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L'Identification
Le séminaire Livre IX
1961-1962
clones

Jacques Lacan / Epco

Leçons

Atelier "L'identification"
Saison 1 Leçons 1 à 9
21 Novembre 2020


Où on voit Jacques Lacan s'engager dans la quête du signifiant minimum à partit duquel le sujet pourrait s'identifier comme tel.
Trace, marque, un comptable. S'y montrant structuraliste comme jamais, poussant la linguistique dans ses conséquences extrêmes, il trouve le trait de pure différence, issu de la structure différentielle du signifiant, à partir duquel pourraitt s'ériger un sujet avant même toute nomination. Sujet de l'inconscient, mais aussi sujet de l'énonciation. Mais cela suffit-il?
C'est dans ce suspens qu'il nous laisse en attendant la saison 2 qui aura lieu le 27 Février.

Mais déjà, voici les vidéos, de cette première saison, des leçons 1 à 5, ci-dessous.
Puis précédant la leçon 6,celle des leçons 6 à 9.
Elles sont accompagnées des retranscriptions, ou des textes originaux des interventions de chacune et chacun s'étant attelé(e) à l'étude de ce séminaire;




Pour télécharger la vidéo (clic droit sur Pc)

Leçon 1 Marie-Christine Salomon-Clisson

Voici ma question pour introduire cette première leçon : pourquoi est-ce qu’à chaque fois que je présente une leçon de Lacan, je m’interroge sur la façon dont il s’y prend ? Je constate que ma lecture singulière dépend de l’appui que j’y trouve. J’associe : « Tu t’y prends comme pour tuer ton père ! » Entendez combien cette parole réitérée vient figer l’entrée dans la parole et l’accès à une pensée singulière. Je suis bien dans le vif du sujet de ce séminaire. S’il ne s’agit pas de comprendre, il s’agit de pouvoir s’appuyer contre un signifiant pour penser ce que Lacan appellera, dans son séminaire le Sinthome, « l’appensée ».

Ce 15 novembre 1961, il ne s’y prend pas de la même manière que dans ses précédents séminaires. Il n’annonce pas son programme, il va poser des jalons avec les outils de la mathématique et son champ très large d’expérimentation, notamment, la théorie des ensembles, l’algèbre, la logique formelle et bien sûr la topologie, qui, à l’instar de la linguisterie deviendra une topologie spécifiquement lacanienne l’amenant à nous proposer une nouvelle écriture, le nouage borroméen, pour penser la théorie psychanalytique. Il reviendra sur ces jalons dans les leçons suivantes.

Le titre et le sujet de ce séminaire seront identiques. Lacan nous indique déjà un redoublement nécessaire pour concevoir ce processus de l’identification. (Ici, nous voyons poindre l’élaboration du nouage avec le S surmontant par deux fois l’I et le R). Il nous prévient, cela nous demandera un effort spécifique, qu’il qualifie d’effort de pensée, parce qu’il ne souhaite pas s’en tenir aux effets sensibles de l’expérience. Il souhaite nous parler autrement que sous une forme mythique, comme il l’a fait précédemment (il emploie la négation pour affirmer ce qui sera autre). Dans le « Transfert », s’appuyant sur le Protée de Claudel (qui est une farce), il a mis en évidence les effets narcissiques qui cernent le roc autoérotique symbolisé par le phallus et a terminé sur une image de l’identification à laquelle il n’a pu donner le même statut qu’à celle de la beauté dans « l’Ethique », conçue comme la limite du tragique avec ce point où la Chose insaisissable nous ramène à la mort.

(Lacan espère un commentaire sur le transfert qui mettrait en évidence le sens caché dans un comique à retrouver dans les cryptogrammes qui s’y trouvent, comme Moustapha Safouan l’a fait sur le transfert.)

Lacan a donné une pulsation à ses séminaires faite de l’alternance de deux thématiques : Le signifiant et le sujet. Pour ce neuvième, il souhaite mettre en évidence le rapport du sujet au signifiant, en dépliant la logique propre du signifiant dans le registre du Symbolique et la mise en route de sa fonction dans notre praxis où la parole adressée (le discours) vient initier la pensée.

A quoi pense-t-on d’abord quand on parle d’identification ? A l’autre à qui l’on s’identifie. Il souhaite insister sur la différence qu’il y a entre l’autre avec un petit « a » et l’Autre avec un grand A. Mais il le fera ultérieurement (séminaire 68-69). Il va commencer par mettre l’accent sur ce qui se pose comme « identique » dans l’identification, et fondé dans la notion du même. Il va utiliser le raisonnement de la logique mathématique et partir de cette difficulté sur laquelle butte notre pensée : A est A. Il ajoute cette réflexion à la Einstein : pourquoi séparer A de lui-même et ensuite l’y replacer ? Il souhaite sortir de la pensée logico-positiviste pour poser un problème logique à ce qui semble dépourvu de sens comme tel. Russel (1872-1970) va donner une valeur cette équation et écrire A = A. Wittgenstein (1889-1951), lui, va s’y prendre autrement pour trouver ce qui pourrait servir d’équivalent à cette reconnaissance de l’identité : A est A.

Mais pour nous, va dire Lacan, il s’agit de nous interroger au niveau d’une expérience de parole, nous fiant à ses équivoques et à ses ambiguïtés pour aborder cette notion d’identification. Dans l’ensemble des langues, nous pouvons observer des virages historiques généraux qui nous permettent de parler de syntaxes modernes s’opposant à celles de l’antiquité ainsi que des vacillations portant sur le lexique, propres au génie de chaque langue, qui sont propices à mettre en évidence l’histoire d’un sens.

Arrêtons-nous sur le terme identité. Comme dans Identification, nous trouvons le terme latin idem qui a la même fonction signifiante que celle que nous trouvons dans notre terme français le même. Ce terme nous vient du latin populaire metipsimus, le met servant à renforcer les pronoms personnels, le ipse à renforcer ce pronom personnel par une double insistance exprimée sous la forme : « moi-même en personne ». C’est par ce détour sur l’étymologie que Lacan nous suggère de chercher le sens de toute identité au cœur de ce qui se désigne par une sorte de redoublement du moi-même. Il nous fait remarquer que c’est précisément notre langue qui nous permet de saisir cette tendance à référer notre expérience au moi pour désigner l’identité (il utilise un néologisme, le mihilisme), ce qui n’est pas le cas en grec, ni en allemand, ni en anglais. Il s’agit, dans la locution française d’une sorte de métaphore. Lacan met l’accent sur sa propre langue, le français, qui l’amène à concevoir les choses d’une certaine façon et nous dit que cela n’est pas sans rapport avec Descartes qui a pu penser l’être comme inhérent au sujet avec sa formule « je pense, donc je suis ». Si Lacan part de cette formule, c’est pour articuler plus finement sa thèse, à savoir : « rien d’autre ne supporte l’idée traditionnelle philosophique d’un sujet, sinon l’existence du signifiant et de ses effets ».

Comment concevoir cette dépendance de la formation du sujet par rapport à l’existence d’effets du signifiant comme tel ? Pour lui, ce qui s’appelle pensée* se loge à l’intérieur de ce problème. Toute expérience de l’inconscient est quelque chose qui se place à ce niveau de pensée, à partir de cette question incarnée : « qui suis-je ? ». Il souhaite nous entrainer loin sur la piste de cette question légitime, mais sans en garantir la vérité bien qu’il ne s’agisse que de la vérité. Il ne dira jamais le vrai sur le vrai mais précise que la vraie vérité a un sens sur lequel s’est édifié le crédit de la psychanalyse. Il indique par un mot d’esprit, où nous pourrons la trouver : « la vraie vérité, c’est le dessous des cartes ».

Il souhaite tirer parti des impasses de la formulation de Descartes en objectant : « je pense n’est pas une pensée ». Il se décale : la pensée de Descartes est une pensée de penseur mais n’est nullement requise pour parler de pensée car une pensée n’exige pas qu’on pense à la pensée. Cela lui permet d’affirmer sa proposition : la pensée commence à l’inconscient.

*(pour AH : le mot pensée apparaît d’abord, en 1130 dans la locution « être en pensée » qui veut dire « être en souci pour »).

Au passage il critique la position des psychologues qui amputent le discours de Freud ne prenant en compte qu’une de ses formulations « la pensée est une action à l’état d’ébauche » et éliminant « la pensée est un mode efficace de satisfaction masturbatoire ».

Qu’avons-nous à interroger dans la formule de Descartes ? Tout d’abord, le « je pense » qui est insuffisant à repérer la présence d’un « je suis ». « Je pense » n’est pas plus soutenable logiquement que « je mens » qui ne se déploie que d’un semblant de sens dans la logique formelle. Si je dis « je mens », c’est vrai, donc je ne mens pas, mais je mens bien puisqu’en disant je mens, j’affirme le contraire. Lacan revient sur la difficulté de ce jugement qui tient en ceci qu’il porte sur son propre énoncé et qu’il y a donc un collapse. Si nous ne distinguons pas deux plans, il n’y a pas de véritable proposition.

Il nous faut donc procéder autrement. Lacan va utiliser l’aporie d’Epiménide, qui est une forme développée du « Je mens ». Il la cite : « Tous les Crétois sont des menteurs, ainsi parle Epiménide le Crétois ». Cela va lui permettre de démontrer la vanité de la proposition dite affirmative universelle. Si l’on pose que la substance de cette affirmative n’est autre que celle d’une universelle négative à savoir : « il n’y a pas de Crétois qui ne soit capable de mentir », il n’y a plus de problème. En effet, exprimé de cette façon, Epiménide ne dit pas qu’il y ait quelqu’un qui puisse mentir en permanence, ce qui impliquerait une mémoire telle que la vérité finirait par lui échapper. Quel sens pourrions donner à ce : « tous les Crétois sont des menteurs » ? La proposition de Lacan est la suivante : d’une part, Epiménide s’en glorifie et d’autre part, il utilise un procédé pour nous faire avaler ses bluffs. Il ajoute que toute affirmative universelle a les mêmes finalités, ce que nous retrouvons dans les exemples classiques.

Avec Aristote qui révèle que Socrate est mortel, Lacan nous invite à nous intéresser à ce qui pourrait donner prise à une interprétation. En effet, si c’est en tant qu’animal humain que Socrate est assuré de la mort, c’est en tant que nommé Socrate qu’il y échappe, pas seulement parce que sa renommée dure, grâce à l’opération de transfert opérée par Platon, mais en tant qu’ayant réussi à se constituer à partir de son identité sociale que le nommé Socrate à Athènes a pu se soutenir dans le désir de sa propre mort et qu’il en a fait l’acting out de sa vie. Aristote pensait le transfert comme un obstacle au développement du savoir. La science est née de cet hyper platonisme où la fonction du savoir se fait selon le statut du concept. Il nous faudra attendre la Renaissance pour que le verbe (la parole poétique) montrant sa vraie vérité, dissipe les ténèbres du sens d’où surgit la science moderne. Contrairement à ce que nous pourrions penser, le sens ne nous éclaire pas…

L’intérêt du « je pense » dans la formule de Descartes est de nous montrer la dimension volontaire du jugement. Il suffit de distinguer deux niveaux, l’énonciation et l’énoncé pour affirmer que nous sommes dans l’impasse quand ces deux plans se confondent. Ce dont il s’agit, c’est que je peux à la fois mentir et dire de la même voix que je mens. Quand je distingue les voix en disant « il dit que je mens », il n’y a plus d’objection. Même chose pour le « il ment » ou le « je dis que je mens ». Mais si je dis : « je sais que je mens », en tant qu’analystes, cela doit attirer notre attention et nous permettre d’intervenir : « Mais non, tu ne sais pas que tu dis la vérité ». Et ce qui va plus loin avec la prise en compte de la dénégation : « Tu ne la dis si bien que dans la mesure où tu crois mentir et quand tu ne veux pas mentir, c’est pour mieux te garder de cette vérité ».

Fort de cela, nous pouvons dire que le « je pense que je pense » est un « je pense » d’opinion ou d’imagination. Dans Descartes, nous trouvons très souvent cette dimension imaginaire sur laquelle aucune évidence ne peut être fondée. Car cela veut dire je suis un être pensant et nous met en difficulté pour penser un statut sans préjugé à notre existence. Si je dis : « je suis un être », cela veut dire que je suis un être essentiel à l’être, où le doute n’a plus sa place.

Lacan revient sur ce troisième terme : « je sais que je mens ». Il relève que ce préjugé concernant le sujet a été le support du développement de la philosophie, et qu’il est la limite au-delà de laquelle commence la possibilité de l’inconscient. Il s’agit de subvertir ce préjugé en affirmant que le seul sujet qui s’est développé à partir de la proposition de Descartes, n’a jamais été qu’un seul sujet qu’il épingle sous cette forme : le « sujet supposé savoir ». C’est de cette « disputatio » avec Descartes que Lacan en arrive à penser cela.

Avec Hegel, le sujet supposé savoir prendra sa valeur dans la fonction synchronique de son propos : sa présence toujours là. Et ce qui va nous permettre de nous dégager du savoir absolu, c’est, d’une part, de ne pas attribuer ce supposé savoir à qui que ce soit et, d’autre part, de ne pas supposer de sujet au savoir.

Lacan affirme : le savoir est inter subjectif. Il n’est pas le savoir de tous, il n’est pas non plus le savoir de l’Autre, l’Autre n’étant qu’un lieu auquel on transfère le savoir du sujet. La supposition indue de Hegel est qu’il y ait un Autre qui ait le savoir absolu (Dieu), mais l’Autre n’est pas un sujet.

Qu’est-ce que l’Autre ? C’est le dépotoir des représentants représentatifs de cette supposition de savoir, c’est l’Inconscient pour autant que le sujet s’est perdu lui-même (aphanisis) dans cette supposition de savoir. C’est à son insu. Ce sont des débris qui lui reviennent : « c’est bien cela, ce n’est pas cela du tout, c’est tout à fait ça tout de même ».

Pour la prochaine leçon, Lacan souhaite reprendre la fonction du sujet dans Descartes avec les résonnances trouvées dans l’analyse. Il s’agira de repérer ce qui a trait à la phénoménologie du névrosé obsessionnel dans une scansion* signifiante où le sujet se trouve impliqué. La suite dans quelques instants par la voix d’Elisabeth de Franceschi.

* Une scansion n’est pas une coupure mais la mise en évidence d’un signifiant par la prononciation, par la voix de l’interlocuteur dans la cure.

Leçon 2 Elisabeth de Franceschi

- 1° Lacan avait annoncé, à la fin de la leçon I, un développement sur la fonction du sujet dans Descartes ;
- 2° difficulté de cette leçon : comme le dit Lacan à la fin, elle est le « moment le plus difficile de la difficulté par laquelle j’ai à vous faire passer » ;
- 3° difficulté quand il s’agit de distinguer des parties ou articulations dans cette leçon : le tressage de la pensée est très serré ; et ceci est vrai pour l’ensemble du séminaire.
- 4° importance des références linguistiques dans cette leçon ;
- 5° Lacan y jette les bases d’une réflexion qui sera développée au cours des leçons suivantes, avec pour point culminant, me semble-t-il, les développements consacrés au nom, voir la leçon VI par exemple.
Lacan commence par un rappel de la leçon I, concernant la réflexion philosophique de Descartes.
L’ « identification » : au sens analytique, c’est une « identification de signifiant » : voilà un principe de base, qui avait été en quelque sorte dit à moitié au cours de la leçon I, et que Lacan va s’attacher à éclairer dans les leçons suivantes : pendant la leçon I, avait été soulignée la « dépendance de la formation du sujet par rapport à l’existence d’effets de signifiant comme tel » (éd. ALI 2020, p. 12).
Arrivent alors les références aux linguistes : référence à Ferdinand de Saussure (1857-1913 ; son Cours de linguistique générale, publié par ses élèves en 1916, met l’accent sur la distinction entre le signifiant et le signifié ; pour Saussure, le signifiant = Lautbild, « image acoustique » ou symbole graphique ; le signifié = Vorstellung, représentation mentale du « concept » ; le rapport entre les deux est arbitraire et immotivé selon Saussure ; rappelons aussi que sur le schéma de Saussure, le signifié est au-dessus de la barre, et que signifié et signifiant sont les deux faces complémentaires du signe linguistique), à Roman Jakobson (« école de Prague », note Lacan, en soulignant que pour lui, Lacan, il y a primauté du signifiant sur le signifié d’où une inscription différente sur les schémas : chez Lacan, le « signifiant » est au-dessus de la barre) et à Louis Hjelmslev (« école de Copenhague », signale Lacan : c’est le cercle linguistique de Copenhague, au sein duquel Louis Hjelmslev, 1899-1965, linguiste danois, un des pionniers du structuralisme, a prolongé les recherches de F. de Saussure en fondant la glossématique (laquelle prolonge le concept saussurien de signe linguistique). Ouvrages de Hjelmslev : Principes de grammaire générale (1928), puis Prolégomènes à une théorie du langage (1943, traduction française parue aux éditions de Minuit, 2000) .
Donc : « primauté » donnée par Lacan « à la fonction du signifiant dans toute réalisation du sujet ». fermeté dans l’énonciation de ce principe par Lacan : il y a là un point de repérage auquel il se tiendra désormais

En ce qui concerne l’identité fondée sur le signifiant (ce qu’il nomme « identité de signifiant »), Lacan rappelle l’exemple saussurien de « l’express de 10 h 15 » cf. Saussure, Cours de linguistique générale, chap. III, « Identités, réalités, valeurs », p. 151 : « Le mécanisme linguistique roule tout entier sur des identités et des différences … Ainsi nous parlons d’identité à propos de deux express “Genève-Paris 8 h. 45 du soir” qui partent à vingt-quatre heures d’intervalle. À nos yeux, c’est le même express, et pourtant probablement locomotive, wagons, personnel, tout est différent ». Seul le signifiant reste identique à travers la multiplicité des trains. De fait, pour Lacan, l’identification symbolique (identification de signifiant) se différencie ou se distingue de l’identification imaginaire, c’est-à-dire de « l’effet d’image » ; cf. « l’effet organique de l’image du semblable » sur l’évolution de l’individu dans sa forme, par exemple dans le cas du criquet pèlerin ; la définition de l’image comme « tout arrangement physique qui a pour résultat, entre deux systèmes, de constituer une concordance biunivoque » , peut s’appliquer à la formation dans la nature de toute image, même virtuelle, par l’intermédiaire d’une surface plane (ex. de la surface du lac qui reflète la montagne, dans le séminaire sur Le moi, leçon du 08-12-1954) .
Comment s’effectue la liaison entre les deux systèmes que forment symbolique et réel (l’un étant « l’image » de l’autre) ? Cette liaison se fait-elle par l’idée de « l’information », par une « correspondance biunivoque » ? Selon Lacan, il y a hétérogénéité entre la dimension symbolique et celle du réel ; en particulier, Lacan signale l’originalité qu’apporte le « trait de sérialité » (dans le registre de l’information signifiante) ou « trait de discrétion » (= de coupure), qui distingue chaque élément des autres.
La distinction entre diachronie et synchronie (simultanéité virtuelle, dans quelque sujet supposé du code), est insuffisante pour constituer l’identité : en effet, la synchronie pose comme possible un sujet supposé savoir, tandis que la diachronie, qu’elle soit de fait ou de droit, renvoie au symbolique (lois du signifiant ou structure).

Pour appréhender le lien de tout cela avec la question de l’identification, il faut partir de la difficulté qui nous est proposée du fait même de notre expérience, c’est-à-dire qu’il est impossible de poser un quelconque savoir absolu dans le sujet. Lacan souligne qu’il faut donc se passer constamment du « sujet supposé savoir » (cf. le début du séminaire 1958-59 sur Le désir et son interprétation, tel que résumé par J.B Pontalis dans le Bulletin de psychologie, 1960, vol. XIII, n°s 5 et 6), voir à ce sujet le commentaire du rêve rapporté par Freud dans la Traumdeutung, « Il ne savait pas qu’il était mort ». Contrairement à ce que pense Politzer , c’est dans le « il » que nous pouvons désigner le sujet de l’énonciation (mais celui-ci figure dans la phrase en troisième personne, et comme non-sachant ; en première personne, nous pouvons seulement dire, à la suite d’Andrew Marvell (1621-1678) (non avec John Donne (1572-1631), comme le dit Lacan par erreur), dans le poème « To his Coy Mistress » (“à sa timide maîtresse”) :
« But at my back I always hear
Time’s winged chariot hurrying near »),
à l’instant ultime, « Je ne savais pas que je vivais d’être mortel », c’est-à-dire qu’à notre propre vie « nous aurons toujours été en quelque mesure étranger ». Cf. « l’être pour la mort » (für den Tod sein, en réalité Sein zum Tode chez Heigegger, “être vers la mort”, dans Être et Temps) : fondement existentiel, par lequel nous sommes inermes = sans aiguillon ni épines en botanique, sans crochets en zoologie devant les questions dernières : c’est-à-dire face à ce qui se présente au sujet, au premier abord, comme relevant du discours de l’Autre selon Safouan, Lacaniana – Les séminaires de Jacques Lacan, vol. I (1953-1963), p. 188. la thématique du sujet non-sachant annonce d’une certaine façon les développements sur la négation, tels qu’ils trouveront leur plus grand rayonnement par exemple au cours de la leçon VIII ; cette thématique s’inscrit en faux contre le préjugé ou l’illusion consistant à supposer qu’il y a un sujet du savoir, ou un savoir du sujet.

Retour à Descartes : Descartes opère une remise en question totale ; impossible du « je pense, donc je suis » (cf. leçon I) : il n’y a rien sur quoi se fonder dans cette formule, aucune consistance à en attendre plus grande que celle du rêve.
Reprise des termes principaux de la phrase de Descartes, l’être et le je (ceci, en relation avec la question du sujet) :
- L’être : dire « j’êtrepense », comme on dit « j’outrecuide », « je compense, je décompense », « je surcompense » ? ou « je penseêtre » (leurre, apparence), du verbe « penseêtrer », à l’instar de « s’empêtrer » ?
- Le « je » reste problématique, introduit par contrebande dans le « je pense, donc je suis », estime Lacan.
Le doute cartésien se subsume dans la fonction du Dieu trompeur (ou du malin génie : « doute hyperbolique ») : car le Dieu trompeur est encore un Dieu qui existe (donc qui « berce d’illusions »).
Donc vacillation du je ; il y a deux façons de l’articuler :
- l’articulation de Descartes est classique : cf. la Psychologie de Brentano , à rapporter à Thomas d’Aquin , selon qui « l’être ne saurait se saisir comme pensée que (…) dans une succession de temps alternants », sans jamais avoir de certitude à ce sujet.
- l’autre articulation, d’ailleurs proche de la démarche cartésienne, consisterait à prendre connaissance du caractère « évanouissant » du je : « je pense et je ne suis » Safouan fait observer dans Lacaniana, p. 189, que « le ne porte ici, non pas sur le suis, mais sur le je », « je dé-pense à penser tout ce que je peux avoir d’être ». Autrement dit, c’est en cessant de penser qu’on peut entrevoir qu’on est.

ceci annonce des leçons ultérieures dans ce séminaire même, et aussi par exemple le séminaire XIV, La logique du fantasme, leçons des 11 et 18 janvier 1967 : « ou je ne pense pas, ou je ne suis pas » ; le cogito et les problèmes qu’il pose reviennent régulièrement dans les élaborations de Lacan depuis 1954 (séminaire II, leçon du 17 nov. 1954), jusqu’au séminaire XXIII, leçon du 13 janvier 1976, sur les rapports entre le cogito et le corps : « je (le) panse donc je l’essuie » ; dans le jeu de mots apparaîtra la distance prise alors par Lacan.

Au total :
- Mise en question du je ; à la question : « qui est-ce qui l’a fait ? », la réponse est : « I (en anglais), Ich (en allemand), ego (en latin) », mais en français, ce ne peut être « je » ; on dira « c’est moi », ou « pas moi » ; je est autre chose, selon Lacan.
- Autre type de problème : les diverses formes de la négation : dire « j’sais pas » et dire « je ne sais » (lequel est un « je sais sans savoir », dit Lacan : « le ne du je ne sais porte non pas sur le sais, ms sur le je »). Cf. Pichon , analyse concernant la négation, le forclusif et le discordantiel , rappel du séminaire VII, Le désir et son interprétation, 1958-59 (leçons des 10-12 et 17-12). Dans le présent séminaire, Lacan reviendra sur cette thématique au cours de la leçon VIII du 17-01-1962 : rapport de la négation avec le jugement, avec l’intérieur et l’extérieur, avec la question de la vérité et avec celle de l’identification ; pour l’heure, Lacan signale que ce genre de réflexions est une voie d’approche linguistique des problèmes se rapportant au sujet comme tel dans ses rapports au signifiant (voir leçon I).

Conclusion (p. 29-32 dans édition ALI 2020) :
- le savoir absolu qui nous mettrait au repos et ferait cesser le souci (cf. Heidegger, Sein und Zeit) est un « mirage » N.B. : embercailler = f. rentrer au bercail. Descartes représente une des variations possibles sur cette question, une « amusette » de « science-fiction » ; cependant sa démarche initiale a une valeur particulière, reconnaît Lacan.
- D’un point de vue psychologique, on peut reconnaître les caractéristiques générales d’une psychasthénie (cf. le passage des porte-manteaux humains dans la seconde Méditation).

Au total, pour Lacan, la thématique cartésienne du doute est injustifiable logiquement, toutefois elle n’est pas pour autant irrationnelle :
- Le doute cartésien n’est pas le doute sceptique (lequel porte sur le réel, comme il apparaît dans la Phénoménologie de l’Esprit, et est le temps du « savoir pas encore », qui de ce fait est un « savoir déjà »).
- Ce doute cartésien met en question le sujet lui-même comme acte inaugural, et en particulier le sujet supposé savoir (ce, même si Descartes ne le sait pas) : démarche « insensée » qui se présente comme un passage à l’acte sujet évanouissant.

Le premier temps de la méditation cartésienne se situe au niveau de ce qu’a de nécessairement insuffisant et primordial à la fois toute tentative ayant le rapport le plus radical et originel au désir : en effet, la démarche qui lui succède immédiatement concerne le Dieu trompeur ; elle est appel au verissimum opposé à l’entissimum : Dieu est « le plus être des êtres » (Saint Anselme ), le garant que la vérité existe, vérité qui pourrait être autre – et pourrait même être l’erreur –, si ce Dieu-là le voulait, le décidait : ce qui signifie que nous nous trouvons dans la batterie du signifiant, et que nous sommes confrontés au trait unaire « que nous connaissons déjà » ceci est un rappel des leçons des 7 et 28 juin 1961 dans le séminaire VIII sur Le Transfert ; dans ce séminaire IX sur L’identification, nous retrouvons ce thème dans de nombreuses leçons : leçons des 22 et 29 novembre, 6, 13 et 20 décembre 1961, et, pour l’année 1962, leçons du 10 janvier, des 21 et 28 février, des 7, 14 et 28 mars, des 9 et 16 mai, des 13 et 20 juin ; dès sa première occurrence dans le séminaire III, le 13 juin 1956, où il était mis en rapport avec le point de capiton, le trait unaire a été lié par Lacan à l’identification. Or ce trait unaire pourrait être substitué à chacun des éléments qui constituent la chaîne signifiante.
En effet, le trait unaire est toujours le même, trait un car trait unique (l’expression utilisée par Freud pour le désigner, einziger Zug, met l’accent sur l’unicité), tout à fait dépersonnalisé (dépourvu de tout contenu subjectif et de toute variation) ; pourquoi pourrait-il être substitué à tous les éléments de ce qui constitue la chaîne signifiante ? C’est dans la mesure où il est « ce qu’a de commun tout signifiant » ; tout signifiant est constitué comme trait, a ce trait pour support ; dans cette mesure-là aussi, le trait unaire, comme le signifiant, peut fonctionner comme garant : il y a un point tout à fait concret d’identification inaugurale du sujet au signifiant radical du trait unique (non pas du Un plotinien, qui est unifiant ou réunifiant), qui nous engage d’ailleurs sur la voie de l’idéalisation : en effet, l’idéal du moi se déploie à partir du trait unique, à cause de la question de la possibilité de substitution.
en filigrane : développements sur la fonction du nom, peut-être aussi sur la fonction de la signature  cette dernière ne joue-t-elle pas un rôle de garant sur le plan juridique ? voir les problèmes relatifs à l’authentification de signature par exemple
le trait unaire est donc à la fois identité et différence ; ce développement sur le trait unaire annonce les leçons ultérieures, en particulier la leçon III : en effet, c’est à partir du trait unaire que « toute la perspective du sujet comme ne sachant pas peut se déployer d’une façon rigoureuse », constate Lacan ; en ce sens, cette fin de la leçon II peut être considérée comme une introduction à la leçon III.

Glossématique, du grec glôssa signifiant langue : théorie de linguistique structurale élaborée par Louis Hjelmslev à partir de la pensée de Ferdinand de Saussure (fondateur du structuralisme).
« La langue est une forme organisée entre deux substances, dont l'une lui sert de contenu et l'autre d'expression. Les éléments de cette forme, ou glossèmes, sont donc, d'une part, les éléments servant à former le contenu (...) et, de l'autre, les éléments servant à former l'expression (...). Chacun des glossèmes et chacune de leurs catégories est défini par sa fonction, c’est-à-dire par ses rapports syntagmatiques possibles.... L. HJELMSLEV, Essais linguistiques, Essai d'une théorie des morphèmes, Copenhague, 1959 [1938], p. 152.
Glossématique : doctrine formant la conclusion abstraite du structuralisme de Saussure : forme de « linguistique à la fois empirique et déductive, et qui par cette méthode s'oppose à la grammaire et à la phonologie. La méthode glossématique ne vaut pas que pour la linguistique. Elle est utilisable et nécessaire pour n'importe quelle sémiologie, et c'est sur cette base élargie qu'il faut l'établir (L. HJELMSLEV, Essais linuistiques., La Structure morphologique, 1959 [1939], p. 133).
Ici Lacan ne cite pas (c’est trop tôt) Émile Benveniste (1902-1976), linguiste né à Alep, naturalisé français en 1924, qui s’est illustré dans la grammaire comparée des langues indo-européennes (sa discipline d’origine : l’iranien) et dans la linguistique générale ; Benveniste a enseigné à l’EPHE (de 1927 à 1969), et au Collège de France (chaire de grammaire comparée de 1937 à 1969) ; exclu du Collège de France par Vichy, il se réfugie en Suisse en 1941 (il y reste jusqu’en 1945). En 1969, il subit une attaque cérébrale, et devient aphasique.
Citation de Benveniste : « Il est de la nature des faits linguistiques, puisqu’ils sont des signes, de se réaliser en oppositions et de ne signifier que par là » (conclusion de son article sur « actif et moyen dans le verbe », article repris dans Problèmes de linguistique générale, I, Gall., 1966, p. 168-175 (II  Gall., 1974).
Selon Calvert Watkins (dans « Émile Benveniste aujourd’hui », p. 7), Noms d'agent et noms d'action en indo-européen (Adrien Maisonneuve, 1948), serait « le plus beau livre de grammaire comparée qu’on ait écrit au XXe siècl…. le chef-d’œuvre, la cime du structuralisme classique européen ». Calbert Watkins (1933-2013) : linguiste et philologue américain, How to kill a Dragon : aspects of Indo-European Poetics (sur la tradition poétique indo-européenne), fut professeur de linguistique à Harvard.
Les Problèmes de Linguistique générale de Benveniste (1966 et 1974, soit après le séminaire IX) introduisent en France la linguistique de l’énonciation (faut-il voir là une influence de Lacan ???).

Lacan ne cite pas non plus (c’est trop tôt aussi) le linguiste américain Noam Chomski (né en 1928), fondateur de la linguistique générative (il commence à développer sa théorie de la grammaire générative et transformationnelle dans les années 1950 en cherchant à dépasser aussi bien l’approche structuraliste, distributionnaliste que comportementaliste dans l’étude du langage naturel). À partir du milieu des années 1960, il déploie une intense activité militante (par exemple Chomski est un opposant à la guerre du Vietnam), à tendance anarcho-syndicaliste ; il est professeur au MIT.
Structures syntaxiques (ouvrage publié en 1957) introduisait la grammaire générative. Cette théorie considère que les expressions (séquences de mots) ont une syntaxe qui peut être caractérisée (globalement) par une grammaire formelle ; en particulier, une grammaire hors-contexte étendue par des règles de transformation. Les enfants sont supposés avoir une connaissance innée de la grammaire élémentaire commune à tous les langages humains (ce qui présume que tout langage existant en est une sorte de restriction) cf. Anna attendant vainement l’ascenseur et constatant : « elle vient pas, l’ascenseur ». Cette connaissance innée est appelée « grammaire universelle ». Il est soutenu que la modélisation de la connaissance de la langue par une grammaire formelle explique la « productivité » de la langue : avec un jeu réduit de règles de grammaire et un ensemble fini de termes, les humains peuvent produire un nombre infini de phrases. Il existe et il existera donc toujours des phrases qui n’ont jamais été dites.

En revanche, Lacan cite Ferdinand de Saussure (1857-1913), linguiste suisse reconnu comme le précurseur du structuralisme en linguistique ; Saussure a aussi a réalisé des travaux sur les langues indo-européennes. Son Cours de linguistique générale (1916) a été publié après sa mort par ses élèves : concepts fondamentaux (distinction entre langage (faculté générale de pouvoir s’exprimer au moyen de signes), langue (ensemble de signes utilisés par une communauté pour communiquer ; la langue est un système) et parole (utilisation concrète des signes linguistiques dans un contexte précis), distinction entre synchronie et diachronie ; caractère arbitraire du signe linguistique ; signifiant (= image acoustique d’un mot)/signifié (= représentation mentale d’une ch.)) ; linguistique et sémiologie.

Lacan cite aussi Louis Hjelmslev (1899-1965), linguiste danois, maître indiscuté du Cercle linguistique de Copenhague, un des pionniers du structuralisme, fondateur de la glossématique, théorie linguistique de tournure structuraliste qui porte à leurs ultimes conséquences les postulats du Cours de linguistique générale de Saussure.
Ouvrages de Hjelmslev :
- Principes de gramaire générale (1928)
- Prolégomènes à une théorie du langage (1943)
La glossématique prolonge le concept saussurien de signe linguistique.

Lacan cite également Roman Jakobson (1896-1982) ; né à Moscou, il part pour Prague en 1920, fonde (avec d’autres) l’école de Prague de théorie linguistique, quitte la Tchécoslovaquie en 1939, se réfugie d’abord en Scandinavie puis aux USA. Travaux de phonologie ; idées : 1° le langage a six fonctions (a) fonction référentielle ou représentative = fonction sémiotique ou symbolique (l’énoncé donne l’état des choses) ; b) fonction expressive (attitude propre du sujet à l’égard de ce dont il parle) ; c) fonction conative (l’énoncé vise à agir sur l’interlocuteur) ; d) fonction phatique (liens entre locuteur et interlocuteur) ; e) fonction métalinguistique ou métacommunicative (qui fait référence au code linguistique lui-même) ; f) fonction poétique (cf. le pouvoir créateur) ; 2° axe syntagmatique, axe paradigmatique (donc influence sur l’étude des aphasies, et sur celle des figures de rhétorique, dans la mesure où débouchent sur la polarité métaphore-métonymie). Six éléments : a) le contexte (fonction dénotative ou référentielle) ; b) l’émetteur (fonction expressive, fonction conative) ; c) le récepteur (fonction expressive, fonction conative) ; d) le canal (fonction phatique, fonction poétique) ; e) le message (fonction phatique, fonction poétique) ; f) le code (fonction métalinguistique).
Langage enfantin et aphasie (traduction française, Minuit, 1969).
Correspondance biunivoque (bijection) = correspondance « un à un » entre éléments de 2 ensembles.
Georges Politzer (1903, né à Nagyvárad (Empire austro-hongrois) – auj. Oradea, en Roumanie (région de Transylvanie) – et mort pur la France, fusillé le 23 mai 1942 au Mont-Valérien) : philosophe, résistant et théoricien marxiste français d'origine juive hongroise. S’exile à Vienne en 1920, suite à l’écrasement de la République des Conseils de Hongrie dirigée par Béla Kun. Participe aux séminaires de la société psychanalytique de Vienne avec Freud et Ferenczi. S’installe à Paris en 1921, en cinq ans obtient tous ses titres académiques (agrégation de philosophie en 1926). Critique des fondements de la psychologie (1928, rééd. aux PUF en 1967 puis 2003 ; cf. rapport de J. Laplanche au colloque de Bonneval sur « L’inconscient » en 1960, dans Jean Laplanche et Serge Leclaire, « L'inconscient, une étude psychanalytique », texte repris dans Jean Laplanche, Problématiques IV, L'inconscient et le ça, P.U.F., 1981, p. 261-321. Premier paragraphe de la section I (écrit par Jean Laplanche), a) Sens et lettre. Examen de la critique de Georges Politzer). En 1929, adhère au P.C. Polémique avec Angelo Hesnard : pour Politzer, la psychanalyse ménage la chèvre et le chou, elle est opportuniste et scolastique : la Revue Française de Psychanalyse est un verre grossissant des défauts du freudisme, « Les recherches positives y sont presque inexistantes, il y a par contre beaucoup de théories, dans l’élaboration desquelles les psychanalystes apportent la même indulgence que vis-à-vis de leurs adversaires. » Politzer a été un des critiques les plus redoutés du capitalisme de son époque et l’auteur d’une tentative audacieuse de refondation de la psychologie en tant que science, pour la sortir de son ère « mythologique et préscientifique ». Il cherche à poser les bases d’une véritable psychologie matérialiste, s’appuyant sur l’œuvre de Marx et Engels. Il appellera cette nouvelle discipline la psychologie concrète. En faisant des événements de la vie humaine l’objet d’étude de la psychologie, il souhaite dépasser l’âge préscientifique de celle-ci, idéaliste et abstraite, sans pour autant la réduire à un simple organicisme. Par ailleurs, Politzer récusera l’hypothèse de l’inconscient sans pour autant affirmer l’exclusivité de la conscience.
La référence est la suivante : Georges Politzer, Critique des fondements de la psychologie, PUF, 1967, p. 151 sq
Franz Clemens Brentano (1838-1917), philosophe et psychologue catholique allemand, puis autrichien (à ne pas confondre avec Clemens Wenzeslaus Brentano, 1778-1842, poète et écrivain allemand, son oncle, auteur de la ballade de la Loreley, 1801), surtout connu pour sa remise au premier plan du concept médiéval d'intentionnalité, qu'il tire notamment de l'interprétation d'Aristote par Thomas d'Aquin et les philosophes médiévaux. Il tente à partir de ce concept de fonder la psychologie comme science positive et empirique, s'interroge sur l'immortalité de l'âme et développe une métaphysique de type réaliste. Différend avec l’Église catholique sur la doctrine de l’infaillibilité papale. A été le professeur d’Edmund Husserl et de Sigmund Freud. Psychologie du point de vue empirique (Psychologie vom empirischen Standpunkt, 1874-1911), cf. traduction française Aubier, 1944, puis Vrin, 2008.
Cf. Thomas D’Aquin : Somme théologique, I, Q. 85, 86, 87.
Thomas d'Aquin (1225-1274), religieux dominicain, célèbre pour son œuvre théologique et philosophique.
Considéré comme l'un des principaux maîtres de la philosophie scolastique et de la théologie catholique, canonisé en 1323, proclamé docteur de l'Église en 1567, patron des universités, écoles et académies catholiques, des libraires. Est aussi qualifié du titre de « Docteur angélique » (Doctor angelicus). Essai de synthèse de la raison et de la foi : il tente de concilier la pensée chrétienne et la philosophie d’Aristote, redécouvert par les scolastiques à la suite des traductions latines du XIIe s. Il distingue les vérités accessibles à la seule raison, de celles de la foi, définies comme une adhésion inconditionnelle à la Parole de Dieu. Il qualifie la philosophie de « servante de la théologie » (philosophia ancilla theologiæ) : les deux disciplines collaborent de manière « subalternée » (= subordonnée à la recherche de la connaissance de la vérité, chemin vers la béatitude).
É. Pichon, J. Damourette :
Ouvrage commun :
Des mots à la pensée. Essai de grammaire de la langue frçaise, éditions d’Artrey, 1911-1940 ; rééd. Vrin (2000). Dans le vol. I (1911-1927), s. d. 1930, ils abordent la négation dans les généralités (y reproduisent presque littéralement l’article sur la négation préalablement publié ; le vol. VI (1911-1940), s. d. 1943 contient une étude très étoffée de la négation.
Articles communs :
- « La Grammaire en tant que mode d’exploration de l’inconscient », dans L’Évolution psychiatrique, n° 1, 1925, p. 237-257.
- « Sur la signification psychologique de la négation en français », dans le Journal de Psychologie normale et pathologique, vol. XXV, 1928, p. 228-254.

Édouard Jean Baptiste Pichon (1890 -1940), médecin, linguiste et psychanalyste français, cofondateur de la SPP (1926), atteint d’un rhumatisme articulaire aigu (dont le traitement occasionnait des épisodes délirants) ; neveu de Jacques Damourette, grammairien, avec lequel il signera Des mots à la pensée, une grammaire en 7 volumes qui tente de décrire de façon exhaustive l'état de la langue française entre 1911 et 1940. Le titre de l'ouvrage s'inscrit contre le courant dominant des grammairiens de l'époque, qui partent de l'idée pour arriver au langage : Damourette et Pichon partent de la langue pour montrer comment émerge la pensée ; Élisabeth Roudinesco fait remarquer que cette position est contradictoire avec les positions que Pichon tiendra à l'égard de la psychanalyse.
Ouvrages :
Le développement psychique de l'enfant, Masson et Cie, Paris, 1953.
Le bégaiement : sa nature et son traitement, avec Suzanne Borel-Maisonny, Paris, Masson, 1936.
Articles :
« Mort, angoisse, négation », L’Évoluiotn psychiatrique, janvier-mars 1947, p. 19-46 : bel article posthume, dédié à « Mademoiselle Françoise Marette » (= Françoise Dolto).

C'est à Pichon que Lacan empruntera le terme de forclusion qui définit le mécanisme psychique caractéristique de la structure psychotique (mécanisme nommé « scotomisation » par Laforgue). Hommage rendu par Lacan à Pichon : "Cent psychanalystes médiocres ne feront pas faire un pas à sa connaissance [de la psychanalyse], tandis qu'un médecin, d'être l'auteur d'une œuvre géniale dans la grammaire (et qu'on n'aille pas imaginer ici quelque sympathique production de l'humanisme médical), a maintenu, sa vie durant, le style de la communication à l'intérieur d'un groupe d'analystes contre les vents de sa discordance et la marée de ses servitudes" (Écrits, p. 360-361).
Analysé par Eugénie Sokolnicka ; prend parti pour Anna Freud contre Mélanie Klein. Maurrassien.

Jacques Damourette (1873-1943) reçut une formation d’architecte mais, incapable d'exercer son métier, il se consacra avec son neveu Édouard Pichon à la rédaction d'une grammaire du français, à orientation psychologique, qui est un monument.
Ouvrages :
Sur la signification psycholog. de la négation en français (Félix Alcan, 1928, 254 p.)
Traité moderne de ponctuation, Larousse, 1939.
Un projet de réforme orthographique, avec Albert Dauzat, Bibliothèque du Français Moderne, 1940, 31 p.
Art.
La Grammaire en tant que mode d’exploration de l’inconscient, avec Édouard Pichon, danss L’Évolution psychiatique., n° 1, 1925, p. 237-257.
Unité historique de la langue française, dans les Mélanges offerts à Monsieur Pierre Janet, Paris, chez d’Artrey, 1939, p. 55-73.
Voir article de S. Lecoq « Le discordantiel et le forclusif », dans le Bull. freud. (association freudienne de Belgique) n° 11, 1989 (l’ai téléchargé). Voir aussi l’article de Daniel Feltin « (Dé)négation et sujet de l’énonciation », dans la Revue lacanienne 2012/2 (n° 13), p. 61-72 (je l’ai téléchargé). Voir enfin l’article de Michel Arrivé intitulé « Ce que Lacan retient de Damourette et Pichon : l’exemple de la négation », paru dans la revue Langages, année 1996, n° 124, p. 113-124 (je l’ai téléchargé).
Cf. ouvrage de Jacques Damourette, Sur la signification psychologique de la négation en français (Félix Alcan, 1928), et article de même titre (par Damourette et Pichon, 1928, dans le Journal de psychologie morale et pathologique, vol. XXV, 1928, p. 228-254), article quasiment contemporain de l’article de Freud sur « La Négation » ; cet article est reproduit en annexe du séminaire de Melman sur La linguisterie), dans le Bloc-notes de la psychanalyse, n° 5 : « "Le mécanisme de l'élocution est loin de ne comporter que des pensées conscientes, le choix d'un mode grammatical, d'une tournure, d'un mot même nous est inspiré par le sens que nous avons de notre langue beaucoup plus tôt qu'il n'est effectué par un acte pleinement conscient et volontaire de notre intellect. Si donc nous cherchons les éléments psychiques représentés dans la structure du langage, nous jetterons de ce fait même un jour sur le subconscient du sujet parlant". Damourette et Pichon partent de l'idée que la négation est à la base de toute logique et servait déjà dans l'Antiquité à classer les propositions. Ils constatent par ailleurs qu'en français elle se présente en deux morceaux : NE... PAS (et ses variantes "rien", "plus jamais", "personne", etc.) En ce sens, disent-ils, "il n'y a pas à proprement parler de négation en français". Ainsi, dans notre langue, ns n'avons pas l'équivalent de l'allemand "ich komme nicht" ("je ne viens pas") où tout le poids de la négation tombe en fin de phrase et vient écraser, annuler l'affirmation posée et qui jusqu'alors maintenait l'auditeur en position de créance. Pichon remarque que "la notion exprimée par ce deuxième terme est plus voisine de la négation brute que le NE". Donc, conclut-il, "le deuxième terme sert à nier la réalité en bloc". Autrement dit, c'est vraiment lui qui vient barrer, annuler ce qui se donnait presque jusqu'alors comme vérité. "Il a donc une signification exclusive". Le NE, quant à lui, et surtout en dehors de son emploi avec PAS, se rencontre dans toute une série de cas où son emploi n'est ni tout à fait affirmatif, ni tout à fait négatif. Il introduit une dissonance, une discordance, notamment dans certaines propositions subordonnées. Ainsi, par exemple : "Je crains qu'il ne vienne" : ce "ne" dit "explétif" introduit un flottement de sens, une ambiguïté que nos maîtres d'école nous ont appris à lever : "je crains qu'il vienne" et je me dis (inconsciemment !) "pourvu qu'il ne vienne pas". L'explication a sans doute l'avantage, sur les bancs de l'école, de laisser entrevoir un bout de l'existence de l'Inconscient mais sur un divan d'analyse, il s'avérera que mon désir serait "qu'il vienne"...! Revenons à Pichon avec cet autre exemple : "Il y a un arbre qui empêche qu'on ne voie chez vous". Il y a, dit-il, "discordance entre le phénomène qui devrait se produire et la force qui l'empêche".
Pichon fait encore remarquer qu'en proposition subordonnée, la négation se vérifie souvent avec des verbes exprimant la subjectivité et s'accompagne alors du subjonctif. Ainsi les verbes exprimant la crainte, le doute, l'empêchement, la précaution, la tentative, etc. Ainsi : "Tâchons d'avoir fini avant qu'il n'arrive". "On s'attend d'un moment à l'autre à ce que Mr le Marquis ne passe" (On s'attend à ce qu'il passe, mais le souhaite-t-on ?) (Rappelons ici qu'en latin, l'emploi du "ne", dépourvu de signification négative, était obligatoire en subordonnée après certains verbes, notamment ceux exprimant la crainte : "Timeo ne hostis veniat": "Je crains que l'ennemi ne vienne".
Nos grammairiens ajoutent encore que "le discordantiel apparaît comme un mécanisme très fin qu'emploie l'esprit pour se défendre contre la grossièreté et l'insuffisance de la conception brute de la négation". Leur conclusion est alors celle-ci : le français possède deux outils de négation: - l'un, forclusif, nie sans ambiguïté, exclut la possibilité de... - l'autre, discordantiel, exprime  traduisons cela en termes analytiques  la division du sujet ; il est comme la trace du sujet de l'énonciation dans l'énoncé.
Lacan, dans son séminaire sur l'identification du 17.01.62, reprendra  pour en souligner l'intérêt mais aussi les difficultés qu'elle pose  la distinction opérée par Damourette et Pichon entre la fonction d'exclusion du réel exprimée par le "PAS" dans un énoncé et la discordance plus ou moins perceptible introduite par le "NE" entre sujet de l'énonciation et sujet de l'énoncé (division du sujet). Il en retient que le je n'est pas seul à désigner ce sujet de l'énonciation. Le ne peut faire cet office, notamment allié à certains verbes qui expriment davantage la position subjective.
La réciprocité du « pas » et du « ne » est évidente si nous inversons l’ordre des négations : « pas un homme qui ne mente » (avec emploi du subjonctif)  « il n’y a pas un chat ici ». Par conséquent la seule négation, c’est le ne qui la supporte, même s’il est élidé.
Saint Anselme de Cantorbéry (Anselmus Cantuariensis) (1033 ou 1034-1109), dit aussi Anselme d’Aoste et Anselme du Bec (moine bénédictin à l’abbaye Notre-Dame du Bec en Normandie), canonisé en 1494, proclamé docteur de l'Église (appelé « docteur magnifique ») en 1720. À l'origine de ce que Kant nommera argument ontologique, saint Anselme est un des écrivains majeurs de l'Occident médiéval. Il est regardé par d'aucuns, essentiellement à travers son Monologion (traité de dialectique appliqué à la théologie, le Monologion de Divinitatis, démonstration d'élégance dans le maniement de la technique du raisonnement, 1076) ,et son Proslogion (« Supplément » au Monologion, le Proslogion seu Alloquium de Dei existentia, dans lequel il utilise les arguments non plus de l'exégèse, c'est-à-dire de l'autorité des textes et de la Révélation, mais de la logique pour traiter la question de l'existence de Dieu. En effet, l'influence scientifique d'Aristote sur Anselme ne fait aucun doute : il emprunte en particulier au philosophe grec le concept de nécessité qui devient une notion fondamentale de sa théologie rationnelle), comme le fondateur de la théologie scolastique2. Suivant le principe directeur de la Fides quaerens intellectum, il inaugure au sein de l'Église une recherche de conciliation entre foi en Dieu et raison humaine qu'exacerbera, à la génération suivante, Abélard, et qui se résoudra dans le thomisme.
En tant que théologien, il élabore le dogme de la circumincession (existence des personnes de la Trinité les unes dans les autres, compénétration mutuelle fondée sur une unité d'essence. Cf. la périchorèse, du grec περιχώρησις perikhōrēsis, « rotation », qui décrit la relation entre chaque personne du Dieu trinitaire. Ce terme désigne ce qui unit les Trois Personnes de la Trinité c’est-à-dire l’union consubstantielle dans un mouvement incessant d’amour par lequel le Père engendre le Fils dans l’Esprit ; une action trinitaire de grâce est implicite dans l'art sacré de Sainte Anne trinitaire : le Père créateur, le Fils rédempteur, la procession réflexive du Saint-Esprit, avec le Christ-enfant divin pointant vers sa mère et sa grand-mère humaine), adopté en 1442 au concile de Florence, à partir duquel il jette les bases de la théorie de la satisfaction que précisera Thomas d'Aquin et que Calvin interprétera dans un sens propitiatoire pour fonder sa théologie de la grâce.
En tant qu'archevêque de Canterbury, il impose la réforme grégorienne, transfère les investitures à Rome et donne à l'Église d'Angleterre la direction que suivra Thomas Beckett.


Leçon 3 Jean-Jacques Lepitre

Le signifiant qu’il faut que soit le sujet pour que le sujet soit signifiant c’est le Un comme trait unique, à savoir le un comptable et non le un de l’universel, le un totalisant. Le trait unaire est comme notation minimale. Le un serait l’instrument de l’identification. Mais ce n’est pas si simple car l’être pensant, ce qui pense, cf Descartes, reste au rang du réel de son opacité. Cela pense, c’est quoi ? Comment, comme être, le déduire de l’être, en général, soit donc d’un autre être que lui, cf Descartes, la question de la cause, de l’inclusion dans l’antécédent ou le supérieur. Il ne reste qu’une palpitation, un frémissement de l’être sur fond de mort, le monstre Chapalu, Le mythe de Daphnée, la bombe atomique. Mais d’où se garantirait sa vérité ? A cet être… De quel au-delà ? Au-delà de l’être ? Or c’est bien aussi de cela qu’il s’agit dans la démarche analytique : la recherche de la vérité, du vrai du vrai du sujet. Descartes a cet intérêt, même s’il situe le garant de la vérité dans l’au-delà divin, en un second temps, de poser la question non de trouver le vrai dans le réel, mais celle du sujet décryptant la vérité du réel. Et le trait unaire, le trait unique, se rappeler la démarche de Descartes de réduction à ce point unique, seule certitude restante de ce qu’il faut qu’il y ait ce point pensant, doutant, minimum pour que pensée ou doute soient. Cette démarche concentre la fonction du signifiant comme garantie de l’avènement de la vérité. Ce reste, ce signifiant, cela, dépouillé de tout ce qui serait douteux. Il s’agit de cerner ce qu’est ce « un ».
Préalablement, il évoque qu’il est le maître heureux d’une chienne boxer, ceci en vue d’approfondir la question de la parole, du langage et du signifiant et répondre aux reproches qui lui sont faits de négliger la dimension préverbale. Sa chienne lui parle, affirme-t-il, ce qui est bien de l’ordre du préverbal. Elle s’adresse à lui par de multiples petits bruits, gémissements, aboiements divers, avec des frémissements de bajoues identiques à ceux de sa concierge, et des regards semblables à ceux de telle femme du monde. Parler, ici, c’est manifester par des signes de façon adressée à un autre, il précise petit a. Alors qu’est-ce qui distingue cette parole d’une parole humaine ? Même si certains sons émis, couinements, grognements, etc, pourraient faire partie des sons répertoriés par l’abbé Rousselot, créateur de la phonologie expérimentale, dont les travaux sont au départ de l’orthophonie avec Borel Maisonny, sa chienne est incapable de certains phonèmes, par exemple les occlusives, consonnes dont la prononciation se produit de l’occlusion de la colonne d’air, p,b, t, d, k, g, et qui ne seraient pas selon lui chantables, (nb : erreur de sa part, il semble qu’elles le soient : cf les thérapies pour chanteurs et chanteuses ayant des difficultés passagères des occlusives surtout dans les aigus).. Du langage des animaux et de ses modulations, et de ses manques, il associe au pidgin, à la créolisation, c’est-à-dire au mélange des sonorités de langues multiples. Et continue en notant que de façon quasi universelle le phonème « pa » s’attache à la référence paternelle et le phonème « ma » à la référence maternelle. Une autre différence entre la parole de sa chienne et la parole humaine est qu’elle ne le prend jamais pour un autre. Elle est incapable du moindre transfert. Il n’y aurait pas chez elle ce glissement de l’autre à l’Autre, grand A, lieu des signifiants, comme dans la parole humaine.
Pour poursuive sur l’Un, même s’il dit manquer de temps, il raconte une légende, une histoire où un serviteur, dont le maître vient de mourir, voyant une petite souris parcourir, dans une grange, les divers outils agraires dont se servaient quotidiennement son maître, l’identifie à celui-ci venant visiter, toucher ses outils une dernière fois. Pour que ce genre de légende puisse être audible, voire pensable, il ne suffit pas comme le fait Levy-Brulh, anthropologue célèbre, de faire appel à une « participation mystique » ou à une « mentalité prélogique ». Cela n’explique rien. Il s’agit de cette possibilité d’identification, entre la souris et le maître, en tant que vérité, notion qui n’existe que dans et par le langage. La souris est le maître : vérité. C’est la même chose que A = A. Cela a bien constitué tout un âge de la pensée, de l’antiquité jusqu’à Kant… Mais avec l’avènement de la linguistique et de l’usage étendu des signifiants, lettres et symboles, en mathématiques s’en ouvre un autre. A est-il A ? Les formulations de de Saussure précisent le signifiant comme défini de sa seule différence avec les autres, tous les autres qu’il n’est pas. L’un, autour duquel il promet de faire tourner sa démonstration concernant l’identification, l’un, à partir de cette définition du signifiant, est l’Autre. Le différent. Et c’est dans l’Autre que le A du A est A. L’Autre comme lieu des signifiants contient A et lui donne son statut de constance. Mais l’énoncé de A n’est pas la même chose. C’est à partir de là que peut s’explorer l’identification qui n’a rien à voir avec l’unification.

Leçon 4 Katia Mesmin

Lacan suit son idée de reprendre la question de l’identification en passant par la notion du Un tout en annonçant que l’identification, ce n’est pas faire Un. Ce n’est pas faire identité. Ce n’est pas éliminer les différences. Au contraire, le Un va se positionner du côté du trait non pas du tout. Le signifiant va venir tenir le fil conducteur et dessiner les contours des opérations essentielles pour l’identification du sujet : identifier, différencier, se différencier ; compter, se compter pour enfin se décompter
Il sera question de passer de l’identité du Un à l’identification au « un ».
Pour nous amener à cette question du Un, il utilise la formule A=A, formule basique qui, au premier abord, ne semble pas poser de questions. En tout point du premier A correspondrait en tout point le 2ème A. Il y aurait une identité totale, le deuxième A étant en tout point identifié au 1er. Il n’y aurait pas de différence. C’est ce que cette formule aurait l’air de vouloir dire.
Or, Lacan va nous démontrer que cette formule du A est A ne veut rien dire en tant que tel. Il va nous démonter par l’abord de Freud et de De Saussure que dans le même temps de cette formule, une autre coexiste : A≠A.
1er temps de son élaboration : 2 exemples permettent d’approcher cette première prise en main du 1er temps de l’identification, celle qui consiste au repérage de traits en l’objet qui fonde l’objet. L’expérience articulée autour du Fort-Da et l’histoire de la souris et du serviteur.
 Le fort-da : dans ce jeu d’aller et retour de cette balle, dans cette expérience de prise et de rejet, de présence et d’absence d’un même objet, il interroge la fonction de la disparition sur le statut de l’objet en tant que constitutive de l’objet. Quand il réapparaît, est-ce vraiment le même ? Oui et non. Une fois, il est l’objet parti, une fois, il est l’objet là. Il est, en même temps, le même dans une appréhension anticipée de la forme ; en même temps il s’en différencie dans le discours ( fort≠da). Le même objet parti et revenu n’est pas nommé de la même manière.
 Le serviteur et la souris : C’est le même objet, c’est le même être qui apparaît dans les deux apparitions (le fantôme et la souris). C’est lui, c’est encore lui : formule simplifiée de l’identification c’est-à-dire de l’attribution de traits d’un élément à un autre élément qui viserait l’être dans sa globalité.
Lacan se pose deux questions :
1) quel rapport il y a entre ce «est» qui unit ces deux disparitions de la balle et son absence intermédiaire ( qu’on retrouve aussi dans c’est lui, c’est encore lui). Finalement, quelle fonction tient ce « est » dans le A est A ?
2) dans le mécanisme de l’identification, s’agit-il de cette formule simple de l’identification (attribution de traits identiques à un autre qui viserait l’être)? L’identification se situe-t-elle uniquement au niveau de l’imaginaire ?
Au-delà de l’identification imaginaire du stade du miroir, quelle serait le fondement de notre être ?
Dans l’expérience du fort-da et dans l’histoire du serviteur, il est question d’identifier l’autre. Cette identification se fait sur un mode imaginaire. Qu’en serait-il de notre propre identification ? Passer du verbe identifier à s’identifier.
Se rapportant à sa chienne et à sa différence fondamentale d’avec l’humain, Lacan introduit le rapport au signifiant dans la mise en œuvre de l’identification.
« Que notre expérience nous montre que les différents modes, les différents angles sous lesquels nous sommes amenés à nous identifier comme sujets, au moins pour une part d’entre eux supposent le signifiant pour l’articuler, même sous la forme le plus souvent ambigüe, impropre mal maniable que A=A ».
2ème temps de son élaboration : C’est en essayant d’articuler le statut du signifiant comme tel à la question identificatoire que Lacan va avancer dans ce champ et ainsi sortir du champ de l’imaginaire en introduisant le registre symbolique au travers de l’équivocité du signifiant.
D’emblée, il distingue le signifiant du signe. C’est dans cette différence fondamentale qu’il va nous amener à repérer la place du sujet. Pour Lacan, le sujet est un effet de signifiant qu’il distingue en deux possibilités : effet métonymique, effet métaphorique. C’est dans les effets de métaphore et de métonymie que le sujet se dévoile, s’énonce voire se dénonce.
Le sujet devient donc dépendant du signifiant. Pour nous faire sentir ce que recouvrirait cette phrase : le sujet est un effet du signifiant. Il reprend cet exemple de la trace d’un pas et le pas de trace et comment le sujet peut surgir entre les deux extrémités signifiantes de ce pas (le pas comme substantif et le pas marquant la négation).
Il va nous montrer dans son cheminement de quoi est constituée cette chaîne signifiante. C’est Saussure et sa linguistique qui va lui en donner les bases.
Lacan reboucle sur cette fausse affirmation du A=A qui relève d’une époque de pensée qu’il nomme l’ère théologique (croyance en la consistance d’une identité en tout point). C’est en apportant une certaine idée de l’identique qui transcenderait cette affirmation du A=A qu’un pas va pourvoir être franchi en direction de ce que serait l’identification.
Pour Lacan, c’est un fait objectif qui explique que A ne peut pas être A. Ce fait objectif, il le récupère de De Saussure : aucun signifiant ne peut être identique à lui-même. Il prend l’exemple de la formulation la guerre est la guerre. Il précise que ce n’est pas une tautologie, que justement nous ne sommes pas dans ce A=A.
Quand on dit la guerre est la guerre, on dit bien autre chose que cela. Il relève que beaucoup de formulation de cette sorte ne sont pas des tautologies pour la simple raison qu’un signifiant ne peut se définir qu’en n’étant pas ce que sont les autres. Il n’est pas non plus identique à lui-même. Pour Lacan, ce qui soutient l’identité c’est cela. C’est marqué par une différence fondamentale, une équivocité du signifiant.
3ème temps de son articulation : La lettre comme essence du signifiant par où il se différencie du signe et l’introduction de la notion d’einziger zug comme support de la lettre.
Suivons sa démonstration en reprenant son expérience de la calligraphie chinoise



Lacan a reproduit en deux exemplaires une phrase : l’ombre de mon chapeau danse et tremble sur les fleurs du Haï-tang. Au milieu et à droite, vous avez la même phrase écrite. Nous avons une phrase parfaitement identique et profondément différente. Différente au niveau de l’écriture, au niveau du trait, de l’inscription.
Il va se servir de cette expérience pour nous indiquer que la fonction du trait unaire n’est pas de réduire au maximum les différences comme on pourrait le constater dans ces deux exemples d’écriture d’un même texte (finalement, on est toujours sur le registre de l’imaginaire) mais de fonctionner comme une pure différence.
4ème temps de son articulation : c’est au travers du trait comme unité de comptage que Lacan conduit son cheminement.
Nous sommes donc partis de ce qui fait identité et donc différence pour différencier et se différencier (registre imaginaire). Il va maintenant être question de compter et donc de se compter et se décompter, opérations essentielles dans l’identification du sujet.
Compter, voici la fonction du trait du bâton. Le bâton fait repère, distingue l’avant de l’après dans l’exemple du chasseur de Lacan.
Ex de la côte du mammifère marqué du comptage des bêtes tuées.


C’est par le biais de la coche sur le bâton que le sujet va découper le réel et ainsi le discerner. Le bâton, le trait va permettre de faire du « un » comptable dans le Un totalité. (ex des coches sur le lit du Marquis de Sade concernant ses différentes expériences sexuelles). Cocher, c’est une première inscription permettant l’accrochage du signifiant. C’est donc par le signifiant que le sujet va découper le réel et sortir de l’immanence dont parle Lacan.
En cochant, le compteur se met à compter en tant que tel, différent de l’autre et peut ainsi se décompter. Chaque trait est lu comme un « un » et n’occupe pas la même place dans la sériation. Les mots dans la chaîne signifiante seront « lus » comme des uns et leur place dans la chaîne signifiante donneront la direction du sujet, son orientation.
Lacan accentue ce point en démontrant que ce qui différencie Lacan et Laplanche, c’est justement qu’on peut les nommer ainsi. C’est en nommant Lacan et Laplanche c’est-à-dire leur état civil, ce qui est inscrit à la naissance sur un registre et qui les inscrit dans leur filiation, qu’ils sont fondamentalement différenciés et prennent leur identité. Ce n’est pas l’état de toutes leurs différences physiques ou autres qui les spécifie. Il reprendra par la suite la question de l’oralisation de l’écriture.
Lacan s’interroge sur la spécificité du trait unaire (p.58). Ce qui le distingue, c’est que le signifiant n’est pas un signe. Il ne représente pas qq chose pour quelqu’un. (le signe qui représente quelque chose pour quelqu’un= la lumière rouge dans le système de pavlov ou ma paire de basket orange pour mon chien).
Ce qui va permettre à l’enfant de sortir d’une subjectivité rudimentaire c’est-à-dire du simple registre de la communication (le registre du signe) pour entrer dans le langage, c’est justement l’entrée en scène du signifiant par la mise en jeu du trait unaire.
Dans le signe, il n’y a pas d’objet. L’introduction du signifiant, c’est l’introduction de l’objet en tant qu’il est perdu. Ainsi l’enfant entrant dans le langage, se comptant et se décomptant, passe sous la barre, s’efface au profit des signifiants qui le constituent.
C’est ce que Lacan va nous aborder, dans les prochaines leçons, dans son néologisme concernant les différentes effaçons du signifiant de rendre compte de la posture du sujet face au discours du grand Autre. C’est dans l’automatisme de répétition, les plaintes itératives, les redondances symptomatologiques que le signifiant insiste et signale le sujet.

Je terminerai par cette petite anecdote clinique de cette petite fille qui entre en séance et me dit avec une grande jubilation que la dernière fois elle m’a bien ratatinée au 1/2/3 soleil (je pensais à la girafe chiffonnée de Hans) tout en indiquant qu’elle a caché à sa mère qu’elle ne voulait pas dessiner en apportant sa trousse de crayon dans le bureau.
Mes questions en suspens :
Articulation trait unaire, refoulement originaire, signifiant.
Trait unaire, sujet de l’énoncé, sujet de l’énonciation
Temps logique du trait unaire (stade du miroir, avant stade du miroir)


Leçon 5 Rima Traboulsi

Plan de la leçon
I) Retour sur les notions d’unité et de l’un
II) Reprise du terme trait unaire chez Freud pour nous en montrer l’efficace dans l’abord de l’identification mais aussi dans son ouverture sur le registre symbolique
III) Référence, apparition, historique et dérives de la notion de symbolique, critique de son usage uniquement dans le sens de symbole (donc comme signe) et critique des théories de la forme qui ne renverraient exclusivement qu’à la dimension imaginaire
IV) Abord du registre Symbolique, au sens Lacanien et introduction de certaines notions qu’il développera plus tard dans ce séminaire à savoir : les lois du signifiant, la question du sujet de l’inconscient et de son savoir, l’articulation trait unaire et sujet, les effets de coupure du signifiant dans le réel de la structure, la répétition signifiante etc…

I) Retour sur les notions d’unité et de l’un

Lacan ouvre cette leçon par une citation d’Euclide, dans le livre VII des « Eléments », dont la traduction serait :
« L’unité est ce selon quoi chacune des choses existante est dite une »,
« Un nombre est un assemblage composé d’unités ».
Parce que cette phrase exprimerait le mieux, sur le plan mathématique, cette fonction de l’ «un » tel qu’il nous intéresse.
Si selon Lacan, beaucoup de mathématiciens se sont occupés du statut de l’unité et si certains ont abouti dans des directions opposées à ce qui conviendrait, Euclide, lui, nous parle d’autant plus qu’il était géomètre se situant dans les mathématiques de manière telle que l’intuition conservait pour lui sa valeur originelle. Ce qui ne l’a pas empêché d’être le 1er à introduire l’exigence de la démonstration appliquée à l’expérience, à la familiarité de l’espace. (On entend là, un point qui intéresse Lacan, qui lui-même utilise des notions mathématiques pour appuyer et développer ses propres trouvailles ; c’est d’ailleurs ce qui va se trouver confirmé dans les leçons suivantes du séminaire et plus loin dans le séminaire avec la topologie des surfaces.)
Lacan souligne que :
- dans la 1ère partie de la citation, le terme « monas » utilisé par Euclide renvoie au trait unaire comme support de la différence (cf les leçons précédentes), au « un » qui désigne la fonction de l’unité, ce facteur de cohérence qui fait que, quelque chose se distingue de ce qui l’entoure, fait « un » au sens unitaire de la fonction.
- la suite de cette citation énonce que le nombre n’est rien d’autre que cette sorte de multiplicité qui surgit précisément de l’introduction des unités.

II) La notion de trait unaire

Lacan prend comme point de départ, pour déployer son propos sur l’identification, la fonction de trait unaire, dévoilée dans l’ « einziger zug » dans la 2ème identification chez Freud.
Dans « Psychologie collective et analyse du Moi », dans Essais de Psychanalyse, Freud décrira 3 identifications :
- la 1ère au père par incorporation
- la 2ème au trait unaire :
- la 3ème au symptôme
Rappel : La 2ème serait liée à la perte de l’objet aimé, perte qui produit une sorte d’état régressif qui fait surgir cette identification. Le Moi copie dans cette situation de perte, tantôt l’objet aimé tantôt l’objet non aimé, toutefois, dans les 2 cas l’identification est partielle à un élément, un trait unique « einziger zug » de la personne, trait, comme ersatz de la personne.
L’abord par cette 2ème identification pourrait paraître limitant au regard de la portée de la 1ère, celle ambivalente qui se fonde sur l’image de la dévoration assimilante (incorporation) ; on pourrait, aussi, se poser la question de son rapport avec la 3ème, identification hystérique par l’intermédiaire du désir. Le désir supposant l’articulation des rapports du sujet à la chaîne signifiante pour autant que cette relation modifie la structure de tout rapport du sujet avec chacun de ses besoins.
Lacan va, par l’exposé qui suit, légitimer son abord partial de l’identification par le trait unaire et nous inviter à nous méfier du général, du genre et de la classe dans le champ de la logique et de ce qui fait figure de la communauté.
La logique de Lacan (qui se différencie d’autres logiques) est celle des fonctions exercées par le langage sur le Réel c’est-à-dire la logique des signifiants. (Ce qui nous place dans le registre symbolique.)
Lacan avance que les 3 identifications de Freud ne forment pas une classe même si elles portent le même nom, induisant ainsi « l’ombre d’un concept ».
Il rappelle que la fonction universelle surgit pour nous de l’individuel, du particulier. (Dans les leçons suivantes, il abordera les systèmes formels des propositions et de la classification classique des propositions : universelle, particulières etc…)
En ce qui concerne la fonction de l’identification, ce qui se passe, se passe au niveau de la structure donc du registre Symbolique à distinguer de l’Imaginaire et du Réél. Mais attention, ces 3 registres ne sont pas des champs de l’être que Lacan sépare.

III) Le registre symbolique, apparition, historique et dérives

Ce tiers élément, le Symbolique a été révélé par le champ de l’expérience et donc de la technique, analytiques, comme face complémentaire de la découverte de Freud. (Expérience comme expérimentation et non pas expérience comme chose vécue).
Ce qui s’est révélé en tout premier lieu c’est la fonction du symbole, sous la forme d’effet de choc, caractéristique de l’émergence des relations Inconscientes, sortes de flashs sur l’image, adhérences dans le champ imaginaire ouvrant sur une certaine ambiguïté et impliquant un certain schéma d’évolution dans notre doctrine, comme présent « naturellement » dans le champ de nos découvertes.
Lacan, lui, nous invite à partir de principes sûrs car des dérives sont survenues au fil du temps concernant certaines imagos qui, lors de leurs surgissements premiers, étaient originaux et efficaces mais qui se sont perpétuées dans une sorte de familiarité banalisante et ce notamment au niveau des interprétations des symboles, sortes de fantômes avec lesquels on vit ou devenant des objets d’amusement. (Par ex : la figure du vampire ou de la pieuvre renvoyant à la mère ou dans le tableau de Dali « La persistance de la mémoire » la montre molle de Dali renvoyant à l’inutilité de la mesure du temps, les fourmis à la putréfaction et la mort etc…).
Malgré tout, ces imagos gardent en eux quelque chose de leur caractère d’alarme. Ce phénomène s’est illustré par la suite dans la cure par l’apparition d’archétypes (par exemple chez C.Jung)

Lacan ne nie pas les apports de la fonction de Gestalt (forme), dans la compréhension de la pensée mais il nous incite à distinguer :
- ce qu’il en est de la Gestalt « cristallographique » qui met l’accent sur les points de parenté entre les formations naturelles et les organisations structurales quand celles-ci sont définies à partir de la combinatoire signifiante. Qui met en avant la force subjective rendant compte de l’effet du signifiant dans le réel. En d’autre terme celle qui prend en compte le degré de naturel dans la physique moderne mais ceci n’est pas notre question,
- et la Gestalt « anthropomorphique » contre laquelle il nous met en garde car elle induit de la confusion en faisant une analogie entre macrocosme et microcosme et se réfère à l’homme universel.

Ce rappel, pour montrer le vif de ce qu’a apporté la découverte de Freud et qui ne consiste pas en un retour des vieux fantômes (sus évoqués).

IV) Le registre symbolique chez Lacan

Lacan poursuit son propos en évoquant un passage d’un de ses textes dans « Propos sur la causalité psychique » qui disait à propos de l’imago : « plus inaccessible à nos yeux, faits pour les signes du changeur, que ce dont le chasseur du désert sait voir la trace imperceptible : le pas de la gazelle sur le rocher, un jour se révèleront les aspects de l’imago ». (La question du signe de la trace, du symbole, du signifiant…)
Questions : qu’est-ce que les signes du changeur ? Quels signes ? Quel changement ? Quel changeur ?
Réponse : ces signes ce sont les signifiants en tant que signes opérant par leur association dans la chaine, par leur commutativité ou par leur fonction de permutation.
C’est là où se situe la fonction de changeur.
Le signifiant, de par cette fonction, introduit dans le Réel un changement. Dit autrement, du fait de la combinatoire et de la topologie de la structure, le signifiant peut opérer un changement dans le Réel. (Effet de coupure du signifiant qui peut changer la structure).
Lacan revient sur le terme « pensée », très présent chez Freud car probablement inévitable, pour désigner ce qui se passe dans l’Inconscient . Lacan préfère aller le chercher chez Descartes et pas chez Platon, Kant ou Hegel, car il aide à désigner là où est le problème de l’Inconscient, à savoir l’autonomie du sujet accentuée par ce paradoxe : que le savoir du sujet ne progresse vers rien et en rien, il ne se révèle qu’à partir de sa méconnaissance première et toujours dans l’après-coup.
C’est ceci qui distingue le champ de l’Inconscient, impossible à formaliser si on n’y voyait pas l’autonomie du sujet. (Pour nous, le sujet est toujours le sujet de l’Inconscient.)
Lacan nous pointe ici la permanence de la référence au sujet, dans cette fonction de trait unaire, de bâton figure de l’un, en tant qu’il n’ait que trait distinctif, d’autant plus distinctif qu’en est effacé tout ce qui le distingue ; sauf d’être un trait. Plus il est semblable, plus il fonctionne, non comme signe mais comme support de la différence.
Mais à la vérité, il n’y a pas de « plus, plus, » il n’y a pas d’idéal d’effacement des traits, des similitudes. L’effacement des distinctions qualitatives n’est là que pour nous permettre de saisir le paradoxe de l’altérité radicale désignée par le trait. (Peu importe que les traits se ressemblent ou pas)
La fonction d’altérité radicale réside donc ailleurs, Lacan revient à ce qu’il avait évoqué dans la leçon précédente concernant la répétition pour souligner que la fonction d’altérité permet à cette répétition d’échapper à l’identité de son éternel retour par le comptage des traits. (Illustration des traits sur l’os).
Lacan insiste sur ce comptage car c’est ici qu’il peut désigner ce à quoi on a affaire dans l’automatisme de répétition.
A savoir, le cycle ; peu importe qu’il soit amputé, déformé, abrasé, du fait qu’il est cycle et qu’il comporte le retour à un point terme, nous pouvons le concevoir sur le modèle du besoin et de la satisfaction.
La répétition du cycle, malgré les différences et par ces différences, se rapportent à un certain type par quoi tous les cycles précédents s’identifient comme étant le même.
Question : est-ce que l’automatisme de répétition et la répétition d’un automatisme c’est pareil ? Ex dans la digestion, ici le cycle est toujours le même quelques soit les aliments , les moments, les troubles contingents.
La question reste ouverte puisque cette comparaison n’avance à rien car l’automatisme de répétition auquel nous avons affaire est un cycle déterminé par l’unicité d’un certain signifiant désigné par une lettre, le grand A, l’A initial en tant :
- qu’il est numérotable (1,2,3…)
- que ce cycle et pas un autre équivaut à un certain signifiant

C’est à ce titre que le comportement se répète pour le faire surgir ainsi que ce numéro qui le fonde (le S1 ?).
En conclusion, la répétition symptomatique n’a pas pour fonction de seulement faire signe, c’est-à-dire de représenter l’actualisation de quelque chose, dans l’ici et maintenant, mais et surtout de présentifier le signifiant que cette action est devenue.
C’est en tant que ce qui est refoulé est un signifiant que ce cycle de comportement réel se présente à sa place, comme effet de ce signifiant refoulé.





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Leçon 6 Isabelle Pagnon

Ce chapitre découle de l’annonce faite par LACAN dans le chap 4 des diverses effaçons dont apparait le signifiant à partir de la chose effacée. Ce n’est sans rappeler le chap 13 de l’éthique, dans lequel le poète de l’amour courtois vient évider la chose, en l’occurrence l’intimité charnelle de la Dame et sublimer le désir en faisant surgir une anamorphose.
Ce coté charnel, LACAN le rappelle dans ce qui est la fonction du cycle besoin-satisfaction et de ce qui entraine l’automatisme de répétition avec son coté toujours identique. Le paradoxe de l’automatisme, est de faire surgir un signifiant radicalement différent, distinct et uni au caractère du trait unaire. C’est ce qui distingue le signifiant du signe. Ce rapport du sujet au signifiant permet l’ancrage du sujet dans le champ symbolique et le détachement d’avec la chose maternelle
.A travers une révision du savoir analytique, Lacan propose d’examiner les conséquences de l’identification du sujet au signifiant à travers le trait unaire, la lettre et l’utilisation du nom propre.
Lacan va évoquer le processus du refoulement avec l’effacement du traumatisme initial, puis la mise en place de l’automatisme de répétition avec un cycle de comportement dont le numéro tant est perdu pour le sujet. Cette série comptable représente le trait unaire. Exemple des accès de toux hystérique de la jeune Dora qui frustrée de sa demande d’amour à son père, régresse dans une identification. Elle emprunte à son père atteint d’une maladie pulmonaire, sa toux, qui devient la vorstellungrepresentanz d’un désir incestueux effacé.
Puis Lacan passe à la phobie, définie comme la plaque tournante des signifiants. Dans la phobie du petit Hans, celui-ci est menacé d’une disparition psychique car sous le coup d’une séduction incestueuse à l’égard de sa mère. L’invention d’un signifiant par le petit Hans, le tire de ce mauvais pas. C’est celui de la girafe chiffonnée, dessin sur lequel il s’assoit, qui lui permet de ne plus être le phallus de la mère. Hans symbolise ainsi sous la forme du chiffonnement de la girafe, le signifiant de son désir. Lacan souligne que c’est par l’analyse de la structure de la phobie de Hans qu’il a pu repérer la différence radicale du signifiant, ce que n’avait pas pu dégager Freud, en l’absence de référence aux travaux de Saussure.
Par la suite, Lacan va évoquer l’instance de la lettre et le roman d’Edgar Poe, la lettre volée qui est aussi un peu comme la girafe , malmenée , fripée et déchirée , dont la détention en série par les différents protagonistes exercent sur eux une identification forte à leur insu avec le refoulement du contenu de la lettre.
Lacan poursuit son analyse structurale du langage toujours pour cerner la naissance du signifiant à travers l’étude du nom propre.il souligne l’importance dans la pratique de l’analyste de toujours faire préciser les noms propres par le patient afin d »’éviter que toutes sortes de choses peuvent se cacher derrière cette sorte d’effacement qu’il y aurait du nom. »
Qu’est qu’un nom propre ? C’est un signifiant original, nous dit Lacan Son ambigüité le place à un carrefour ce que vient illustrer la querelle entre les logiciens et les linguistes. Le nom propre est un signe de quelque chose pour quelqu’un, mais aussi un signifiant qui est capable d’effacer la chose. Mais il n’est pas desséché comme les autres signifiants car il peut être rattaché à une jouissance liée à sa matérialité sonore.
L’importance linguistique majeure du nom propre a suscité un problème philosophique dans les années 1950 avec Bertrand RUSSEL. Ce dernier mathématicien, moraliste issu d’une tradition puritaine et athéiste, a développé une école de pensée « la philosophie analytique ». Il va chercher à purifier la langue de toute imperfection logique telle que le nom propre, les pronoms ou, les lapsus, pour la mettre en adéquation avec une logique pseudo scientifique. RUSSEL a voulu ramener le nom propre à un nom commun en effaçant les caractéristiques symboliques au profit d’une dénotation faite de paraphrase.
Ainsi il va émettre deux façons de distinguer les choses :
• soit les décrire par leurs qualités, leurs coordonnées géographiques, leur saturation, etc, et on utilisera un nom commun.
• Soit on désignera une chose comme particulière quand il n’y a pas de description possible, et on utilisera alors un nom propre. Pour RUSSEL, le premier nom propre « c’est le this. This is the question, le démonstratif peut passer au rang de nom propre ; il peut designer un point du tableau par le prénom John. A l’autre extrême de sa logique , RUSSEL démontre que le nom de SOCRATE ne peut plus être considéré comme un nom propre , que ce nom n’est plus particulier car SOCRATE peut être décrit par plusieurs particularités « : maitre de PLATON, l’homme qui a bu la cigüe » . Le nom propre peut être remplacé pour RUSSEL par d’autres dénotations une paraphrase, ou un numéro de fiche de police
Ce redressement du langage prônée par Russel aboutit à une telle atomisation logique du langage qu’il n’ya plus de dénomination possible, donc plus de sujet, ni de signifiants puisque tout est limité aux constats de perception, à du réel.La chose est attachée au signe.
Mais qui peut parler d’une telle théorie puisque même le nom de l’auteur est voué à disparaitre ?
Un linguiste GARDINER va se rebeller contre cette logique russellienne et cette méconnaissance de la fonction de la lettre. Il va écrire la théorie des noms propres en 1954. Sa qualité d’égyptologue, spécialiste des hiéroglyphes va lui permettre de contre formuler ce qui lui parait essentiel de la fonction du nom propre
Gardiner se réfère à un autre philosophe Mill qui distingue le nom propre du nom commun du côté de quelque chose qui est au niveau du sens. Le nom commun concerne l’objet, en tant qu’il lui amène un sens.Par-contre, le nom propre n’amène pas de sens à l’objet, mais quelque chose de l’ordre d’une marque appliquée sur l’objet.
Gardiner va aller plus loin dans la spécification du nom propre que Mill. Ce n’est pas tellement l’absence de sens dont il s’agit dans l’usage du nom propre car beaucoup de noms propres ont un sens ou plutôt une marque qu’un sens et que le sens appliqué à la marque s’est perdu (ex forgeron ou , la ville de Darmouth). Ce qui fait l’usage du nom propre, c’est l’aspect distinctif du son du nom propre. Mais n’est ce pas une caractéristique qui s’étend à tout le langage des phonèmes qui se distinguent les uns des autres ? Malgré sa position de linguiste qui se doit d’écarter toute référence psychologique, GARDINER est obligé d’introduire la notion subjective de l’attention apportée à la dimension signifiante du matériel sonore du nom propre.
En même temps, LACAN nous dit que nous ne sommes pas particulièrement avertis d’un accent sonore quand nous entendons ou que nous appelons des noms propres ; Il nous renvoie à l‘instance de la lettre dans l’inconscient.et à sa définition de la lettre en 1957.Celle-ci est indiquée comme la structure localisée du signifiant.il compare les lettres à la casse d’une imprimerie, aux caractères mobiles d’un journal imprimé. Pour renforcer cette conception de la lettre comme matériel réel du trait unaire, il se sert du nom propre. La matérialité du nom propre n’est pas liée a la conscience d’un sujet et à un sens psychologique, comme l’a dit GARDINER, mais comme un rapport du sujet à une structure .La structure sonore devient cruciale en raison de l’affinité du nom propre à la marque écrite.Il va illustrer son propos par les origines de l’écriture. Il cite un idéogramme sumérien qui désigne le ciel par un phonème an, repris par les akkadiens qui désignent le ciel autrement, mais l’idéogramme reste et se prononce toujours an. Tout se passe comme si l’écriture attendait d’etre phonétisée.Il ya un retournement de l’utilisation d’un phonème associé à un objet figuratif refoulé, rejeté. , trait unaire, à l’utilisation de l’écriture qui attendait d’être phonétisée à partir de ces traits.
LACAN parle de la matérialité de la lettre. Il y a un déplacement imaginaire à partir du trait unaire sur le réel et constitution d’une boucle topologique qui se redouble à un huit du côté de la lettre. (Car il y a une affinité entre le phonème et la marque écrite) Ce serait mis en évidence par le nom propre.C’est un indicateur rigide d’une marque ancienne, déposée par les générations d’une autre civilisation, le nom se conserve d’une langue à une autre et permet de déchiffrer une langue inconnue, à l’instar des souverains égyptiens retrouvés dans différentes langues ; grâce à la conservation d’une structure écrite.
II y a donc un lien entre nom propre, trait unaire et sujet. Le nom propre en tant que signifiant archaïque nous fait supposer qu’il est à l’origine de l’inconscient, de la substitution entre le « ca parle », à un sujet qui devient grâce à l’émergence d’un trait unaire , » je suis un être parlant et désirant » , mettant en route une chaine signifiante. Le sujet vient élider quelque chose qu’il ne peut savoir _ à savoir le nom de ce qu’il est en tant que sujet de l’énonciation.
Questions liens entre nom propre et nom du père, nom propre, pseudo, prénom

Leçon 7 Isabelle Prudhome

Trois parties apparaissent dans cette leçon, au terme d'une lecture accrochée au plus près du texte, en tentant de suivre le fil lacanien, malgré ses sauts et détours multiples.
La première, portant sur le nom propre et son rapport au sujet, sa fonction en tant que signifiant à l'état pur, sa fonction distinctive singulière du matériel sonore. Elaboration ouvrant sur la fonction de l'écriture, du signe et de la lettre.
La seconde prend appui sur la topique freudienne Inconscient-Préconscient-Conscient, en en proposant un remaniement, en articulation avec la question de l'identification.
Une troisième reprend l'analogie avec le cogito cartésien déjà abordée dans les leçons précédentes, le mettant en perspective avec la logique formelle et la logique mathématique.
Une problématique générale est présentée autour de la question de savoir d'où vient la marque, le trait : attaché au réel, à l'objet, et/ou inhérent au langage, au rapport du sujet au langage ?

Lacan commence cette séance du séminaire en mentionnant son manque de désir, « jamais je n'ai eu moins envie de faire mon séminaire » , énonce-t-il. En place d'analysant, de sujet, qui dit aussi ce qu'il ressent, ce qu'il pense, avec des « moments de tassement, de lassitude », lui jouant des tours sans doute, et nous entraînant, lecteurs à sa suite, à défaut d'être auditeurs.
Passé ce préambule, il va reprendre la question ouverte lors de la dernière séance du séminaire, à savoir, le nom propre, question rencontrée « sur notre chemin de l'identification du sujet, second type d'identification, régressive au trait unaire de l'Autre » , Autre en tant que trésor des signifiants.
Second type d'identification en question donc, dans ce premier temps du séminaire, l'identification au signifiant.
En vue de définir le nom propre, Lacan revient sur les points déjà abordés, sollicitant des linguistes et mathématiciens, qui confèrent au nom propre « la fonction du signifiant, sans doute à l'état pur » . Le nom propre, « c'est quelque chose qui vaut par la fonction distinctive de son matériel sonore » .
(Ce qui rejoint les prémisses de l'analyse saussurienne du langage, quant au trait distinctif qu'est le phonème - « comme couplé d'un ensemble d'une certaine batterie, pour autant uniquement qu'il n'est pas ce que sont les autres ».)
Trait spécial au final qu'est « l'usage d'une fonction du sujet dans le langage, souligne Lacan : celle de nommer par son nom propre » .

Ce début de définition du nom propre ouvre sur la voie de la forme « latente » au langage lui-même, et « la fonction de l'écriture, la fonction du signe, en tant que lui-même il se lit comme un objet » (identification à l'objet ?).
Une mise en abime semble être déployée du fait que les lettres ont elles aussi des noms, des noms qui « n'ont aucun sens dans la langue grecque où ils se formulent » (alpha, bêta...), mais dont nous pouvons en retrouver les formes signifiantes dans la langue phénicienne (possédant son propre alphabet, à l'origine par conséquent de l'alphabet grec, et par là-même de l'alphabet latin ; langue sémitique du sous-groupe cananéen, groupe dont descend l'hébreu).
Les noms de ces lettres « reproduisent les noms correspondant aux lettres de l'alphabet phénicien, d'un alphabet protosémique » (2nd millénaire à peu près avant notre ère), « cette langue protosémique d'où serait dérivé un certain nombre (…) des langages à l'évolution desquels est étroitement liée la première apparition de l'écriture ». Exemple de notre A majuscule et la forme du crâne d'un boeuf, renversée, avec les cornes qui le prolongent ; exemple aussi de Bet (Béta), qui est le nom de la maison.
Pour rappel également, les signes et leur lecture « apparaissent avant tout usage d'écriture » : on retrouve les mêmes signes dans des alphabets différents, ancêtres directs du nôtre (latin, étrusque...), mais aussi sur des poteries prédynastiques de l'antique Egypte, loin de tout usage alphabétique (l'écriture étant loin d'être née – elle a commencé en Egypte avec les hieroglyphes, datés de 3000 an av. JC). Egalement ces signes peuvent faire penser à ceux retrouvés sur les cailloux du Mas d'Azil (site préhistorique ariégeois).
«(...) la présence de ces éléments est là pour nous faire toucher du doigt quelque chose qui se propose comme radical dans ce que nous pouvons appeler l'attache du langage au réel. »

Ce constat étant posé, il vient s'opposer à la logique structuraliste, du structuralisme en linguistique qui ordonne le langage dans une référence à lui-même, sa propre structure en tant que telle, « qui nous montre le langage comme un ordre, un registre, une fonction dont c'est toute notre problématique qu'il nous faut la voir comme capable de fonctionner hors de toute conscience de la part du sujet (…). Dès lors il faut bien, pour nous, établir la jonction de son fonctionnement avec ce quelque chose qui en porte, dans le réel, la marque. D'où vient la marque ? Est-elle centrifuge ou centripète ? » . Problématique en question ici.

L'écriture phonétique, c'est l'usage combiné de ces dessins simplifiés, ou abrégés, ou effacés, qu'on appelle aussi idéogrammes, avec un usage phonétique. « La combinaison des deux apparaît par exemple évidente dans les hiéroglyphes égyptiens » . Dont le bagage témoigne de leurs objets d'intérêts résidant dans les animaux, les formes instrumentales agraires et autres et quelques signes utiles sous leur forme simplifiée de tout temps (trait unaire, barre, croix). Sans proportion toutefois avec la diversité effective des objets.
Par exemple, revient extrêmement souvent la figure du grand duc/ hibou dans les inscriptions classiques sur pierre, car le nom de cet animal est le support à l'émission labiale d'un « m ». « Le « m » signifiera plus d'une chose (…), une fonction introductrice du type : « voyez... », une fonction de fixation attentionnelle (…) un « voici » (…). Ou encore, dans d'autres cas où très probablement il devait se distinguer par son appui vocalique, représenter une des formes, non pas de la négation, mais (…) de quelque chose comme « il est dit que non » .
Lacan souligne à ce propos que ce n'est pas un hasard, que se manifeste cette « coalescence la plus primitive du signifiant avec quelque chose qui tout de suite pose la question de ce que c'est que la négation » . Simplement une connotation, un mot outil ? Est-ce comme une émission pure, un « n'est-ce pas ? »? Ou est-ce qu'elle s'impose par la nécessité de la disjonction ?
« Le problème de la négation est quelque chose qui se pose comme celui, à proprement parler d'un saut, voire d'une impasse » .

Autre manière de la concevoir si on prend en compte que la genèse du signifiant « est problématique, nous porte au niveau d'une interrogation sur un certain rapport existentiel, celle qui comme telle déjà se situe dans une référence à la négativité » .
Le signe est lu, avec du langage, bien avant l'advenue de l'écriture. Ce qui fait dire à Lacan que « la structuration du langage s'identifie, si l'on peut dire, au repérage de la première conjugaison d'un émission vocale avec le signe comme tel, c'est à dire avec quelque chose qui déjà se réfère à une première manipulation de l'objet » , objet qui représente ce qu'il y a de plus effacé, détruit (« si c'est de l'objet que le trait surgit, c'est quelque chose de l'objet que le trait retient : justement son unicité » , est-ce que son effacement, son aspect inanimé lui conférerait son unicité ?).
Du rapport à l'objet nait le signe, lu avec du langage, quand il n'y a pas d'écriture encore. C'est « de ce rapport de lecture au signe, que peut naître ensuite l'écriture pour autant qu'elle peut servir à connoter la phonématisation » .
Le nom propre qui spécifie comme tel l'enracinement du sujet ne se traduit pas d'une langue à l'autre : « il se transpose littéralement, il se transfère. Et c'est bien là sa caractéristique (...).» .
Le sujet peut s'avancer dans des énoncés, mais son énonciation élidera toujours « le nom de ce qu'il est en tant que sujet de l'énonciation » , cette nomination restant latente. Elle est concevable, précise Lacan, « comme étant le premier noyau, comme signifiant de ce qui ensuite va s'organiser comme chaîne tournante, (…), ce coeur parlant du sujet que nous appelons l'inconscient ».

Freud, à partir de sa première topique, sa représentation du premier système psychique « Inconscient-Préconscient-Conscient », va déployer une topologie des couches (à la fin de la Traumdeutung), couches au travers desquelles peuvent se passer des franchissements, des seuils, des irruptions d'un niveau dans un autre, notamment le passage de l'inconscient dans le préconscient (allusion au texte de Laplanche et Leclaire => hypothèse d'une double inscription). Pour Lacan, « si nous devons considérer que l'inconscient c'est ce lieu du sujet où ça parle, nous en venons maintenant à approcher ce point où nous pouvons dire que quelque chose, à l'insu du sujet, est profondément remanié par les effets de rétroaction du signifiant impliqué dans la parole. C'est pour autant, et pour la moindre de ses paroles, que le sujet parle, qu'il ne peut faire que de toujours une fois de plus se nommer sans le savoir, et sans savoir de quel nom » . Le sujet est identifié par le langage de l'Autre, qu'il a fait sien. (première identification ? Incorporation des signifiants de l'Autre ?). « (…) nous savons bien que ce qui est parlé, le discours effectif, le discours préconscient, est entièrement homogénéisable comme quelque chose qui se tient au-dehors. Le langage, en substance, court les rues (...) »
« Le préconscient, pour tout dire, est d'ores et déjà dans le réel, et le statut de l'inconscient, lui, s'il pose un problème, c'est pour autant qu'il s'est constitué à un tout autre niveau, à un niveau plus radical de l'émergence de l'acte d'énonciation » .
Il ajoute : « Ce dont il s'agit, c'est de voir que le langage articulé du discours commun, par rapport au sujet de l'inconscient en tant qu'il nous intéresse, il est au-dehors ». Il précisera un peu plus loin, que le préconscient est dans le réel, dans la circulation du monde et le statut de l'inconscient « à un niveau plus radical de l'émergence de l'acte d'énonciation ». Si l'inconscient pousse pour se faire reconnaître, c'est qu'il est comme chez lui dans un univers structuré par le discours.
Lacan remet en question l'ordre qui serait celui de l'inconscient au préconscient puis arriverait à la conscience. Ce qui se passe au niveau du préconscient fonctionnant sur la même base évoquée pour la lecture du signe. « Qu'au niveau du préconscient ce que nous cherchons ce soit à proprement parler l'identité des pensées, (…) c'est à proprement parler réduire le divers à l'identique » .
Ce qui renvoie Lacan à la recherche épistémologique depuis Platon, et à la logique formelle. Et parfois à une vision idéale de l'édifice de la science, « comme pouvant ou devant, même virtuellement, être déjà achevé » , ce qui pose la question de la tautologie au regard de tout savoir, toute science, toute saisie du monde d'une façon ordonnée et articulée (selon son étymologie : qui dit la même chose).
Lacan pointe à ce propos que ce qui est paradoxal, c'est de retrouver sous la plume de Freud, « que ce que cherche l'inconscient, ce qu'il veut, si l'on peut dire, que ce qui est la racine de son fonctionnement, de sa mise en jeu, c'est l'identité des perceptions, c'est à dire que ceci n'aurait littéralement aucun sens si ce dont il s'agit ce n'était pas que ceci : que le rapport de l'inconscient à ce qu'il cherche dans son mode propre de retour, c'est justement ce qui dans l'une fois perçu est l'identiquement identique si l'on peut dire, c'est le perçu de cette fois-là » .

Et Lacan, d'ajouter, « Et c'est justement cela qui manquera toujours, c'est qu'à toute espèce d'autre réapparition de ce qui répond au signifiant originel, point où est la marque que le sujet a reçue de ce, quoi que ce soir, qui est à l'origine de l'Urverdrängt, il manquera toujours... à quoi que ce soit qui vienne le représenter … cette marque qui est la marque unique du surgissement originel d'un signifiant originel qui s'est présenté une fois au moment où le point, le quelque chose de l'Urverdrängt en question est passé à l'existence inconsciente, à l'insistance dans cet ordre interne qu'est l'inconscient, entre, d'une part ce qu'il reçoit du monde extérieur et où il a des choses à lier, et du fait de les lier sous une forme signifiante, il ne peut les recevoir que dans leur différence » .
L'inconscient ne peut être satisfait par cette recherche de l'identité perceptive, « si c'est ça même qui le spécifie comme inconscient » . Lacan aboutit à proposer la triade «conscient-inconscient-préconscient » dans un ordre légèrement modifié, positionnant l'inconscient entre perception et conscience.
Il prolonge son propos en revenant à Descartes, évoquant son expérience philosophique singulière de la recherche du sujet et de sa vérité. Et particulièrement, de « savoir si on peut se fier à l'Autre, si comme tel ce que le sujet reçoit de l'extérieur est un signe fiable » . Revenant sur le non-sens du « je pense » égal à celui d'un « je mens », il remarque que « ce « Je pense » impossible passe à quelque chose qui est de l'ordre du préconscient, qu'il implique comme signifié que ce « Je pense » renvoie à un « …je suis » qui désormais n'est plus que le « X » de ce sujet que nous cherchons, à savoir de ce qu'il y a au départ pour que puisse se produire l'identification de ce « Je pense » » .
Un signifiant représente le sujet pour un autre signifiant. Est-ce à dire que Descartes s'identifie au « je pense »? Le processus d'identification se faisant inconsciemment à partir du préconscient vers l'inconscient, sans nécessairement passer au conscient ?
Après un détour supplémentaire par son écrit « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée », et le problème de logique formelle dit des prisonniers, que nous pouvons rappeler :
« Un directeur de prison doit libérer un prisonnier. Il en choisit trois et leur pose un problème qui réglerait la question du choix, à laquelle il ne peut manifestement pas répondre. Le prisonnier qui découvrira la couleur du rond dans son dos et donnera sa conclusion « fondée sur des motifs de logique » sera libéré. C’est le directeur qui le dit. Il y a trois prisonniers, trois ronds blancs et deux noirs. Chacun voit les ronds des deux autres. Donc trois ronds sur cinq sont utilisés. La parole leur est interdite. Première solution : si l’un des prisonniers voit deux ronds noirs il sort. Personne ne sort, donc il reste deux autres possibilités : un noir et deux blancs, ou trois blancs. Du point de vue de la logique formelle, il y aurait un indécidable. Lacan en fait l’exposé critique en réponse à un contradicteur. En voici la synthèse : s’il y a un noir dans un des dos, les deux autres devraient sortir. Ils ne sortent pas. Le contradicteur dit que les prisonniers se trouvent devant un indécidable. La critique de Lacan est la suivante : « Ce n’est pas le départ des autres, mais leur attente, qui détermine le jugement des sujets. » Et Lacan de souligner que la critique de son contradicteur ne fait qu’illustrer ce qu’il veut montrer, « la fonction de la hâte ». C’est là que s’introduit la logique subjective. C’est du fait que les autres ne sortent pas que chacun peut s’autoriser à faire le pas vers la sortie. Le premier temps vient faire trou dans le raisonnement de chacun : il y a une bascule subjective. En vérifiant l’hésitation des deux autres par un arrêt et un nouveau départ, chacun peut apporter la conclusion (ce sont les trois temps logiques : voir, comprendre, conclure). Le regard leur a permis de constater qu’ils étaient les mêmes, c’est-à-dire blancs. Encore fallait-il le vérifier, passer de l’incertitude à la certitude. Il s’agit de logique subjective parce qu’elle fait l’objet d’une déduction à partir de ce que chacun repère des autres. Il faut souligner ce que les trois prisonniers introduisent de déplacement : il faut ce pas des trois, le pas qui temporalise la position des prisonniers, sans quoi rien ne se passe. » .

L'analogie que souligne Lacan avec le cogito cartésien, tient en cette limite qu'il énonce : nous ne pouvons pas tout de suite si facilement dire et savoir.
Les trois prisonniers auront la même réflexion, les mêmes hésitations oscillantes (identification), basées sur leurs observations extérieures des uns des autres.
Descartes, doutant de la fiabilité de la pure élaboration, « va bien être amené comme tout le monde à essayer de se débrouiller avec ce qui se vit à l'extérieur, mais dans l'identification qui est celle qui se fait au trait unaire ». Lacan nous propose en somme de considérer ce « Je pense » sous sa forme de différence radicale, qu'il va représenter par un « 1 » (« c'est par « 1 » que nous le figurons ce « Je pense » » ). Rappelant que notre intérêt consiste dans le fait qu'il a rapport d'une part avec ce qui se passe à l'origine de la nomination, et que d'autre part, avec la naissance du sujet car « le sujet est ce qui se nomme » , ce que Lacan va figurer en tant que l'inconnu posé (i) « de ce qui est à l'origine sous la forme du sujet ».
Pour finir, il a recours à la logique mathématique - qui n'est pas sans m'échapper je l'avoue... comme notre 'sujet' parfois – logique mathématique avec la notion de série, se demandant si nous aurions affaire à une série convergente, « jusqu'à venir converger sur une valeur parfaitement constante qu'on appelle une limite », qui ferait que « le sujet est une fonction qui tend à une parfaite stabilité » .
Un saut dernier est fait par Lacan dans ce chapitre (saut qui m'a laissée en plan) quand il nous propose de considérer (i) notre inconnu en tant que nombre imaginaire, ayant pour valeur imaginaire, √-1. C'est un algorithme, nous précise-t-il, en aucun cas un nombre réel.
Pour connoter de même que 1, « la fonction de l'unité comme fonction de la différence radicale dans la détermination de ce centre idéal du sujet qui s'appelle idéal du moi », « nous l'identifierons (petit i) à ce que nous avons jusqu'ici introduit dans notre connotation à nous personnelle comme ϕ, c'est–à–dire la fonction imaginaire du phallus ».
En substituant à petit i, √-1, « vous voyez apparaître une fonction qui n'est point une fonction convergente, qui est une fonction périodique, qui est facilement calculable : c'est une valeur qui se renouvelle, si l'on peut dire, tous les trois temps dans la série.Vous retrouverez périodiquement, c'est-à-dire toutes les trois fois dans la série, cette même valeur, ces mêmes trois valeurs que je vais vous donner :
 la première (…) le point d'énigme où nous sommes pour nous demander quelle valeur nous pourrons bien donner à « i » pour connoter le sujet en tant que le sujet d'avant toute nomination. (...)
 La deuxième valeur (…) c'est que le rapport essentiel de ce quelque chose que nous cherchons comme étant le sujet avant qu'il se nomme à l'usage qu'il peut faire de son nom tout simplement pour être le signifiant de ce qu'il y a à signifier,... c'est–à–dire de la question du signifié justement de cette addition de lui–même à son propre nom c'est immédiatement de splitter, de diviser en deux.
 La troisième valeur… c'est-à-dire quand vous arrêterez là le terme de la série …ce sera « 1 », tout simplement, ce qui par bien des côtés peut avoir pour nous la valeur d'une sorte de confirmation de boucle. (…) c'est au troisième temps (…) c'est-à-dire au temps du « je pense », en tant qu'il est lui-même objet de pensée et qu'il se prend comme objet …si c'est à ce moment-là que nous semblons arriver à atteindre cette fameuse unité, dont le caractère satisfaisant pour définir quoi que ce soit n'est assurément pas douteux, mais dont nous pouvons nous demander si c'est bien de la même unité qu'il s'agit que de celle dont il s'agissait au départ, à savoir dans l'identification primordiale et déclenchante » .

Ce qui n'est pas sans suggérer, des mouvements oscillatoires, de variation, dans les processus d'identification. Entre signifiant, sujet (sujet divisé), objet, phallus (-Phi), dans le rapport au grand Autre (A puis A barré). A la faveur d'une sorte de prisme ? Mouvement qui sera repris dans la leçon

Pour un éclairssissement sur le nombre imaginaire dont il est question dans cette leçon.



Leçon 8 Alain Harly

Leçon 9 Jean-Jacques Lepitre

Il évoque une conférence qu’il a donnée la veille où il a parlé de la fonction de l’objet a dans l’identification du sujet à propos de l’article de Freud : « Les 3 coffrets », où il identifie les coffrets à la demande et leur contenu à l’objet a. Objet a qui ne correspond pas vraiment à la demande mais qui n’est pas non plus sans y correspondre. S’il sort cela du thème des « 3 coffrets », on peut se demander comment, il ne l’explicite pas ici, et tout au plus Freud indique que les coffrets pourraient figurer des femmes… Mais aussi il se moque gentiment de Freud, or cet article est structuraliste avant la lettre, il ne le relève pas, lui qui s’y veut tellement. Freud y dégage la structure commune de différents mythes pour cerner ce dont il s’agit ! Au passage, en incise, il indique le caractère plat, de surface, de l’inconscient selon la description freudienne, et du moi également. Il revient ensuite à sa chère négation, dans une phrase ambiguë de de Gaulle : « on ne peut pas ne pas croire que les choses se passeront sans mal », puis à celle-ci : « Vous n’êtes pas sans ignorer que.. » pour dire ce qu’on veut dire, faisant la liaison avec « il n’est pas sans l’avoir » du névrosé concernant le phallus, mais précisant que cela ne veut pas dire qu’il l’ait. Il poursuit sur ce fil de la névrose avec le fait que l’obsédé est un annaliste, c’est-à-dire celui qui tient ses annales dont il aimerait effacer les traces. Cf la tâche de Lady Macbeth. Tout cela pour arriver à la trace, à celle de Vendredi sur l’ile de Robinson, qu’il semble vouloir donner comme exemple de ce qu’un signifiant représente le sujet pour un autre signifiant. Trace à elle seule insuffisante, un animal sait « lire » une trace. C’est un signe. Il y ajoute l’effacement de la trace par celui qui l’a laissée, (nb : on peut y entendre la négation discordantielle), acte par lequel se manifeste un sujet réel. Et dans l’effacement de sa trace, le sujet s’efface rejoignant ainsi les moments de fading dus à son rapport au signifiant. Il y ajoute le temps où se cerne d’un trait le lieu de l’effacement où était la trace, et il voit là l’illustration de la naissance du signifiant. Ces trois temps lui semblent significatifs. Puis il joue sur l’ambiguïté de la « trace de pas » au « pas de trace », comme il a joué sur le « pas de sens » du mot d’esprit, comme sur Pi*R, « Pierre », du cercle, qu’il rapproche du √(-1) , dans un envolée lyrique, où celui-ci représenterait « l’angle vectoriel du sujet par rapport au fil de la chaîne signifiante », métaphore ayant sans doute ( ?) un rapport avec les trois temps qu’il décrit : le sens (la trace), se transforme en équivoque (l’effacement) et retrouve son sens comme signifiant ( lieu de l’effacement cerné). Cela va ensemble, dit-il, sujet et signifiant, mais sans s’égaler, ni coïncider.
Il fait retour, semble-t-il pour illustration, aux caractères chinois. Mais il ne me semble pas qu’il y ait là grande nouveauté, ceci par rapport à la linguistique. Des caractères, qui dans ce cas sont d’origine idéographique, se combinent avec d’autres pour former divers mots, divers signifiants, avec diverses combinatoires phonétiques correspondantes. C’est la structure différentielle du signifiant s’exerçant aussi bien dans l’écriture que la phonétisation. Le chinois n’excepte pas à la linguistique. Il en conclut en final que ce serait l’illustration du rapport de la lettre au langage qui ne serait pas d’épuration, d’abstraction, mais plutôt d’un rebattement, de la lettre et du langage, comme la roue du moulin battant l’eau. (nb : il ne semble pas remarquer que l’alphabet occidental, surtout dans sa version imprimée, représente une économie de traits, de moyens donc : avec un cercle et un barre, presque tous les caractères peuvent être dessinés, b, d, p, q, si on inclut le cercle partiel : c, e, n, o, r, u, … et donc irait vers une certaine épuration et abstraction).
Pourquoi de là, revenir à la logique formelle ? Pour être dans la suite de la leçon précédente ? Ou plutôt parce que la lettre y a une importance prépondérante ? On y raisonne sur des éléments nommés par des lettres, et c’est la lettre qui va y apporter en quelque sorte la solution. Il examine le paradoxe de Russel, qui a donné du fil à retordre à de nombreux logiciens : « L’ensemble de tous les ensembles qui ne se contiennent pas eux-mêmes. » Alors cet ensemble en fait-il partie ? Oui, puisque il est l’ensemble de ces ensembles. Mais alors il se comprend lui-même. Contradiction. Et s’il n’en fait pas partie : il n’est plus l’ensemble de tous les ensembles. Contradiction aussi. La solution qu’y donne Lacan, je l’avais moi-même illustré il y a quelques années avec des pochons, c’est de remarquer que Russell égalise les différents ensembles de son énoncé. Lacan dit les lettres et montre que si on nomme les différents ensembles des lettres de l’alphabet : a, b, c, d, e, … et a l’ensemble des ensembles, ces deux a sont différents, ne sont pas de même niveau. C’est l’égalité A = A mise en question. C’est aussi bien le paradoxe du menteur, etc…
Puis il revient à ce qu’il a évoqué au début de la leçon concernant l’objet a et l’identification. L’objet métonymique du désir, ce qui dans tous les objets représente ce petit a où le sujet se perd, qui se substitue au sujet, S barré, en syncope, dans la demande, cet objet est donc ici métaphorique du sujet. Cet objet, c’est quoi ? C’est le sein de la mère. C’est ce qui donne leur valeur à toutes les unités de la demande, à leurs signifiants, autrement dit à chaque demande : a (1+1+1+1+1 …). Bien sûr, ce sein, cette mamme, même semblable, n’a rien à voir avec ce qui caractérise les mammifères. C’est le A différent de A. D’autant que dans les uns de la demande : a (1+1+1+1 …) y a t-il forcément le sein ? Non, car ce sein peur être aussi un phallus, avoir valeur phallique. C’est pour ça d’ailleurs que M.Klein situe si tôt l’apparition du phallus. C’est cela ajoute-t-il qui, refoulé, ré-émerge dans le symptôme, ou se manifeste dans la perversion comme évocation de l’objet phallus. Le processus métaphorique s’écrit : S barré/ sein -> sein(a)/phallus. Si on met à la place de « a » la balle de ping-pong illustrant le for-da, on s’aperçoit que ce n’est rien, ou plutôt n’importe quoi, n’importe quel objet, qui peut faire ce passage du phallus de +a à –a. Et on entrerait là dans le rapport d’identification puisque ce que le sujet assimile, dans sa frustration, c’est lui. Soit donc du refus de sa demande : -a. Le rapport de S, le sujet, à 1/A, où 1 est lui-même, dit Lacan, comme assumant la signification de l’Autre, c’est-à-dire comme Un, comme lieu des signifiants ou comme refus de la demande ? ( et le 1 du sujet a-t-il à voir avec le un du signifiant minimum des leçons précédentes : marque, trait unaire, etc… ?). Le rapport de S à 1/A a lui-même le plus grand rapport avec l’alternance +a, -a ; dont le produit est -a2. Cette négation est irréductible. Il prend appui de l’algèbre : + par -, et – par + = moins. Et réintroduit √(-1) comme nécessité par la racine de –a2, mais n’en dit pas plus. Plus important est la phrase de conclusion : ce n’est pas de la présence ou l’absence de a dont il s’agit, mais de la conjonction des deux, qui entre +a et –a produit une disjonction où le sujet vient se loger et où l’identification a affaire avec ce quelque chose qui est l’objet du désir. (Nb : Y a-t-il là un tournant ? Il semblait jusque- là sur la piste de ce qui faisait le point, la trace, l’un, le signifiant minimum à partir duquel se fondait le sujet de l’inconscient, le sujet de l’énonciation aussi bien. Là, il y a l’introduction de l’objet a, comme étant, dans son alternance, en jeu dans cette identification ?)


Deuxième Saison. Leçons 10 à 18. 28 Février 2021.

Nombreuses sont les leçons faisant appel à des figures topologiques, elles sont reproduites ci-dessous, en cas de nécessité.
Les images des leçons 10 à 18

Pour s'éclairer mathématiquement en ce qui concerne le tore:
Sur le superbe site des courbes et surfaces "mathcurve.com" de Robert FERRÉOL
Tore: géométrie
Tore: topologie
Tore à n trous
Tore de dimension n
Et pour s'éclairer en ce qui concerne le cross-cap ou bonnet croisé

Et également les interventions de Jean Brini aux "mathinées lacaniennes"



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Et puis Lacan y faisant référence:
La critique de la raison pure d'Emmanuel Kant
Première Division: Théorie transcendantale des éléments / Première partie: Esthétique transcendantale.
Il s'agit d'une traduction de Jacques Auxenfants dans le cadre de la bibliothèque des Sciences sociales de l'Université de Chicoutimi au Québec.

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Séminaire d'Hiver de l'ALI 23 et 24 Janvier 2021 Identification ou Subjectivité

Samedi matin 23 Janvier

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Samedi après-midi 23 Janvier

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Dimanche matin 24 Janvier

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Dimanche après-midi 24 Janvier

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Leçon 10 Laurence Desprat

Lacan va reprendre dans cette leçon des points déjà abordés précédemment comme la logique Kantienne et la négation pour soutenir la question du trait unaire . Il nous précise que La visée de ce séminaire est de nous amener progressivement à la fonction privilégié du phallus dans l’identification du sujet

Pour avancer dans son élaboration Lacan se soutient du paradoxe de Russell et de la théorie des ensembles pour penser le signifiant comme support de la loi dite des contradictions à savoir que A est utilisable en tant que signifiant pour autant que A n’est pas A. Comme il en est pour le sein, qui quand il est érotisé, (dans l’érotique orale) il devient autre chose qu’un sein.
Ce qui amène à la question suivante : Dans ces conditions le phallus est-il phallique ?
Le phallus vient à cette même place que le sein sur la fonction symbolique et le pénis n’est donc pas plus phallique que le sein n’est mammaire, mais il tombe sous le coup de cette menace de castration car c’est une partie du corps réel.
Et alors…
Lacan nous rappelle que cette question de l’identification vient au premier plan pour Freud à partir d’un certain moment , que cela va remanier toute la théorie freudienne et que la question du sujet va se poser ainsi :
Qu’est ce qui est là ?
Qu’est ce qui fonctionne ?
Qu’est ce qui parle
Et comme cela se joue dans une communication, dans une adresse de l’un à l’autre, dans un rapport entre deux , il s’agissait de savoir :
Qui est ce qui parle ? et à qui ?
Donc cela parle d’une logique, mais laquelle ?
Ce n’est pas la logique formelle, ni la logique de concept ou transcendantale au sens Kantien, mais une logique de fonctionnement du signifiant.
Lacan fait un détour par cette référence à La Critique de la Raison pure de Kant et plus particulièrement au chapitre « Introduction à l’analyse transcendantale » ; Il critique cette position philosophique de Platon à Kant vis à vis de la fonction de l’Einheit, l’unité, le grand Un, qui apporterait la fonction d’une norme, d’une règle universelle.
Or la fonction de l’un, avec un petit u, dans l’identification, dans l’expérience freudienne n’est pas celle de l’einheit mais celle que Lacan a appelé Trait unaire, ce trait épuré, simplifié qui va se réduire à 1 et non à un cercle qui rassemble comme dans Kant.
Lacan fait un renversement de la position autour de l’Un qui entraine que nous passons de l’unité kantienne à l’unicité Einzigheit ;

Ce un supporte la différence comme telle ; il spécifie , il un-carne ; et c’est par cette fonction du un qu’il s’agirait d’attraper le désir par la queue,
Expression choisie par Lacan en référence au titre de la pièce de théâtre surréaliste ,écrite par Picasso en 1941 et qui pose la question :Que faire avec son désir dans une époque où règne l’absurde et la stupeur ? Cette pièce est une sorte de variation picassienne du Banquet sur le thème de la faim, du froid, de l’Amour. Lacan faisait partie du public de la représentation privée qui avait eu lieu en 1944 chez Michel Leiris.
Donc pour attraper ce désir , ce renversement de la fonction du un permet de passer des vertus de la norme à celles de l’exception et c’est ce qui est la nouveauté de l’analyse.
D’où la nécessité de partir de la deuxième identification freudienne, celle qui rend compte du symptôme par une substitution du Sujet soit à la personne qui suscite son hostilité, soit celle qui est l’objet d’un penchant érotique comme c’est le cas pour Dora . Freud avait bien insisté sur le caractère partiel de ce type d’identification . ( le sujet s’identifie au TU)

Certes, Kant avait déjà abordé la distinction entre jugement universel et jugement singulier, mais en les rassemblant alors que le jugement singulier a bien son indépendance. Mais on voit quand même une ébauche de ce renversement chez le philosophe .
Dans une leçon précédente, Lacan évoquait le paradoxe à ce que Kant mette la négation(la négation affirme quelque chose du cote du zéro ) dans les catégories désignant la qualité ( la qualité s’intéresse à notre faculté d’isoler un objet comme une entité distincte de son environnement ) entre la première qui est la réalité( jugement affirmatif, qui nie) et la troisième ,la limitation . En la mettant ainsi du coté de la qualité cela la confondrait avec le zéro .
Ce que dénonce le linguiste Otto Jespersen . Pour lui, la négation s’enrichit d’adjonctions successives comme va nous le montrer l’histoire du fonctionnement de la négation .
Après avoir été cette fonction primitive de discordance ,déjà évoquée dans les leçons précédentes, il faut qu’elle s’appuie sur quelque chose qui est justement cette nature de l’un telle que Lacan essaye de la cerner .
Donc, la négation , linguistiquement, n’est pas un zéro, mais un » pas un ».
Au départ il y a le » ne « de la forme latine ,renforcée par un indéfini ayant le sens de « l’un quelconque « ne oinum :unum qui vient de l’indo européen .
Le « ne » supporte la négation ; c’est déjà un « pas un »
Puis on ajoute un élément séparé du premier terme un « pas » ,un « point » …; ce deuxième mot peut être ressenti comme porteur en lui de la négation ; ce qui n’empêchera pas qu’il puisse subir le même sort que le mot d’origine . (Cycle de Jespersen)

Je ne dis
Je ne dis pas
Je dis pas

Toujours pour serrer la fonction du sujet , Lacan reprend aussi les remarques de Pichon qu’en français avec ce jeu des deux éléments de la négation , le ne et le pas , finalement il n’y a pas de négation en français ;
La Négation soutiendrait l’entrée dans la subjectivation ; Elle met en relief le signifiant d’une certaine façon .
Le trait unaire support du signifiant peut être effacé , refoulé mais ne disparaît pas et reste constitutif du Sujet .
exemple d’une analysante qui ponctue son association d’idée par un « c’est surement pas important «

Après ce détour par la négation, Il reprend la fonction du un ,du côté de l’unicité . A quoi pourrait servir cette fonction ou quel serait son rapport avec le désir ?
Freud dans » Introduction au narcissisme « a montré l’équivalence entre la libido narcissique et la libido d’objet et Lacan va nous en proposer un schéma .


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Nous aimons l’autre de la même substance humide qui est celle dont nous sommes le réservoir qui est donc la libido. Elle mouille l’objet d’en face ;
Lacan a pris cette référence à l’amour humide dans Le Banquet de Platon .
L’ autre étant soumis à cette condition hydraulique d’équivalence de la libido ; quand ça monte d’un côté, ça monte aussi de l’autre.
Avec ce schéma, Ce qui s’appelle aimer , serait n’aimer que son corps, même transféré sur le corps de l’autre. Tout en en gardant une dose sur son corps .
Mais Ce qui nous intéresse, c’est le phallus.
D’où la proposition de Lacan , je le cite « ce que je désire ,ce qui est différent de ce que j’éprouve, c’est ce qui, sous forme du pur reflet de ce qui reste de moi investi en tout état de cause, est justement ce qui manque au corps de l’autre, en tant que lui est constitué par cette imprégnation de l’humide de l’Amour.
Ce qui expliquerait la façon dont le névrosé constitue son désir hystérique ou obsessionnel , face à la femme castrée d’un point de vue pénien qui peut faire peur .
Mais chez certains qui peuvent avoir un rapport normal , satisfaisant de désir, avec son partenaire, non seulement cela ne lui fait pas peur, mais cela l’intéresse car ce n’est pas parce que le pénis n’est pas là que le phallus n’y est pas , voire même au contraire .
Ce que cherche le désir , dans l’autre, nous dit Lacan c’est le désirant et non le désirable, c’est à dire ce qui lui manque . Je désire l’autre comme désirant , pas comme me désirant car c’est moi qui désire et désirant le désir, ce n’est pas désir de moi ;En effet si je m’aime dans l’autre donc si c’est moi que j’aime, j’abandonne le désir .
Nous sommes sur la frontière qui sépare le désir de l’amour même s’ils se conditionne l’un ,l’autre bien souvent ;
En français le désir vient de désiderium ce qui signifie regret . Ce qui est à désirer est toujours ce qui manque ; dans la langue française de nombreuses expressions l’attestent.
laisser à désirer (: pouvoir être amélioré, être médiocre ;)
se faire désirer : (se faire attendre ;)
prendre ses désirs pour des réalités : (s’illusionner)

Definition du Larousse :Aspirer instinctivement à quelque chose de non défini dont le manque est senti comme une imperfection de l'être.

Ce dont il s’agirait dans le désir, c’est d’un objet et non d’un sujet ;
l’amour se rattache à cette question posée à l’Autre de ce qu’il peut nous donner, mais le désir se situe dans un au-delà de cette demande en tant que l’Autre peut ou non nous répondre .
Le rapport qui lie cet Autre auquel est adressé la demande d’amour, avec l’apparition de ce terme de désir en tant qu’il n’est plus cet Autre de l’amour , notre égal , mais qu’il est quelque chose qui est de la nature de l’objet .
C’est ce qui est en jeu dans l’amour courtois , développé dans l’Ethique .Le désir ne vise pas la dame, mais l’objet, au-delà, restant inaccessible .
Le désirant se substitue au désiré.

De façon plus contemporaine, C’est l’expérience du transfert où ce n’est pas l’analyste en tant que personne qui est visé ou qui serait comme un support du narcissisme ,mais ce qu’il représente au-delà .

On en trouve une illustration dans le Banquet de Platon , qui porte sur Eros, l’amour et sur son objet , le Beau. Lacan s’attarde plus particulièrement sur le dialogue entre Socrate et Alcibiade suite à son éloge de Socrate ;
Ce dernier va faire une interprétation analytique de cette longue déclaration exhibitionniste d’Alcibiade et lui pointer que celui qu’il désire est en fait Agathon , cet homme , un pur esprit qui compare l’amour à la paix des flots.

Socrate ,s’interrogeant sur son propre désir, dit aimer chez Agathon ce qui lui manque à lui-même : la bêtise ; c’est peut-être cela qu’Alcibiade aime aussi chez Agathon bien qu’il n’en sache rien, se laissant abusé par sa maitrise et tous ses atouts. Car d’Alcibiade nous pourrions dire « qu’il a tout pour lui « .
Comme Socrate ,il est accueilli partout , par pour les mêmes raisons mais pour sa forme d’extravagance , ce fait de n’être pas en son lieu et place . Ce qui l’amena par exemple à faire un enfant à la femme du roi de Sparte ce qu’il pensait être un grand honneur pour ce dernier . Alcibiade est un dur, trop encombrant, nous dit Lacan . il finira cerner par le feu et abattu à coups de flèches.

Mais pour Socrate ce qui est important c’est ce qu’il en est de la nature de l’Éros et c’est lui, qui ,le premier a saisi quelle était la véritable nature du désir .
Et malgré Spinoza qui affirme que »le désir est l’essence de l’homme « et qui soutient qu’il n’y a pas de désirable en soi, ;que c’est le désir qui est la source de la désirabilité des objets ; il n’y a que du désirable pour chacun de nous du fait que chaque nature est singulière .
et malgré les travaux de Freud , le désir est resté une fonction occultée dans l’histoire de la connaissance.

Le sujet dont il s’agit, celui qui nous intéresse est le sujet du désir et non pas le sujet de l’amour car on n’est pas sujet de l’amour , mais plutôt sa victime . Dans le christianisme ce pauvre amour a été même mis en position de devenir un commandement « « aime ton prochain comme toi-même « . Quid du désir ?
C’est bien éloigné de la position de Socrate ;
Nous l’entendons bien dans les cures , en tant qu’analystes que l’amour est la source de tous les maux, que l’amour de la mère est la cause de tout .

Ainsi, Lacan termine la leçon en rappelant que dans l’analyse , le sujet dont il est question , ne peut être identifié, que du côté du sujet du désir .

Le phallus est en tant que signifiant dans le désir


Leçon 11 Carine Boutoundou

Lacan aborde cette leçon avec la question du désir. Il emploie notamment le terme de « nœud ». Cela indique en premier lieu la complexité du désir mais me pose d’emblée la question du nœud borroméen : d’une part, est-ce déjà une référence ou une réflexion qui est en arrière-plan chez Lacan ? D’autre part, comment situer la complexité du désir dans le nœud borroméen.
Lacan interroge cette question du désir dans le champ de la philosophie (il en viendra à Kant) et revient sur le désir en tant qu’il concerne la vérité. C’est pourquoi le psychanalyste, tout comme le philosophe, s’emploie à cerner cette dimension du désir : la technique analytique (dit Lacan) a une fonction de vérité. C’est-à-dire qu’elle s’emploie à mettre à jour la vérité du sujet (de l’inconscient).
Cette question de vérité fait échos à la clinique contemporaine : clinique des fakes news, des faux profils, fausses vidéos sur les réseaux sociaux, ou encore exigence scientifique qui dirait une vérité absolue, clinique autour du journalisme (BFM) qui cherche à épingler des faits vraie, objectifs où chacun pourrait venir pointer l’autre du doigt et bien sur sa jouissance « honteuse . Qu’est-ce que tout ça, ça dit du statut de la vérité aujourd’hui. Y a-t-il un malaise dans la civilisation autour de cette question de la vérité ?
On retrouve également ces questions dans le champ des institutions : clinique des personnes âgées où un énoncé faux serait le signe d’une démence, de la folie. Également dans les institutions éducatives où il s’agit de tout contrôler, de tout savoir des jeunes qu’on accueille sans admettre (sans supporter) qu’il y a une part qui échappe nécessairement dans la vérité. Et surtout de quelle vérité parle-t-on, celle des faits qui vise à dénoncer la jouissance ; ou celle du sujet, de son désir « caché », inconscient ? Celle qui opère un écart entre l’énoncé et l’énonciation, ou si on peut le dire de cette manière entre les dits et le dire ?
L’usage que le psychanalyste fait de la vérité diffère des philosophes notamment avec Descartes qui pose une garantie transcendantale qui fonde le savoir. C’est la garantie divine d’un grand Autre (en l’occurrence dieu) qui ne ment pas et qui ne trompe pas qui nous donnerait accès à la vérité.
Mais c’est plus précisément sur les propositions de Kant que Lacan va s’attarder dans cette leçon. Kant interroge ce que la raison est capable de savoir en distinguant notamment la connaissance et le savoir (on peut savoir qu’il existe un objet sans le connaître. Exemple de Dieu) : l’entendement humain est-il ainsi limité ? quel rapport y a-t-il entre la représentation, le concept et la chose qui permettrait un accès à la vérité ?
En tant qu’êtres désirants et soumis à cette fonction de vérité, l’expérience analytique nous confronte à ce qui ne peut être objectivé. Ce que Lacan appelle la conjoncture subjective et son calcul (approche mathématique). Comment se calcule la position d’un sujet, via quelles opérations d’identifications et via quelles déterminations initiales ?
Lacan discute l’approche de Kant et de la raison pratique (et l’universalisation de la loi moral) en rapport avec ce qui nous intéresse de ce calcul, à savoir le désir. Quelle est ; selon Lacan, la fonction du désir ? La fonction du désir nous dit-il , est de passer des compromis. Ces compromis sont à mettre en perspective avec l’instinct de vie et l’instinct de mort chez Freud, au sens où il s’agit de penser non pas une opposition mais une dialectique, une alternance. Comment tout cet aspect pulsionnel vient-il s’articuler avec le signifiant ?
L’alternance se situe donc entre l’instinct de mort que Lacan définit comme le signifiant de la vie (la répétition du même pour en revenir à l’inanimé) et l’instinct de vie qui est réduit à l’éros et à la libido, donc au phallus. Ces considérations, la délimitation de ce qui fait et de ce qui préserve la vie n’est pas sans rapport avec le champ des embryologistes (c’est une remarque de Lacan). Cela peut aussi faire penser à la clinique des personnes dans le coma (de longue durée, qu’est-ce qui fait que quelqu’un se réveil après des années de coma). Il y a le champ de la biologie et il y a ce qui le dépasse ce champ ; à savoir le narcissisme, l’investissement sur le corps et la relation aux objets, au désir.
C’est en évoquant notre rapport au corps que Lacan va revenir à la critique de la raison pur. Kant se base sur une esthétique transcendantale : c’est-à-dire que pour qu’il y ait connaissance, il faut au préalable une intuition sensible : on connait que ce qui est dans le temps et/ou dans l’espace ; ce qui peut être constaté, perçu dans notre géométrie « classique ». Et il ne peut y avoir de connaissance au-delà du temps et de l’espace sensible même si on peut le penser. Ce n’est pas le réalisme qui dicte les conditions mais c’est le sujet qui constitue, décrit l’objet (ex : table.
Lacan met cette proposition en perspective et prenant plusieurs exemples. Et il va évoquer la situation d’apesanteur :
« Le cosmonaute est dans une gravitation qui ne lui pèse pas. (…) Que transporte-t-il avec lui d’une intuition, pure ou pas, mais phénoménologiquement définissable, de l’espace et du temps ? »
A partir de cet énoncé plusieurs questions s’ouvrent : les dimensions de l’espace et du temps ne peuvent pas être réduites à leurs perceptions naïves (gauche/droite, de bas en haut, etc ; dans l’espace, tous ces repères sont chamboulés). Que peut-on en déduire de l’intuition (ou de l’identification, si on peut le formuler ainsi) au temps et à l’espace au regard de l’esthétique transcendantale ? Autre question que je me suis posée : y a-t-il une théorie psychanalytique de l’espace et du temps, par le moyen de la topologie ? (Spontanément concernant l’espace ça m’a fait associé au plan projectif) Qu’est-ce que la psychanalyse peut nous enseigner sur l’espace ? (Par exemple, il y a ce qu’on appelle les trous noirs, qui sont justement structuré comme un tore)
Lacan remarquera également que la situation d’apesanteur n’empêche pas le cosmonaute de toucher ou tourner les boutons, d’être en pleine possession de sa motricité. La « maitrise » du corps reste préservée dans une certaine mesure (qu’est-ce qu’il en est des rapports sexuels dans l’espace, est-ce que c’est possible, comment etc… C’est important notamment pour les voyages dans l’espace, pour assurer la reproduction de l’espèce). Il y a , par exemple un ingénieur Ken Jenks qui a écrit un document « Cosmic Love » ou il étudie les meilleurs positions pour que l’acte sexuel soit possible. Il semblerait qu’en l’absence de gravité, les fluides ont tendance à aller le bas du corps donc est-ce qu’une érection est possible ? Ça reste un mystère, d’autant plus que la NASA dément formellement qu’un acte sexuel ait pu avoir lieu, même si des couples mariés ont déjà été ensemble dans l’espace.
D’autre part ça questionne également la motricité de manière plus large : ça m’a fait penser aux mouvements et la motricité chez le nouveau-né voir même d’ailleurs dans le ventre de la mère ? Peut-on penser une analogie entre ces mouvements désordonnés et ce cosmonaute en état d’apesanteur, de flottement ?
A la fin de cette leçon, il développe la question du nombre et du trait unaire que j’ai peiné à articuler au reste de la leçon. Mais j’ai pensé que ça pouvait être en lien avec la détermination de la conjoncture subjective qu’il évoque plus tôt, notamment son calcul. Lacan évoque la primauté de l’écriture, qui est la forme de ce trait unaire et qui marque le statut du sujet et sa « petite » différence. De là, plusieurs questions me sont venues : De quelle écriture est-il question ? L’inconscient compte-il avec l’autre pour se constituer lui-même comme différent ? Comment le trait unaire peut nous interroger sur cette conjoncture subjective étant donné que le sujet va se marquer lui-même, (se compter) du trait unaire ? Mais il se compte à partir d’un vide : (de Kant) « leerer Gegenstand ohne Begriff. » c’est-à-dire un objet vide sans signification / sans poignée, qu’on ne peut pas attraper, saisir (griff = poignée, begreifen). Mais c’est surtout sur le vide, le rien que Lacan va insister : ce n’est que d’un vide et donc d’un réel inaugural qu’un sujet peut se constituer.


Leçon 12 Alain Harly


Leçon 13 Elisabeth de Franceschi

Rappel de Lacan : la veille au soir, à la SFP, Daniel Lagache a présenté une communication sur la sublimation . Son intervention reste présente à l’esprit de Lacan durant toute cette leçon d’où la structure de cette leçon : d’abord une partie introductive sur le lien entre psychanalyse, érotique et névrose ; ensuite la poursuite de la présentation de la genèse du sujet, à travers les trois « manques » d’objet (ou : de l’objet) : privation (suite directe de la leçon XII) et frustration (la castration étant abordée dans la leçon XIV).

I Psychanalyse, érotique, sublimation et névrose
Il y a un lien entre la « recherche » poursuivie par Lacan dans son séminaire donc un lien entre la psychanalyse et la visée d’une « érotique ».
La chrétienté entretient un rapport notoire avec les difficultés de l’érotique, même si la révélation paulinienne (laquelle fait valoir la grâce, succédant à la Loi ) porte sur l’amour voué au père (ce qui constitue un dépassement de la religion juive, à laquelle Freud s’est rattaché jusqu’à la toute fin de sa vie, voir la fin de son Moïse) ; dans notre société, les principes du droit sont « issus directement d’un catéchisme qui n’est pas sans rapport avec cette révélation paulinienne », estime Lacan. Selon ce dernier, pour les chrétiens, l’accès à la jouissance, en 1962, consiste principalement à faire l’amour, or cela se passe « assez mal » ; et il en va de même dans les zones géographiques ayant subi l’influence de notre société, marquée par « l’acculturation chrétienne ».

En matière d’érotique, que penser des normes de la tradition dans notre société ? Elles s’incarnent dans la subsistance du mariage en tant qu’institution sociale. Le mariage persiste même dans la société communiste, où il revêt des traits petits-bourgeois : on peut donc considérer le mariage comme un trait social de notre conditionnement ; les insatisfactions qui en découlent pointent le conflit permanent du sujet humain avec les effets de cette loi du mariage (voir de même l’existence de la névrose dans toutes les sociétés humaines).

Mais « que veut dire la névrose » c’est-à-dire : qu’est-ce que la névrose cherche à nous dire ?, et de quoi est faite son « autorité » ? demande Lacan en réalité, ici, Lacan s’intéresse davantage au névrosé qu’à la névrose. Le névrosé doit-il être considéré comme un « inadapté » (qui témoignerait en fait des faiblesses existant dans l’organisation sociale) ?
Le névrosé nous révèle une structure : son désir est le même que le nôtre. La « dignité du névrosé » consiste en un point : « il veut savoir » De fait, l’inventeur de la psychanalyse est Anna O., non Freud. Selon Lacan, le névrosé « veut savoir ce qu’il y a de réel dans ce dont il est la passion, à savoir, ce qu’il y a de réel dans l’effet du signifiant ». Le désir de l’être humain est proprement impensable sinon dans ce rapport au signifiant et aux effets qui s’y inscrivent ; en tant que « névrose vivante, le névrosé est lui-même ce signifiant » : la névrose est un cryptogramme à déchiffrer ; par conséquent, le névrosé est « un signifiant, rien de plus. Le sujet qu’il sert est ailleurs, c’est son inconscient le sujet au sens propre, c’est le sujet de l’inconscient.
En tant que névrose, le névrosé est donc un signifiant cette affirmation renvoie à la définition lacanienne du signifiant : « ce qui représente un sujet pour un autre signifiant » : le névrosé représente un sujet caché, pour un autre signifiant, et « sa névrose vient contribuer à l’avènement de ce discours exigé, d’une érotique enfin constituée. Lui … n’en sait rien et ne le cherche pas ». Et en ce qui concerne la signification de la psychanalyse par rapport à cet avènement « exigé » d’une érotique, Lacan renvoie aux poètes qui ont rêvé « convenablement » à une érotique future  par exemple Arnaut Daniel pour ce qui est de l’amour courtois , et ont abouti à des singularités bizarres, mais éclairantes quant à la sublimation.
Suit un rappel fait par Lacan :
- la sublimation, pour Freud, est inséparable d’une contradiction : dans toute activité sublimatoire, la visée de jouissance subsiste et est en un certain sens réalisée.
- la sublimation ne comporte ni refoulement, ni effacement, ni même compromis avec la jouissance.
- mais il y a paradoxe et détour : dans la sublimation, la jouissance est obtenue par des voies en apparence contraires à la jouissance.
En effet, le médium qui intervient dans la jouissance pour donner accès à son « fond » (c’est-à-dire à la Chose) ne peut être aussi qu’un signifiant. D’où « l’étrange aspect » pris par la Dame dans l’amour courtois : il y a identification de la Dame à un signifiant.

Mais qu’est-ce qui définit le névrosé ? Le névrosé veut savoir cf. Œdipe dans Œdipe Roi, cf. aussi la leçon XI. Le névrosé veut savoir le pourquoi et le comment ; pour ce faire, il se livre à une re-transformation de ce dont il subit l’effet :
il veut re-transformer le signifiant en ce dont il est le signe signe = ce qui représente quelque chose pour quelqu’un.
Le névrosé ne sait pas :
- que c’est en tant que sujet qu’il a fomenté l’avènement du signifiant en tant que le signifiant est l’effaçon principal de la Chose N.B. : la transcription de Valas p. 91 et l’édition ALI 2000 p. 179, écrivent toutes deux : « la ch. », sans majuscule, tandis que l’édition ALI 2020 inscrit une initiale majuscule
- que « c’est lui, le sujet, qui, en effaçant tous les traits de la Chose idem en ce qui concerne la majuscule ou pas au terme “Chose”, fait le signifiant ».
Le névrosé veut effacer cet effacement, il veut faire que cet effacement ne se soit pas produit ; cf. le comportement de l’obsessionnel : « ce sur quoi il revient toujours …, c’est de faire que cet avènement à la fonction de signifiant ne se soit pas produit », et « qu’on retrouve ce qu’il y a de réel à l’origine, à savoir, de quoi tout ça est le signe », mais cela ne fait que renforcer cet avènement « et il ne peut en abolir l’effet » (Lacan annonce qu’il reviendra sur ce point en distinguant les trois espèces de névroses : phobie, hystérie et obsession).

Cf. la double visée de la recherche faite par le séminaire, en ce qui concerne l’identification :
- il est impossible de ne pas poursuivre sur l’arête suivie : l’analyse a pour visée eschatologique une érotique.
- mais il s’avère impossible aussi sans maintenir la conscience du sens de cette visée, de « vous débrouiller avec ce fait que même chez les gens les plus normaux et en appliquant pleinement les normes, ça ne marche pas. » C’est ainsi qu’aujourd’hui N.B. : ceci est proféré par Lacan en 1962 ; cependant la situation a-t-elle vraiment changé depuis lors ?, dans la perspective du désir, il n’y a même pas de bons mariages.


II Privation et genèse du sujet
Lacan reprend alors le fil de son discours au niveau de la privation cf. la leçon précédente ; rappel : la privation se définit comme le manque réel d’un objet symbolique, l’agent de la privation étant le Père imaginaire : à « l’étape » de la privation, le sujet est symbolisé par ( 1) N. B. : il s’agit d’un sujet qui n’est pas encore venu au jour, ce qui renvoie au tour forcément pas compté (compté en moins dans la meilleure hypothèse) que le sujet a fait (tour du vide intérieur qui se trouve au centre du tore).
La fonction de ce ( 1) soit du sujet comme négation se rapporte au fondement logique de toute possibilité d’une affirmation universelle (c’est-à-dire à la possibilité de fonder l’exception : l’exception ne confirme pas la règle mais l’exige transcription Valas p. 92, cf. aussi l’édition ALI 2000 p. 181 : « et c’est ça d’ailleurs qui exige la règle », ou plutôt, la règle exige l’exception cf. l’édition ALI 2020 p. 201, dernière ligne : « et c’est ça d’ailleurs qu’exige la règle ». cf. aussi un propos tenu par Lacan au cours de la leçon X : dire que « c’est l’exception qui justifie la règle » est une connerie « profonde ». De même, sur le quadrant de Pierce, la seule véritable assurance de l’affirmation universelle est l’exclusion d’un trait négatif (« il n’y a pas d’homme qui ne soit mortel »), juge Lacan.

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en haut : schéma Valas bas p. 91 ; au-dessous : schéma ALI éd 2020 p. 202 : sur le quadrant de Pierce, le quart en haut et à droite, où il n’y a pas de traits, est dit « 1 ».
Cette référence ne doit pas être comprise comme une déduction du processus tout entier à partir du symbolique : à ce niveau, la part vide du quadrant de Pierce (la part 1, en haut et à droite) doit être encore considérée comme détachée, fait observer Lacan ; et le sujet comme ( 1) en lui-même n’est pas subjectivé ; il n’est donc encore question ni de savoir, ni de non-savoir : pour que se produise quelque chose de l’ordre de « l’avènement » du sujet, il faut que « tout un cycle soit bouclé », et le privation est le « premier pas » de ce cycle : privation réelle selon la tradition voir le tableau des trois manques de l’objet, tel qu’il se constitue au cours du séminaire IV, ou tel qu’il figure à titre d’illustration dans le texte de la leçon XI du présent séminaire, le 28 févr. 1962, dans l’édition ALI 2020, p. 173 ; « ce n’est qu’après un assez long détour que le sujet » peut accéder à ce savoir de son rejet originel édition ALI 2020, bas p. 202, savoir qui le rejette et savoir à rejeter, dans la mesure où il est toujours en-deçà ou au-delà « de ce qu’il faut atteindre pour la réalisation du désir ».
Par conséquent, « si le sujet parvient à l’identification », c’est-à-dire « à l’affirmation que c’est τὸ αὐτό [to auto] le même, que de penser et être », νοεῖν καὶ εἶναι [nœïn kaï eïnaï] , à ce moment-là, « il se trouvera lui-même irrémédiablement divisé entre son désir et son idéal. »

Selon Lacan, ceci démontre la structure « objective » du tore (N. B. : le terme « objectif » est d’usage classique en ce qui concerne le domaine des idées, et il est employé dans ce sens jusqu’à Descartes) cf. dans le présent séminaire le début de la leçon IV du 06-12-1961, qui renvoie à Descartes, « Méditation troisième », dans Œuvres et Lettres, Gallimard, « Pléiade », p 284-300 ; ceci au cours d’un développement de Lacan sur « le fait objectif que A ne peut pas être A », voir l’édition ALI 2020 p. 51, l’édition ALI 2000 fin p. 50 et p. 51, la transcription Valas p. 21 : le tore apporte une dimension de réel, à savoir de « parfaitement touchable », et dans le tore, chacun des tours se définit comme un 1 « irréductiblement différent » : pour que cette vérité symbolique (dans la mesure où elle suppose le comput, c’est-à-dire le comptage) soit fondée dans le réel (« s’introduise dans le monde », déclare Lacan), il faut et il suffit que « quelque chose » (c’est-à-dire le trait unaire) soit apparu dans ce réel N.B. : dans tout ce passage, le terme « réel » est employé par Lacan au sens de « réalité » me semble-t-il. Ce 1 « donne toute sa réalité à l’idéal » : selon Lacan en effet, l’idéal se définit comme « tout ce qu’il y a de réel dans le symbolique » ajout pendant la discussion : en effet, l’idéal du moi est lié au trait unaire, ainsi que Lacan l’a dit au cours de la leçon II, le 22 novembre 1961, affirmant que l’idéal du moi se déploie à partir du trait unique ; ceci, à cause de la possibilité de substitution liée au trait unique.
Aux origines de la pensée (à l’époque de Platon), le 1 a entraîné l’adoration, la prosternation ; dans une élation affective, il était le bien, le beau, le vrai, l’être suprême. Or ici Lacan opère un renversement : en fait le 1 n’a que « la réalité d’un assez stupide bâton » donc il n’est pas à glorifier.
Le premier chasseur qui fit des encoches sur une côte d’antilope ne savait pas compter, il devait donc nécessairement graver des coches pour que toutes les fois où il avait chassé ne se confondent pas. Par conséquent, le sujet (non subjectivé dans un premier temps) est d’abord objectivement la privation dans la Chose du tour non compté la transcription Valas écrit « la chose » avec une minuscule, idem pour l’édition ALI 2000 p. 182, mais l’édition ALI 2020 p. 204 porte, elle, une majuscule : « cette privation qu’il ne sait pas qu’il est », dit Lacan.
À partir de là, selon Lacan, « le sujet va se constituer comme désir, et il y a rapport de cette constitution à cette origine, ce qui va nous permettre de commencer d’articuler quelques rapports symboliques concernant la structure de désir du sujet » nous allons mettre le sujet « en équation de désir », écrit la version Staferla, « en fonction de notre expérience » (cf. le sous-titre de la Phénoménologie de l’esprit, de Hegel : Wissenschaft der Erfahrung, “science de l’expérience”), « ce qui risque de modifier la notion que nous avons de la fonction du sujet ».


III Frustration et genèse du sujet
rappel : la frustration se définit comme le manque imaginaire d’un objet réel, l’agent du manque étant la mère symbolique ; la privation est définie comme manque réel d’un objet symbolique, l’agent du manque étant le père imaginaire ; la castration est le manque symbolique d’un objet imaginaire, l’agent du manque étant le père réel.
La frustration introduit la possibilité pour le sujet d’un nouveau pas « essentiel », nous avertit Lacan : en effet, le 1 du tour unique, qui distingue chaque répétition dans sa différence absolue, vient au sujet non pas du ciel, mais d’une expérience constituée pour ce sujet :
- 1° par l’existence, avant sa naissance, de l’univers du discours.
- 2° par la nécessité, impliquée par cette expérience, du lieu de l’Autre tel que défini par Lacan antérieurement cf. le schéma L, introduit dès 1955 dans le séminaire II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, et repris au cours du séminaire IV sur La relation d’objet et les structures freudiennes.
Ici le sujet va conquérir « l’essentiel », c’est-à-dire ce que Lacan a appelé la « seconde dimension » (à savoir le manque imaginaire de la frustration, après le manque réel de la privation), qui est fonction radicale de son propre repérage dans sa structure, « si métaphoriquement nous appelons structure de tore cette seconde dimension en tant qu’elle constitue l’existence de lacs irréductibles à un point ».
C’est dans l’Autre que cette irréductibilité (ou duplicité) des deux dimensions vient s’incarner, et s’expérimenter par le sujet, du fait qu’elle n’est sensible (le sujet étant celui de la parole) que dans le domaine du symbolique.
Le schématisme du tore aide à l’appréhension de ce phénomène, et est utilisé par Lacan pour ce faire.
L’objet de son désir, le sujet ne cesse de le dire : acte d’imagination davantage qu’acte d’énonciation selon Lacan, ce qui suscite en lui une « manœuvre » de la fonction imaginaire, fonction présente dès qu’apparaît la frustration.
Rappel : dans Les confessions (Livre I, chap. 7, 9) de Saint Augustin, le passage sur l’invidia « Un enfant que j’ai vu et observé était jaloux. Il ne parlait pas encore, et regardait, pâle et farouche, son frère de lait. » N. B. : à mon sens, l’invidia (littéralement : “l’envie”) est quelque chose de différent de la jalousie, sentiment qui renvoie directement à l’œdipe ; l’envie suppose une relation à l’objet « antérieure » à celle qui existe dans la jalousie : l’objet de l’envie est réifié, l’objet de la jalousie est humanisé ; dans les familles incestuelles ou incestées, il y a souvent une importance déterminante de l’envie : ceci dans le cadre d’une relation particulière, préœdipienne, à l’objet de la convoitise et/ou du désir ; le texte de Saint Augustin montre bien l’importance de la perte (essentielle à la métonymie) et du moment d’éveil de la passion jalouse dans la constitution de l’objet de satisfaction (le sein) et du vœu de possession de cet objet.
Lacan souligne que la révélation imaginaire fait le sens et la fonction de la frustration : l’autre (petit autre) dont je suis jaloux est mon frère, non pas mon semblable mais mon image (et c’est cette image qui est l’image fondatrice de mon désir) ; si la privation réelle sert à la fondation du symbolique, l’image de la frustration imaginaire, en tant qu’elle est fondatrice, révélatrice du désir, va se placer dans le symbolique (c’est-à-dire dans l’Autre et dans le discours déjà constitué avant la naissance de l’infans : par l’intermédiaire de sa mère, de sa nourrice, on lui parle).
Donc : un « croisement » se produit, du fait de la dimension de l’Autre, entre le désir et la demande : le névrosé va tenter de faire passer dans la demande ce qui est l’objet de son désir, d’obtenir de l’Autre la satisfaction de son désir (au lieu de la satisfaction de son besoin), à savoir d’en obtenir l’objet, alors que l’objet du désir ne peut se demander : le désir échappe à la demande idée qui sera reprise au cours de la leçon XIV.
En conséquence, le sens de l’existence du surmoi (découvert par Freud) s’affiche dans les phénomènes névrotiques de dépendance au sein des rapports du sujet à l’autre, ainsi que dans les tentatives, par le sujet, de conformer son désir à la demande de l’Autre.
L’impasse du névrosé réside dans le fait que pour son désir, il lui faut la sanction d’une demande. La demande adressée à l’autre (sa conjointe, ses parents, etc.) se renouvelle tour plein après tour plein, insérée par les édition ALI 2020, p. 207 ; la transcription de Valas porte le p. 94, et il en va de même dans l’édition ALI 2000, p. 185 lacs de la demande, en fonction de la revenue du besoin. Le cercle élidé (cercle vide) vient matérialiser l’objet métonymique présent sous toutes ces demandes.


l13-3&4

schémas Valas p. 94 ; cf. éd. ALI 2020, fig. XIII-2 et 3 p. 207
La construction topologique d’un autre tore permet d’imaginer l’application de l’objet du désir (symbolisée par le cercle interne vide du premier tore) sur le cercle plein du second tore qui constitue une boucle, un de ces lacs irréductibles.

l13-4


schémas Valas p. 94, et édition ALI 2020, fig. XIII-4, haut p. 208
Inversement, le cercle (plein) d’une demande sur le premier tore vient se superposer dans le second (c’est-à-dire dans le tore support de l’autre imaginaire de la frustration) au cercle vide.

l13-05


il n’y a pas de schéma dans la transcription de Valas ici ; voir éd. ALI 2020, fig. XIII-5, bas p 208
Il y a donc une interversion (le désir chez l’un correspond à la demande chez l’autre, le désir chez l’autre correspond à la demande chez l’un) qui forme le nœud où se coince toute la dialectique de la frustration ; et cela entraîne une possible dépendance des deux topologies.
En conséquence, l’espace de l’intuition kantienne doit être annulé (aufgehoben) comme illusoire : en effet, la topologie du tore est une topologie des surfaces (tout en conservant la notion de volume du système), qui ne recourt pas à l’intuition de la « profondeur ». Du point de vue de transcription de Valas, p. 94 : « l’espace exigé », et édition ALI 2000, fin p. 186 l’espace, exigé éd. ALI 2020, p. 209, les deux espaces (l’intérieur et l’extérieur), dont la substance est uniquement topologique, sont les mêmes cf. ici la figure de la « mise à plat des 2 tores », transcription Valas fin p. 94, édition ALI 2000 p. 186, et édition ALI 2020 p. 209, fig. XIII-6 ; ci-dessous : seulement le schéma de Valas.




Déjà dans le rapport de Rome , la propriété de l’anneau (qui symbolise la fonction du sujet dans ses rapports à l’Autre) cf. leçon XII était la suivante : l’espace de son intérieur et l’espace extérieur sont les mêmes cf. leçon XVII : à partir de là, le sujet construit son espace extérieur sur le modèle d’irréductibilité de son espace intérieur.
Un tel schéma montre la carence de l’harmonie idéale entre objet et demande (ou entre demande et objet) : selon Lacan, entre les deux, il y a une « nécessaire discordance » ou dysharmonie, que démontre l’expérience.
L’objet du désir est l’effet de l’impossibilité pour l’Autre de répondre à la demande : l’Autre, quel que soit le désir, ne saurait y suffire, laissant « à découvert » la plus grande part de la structure, assure Lacan ; le sujet n’est pas enveloppé dans le tout (ce serait une illusion que de le croire) : au niveau du sujet qui parle, l’Umwelt n’enveloppe pas son Innenwelt.

Lacan présente ensuite un développement sur la relation du sujet avec le grand Tout.
Si l’on imagine le sujet par rapport à la sphère idéale cosmique infinie (modèle intuitif et mental de la structure du cosmos), l’image intuitive du sujet serait celle d’un trou dans cette sphère, et son supplément serait représenté par deux sutures : voici un trou quadrangulaire dans un plan indéfiniment prolongé, lequel serait l’image de la sphère.

l13-7

schéma Valas p. 95, ou édition ALI 2020 XIII-7, p. 210
Première suture : coudre ensemble un bord avec le bord opposé, en laissant libres les deux autres bords : on obtient deux trous qui restent dans la sphère de surface infinie
fig. Valas p. 95, ou édition ALI 2020 p. 210, XIIII-8
Deuxième suture : on tire sur chacun des bords de ces deux trous, ce qui constitue « le sujet à la surface infinie, comme constitué en somme par ce qui est toujours un tore, même s’il a une besace de rayon infini, à savoir une poignée émergeant à la surface d’un plan »

l13-9

en haut : Valas fig. p. 95 ; au-dessous : éd. ALI 2020 p. 211, XIII-9, XIII-10 et XIII-11

Cela vient imager la relation du sujet avec « le grand Tout » : pour ce « recouvrement de l’objet », à la demande, si l’autre imaginaire est ajout de l’édition ALI 2020, p. 211 ainsi constitué dans l’inversion des fonctions du cercle du désir avec celui de la demande, l’Autre, pour ce qui est de la satisfaction du désir du sujet,
doit être défini comme sans pouvoir c’est-à-dire que l’Autre ne peut pas satisfaire le désir du sujet.
Or, selon Lacan, « avec ce sans émerge une nouvelle forme de la négation où s’indiquent à proprement parler les effets de la frustration. Sans est une négation mais pas n’importe laquelle, c’est une négation-liaison » que matérialise bien, dans la langue anglaise, l’homologie conformiste des deux rapports des deux signifiants within “à l’intérieur de” et without “à l’extérieur de”, “en dehors de”, “sans”. Cette négation peut être définie comme une « exclusion liée qui déjà en soi seule indique son renversement », observe Lacan.
Un pas de plus conduit au pas sans : dans la dialectique du désir, l’Autre transcription Valas p. 96 : « l’autre » est à la fois sans pouvoir et pas sans pouvoir.
- 1° L’Autre n’a pas le pouvoir de satisfaire le désir du sujet.
- 2° Cet Autre est la métaphore du trait unaire (c’est-à-dire le lieu où se succèdent ces 1 tous différents les uns des autres dont le sujet est la métonymie) ; en conséquence, il est « comme-un » édition ALI 2020, p. 212 ; Lacan signale ici un jeu de mots : l’expression est aussi à entendre « commun » « comme 1 » transcription Valas p. 96 ; il n’est pas sans pouvoir, car il a cette valeur unique de remplacer tous les 1, en une régression infinie ; d’autre part lui seul est à l’origine possible du désir comme condition, même si cette condition reste en suspens.
Pour cela, il est « comme pas un » : il donne au (1) du sujet une autre fonction, qui s’incarne d’abord dans la dimension de la métaphore présentifiée par le « comme » ; « comme pas un » est le niveau de la troisième dimension c’est-à-dire la dimension symbolique, celle de la « conditionnalité absolue du désir », cf. prochaine leçon, portant sur le niveau du troisième terme donc sur le champ du symbolique, avec la castration, introduction de l’acte de désir comme tel, de ses rapports au sujet, à la racine de ce pouvoir, et à la réarticulation des temps de ce pouvoir ; Lacan va revenir en arrière sur le pas possible pour marquer le chemin qui a été accompli dans l’introduction des termes pouvoir et sans pouvoir.

Discussion : dans la genèse du sujet, il faut concevoir une temporalité logique et non forcément chronologique

Cf. Daniel Lagache, « La sublimation et les valeurs », dans Œuvres, vol. V, PUF, 1984 : il s’agit d’une conférence initialement prononcée le 13 mars 1962 à l’une des séances « scientifiques » de la SFP.
Cf. Lacan, séminaire V, 1957-58, Les formations de l’inconscient, leçon du 02-07-1958.
Cf. Lacan, séminaire II, 1954-55, Le moi dans la théorie freudienne et dans la technique de la psychanalyse, leçon du 08-06-1955.
Cf. Edward Westermarck (1862-1939), anthropologue finlandais, élabora des théories sur le mariage, sur l'exogamie et sur l'inceste (ce qu’on nomme « l’effet Westermarck » est décrit dans sa thèse comme un mécanisme naturel d’évitement de l’inceste : c’est un phénomène d'empreinte sexuelle inversée, se produisant lorsque deux personnes vivent en étroite proximité domestique au cours des premières années de la vie de l'une ou de l'autre : toutes deux deviennent insensibles à l'attraction sexuelle) ; opposé aux théories de Freud concernant l’Œdipe, Westermarck, arguant qu'en fait historiquement la monogamie avait précédé la polygamie, s’est inscrit en faux contre l'opinion, alors dominante, selon laquelle les premiers êtres humains vivaient dans la promiscuité sexuelle.
Entre autres ouvrages, en français : Origine du mariage dans l’espèce humaine, Guillaumin, 1875 ; sa thèse : Histoire du mariage humain (The History of Human Mariage, 1891, traduction française Payot, 1934-1945) ; Études de sociologie sexuelle, 1935 ; Les cérémonies du mariage au Maroc (Londres, 1914), traduction française parue aux éditions Jasmin en 2003.
Définition du signifiant : cf. Lacan, séminaire VII, 1959-1960, L’éthique de la psychanalyse, leçon du 9 mars 1960.
Cf. Lacan, séminaire VII, 1959-1960, L’éthique de la psychanalyse, leçon du 09-03-1960, Seuil, 1986, p. 192 : poème d’Arnaut Daniel.
Cf. Parménide, Diels B III, « Τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶ εἶναι » to gar auto noeïn estin té kaï eïnaï.
Note de l’édition ALI 2020, p. 208 : les termes « application » et (plus loin) « superposition » ne sont pas à prendre au sens géométrique mais au sens de « correspondance biunivoque » (sans implication métrique cependant).
Cf. Lacan, Écrits, p. 320-321 ; le rapport de Rome, intitulé « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », date de 1953 (Écrits, p. 237-322).

Les leçons 14 & 15 par N Delafond et J Quilichini



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Leçon 14 Katia Mesmin




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Leçon 15 Marion Goupy

Leçon 16 Isabelle Prudhomme

Cette leçon pourrait s'intituler « rapport sur l'angoisse ».
Quelques points essentiels, collectés ainsi, sont mis en question :
− la notion de rapport
− le serrage de la notion d'angoisse
− « la distance (soulignée) qui sépare l'Autre de La Chose » en définissant chaque terme.
− le champ du désir et celui de la demande, avec le medium du phallus
− l'identification au désir de l'Autre, au mort, au phallus et les structures psychiques
Lacan débute cette leçon par un aparté, s'adressant aux membres de son auditoire présents à un congrès, qui s'est tenu peu de jours avant (la dernière réunion de la société provinciale). Il souhaite revenir sur son insatisfaction à l'endroit de ses élèves, qu'il semble s'être abstenu de formuler lors de ce congrès. Forme d'auto-reproche qu'il s'adresse à lui-même en plus de s'adresser à ses élèves. Je reprends son propos, « chacun sait que quelque chose qu'il dise (à ces congrès) il participe de quelque indécence, de sorte qu'il est bien naturel qu'il ne s'y dise que des riens pompeux, chacun restant pour l'ordinaire vissé dans son rôle à garder » . Son insatisfaction porte plus particulièrement sur l'intervention d'un de ses élèves, au sujet de la question de l'angoisse. Je le cite, « qui de l'angoisse, a fait le support et le signe et le spasme, de la jouissance d'un soi identifié (...) identifié exactement comme s'il n'était pas mon élève (…) avec ce fonds ineffable de la pulsion comme du coeur, du centre de l'être, justement où il n'y a rien ! » .
Il me semble que Lacan reprend là la division du sujet, par opposition à la perspective soutenu par son « élève », perspective qu'il définit comme jungienne, où le sujet rejoindrait l'être, où l'être serait possiblement unifié (par différenciation avec ce qu'il définira plus tard comme le parlêtre : il n'y a de l'être que parce qu'on parle).
Lacan va débuter dans cette leçon donc par la question des rapports - rapport qui introduit un écart. Un rapport sur l'angoisse, plutôt que discours, qui fait précieux dit-il, rapport du tore, au vide qui est au centre, rapport sexuel au manque, soutenu par le signifiant phallique. Rapports « pas sans » l'avoir, qu'il s'agisse de l'angoisse ou du désir : « l'accès du désir exige que le sujet ne soit pas sans l'avoir » ; « l'accès au désir réside dans un fait, dans ce fait que la convoitise de l'être dit humain ait à se déprimer inauguralement » , répondant ainsi « au vide constitutif du centre d'un sujet »6, comme dit plus loin Lacan.
Il évoque au passage le mythe de la vierge folle dans la tradition judéo-chrétienne (parabole, d'après l'évangile selon Matthieu, au terme de laquelle les vierges folles sont condamnées à veiller, ne connaissant ni le jour, ni l'heure, n'ayant pas anticipé leur passage dans le royaume en se dotant d'huile pour s'éclairer, notamment, à la différence des vierges sages). Mythe qui répond à celui de la misère dans le Banquet de Platon : lors du festin donné chez les dieux pour la naissance de Vénus, Pénia vint demander quelque chose et s'avisa que Poros s'était retiré endormi dans le jardin de Jupiter ; elle décida dans sa détresse d'avoir un enfant de Poros, ainsi naquit l'amour, conçu le même jour que la naissance de Vénus, son compagnon et serviteur ; pauvre, maigre, défait, sans domicile, quasi mourant, toujours misérable, en digne fils de sa mère, et aussi, robuste, entreprenant, habile, enchanteur, florissant, plein de vie, suivant le naturel de son père. « Tout ce qu'il acquière lui échappe sans cesse » , si bien qu' « il tisse perpétuellement quelque invention » .
Autant de figures composant avec le manque, ou le manque du manque, au travers par exemple de la passion de la vérité dans la tenue universitaire, le mirage d'un trop désirer ou bien la crainte de l'aphanisis, qui ne sont toutefois pas à craindre selon Lacan : « il n'y a qu'une chose à redouter, c'est cette obtusion (manque du manque ?) à reconnaître la courbe propre de la démarche de cet « être infiniment plat » dont je vous démontre la propulsion nécessaire sur cet objet fermé que j'appelle ici le tore, qui n'est à vrai dire que la forme la plus innocente que ladite courbure puisse prendre » . Un passage à une 3ème dimension à laquelle il nous invite, concomitamment à la reconnaissance du vide au centre du sujet.
Annonçant que son séminaire de l'année suivante porterait sur l'angoisse, il précise le point de défaillance de la présentation faite sur l'angoisse au congrès, défaillance étant celle d'un centre, ne venant pas recouvrir toutefois le vide du centre.
Lacan formule cette boussole, du « rapport de l'angoisse au désir de l'Autre ».
Ainsi que par la suite, il vient « ponctuer un certain nombre de repères premiers » :
− « la jouissance en tant que jouissance de la Chose est interdite en son accès fondamental » - enseignement de l'année du séminaire sur l'Ethique,
− dans cette suspension, suspension de jouissance, « gît le point d'appui où va se constituer comme tel et se soutenir le désir »
− l'Autre se présente comme métaphore de cette interdiction, en tant que son support c'est le signifiant pur, le signifiant de la loi : « dire que l'Autre c'est la loi ou la jouissance en tant qu'interdite, c'est la même chose »
Lacan précise à la suite de cela, la causalité de cette erreur de son élève, évoquée plus avant : « C'est un extrême auquel on peut être amené quand on est dans une certaine erreur qui repose toute entière sur l'élision de ce rapport de l'Autre à la Chose en tant qu'antinomique» .
Distinction posée ensuite plus précisément : « L'Autre est à être, il n'est donc pas. (La dimension symbolique est toujours à être, autrement dit, elle est susceptible d'être écrasée, collapsée ?) Le seul Autre réel… puisqu'il n'y a nul Autre de l'Autre, rien qui garantisse la vérité de la loi …le seul Autre réel étant ce dont on pourrait jouir sans la loi. Cette virtualité définit l'Autre comme lieu : la Chose - en somme - élidée, réduite à son lieu, voilà l'Autre avec un grand A » . (L'Autre réel serait ainsi la Chose, tandis que la Chose réduite à son lieu, la Chose symbolique somme toute, deviendrait Autre ?) L'Autre est à être, il n'est donc pas, il renvoie toutefois à cette réalité « du lieu où se déploie la chaîne signifiante » .
Une fois cette distance réaffirmée entre la Chose et l'Autre, il va serrant son propos sur l'angoisse, énoncer : 1) cela passe par le désir de l'Autre ; 2) il nous rappelle que « le désir de l'homme c'est le désir de l'Autre » ; 3) « le produit de mon désir par le désir de l'Autre, ça ne donne (…) qu'un manque, (-1) : le défaut du sujet en ce point précis. » .
Cela veut dire, avance Lacan, « qu'il ne peut y avoir aucun accord, aucun contrat sur le plan du désir » dans cette identification du désir de l'homme au désir de l'Autre (contrairement au scénario pervers, qui fait accroire au sujet un contrat possible) ; « ce dont il s'agit dans cette identification du désir de l'homme au désir de l'Autre, c'est ceci, que je vous montrerai dans un jeu manifeste : en faisant jouer pour vous les marionnettes du fantasme, en tant qu'elles sont le support, le seul support possible de ce qui peut être, au sens propre, une réalisation du désir » . L'Autre a « un autre » derrière lui ou au-delà, petit autre, dans cette configuration, de « réalisation » du fantasme.
Rencontrer le désir de l'Autre réel, c'est en ce point que nait l'angoisse :
« l'angoisse c'est la sensation du désir de l'Autre » . Après une illustration de ce propos par la mante religieuse de 3 m de haut face à son mâle d'un petit peu plus de la moitié de sa taille qui mire son image dans l'oeil à facettes de sa femelle : Lacan dit, c'est ça l'angoisse. (Cela n'est pas sans rappeler l'angoisse de certains enfants face aux adultes, qui peinent à ratatiner ce grand Autre imaginaire). Lacan propose au sujet de revêtir la dépouille et les insignes du mâle : l'angoisse c'est quand les insignes du sujet sont méconnues du sujet lui-même, quand « je ne sais pas ce que je suis comme objet pour l'Autre » (le manque d'objet est du côté du je).
« Si je ne me sais plus objet éventuel de ce désir de l'Autre », le danger apparaît en somme, la figure de l'Autre devient mystérieuse, l'Autre ne peut plus être constituée en objet. Mais peut y apparaître un désir, dans ce lieu de l'Autre. C'est cela l'angoisse, nous dit Lacan.
Dernier point abordé dans cette leçon : les différents biais que trouve le névrosé pour s'en arranger du rapport au désir de l'Autre. Ce désir est inclus d'abord nécessairement dans la demande de l'Autre.
« Ce qui est angoissant, presque pour quiconque, pas seulement pour les petits enfants, mais pour les petits enfants que nous sommes tous, c'est - dans quelque demande – ce qui peut bien se cacher de cet X, de cet X impénétrable et angoissant (...) qu'est-ce qu'il peut bien à cet endroit vouloir ? » C'est la fonction phallique qui donne la mesure de ce champ à définir à l'intérieur de la demande, c'est-à-dire le champ du désir.
Je ne connais pas le désir de l'Autre, angoisse ! Mais j'en connais l'instrument, le phallus. Qui sert donc de medium entre demande et désir. Ce qui peut signifier continuer les principes de papa, ne pas faire d'histoires, comme dit Lacan, mais comme papa n'a plus de principe, ça se complique. Tant que papa est là, autour de lui s'organise le transfert, autour de 1/phi, « unité de toute articulation du champ du désir », « le prolongement vivant de la loi du père, du père comme origine de tout ce qui va se transmettre comme désir » .
La femme, ne l'a pas, le phallus et n'a qu'à le désirer. Toute la dialectique du complexe de castration chez elle introduit l'Oedipe. La voie nécessite moins de détour que pour l'homme.
L'homme, pour que son phallus puisse servir à ce fondement du champ du désir, il va falloir qu'il le demande pour l'avoir, demande s'inscrivant dans un « passage transitionnel à travers cette habilitation par la loi » .
« Cette préservation nécessaire du champ de la demande qui humanise, par la loi, le mode de rapport du désir à son objet, voilà ce dont il s'agit à ce point et ce qui fait que le danger pour le sujet est, non pas (…) comme on le dit dans toute cette déviation que nous faisons depuis des années, (…) que le danger pour le sujet n'est pas d'aucun abandon de la part de l'Autre, mais de son abandon de sujet à la demande » . La demande humanise.
Le sujet en somme « développe la constitution de son rapport au phallus étroitement sur le champ de la demande » , demande qui n'a pas de terme. Pour instaurer ce champ du désir, il faut que le phallus soit demandé. L'Autre ne peut en faire le don sur le plan de la demande. C'est dans la mesure où la thérapeutique ne permet pas de « sortir du cercle propre à la demande, qu'elle bute, qu'elle se termine à la fin sur cette forme revendicatoire, cette forme inassouvissable »28, c'est-à-dire Penisneid chez la femme et angoisse de castration non résolue chez l'homme.
Lacan s'interroge dans cette fin de la leçon sur ce que font l'hystérique et l'obsessionnel en cet endroit du désir de l'Autre comme tel, dans ce champ phallique qu'il définit à l'occasion comme l'intersection de deux frustrations.
L'hystérique sait que le désir de l'homme est le désir de l'Autre, et donc l'Autre peut parfaitement dans cette fonction du désir, la suppléer, elle. « L'hystérique vit son rapport à l'objet en fomentant le désir de l'Autre - avec un grand A - pour cet objet » . Voire la figure de l'intrigante raffinée : la fonction du phallus peut toujours ici « passer de l'un à l'autre des deux partenaires de l'hystérique » .
Pour l'obsessionnel, le « champ du désir est constitué par la demande paternelle, en tant que c'est elle qui préserve, qui définit le champ du désir comme tel en l'interdisant » . « Le sujet a le phallus, il peut même à l'occasion l'exhiber, mais c'est le mort qui est prié de s'en servir » . Ce qui produit des affects d'angoisse beaucoup plus fréquemment chez l'obsessionnel que chez l'hystérique, pouvant compter plus aisément sur la complaisance de l'Autre, que sur celle d'un mort. Chez le phobique, l'angoisse semble « maitrisée », « par l'intermédiaire de cet objet dont déjà l'ambiguité, à lui, nous a déjà été assez soulignée entre la fonction petit (a) et la fonction petit (phi) » .
Le sujet demande le phallus et le phallus désire ; « ce qui en effet dans l'expérience se modèle, se module autour de ce rapport du sujet au phallus en tant que, vous le voyez, il est essentiellement de nature identificatoire, et que s'il y a quelque chose qui effectivement peut provoquer ce surgissement d'angoisse lié à la crainte d'une perte, c'est le phallus » .
« Il y a la crainte de perdre le phallus, parce que seul le phallus peut donner son champ propre au désir. »35

Séminaire « L'identification », téléchargé sur le site http://www.valas.fr/IMG/pdf/S9_identification.pdf, p. 326.
Ibid., p. 321.
Ibid., p. 327.
Ibid., p. 322.
Ibid., p. 323. 6 Ibid.
Jacques Dufresne, article sur le site : http://agora.qc.ca/documents/desir_amour_beaute_dans_le_banquet_de_platon, consulté le 26/2/21.
Ibid.
Séminaire « L'identification », téléchargé sur le site http://www.valas.fr/IMG/pdf/S9_identification.pdf, p. 324.
Ibid., p. 326.
Ibid., p. 327.
Ibid.
Ibid.
Ibid., p. 328.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
Ibid., p. 329.
Ibid.
Ibid.
Ibid., p. 330.
Ibid., p. 332.
Ibid., p. 333.
Ibid., p. 334.
Ibid., p. 334.
Ibid., p. 335.
Ibid., p. 335. 28 Ibid.
Ibid., p. 336.
Ibid., p. 337.
Ibid.
Ibid.
Ibid., p. 338.
Ibid., p. 339. 35 Ibid.


Leçon 17 Rima Traboulsi

Plan de la leçon
A - Intro
a) de la nécessite d’un 2ème tour
b) impasses de la logique propositionnelle et celle d’Euler, quand on introduit la négation. Intérêt du 8 inversé ou 8 intérieur
c) usage de la topologie des surfaces pour sortir de la captation imaginaire du plan à 2 dimensions.
B – Tracés sur le tore et mises à plat
Le tore comme lieu possible d’inscription des différentes sortes de cercles, lacs et coupures, illustration de la demande et du désir.
a) tracé du huit inversé
b) tracé de différents cercles d’Euler
c) répétition de la demande et du désir, réversibilité des 2
C- caractéristiques du tore et impasses
a) irréductibilité structurale et importance du trou ne permettent pas de rendre compte de la dissymétrie entre les cercles D et d. Nécessité d’introduire autre chose.
b) L’introduction de la sphère comme 3ème dimension ne résout pas la non symbolisation de la dissymétrie du tore.
c) Recours utile au 8 intérieur et premiers pas vers la construction du cross-cap.

A- Intro
Lacan, débute la leçon en nous informant qu’à la différence de ce qu’il avait annoncé dans la fin de la leçon précédente, il n’évoquera pas le phallus si ce n’est sous la forme de huit intérieur, forme peu tranquillisante.

l17-01

Fig. 1 : le huit intérieur
Il insistera sur la nécessité d’y revenir à ce signifiant évoqué précédemment mais cette fois-ci pour montrer ce dont il s’agit, ce qu’il veut dire quand on l’utilise sur le tore.
Revenant sur ce qu’il avait développé concernant l’angoisse et son lien au désir de l’Autre, il admet qu’il « répète », en quelque sorte, ce que Kierkegaard avait dit et il souligne que répéter est différent de dire.
(Idée de la nécessité d’au minimum un 2ème tour pour que ça se boucle).
Pour démontrer son usage de la topologie comme nécessité incontournable, Lacan prendra appui sur l’usage du « ou » non traité de manière adaptée par les logiciens, jusqu’à une époque récente, ce qui suppose que les effets des avancées ne nous soient pas encore parvenus. Preuve en est que, dans le moindre texte analytique, la pensée achoppe encore dès qu’il s’agit du terme « identification » ou de la pratique d’identifier quoi que ce soit dans notre champ d’expérience.
Il faut, dit-il, repartir des schémas inébranlés de la pensée intuitive pour se rendre compte :
- qu’ils sont très saturés par le sens visuel et nous mettent face à notre propre impuissance visuelle. C’est aussi le cas avec le tore, « il nous embrouille », il a fallu à Lacan de l’exercice pour tirer du tore (figure simple de l’anneau) une quelconque suggestion ou pratique. (nécessité de faire et répéter, encore et encore… )
- de leur liaison avec « l’instruction ». En effet, toute la théorie d’Euler au lieu d’ouvrir la logique classique, l’a rendue évidente (donc fermée). La faute en revient à tout ce qui a entouré l’entité « princesse », qui renvoie aux lettres adressées aux princesses qui tiennent une place très présente dans la culture, sorte de suppléance de la Dame et approche de la structure de la sublimation courtoise que Lacan nous avait développé dans l’Ethique. Euler en a écrit 241 à une certaine princesse, pour expliquer (mais pas que, on peut supposer que quelque chose de son désir y est impliqué!!!) par l’intermédiaire de ses cercles, les règles du syllogisme, de l’exclusion, de l’inclusion et du recoupement de 2 champs.
Cercles et règles applicables à la logique propositionnelle (quand P est V…), à la logique relationnelle (où une relation existe) ou à la logique de classe ou simplement à l’existence (où un objet existe)
et permettant leur appréhension par le support d’une démonstration.
Exemple de la logique des classes :
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Fig 2 : les mammifères font partie des vertébrés.

Or si on introduit la négation : si A’ est non A, il faut préciser dans quoi il est non A, par ex dans B. En d’autres termes par rapport à quel ensemble quelque chose est nié.
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Fig 3 : A’= non A dans B
Lacan pointe la nécessité de séparer la négation au niveau de l’énonciation (elle est constitutive), de la négation au niveau de l’énoncé.
Toutefois, le statut de la négation est à définir ailleurs que dans la distinction de la logique des relations d’avec celle des classes. La logique qui nous intéresse c’est celle du signifiant.
Boole et Morgan, successeurs d’Euler, ont néanmoins introduit une originalité primordiale quant à la distinction de la fonction de la négation ; dans leur usage des cercles, ils ont permis une symbolisation, en fonction de la position des cercles, à savoir :
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Fig 4 : les cercles  Fig 5 : leur réunion  Fig 6 : leur intersection.
A noter que :
- La réunion est différente de l’addition
- Le champ de l’intersection se trouve inclus dans le champ de la réunion
- Dans l’algèbre de Boole, la réunion jusqu’à un certain point peut être « analogue » à l’addition, d’où la possibilité d’utiliser le symbole +. L’intersection, elle, est structurellement analogue à la multiplication, symbolisée par x.
Tout ceci est un rappel simplificateur pour introduire ce qui était, jusqu’à Morgan, éludé mais qu’il a mis en évidence et qui nous intéresse à savoir le champ constitué par l’extraction de la zone d’intersection, dans la réunion de 2 ensembles.

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Fig 7 : C’est ce qu’on appelle la différence symétrique qui marque un « ou » d’exclusion. Idem dans la Fig 9 : A ou B. (L’appellation « différence symétrique » ne dit rien d’autre que l’exclusion de l’intersection)
Fig 8 : C’est le vel, A ou B dans le sens d’un ou A ou B, impliquant la possibilité d’une identité locale (L’intersection est incluse).

Lacan rappelle que le champ visuel nous réduit toujours à 2 dimensions, l’usage du cercle permet de délimiter un intérieur et un extérieur, ceci étant le ressort simple de l’usage des cercles d’Euler dans la logique.
A partir de là, Lacan pose la question de ce qui se passerait si à la place d’un cercle on utilisait le huit intérieur ? Celui-ci peut par exemple, nous permettre de sortir du paradoxe de Russel introduit par la classification des ensembles « qui ne se comprennent pas eux-mêmes » paradoxe relatif à la fonction du signifiant et dont la difficulté logique est :
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Fig 11 : Sachant que :
- EE = ensembles qui se comprennent eux-mêmes
- E-E = ensembles qui ne comprennent pas eux-mêmes
On aboutit au fait que le recouvrement d’une classe, d’une relation portée à la puissance 2, la rend « plus pesante , plus accentuée » et a pour effet de la rendre homogène à ce qui est à l’extérieur. Ce qui nous met fasse à une impasse logique.
(On y entend bien cette dimension de s’inclure et en même temps de s’exclure.)
C’est à ce point précis, que Lacan propose d’utiliser, intuitivement, sa représentation sur le tore, étant donné que ce dont il s’agit est un certain rapport du signifiant à lui-même. Le signifiant ne saurait se signifier lui-même, pour le faire, il doit se poser comme différent à lui-même.
(A = A et A ≠ A)
C’est ce qu’il s’agit de symboliser en 1er et qu’il s’agit, par extension, de retrouver dans toute structure subjective et même dans le désir. (p276)
Illustration chez un patient obsessionnel… (Pour qui la demande ne se boucle pas et ne permet donc pas de définir son désir.)

B- Tracés et mises à plat
Retour sur le tore, pour y inscrire par étapes, les cercles d’Euler puis le huit intérieur (Exercices démonstratifs).
Lacan rappelle que d’un point de vue topologique, il n’y a aucune nécessité que le tore soit régulier, c’est une surface constituée selon certaines relations fondamentales (de voisinage, peu importe les déformations introduites, tant qu’elles conservent ces relations).
Il existe plusieurs espèces de cercles ou « lacs » pouvant être dessinés :
1°) cercles réductibles à un point, ils ne traversent aucun trou. Fig 12 et 13. Si on découpe selon ces tracés, on se retrouve avec 2 morceaux.
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2°) cercles irréductibles à un point, ils traversent le trou central du tore (où se trouve l’axe) appelés cercles pleins car persiste toujours l’épaisseur du tore : Fig 14. Si on découpe Fig 15 : on a une manche, ici pas de morceau qui reste, la manche obtenue est un tore (avec allongement des dimensions). (Pas de changement dans la structure).
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3°) cercles irréductibles à un point, ils ne traversent pas le trou central mais en font le tour (idem l’âme qui fait le tour de l’axe) appelés cercles vides : Fig 16. Si on découpe, Fig 17 : la ceinture obtenue est une manche, avec dimensions très courtes et très larges, donc un tore.
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Donc avec 2 cercles différents, cercle plein et cercle vide, on a la même structure qui ne définit ni intérieur ni extérieur.

1ère étape :
Si on fait les 2 coupures à la suite sur le tore, (cercle plein et vide qui se recoupent), celui-ci reste bien tout entier, symboliquement représenté par un rectangle.
Fig 18, 19, 20 et 21
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On peut reconstituer le tore en recollant AB à DC puis AD à BC.
La mise à plat permet d’étudier ce qui se passe géométriquement sur le tore.
1 : c’est un type de cercle et 2 : l’autre.
x et x’, ainsi que y et y’ étant des points opposés mais équivalents (on peut les coller).
Question : où, nous mène, tout ceci ? Réponse : au fait que ces 2 sections qui se recoupent ne changent rien à la structure. Il n’y a aucune fragmentation dans la structure. (Cf remarque bas de page 281: on appelle genre, le nombre maximale de coupures fermées disjointes faisables sans que la surface soit séparée en plusieurs morceaux).
2ème étape :
Si on fait 2 sections autour du trou central (de l’axe) qui se recoupent, nous voyons apparaître la différence symétrique Fig 22. (Intersection exclue)
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Mais est-ce que le champ de la différence symétrique existe ? Fig 23 nous montre que non car (1) et (2) sont d’un même tenant, en continuité et correspondent au complémentaire de la différence symétrique tracée sur le tore.
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A plat, Fig 24 : On a cercle A, cercle B et AB. Si on appelle A1, la négation de A (se situant dans la demi-lune de B ) et B1, la négation de B (dans la demi-lune de A ) alors A1B1 est le champ extérieur dans le dessin.
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Démonstration que 2 champs qui se recoupent et qui peuvent définir leur différence symétrique n’en sont pas moins 2 champs qui ne peuvent se réunir, ni se recouvrir, ni introduire un « ou… ou » ni servir à une multiplication par soi-même ; ils ne peuvent se réfléchir l’un dans l’autre, ils n’ont pas d’intersection, celle-ci est exclusion d’eux-mêmes ; on est donc dans le non champ.
Etape suivante :
Remplacement des 2 cercles par le huit intérieur, Fig 25. On a là 2 cercles qui font le tour du trou (central) du tore, cercle qui se reprend lui-même à l’intérieur de lui-même, cercle qui à la limite se redouble et se ressaisit dans son auto-différence. C’est-à-dire cercle qui symbolise cette limite en tant qu’elle s’identifie à elle-même et qui a rapport (cf leçons précédentes) avec l’objet métonymique, objet du désir.
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La double boucle enserrant le vide où se niche l’objet a du désir.
Fig 25 ici le champ définit par a2 est le même que non a ou (-a).
Lacan propose là, « un modèle », support intuitif qu’on pourrait appliquer à la constitution du désir, support de l’auto-différence du désir à lui-même.
C’est dans le redoublement du désir à lui-même que nous pouvons saisir que ce qu’il enserre, se dérobe.
Lacan précise que son intention, dans l’introduction de la double boucle, n’est pas de symboliser, réellement le désir mais la conjonction du petit a, de l’objet du désir avec lui-même. Car pour supporter la dimension du désir « d » dans la surface du tore, il faut y introduire la dimension de la demande « D ».
La demande est représentée par la répétition des cercles pleins enserrant l’épaisseur du tore avec comme caractéristique de cette demande : l’identité et la distinction nécessaire de chaque tour (le fil autour de la bobine), son déroulement et le retour sur elle-même, ceci étant supporté par la structure du tore.
Lacan veut attirer notre attention sur un cercle privilégié, un lac qui fait en même temps le tour du trou du tore (l’axe) et le traverse.
Fig 26 : Boucle D+d qui peut imager les relations structurales de la demande et du désir.
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A partir de là, si on envisage 2 cercles D+d, 2 possibilités se présentent selon que ces 2 cercles (D+d) sont distincts ou se prolongent (se croisent) :
1° : Fig 27 : quand 1 et 2 sont distincts, pas de répétition, (pas de duplication) même si les 2 demandes passant par le trou, enserrent le même objet a inclus dans leur périmètre.
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2° : Fig 28 : quand se prolongent, il s’agit du huit intérieur, on a un trajet de la reduplication de la demande. 2(D+d)
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Mais in fine, ces 2 demandes sont analogues, dans leur tracé sur le tore au tracé de la reduplication de l’objet du désir lui-même. Les 2 tracés renvoyant à la même dimension centrale constituée par le vide du désir. (p287).
Lacan propose ces « exercices » sur le tore avant de lui donner une valeur métaphorique permettant l’articulation du rapport du désir et de la demande dans diverses situations cliniques, de schizophrénie, d’obsession…
Par la suite, Lacan va reprendre les différents exemples déjà abordés mais en recourant au tore déployé, mis à plat (c’est-à-dire grâce à 2 coupures successives qui se recoupent et ne changent rien à la structure.)
1° Fig 29 : mise à plat de la différence symétrique des cercles d’Euler, pour montrer qu’il n’y a pas de symétrie entre les 4 champs pris 2 à 2.
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2° Fig 30 : de même avec le huit intérieur (faisant le tour du trou central 2d), c’est encore plus évident qu’il n’y a pas de symétrie, les champ hors « a » étant en continuité.
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3° Fig 31 : si on prend les 2 D incluant le trou central 2(D+d) mais ne se recoupant pas, les 2 cercles n’ont aucun privilège entre eux, il y a donc une différence symétrique.
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4° Fig 32 : si on prend le huit intérieur donc 2(D+d) qui se prolongent, la mise à plat met en évidence l’auto-différence.
En quoi, poursuit-il, les champs de différence symétrique et d’auto- différence sont utilisables et en quoi ils se soutiennent comme existant par rapport à un autre champ qu’ils excluent ? (p290)
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(Remarque : Par rapport à notre question sur l’identification : 1≠des autres1 et 1= et ≠de lui-même)
C - Caractéristiques du tore et impasses
En fait, Lacan a développé la fonction dissymétrique pour nous montrer que le tore, de par sa structure comme surface permet très difficilement de symboliser sa dissymétrie.
Preuve en est, Fig 33 : en partant du rectangle, c’est-à-dire de la mise à plat, la construction du tore est possible de 2 façons, c’est la fonction réciproque des cercles des 2 tores.
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L’utilisation de cette fonction permet d’illustrer la projection des cercles du désir d’un sujet avec les cercles de la demande de l’Autre. Fig 34, subsiste toujours la différence des cercles pleins et vides.
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Remarque : on pourrait, par une notation, différencier les 2 manières de fermer le tore : Fig 35, mais ceci serait complètement artificiel car en topologie les deux sont pareils.

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C’est bien parce que nous ne considérons le tore que comme surface que nous pouvons considérer une certaine réversibilité entre les cercles de la demande et du désir.
Lacan insiste pour dire que ce n’est pas le modèle qu’il désire.
(Ici on reste dans un registre imaginaire à 2 dimensions)
C’est de la structure topologique du tore, avec le privilège de son trou central que nous pouvons tirer profit, d’autant plus qu’il a tendance à fuir et nous échapper.
Lacan rappelle :
- que les mathématiciens, ont souligné ce qui distingue le tore, des autres surfaces, à savoir sa fonction d’être irréductible à une forme normale. C’est-à-dire qu’il ne peut être réduit à autre chose qu’à un tore.
- Dans toute représentation de surface compacte, c’est-à-dire décomposable en lambeaux, le tore doit y être planifié mais il ne suffit pas à lui seul, il faut lui adjoindre d’autres termes : la sphère, éventuellement un autre tore, le cross-cap et le trou.
Pour finir et tenter de formaliser cette question de la dissymétrie en même temps que ce qui échappe dans le tore, Lacan commence par adjoindre la sphère au tore, comme 3ème terme, pour symboliser cette dissymétrie : Fig 36 : tore comme poignet accrochée à une sphère.

l17-35

Puis du fait qu’au début de tout formalisme, quelque chose échappe et que toute surface formalisable peut être réduite à une forme normale, il nous propose donc de considérer une sphère avec 2 tores (donc présence de trous) et un cross-cap (forme qu’il cite qu’il n’explicite pas là et dont il ne fera rien à ce stade, ceci dans le but de nous faire saisir ce qui nous échappe)
Dans les Fig 37 et 38, il nous invite par les manipulations topologiques décrites à envisager le tore extérieur comme homogène au tore intérieur par retournement et déformations continues pour aboutir à la Fig 39 du tore pris dans la sphère, démontrant ainsi l’échec de symbolisation de la dissymétrie du tore à lui-même malgré l’adjonction de la sphère comme 3ème terme. Ce qui se manifeste, ici, c’est ce qui est introduit par le huit intérieur, à savoir la possibilité d’un champ intérieur toujours homogène avec le champ extérieur.

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Remarques :
Les différents tracés (ou lacs) sur le tore figurent les parcours de la chaine signifiante qui anime le sujet et correspondent aux contraintes du langage. Les coupures, elles, sont les actes de la parole.
Si l’on considère le huit intérieur comme un tracé du signifiant sur le « tore-corps », ne pourrait-on voir là l’illustration de l’inadéquation de la notion dedans – dehors telle qu’elle est utilisée par certaines approches psychologiques ?
En conclusion de la leçon, Lacan remet à plus tard, l’utilisation des éléments développés dans cette leçon…




Leçon 18 Jean-Jacques Lepitre

C’est une leçon principalement occupée par un exposé de Piera Aulagnier à la demande de Lacan. On peut décomposer cet exposé en 3 parties.
1°) Elle origine sa réflexion de la différence qu’il y a lieu de faire entre l’angoisse elle-même, son vécu, qui est sans mot, où le moi se dissout, n’a plus la médiation de la parole, et la traduction verbale de l’angoisse, sa verbalisation, qui alors ne mérite plus à proprement parler le nom d’angoisse, puisque transformant en communicable ce qui a été vécu au niveau du corps. C’est pourquoi il ne lui semble pas pertinent de tenter de distinguer un contenu de l’angoisse à proprement parler, que ce soit oral, de castration, ou de mort. Dans l’angoisse il y a écroulement de tout repère identificatoire possible, le propre du sujet angoissé est d’avoir perdu son contenu. Plus justement, plutôt que de chercher le contenu de l’angoisse, il s’agit d’en chercher la source. Ici, elle reprend ce qu’indique Lacan, à savoir la figure de l’Autre, soudain mystérieuse, ce lieu d’où surgit un désir qu’on ne peut plus appréhender. Ici, elle fait une incise à propos de l’angoisse en analyse qui peut surgir de l’opacité du désir de l’analyste. Pour préciser la source de l’angoisse : c’est que le moi serait en impasse face à un obstacle situé entre les deux lignes fondamentales de la structure subjective que sont l’identification et la castration. Pour celle-ci elle fait rappel de la leçon 16, du 4 avril : à savoir que la castration est le passage de ce qui est le support naturel du désir, le pénis ou autre, à l’habilitation par la loi, le pénis devenant le phallus, c’est-à-dire le signifiant du désir. Là où était la représentation d’un émoi corporel doit venir un signifiant, pour que, à partir d’un sujet et non d’un objet partiel, pénis ou autre, puisse prendre sens le mot désir. Le pénis n’est qu’un instrument au service du signifiant phallus, qui, lui, distingue le sujet à condition que l’Autre le reconnaisse, non pas justement en tant que ce support naturel, pénis ou autre support en ce qu’il en est pour une femme, mais bien en tant que sujet qui est ce signifiant que l’Autre reconnaît de sa place de signifiant lui-même.
Elle prend l’exemple de l’orgasme, moment où la jouissance, comme l’angoisse note-t-elle, ne peut pas s’exprimer symboliquement, puisqu’alors à le faire, il ne serait plus. Elle critique les auteurs qui y voient une fusion primitive et régressive. Selon elle il s’agit d’un moment où le sujet atteint cette identification toujours fuyante où il est reconnu par l’Autre comme objet de son désir et en même temps comme signifiant phallique, par la jouissance de cet Autre. En cet instant, fugitivement demande et désir coïncident donnant au moi cet épanouissement identificatoire dont la jouissance tire sa source. Mais si le désir est désir de continuité, la jouissance est instantanée, d’où l’écart se reconstituant entre désir et demande, et la relance de celle-ci. Ceci lui permet d’aborder par différence ce qui, hors de cet idéal, se produit lorsqu’un des deux partenaires est fixé à l’objet partiel, ce qui exclut que l’autre y soit comme sujet. Elle précise, selon elle, l’angoisse de castration, c’est moins qu’on lui coupe, au sujet, même si c’est ainsi que ça se verbalise, mais qu’on lui coupe tout le reste, c’est-à-dire qu’on veuille de son pénis ou autre, l’objet partiel, , la source et support du plaisir, mais qu’on le méconnaisse, lui, elle, qu’on le nie comme sujet. C’est pourquoi jouissance et angoisse sont en rapport étroit.
Ceci posé, elle va pouvoir examiner les fondements de cet objet dans sa dimension de médiation entre le sujet et l’Autre, entre demande et désir.
2°) Pour cet examen, elle choisit la phase orale, d’être à la fois la plus originaire mais aussi d’être le moment fécond pour les psychoses. Aux cris, aux appels de son enfant la mère répond en les constituant comme demande mais aussi en les interprétant sur le plan du désir : vouloir être pris dans les bras, être en colère, etc… Par sa réponse l’Autre, la mère, donne aux cris du besoin une dimension de désir, mais cela à partir de son désir à elle, de son fantasme à elle. (cf le transitivisme de Bergès et Balbo). C’est donc par l’inconscient de l’Autre que le sujet fait son entrée dans le monde du désir. Son propre désir, il va le constituer comme réponse, acceptation ou refus, de la place que l’inconscient de l’Autre lui désigne. Acceptation, c’est-à-dire identification, ou refus, de l’introjection du désir de l’Autre. Introjection ? Qu’est-ce à dire ? Ce qui passant par la jouissance révèle le non formulé au-delà de la demande, à savoir le désir. Elle s’explique : Le plaisir de l’absorption du lait, devenant source de la demande, plaisir buccal, se double de ce qu’est la relation mère-enfant. Cette relation donnera lieu à une absorption parallèle fantasmatique où les deux, l’enfant et l’Autre, sont représentés dans leur désir inconscient. Or s’il se peut que les deux niveaux soient positifs, il se peut aussi qu’ils soient discordants. Que l’un, celui de l’absorption réelle, de la demande soit positif alors que l’autre est négatif, ou inversement. C’est cette différence qui donnera au sein, objet partiel, sa valeur de signifiant.
3°) A partir de ces éléments de base, elle va envisager quatre configurations des relations entre le sujet, l’objet du désir, et l’Autre : normalité, névrose, perversion et psychose.
a) La normalité où l’enfant trouve dans le don de nourriture le don d’amour désiré. Le sein et la réponse de la mère pourront devenir autre chose. La relation orale pourra être abandonnée. Mais pour que l’enfant puisse assumer cette castration, soit renoncer au plaisir du sein, il faut que la mère elle-même ait assumé sa propre castration. L’enfant pour elle n’est pas un équivalent phallique au niveau d’une érogénéité corporelle pour elle, mais ce qui la constitue comme mère, c’est-à-dire femme du père. Le don de nourriture est symbole de don d’amour et non de don phallique, ce que l’enfant pourtant désire et qui maintient son rapport à la demande, mais qu’il aura à chercher ailleurs, ce qui le dirige vers le complexe de castration…
b) La névrose : lorsque, pour la mère, la castration est restée mal assumée, l’enfant risque de devenir pour elle l’équivalent phallique qu’elle désire. Et c’est cette équivalence enfant-phallus qui est au centre de la genèse des structures névrotiques. Le sujet aura au cours de son évolution à affronter le dilemme de l’être ou de l’avoir, quelque soit l’objet corporel qui en est le support, sein, pénis, etc... Il sera devant le dilemme identificatoire : soit être celui qui l’a, mais de n’avoir pu accéder au niveau symbolique et d’en être resté au support naturel cela signifiera pour lui en avoir châtré l’autre, soit être celui qui l’est, mais à être ainsi l’objet du désir de l’autre, il doit renoncer à être sujet du désir. Ce conflit identificatoire : être agent de la castration ou être le sujet qui la subit est au cœur de la névrose.
c) La perversion, la troisième configuration, souvent définie comme l’inverse de la névrose l’est aussi concernant l’identification, et le conflit identificatoire. Le pervers lui n’a pas le phallus mais ne l’est pas non plus. Il est l’objet ambigu d’un désir qui n’est pas le sien. Il tire sa jouissance de l’identification ni à l’Autre, ni au phallus, mais à un objet procurant la jouissance à un phallus dont il ignore l’appartenance. Pour le pervers, l’autre n’a pas d’existence, sinon comme support anonyme, ou quasiment, d’un phallus pour lequel il accomplit ses rites. (démonstration exemplaire de Wanda). L’identification perverse se fait en fonction de l’objet source de jouissance pour ce phallus aussi puissant que fantasmatique. Elle critique les abords de la perversion purement descriptive, symptomatique et sous le seul angle sexuel. Cela ne permettant pas selon elle de distinguer les pseudo-perversions névrotiques des perversions. Ainsi un sadisme, une agressivité ne sont pas absents chez l’obsessionnel de même que la culpabilité chez le pervers. Mais là où, chez l’obsessionnel, l’agressivité, le sadisme, relation anale, sont sur le mode de la possession de l’objet ou dont on est l’objet, ( « qui aime bien, chatie bien », et la fessée donnée ou reçue est signe d’amour, et prémisse à une jouissance, que celle-ci soit orale, anale ou vaginale. Alors que pour le sadique la fessée n’est pas un signe d’amour mais la possibilité de faire jouir un phallus dont la jouissance est la seule voie pour le pervers à sa propre jouissance. C’est dans ce zig-zag entre objet, phallus et sa propre jouissance que consiste la position perverse.
d) La quatrième configuration est celle de la psychose. Elle expose les choses de façon un peu massive. Revenant aux origines, au temps même de la grossesse, pour la mère, l’enfant serait l’objet partiel comblant un manque fantasmatique au niveau de son corps à elle. Dès sa naissance, l’enfant sera l’objet témoin de sa négation de sa castration. En conséquence la participation du père est niée. Dans ce cas, ce n’est pas l’enfant qui est le phallus mais le sein. Et un sein-phallus tout puissant, tel qu’il n’est pas concevable que sa réponse ne soit pas parfaite et totale. D’où ce qui s’en suit : toute demande de l’enfant ne peut être reconnu qu’au niveau de ce que le sein comble, c’est-à-dire la nourriture, et tout désir, se situant au-delà de la demande, ne peut être que lettre morte. S’ensuit également, concernant la parole, que toute demande porte en elle du coup la mort du désir, et l’enfant n’aura d’autre solution que de faire coïncider symbolique et réel, dans la mesure où quoiqu’il demande c’est de la nourriture qu’on lui donne, et au lieu que le don de nourriture se symbolise dans le don d’amour, ici tout don d’amour ne peut se signifier que par une absorption orale. Aimer l’autre, en être aimé, c’est absorber ou être absorbé. Entre demande et désir, ce sera toujours conflictuel. S’il maintient sa demande, elle le détruit comme sujet. S’il tente d’être sujet d’un désir, il devra aliéner la partie corporelle source de plaisir. Soit il aliène son corps comme support de son moi, c’est-à-dire comme sujet, soit il aliène une partie de son corps support d’une possible jouissance. L’identification n’est pas ici un concept applicable si celle-ci implique une relation d’objet où le désir du sujet et le désir de l’Autre sont en relation. Chez le normal, le névrosé, ou le pervers, toute tentative d’identification peut se faire à partir du désir supposé de l’Autre, soit à s’en faire l’objet, soit à s’y refuser. Et l’angoisse survient de ce que le désir de l’Autre, à partir duquel se constituait le sujet, devient, survient comme indéfinissable, et où il apparaît qu’être l’objet du désir de l’Autre n’est soutenable qu’à pouvoir le situer par rapport à notre propre désir. Mais être l’objet d’un désir inconnu, c’est être un objet dont les enseignes n’ont plus de signification puisqu’ils sont indéchiffrables chez l’Autre, c’est le moment où l’image dans le miroir n’a plus de signification. Dans l’angoisse ce n’est pas seulement le moi qui se dissout mais l’Autre également. La jouissance et l’angoisse sont deux positions extrêmes où peut se situer le moi. Dans la première, le moi et l’Autre se reconnaissent quant à leur désir et leurs enseignes, dans l’angoisse ils se dissolvent faute de désir repérable.
Dans la psychose les choses sont un peu différentes. Il y a bien l’angoisse et la perte de tout repère possible. Mais la source de l’angoisse est endogène, car c’est son propre désir. Comment cela se fait-il ? Habituellement l’autre nous constitue en nous reconnaissant comme objet de désir, et sa réponse à notre demande est ce qui produit l’écart entre notre demande et notre désir. Chez le psychotique cet écart est interdit, impossible, et il ne laisse qu’un trou à la place du sujet du désir. Et à la place de l’écart où s’instaure le symbolique, le phallus donc, symbole du désir, dans ce trou c’est le fantasme comme télescopage du symbolique et du réel. (? elle répète cette formule que je ne comprends guère, est-ce S barré poinçon a ? le sujet entamé par l’objet ? est-ce autre chose ?). Pour le psychotique, l’Autre serait introjecté dans son propre corps, au niveau de la béance susdite. Et tout désir ne peut que le renvoyer à cette béance, négation de lui-même, ou à la négation de l’Autre d’où elle s’origine. Si en séance, pour le névrosé, c’est notre silence qui révéler les sources de son angoisse, pour le psychotique, c’est notre parole, en tant que révélant notre présence, risquant de provoquer son désir. Sans cela, l’Autre à qui il parle, c’est l’Autre intériorisé. Elle termine par l’exemple d’un patient schizophrène ayant interrompu ses séances après la survenue d’angoisse suite au désir qu’il avait pu ressentir pour elle. Il avait successivement déclaré : « Il s’inquiétait de ce qu’on disait des membres fantômes, ressentir des sensations de membres qu’on n’a pas » , « des fantômes, hommes sans corps ressentant des sensations fausses d’un corps qu’ils n’ont pas », « la crainte que les miroirs ne mentent, et qu’il faille les choisir »… De son corps pouvait surgir le désir, ce qui provoquait son angoisse.
Commentaires de Lacan :
Il la félicite mais pas sans restriction. Il la félicite de son emploi des concepts et des articulations qu’il a amenés, désir et demande principalement. Il la félicite aussi de la façon dont elle osé parler de l’orgasme, et aussi de son approche de la perversion, d’en avoir souligné la dimension structurale. Et pour la question du corps, du rapport à son corps du psychotique, et du sujet en général. Mais là est le joint à partir duquel il se fait plus critique. Il rappelle que le sujet, selon lui, ne peut se penser que comme l’exclu du signifiant qui le détermine, figure du trou intérieur du 8 intérieur. Si le sujet est cela, ce champ particulier exclu du champ général du signifiant, ce dont parle P Aulagnier sous la dénomination de sujet serait plutôt ce qu’on nomme « la personne », au sens banal, au sens de personne globale, etc… Il est assez dur de ce qu’il semble dépité de ce qu’elle n’ait pas pris en compte sa « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache » qui lui a demandé des mois de travail, dit-il, où il rappelle l’importance de la dimension spéculaire et particulièrement de i(a), le moi idéal, que P Aulagnier aurait peut-être du employer plutôt que le terme de « sujet ». Ce rappel du spéculaire et de son importance, lui est d’autant plus facile que l’anecdote clinique de P Aulagnier se termine par son patient évoquant les miroirs. Mais c’est pour rappeler que s’il avait qualifié l’angoisse comme sensation du désir inconnu de l’Autre, il note une certaine distance avec ce qu’avance P Aulagnier en se fondant sur le rapport du désir du sujet au désir de l’Autre, à savoir de deux désirs déjà constitués. Si l’angoisse coupe la parole, c’est qu’elle ne peut désigner qui parle, ne peut pas référer à i(a) le « je » du discours. Dans son apologue de la mante religieuse l’angoisse provient de ce que dans l’œil de celle-ci, c’est l’image, i(a), qui est absente, c’est là l’angoisse. Critique de la critique : - Il est peut-être un peu dur. Car dans sa « remarque sur le rapport de D Lagache », dans le schéma optique qu’il y produit, i(a), le moi idéal, se forme sur le miroir plan, qu’il note lui-même A, c’est-à-dire l’Autre, et l’exposé de P Aulagnier est tout entier dans cette dialectique, et du coup plutôt éclairant sur ce qu’il avance. (et si elle n’avait pas raté la question du sujet comme exclu du signifiant qui le détermine ?)
Il termine la leçon par l’évocation du nœud de trèfle dont il compte se servir pour illustrer dans les leçons suivantes la structure de ce qu’il dira, sans plus de précision. Peut-être plus remarquable son insistance, répétée au long des séminaires, de définir l’espace accessible psychiquement comme n’étant qu’à deux dimensions, surface donc. C’est sur celle-ci qu’il inscrit le nœud…

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