Là, où nous étions arrivés lors du Grand Atelier précédent, en Juin
2012, à partir de l'examen du DSM comme référence à l''établissement
des diagnostics psychiatriques, était que pareille conception du
diagnostic ne pouvait reposer que sur l'hétérogénéité radicale du sujet
et de sa maladie mentale, renommée dans le DSM trouble mental. Entre le
trouble mental et le sujet qui en est atteint, nulle relation, nulle
historicité, nulle causalité. Nous pensions au départ, après l'examen
attentif des critères diagnostiques du DSM, car c'est sur ceux-ci que
repose la cotation habituelle, la plupart du temps utilisée, celle de
la CIM, que toute dimension subjective était abolie, tant celle-ci y
est absente. Si cela s'avère exact au temps de l'observation du patient
et de l'établissement du diagnostic, l'observation de la pratique
psychiatrique nous a amené à supposer que, bien qu'il soit exclu de son
trouble mental, il subsistait malgré tout un sujet, rétabli au temps
des énoncés de son diagnostic et de son traitement, afin qu'il puisse
les entendre et y acquiescer. Ceci s'illustrant ainsi : « Vous avez un
trouble bipolaire, autistique, anxieux, etc., et vous devez suivre tel
ou tel traitement. » Cela présuppose un sujet capable de compréhension
et de volonté donc, pour suivre son traitement, en même temps qu'il est
supposé hétérogène, et étranger à son trouble mental. Comme si celui-ci
n'avait rien à voir avec le sujet qui en est porteur, sur le modèle du
trouble organique, qui, lui-même, dans la pratique organique n’est pas
sans poser question.
Donc, une pathologie sans sujet.
Un autre point a retenu notre attention. Celui de la construction même
du DSM. Se voulant à la fois exhaustif et objectif, celui-ci décrit
pour chaque trouble un ensemble de critères. C’est de la sommation de
leur présence, attestée par une observation « objective », qu’en sera
déterminé un diagnostic avéré d’atteindre un certain seuil. Nous en
déduisions que cela même expliquait ce fait, apparemment secondaire et
pourtant fondamental méthodologiquement, que, de ce que certains
troubles se présentent de façon atypique ou n’atteignent pas le seuil
considéré comme significatif, il existe, pour quasiment toutes les
catégories du DSM, une sous catégorie : « autres troubles de la série
». Celle-ci, de par sa constitution même, réserve des inclassés et des
inclassables, obligatoire pour une exhaustivité se voulant objective,
nous semblait grosse d’une possibilité quasi infinie de nouvelles
définitions de troubles, de nouveaux troubles, de nouvelles sous
catégories. La publication récente du DSM 5 semble bien le confirmer..
Une autre surprise nous a été apportée par le constat que la non
subjectivité du trouble mental dans cette approche diagnostique ne
concerne pas seulement le patient mais également le praticien. Nulle
dimension subjective n'en est requise. Que ce soit celle d'une
expérience ou d'une pratique clinique, celle d'une réflexion ou d'une
intuition diagnostique. Le praticien ainsi réduit à l'oeil d'un
observateur objectif rapportant les éléments de son observation à des
grilles et des échelles hiérarchisées dont les différentes
configurations détermineront les diagnostics et les traitements
adéquats. La subjectivité du praticien y étant remplacée par ce qu'il
est convenu d'appeler « le consensus d'experts » ayant présidé à
l'élaboration de ces échelles et de ces grilles. Ces questions, cela
est à noter, ne concernent pas que le seul trouble mental. Cela va même
bien au-delà de la médecine. Qu'on songe à l'économie, aux multiples
audits d'entreprises, d'administrations, d'institutions par exemple,...
Ces échelles et ces grilles introduisent une nouvelle sémantique, (toc,
hyperactivité, phobie sociale, etc, etc ).. De cette nouvelle
sémantique se construit un nouveau discours, lequel dessine une
nouvelle réalité des pratiques. Par exemple, avec le point nodal de
l’hétérogénéité du trouble et du sujet,( s’il y a encore un sujet ),
c’est le trouble qu’il s’agit de soigner, de faire disparaître, car
c’est de lui, seul, dont il est question. Alors si ce trouble, mesuré à
partir des observations, n’atteint plus le seuil significatif à partir
duquel il est avéré, il n’existe plus. Il y a guérison. Ce qu’il en
reste, n’est plus du ressort de la psychiatrie, de l’hôpital
psychiatrique. D’où l’importance des notions nouvelles en psychiatrie
comme « file d’attente », « rotation des lits », « turn over »... La
rapidité de la disparition du trouble étant un critère d’efficacité.
Quant aux scories, à savoir les critères atypiques ou n’atteignant plus
le seuil significatif, elles sont externalisées vers des structures
médico-sociales (y compris celles qui n’en sont pas : prison, rue, ..,
).
Mais là encore il apparaît qu'après ce temps de diagnostic a-subjectif,
(idéalement aucun praticien au sens classique ne serait requis),
survient un temps second où le praticien énonçant diagnostic et
traitement redevient sujet, au moins de son dire et de sa signature,
sujet y compris de l’administration, de la justice, des assurances et
de groupes d’usagers...
De notre lecture minutieuse du DSM, étant parvenu en ces points, nous
nous interrogions : quel sujet est ici supposé ? Un sujet qui n'est pas
dépressif mais qui a une dépression. Un sujet qui n'est pas autiste
mais qui a un trouble autistique. Un sujet qui n'est pas névrosé mais
qui a un trouble névrotique. Un praticien qui ne comprend pas son
patient mais qui l'observe, un praticien qui ne s'interroge pas sur une
pathologie mais qui l'évalue. Dans tous les cas, c'est un sujet qui
apparaît inentamé par son trouble ou sa pratique, puisqu'ils lui sont
extérieurs, hétérogènes. Qu'il n'y est pas concerné, impliqué. Cette
extériorité aussi bien du trouble mental réduit au modèle du trouble
organique que de la pratique réduite à une observation objective,
semble soulager cette notion de « sujet » de toute dimension réflexive
à proprement parler,( là où le sujet se pense lui-même), pouvant se
manifester par le doute, l'imagination, le symptôme, l’hypothèse,
etc... De tout ce qui peut l'entamer et par là le diviser. (On comprend
mieux ici une certaine haine de la psychanalyse).
La conclusion à laquelle nous parvenions l'an passé, c'est que le sujet
qui semble ainsi s'en dessiner serait un sujet totalement transparent à
lui-même, tel que le seul « in-su » pouvant y être supposé serait de
l'ordre d'un non-savoir organique ou génétique ou de l'ordre d'une
méconnaissance résultant d'un défaut d'apprentissage, d'un défaut
cognitif. Autrement dit un « in-su » qui ne serait que le résultat d'un
manque d'extension de cette conscience définie comme totalement
transparente à elle-même telle qu'on peut en supposer pourvu un tel
sujet, et non comme peut le supposer non seulement la psychanalyse,
mais aussi bien avant elle la philosophie ou la religion, un « in-su »
résultant de la division du sujet. Division entre le bien et le mal, la
raison et les passions, le divin et l’humain, les pulsions et la
conscience morale, conscient et inconscient, etc...
C'est pour tenter, à la fois d'explorer et de cerner ce qu'il en serait
d'un tel sujet, des conséquences pratiques et cliniques d'une telle
conception, mais aussi peut-être de ses extensions sociales, voire
idéologiques, que nous proposons cette seconde journée, afin que, comme
pour la première qui fut une réussite sur ce plan, la mise en commun de
nos réflexions nous apporte quelques lumières et questionnements.
Ce sujet totalement transparent à lui-même: - sujet de la science –
paranoïa comme personnalité normale – perversion généralisée – nouvelle
économie psychique- ? ?