
Catastrophe de l'A320 de Germanwings : Une réussite de la psychiatrie
moderne?
Jean-Jacques Lepitre
Quatre jours après l'événement, les débuts de l'enquête semblent
s'orienter vers l'hypothèse d'un passage à l'acte du copilote. Passage
à l'acte probablement psychotique à connotation paranoïaque. On a
appris qu'il avait interrompu de longs mois sa formation de pilote pour
"dépression" il y a quelques années, qu'il avait des consultations
régulières probablement psychiatriques, qu'il suivait un traitement, et
qu'il était le jour du crash en arrêt de travail pour raison médicale,
ce qu'il a caché à son employeur, montrant par là qu'il voulait voler à
tout prix. L'hypothèse du "suicide altruiste" a été avancée. Elle est
cependant moins convaincante. Dans ce cas la personne suicidaire
entraine avec elle dans la mort des proches, des gens aimés pour les
protèger du malheur, qui lui apparaît plus terrible que la mort, et qui
la pousse elle même au suicide. Ici, les passagers, les autres membres
d'équipage lui étaient inconnus. La rectitude de la descente, la
respiration régulière, l'absence de communication, d'expression ou de
revendication laissent à penser à une détermination froide, une volonté
de destruction, de soi, des autres. La déclaration révélée par une
ancienne amie à qui il a déclaré qu'un jour on parlerait de lui
pourrait aussi aller dans ce sens...
Si cet événement nous interpelle c'est qu'à nouveau il nous interroge
sur la psychiatrie actuelle, ses modes de diagnostic et de suivi des
patients. On sait que de nos jours le diagnostic psychiatrique ne
résulte pas tant d'un entretien clinique approfondi comme il se
pratiquait en psychiatrie classique où le praticien explorait chaque
aspect subjectif du patient et où chaque signe pathologique éventuel
était mis en relation avec la personnalité totale du sujet et avec les
autres signes pathologiques, même minimes, afin que puisse s'en
dessiner une configuration particulière et significative. Aujourd'hui,
le diagnostic peut résulter dans certaines pratiques de la seule
évaluation de la présence de signes dont le nombre détermine la
significativité, sans forcèment que ces signes soient rapportés à
l'ensemble de la subjectivité du patient. Il en découle que pour un
patient dont l'évaluation n'aboutira pas au nombre significatif de
signes d'une pathologie avérée mais présentant malgré tout des
troubles, il sera fait alors un diagnostic vague, ressortissant d'une
catégorie en quelque sorte générique. La dépression en fait partie.
Mais, tout aussi problématique, cet abord à se présenter comme objectif
laisse à penser qu'une fois le diagnostic posé, lui-même objectif, et
le couple diagnostic-thérapeutique, le plus souvent chimique, établi,
il n' y aurait plus d'autre suivi nécessaire que celui du
renouvellement de médicaments. Et l'évaluation des signes
pathologiques bien qu'utile n'apparaît pas toujours nécessaire, on ne
refait pas sans cesse un diagnostic qui est défini comme objectif. Et
le suivi du patient sur un plan subjectif, où pourtant dans sa parole
pourrait apparaître les variations de son état, en paraît inutile.
Est-ce du à l'inflation des médias et des informations qu'ils nous
déversent, ou bien y a t-il effectivement depuis quelques années une
multiplication de ces catastrophes? Un homme poignarde un passager dans
le métro, un tireur fou abat deux passants, une mère se suicide avec
ses enfants... Combien de ces informations avons-nous entendues ces
dernières années? Et cela sans compter ce que nous ignorons de ce que
ça ne fasse pas la une des médias: les passages à l'acte suicidaires.