
Dsm & Co
Claude Savinaud
Je m'interroge, à partir de mon expérience clinique avec les
Adolescents Auteurs d'Agressions Sexuelles, mais pas seulement, sur la
notion approximative de "perversion sociale", en tant qu'elle
définirait un champ de conduites transgressives qui auraient pour
condition commune celle d'être incitées par le discours social, lequel
peut par ailleurs rejeter et condamner ces conduites au nom de la loi
.C'est dans cette injonction ces "pauvres" victimes de la
désorganisation du lien social (et familial) au profit de l'économie
(libidinale) virtuelle dans laquelle ils sont noyés.
Prenons la question de Lacan au sérieux : est ce que la psychanalyse a
produit quelque chose de nouveau dans le champ de la perversion? Il
semble répondre affirmativement en lisant Joyce. Ne pourrait on
déplacer la question d'un cran: est ce que la psychanalyse a produit
quelque chose de nouveau dans le champ des pathologies (autrement que
d'en renouveler la compréhension)?
-oui, dans le sens où son expansion dans le champ des névroses à toute
une psychopathologie de la vie quotidienne (qui n'a pas fait son petit
Oedipus complex?) nous met au fait d'une conscience omniprésente de
l'inconscient qui bouche le trou du réel (tout est langage= tout à un
sens = tout désir est réalisable), donc elle aurait bien suscité plus
qu'inventé une nouvelle perversion : la généralisation sociétale de la
père-version.
-oui, dans le sens de susciter dans le discours médical une résistance
au second degré négationniste du Sujet, au nom de la "vraie" science.
Tout est génétique, tout est corrigible par apprentissage, en quoi on
reconnaît la vieille dichotomie corps/esprit.
Discours scientiste et théorie du complot ou le retour de la folie
raisonnante
La criminologie anglo-saxonne, d'inspiration behavioriste, par exemple,
fait du « comportement sexuel innaproprié » une maladie « génétique »,
produisant un handicap (sexuel)d'origine cognitive. L'individu n'a pas
appris à évaluer ses risques ou à discriminer l'objet adéquat, ou
adopter les bonnes stratégies pour aboutir à une consommation
satisfaisante , en un mot à « contrôler sa pulsion ».Comme les
addictifs et les surendettés, on peut le « coacher » pour éviter la
récidive.
Ce « délire scientifique » puise à la source du concept freudien de «
pulsion », le réduit à une définition bio-physiologique équivalente à «
l'instinct sexuel » pour le détourner de son sens psychanalitique et
l'adapter à une « économie » libidinale en terme d'offre et de demande,
calquée sur les lois du marché. Il est l'aboutissement d'une logique
qui vise à un contrôle social de la vie privée par des outils
technologiques produits selon un ratio « coût-efficacité » et
commercialisables sur l'ensemble de la planète.
Cette logique « managériale » n'en supporte aucune autre concurrente,
car elle est fondée sur une scientificité, sur l'administration de la
preuve . Elle désavoue toute tentative de faire intervenir des facteurs
conjoncturels autres que ceux qu'elle peut contrôler (l'appartenance
sociale, le niveau d'éducation, d'insertion etc...). Bien plus, comme
l'enjeu est non seulement politique mais « ethique », elle condamnera
toute mise en question de ses postulats comme des essais de «
déstabilisation du système », des menées subversives ou des poursuites
d'interêts sectaires. Nous ne sommes plus très loin de la « théorie du
complot », et comme tout raisonnement par extrapolation, il peut
produire en miroir les mêmes reflexes de défense.
Ce en quoi le savoir médical devient une connaissance paranoïaque,
parce qu'il tente d'échapper à l'herméneutique freudienne en réfutant
par avance toute voie possible d' interprétation du symptôme. C'est à
tort qu'on parle de délire d'interprétation du paranoïaque. Pour lui,
ce qu'il sait n'est pas une interprétation de la réalité, c'est la
vérité en elle-même.
Donc, l'idée à développer serait que deux catégories nosographiques ont
disparu du lexique médical (psychiatrique) parce qu'elles sont passées
dans la norme de la société: la perversion et la paranoïa.
Pourquoi ces deux là et seulement ces deux là? Parce qu'elles se «
répondent ». J'entends par là que cliniquement, la lutte contre le
sentiment de persécution est une « défense » contre l'émergence d'une
violence difficile à contenir, et que la perversion est une réaction de
survie psychique à un impératif de jouissance auquel on ne peut ni se
soustraire ni résister.
Il serait interessant de poursuivre au delà de ces « définitions »
approximatives, pour voir comment la voie freudienne a cherché à
déterminer dans le fonctionnement inconscient les enjeux subjectifs de
ces « conflits psychiques ». Pour l'instant, constatons que son apport
théorique peut être détourné dans un sens post-moderne pour répondre à
une commande sociale : décripter les ressorts de la jouissance pour
mieux l'utiliser .
La seconde topique freudienne s'autonomise: d'un côté il faut que le Cà
se réalise (la sexualité doit s'épanouïr), de l'autre il faut que le
Surmoi maitrise la situation (la médecine appareille et rééduque le
psychisme).
Comment la psychanalyse peut-elle aujourd'hui maintenir le repérage de
limites dans le champ psychopathologique, dans quelle mesure son
avancée sociétale n'a pas fabriqué de toutes pièces ces symptômes
sociaux?
Quand Freud énonce que l'Inconscient, c'est le sexuel refoulé, il
indique précisement ce qui produit la différenciation des systèmes
internes au psychisme : le refoulement. En deçà l'Incs, au delà le
conscient (pré). Il institue la division du Sujet selon cette
frontière, même s'il envisage, dans la seconde topique , de déspécifier
ces deux fonctionnements.
Conséquences:
le refoulement est la condition du retour du refoulé dans le symptôme
le refoulement est la dynamique du maintien de l'Inconscient comme tel.
De cette deuxième assertion, tirons toutes les conséquences :
le refoulement est le résultat de l'action de la censure, il organise
donc le désir du Sujet en un discours « caviardé », où les parties
innacceptables sont à retrouver en creux derrière les silences du
discours.
Il suppose un « censeur », instance omniprésente qui filtre ce qui est
acceptable ou non . Ce censeur, Dieu merci, peut être pris au dépourvu.
Quand un message s'impose plus fortement que la réprobation qui peut en
résulter, il peut avoir recours à l'acte manqué.
.Ex: perdre l'adresse e mail de quelqu'un auquel on souhaite dire
quelque chose dont on se doute qu'elle ne lui plaira pas peut très bien
répondre à l'intention qu'on lui prête de vous envoyer « promener » à
la première occasion.
« Mais quel c...!»
« Je ne vous le fais pas dire! »,
Les locuteurs et allocutaires étant interchangeables, tel pourrait être
le message subliminal sur lequel chacun pourrait s'accorder, et donc
dissiper un malentendu, à condition d'en saisir le sens, même si on en
ignore les causes, et se le tenir pour dit.
Il existe pour Freud un refoulement primaire, ou originaire, qui a pour
justification le fait qu'avant toute apparition de la conscience, un
noyeau de refoulé primaire est constitué qui fait appel à des fixation
intervenues précocément sur des éléments pulsionnels .Ces éléments vont
investir de nouveau certaines représentations innacceptables et les
attirer dans l'inconscient (refoulement secondaire).
Ce refoulé primaire constitue donc les premières inscriptions de la
trace de la jouissance dans l'appareil psychique, premières ébauches
qui vont servir de base aux symbolisations ultérieures. Par ailleurs,
Freud montre qu'il retrouve dans la paranoïa, là-encore , le « complexe
paternel » à l'oeuvre, au point de considérer que ce n'est pas le
contenu des fantasmes qui diffère dans les pathologies, mais les
manières dont ils sont métabolisés par les « mécanismes formateurs du
symptômes ».1 On peut donc en déduire qu'il ne fait pas jusque là une
distinction fondamentale entre la formation d'un symptôme quérulent
chez un névrosé procédurier et chez un délirant chronique. Imaginons
cependant un instant ce que le dialogue rapporté plus haut, de l'oubli
de l'envoi d'e mail, produirait dans un cas comme dans l'autre. Dans le
second cas, ce n'est pas une indifférence feinte mais un procès en
diffamation qui prendrait le relai de cet échange . Pour suivre Freud,
la différence se situe au niveau de l'échec du Moi à pouvoir réinvestir
d'autres objets libidinaux. La Paranoïa s'entend comme l'effet d'un
échec du refoulement de l'homo sexualité dans les relations sociales.
L'humiliation, les rebuffades sont généralement les vecteurs de la
rupture de ce lien social avec l'érotisme, qui concourrent à le mettre
en lumière dans le délire2. Ne peut-on envisager d'autres formes
d'expression que le délire, et notamment les « mises en actes », comme
des processus qui vont shunter la formation du délire sans pour autant
rétablir le statut intra-psychique à la souffrance? Si le refoulement
primaire a eu lieu, pour autant peut -il garantir la névrotisation des
« refoulements » secondaires, ou faire appel à d'autres formes
d'organisation psychique (déni-clivage) qui sont, comme la projection,
pas du tout pathognomoniques ?
*
Si échec du refoulement, il y a, c'est donc bien qu'il existe d'autres
modes de formation de syndrômes pathologiques (verwerfung) mais aussi
des atteintes à l'instance refoulante le Censeur) qui empêchent les
processus d'élaboration de la pulsion par les voies symptômatiques
habituelles. Ces atteintes sont d'autant plus profondes et méconnues
qu'elle agissent sur le terrain d'un « pattern-alisme » généralisé .
Déjà y'avait plus de jeunesse, maintenant y'a plus d'inconscient!
Je terminerai cette partie sur la « Parano » et ses avatars sociétaux
en incitant à la lecture de la psychanalyse du Président Schreber comme
un exemple d'une recherche d'une délimitation nosologique féconde et
prudente, même si elle n'est pas aboutie, et une incitation à nous en
inspirer:
Regardons autour de nous... que peut-on faire aujourd'hui de cette
intuition de Freud:
« La paranoïa divise et l'hystérie condense »3 ?
Des « mésusages » sociaux de la perversion, ou « les non-prudes errent
».
La question qui est posée par les usages sociaux de la perversion
revient pour une part à interroger la place d'un savoir, organisateur
du lien social, qui fonctionne non sur le refoulement de l'inconscient
mais sur son exposition tel quel, sans reste dans le champ de la
culture. Diffusion d'une « religion » de l'inconscient dont la
psychanalyse n'est pas à proprement parler responsable, mais à laquelle
elle a contribuée comme le symptôme d'une certaine société consumériste
qui s'est emparée de son « emballage », pour le vider de son contenu
puis le rejeter. Une telle « sous-version » du Sujet invalide la notion
même d'inconscient et restaure en tant que norme sociale cette vieille
notion psychanalytique controversée de la perversion comme « positif »
de la névrose. Il ne s'agit pas, bien sûr, de suggérer que le névrosé «
guérirait » en agissant ses fantasmes pervers et qu'une évolution
libérale des mœurs serait de facto synonyme de progrès social. La
perversion ne pose pas moins de difficultés d'organisation psychique
que son « négatif », la névrose. Il n'en demeure pas moins que le
pervers semble s'exonérer de, ou achopper sur quelques étapes dans le
processus de subjectivation, et que la question du Sujet serait source
de malentendus dans les « usages sociaux » entre membres de
collectivités humaines. Celles-ci sont tributaires d'instances «
idéales » qui commandent aux élaborations sublimatoires, lesquelles
présentent des affinités avec la perversion dans leur rapport à la vie
pulsionnelle. L'apologie de la modernité (post) serait un plaidoyer
pour une subjectivité généralisée sans Sujet.
En reprenant une distinction introduite par Freud sur le travail du
rêve, entre contenu manifeste et contenu latent, on saisit que ce qui
est caché subit une double transformation, condensation et déplacement,
pour contourner l'action de la censure. Le récit du rêve met en lumière
ces deux processus primaires, en substituant des « restes diurnes »,
rémanence des éléments perceptuels de la vie consciente, aux
représentants des motions pulsionnelles inconscientes. Ils permettent à
ces derniers de se réaliser à l'insu du Sujet dans l'activité
fantasmatique. Dans ce cas de figure, plus les fantasmes sont
archaïques et plus ils subiront des transformations pour les rendre
acceptables, c'est à dire le plus souvent incompréhensibles par le
sujet. Il les juge absurdes à l'état de veille, ce qui prouve que ces
processus primaires ne sont pas si « primaires » que çà!
Dans la société moderne, tous les fantasmes « doivent » être rendus
lisibles, acceptables, sinon réalisables, à partir du moment où ils ne
dérangent personne, et surtout pas l'ordre libéral établi. S'ils
peuvent entrer dans un régime de transactions, ils sont accueillis
comme des figurations de liberté individuelle. Les fantaisies
sexualisées promotionnées par l'univers de l'Imagerie sociale (la «
pornocratie ») peuvent servir d'éléments « diurnes », d'appel à l'éveil
des fantasmes inconscients.
L'acceptabilité des fantasmes est en partie fonction de la structure
psychique individuelle, en partie soumise au discours social sur les
tabous concernant la sexualité. Ainsi, le rôle du Surmoi vis à vis de
la censure est probablement plus implacable dans la névrose
obsessionnelle que dans l'hystérie, comme il est plus prégnant en
apparence dans une société traditionnaliste que dans un régime de
libéralisation des mœurs. Mais il est aussi facilitateur de la
réalisation sexuelle dans le fantasme par les modifications formelles
qu'il lui apporte sous l'influence du consensus social. Par exemple, on
peut constater dans la clinique courante que tel ou tel fantasme
obsessionnel concernant l'érotisation de la contrainte, qui trouvait
autrefois une forme religieuse d'expression par le rigorisme
idéologique et le respect scrupuleux des règles, peut prendre
aujourd'hui le chemin d'un débat intérieur sur la réalisation ou non
d'une tendance homosexuelle ressentie comme concurrente avec
l'orientation sexuelle « officielle » du Sujet . L'homosexualité est
revendiquée par le Sujet comme « libération » de tendances « éprouvées
» comme « vérité subjective » et non plus réprouvées, au nom d'une
tolérance imposée par la société à son Surmoi, ou encore de la
réalisation de toutes les possibilités existentielles, ou pire, d'une «
constitution sexuelle physico-sociale » alternative à l'hétérosexualité
normative. Pour autant, l'inconscient se trouve -t'il mis au grand jour
par cet « outing », ou au contraire poursuit-il « souterrainement » son
action pathogène? Doublement masqué sous un symptôme socialement
acceptable, la désir du Sujet n'a pas été modifiée d'un iota dans sa
revendication d'un Autre de l'Autre, qui interdirait d'interdire mais
maintiendrait sadiquement le désir sous le boisseau du conformisme de
l'anticonformisme, réduit à l'inconfort psychique, en lieu et place de
la culpabilité.
On pourait aussi signaler ce glissement de la conversion hystérique
vers la maladie somato-psychique au fur et à mesure que s'inventent des
troubles fonctionnels qui n'ont plus pour but de masquer
l'insatisfaction de la revendication sexuelle, mais de la manifester
comme une condition de l'identité féminine. Féminité assumée en dehors
de la sexualité pour les deux sexes, par l'exposition médicale des
atteintes à l' intégrité d'un corps qui tend à sa clôture imaginaire
(exemple: la fibromyalgie). Le symptôme est présenté comme un artefact
des fonctions du corps, qui n'est plus vecteur de sens mais traduit des
défaillances innées ou acquises des organes. La médecine embraye sur le
discours social pour évider le symptôme de son contenu inconscient.
D'un côté, par cet effacement, le symptôme somato-social n'a plus la
même valeur dans la dynamique conflictuelle, puisqu'il ne « révèle »
rien que le Sujet ne sache déjà consciemment. Mais d' un autre côté, on
peut se demander si le refoulement inopérant n'exige pas son
remplacement par un fonctionnement de type « déni-clivage ». Celui-ci
est beaucoup plus efficace parce qu'il fait coexister deux réalités
incompatibles, celle gouvernée par le désir et celle intégrée par la
société, dans une non-séparation qui n'est pas « ou bien... ou bien »
mais « et ... et ». Le statu quo est maintenu par cette équivalence où
le Sujet n'est pas divisé, et n'a donc plus rien à perdre.
Une stratégie « gagnant-gagnant »:
Freud faisait de cette « distorsion » du moi le siège de la perversion,
qui maintiendrait par le déni de la castration l'intégrité de l'objet
phallique « maternel » dans le fantasme. La négation des différences,
ou leur compensation sociale par des avantages, l' équité fondée sur la
reconnaissance de l'égalité de tous, non pas devant un principe
limitateur externe mais dans leur identité, leur singularité
essentielle (à chacun son sexe, son plaisir, sa part du gâteau, etc...)
n'offriraient-elles pas le même « supplément de jouissance » que le
fétichisme pour abolir le manque? N'est-ce pas une manière légale
d'affirmer que l'on fait de son désir la loi?
Le fétichisme, prototype de la perversion, effectue la promotion
symbolique de l'objet du désir sous sa forme imaginaire. Voir çà, pour
ne rien en savoir, tel est bien là l'enjeu d'un échange fondé sur le
scopique pour conforter le désir contre l'envahissement de l'angoisse
de l'inconnu (cf. la notion de minorité « visible »). A chacun son
phallus et personne ne manquera plus de rien, semble dire le symbole
fétichique.
Dans son essai sur Léonard de Vinci, Freud avait conjecturé une pulsion
épistémophilique à partir de l'exploration visuelle du petit enfant. Le
désir de voir la scène primitive, d'y découvrir ce que la sexualité
adulte cache de secret du côté de l'interdit peut être à l'origine du
désir de savoir . Sa répression se traduirait en psychopathologie par
l'inhibition intellectuelle comme symptôme névrotique. L'enfant «
pervers polymorphe » trouverait dans le visuel une source d'excitation
compensant son immaturité sexuelle, et anticipant la primauté du
phallique sur les formes partielles et passives de la sexualité. Une
forte fixation à l'objet maternel sous cette appétence pour le « voir
çà », ce rien qui cause le désir, expliquerait la persistance plus ou
moins marquée d'une tendance scoptophilique chez l'adulte, ou/et sa
sublimation dans la connaissance ou la création artistique. Lacan
faisait remarquer que la « théorie sexuelle infantile » freudienne
repose sur une inversion du signifiant (voir-çà/s'a-voir) par lequel se
montre le déterminisme du langage. Dans la formation du symptôme, il
n'est pas tant question de la vision que d'un discours qui oriente le
désir du sujet. En effet, d'un organe, l'œil, on pourrait se demander
quelles cellules spécifiques se trouvent sollicitées par ce plaisir
sexuel. Par contre, il s'agit du regard qui est véritablement l'objet
du désir, encore qu'il puisse tromper l'œil et servir à capter l'Autre
pour mieux l'asservir.4 (Se savoir être vu pour ek-sister)Le terme de «
scotomisation » est à la fois adéquat et non pour indiquer que c'est
dans le registre de la perception visuelle que va se produire
l'annulation du manque structuré par le signifiant phallique.
« Ça a avoir », ou encore « çà a à voir », deux formules du savoir
pervers, qui conjuguent la possession de l'objet et son maintien dans
le champ de vision comme « savoir » sur le désir de l'autre. Comme me
le confiait un de mes patients exhibitionniste : « çà n'a rien à voir
avec la sexualité ».
C'est au nom de ce Savoir que le Sujet pervers organise sa jouissance.
Une définition rigoriste de la perversion voudrait que le Sujet pervers
cherche à obtenir sa jouissance au détriment de l'autre. Au contraire,
c'est un savoir que le Sujet pervers souhaite partager. S'il se fait
pédagogue ou prosélyte, nous pensons que c'est en raison de sa croyance
en l'interchangeabilité de l'objet, ou de bons procédés pouvant l'y
conduire, religion « capitaliste » s'il en est . Or le champ social est
par définition le champ de l'échange. Il met en concurrence cette
économie libidinale de « célibataires exigeants » avec le petit
commerce des « filles faciles ». Par ses sites de rencontres, tout peu
s'échanger contractuellement dans l'instant, de l'objet abandonné sitôt
acquis, des conseils, des numéros de téléphone ou des bonnes adresses,
voir des avis qui n'engagent personne, mais dont la comptabilisation
rassure tout le monde. Ça circule donc çà profite à tous, sauf à ceux
qui ne sont pas informés, et donc pas « Geek », au courant des nouveaux
tuyaux virtuels de la modernité.
Concentration et dépassement au lieu de condensation et déplacement.
(j'y montrerai, à l'aide de cas cliniques, que la concentration, comme
les camps du même nom, sur une figuration allégorique transformée en «
bouc-émissaire » ou en top-model, a pour fonction de faire disparaître
la référence à une dimension universelle, « métaphorique » dans la
multiplicité des désignations de l'humain, et de la réduire à une
figure générique contenant la totalité dégradée de la désignation dans
l'exacerbation de la différence (sur/sous-hommes), versus homogénéité
de groupe5. Ainsi, en clinique de la violence sexuelle, l'objet sexuel
moderne peut se présenter selon des clichés stéréotypés à condition
qu'ils contiennent tous les mêmes caractéristiques érotiques
éventuellement limitées à quelques traits référentiels d'abjection.
Par contre, le déplacement, comme mode d'assimilation d'un ensemble
d'objets à un trait commun répété avec une constance qui assure à la
fois la pérennité de l'investissement libidinal et de
l'objet(métonymie), par son ratage,(cf le comique de répétition) ne
semble plus suffisant pour maintenir par la mobilité une activité
psychique érotisée. Le dépassement des limites, la transgression
semblent l'adjuvant nécessaire à un mode de satisfaction de la pulsion
qui ne se suffit plus de se produire à la même place, mais à besoin
d'outrepasser les interdits pour se relancer.
Les fantasmes, si tant est qu'ils existeraient encore sous cette forme,
ne jouent plus de l'o-pacification pour se traduire en actes, mais
éclairent de façon violente et contrastée l'objet dans sa nudité, dans
sa nullité aussi, à laquelle ils le réduisent.
Et la topologie dans tout çà?
Ce qu'on pourrait en attendre, c'est que le nouage borroméen se
soutient de fonctionner à trois dimensions, et qu'il me semble que
l'érotique perverse qui se masque sous les liens sociaux tendent à
réduire l'affaire à « d'eux », ce qui renvoie à une « relation possible
» entre S1 et S2, là où l'inconscient les constituent comme contingents
l'un par rapport à l'autre. Le Savoir supposé au lieu de l'Autre (S2)
est rendu assimilable ( et non plus seulement substituable) au
signifiant Maître par le truchement de quelque objet produit en place
d'une vérité qui n'est plus refoulée mais énoncée sans Sujet (ou d'un
Sujet de la pure jouissance, non barré). En tant que nouage, cette
opération d'assimilation laisse en plan l'une des dimensions. Laquelle?
Je pencherais pour le Réel, qui se trouve éludé dans l'affaire.
Symbolique et Imaginaire forment une contiguïté, libérant le Réel qui
faisait barrage dans le fantasme du névrosé. L'insoutenable légèreté de
l'Être, ou de Lettre, c'est ce désarrimage de l'objet(a) dont on ne
peut prédire les conséquences. Peut-on durablement se désabonner au
Réel?
On considèrera, comme le fait Lacan dans le sem. « les Non dupes errent
»6, que la consistance de chaque dimension R, S, I est un moyen de
faire tenir ensemble les deux autres( par exemple : dans l'amour divin,
le symbolique est la manière de relier l'imaginaire du corps et le réel
de la Mort) . De la « perversion » de la doctrine, au sens où elle
mythifie la faute originelle, « s'impérative la dimension du : « tu
aimeras ton prochain comme toi-même », comme moyen masochiste d'évacuer
le sexuel. La doctrine religieuse « hérétique », selon le mode cathare
d'éviction du corps impur, est à entendre comme une mise en chaîne
olympique des trois qui fait que çà fonctionne, que l'intermédiaire qui
peut se rompre est la condition pour que les deux autres restent
noués.(on pourrait dire que c'est ce corps abominé qui est
l'intermédiaire impossible entre l'amour divin et la mort.)
Dans le nouage borroméen, ce qui est effacé, le sexuel, rétablit le
désir comme moyen, au lieu du Symbolique, au prix de son
insatisfaction.(ou au risque de son ratage?)
Si maintenant, l'Imaginaire du corps, et du savoir « médical » sur le
corps, était le moyen de faire tenir ensemble le Symbolique de la
parole et le Réel de la jouissance, il pouvait contribuer à soutenir le
désir « pur » comme moyen de supporter « un dire » que la psychanalyse
déploie dans la cure.
A contrario, si ce Savoir arrive en position d'une doctrine
scientifique qui se substitue au manque dans l'Autre (l'Inconscient) et
« positive » dans son discours le bouche-trou du « plus-de-jouir », il
ne reste plus que la perversion « masochiste »7 pour assurer la place
vacante du sexuel entre les humains, d'où tout un discours sur la
victimisation, la mise en place d'une politique du « care », qui va
probablement aboutir à une mutualisation du handicap de la défaillance
sexuelle malheureusement inévitable, par des indemnités pour soutenir
le marché de l'emploi des catégories défavorisées du sexe, c'est à dire
tout le monde, au nom du droit de tous à l'amour, sous toutes ses
formes.
Claude SAVINAUD le 13 septembre 2012
1Id ibid p.305
2Id p.305
3Freud S.(1911) cinq psychanalyses le Président Schreber p.297 PUF 1973
4G.Bonnet à développé ces questions à travers l'exhibitionnisme et le
voyeurisme. Pour plus ample approfondissement consulter Bonnet
G.(1981)Voir- Être vu Études cliniques sur l'exhibitionnisme Paris PUF
et ses plus récents développements (2003)« Touche pas à ma sexualité »
rev. Adolescence 21,3,517-523
5Il suffit, pour ce faire, d'effectuer un retournement arbitraire des
valeurs, en proclamant le « laid » « beau »; le « vice » , « scie »; ou
plus généralement de pratiquer ce nouveau sport: le « baching ».
6Lacan J.(1973-74) les non dupes errent ed .ALI 2010 p.71 « La religion
vide ce qu'il en est de l'amour sexuel dans ce voyage »
7id.p.74 : « la jonction, l'emploi comme moyen(...)pour unir la
jouissance et le corps(...) de cette perversion est ce qui les
attachent (les psychanalystes. NDLR)(...)pour un temps,
irrémédiablement... »