moi ; qu'il existe
une phase normale du développement où les mécanismes d'adaptation de
type obsessionnel prédominent, et que cette phase doive être
normalement dépassée témoigne de la faiblesse relative du Moi
obsessionnel par rapport au Moi « génital », capable, de par
l'utilisation de techniques d'adaptation plus souples et plus variées,
d'un ajustement plus satisfaisant à la réalité extérieure.
(1) intervention ne nous étant pas parvenue, nous n'avons pu l'insérer
dans ce numéro.
Répondant ensuite au Pr Emilio Servadio, de Rome, le rapporteur tient
d'abord à le remercier de la sympathie qu'il a témoignée à l'endroit de
son travail, puis il essaie de schématiser les critiques que lé Pr
Servadio lui adresse.
En ce qui concerne la première de ces critiques, celle relative à
l'exclusion de son travail des problèmes intéressant la psychogenèse de
l'obsession, le Dr Bouvet rappelle qu'il lui semble avoir noté toute
l'importance de ces mécanismes qui président à la formation du
symptôme, et en avoir montré l'incidence sur les relations d'objet en
général et dans le transfert en particulier, en divers points de son
exposé et plus spécialement au chapitre relatif aux instruments de la
Relation à distance. Il s'est efforcé de situer à leur place, dans
l'étude générale qu'il fait des relations objectales, les mécanismes
utilisés dans la technique obsessionnelle.
Mais la critique essentielle formulée par le Pr Servadio a trait au
rôle que joue l'agressivité dans la conception qu'a Bergler de la
Névrose obsessionnelle. Le Pr Servadio estime en effet, à la manière
dont le rapporteur le comprend, que Bouvet méconnaît l'importance que
Bergler attache à la violence des pulsions agressives primaires dans la
pathogénie de cette affection.
Il se peut en effet que le rapporteur ait trop pris au sens littéral
certains des passages qu'il a relevés dans l'oeuvre de cet auteur et
qu'il se soit exagéré « une tendance (de Bergler) à sous-estimer la
puissance des instincts de destruction ». Cependant Bouvet rappelle à
ce sujet divers textes dont il ne prétend pas ici donner une traduction
rigoureuse, mais dont il pense respecter l'esprit. Dans un article de
1948 du Psychoanalytic Quarterly, Bergler note que l'on n'a jamais,
dans la Névrose obsessionnelle, souligné le fait que l'agressivité est
utilisée comme moyen de défense contre la passivité, ce que Freud avait
fait pour la paranoïa et que ce mécanisme est le trait central de la
Névrose obsessionnelle. Il ajoute plus loin : trop souvent
l'agressivité est prise comme une valeur de face et la formulation
anale-sadique trop littéralement considérée.
Dans un article de 1942 intitulé Deux formes de l'agressivité dans la
névrose obsessionnelle, Bergler insiste sur le fait en parlant des
obsédés qu'il faut considérer plutôt leur passivité anale inconsciente
que leur agressivité. Il parle encore ici de la passivité fondamentale
du patient.
Il semble donc bien que s'il y a malentendu ce soit sur une question de
nuance.
Enfin le rapporteur ne pense pas méconnaître l'importance de la «
projection des agressivités de l'enfant sur la mère » puisque aussi
bien il fait jouer à la projection un rôle capital dans les relations
d'objet de l'obsédé et qu'il parle de la personne déjà à demi
imaginaire que l'enfant voit en ses parents. Mais il tient à noter que
Bergler invoque explicitement la conduite imprudente des mères et des
nourrices. En terminant le rapporteur remercie encore le Pr Servadio de
sa si intéressante intervention.
Au Dr Held, qui a posé le problème des relations entre certains
syndromes digestifs et la névrose obsessionnelle, en relatant le cas de
sujets qui voient se développer des conduites obsessionnelles lors du
traitement psychosomatique de leur affection, le Dr Bouvet propose une
hypothèse visant le cas plus précisément rapporté. Il pense que le
jeune malade auquel fait allusion le Dr Held satisfaisait à travers ses
relations avec ses médecins des tendances homosexuelles inconscientes,
significatives de désirs de relations sado-masochiques avec un
personnage phallique et que, à l'émergence imminente de ses tendances
pulsionnelles, il réagissait en utilisant les instruments de la
relation à distance, qui prendrait dans ce cas, précisément la
signification que le rapporteur s'est efforcé de lui donner.
Le Dr Bouvet remercie tout particulièrement S. Lebovici de son apport à
cette discussion, et lui dit combien il a été sensible à la façon dont
il a accueilli son travail. Il est tout particulièrement heureux que
Lebovici ait pu retrouver, dans son expérience personnelle, chez les
enfants, l'essentiel de ce qu'il avance après bien d'autres, comme
signification en regard du développement et de la régression, de la
relation d'objet obsessionnelle.
Mme Dolto rapporte des faits constatés par elle dans ses analyses
d'enfants et intéressant les processus d'incorporation : incorporation
d'un objet « partiel » ; le rapporteur n'a pas le sentiment d'avoir
dans ses analyses d'obsédés adultes, retrouvé un matériel exactement
superposable à celui de Mme Dolto.
Le rapporteur remercie ensuite le Dr Laforgue d'apporter ici les
enseignements qu'il a tirés de sa longue expérience. Mais il craint que
le Dr Laforgue ne l'ait pas exactement compris dans quelques aspects de
son étude.
Le Dr Bouvet ne pense pas, en effet, que le traitement des obsédés soit
aussi décevant que M. Laforgue le lui fait dire. Certes ce traitement
est long, délicat, certes il convient de ne pas s'abuser sur la valeur
de certains résultats, mais l'auteur précisément pense qu'avec une
technique rigoureuse autant qu'humaine, des modifications structurales
de la personnalité peuvent être obtenues. Et c'est d'ailleurs ce qu'il
s'est efforcé de montrer tout au long de son rapport.
De. même le Dr Laforgue a retiré de la lecture de ce travail
l'impression que l'attitude thérapeutique proposée était celle d'un
miroir froid alors que l'auteur s'est attaché à montrer sans cesse
combien cette attitude devait être celle d'une compréhension attentive
et sans défaillance, et pour tout dire d'une chaude compréhension,
dosant sans cesse la distance que le sujet peut supporter et l'amenant
progressivement à un « rapproché » nécessaire.
Bouvet insiste sur l'importance d'une attitude active à une certaine
phase, tardive d'ailleurs, du traitement, alors que doit être
intensifiée cette fonction de « médiation » que le sujet a dévolu à son
thérapeute.
En ce qui concerne l'étroitesse des liens névrotiques qui unissent
l'obsédé à son environnement, l'auteur est tout à fait en accord avec
le Dr Laforgue. Il n'a pu expliciter dans son rapport ce que sa
pratique lui a appris touchant la vigueur des réponses complémentaires
névrotiques du milieu familial mais, dans sa réponse, il en cite de
nombreux exemples qui lui semblent plus particulièrement démonstratifs,
et qui l'amènent à comparer le bloc de la famille obsessionnelle à un
organisme pluricellulaire ; néanmoins, dans les cas dont il eut à
connaître, l'analyse put arriver à une détente suffisante des relations
familiales du seul fait de l'amélioration du sujet.
Le Dr Laforgue a soulevé l'hypothèse d'une séduction du sujet par sa
mère dans le cas de Paul, l'auteur ne peut que répondre à son
interlocuteur que rien, dans l'analyse, ne lui permit de confirmer
cette manière de voir.
En terminant, Bouvet remercie le Dr Laforgue de rappeler dans ce débat
ses vues si originales sur « l'Ego collectif ». Après tout ce que le
rapporteur vient de dire sur la valeur de la « technique obsessionnelle
», instrument d'adaptation, il ne saurait être question qu'il minimise
son importance dans l'élaboration de l'âme collective.
En quelques mots, le rapporteur remercie ensuite le Dr de Saussure des
intéressantes observations qu'il a rapportées dans son intervention. Il
est heureux de constater que M. de Saussure s'associe aux conclusions
qu'il a formulées et insiste à son tour sur l'importance des mécanismes
d'introjection et de projection dans la névrose obsessionnelle.
Après avoir remercié le Dr J. Lacan des paroles chaleureuses dont il a
honoré son travail, le rapporteur répond sur deux points particuliers.
A une question posée sur la signification des introjections passives
dans le processus d'identification, le Dr Bouvet répond qu'il n'a rien
à ajouter à ce qu'il avait déjà conclu dans son travail sur
l'utilisation de l'aspect homosexuel du transfert dans le traitement de
quatre cas de névrose obsessionnelle masculine, tout au moins en ce qui
concerne ce point particulier : Les introjections passives ont la même
valeur structurante que les introjections actives.
Par contre Bouvet ne se rallie pas entièrement aux idées de Lacan sur
la force du Moi dans la névrose obsessionnelle, comme il l'a déjà
précisé dans sa réponse à Mme Marie Bonaparte ; pour lui le Moi
obsessionnel ne dispose que d'une force relative et de toute manière
d'une qualité moindre que celle du Moi génital adulte, ce qui ne veut
pas dire pour autant qu'un Moi, qui a largement maîtrisé les problèmes
auxquels il devait faire face par un jeu obsessionnel d'abord, puis en
le dépassant ensuite, ne soit pas d'une qualité supérieure.
Le Dr Nacht partage d'ailleurs la même opinion. Pour lui, le Moi
obsessionnel est un Moi faible. Le rapporteur, après avoir remercié le
Dr Nacht de son intervention, répond aux autres remarques que celui-ci
a faites et spécialement sur le point particulier de la spécificité de
la relation d'objet telle qu'il l'a décrite. Certes, l'on peut trouver
quelque chose d'approchant dans d'autres névroses, mais l'originalité
de la relation obsessionnelle est faite précisément des
caractéristiques qui ont été longuement précisées dans ce rapport : sa
nécessité, son étroitesse, son caractère dramatique, la contradiction
interne qu'elle recèle, ainsi que la spécificité des instruments dont
le sujet se sert pour tenter de résoudre la contradiction qui s'y
exprime. Quant à la peur, elle en est inséparable et son analyse ne
semble pas à l'auteur pouvoir être dissociée de celle de la relation
objectale telle qu'il l'a tentée.
Le gérant : Daniel LAGACHE.