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Gutenberg's Psychopathia Sexualis, by Richard von Krafft-Ebing This
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ÉTUDE MÉDICO-LÉGALE
PSYCHOPATHIA SEXUALIS AVEC RECHERCHES SPÉCIALES SUR L'INVERSION SEXUELLE
DR R. VON KRAFFT-EBING PROFESSEUR DE PSYCHIATRIE ET DE NEUROPATHOLOGIE
À L'UNIVERSITÉ DE VIENNE
TRADUIT SUR LA HUITIÈME ÉDITION ALLEMANDE PAR ÉMILE LAURENT ET
SIGISMOND CSAPO
PARIS GEORGES CARRÉ, ÉDITEUR 3, RUE RACINE, 3
PRÉFACE
Peu de personnes se rendent un compte exact de la puissante influence
que la vie sexuelle exerce sur les sentiments, les pensées et les actes
de la vie intellectuelle et sociale.
Schiller, dans sa poésie: Les Sages, reconnaît ce fait et dit:
«Pendant que la philosophie soutient l'édifice du monde, la faim et
l'amour en forment les rouages.»
Il est cependant bien surprenant que les philosophes n'aient prêté
qu'une attention toute secondaire à la vie sexuelle.
Schopenhauer, dans son ouvrage: Le monde comme volonté et
imagination[1], trouve très étrange ce fait que l'amour n'ait servi
jusqu'ici de thème qu'aux poètes et ait été dédaigné par les
philosophes, si l'on excepte toutefois quelques études superficielles
de Platon, Rousseau et Kant.
[Note 1: T. II, p. 586 et suiv.]
Ce que Schopenhauer et, après lui, Hartmann, le philosophe de l'Inconscient,
disent de l'amour, est tellement erroné, les conclusions qu'ils tirent
sont si peu sérieuses que, en faisant abstraction des ouvrages de
Michelet[2] et de Mantegazza[3], qui sont des causeries spirituelles
plutôt que des recherches scientifiques, on peut considérer la
psychologie expérimentale et la métaphysique de la vie sexuelle comme
un terrain qui n'a pas encore été exploré par la science.
[Note 2: L'Amour.]
[Note 3: Physiologie de l'amour.]
Pour le moment, on pourrait admettre que les poètes sont meilleurs
psychologues que les philosophes et les psychologues de métier; mais
ils sont gens de sentiment et non pas de raisonnement; du moins, on
pourrait leur reprocher de ne voir qu'un côté de leur objet. À force de
ne contempler que la lumière et les chauds rayons de l'objet dont ils
se nourrissent, ils ne distinguent plus les parties ombrées. Les
productions de l'art poétique de tous les pays et de toutes les époques
peuvent fournir une matière inépuisable à qui voudrait écrire une
monographie de la psychologie de l'amour, mais le grand problème ne
saurait être résolu qu'à l'aide des sciences naturelles et
particulièrement de la médecine qui étudie la question psychologique à
sa source anatomique et physiologique et l'envisage à tous les points
de vue.
Peut-être la science exacte réussira-t-elle à trouver le terme moyen
entre la conception désespérante des philosophes tels que Schopenhauer
et Hartmann[4] et la conception naïve et sereine des poètes.
[Note 4: Voici l'opinion philosophique de Hartmann sur l'amour:
«L'amour, dit-il dans son volume La Philosophie de l'Inconscient
(Berlin, 1869, p. 583), nous cause plus de douleurs que de plaisirs. La
jouissance n'en est qu'illusoire. La raison nous ordonnerait d'éviter
l'amour, si nous n'étions pas poussés par notre fatal instinct sexuel.
Le meilleur parti à prendre serait donc de se faire châtrer.» La même
opinion, moins la conclusion, se trouve aussi exprimée dans l'ouvrage
de Schopenhauer: Le Monde comme Volonté et Imagination, t. II,
p. 586.]
L'auteur n'a nullement l'intention d'apporter des matériaux pour élever
l'édifice d'une psychologie de la vie sexuelle, bien que la
psycho-pathologie puisse à la vérité être une source de renseignements
importants pour la psychologie.
Le but de ce traité est de faire connaître les symptômes
psycho-pathologiques de la vie sexuelle, de les ramener à leur origine
et de déduire les lois de leur développement et de leurs causes. Cette
tâche est bien difficile et, malgré ma longue expérience d'aliéniste et
de médecin légiste, je comprends que je ne pourrai donner qu'un travail
incomplet.
Cette question a une haute importance: elle est d'utilité publique et
intéresse particulièrement la magistrature. Il est donc nécessaire de
la soumettre à un examen scientifique.
Seul le médecin légiste qui a été souvent appelé à donner son avis sur
des êtres humains dont la vie, la liberté et l'honneur étaient en jeu,
et qui, dans ces circonstances, a dû, avec un vif regret, se rendre
compte de l'insuffisance de nos connaissances pathologiques, pourra
apprécier le mérite et l'importance d'un essai dont le but est
simplement de servir de guide pour les cas incertains.
Chaque fois qu'il s'agit de délits sexuels, on se trouve en présence
des opinions les plus erronées et l'on prononce des verdicts
déplorables; les lois pénales et l'opinion publique elles-mêmes portent
l'empreinte de ces erreurs.
Quand on fait de la psycho-pathologie de la vie sexuelle l'objet d'une
étude scientifique, on se trouve en présence d'un des côtés sombres de
la vie et de la misère humaine; et, dans ces ténèbres, l'image divine
créée par l'imagination des poètes, se change en un horrible masque. À
cette vue on serait tenté de désespérer de la moralité et de la beauté
de la créature faite «à l'image de Dieu».
C'est là le triste privilège de la médecine et surtout de la
psychiatrie d'être obligée de ne voir que le revers de la vie: la
faiblesse et la misère humaines.
Dans sa lourde tâche elle trouve cependant une consolation: elle montre
que des dispositions maladives ont donné naissance à tous les faits qui
pourraient offenser le sens moral et esthétique; et il y a là de quoi
rassurer les moralistes. De plus, elle sauve l'honneur de l'humanité
devant le jugement de la morale et l'honneur des individus traduits
devant la justice et l'opinion publique. Enfin, en s'adonnant à ces
recherches, elle n'accomplit qu'un devoir: rechercher la vérité, but
suprême de toutes les sciences humaines.
L'auteur se rallie entièrement aux paroles de Tardieu (Des attentats
aux moeurs): «Aucune misère physique ou morale, aucune plaie,
quelque corrompue qu'elle soit, ne doit effrayer celui qui s'est voué à
la science de l'homme, et le ministère sacré du médecin, en l'obligeant
à tout voir, lui permet aussi de tout dire.»
Les pages qui vont suivre, s'adressent aux hommes qui tiennent à faire
des études approfondies sur les sciences naturelles ou la
jurisprudence. Afin de ne pas inciter les profanes à la lecture de cet
ouvrage, l'auteur lui a donné un titre compréhensible seulement des
savants, et il a cru devoir se servir autant que possible de termes
techniques. En outre, il a trouvé bon de n'exprimer qu'en latin
certains passages qui auraient été trop choquants si on les avait
écrits en langue vulgaire.
Puisse cet essai éclairer le médecin et les hommes de loi sur une
fonction importante de la vie. Puisse-t-il trouver un accueil
bienveillant et combler une lacune dans la littérature scientifique où,
sauf quelques articles et quelques discussions casuistiques, on ne
possède jusqu'ici que les ouvrages incomplets de Moreau et de Tarnowsky.
L'instinct sexuel comme base des
sentiments éthiques.--L'amour comme passion.--La vie sexuelle aux
diverses époques de la civilisation.--La pudeur.--Le Christianisme.--La
monogamie.--La situation de la femme dans l'Islam.--Sensualité et
moralité.--La vie sexuelle se moralise avec les progrès de la
civilisation.--Périodes de décadence morale dans la vie des
peuples.--Le développement des sentiments sexuels chez l'individu.--La
puberté.--Sensualité et extase religieuse.--Rapports entre la vie
sexuelle et la vie religieuse.--La sensualité et l'art.--Caractère
idéaliste du premier amour.--Le véritable amour.--La
sentimentalité.--L'amour platonique.--L'amour et l'amitié.--Différence
entre l'amour de l'homme et celui de la
femme.--Célibat.--Adultère.--Mariage.--Coquetterie.--Le fétichisme
physiologique.--Fétichisme religieux et érotique.--Les cheveux, les
mains, les pieds de la femme comme fétiches.--L'oeil, les odeurs, la
voix, les caractères psychiques comme fétiches.
La perpétuité de la race humaine ne dépend ni du hasard ni du caprice
des individus: elle est garantie par un instinct naturel tout-puissant,
qui demande impérieusement à être satisfait. La satisfaction de ce
besoin naturel ne procure pas seulement une jouissance des sens et une
source de bien-être physique, mais aussi une satisfaction plus élevée:
celle de perpétuer notre existence passagère en léguant nos qualités
physiques et intellectuelles à de nouveaux êtres. Avec l'amour
physiologique, dans cette poussée de volupté à assouvir son instinct,
l'homme est au même niveau que la bête; mais il peut s'élever à un
degré où l'instinct naturel ne fait plus de lui un esclave sans
volonté, où les passions, malgré leur origine sensuelle, font naître en
lui des sentiments plus élevés et plus nobles, et lui ouvrent un monde
de sublime beauté morale.
C'est ainsi qu'il peut se placer au-dessus de l'instinct aveugle et
trouver dans la source inépuisable de ses sens un objet de stimulation
pour un plaisir plus noble, un mobile qui le pousse au travail sérieux
et à la lutte pour l'idéal. Aussi Maudsley[5] a très justement remarqué
que le sentiment sexuel est la base du développement des sentiments
sociaux. «Si on ôtait à l'homme l'instinct de la procréation et de tout
ce qui en résulte intellectuellement, on arracherait de son existence
toute poésie et peut-être toute idée morale.»
[Note 5: Deutsche Klinik, 1873, 2,
3.]
En tout cas la vie sexuelle est le facteur le plus puissant de
l'existence individuelle et sociale, l'impulsion la plus forte pour le
déploiement des forces, l'acquisition de la propriété, la fondation
d'un foyer, l'inspiration des sentiments altruistes qui se manifestent
d'abord pour une personne de l'autre sexe, ensuite pour les enfants et
qui enfin s'étendent à toute la société humaine. Ainsi toute l'éthique
et peut-être en grande partie l'esthétique et la religion sont la
résultante du sens sexuel.
Mais, si la vie sexuelle peut devenir la source des plus grandes vertus
et de l'abnégation complète, sa toute-puissance offre aussi le danger
de la faire dégénérer en passion puissante et de donner naissance aux
plus grands vices.
L'amour, en tant que passion déchaînée, ressemble à un volcan qui brûle
tout et consomme tout; c'est un gouffre qui ensevelit l'honneur, la
fortune et la santé.
Au point de vue de la psychologie, il est fort intéressant de suivre
toutes les phases du développement que la vie sexuelle a traversées aux
diverses époques de la civilisation jusqu'à l'heure actuelle[6]. À
l'état primitif, la satisfaction des besoins sexuels est la même pour
l'homme et pour les animaux. L'acte sexuel ne se dérobe pas au public;
ni l'homme ni la femme ne se gênent pour aller tout nus[7].
[Note 6: Voy. Lombroso: L'Homme criminel.]
[Note 7: Voy. Ploss: Das Weib., 1884, p. 196 et suiv.]
On peut constater encore aujourd'hui cet état primitif chez beaucoup de
peuples sauvages tels que les Australiens, les Polynésiens et les
Malais des Philippines.
La femme est le bien commun des hommes, la proie temporaire du plus
fort, du plus puissant. Celui-ci recherche les plus beaux individus de
l'autre sexe et par là il fait instinctivement une sorte de sélection
de la race.
La femme est une propriété mobilière, une marchandise, objet de vente,
d'échange, de don, tantôt instrument de plaisir, tantôt instrument de
travail.
Le relèvement moral de la vie sexuelle commence aussitôt que la pudeur
entre dans les moeurs, que la manifestation et l'accomplissement de la
sexualité se cachent devant la société, et qu'il y a plus de retenue
dans les rapports entre les deux sexes. C'est de là qu'est venue
l'habitude de se couvrir les parties génitales--«ils se sont aperçu
qu'ils étaient nus»--et de faire en secret l'acte sexuel.
La marche vers ce degré de civilisation a été favorisée par le froid du
climat qui fait naître le besoin de se couvrir le corps. Ce qui
explique en partie ce fait, résultant des recherches anthropologiques,
que la pudeur s'est manifestée plus tôt chez les peuples du Nord que
chez les Méridionaux[8].
[Note 8: Voy. l'ouvrage si intéressant et si riche en documents
anthropologiques de Westermark: The history of human mariage.
«Ce n'est pas, dit Westermark, le sentiment de la pudeur qui a fait
naître l'habitude de se couvrir le corps, mais c'est le vêtement qui a
produit le sentiment de la pudeur.» L'habitude de se couvrir les
parties génitales est due au désir qu'ont les femmes et les hommes de
se rendre mutuellement plus attrayants.]
Un autre résultat du développement psychique de la vie sexuelle, c'est
que la femme cesse d'être une propriété mobilière. Elle devient une
personne, et, bien que pendant longtemps encore sa position sociale
soit de beaucoup inférieure à celle de l'homme, l'idée que la femme a
le droit de disposer de sa personne et de ses faveurs, commence à être
adoptée et gagne sans cesse du terrain.
Alors la femme devient l'objet des sollicitations de l'homme. Au
sentiment brutal du besoin sexuel se joignent déjà des sentiments
éthiques. L'instinct se spiritualise, s'idéalise. La communauté des
femmes cesse d'exister. Les individus des deux sexes se sentent attirés
l'un vers l'autre par des qualités physiques et intellectuelles, et
seuls deux individus sympathiques s'accordent mutuellement leurs
faveurs. Arrivée à ce degré, la femme sent que ses charmes ne doivent
appartenir qu'à l'homme qu'elle aime; elle a donc tout intérêt à les
cacher aux autres. Ainsi, avec la pudeur apparaissent les premiers
principes de la chasteté et de la fidélité conjugale, pendant la durée
du pacte d'amour.
La femme arrive plus tôt à ce niveau social, quand les hommes,
abandonnant la vie nomade, se fixent à un endroit, créent pour la femme
un foyer, une demeure. Alors, naît en même temps le besoin de trouver
dans l'épouse une compagne pour le ménage, une maîtresse pour la maison.
Parmi les peuples d'Orient les anciens Égyptiens, les Israélites et les
Grecs, parmi les nations de l'Occident les Germains, ont atteint dans
l'antiquité ce degré de civilisation. Aussi trouve-t-on chez eux
l'appréciation de la virginité, de la chasteté, de la pudeur et de la
fidélité conjugale, tandis que chez les autres peuples plus primitifs
on offrait sa compagne à l'hôte pour qu'il en jouisse charnellement.
La moralisation de la vie sexuelle indique déjà un degré supérieur de
civilisation, car elle s'est produite beaucoup plus tard que beaucoup
d'autres manifestations de notre développement intellectuel. Comme
preuve, nous ne citerons que les Japonais chez qui l'on a l'habitude de
n'épouser une femme qu'après qu'elle a vécu pendant des années dans les
maisons de thé qui là-bas jouent le même rôle que les maisons de
prostitution européennes. Chez les Japonais, on ne trouve pas du tout
choquant que les femmes se montrent nues. Toute femme non mariée peut
se prostituer sans perdre de sa valeur comme future épouse. Il en
ressort que, chez ce peuple curieux, la femme, dans le mariage, n'est
qu'un instrument de plaisir, de procréation et de travail, mais qu'elle
ne représente aucune valeur éthique.
La moralisation de la vie sexuelle a reçu son impulsion la plus
puissante du christianisme, qui a élevé la femme au niveau social de
l'homme et qui a transformé le pacte d'amour entre l'homme et la femme
en une institution religieuse et morale[9].
[Note 9: Cette opinion, généralement adoptée et soutenue par beaucoup
d'historiens, ne saurait être acceptée qu'avec certaines restrictions.
C'est le Concile de Trente qui a proclamé nettement le caractère
symbolique et sacramental du mariage, quoique, bien avant, l'esprit de
la doctrine chrétienne eût affranchi et relevé la femme de la position
inférieure qu'elle occupait dans l'antiquité et dans l'Ancien Testament.
Cette tardive réhabilitation de la femme s'explique en partie par les
traditions de la Genèse, d'après lesquelles la femme, faite de la côte
de l'homme, n'était qu'une créature secondaire; et par le péché
originel qui lui a attiré cette malédiction: «Que ta volonté soit
soumise à celle de l'homme.» Comme le péché originel, dont l'Ancien
Testament rend la femme responsable, constitue le fondement de la
doctrine de l'Église, la position sociale de la femme a dû rester
inférieure jusqu'au moment où l'esprit du christianisme l'a emporté sur
la tradition et sur la scholastique. Un fait digne de remarque: les
Évangiles, sauf la défense de répudiation (Math., 18, 9), ne
contiennent aucun passage en faveur de la femme. L'indulgence envers la
femme adultère et la Madeleine repentante ne touche en rien à la
situation sociale de la femme. Par contre, les lettres de saint Paul
insistent pour que rien ne soit changé dans la situation sociale de la
femme. «Les femmes, dit-il, doivent être soumises à leurs maris; la
femme doit craindre l'homme.» (Épîtres aux Corinthiens, 11, 3-12. Aux
Éphésiens, 5, 22-23)
Des passages de Tertullien nous montrent combien les Pères de l'Église
étaient prévenus contre la race d'Ève: «Femme, dit Tertullien, tu
devrais aller couverte de guenilles et en deuil; tes yeux devraient
être remplis de larmes: tu as perdu le genre humain.»
Saint Jérôme en veut particulièrement aux femmes. Il dit entre autres:
«La femme est la porte de Satan, le chemin de l'injustice, l'aiguillon
du scorpion» (De cultu feminarum, t. 1)
Le droit canonique déclare: «Seul l'être masculin est créé selon
l'image de Dieu et non la femme; voilà pourquoi la femme doit servir
l'homme et être sa domestique.»
Le Concile provincial de Mâcon, réuni au VIe siècle, discutait
sérieusement la question de savoir si la femme a une âme.
Ces opinions de l'Église ont produit leur effet sur les peuples qui ont
embrassé le christianisme. À la suite de leur conversion au
christianisme, les Germains ont réduit la taxe de guerre des femmes,
évaluation naïve de la valeur de la femme. (J. Falke, Die
ritterliche Gesellschaft. Berlin, 1863, p. 49.--Uber die
schützung beider Geschlechter bei den Juden s. Mosis, 27, 3-4.)
La polygamie, reconnue légitime par l'Ancien Testament (Deutéronome,
21-15), n'est pas interdite par le Nouveau. En effet, des souverains
chrétiens (des rois mérovingiens, comme Chlotaire 1er, Charibert 1er,
Pépin 1er et beaucoup de Francs nobles) ont été polygames. À cette
époque, l'Église n'y trouvait rien à redire. (Weinhold,
Die deutchen Frauen im mittelalter, II, p. 15. Voy.
aussi: Unger: Die Ehe, et l'ouvrage de Louis Bridel: La
Femme et le Droit, Paris, 1884.)]
Ainsi on a admis ce fait que l'amour de l'homme, au fur et à mesure que
marche la civilisation, ne peut avoir qu'un caractère monogame et doit
se baser sur un traité durable. La nature peut se borner à exiger la
perpétuité de la race; mais une communauté, soit famille, soit État, ne
peut exister sans garanties pour la prospérité physique, morale et
intellectuelle des enfants procréés. En faisant de la femme l'égale de
l'homme, en instituant le mariage monogame et en le consolidant par des
liens juridiques, religieux et moraux, les peuples chrétiens ont acquis
une supériorité matérielle et intellectuelle sur les peuples polygames
et particulièrement sur les partisans de l'Islam.
Bien que Mahomet ait eu l'intention de donner à la femme comme épouse
et membre de la société, une position plus élevée que celle d'esclave
et d'instrument de plaisir, elle est restée, dans le monde de l'Islam,
bien au-dessous de l'homme, qui seul peut demander le divorce et qui
l'obtient facilement.
En tout cas, l'Islam a exclu la femme de toute participation aux
affaires publiques et, par là, il a empêché son développement
intellectuel et moral. Aussi, la femme musulmane est restée un
instrument pour satisfaire les sens et perpétuer la race, tandis que
les vertus de la femme chrétienne, comme maîtresse de maison,
éducatrice des enfants et compagne de l'homme, ont pu se développer
dans toute leur splendeur. L'Islam, avec sa polygamie et sa vie de
sérail, forme un contraste frappant en face de la monogamie et de la
vie de famille du monde chrétien. Ce contraste se manifeste aussi dans
la manière dont les deux cultes envisagent la vie d'outre-tombe. Les
croyants chrétiens rêvent un paradis exempt de toute sensualité
terrestre et ne promettant que des délices toutes spirituelles;
l'imagination du musulman rêve d'une existence voluptueuse dans un
harem peuplé de superbes houris.
Malgré tout ce que la religion, l'éducation et les moeurs peuvent faire
pour dompter les passions sensuelles, l'homme civilisé est toujours
exposé au danger d'être précipité de la hauteur de l'amour chaste et
moral dans la fange de la volupté brutale.
Pour se maintenir à cette hauteur-là, il faut une lutte sans trêve
entre l'instinct et les bonnes moeurs, entre la sensualité et la
moralité. Il n'est donné qu'aux caractères doués d'une grande force de
volonté de s'émanciper complètement de la sensualité et de goûter cet
amour pur qui est la source des plus nobles plaisirs de l'existence
humaine.
L'humanité est-elle devenue plus morale au cours de ces derniers
siècles? Voilà une question sujette à discussion. Dans tous les cas
elle est devenue plus pudique, et cet effet de la civilisation qui
consiste à cacher les besoins sensuels et brutaux, est du moins une
concession faite par le vice à la vertu.
En lisant l'ouvrage de Scherr (Histoire de la civilisation allemande),
chacun recueillera l'impression que nos idées de moralité se sont
épurées en comparaison de celles du moyen âge; mais il faudra bien
admettre que la grossièreté et l'indécence de cette époque ont fait
place à des moeurs plus décentes sans qu'il y ait plus de moralité.
Si cependant on compare des époques plus éloignées l'une de l'autre, on
constatera sûrement que, malgré des décadences périodiques, la moralité
publique a fait des progrès à mesure que la civilisation s'est
développée, et que le christianisme a été un des moyens les plus
puissants pour amener la société sur la voie des bonnes moeurs.
Nous sommes aujourd'hui bien loin de cet âge où la vie sexuelle se
manifestait dans l'idolâtrie sodomite, dans la vie populaire, dans la
législation, et dans la pratique du culte des anciens Grecs, sans
parler du culte du Phallus et de Priape chez les Athéniens et les
Babyloniens, ni des Bacchanales de l'antique Rome, ni de la situation
privilégiée que les hétaïres ont occupée chez ces peuples.
Dans ce développement lent et souvent imperceptible de la moralité et
des bonnes moeurs, il y a quelquefois des secousses et des
fluctuations, de même que dans l'existence individuelle la vie sexuelle
a son flux et son reflux.
Dans la vie des peuples les périodes de décadence morale coïncident
toujours avec les époques de mollesse et de luxe. Ces phénomènes ne
peuvent se produire que lorsqu'on demande trop au système nerveux qui
doit satisfaire à l'excédent des besoins. Plus la nervosité augmente,
plus la sensualité s'accroît, poussant les masses populaires aux excès
et à la débauche, détruisant les bases de la société: la moralité et la
pureté de la vie de famille. Et quand la débauche, l'adultère et le
luxe ont rongé ces bases, l'écroulement de l'État, la ruine politique
et morale devient inévitable. L'exemple de Rome, de la Grèce, de la
France sous Louis XIV et Louis XV, peuvent nous servir de leçons[10].
Dans ces périodes de décadence politique et morale on a vu des
aberrations monstrueuses de la vie sexuelle, mais ces aberrations ont
pu, du moins en partie, être attribuées à l'état névropathologique ou
psychopathologique de la population.
[Note 10: Voy. Friedlander: Sittengeschichte Roms; Wiedmeister:
Cæsarenwahnsinn; Suétone; Moreau: Des
aberrations du sens génésique.]
Il ressort de l'histoire de Babylone, de Ninive, de Rome, de même que
de celle des capitales modernes, que les grandes villes sont des foyers
de nervosité et de sensualité dégénérée. À ce propos il faut rappeler
que, d'après l'ouvrage de Ploss, les aberrations du sens génésique ne
se produisent pas chez les peuples barbares ou semi-barbares, si l'on
veut excepter les Aleutes et la masturbation des femmes orientales et
hottentotes[11].
[Note 11: Cette assertion est en contradiction avec les constatations
de Lombroso et de Friedreich. Ce dernier, notamment, prétend que la
pédérastie est très fréquente chez les sauvages de l'Amérique. (Hdb. der Gerichtsärztl. Praxis, 1843, I, p. 271.)]
L'étude de la vie sexuelle de l'individu doit commencer au moment du
développement de la puberté et le suivre à travers toutes ses phases,
jusqu'à l'extinction du sens sexuel.
Mantegazza, dans son livre: Physiologie de l'Amour, fait une
belle description de la langueur et des désirs qui se manifestent à
l'éveil de la vie sexuelle, de ces pressentiments, de ces sentiments
vagues dont l'origine remonte à une époque bien antérieure au
développement de la puberté. Cette période est peut-être la plus
importante au point de vue psychologique. Le nombre de nouvelles idées
et de nouveaux sentiments qu'elle fait naître nous permet déjà de juger
de l'importance que l'élément sexuel exerce sur la vie psychique.
Ces désirs d'abord obscurs et incompris, naissent de sensations que des
organes qui viennent de se développer ont éveillées; ils produisent en
même temps une vive agitation dans le monde des sentiments.
La réaction psychologique de la vie sexuelle se manifeste dans la
période de la puberté par des phénomènes multiples, mais tous mettent
l'âme dans un état passionnel et tous éveillent le désir ardent
d'exprimer sous une forme quelconque cet état d'âme étrange, de
l'objectiver pour ainsi dire.
La poésie et la religion s'offrent d'elles-mêmes pour satisfaire ce
besoin; elles reçoivent un stimulant de la vie sexuelle elle-même,
lorsque la période de développement du sens génésique est passée et que
les désirs incompris et obscurs sont précisés. Qu'on songe combien
fréquente est l'extase religieuse à l'âge de la puberté, combien de
fois des tentations sexuelles se sont produites dans la vie des
Saints[12] et en quelles scènes répugnantes, en quelles orgies ont
dégénéré les fêtes religieuses de l'antiquité, de même que les meetings
de certaines sectes modernes, sans parler du mysticisme voluptueux qui
se trouve dans les cultes des peuples de l'antiquité.
[Note 12: Consulter Friedreich, qui a cité de nombreux exemples. Ainsi
la nonne Blankebin était sans cesse tourmentée par la préoccupation de
savoir ce qu'a pu devenir la partie du corps du Christ qu'on a enlevée
lors de la circoncision.
Veronica Juliani, béatifiée par le pape Pie II, a, par vénération pour
l'Agneau céleste, pris un agneau véritable dans son lit, l'a couvert de
baisers et l'a laissé téter à ses mamelles, qui donnaient quelques
gouttelettes de lait.
Sainte Catherine de Gènes souffrait souvent d'une telle chaleur
intérieure que pour l'apaiser elle se couchait par terre et criait:
«Amour, amour, je n'en peux plus!» Elle avait une affection
particulière pour son père confesseur. Un jour elle porta à son nez la
main du confesseur et elle sentit un parfum qui lui pénétra au coeur,
«parfum céleste, dont les charmes pourraient réveiller les morts».
Sainte Armelle et sainte Elisabeth étaient tourmentées d'une passion
analogue pour l'enfant Jésus. On connaît les tentations de saint
Antoine de Padoue. Nous citons encore comme très caractéristique cette
prière trouvée dans un très ancien missel: «Oh! puissé-je t'avoir
trouvé, très charmant Emmanuel, puissé-je t'avoir dans mon lit! Combien
mon âme et mon corps s'en réjouiraient! Viens, rentre chez moi, mon
coeur sera ta chambre!»]
Par contre, nous voyons souvent la volupté non satisfaite chercher et
trouver une compensation dans l'extase religieuse[13].
[Note 13: Consulter Friedreich: Diagnostik
der psych. Krankheiten, p. 247, et Neumann: Lehrb. der
Psychiatrie, p. 80.]
La connexité entre le sens sexuel et religieux se montre aussi dans le
domaine psychopathologique. Il suffit de rappeler à ce propos la
puissante sensualité que manifestent beaucoup d'individus atteints de
monomanie religieuse; la confusion bizarre du délire religieux et
sexuel, comme on le constate si souvent dans les psychoses, par exemple
chez les femmes maniaques qui s'imaginent être la mère de Dieu, mais
surtout dans les psychoses produites par la masturbation; enfin les
flagellations cruelles et voluptueuses, les mutilations, les
castrations et même le crucifiement, tous actes inspirés par un
sentiment maladif d'origine religieuse et génitale en même temps.
Quand on veut expliquer les corrélations psychologiques qui existent
entre la religion et l'amour, on se heurte à de grandes difficultés.
Pourtant les analogies ne manquent pas.
Le sens sexuel et le sens religieux, envisagés au point de vue
psychologique, se composent l'un et l'autre de deux éléments.
La notion la plus primitive de la religion, c'est le sentiment de la
dépendance, fait constaté par Schleiermacher bien avant que les
sciences nouvelles de l'anthropologie et de l'ethnographie aient abouti
au même résultat par l'observation de l'état primitif. Chez l'homme
seul, arrivé à un niveau de civilisation plus élevé, le deuxième
élément qui est vraiment éthique, c'est-à-dire l'amour de la divinité,
entre dans le sentiment religieux. Aux mauvais démons des peuples
primitifs succèdent les êtres à deux faces, tantôt bons, tantôt
irrités, qui peuplent les mythologies plus compliquées; enfin on arrive
à l'adoration du Dieu souverainement bon, distributeur du salut
éternel, que ce salut soit la prospérité terrestre promise par Jehova,
ou les délices du paradis de Mahomet, ou la béatitude éternelle du ciel
des chrétiens, ou le Nirvana espéré par les Bouddhistes.
Pour le sens sexuel, c'est l'amour, l'espoir d'une félicité sans
bornes, qui est l'élément primaire. En second lieu apparaît le
sentiment de la dépendance. Ce sentiment existe en germe chez les deux
êtres; pourtant il est plus développé chez la femme, étant donnés la
position sociale de cette dernière et son rôle passif dans la
procréation; par exception, il peut prévaloir chez des hommes dont le
caractère psychique tend vers le féminisme.
Dans le domaine religieux aussi bien que dans le domaine sexuel,
l'amour est mystique et transcendantal. Dans l'amour sexuel, on n'a pas
conscience du vrai but de l'instinct, la propagation de la race, et la
force de l'impulsion est si puissante qu'on ne saurait l'expliquer par
une connaissance nette de la satisfaction. Dans le domaine religieux le
bonheur désiré et l'être aimé sont d'une nature telle qu'on ne peut pas
en avoir une conception empirique. Ces deux états d'âme ouvrent donc à
l'imagination le champ le plus vaste. Tous les deux ont un objet
illimité: le bonheur, tel que le mirage de l'instinct sexuel le
présente, paraît incomparable et incommensurable à côté de toutes les
autres sensations de plaisir; on peut en dire autant des félicités
promises par la foi religieuse et qu'on se représente comme infinies en
temps et en qualité.
L'infini étant commun aux deux états d'âme que nous venons de décrire,
il s'ensuit que ces deux sentiments se développent avec une puissance
irrésistible et renversent tous les obstacles qui s'opposent à leur
manifestation. Leur similitude en ce qui concerne la nature
inconcevable de leur objet, fait que ces deux états d'âme sont
susceptibles de passer à l'état d'une vague extase où la vivacité du
sentiment l'emporte sur la netteté et la stabilité des idées. Dans ce
délire l'espoir d'un bonheur inconcevable ainsi que le besoin d'une
soumission illimitée jouent un rôle également important.
Les points communs qui existent entre les deux extases, points que nous
venons d'établir, expliquent comment, lorsqu'elles sont poussées à un
degré très élevé, l'une peut être la conséquence de l'autre, ou bien
l'une et l'autre peuvent surgir en même temps, car toute émotion forte
d'une fibre vivante de l'âme peut exciter les autres. La sensation qui
agit d'une manière continuelle et égale évoque tantôt l'une, tantôt
l'autre de ces deux sphères imaginatives. Ces deux états d'âme peuvent
aussi dégénérer en un penchant à la cruauté active ou passive.
Dans la vie religieuse cet état engendre le besoin d'offrir des
sacrifices. On offre un holocauste d'abord parce qu'on croit qu'il sera
apprécié matériellement par la divinité, ensuite pour l'honorer et lui
rendre hommage, comme tribut; enfin parce qu'on croit expier par ce
moyen le péché ou la faute qu'on a commise envers la divinité, et
acquérir la félicité.
Si, comme cela arrive dans toutes les religions, le sacrifice consiste
dans la torture de soi-même, il est, chez les natures religieuses très
sensibles, non seulement un symbole de soumission et le prix d'un
bonheur futur acheté par les peines du moment, mais c'est aussi une
joie réelle, parce que tout ce qu'on croit venir de la divinité chérie,
tout ce qui se fait par son commandement ou en son honneur, doit
remplir l'âme de plaisir. L'ardeur religieuse devient alors l'extase,
état dans lequel l'intellect est tellement préoccupé des sensations et
des jouissances psychiques que la notion de la torture subie peut
exister sans la sensation de la douleur.
L'exaltation du délire religieux peut amener à trouver de la joie dans
le sacrifice des autres, si la notion du bonheur religieux est plus
forte que la pitié que nous inspire la douleur d'autrui. Des phénomènes
analogues peuvent se produire dans le domaine de la vie sexuelle ainsi
que le prouvent le Sadisme et particulièrement le Masochisme.
Ainsi l'affinité souvent constatée entre la religion, la volupté et la
cruauté[14], peut se résumer par la formule suivante: le sens religieux
et le sens sexuel, arrivés au maximum de leur développement, présentent
des similitudes en ce qui concerne le quantum et la nature de
l'excitation; ils peuvent donc se substituer dans certaines conditions.
Tous deux peuvent dégénérer en cruauté, si les conditions pathologiques
nécessaires existent.
[Note 14: Cette trinité trouve son expression non seulement dans les
phénomènes de la vie réelle, tels qu'ils viennent d'être décrits, mais
aussi dans la littérature dévote et même dans les beaux-arts des
périodes de décadence. Sous ce rapport, on peut rappeler la triste
célébrité du groupe de sainte Thérèse de Bernini, qui, prise d'un
évanouissement hystérique, s'affaisse sur une blanche nuée, tandis
qu'un ange amoureux lui lance dans le coeur la flèche de l'amour divin
(Lübke).]
Le facteur sexuel exerce aussi une grande influence sur le
développement du sens esthétique. Que seraient les beaux-arts et la
poésie sans l'élément sexuel! C'est l'amour sensuel qui donne cette
chaleur d'imagination sans laquelle il n'y a pas de véritable oeuvre
d'art; c'est à la flamme des sentiments sensuels que l'art puise son
brûlant enthousiasme. On comprend alors pourquoi les grands poètes et
les grands artistes sont des natures sensuelles. Le monde de l'idéal
s'ouvre quand le sens sexuel fait son apparition. Celui qui, à cette
période de la vie, n'a pu s'enflammer pour le beau, le noble et le
grand, restera un philistin toute sa vie. Même ceux qui ne sont point
des poètes se mettent à faire des vers. Au moment du développement de
la puberté, quand la réaction physiologique commence à se produire, les
langueurs vagues, particulières à cette période, se manifestent par des
tendances au sentimentalisme outré et à la mortification qui se
développent jusqu'au tædium vitæ; souvent il s'y joint le désir
de causer de la douleur à autrui, ce qui offre une analogie vague avec
le phénomène de la connexité psychologique qui existe entre la volupté
et la cruauté.
L'amour de la première jeunesse a un caractère romanesque et idéaliste.
Il glorifie l'objet aimé jusqu'à l'apothéose. À ses débuts il est
platonique et préfère les êtres de la poésie et de l'histoire. Avec
l'éveil de la sensualité, cet amour court risque de reporter son
pouvoir d'idéalisation sur des personnes de l'autre sexe qui, au point
de vue physique, intellectuel et social, sont bien loin d'être
remarquables. Il peut en résulter des mésalliances, des faux pas, toute
l'histoire tragique de l'amour passionné qui se met en conflit avec les
principes moraux et sociaux et qui parfois trouve une solution sinistre
dans le suicide ou le double suicide.
L'amour trop sensuel ne peut jamais être ni durable ni vraiment
profond. Voilà pourquoi le premier amour est toujours très passager: il
n'est que le flamboiement subit d'une passion, un feu de paille.
Il n'y a de véritable amour que celui qui se base sur la connaissance
des qualités morales de la personne aimée, qui n'espère pas seulement
des jouissances, mais qui est prêt à supporter des souffrances pour
l'être aimé et à faire tous les sacrifices. L'amour de l'homme doué
d'une grande force de caractère ne recule devant aucune difficulté ni
aucun danger quand il s'agit d'arriver à la possession de la femme
adorée et de la conserver. Il engendre les actes d'héroïsme, le mépris
de la mort. Mais un tel amour court risque, dans certaines
circonstances, de pousser au crime, surtout s'il n'y a pas un fonds
solide de moralité. Un des vilains côtés de cet amour est la jalousie.
L'amour de l'homme faible est sentimental; il peut conduire au suicide
s'il n'est pas payé de retour ou s'il se heurte à des difficultés,
tandis que, dans des conditions analogues, l'homme fort peut devenir un
criminel. L'amour sentimental risque souvent de dégénérer en
caricature, surtout quand l'élément sensuel n'est pas assez fort. Qu'on
se rappelle, à ce propos, les chevaliers Toggenbourg, les Don
Quichotte, beaucoup de ménestrels et de trouvères du moyen âge.
Cet amour a un caractère fadasse, doucereux: par là même il peut
devenir ridicule; tandis que, dans d'autres cas, les manifestations de
ce sentiment puissant du coeur humain évoquent ou la compassion, ou
l'estime, ou l'horreur.
Souvent cet amour faible se porte sur d'autres objets: en poésie il
produit des poèmes insipides, en esthétique il mène à l'outrancisme, en
religion au mysticisme, à l'extase, et même, quand il y a un fond
sensuel plus fort, aux idées sectaires et à la folie religieuse. Il y a
quelque chose de tout cela dans l'amour non mûri de la puberté.
Les vers et les rimes, à cette période, ne supportent pas la lecture, à
moins qu'ils n'aient pour auteurs des poètes de vocation.
Malgré toute l'éthique dont l'amour a besoin pour s'élever à sa vraie
et pure expression, sa plus profonde racine est pourtant la sensualité.
L'amour platonique est une absurdité, une duperie de soi-même, une
fausse interprétation d'un sentiment.
Quand l'amour a pour cause le désir sexuel, il ne peut se comprendre
qu'entre individus de sexe différent et capables de rapports sexuels.
Si ces conditions manquent ou si elles disparaissent, l'amour est
remplacé par l'amitié.
Il est à remarquer le rôle important que jouent les fonctions sexuelles
dans le développement et la conservation de la confiance de l'homme en
lui-même. On s'en rend compte quand on voit l'onaniste aux nerfs
affaiblis et l'homme devenu impuissant perdre leur caractère viril et
la confiance en leur propre valeur.
M. Gyurkovechky (Männl. Impotenz. Vienne, 1889) fait justement
remarquer que les vieillards et les jeunes gens diffèrent psychiquement
surtout par leur degré de puissance génitale, car l'impuissance porte
une grave atteinte à la gaieté, à la vie intellectuelle, à l'énergie et
au courage. Plus l'homme qui a perdu sa puissance génitale est jeune et
plus il était porté aux choses sensuelles, plus cette atteinte est
grave.
Une perte subite de la puissance génitale peut, dans ces conditions,
produire une grave mélancolie et pousser même au suicide; car, pour de
pareilles natures, la vie sans amour est insupportable. Mais, même dans
ces cas où la réaction n'est pas aussi violente, celui qui en est
atteint devient morose, envieux, égoïste, jaloux, misanthrope;
l'énergie et le sentiment d'honneur s'affaiblissent; il devient même
lâche.
On peut constater les mêmes phénomènes chez les Skopzys de Russie, qui,
après s'être émasculés, perdent leur caractère viril.
La perte de la virilité se manifeste d'une manière bien plus frappante
encore chez certains individus, chez qui elle produit une véritable
effémination.
Au point de vue psychologique, la femme, à la fin de sa vie sexuelle,
après la ménopause, tout en étant moins bouleversée, présente néanmoins
un changement assez notable. Si la vie sexuelle qu'elle vient de
traverser a été heureuse, si des enfants sont venus réjouir le coeur de
la mère au seuil de la vieillesse, le changement de son individualité
biologique échappe à son attention. La situation est tout autre quand
la stérilité ou une abstinence imposée par des conditions particulières
ont empêché la femme de goûter les joies de la maternité.
Ces faits mettent bien en relief la différence qui existe entre la
psychologie sexuelle de l'homme et celle de la femme, entre leurs
sentiments et leurs désirs sexuels.
Chez l'homme, sans doute, l'instinct sexuel est plus vif que chez la
femme. Sous le coup d'une forte poussée de la nature, il désire, quand
il arrive à un certain âge, la possession de la femme. Il aime
sensuellement, et son choix est déterminé par des qualités physiques.
Poussé par un instinct puissant, il devient agressif et violent dans sa
recherche de l'amour. Pourtant, ce besoin de la nature ne remplit pas
toute son existence psychique. Son désir satisfait, l'amour, chez lui,
fait temporairement place aux intérêts vitaux et sociaux.
Tel n'est pas le cas de la femme. Si son esprit est normalement
développé, si elle est bien élevée, son sens sexuel est peu intense.
S'il en était autrement, le monde entier ne serait qu'un vaste bordel
où le mariage et la famille seraient impossibles. Dans tous les cas,
l'homme qui a horreur de la femme et la femme qui court après les
plaisirs sexuels sont des phénomènes anormaux.
La femme se fait prier pour accorder ses faveurs. Elle garde une
attitude passive. Ce rôle s'impose à elle autant par l'organisation
sexuelle qui lui est particulière que par les exigences des bonnes
moeurs.
Toutefois, chez la femme, le côté sexuel a plus d'importance que chez
l'homme. Le besoin d'aimer est plus fort chez elle; il est continu et
non pas épisodique; mais cet amour est plutôt psychique que sensuel.
L'homme, en aimant, ne voit d'abord que l'être féminin; ce n'est qu'en
second lieu qu'il aime la mère de ses enfants; dans l'imagination de la
femme, au contraire, c'est le père de son enfant qui tient le premier
rang; l'homme, comme époux, ne vient qu'après. Dans le choix d'un
époux, la femme est déterminée plutôt par les qualités intellectuelles
que par les qualités physiques. Après être devenue mère, elle partage
son amour entre l'enfant et l'époux. Devant l'amour maternel, la
sensualité s'éclipse. Aussi, dans les rapports conjugaux qui suivent sa
maternité, la femme voit plutôt une marque d'affection de l'époux
qu'une satisfaction des sens.
La femme aime de toute son âme. Pour la femme, l'amour c'est la vie;
pour l'homme, c'est le plaisir de la vie. L'amour malheureux blesse
l'homme; pour la femme, c'est la mort ou au moins la perte du bonheur
de la vie. Une thèse psychologique digne d'être étudiée, ce serait de
savoir si une femme peut, dans son existence, aimer deux fois d'un
amour sincère et profond. Dans tous les cas, la femme est plutôt
monogame, tandis que l'homme penche vers la polygamie.
La puissance des désirs sexuels constitue la faiblesse de l'homme
vis-à-vis de la femme. Il dépend d'autant plus de la femme qu'il est
plus faible et plus sensuel. Sa sensualité s'accroît avec son
nervosisme. Ainsi s'explique ce fait que, dans les périodes
d'amollissement et de plaisirs, la sensualité s'accroît d'une façon
formidable. Mais alors la société court le danger de voir l'État
gouverné par des femmes et entraîné à une ruine complète (le règne des
maîtresses à la cour de Louis XIV et Louis XV; les hétaïres de la Grèce
dans l'antiquité). La biographie de bien des hommes d'État anciens et
modernes nous montre qu'ils étaient esclaves des femmes par suite de
leur grande sensualité, sensualité due à leur constitution
névropathique.
L'Église catholique a fait preuve d'une subtile connaissance de la
psychologie humaine, en astreignant ses prêtres à la chasteté et au
célibat; elle a voulu, par ce moyen, les émanciper de la sensualité
pour qu'ils puissent se consacrer entièrement à leur mission.
Malheureusement le prêtre qui vit dans le célibat est privé de cet
effet ennoblissant que l'amour et, par suite, le mariage, produisent
sur le développement du caractère.
Comme la nature a attribué à l'homme le rôle de provocateur dans la vie
sexuelle, il court le risque de transgresser les limites tracées par la
loi et les moeurs.
L'adultère chez la femme est, au point de vue moral, plus grave et
devrait être jugé devant la loi plus sévèrement que l'adultère commis
par l'homme. La femme adultère comble son propre déshonneur par celui
de l'époux et de la famille, sans tenir compte de la maxime: Pater
incertus. L'instinct naturel et sa position sociale font facilement
fauter l'homme, tandis que la femme est protégée par bien des choses.
Même les rapports sexuels de la femme non mariée doivent être jugés
autrement que ceux de l'homme célibataire. La société exige de l'homme
célibataire de bonnes moeurs; de la femme, la chasteté. Avec la
civilisation et la vie sociale de nos temps la femme ne peut servir, au
point de vue sexuel, les intérêts sociaux et moraux qu'en tant qu'elle
est épouse.
Le but et l'idéal de la femme, même de celle qui est tombée dans la
fange et dans le vice, est et sera toujours le mariage. La femme, comme
le dit fort justement Mantegazza, ne demande pas seulement à satisfaire
son instinct sexuel, mais elle recherche aussi protection et aide pour
elle et pour ses enfants. L'homme animé de bons sentiments, fût-il des
plus sensuels, recherche pour épouse une femme qui a été chaste et qui
l'est encore. Dans ses aspirations vers l'unique but digne d'elle, la
femme se sert de la pudeur, cuirasse et ornement de l'être féminin.
Mantegazza dit avec beaucoup de finesse que «c'est une des formes
physiques de l'estime de soi-même chez la femme».
L'étude anthropologique et historique du développement de ce plus bel
ornement de la femme n'entre pas dans le cadre de notre sujet. Il est
probable que la pudeur féminine est un produit de la civilisation
perpétué par l'atavisme.
Ce qui forme un contraste bien curieux avec elle, c'est l'étalage
occasionnel des charmes physiques, sanctionné par la loi de la mode et
la convention sociale, et auquel la vierge, même la plus chaste, se
prête dans les soirées de bal. Les mobiles qui président à cette
exhibition se comprennent. Heureusement la fille chaste ne s'en rend
pas compte, de même qu'elle ne comprend pas les raisons de certaines
modes qui reviennent périodiquement et qui ont pour but de faire mieux
ressortir certaines parties plastiques du corps, comme les fesses, sans
parler du corsage, etc.
De tout temps et chez tous les peuples, le monde féminin a manifesté de
la tendance à se parer et à mettre en évidence ses charmes. Dans le
monde des animaux la nature a distingué le mâle par une plus grande
beauté. Les hommes, au contraire, désignent les femmes sous le nom de
beau sexe. Évidemment cette galanterie est le produit de la sensualité
masculine. Tant que les femmes s'attifent uniquement dans le but d'être
parées, tant qu'elles ne se rendent pas clairement compte de la cause
physiologique de ce désir de plaire, il n'y a rien à redire. Aussitôt
qu'elles le font en pleine connaissance de cause, cette tendance
dégénère en manie de plaire.
L'homme qui a la manie de s'attifer, se rend ridicule toujours. Chez la
femme on est habitué à cette petite faiblesse, on n'y trouve rien de
répréhensible tant qu'elle n'est pas l'accessoire d'une tendance pour
laquelle les Français ont trouvé le mot de coquetterie.
En fait de psychologie naturelle de l'amour, les femmes sont de
beaucoup supérieures aux hommes. Elles doivent cette supériorité soit à
l'hérédité, soit à l'éducation, le domaine de l'amour étant leur
élément particulier; mais elles la doivent aussi à leur plus grand
degré d'intuition (Mantegazza).
Même quand l'homme est arrivé au faîte de la civilisation, on ne peut
pas lui faire un reproche de voir dans la femme avant tout un objet de
satisfaction pour son instinct naturel. Mais il lui incombe
l'obligation de n'appartenir qu'à la femme de son choix. Dans les États
civilisés il en résulte un traité normal et obligatoire, le mariage;
et, comme la femme a besoin de protection et d'aide pour elle et ses
enfants, il en résulte un code matrimonial.
En vue de certains phénomènes pathologiques que nous traiterons plus
tard, il est nécessaire d'étudier les processus psychologiques qui
rapprochent un homme et une femme, les attachent l'un à l'autre au
point que, parmi tous les individus d'un même sexe, seuls tel ou telle
paraissent désirables.
Si l'on pouvait démontrer que les procédés de la nature sont dirigés
vers un but déterminé,--leur utilité ne saurait être niée,--cette sorte
de fascination par un seul individu du sexe opposé, avec de
l'indifférence pour tous les autres individus de ce même sexe, fait qui
existe réellement chez les amoureux vraiment heureux, paraîtrait comme
une admirable disposition de la création pour assurer les unions
monogames qui seules peuvent servir le but de la nature.
Quand on analyse scientifiquement cette flamme amoureuse, cette
«harmonie des âmes», cette «union des coeurs», elle ne se présente
nullement comme «un mystère des âmes»; dans la plupart des cas on peut
la ramener à certaines qualités physiques, parfois morales, au moyen
desquelles la personne aimée exerce sa force d'attraction.
On parle aussi du soi-disant fétichisme. Par fétiche on entend
ordinairement des objets, des parties ou des qualités d'objets qui, par
leurs rapports et leur association, forment un ensemble ou une
personnalité capable de produire sur nous un vif intérêt ou un
sentiment, d'exercer une sorte de charme,--(fetisso en
portugais),--ou du moins une impression très profonde et
particulièrement personnelle que n'explique nullement la valeur ni la
qualité intrinsèque de l'objet symbolique[15].
[Note 15: À consulter: Max Müller, qui fait dériver le mot «fétiche»
étymologiquement du mot factitius (factice, chose
insignifiante).]
Quand la personne qui est dans cet état d'esprit, pousse l'appréciation
individuelle du fétiche jusqu'à l'exaltation, un cas de fétichisme se
produit. Ce phénomène, très intéressant au point de vue psychologique,
peut s'expliquer par une loi d'association empirique: le rapport qui
existe entre une représentation fractionnelle et une représentation
d'ensemble. L'essentiel dans ce cas c'est que l'accentuation du
sentiment personnel provoqué par l'image fractionnelle se manifeste
dans le sens d'une émotion de plaisir. Ce phénomène se rencontre
surtout dans deux ordres d'idées qui ont entre elles une affinité
psychique: l'idée religieuse et les conceptions érotiques. Le
fétichisme religieux a d'autres liens et une autre signification que le
fétichisme sexuel. Le premier naît de cette idée fixe que l'objet
revêtu du prestige de fétiche ou l'idole n'est pas un simple symbole,
mais possède des qualités divines, ou bien il lui attribue par
superstition une puissance miraculeuse (reliques), certaines vertus
protectrices (amulettes).
Il n'en est pas de même dans le fétichisme érotique. Celui-ci est
psychologiquement motivé par le fait que des qualités physiques ou
psychiques d'une personne, ou même des qualités d'objets dont cette
personne se sert, deviennent un fétiche, en éveillant par association
d'idées une image d'ensemble et en produisant une vive sensation de
volupté. Il y a analogie avec le fétichisme religieux en ce sens: que
bien souvent des objets insignifiants (des os, des ongles, des cheveux,
etc.) servent de fétiches et peuvent provoquer des sensations de
plaisir qui vont jusqu'à l'extase.
En ce qui concerne le développement de l'amour physiologique, il est
probable qu'on doit chercher et trouver son origine dans le charme
fétichiste et individuel qu'une personne d'un sexe exerce sur un
individu de l'autre sexe.
Le cas le plus simple est celui où une émotion sensuelle coïncide avec
le moment où l'on aperçoit une personne de l'autre sexe et quand cette
vue augmente l'excitation sensuelle. L'impression optique et
l'impression du sentiment s'associent, et cette liaison devient plus
forte à mesure que la réapparition du sentiment évoque le souvenir de
l'image optique ou que la réapparition de l'image éveille de nouveau
une émotion sexuelle qui peut aller jusqu'à l'orgasme ou à la
pollution, comme dans les songes.
Dans ce cas la vue de l'ensemble du corps produit l'effet d'un fétiche.
Comme le fait remarquer Binet, des parties d'un individu, des qualités
physiques ou morales peuvent aussi agir comme fétiches sur une personne
du sexe opposé, si la vue de ces parties de l'individu coïncide
accidentellement avec une excitation sexuelle ou si elle en provoque
une.
C'est un fait établi par l'expérience que cette association d'idées
dépend du hasard, que l'objet fétiche peut être très varié, et qu'il en
résulte les sympathies les plus étranges de même que les antipathies
les plus curieuses.
Ce fait physiologique du fétichisme explique les sympathies
individuelles entre homme et femme, la préférence qu'on donne à une
personne déterminée sur toutes les autres du même sexe. Comme le
fétiche ne représente qu'un symbole individuel, il est évident que son
impression ne peut se produire que sur un individu déterminé. Il évoque
de très fortes sensations de plaisir; par suite il fait, par un
trompe-l'oeil, disparaître les défauts de l'objet aimé--(l'amour rend
aveugle)--et provoque une exaltation fondée sur l'impression
individuelle, exaltation qui paraît aux autres inexplicable et même
ridicule. On s'explique ainsi que l'homme calme ne puisse pas
comprendre l'amoureux qui idolâtre la personne aimée, en fait un
véritable culte et lui attribue des qualités que celle-ci, vue
objectivement, ne possède nullement. Ainsi s'explique également le fait
que l'amour devient plus qu'une passion, qu'il se présente comme un
état psychique exceptionnel dans lequel l'impossible paraît possible,
le laid semble beau, le vulgaire sublime, état dans lequel tout autre
intérêt et tout autre devoir disparaissent.
Tarde (Archives de l'anthropologie criminelle, 5e année, nº 3)
fait judicieusement ressortir que, non seulement chez les individus
mais aussi chez les nations, le fétiche peut être différent, mais que
l'idéal général de la beauté reste toujours le même chez les peuples
civilisés de la même époque.
À Binet revient le grand mérite d'avoir approfondi l'étude et l'analyse
de ce fétichisme en amour. Il fait naître des sympathies spéciales.
Ainsi l'un se sont attiré par une taille élancée, un autre par une
taille épaisse; l'un aime la brune, l'autre la blonde. Pour l'un, c'est
l'expression particulière de l'oeil; pour l'autre, le timbre de la
voix, ou une odeur particulière, même artificielle (parfums), ou la
main, ou le pied, ou l'oreille, etc., qui forment le charme fétichique
individuel, et sont pour ainsi dire le point de départ d'une série
compliquée de processus de l'âme dont l'expression totale est l'amour,
c'est-à-dire le désir de posséder physiquement et moralement l'objet
aimé.
À ce propos il convient de rappeler une condition essentielle pour la
constatation de l'existence du fétichisme encore à l'état physiologique.
Le fétiche peut conserver d'une manière durable sa vertu sans qu'il
soit pour cela un fétiche pathologique. Mais ce cas n'existe que quand
l'idée de fraction va jusqu'à la représentation de l'ensemble et que
l'amour provoqué par le fétiche finit par embrasser comme objet
l'ensemble de la personnalité physique et morale.
L'amour normal ne peut être qu'une synthèse, une généralisation. Louis
Brunn (Deutsches Montagsblatt, Berlin, 20.8.88) dit très
spirituellement dans son étude sur Le fétichisme en amour:
«L'amour normal nous paraît comme une symphonie qui se compose de
toutes sortes de notes. Il en résulte les excitations les plus
diverses. Il est pour ainsi dire polythéiste. Le fétichisme ne connaît
que la note d'un seul instrument; il est la résultante d'une seule
excitation déterminée: il est monothéiste.»
Quiconque a quelque peu réfléchi sur ce sujet, reconnaîtra qu'on ne
peut parler de véritable amour--(on n'abuse que trop souvent de ce
mot)--que lorsque la totalité de la personne physique et morale forme
l'objet de l'adoration.
Tout amour a nécessairement un élément sensuel, c'est-à-dire le désir
de posséder l'objet aimé et d'obéir, en s'unissant avec lui, aux lois
de la nature.
Mais celui qui n'aime que le corps de la personne d'un autre sexe, qui
ne tend qu'à satisfaire ses sens, sans posséder l'âme, sans avoir la
jouissance spirituelle et partagée, n'aime pas d'un véritable amour,
pas plus que le platonique qui n'aime que l'âme et qui dédaigne les
jouissances charnelles, ce qui se rencontre dans certains cas
d'inversion sexuelle.
Pour l'un, c'est le corps; pour l'autre, c'est l'âme qui constituent le
fétiche: l'amour de tous les deux n'est que du fétichisme.
De pareils individus forment en tous cas un degré de transition vers le
fétichisme pathologique.
Cette remarque est d'autant plus juste qu'un autre critérium du
véritable amour est celui-ci: l'acte sexuel doit absolument procurer
une satisfaction morale[16].
[Note 16: Le spinal cérébral postérieur de Magnan, qui trouve son
plaisir avec n'importe quelle femme et auquel n'importe quelle femme
plaît, ne peut que satisfaire sa volupté. L'amour acheté ou forcé n'est
pas un véritable amour (Mantegazza). Celui qui a inventé le proverbe: Sublata
lucerna, nullum discrimen inter feminas, a dû être un horrible
cynique. Le pouvoir pour l'homme de faire l'acte d'amour n'est pas une
garantie que l'acte procure réellement la plus grande jouissance
amoureuse.]
Parmi les phénomènes physiologiques du fétichisme il me reste encore à
parler de ce fait très intéressant que, parmi le grand nombre d'objets
susceptibles de devenir fétiches, il y en a quelques-uns qui sont
particulièrement choisis par un grand nombre de personnes.
Les objets particulièrement attractifs pour l'homme sont: les cheveux,
la main, le pied de la femme, l'expression du regard.
Quelques-uns d'entre eux ont, dans la pathologie du fétichisme, une
importance particulière. Tous ces faits remplissent évidemment dans
l'âme de la femme un rôle dont quelquefois elle ne se doute pas;
d'autres fois c'est préméditation de sa part.
Une des principales préoccupations de la femme, c'est de soigner ses
cheveux, et elle y consacre souvent plus de temps et d'argent qu'il ne
faudrait. Avec quel soin la mère ne soigne-t-elle pas déjà la chevelure
de sa petite fille! Quel rôle important pour le coiffeur! La perte
d'une partie des cheveux fait le désespoir des jeunes femmes. Je me
rappelle le cas d'une femme coquette qui en était devenue mélancolique
et qui a fini par le suicide. Les femmes aiment à parler coiffure;
elles portent envie à toutes celles qui ont une belle chevelure.
De beaux cheveux constituent un puissant fétiche pour beaucoup
d'hommes. Déjà, dans la légende de la Loreley, cyrène qui attire les
hommes dans l'abîme, on voit figurer comme fétiche ses «cheveux dorés»
qu'elle lisse avec un peigne d'or. Une attraction non moins grande est
exercée par la main et le pied; mais alors, souvent,--pas toujours
cependant,--des sentiments masochistes et sadistes contribuent à créer
un fétiche d'un caractère particulier.
Il y a des uranistes qui ne sont pas impuissants avec une femme, des
époux qui n'aiment pas leur épouse, et qui pourtant sont capables de
remplir leurs devoirs conjugaux. Dans ces cas le sentiment de la
volupté fait pour la plupart du temps défaut; puisque, en réalité, il
n'y a alors qu'une sorte d'onanisme qui souvent ne peut se pratiquer
qu'avec le concours de l'imagination qui évoque l'image d'un autre être
aimé. Cette illusion peut même produire une sensation de volupté, mais
cette rudimentaire satisfaction physique n'est due qu'à un artifice
psychique, tout comme chez l'onaniste solitaire qui souvent a besoin du
concours de l'imagination pour obtenir une sensation voluptueuse. En
général, l'orgasme qui produit la sensation de volupté, ne peut être
obtenu que là où il y a une intervention psychique.
Dans le cas où il y a des empêchements psychiques (indifférence,
antipathie, répugnance, crainte d'infection vénérienne ou de grossesse,
etc.), la sensation voluptueuse ne paraît guère se produire.
Par association d'idées, un gant ou un soulier peuvent devenir fétiches.
Brunn rappelle à ce propos et avec raison que, dans les moeurs du moyen
âge, une des plus précieuses marques d'hommage et de galanterie était
de boire dans le soulier d'une belle femme, usage qu'on trouve encore
aujourd'hui en Pologne. Dans le conte de Cendrillon, le soulier joue
également un rôle très important.
L'expression de l'oeil a une importance particulière pour faire jaillir
l'étincelle amoureuse. Un oeil névrosé peut jouer souvent le rôle de
fétiche chez des personnes des deux sexes. «Madame, vos beaux yeux me
font mourir d'amour» (Molière).
Il y a une foule d'exemples de faits où les odeurs du corps jouent le
rôle de fétiche, phénomène consciemment ou inconsciemment utilisé dans
l'Ars amandi de la femme. Déjà la Ruth de l'Ancien Testament
s'est parfumée pour captiver Booz.
La demi-mondaine, des temps anciens et modernes, consomme beaucoup de
parfums. Jaeger, dans sa «Découverte de l'âme», donne de nombreuses
indications sur les sympathies des odeurs.
Binet assure que la voix aussi peut devenir un fétiche. A ce sujet il
rapporte une observation faite par Dumas, observation que ce dernier a
utilisée dans sa nouvelle: La maison du veuf.
Il est question d'une femme qui devint amoureuse de la voix d'un ténor
et qui fit des infidélités à son mari.
Le roman de Belot: Les Baigneuses de Trouville, vient à l'appui
de cette supposition. Binet croit que, dans bien des mariages conclus
avec des cantatrices, c'est le charme fétichiste de la voix qui a agi.
Il attire en outre l'attention sur cet autre fait intéressant que, chez
les oiseaux chanteurs, la voix a la même signification sexuelle que
l'odorat chez les quadrupèdes.
Ainsi les oiseaux attirent par le chant la femelle qui, la nuit, vole
vers celui des mâles qui chante le mieux.
Il ressort des faits pathologiques du masochisme et du sadisme que des
particularités de l'âme peuvent aussi agir comme fétiche, au sens le
plus large du mot.
Ainsi s'explique le phénomène des idiosyncrasies; et la vieille maxime de
gustibus non est disputandum, a toujours sa valeur.
II FAITS PHYSIOLOGIQUES
Maturité sexuelle.--La limite d'âge dans la vie sexuelle.--Le sens
sexuel.--Localisation.--Le développement physiologique de la vie
sexuelle.--Érection.--Le centre d'érection.--La sphère sexuelle et le
sens olfactif.--La flagellation comme excitant des sens.--La secte des
flagellants.--Le Flagellum salutis de Paullini.--Zones
érogènes.--L'empire sur l'instinct sexuel.--Cohabitation.--Éjaculation.
Pendant la période des processus anatomiques et physiologiques qui se
font dans les glandes génitales, il se manifeste chez les individus un
instinct qui les pousse à perpétuer l'espèce (instinct sexuel).
L'instinct sexuel, à cet âge de maturité, est une loi physiologique.
La durée des processus anatomico-physiologiques dans les organes
sexuels, ainsi que la durée de la puissance de l'instinct génésique,
diffèrent selon les individus et les peuples. Race, climat, conditions
héréditaires et sociales, exercent une influence décisive. On sait que
les Méridionaux présentent une sensualité bien plus grande que les gens
du Nord. Le développement sexuel a lieu bien plus tôt chez les
habitants du Midi que chez ceux des pays septentrionaux. Chez la femme
des pays du Nord, l'ovulation, qui se manifeste par le développement du
corps et les hémorragies périodiques des parties génitales
(menstruation), ne se montre qu'entre treize et quinze ans; chez
l'homme, le développement de la puberté (qui se manifeste par la mue de
la voix, le développement des poils sur la figure et sur le mont de
Vénus, les pollutions périodiques, etc.), ne se montre qu'à partir de
quinze ans. Au contraire, chez les habitants des pays chauds, le
développement sexuel s'effectue plusieurs années plus tôt, chez la
femme quelquefois même à l'âge de huit ans.
Il est à remarquer que les filles des villes se développent à peu près
un an plus tôt que les filles de la campagne, et que plus la ville est
grande, plus le développement, cæteris paribus, est précoce.
Les conditions héréditaires n'exercent pas une influence moins grande
sur le libido et la puissance virile. Il y a des familles où, à
côté d'une grande force physique et d'une grande longévité, le libido
et une puissance virile intense se conservent jusqu'à un âge très
avancé. Il y en a d'autres où la vita sexualis éclôt tard et
s'éteint bien avant le temps.
Chez la femme, la période d'activité des glandes génitales est plus
limitée que chez l'homme, chez qui la production du sperme peut se
prolonger jusqu'à l'âge le plus avancé.
Chez la femme, l'ovulation cesse trente ans après le début de la
nubilité. Cette période de stérilité des ovaires s'appelle la
ménopause. Celle phase biologique ne représente pas seulement une mise
hors fonction et une atrophie définitive des organes génitaux, mais un
processus de transformation de tout l'organisme. Dans l'Europe
centrale, la maturité sexuelle de l'homme commence vers l'âge de
dix-huit ans; sa puissance génésique atteint son maximum vers l'âge de
quarante ans. À partir de cette époque, elle baisse lentement.
La potentia generandi s'éteint ordinairement vers l'âge de
soixante-deux ans; la potentia coeundi peut se conserver
jusqu'à l'âge le plus avancé. L'instinct sexuel existe sans
discontinuer pendant toute la période de la vie sexuelle; il n'y a que
son intensité qui change. Il ne se manifeste jamais d'une façon
intermittente ou périodique, sous certaines conditions physiologiques,
comme c'est le cas chez les animaux.
Chez l'homme, l'intensité de l'instinct a des fluctuations, des hauts
et des bas, selon l'accumulation et la dépense du sperme; chez la
femme, l'instinct sexuel augmente d'intensité au moment de l'ovulation,
de sorte que, post menstrua, le libido sexualis est
plus accentué.
Le sens sexuel, en tant qu'il se manifeste comme sentiment, idée et
instinct, est un produit de l'écorce cérébrale. On n'a pas encore pu
jusqu'ici bien déterminer le siège du centre sexuel dans le cerveau.
Les rapports étroits qui existent entre la vie sexuelle et le sens
olfactif[17] font supposer que la sphère sexuelle et la sphère
olfactive se trouvent à la périphérie du cerveau, très près l'une de
l'autre, ou du moins qu'il existe entre elles des liens puissants
d'association.
[Note 17: Ferrier suppose que le centre de l'olfaction se trouve dans
le gyrus uncinatus. Zuckerkandl, dans son ouvrage: Über das
Riechcentrum, concluant d'après des études d'anatomie comparée,
considère la corne d'Ammon comme faisant partie du centre olfactif.]
La vie sexuelle se manifeste d'abord par des sensations parties des
organes sexuels en voie de développement. Ces sensations éveillent
l'attention de l'individu. La lecture, certains faits observés dans la
vie sociale--(aujourd'hui malheureusement ces observations se font trop
souvent à un âge prématuré),--transforment les pressentiments en idées
nettes. Ces dernières s'accentuent par des sensations organiques, des
sensations de volupté. À mesure que ces idées érotiques s'accroissent
par des sensations voluptueuses, se développe le désir de reproduire
des sensations semblables (instinct sexuel).
Il s'établit alors une dépendance mutuelle entre les circonvolutions
cérébrales (origine des sensations et des représentations) et les
organes de la génération. Par suite de processus
anatomico-physiologiques, tels que l'hyperémie, l'élaboration du
sperme, l'ovulation, les organes génésiques font naître des idées et
des désirs sexuels.
La périphérie du cerveau réagit sur les organes de la génération par
des idées perçues ou reproduites. Cela se fait par le centre
d'innervation des vaisseaux et le centre de l'éjaculation. Tous deux se
trouvent dans la moelle épinière et sont probablement très rapprochés
l'un de l'autre. Tous les deux sont des centres réflexes.
Le centrum erectionis (Goltz, Eckhard) est un point
intermédiaire intercalé entre le cerveau et l'appareil génital. Les
nerfs qui le relient avec le cerveau passent probablement par les
pédoncules cérébraux. Ce centre peut être mis en activité par des
excitations centrales (physiques et organiques), par une excitation
directe de ses nerfs dans les pédoncules cérébraux, la moelle
cervicale, ainsi que par l'excitation périphérique des nerfs sensitifs
(pénis, clitoris et annexes). Il n'est pas directement soumis à
l'influence de la volonté.
L'excitation de ce centre est transmise par des nerfs qui se relient à
la première et à la troisième paires des nerfs sacrés (nervi
erigentes), et arrive ainsi jusqu'aux corps caverneux.
L'action de ces nerfs érectifs qui transmettent l'érection est
paralysante. Ils paralysent l'appareil d'innervation ganglionnaire dans
les organes érectiles sous l'influence desquels se trouvent les fibres
musculaires des corps caverneux (Koelliker et Kohlrausch). Sous
l'influence de ces nervi erigentes les fibres musculaires des
corps érectiles deviennent flasques et ils se remplissent de sang. En
même temps, les artères dilatées du réseau périphérique des corps
érectiles exercent une pression sur les veines du pénis et le reflux du
sang se trouve barré. Cet effet est encore accentué par la contraction
des muscles bulbo et ischio-caverneux qui s'étendent comme des
aponévroses sur la surface dorsale du pénis.
Le centre d'érection est sous la dépendance des actions nerveuses
excitantes ou paralysantes parties du centre cérébral. Les
représentations et les perceptions d'images sexuelles agissent comme
excitants. D'après les expériences faites sur les corps de pendus, le
centre d'érection semble aussi pouvoir être mis en action par
l'excitation des voies de communication qui se trouvent dans la moelle
épinière. Le même fait peut se produire par des excitations organiques
qui ont lieu à la périphérie du cerveau (centre psycho-sexuel?), ainsi
que le prouvent les observations faites sur des aliénés et des malades
atteints d'affections cérébrales. Le centre d'érection peut être
directement excité par des maladies de la moelle épinière, dans leur
première période, quand elles atteignent la moelle lombaire (tabes et
surtout myélitis).
Voici les causes qui peuvent fréquemment produire une excitation
réflexe du centre génital: excitation des nerfs sensitifs périphériques
des parties génitales et de leur voisinage par la friction; excitations
de l'urètre (gonorrhée), du rectum (hémorroïdes et oxyures), de la
vessie (quand elle est pleine d'urine, surtout le matin, ou quand elle
est excitée par un calcul); réplétion des vésicules séminales par le
sperme, ce qui se produit quand on est couché sur le dos et que la
pression des viscères sur les veines du bassin produit une hyperhémie
des parties génitales.
Le centre d'érection peut être excité aussi par l'irritation des
nombreux nerfs et ganglions qui se trouvent dans le tissu de la
prostate (prostatite, cathétérisme). Ce centre est aussi soumis à des
influences paralysantes de la part du cerveau, ainsi que nous le montre
l'expérience de Goltz qui a montré que, chez des chiens, quand la
moelle épinière est tranchée, l'érection se produit plus facilement.
À l'appui de cette démonstration vient encore s'ajouter le fait que,
chez l'homme, l'influence de la volonté ou une forte émotion (crainte
de ne pas pouvoir coïter, surprise inter actum sexualem, etc.)
peuvent empêcher l'érection ou la faire cesser quand elle existe. La
durée de l'érection dépend de la durée des causes excitantes
(excitation des sens ou sensation), de l'absence des causes
entravantes, de l'énergie d'innervation du centre, ainsi que de la
production tardive ou hâtive de l'éjaculation.
La cause importante et centrale du mécanisme sexuel réside dans la
périphérie du cerveau. Il est tout naturel de supposer qu'une région de
cette périphérie (centre cérébral) soit le siège des manifestations et
des sensations sexuelles, des images et des désirs, le lieu d'origine
de tous les phénomènes psychosomatiques qu'on désigne ordinairement
sous les noms de sens sexuel, sens génésique et instinct sexuel. Ce
centre peut être animé aussi bien par des excitations centrales que par
des excitations périphériques.
Des excitations centrales peuvent se produire par suite d'irritations
organiques dues à des maladies de la périphérie du cerveau. Elles se
produisent physiologiquement par des excitations psychiques
(représentations de la mémoire ou perceptions des sens).
Dans les conditions physiologiques, il s'agit surtout de perceptions
visuelles et d'images évoquées par la mémoire (par exemple, par une
lecture lascive); puis d'impressions tactiles (attouchements,
serrements de mains, accolade, etc.). Par contre le sens auditif et le
sens olfactif ne jouent qu'un rôle secondaire dans le domaine
physiologique. Mais, dans certaines circonstances pathologiques, ce
dernier a une grande importance pour l'excitation sexuelle. Chez les
animaux, l'influence des perceptions olfactives sur le sens génésique
est de toute évidence. Althaus (Beiträge zur Physiol. u. Pathol. des
Olfactorius, Arch. für Psych., XII, H. 1) déclare nettement que le
sens olfactif est d'une grande importance pour la reproduction de
l'espèce. Il fait ressortir que les animaux de sexe différent sont
attirés l'un vers l'autre par la perception olfactive et que, à la
période du rut, il s'exhale de leurs parties génitales une odeur
pénétrante. Une expérience faite par Schiff vient à l'appui de cette
assertion. Schiff a enlevé les nerfs olfactifs à de jeunes chiens
nouveau-nés, et il a constaté que ces mêmes chiens, devenus grands, ne
pouvaient distinguer un mâle d'une femelle. Mantegazza (Hygiène de
l'amour) a fait un essai en sens inverse. Il a enlevé les yeux à
des lapins et il a constaté que cette défectuosité artificielle n'a
nullement empêché l'accouplement de ces animaux. Cette expérience nous
montre quelle importance paraît avoir le sens olfactif dans la vita
sexualis des animaux.
Il est à noter aussi que certains animaux (musc, chat de Zibeth,
castor) ont, dans les parties génitales, des glandes qui dégagent des
matières fortement odorantes.
Même en ce qui concerne l'homme, Althaus a mis en relief les
corrélations qui existent entre le sens olfactif et le sens génésique.
Il cite Cloquet (Osphrésiologie, Paris, 1826). Celui-ci appelle
l'attention sur le pouvoir excitant des fleurs; il rappelle l'exemple
de Richelieu qui vivait dans une atmosphère imprégnée des plus forts
parfums pour stimuler ses fonctions sexuelles.
Zippe (Wiener med. Wochenschrift,
1879, nº 25), parlant d'un cas de kleptomanie observé chez un onaniste,
fait aussi ressortir ces corrélations, et il cite comme témoin
Hildebrand qui dit, dans sa Physiologie populaire: «On ne peut
pas nier que le sens olfactif n'ait quelque connexité avec les
fonctions sexuelles.» Les parfums des fleurs provoquent souvent des
sensations de volupté et, si nous nous rappelons ce passage du Cantique
des cantiques: «Mes mains dégouttaient de myrrhe et la myrrhe s'est
écoulée sur mes doigts posés sur le verrou de la serrure»,--nous
verrons que le roi Salomon avait déjà fait cette observation. En
Orient, les parfums sont très aimés à cause de leur effet sur les
parties génitales, et les appartements des femmes du Sultan exhalent
l'odeur de toutes sortes de fleurs.
Most, professeur à Rostock, raconte le fait suivant: «J'ai appris d'un
jeune paysan voluptueux qu'il avait excité à la volupté maintes filles
chastes et atteint facilement son but en passant, pendant la danse, son
mouchoir sous ses aisselles et en essuyant ensuite, avec ce mouchoir,
la figure de sa danseuse.» La perception intime de la transpiration
d'une personne peut devenir la première cause d'un amour passionné.
Comme preuve, nous citerons le cas de Henri III qui, à l'occasion des
noces de Marguerite de Valois avec le roi de Navarre, s'essuya la
figure avec la chemise trempée de sueur de Marie de Clèves. Bien que
Marie fût la fiancée du prince de Condé, Henri conçut subitement pour
elle une passion si violente qu'il n'y pouvait résister et que, fait
historique, il la rendit pour cela très malheureuse. On raconte un fait
analogue sur Henri IV. Sa passion pour la belle Gabrielle aurait pris
naissance parce que, dans un bal, il se serait essuyé le front avec le
mouchoir de cette dame.
Le professeur Jaeger (Entdecke der Seele) indique dans son livre
le même fait, quand il dit (page 173) que la sueur joue un rôle
important dans les affections sexuelles et qu'elle exerce une vraie
séduction.
De la lecture de l'ouvrage de Ploss (Das Weib), il ressort que,
en psychologie, on voit maintes fois la transpiration du corps exercer
une sorte d'attraction sur une personne d'un autre sexe.
À ce propos, il faut citer un usage qui, au rapport de Jagor, exista
chez les amoureux indigènes des îles Philippines. Lorsqu'il arrive,
dans ce pays, qu'un couple amoureux est forcé de se séparer pour
quelque temps, l'homme et la femme échangent des pièces de linge dont
ils se sont servis, pour s'assurer une mutuelle fidélité. Ces objets
sont soigneusement gardés, couverts de baisers et reniflés. La
prédilection de certains libertins et de certaines femmes sensuelles
pour les parfums[18] prouve également la connexité qui existe entre le
sens olfactif et le sens sexuel.
[Note 18: Comparer Laycock (Nervous diseases of women, 1840),
qui trouve un rapport entre la prédilection pour le musc et les parfums
similaires et l'exaltation sexuelle chez les femmes.]
Il faut encore citer un cas très remarquable, rapporté par Heschl (Wiener
Zeitschrift f. pract. Heilkunde, 22 März 1861), cas où il a
constaté simultanément le manque des deux bosses olfactives et
l'atrophie des parties génitales. Il s'agissait d'un homme de
quarante-cinq ans, bien fait, dont les testicules avaient le volume
d'une fève, étaient dépourvus de canaux déférents et dont le larynx
avait des dimensions féminines. Il y avait chez lui absence totale de
nerfs olfactifs. Le triangle olfactif et le sillon à la base inférieure
des lobes antérieurs du cerveau manquaient également. Les trous de la
lame criblée étaient clairsemés; au lieu de nerfs, c'étaient des
prolongements de la dure-mère qui passaient par ces trous. Sur la
membrane pituitaire du nez, on constatait la même absence de nerfs. Il
faut noter aussi le consensus qui se manifeste nettement entre l'organe
olfactif et l'organe sexuel dans certaines maladies mentales. Les
hallucinations olfactives sont très fréquentes dans les psychoses des
deux sexes qui ont pour origine la masturbation, de même que dans les
psychoses des femmes, causées par les maladies des parties génitales ou
les phénomènes de la ménopause; par contre, dans les cas où il n'y a
pas de causes sexuelles, les hallucinations olfactives sont très rares.
Je mets en doute cependant que, chez les individus normaux, les
sensations olfactives jouent, comme chez les animaux, un grand rôle
dans l'excitation du centre sexuel[19].
[Note 19: L'observation suivante, que nous donne Binet, semble
contredire cette opinion. Malheureusement il ne nous a rien dit sur la
personnalité du sujet de son observation. Dans tous les cas, sa
constatation est très significative pour la connexité qui existe entre
le sens olfactif et le sens sexuel. D..., étudiant en médecine, étant
assis un jour sur un banc dans un square et occupé à lire un livre de
pathologie, remarqua que, depuis un moment, il était gêné par une
érection persistante. En se retournant, il s'aperçut qu'une femme qui
répandait une odeur assez forte, était assise sur l'autre bout du banc.
Il attribua à l'impression olfactive, qu'il avait ressentie sans en
avoir conscience, le phénomène d'excitation génitale.]
Nous avons cru devoir parler, dès maintenant, de la connexité qui
existe entre le sens olfactif et le sens sexuel, étant donnée
l'importance de ce consensus pour la compréhension de certains cas
pathologiques.
Il y a, à côté de ces rapports physiologiques, un fait intéressant à
noter: c'est qu'il existe une certaine analogie histologique entre le
nez et les organes génitaux, puisque tous deux (y compris le mamelon)
contiennent un tissu érectile.
J.N. Mackenzie (Journal of medical Science, 1884) a rapporté, à
ce sujet, de curieuses observations cliniques et physiologiques. Il a
constaté: 1º que chez un certain nombre de femmes, dont le nez était
sain, il se produisait régulièrement, à l'époque de la menstruation,
une congestion des corps bulbeux du nez, qui disparaissait après la
menstruation; 2º le phénomène d'une menstruation nasale substitutrice
qui, plus tard, a été souvent remplacée par une hémorrhagie utérine,
mais qui, dans certains cas, s'est manifestée périodiquement au moment
de la menstruation, pendant toute la durée de la vie sexuelle; 3º des
phénomènes d'irritation nasale, tels que des éternuements, etc., au
moment d'une émotion sexuelle; et 4º l'inverse de ce phénomène,
c'est-à-dire des excitations accidentelles du système génital, à la
suite d'une maladie du nez.
Mackenzie a aussi observé que, chez beaucoup de femmes atteintes de
maladies du nez, ces maladies empirent pendant la menstruation; il a,
en outre, constaté que des excès in Venere peuvent provoquer
une inflammation de la membrane pituitaire ou l'accentuer si elle
existe déjà.
Il rappelle aussi ce fait d'expérience que les masturbateurs sont
ordinairement atteints de maladies du nez et souffrent souvent
d'impressions olfactives anormales, de même que de rhinorrhagies.
D'après les expériences de Mackenzie, il y a des maladies du nez qui
résistent à tout traitement tant qu'on n'a pas supprimé les maladies
génitales qui existent en même temps chez le malade et qui, peut-être,
sont la cause de la maladie nasale.
La sphère sexuelle de l'écorce cérébrale peut être excitée par des
phénomènes produits dans les organes génitaux et dans le sens des
désirs et des représentations sexuels. Cet effet peut être produit par
tous les éléments qui, par une action centripète, excitent le centre
d'érection (excitation des vésicules séminales quand elles sont
remplies; gonflement des follicules de Graf; excitation sensible
quelconque, produite dans le voisinage des parties génitales;
hyperhémie et turgescence des parties génitales, particulièrement des
organes érectiles, des corps caverneux du pénis, du clitoris; vie
sédentaire et luxueuse; plethora abdominalis; température
élevée; lit chaud; vêtements chauds; usage de cantharide, de poivre et
d'autres épices).
Le libido sexualis peut être aussi éveillé par l'excitation des
nerfs du siège (flagellation). Ce fait est très important pour la
compréhension de certains phénomènes physiologiques[20].
[Note 20: Meibomius, De flagiorum
usu in re medica, London, 1765. Boileau: The history of the
flagellants, London, 1783.]
Il arrive quelquefois que, par une correction appliquée sur le
derrière, on éveille chez des garçons les premiers mouvements de
l'instinct sexuel et on les pousse par là à la masturbation. C'est un
fait que les éducateurs de la jeunesse devraient bien retenir.
En présence des dangers que ce genre de punition peut offrir aux
élèves, il serait désirable que les parents, les maîtres d'école et les
précepteurs n'y eussent jamais recours.
La flagellation passive peut éveiller la sensualité, ainsi que le
prouve l'histoire de la secte des flagellants, très répandue aux XIIIe,
XIVe et XVe siècles, et dont les adeptes se flagellaient eux-mêmes,
soit pour faire pénitence, soit pour mortifier la chair dans le sens du
principe de chasteté prêché par l'Église, c'est-à-dire l'émancipation
du joug de la volupté.
À son début, cette secte fut favorisée par l'Église. Mais, comme la
flagellation agissait comme un stimulant de la sensualité et que ce
fait se manifestait par des incidents très fâcheux, l'Église se vit
dans la nécessité d'agir contre les flagellants. Les faits suivants,
tirés de la vie de deux héroïnes de la flagellation, Maria-Magdalena de
Pazzi et Élisabeth de Genton, sont une preuve caractéristique de la
stimulation sexuelle produite par la flagellation.
Maria-Magdalena, fille de parents d'une haute position sociale, était
religieuse de l'ordre des Carmes, à Florence, en 1580. Les
flagellations, et plus encore les conséquences de ce genre de
pénitence, lui ont valu une grande célébrité et une place dans
l'histoire. Son plus grand bonheur était quand la prieure lui faisait
mettre les mains derrière le dos et la faisait fouetter sur les reins
mis à nu, en présence de toutes les soeurs du couvent.
Mais les flagellations qu'elle s'était fait donner dès sa première
jeunesse avaient complètement détraqué son système nerveux; il n'y
avait pas une héroïne de la flagellation qui eût tant d'hallucinations
qu'elle. Pendant ces hallucinations, elle délirait toujours d'amour. La
chaleur intérieure semblait vouloir la consumer, et elle s'écriait
souvent: «Assez! n'attise pas davantage cette flamme qui me dévore. Ce
n'est pas ce genre de mort que je désire; il y aurait trop de plaisir
et trop de charmes.» Et ainsi de suite. Mais l'esprit de l'Impur lui
suggérait les images les plus voluptueuses, de sorte qu'elle était
souvent sur le point de perdre sa chasteté.
Il en était presque de même avec Élisabeth de Genton. La flagellation
la mettait dans un état de bacchante en délire. Elle était prise d'une
sorte de rage quand, excitée par une flagellation extraordinaire, elle
se croyait mariée avec son «idéal». Cet état lui procurait un bonheur
si intense qu'elle s'écriait souvent: «O amour! O amour infini! O
amour! O créatures, criez donc toutes avec moi: Amour! amour!»
On connaît aussi ce fait, confirmé par Taxil (op. cit., p. 145),
que des viveurs se font quelquefois flageller, avant l'acte sexuel,
pour exciter leur puissance génitale languissante.
On trouve une confirmation très intéressante de ces faits dans les
observations suivantes que nous empruntons au Flagellum salutis
de Paullini (1re édition, 1698, réimprimée à Stuttgart, 1847):
«Il y a certaines nations, notamment les Perses et les Russes, chez
lesquels, et particulièrement chez les femmes, les coups sont
considérés comme une marque particulière d'amour et de faveur. Les
femmes russes surtout ne sont contentes et joyeuses que lorsqu'elles
ont reçu de bons coups de leurs maris, ainsi que nous l'explique, dans
un récit curieux, Jean Barclajus.
«Un Allemand nommé Jordan vint en Moscovie et, comme le pays lui
plaisait, il s'y établit et épousa une femme russe qu'il aimait
beaucoup et pour laquelle il était gentil en tous points. Mais elle
faisait toujours la mine, baissait les yeux, et ne faisait entendre que
des plaintes et des gémissements. L'époux voulut savoir pourquoi, car
il ne pouvait comprendre ce qu'elle avait. «Eh! dit-elle, vous
prétendez m'aimer et vous ne m'en avez encore donné aucune preuve.» Il
l'embrassa et la pria de lui pardonner si, par hasard et à son insu, il
l'avait offensée: il ne recommencerait plus. «Rien ne me manque,
répondit-elle, sauf le fouet qui, selon l'usage de mon pays, est une
marque d'amour.» Jordan se le tint pour dit et il se conforma à
l'usage. À partir de ce moment cette femme aima éperdument son mari.
«Une pareille histoire nous est racontée aussi par Peter Petreus,
d'Erlesund, avec ce détail complémentaire, qu'au lendemain de la noce
les hommes ajoutent aux objets indispensables du ménage, un fouet.»
À la page 73 de ce livre curieux, nous lisons encore:
«Le célèbre comte Jean Pic de la Mirandole, assure qu'un de ses amis
qui était un gaillard insatiable, était si paresseux et si inhabile aux
luttes amoureuses qu'il ne pouvait rien faire avant qu'il n'eût reçu
une bonne raclée. Plus il voulait satisfaire son désir, plus il
exigeait de coups et de violences puisqu'il ne pouvait avoir de bonheur
s'il n'avait été fouetté jusqu'au sang. Dans ce but, il s'était fait
faire une cravache spéciale qu'il mettait pendant la journée dans du
vinaigre; ensuite il la donnait à sa compagne et la priait à genoux de
ne pas frapper à côté, mais de frapper fort, le plus fort possible.
C'est, dit le brave comte, le seul homme qui trouve son plaisir dans
une torture pareille. Et comme cet homme n'était pas méchant, il
reconnaissait et détestait sa faiblesse. Une pareille histoire est
mentionnée par Coelius Rhodigin, à qui l'a empruntée le célèbre
jurisconsulte Andréas Tiraquell. À l'époque du célèbre médecin Otto
Brunfels, vivait dans la résidence du grand électeur bavarois, à
Munich, un bon gas qui, cependant, ne pouvait jamais faire l'amour sans
avoir reçu auparavant des coups bien appliqués. M. Thomas Barthelin a
connu aussi un Vénitien qu'il fallait échauffer et stimuler à l'acte
sexuel par des coups. De même Cupidon entraîne ses fidèles avec une
baguette d'hyacinthe. Il y a quelques années, vivait à Lubeck, dans la
Muhlstrasse, un marchand de fromages qui, accusé d'adultère devant les
autorités, devait être expulsé de la ville. Mais la catin avec laquelle
il s'était commis, alla chez les magistrats et demanda grâce pour lui
en racontant combien pénibles étaient au coupable ses accouplements.
Car il ne pouvait rien faire avant qu'on ne lui eût donné une bonne
volée de bois vert. Le gaillard, par honte et de crainte d'être
ridiculisé, ne voulait pas l'avouer d'abord, mais, quand on le pressa
de questions, il ne sut plus nier. Dans les Pays-Bas réunis, dit-on, il
y eut un homme de grande considération qui était affligé de la même
maladie et qui était incapable de faire la bagatelle s'il n'avait pas
reçu des coups auparavant. Lorsque les autorités en furent informées,
cet homme fut non seulement révoqué de ses fonctions mais encore puni
comme il le méritait. Un ami, un physicien digne de foi, qui habitait
une ville libre de l'Empire allemand, me rapporta, le 14 juillet de
l'année passée, comme quoi une femme de mauvaises moeurs, étant à
l'hôpital, avait raconté à une de ses camarades qu'un individu l'avait
invitée, elle et une autre femme de la même catégorie, à aller avec lui
dans la forêt. Lorsqu'elles furent arrivées, le gaillard coupa des
verges, exposa son derrière tout nu et ordonna aux femmes de taper
dessus, ce qu'elles firent. Ce qu'il a fait ensuite avec les femmes, on
peut le deviner facilement. Non seulement des hommes se sont excités à
la lubricité par les coups, mais des femmes aussi, afin de jouir
davantage. La Romaine se faisait fouetter dans ce but par Lupercus. Car
ainsi chante Juvénal:
Steriles moriuntur, et illis Turgida non prodest condita
pyscido Lyde: Nec prodest agili palmas præbere Luperco.
Il y a, chez la femme ainsi que chez l'homme, d'autres régions et
organes érectibles qui peuvent produire l'érection, l'orgasme et même
l'éjaculation. Ces «zones érogènes» sont chez la femme, tant qu'elle
est virgo, le clitoris, et, après la défloration, le vagin et
le col de l'utérus.
Le mamelon surtout semble avoir un effet érogène chez la femme. La titillatio
hujus regionis joue un rôle important dans l'Ars erotica.
Dans son Anatomie topographique (édition de 1865, p. 552),
Hyrtl cite Valentin Hildenbrandt qui avait observé, chez une jeune
fille, une anomalie particulière du penchant sexuel, qu'il appelait suctusstupratio.
Cette jeune fille s'était laissé téter les mamelons par son galant.
Bientôt, en tirant, elle arriva à pouvoir les sucer elle-même, ce qui
lui causait les sensations les plus agréables. Hyrtl rappelle, à ce
propos, qu'on voit quelquefois des vaches qui tètent leurs propres
tétines.
L. Brunn (Zeitg f. Litteratur, etc., d. Hamburger Correspondenten)
fait remarquer, dans une étude intéressante sur «La sensualité et
l'amour du prochain», avec quel zèle la mère qui nourrit elle-même son
nourrisson, s'occupe de faire téter l'enfant. Elle le fait, dit-il,
«par amour pour l'être faible, incomplet, impuissant».
Il est tout indiqué de supposer, qu'en dehors des mobiles éthiques dont
nous venons de faire mention, que le fait de donner à téter à l'enfant
produit peut-être une sensation de plaisir charnel et joue un rôle
assez important. Ce qui plaide en faveur de cette hypothèse, c'est une
observation de Brunn, observation très juste en elle-même, bien que mal
interprétée. Il rappelle que, d'après les observations de Houzeau, chez
la plupart des animaux, la tendresse intime entre la mère et l'enfant
n'existe que pendant la période de l'allaitement et qu'elle fait place,
plus tard, à une indifférence complète.
Le même fait (l'affaiblissement de l'affection pour l'enfant après le
sevrage) a été observé par Bastian chez certains peuples sauvages.
Dans certains états pathologiques, ainsi que cela ressort de la thèse
de doctorat de Chambard, des endroits du corps voisins des mamelles
(chez les hystériques) ou des parties génitales peuvent jouer le rôle
de zones érogènes.
Chez l'homme, la seule zone érogène, au point de vue physiologique,
c'est le gland et peut-être aussi la peau des parties extérieures des
organes génitaux. Dans certains cas pathologiques, l'anus peut devenir
érogène--cela expliquerait l'automasturbation anale, cas très fréquent,
et la pédérastie passive (Comparez Garnier, Anomalies sexuelles,
Paris, p. 514, et A. Moll, L'Inversion sexuelle, p. 163).
Le processus psychophysiologique qui forme le sens sexuel, est ainsi
composé:
1º Représentations évoquées par le centre ou par la périphérie;
2º Sensations de plaisir qui se rattachent à ces évocations.
Il en résulte le désir de la satisfaction sexuelle (libido sexualis).
Ce désir devient plus fort à mesure que l'excitation du cône cérébral,
par des images correspondantes et par l'intervention de l'imagination,
accentue les sensations de plaisir, et que, par l'excitation du centre
d'érection et l'hyperhémie des organes génitaux, ces sensations de
plaisir sont poussées jusqu'aux sensations de volupté (sécrétion de liquor
prostaticus dans l'urèthre, etc.).
Si les circonstances sont favorables à l'accomplissement de l'acte
sexuel et satisfont l'individu, il cédera au penchant qui devient de
plus en plus vif. Dans le cas contraire, il se produit des idées qui
font cesser le rut, entravent la fonction du centre d'érection et
empêchent l'acte sexuel.
Les idées qui arrêtent les désirs sexuels doivent être à la portée de
l'homme civilisé, chose importante pour lui. La liberté morale de
l'individu dépend, d'une part, de la puissance des désirs et des
sentiments organiques qui accompagnent la poussée sexuelle; d'autre
part, des idées qui lui opposent un frein.
Ces deux éléments décident si l'individu doit ou non aboutir à la
débauche et même au crime. La constitution physique et, en général, les
influences organiques exercent une puissante action sur la force des
éléments impulsifs; l'éducation et la volonté morale sont les mobiles
des idées de résistance.
Les forces impulsives et les forces d'arrêt sont choses variables.
L'abus de l'alcool produit à ce sujet une influence néfaste, puisqu'il
éveille et augmente le libido sexualis et diminue en même temps
la force de résistance morale.
LA COHABITATION[21]
[Note 21: Comparez Roubaud: Traité de l'impuissance et de la
stérilité, Paris, 1878.]
La condition fondamentale pour l'homme, c'est une érection suffisante.
Anjel fait observer (Archiv für Psychiatrie, VIII, H. 2) avec
raison que, dans l'excitation sexuelle, ce n'est pas seulement le
centre d'érection qui est excité, mais que l'excitation nerveuse se
répand sur tout le système vaso-moteur des nerfs. La preuve en est: la
turgescence des organes pendant l'acte sexuel, l'injection des conjunctiva,
la proéminence des bulbes, la dilatation des pupilles, les battements
du coeur (par paralysie des nerfs vaso-moteurs du coeur qui viennent du
sympathique du cou, ce qui produit une dilatation des artères du coeur
et ensuite l'hyperhémie et un plus fort ébranlement des ganglions
cardiaques). L'acte sexuel va de pair avec une sensation de volupté
qui, chez l'homme, est probablement provoquée par le passage du sperme
à travers les canaux éjaculateurs dans l'urèthre, effet de l'excitation
sensible des parties génitales. La sensation de volupté se produit chez
l'homme plus tôt que chez la femme, s'accroît comme une avalanche au
moment où l'éjaculation commence et atteint son maximum au moment de
l'éjaculation complète, pour disparaître rapidement post
ejaculationem.
Chez la femme la sensation de volupté se manifeste plus tard, s'accroît
lentement, et subsiste dans la plupart des cas après l'éjaculation.
Le fait le plus décisif dans la cohabitation, c'est l'éjaculation.
Cette fonction dépend d'un centre (génito-spinal) dont Budge a démontré
l'existence et qu'il a placé à la hauteur de la quatrième vertèbre
lombaire. Ce centre est un centre réflexe, il est excité par le sperme
qui, à la suite de l'excitation du gland, est poussé par phénomène
réflexe hors des vésicules séminales dans la portion membraneuse de
l'urèthre. Quand ce passage de la semence, qui a lieu avec une
sensation de volupté croissante, représente une quantité suffisante
pour agir assez fortement sur le centre d'éjaculation, ce dernier entre
en action. La voie motrice du réflexe se trouve dans le quatrième et le
cinquième nerf lombaire. L'action consiste dans une agitation
convulsive du muscle bulbo-caverneux (innervé par les troisième et
quatrième nerfs sacrés) et ainsi le sperme est projeté au dehors.
Chez la femme aussi il se produit un mouvement réflexe quand elle se
trouve au maximum de l'agitation sexuelle et voluptueuse. Il commence
par l'excitation des nerfs sensibles des parties génitales et consiste
en un mouvement péristaltique dans les trompes et l'utérus jusqu'à la portio
vaginalis, ce qui fait sortir la glaire tubaire et utérine.
Le centre d'éjaculation peut être paralysé par des influences venant de
l'écorce cérébrale (coït à contre-coeur, en général émotions morales,
et quelque peu par influence de la volonté).
Dans les conditions normales, l'acte sexuel terminé, l'érection et le libido
sexualis disparaissent, et l'excitation psychique et sexuelle fait
place à une détente agréable.
III
NEURO-PSYCHOPATHOLOGIE GÉNÉRALE[22]
Fréquence et importance des symptômes pathologiques.--Tableau des
névroses sexuelles.--Irritation du centre d'érection.--Son
atrophie.--Arrêts dans le centre d'érection.--Faiblesse et irritabilité
du centre.--Les névroses du centre d'éjaculation.--Névroses
cérébrales.--Paradoxie ou instinct sexuel hors de la période
normale.--Éveil de l'instinct sexuel dans l'enfance.--Renaissance de
cet instinct dans la vieillesse.--Aberration sexuelle chez les
vieillards expliquée par l'impuissance et la démence.--Anesthésie
sexuelle ou manque d'instinct sexuel.--Anesthésie congénitale;
anesthésie acquise.--Hyperesthésie ou exagération morbide de
l'instinct.--Causes et particularités de cette anomalie.--Paresthésie
du sens sexuel ou perversion de l'instinct sexuel.--Le sadisme.--Essai
d'explication du sadisme.--Assassinat par volupté
sadique.--Anthropophagie.--Outrages aux cadavres.--Brutalités contre
les femmes; la manie de les faire saigner ou de les fouetter.--La manie
de souiller les femmes.--Sadisme symbolique.--Autres actes de violence
contre les femmes.--Sadisme sur des animaux.--Sadisme sur n'importe
quel objet.--Les fouetteurs d'enfants.--Le sadisme de la femme.--La Penthésilée
de Kleist.--Le masochisme.--Nature et symptômes du masochisme.--Désir
d'être brutalisé ou humilié dans le but de satisfaire le sens
sexuel.--La flagellation passive dans ses rapports avec le
masochisme.--La fréquence du masochisme et ses divers
modes.--Masochisme symbolique.--Masochisme d'imagination.--Jean-Jacques
Rousseau.--Le masochisme chez les romanciers et dans les écrits
scientifiques.--Masochisme déguisé.--Les fétichistes du soulier et du
pied.--Masochisme déguisé ou actes malpropres commis dans le but de
s'humilier et de se procurer une satisfaction sexuelle.--Masochisme
chez la femme.--Essai d'explication du masochisme.--La servitude
sexuelle.--Masochisme et sadisme.--Le fétichisme; explication de son
origine.--Cas où le fétiche est une partie du corps féminin.--Le
fétichisme de la main.--Les difformités comme fétiches.--Le fétichisme
des nattes de cheveux; les coupeurs de nattes.--Le vêtement de la femme
comme fétiche.--Amateurs ou voleurs de mouchoirs de femmes.--Les
fétichistes du soulier.--Une étoffe comme fétiche.--Les fétichistes de
la fourrure, de la soie et du velours.--L'inversion sexuelle.--Comment
on contracte cette disposition.--La névrose comme cause de l'inversion
sexuelle acquise.--Degrés de la dégénérescence acquise.--Simple
inversion du sens sexuel.--Éviration et défémination.--La folie des
Scythes.--Les Mujerados.--Les transitions à la métamorphose
sexuelle.--Métamorphose sexuelle paranoïque.--L'inversion sexuelle
congénitale.--Diverses formes de cette maladie.--Symptômes
généraux.--Essai d'explication de cette maladie.--L'hermaphrodisme
psychique.--Homosexuels ou uranistes.--Effémination ou
viraginité.--Androgynie et gynandrie.--Autres phénomènes de perversion
sexuelle chez les individus atteints d'inversion sexuelle.--Diagnostic,
pronostic et thérapeutique de l'inversion sexuelle.
[Note 22: Sources: Parent-Duchatelet, Prostitution dans la ville de
Paris, 1837.--Rosenbaum, Entstehung der Syphilis, Halle,
1839.--Le même, Die Lustseuche im Alterthum, Halle,
1839.--Descuret, La médecine des passions, Paris,
1860.--Casper, Klin. Novellen, 1863.--Bastian, Der Mensch in der Geschichte.--Friedländer,
Sittengeschichte Roms.--Wiedemeister, Cæsarenwahnsinn.--Scherr,
Deutsche Kultur und Sittengeschichte, t. I, chap.
IX.--Tardieu, Des attentats aux moeurs, 7e édit.,
1878.--Emminghaus, Psychopathologie, pp. 98, 225, 230,
232.--Schüle, Handbuch der Geisteskrankheiten, p. 114.--Marc, Die
Geisteskrankheiten, trad. par Ideler, II, p. 128.--V. Krafft, Lehrb.
d. Psychiatrie, 7e édit., p. 90; Lehrb. d. ger. Psychopathol.,
3e édit, p. 279; Archiv f. Psychiatrie, VII, 2.--Moreau, Des
aberrations du sens génésique, Paris, 1880.--Kirn, Allg.
Zeitschrift f. Psychiatrie, XXXIX, cahiers 2 et 3.--Lombroso, Instinct
sexuel et crimes dans leurs rapports (Goltdammers Archiv, t.
XXX).--Tarnowsky, Die Krankhaften Erscheinungen des Geschlechtssinne,
Berlin, 1886.--Ball, La Folie érotique, Paris, 1888.--Sérieux, Recherches
cliniques sur les anomalies de l'instinct sexuel, Paris,
1888.--Hammond, Sexuelle Impotenz, traduit par Sallinger,
Berlin, 1889.]
Chez les hommes civilisés de notre époque les fonctions sexuelles se
manifestent très souvent d'une manière anormale. Cela s'explique en
partie par les nombreux abus génitaux, en partie aussi par ce fait que
ces anomalies fonctionnelles sont souvent le signe d'une disposition
morbide du système nerveux central, disposition résultant, dans la
plupart des cas, de l'hérédité. (Symptômes fonctionnels de
dégénérescence.)
Comme les organes de la génération ont une importante corrélation
fonctionnelle avec tout le système nerveux, rapports psychiques et
somatiques, la fréquence des névroses et psychoses générales dues aux
maladies sexuelles (fonctionnelles ou organiques), se comprend
facilement.
TABLEAU SCHÉMATIQUE DES NÉVROSES SEXUELLES
I.--NÉVROSES PÉRIPHÉRIQUES
1º SENSITIVES
a, Anesthésie; b, Hyperesthésie; c, Névralgie.
2º SÉCRÉTOIRES
a, Aspermie; b, Polyspermie.
3º MOTRICES
a, Pollutions (spasmes); Spermatorrhée (paralysie).
II.--NÉVROSES SPINALES
1º AFFECTIONS DU CENTRE D'ÉRECTION
a) L'excitation (priapisme) se produit par une
action réflexe due à des excitations sensitives périphériques,
directement par l'excitation organique des voies de communication du
cerveau au centre d'érection (maladies spinales de la partie inférieure
de la moelle cervicale et de la partie supérieure de la moelle dorsale)
ou du centre lui-même (certains poisons) ou enfin par des excitations
psychiques.
Dans ce dernier cas, il y a satyriasis, c'est-à-dire prolongation
anormale de l'érection et du libido sexualis. Quand il y a
seulement excitation réflexe ou excitation directe organique, le libido
peut faire défaut et le priapisme être accompagné d'un sentiment de
dégoût.
b) La paralysie provient de la destruction du centre
ou des voies de communication (nervi erigentes), dans les
maladies de la moelle épinière (impuissance paralytique).
Une forme atténuée de cet état est la diminution de la sensibilité du
centre par le surmenage (suite des excès sexuels, surtout onanisme) ou
par l'intoxication due à des sels de brome, etc. Cette paralysie peut
être accompagnée d'une anesthésie cérébrale, souvent d'une anesthésie
des parties génitales externes. Souvent il se produit dans ce cas de
l'hyperesthésie cérébrale (libido sexualis accentué, lubricité).
Une forme particulière de l'anesthésie incomplète se produit dans les
cas où le centre n'est sensible qu'à certaines excitations spéciales
auxquelles il répond par l'érection. Ainsi il y a des hommes chez qui
le contact sexuel avec une épouse chaste ne donne pas une excitation
suffisante pour amener l'érection, mais chez qui l'érection se produit
quand ils viennent à coïter avec une prostituée ou qu'ils accomplissent
un acte sexuel contre nature. Les excitations psychiques, en tant
qu'elles peuvent venir en compte dans ces cas, peuvent être cependant
inadéquates (voir plus bas paresthésie et perversions du sens sexuel).
c) Entraves.--Le centre d'érection peut devenir
incapable de fonctionner par suite des influences cérébrales. Ainsi
agissent certaines émotions (dégoût, crainte des maladies vénériennes),
ou bien la crainte de n'avoir pas la puissance nécessaire[23].
[Note 23: Magnan cite un exemple intéressant dans lequel une obsession
de nature non sexuelle peut entrer en jeu (Voir Ann. méd.-psych.,
1885). Un étudiant de vingt et un ans, très chargé au point de vue de
l'hérédité, autrefois onaniste, a continuellement à lutter contre
l'obsession du chiffre 13. Toutes les fois qu'il veut se livrer au
coït, cette obsession du chiffre 13 empêche chez lui l'érection et rend
l'acte impossible.]
Dans le premier cas, rentrent souvent les hommes qui ont pour la femme
une aversion invincible, ou qui craignent une infection, ou encore ceux
qui sont atteints d'une perversion sexuelle; dans le deuxième cas
rentrent les névropathes (neurasthéniques hypocondriaques), souvent
aussi des gens dont la puissance génitale est affaiblie (onanistes),
des gens qui ont une raison ou croient en avoir une de se méfier de
leur puissance génésique.
Cet état psychique agit comme entrave, et rend l'acte sexuel avec une
personne de l'autre sexe temporairement ou pour jamais impossible.
d) Débilité sensitive.--Il existe alors une
sensibilité anormale avec relâchement rapide de l'énergie du centre. Il
peut s'agir d'un dérangement fonctionnel du centre lui-même, ou d'une
faiblesse d'innervation des nervi erigentes, ou enfin d'une
faiblesse du muscle ischio-caverneux. Avant de passer aux anomalies qui
vont suivre, il faut encore faire mention des cas où, par suite d'une
éjaculation anormalement hâtive, l'érection est insuffisante.
2º AFFECTIONS DU CENTRE D'ÉJACULATION
a) L'éjaculation anormalement facile est due au
manque d'arrêt cérébral qui se manifeste par suite d'une trop grande
excitation psychique, ou d'une faiblesse sensitive du centre. Dans ce
cas, une simple idée lascive suffit, dans certaines circonstances, pour
mettre en action le centre très entaché de neurasthénie spinale, pour
la plupart des cas par suite d'abus sexuels. Une troisième possibilité,
c'est l'hyperesthésie de l'urèthre: le sperme en sortant provoque une
action réflexe immédiate et très vive du centre d'éjaculation. Dans ce
cas, la seule approche des parties génitales de la femme peut suffire
pour amener l'éjaculation ante portam.
Quand l'hyperesthésie uréthrale intervient causalement, l'éjaculation
peut produire un sentiment de douleur au lieu d'un sentiment de
volupté. Dans la plupart des cas d'hyperesthésie uréthrale, il y a
faiblesse sensitive du centre.
Ces deux troubles fonctionnels sont importants dans l'étiologie de la pollutio
nimia et diurna.
La sensation de volupté peut pathologiquement faire défaut. Cela peut
se rencontrer chez des hommes ou des femmes héréditairement chargés
(anesthésie, aspermie), à la suite de maladies (neurasthénie,
hystérie), ou à la suite de surexcitations suivies d'affaissement (chez
les mérétrices).
Le degré de l'émotion motrice et psychique qui se manifeste pendant
l'acte sexuel dépend de l'intensité de la sensation voluptueuse. Dans
certains états pathologiques, cette émotion peut tellement s'accroître
que les mouvements du coït prennent un caractère convulsif, soustrait à
l'influence de la volonté, et peuvent même se transformer en
convulsions générales.
b) Difficulté anormale de l'éjaculation.--Elle est
causée par l'insensibilité du centre (absence du libido,
atrophie organique du centre par des maladies du cerveau et de la
moelle épinière, atrophie fonctionnelle à la suite d'abus sexuels,
marasme, diabète, morphinisme). Dans ce cas, l'atrophie du centre est
souvent accompagnée de l'anesthésie des parties génitales. Elle peut
être aussi la conséquence d'une lésion de l'arc réflexe ou de
l'anesthésie périphérique (uréthrale) ou de l'aspermie. L'éjaculation
ne se produit pas au cours de l'acte sexuel, ou très tardivement, ou
enfin après coup sous forme de pollution.
III.--NÉVROSES CÉRÉBRALES
1º Paradoxie, c'est-à-dire émotions sexuelles produites en
dehors de l'époque des processus anatomico-physiologiques dans la zone
des parties génitales.
2º Anesthésie (manque de penchant sexuel).--Ici toutes les
impulsions organiques données par les parties génitales, de même que
toutes les représentations, toutes les impressions optiques, auditives
et olfactives, laissent l'individu dans l'indifférence sexuelle.
Physiologiquement ce phénomène se produit dans l'enfance et dans la
vieillesse.
3º Hyperesthésie (penchant augmenté jusqu'au satyriasis).--Ici,
il y a une aspiration anormalement vive pour la vie sexuelle, désir qui
est provoqué par des excitations organiques, psychiques et
sensorielles. (Acuité anormale du libido, lubricité
insatiable.) L'excitation peut être centrale (nymphomanie, satyriasis),
périphérique, fonctionnelle, organique.
4º Paresthésie (perversion de l'instinct sexuel), c'est-à-dire
excitation du sens sexuel par des objets inadéquats.
Ces anomalies cérébrales tombent dans le domaine de la
psychopathologie. Les anomalies spinales et périphériques peuvent se
combiner avec celles-ci. Ordinairement elles se rencontrent chez des
individus non atteints de maladies mentales. Elles peuvent se présenter
sous diverses combinaisons et devenir le mobile de délits sexuels.
C'est pour cette raison qu'elles demandent à être traitées à fond dans
l'exposé qui va suivre. L'intérêt principal, cependant, doit revenir
aux anomalies causées par le cerveau, ces anomalies poussant souvent à
des actes pervers et même criminels.
A.--PARADOXIE.--INSTINCT SEXUEL EN DEHORS DE LA PÉRIODE DES PROCESSUS
ANATOMICO-PHYSIOLOGIQUES
1º Instinct sexuel dans l'enfance.--Tout médecin
neuro-pathologue et tout médecin d'enfants savent que les mouvements de
la vie sexuelle peuvent se manifester chez les petits enfants. Il faut
citer, à ce propos, les communications très remarquables d'Ultzmann sur
la masturbation dans l'enfance[24].
[Note 24: Louyer-Villermay rapporte ainsi un cas d'onanisme chez une
fille de trois à quatre ans; de même, Moreau (Aberrations du sens
génésique, 2e édit., p. 209) parle d'un enfant de deux ans. À
consulter Maudsley: Physiologie et Pathologie de l'âme, p. 218;
Hirschsprung (Kopenhagen), Berlin. klin. Wochenschrift, 1886,
nº 38; Lombroso, L'Uomo delinquente.]
Il faut bien distinguer les cas nombreux où, à la suite de phimosis,
balanites, oxyures dans l'anus ou dans le vagin, les enfants éprouvent
des démangeaisons aux parties génitales, y font des attouchements, en
ressentent une sorte de volupté et arrivent ainsi à la masturbation. Il
faut bien séparer de tous ces cas ceux où, sans aucune cause
périphérique, mais uniquement par des processus cérébraux, l'enfant
éprouve des désirs et des penchants sexuels. Dans ces derniers cas
seulement il s'agit d'une manifestation précoce de la vie sexuelle. Il
est probable qu'on se trouve là en présence d'un phénomène partiel d'un
état morbide neuro-psychopathique. Une observation de Marc (Les
maladies mentales) nous fournit une preuve frappante de cet état.
Le sujet était une fille de huit ans, issue d'une famille très
honorable et qui, dénuée de tout sentiment moral, se livrait à la
masturbation depuis l'âge de quatre ans. Præterea cum pueris, decem
usque duodecim annos natis, stupra fecit. Elle était hantée par
l'idée d'assassiner ses parents pour hériter et pour pouvoir s'amuser
ensuite avec des hommes.
Dans ces cas de libido précoce, les enfants sont amenés à la
masturbation, et, comme ils sont fortement tarés, ils aboutissent
souvent à l'idiotie ou aux formes graves des névroses ou psychoses
dégénératives.
Lombroso (Archiv. di Psychiatria, IV. p. 22) a recueilli des
documents sur des enfants héréditairement tarés. Il parle, entre
autres, d'une fille de trois ans qui se masturbait sans cesse et sans
vergogne. Une autre fille a commencé à l'âge de huit ans et a continué
à s'onaniser après son mariage, surtout pendant la durée de sa
grossesse. Elle a accouché douze fois. Cinq de ses enfants sont morts
très jeunes; quatre étaient des hydrocéphales, deux (des garçons) se
sont livrés à la masturbation, l'un à partir de l'âge de quatre ans,
l'autre à partir de l'âge de sept ans.
Zambacco (L'Encéphale, 1882, nº 12) raconte l'histoire
abominable de deux soeurs avec précocité et perversion du sens sexuel.
L'aînée, R..., se masturbait déjà à l'âge de sept ans, stupra cum
pueris faciebat, volait quand elle pouvait le faire, sororem
quatuor annorum ad masturbationem illixit, faisait à l'âge de dix
ans les actes les plus hideux, ne put pas même être détournée de sa
rage par le ferrum candens ad clitoridem; elle se masturba une
fois avec la soutane d'un prêtre pendant que celui-ci l'exhortait à
s'amender, etc., etc.
2º Réveil du penchant sexuel à l'âge de sénilité.--Il y a des
cas rares où l'instinct sexuel se conserve jusqu'à un âge très avancé. «Senectus
non quidem annis sed viribus magis æstimatur» (Zittmann). OEsterlen
(Maschkas Handbuch, III, p. 18) rapporte même le cas d'un
vieillard de quatre-vingt-trois ans qui fut condamné par une cour
d'assises wurtembergeoise à trois ans de travaux forcés pour délit
contre les moeurs. Malheureusement il ne dit rien du genre du délit ni
de l'état psychique de l'accusé.
Les manifestations de l'instinct sexuel à un âge très avancé ne
constituent pas, par elles-mêmes, un cas pathologique. Mais il faut
nécessairement admettre des conditions pathologiques quand l'individu
est usé (décrépitude), quand sa vie sexuelle est déjà éteinte depuis
longtemps, et quand, chez un homme dont autrefois peut-être les besoins
sexuels n'étaient pas très forts, l'instinct se manifeste avec une
grande puissance et demande à être satisfait impérieusement, souvent
même se pervertit.
Dans de pareils cas, le bon sens fera soupçonner l'existence de
conditions pathologiques. La science médicale a bien établi qu'un
penchant de ce genre est basé sur des changements morbides dans le
cerveau, altérations qui peuvent mener à l'idiotie sénile (gagaïsme,
gâtisme).
Ce phénomène morbide de la vie sexuelle peut être le précurseur de la
démence sénile et se présente longtemps avant qu'il existe des faits
manifestes de faiblesse intellectuelle. L'observateur attentif et
expérimenté pourra toujours démontrer, même dans cette phase
prodromique, un changement de caractère in pejus et un
affaiblissement du sens moral qui va de pair avec cet étrange réveil
sexuel. Le libido de l'homme qui est sur le point de tomber en
démence sénile, se manifeste au début par des paroles et des gestes
lascifs. Les enfants sont les premiers attaqués par ces vieillards
cyniques, qui sont en train de verser dans l'atrophie cérébrale, et
dans la dégénérescence psychique. Les occasions plus faciles d'aborder
les enfants, et aussi la conscience d'une puissance défectueuse,
peuvent expliquer ce fait attristant; une puissance génésique
défectueuse et un sens moral très abaissé expliquent encore pourquoi
les actes sexuels de ces vieillards sont toujours pervers. Ce sont des
équivalents de l'acte physiologique dont ils ne sont plus capables.
Comme tels, les annales de la médecine légale enregistrent l'exhibition
des parties génitales (voir Lasègue: Les exhibitionnistes. Union
médicale, 1871, 1er mai), l'attouchement voluptueux des parties
génitales des enfants (Legrand du Saulle, La folie devant les
tribunaux, p. 30), l'excitation des enfants à la masturbation du
séducteur, l'onanisation de la victime (Hirn, Maschkas Handbuch d.
ger. Med., p. 373), la flagellation des enfants.
Dans cette phase, l'intelligence du vieillard peut encore être assez
conservée pour qu'il cherche à éviter l'éclat et les révélations,
tandis que son sens moral a trop baissé pour qu'il puisse juger de la
moralité de l'acte et pour qu'il puisse résister à son penchant. Avec
l'apparition de la démence, ces actes deviennent de plus en plus
éhontés. Alors la préoccupation d'impuissance disparaît et le malade
recherche des adultes; mais sa puissance génésique défectueuse le
réduit à se contenter des équivalents du coït. Dans ce cas, le
vieillard est souvent amené à la sodomie, et alors, comme le fait
remarquer Tarnoswsky (op. cit., p. 77), dans l'acte sexuel avec
des oies, des poules, etc., l'aspect de l'animal mourant, ses
mouvements convulsifs procurent une satisfaction complète au malade.
Les actes sexuels pervers accomplis sur des adultes sont aussi
abominables et aussi psychologiquement compréhensibles d'après les
faits que nous venons de mentionner.
L'observation 49 de mon traité de Psychopathologie légale nous
montre combien le désir sexuel peut devenir intense au cours de la dementia
senilis quum senex libidinosus germanam suam filiam æmulatione motus
necaret et adspectu pectoris cæsi puellæ moribundæ delectaretur.
Dans le cours de cette maladie, des délires érotiques peuvent se
produire avec épisodes maniaques ou sans ces épisodes, ainsi que cela
ressort du fait suivant.
OBSERVATION 1.--J. René s'est adonné de tout temps aux plaisirs
sexuels, mais en gardant le décorum. Il a, depuis l'âge de
soixante-seize ans, montré un affaiblissement graduel de ses facultés
mentales en même temps qu'une augmentation progressive dans la
perversion du sens moral. Autrefois avare et de très bonne tenue, consumpsit
bona sua cum meretricibus, lupanaria frequentabat, ab omni femina in
via occurrente, ut uxor fiat sua voluit, aut ut coitum concederet,
et il a tellement offensé les moeurs publiques, qu'il a fallu
l'interner dans une maison d'aliénés. Là, son excitation sexuelle se
surexcita et devint un état de véritable satyriasis qui dura jusqu'à sa
mort. Il se masturbait sans cesse, même en public, divaguait sur des
idées obscènes; il prenait les hommes de son entourage pour des femmes
et les poursuivait de ses sales propositions (Legrand du Saulle, La
Folie, p. 533).
Un pareil état d'excitation sexuelle exagérée (nymphomanie, furor
uterinus) peut se produire chez des femmes tombées en dementia
senilis, bien qu'elles aient été auparavant des femmes très
convenables.
Il ressort de la lecture de Schopenhauer (Le monde comme volonté et
comme représentation, 1859, t. II, p. 461) que, dans la dementia
senilis, le penchant morbide et pervers peut se porter
exclusivement vers les personnes du sexe du malade (voir plus loin). La
manière de satisfaire ce penchant est, dans ce cas, la pédérastie
passive ou la masturbation mutuelle, comme je l'ai constaté dans le cas
suivant.
OBSERVATION 2.--M. X..., quatre-vingts ans, d'une haute position
sociale, issu d'une famille tarée, cynique, a toujours eu de grands
besoins sexuels. Selon son propre aveu, il préférait, étant encore
jeune homme, la masturbation au coït. Il eut des maîtresses, fit à
l'une d'elles un enfant, se maria par amour à l'âge de quarante-huit
ans et fit encore six enfants; durant la période de sa vie conjugale,
il ne donna jamais à son épouse aucun motif de se plaindre. Je ne pus
avoir que des détails incomplets sur sa famille. Il est cependant
établi que son frère était soupçonné d'amour homosexuel et qu'un de ses
neveux est devenu fou à la suite d'excès de masturbation. Depuis des
années, le caractère du patient qui était bizarre et sujet à des
explosions violentes de colère, est devenu de plus en plus excentrique.
Il est devenu méfiant et la moindre contrariété dans ses désirs le met
dans un état qui peut provoquer des accès de rage pendant lesquels il
lève même la main sur son épouse.
Depuis un an on a remarqué chez lui des symptômes nets de dementia
senilis incipiens. La mémoire s'est affaiblie; il se trompe sur les
faits du passé et parfois ne sait plus s'y reconnaître. Depuis quatorze
mois, on constate chez ce vieillard de véritables explosions d'amour
pour certains de ses domestiques hommes, particulièrement pour un
garçon jardinier. D'habitude tranchant et hautain envers ses
subalternes, il comble ce favori de faveurs et de cadeaux, et ordonne à
sa famille ainsi qu'aux employés de sa maison de montrer la plus grande
déférence à ce garçon. Il attend, dans un état de véritable rut, les
heures de rendez-vous. Il éloigne de la maison sa famille pour pouvoir
rester seul et sans gêne avec son favori; il s'enferme avec lui pendant
des heures entières et, quand les portes se rouvrent, on trouve le
vieillard tout épuisé, couché sur son lit. En dehors de cet amant, ce
vieillard a encore périodiquement des rapports avec d'autres
domestiques mâles. Hoc constat amatos eum ad se trahere, ab iis
oscula concupiscere, genitalia sua tangi jubere itaque masturbationem
mutuam fieri. Ces manies produisent chez lui une véritable
démoralisation. Il n'a plus conscience de la perversité de ses actes
sexuels, de sorte que son honorable famille est désolée et n'a d'autre
recours que de le mettre sous tutelle, de le placer dans une maison de
santé. On n'a pu constater chez lui d'excitation érotique pour l'autre
sexe, bien qu'il partage encore avec sa femme la chambre à coucher
commune. En ce qui concerne la sexualité pervertie et le complet
affaissement du sens moral de ce malheureux, il est à remarquer, comme
fait curieux, qu'il questionne les servantes de sa belle-fille pour
savoir si cette dernière n'a pas d'amant.
B.--ANESTHÉSIE (MANQUE DE PENCHANT SEXUEL)
1º Comme anomalie congénitale.--On ne peut considérer comme
exemples incontestables d'absence du sens sexuel, occasionnée par des
causes cérébrales, que les cas dans lesquels, malgré le développement
et le fonctionnement normal des parties génitales (production du
sperme, menstruation), tout penchant pour la vie sexuelle manque
absolument ou a manqué de tout temps. Ces individus sans sexe, au point
de vue fonctionnel, sont très rares. Ce sont des êtres dégénérés chez
lesquels on peut rencontrer des troubles cérébraux fonctionnels, des
symptômes de dégénérescence psychique et même des stigmates de
dégénérescence anatomique. Legrand du Saulle cite un cas classique et
qui rentre dans cette catégorie (Annales médico-psychol., 1876,
mai.)
OBSERVATION 3.--D..., trente-trois ans, né d'une mère atteinte de la
monomanie de la persécution. Le père de cette femme était également
atteint de la monomanie de la persécution et finit par le suicide. La
mère était folle, et la mère de celle-ci a été prise de folie
puerpérale. Trois frères du malade sont morts en bas âge, un autre
survivant était d'un caractère anormal. D... était déjà, à l'âge de
treize ans, hanté par l'idée qu'il deviendrait fou. À l'âge de quatorze
ans, il fit une tentative de suicide.
Plus tard, vagabondage; comme soldat, fréquents actes d'insubordination
et folies.
Il était d'une intelligence bornée, ne présentait aucun symptôme de
dégénérescence, avait les parties génitales normales, et eut, à l'âge
de dix-sept ou dix-huit ans, des écoulements de sperme. Il ne s'est
jamais masturbé, n'a jamais eu de sentiments sexuels et n'a jamais
désiré avoir des rapports avec les femmes.
OBSERVATION 4.--P..., trente-six ans, journalier, a été reçu au
commencement du mois de novembre dans ma clinique pour une paralysie
spinale spasmodique. Il prétend être issu d'une famille bien portante.
Depuis l'enfance il est bègue. Le crâne est microcéphale. Le malade est
un peu niais. Il n'a jamais été sociable et n'a jamais eu de penchants
sexuels. L'aspect d'une femme ne lui dit rien. Jamais il ne s'est
manifesté chez lui de penchant pour la masturbation. Il a des érections
fréquentes, mais seulement le matin, à l'heure du réveil, lorsque la
vessie est pleine; il n'y a pas trace d'excitation sexuelle. Les
pollutions chez lui sont très rares pendant son sommeil, environ une
fois par an, et alors il rêve qu'il a affaire à des femmes. Mais ces
rêves n'ont pas un caractère érotique bien net. Il prétend ne pas
éprouver de sensation de volupté proprement dite au moment de la
pollution. Il affirme que son frère, âgé de trente-quatre ans, est, au
point de vue sexuel, constitué comme lui; quant à sa soeur, il la croit
dans le même cas. Un frère cadet, dit-il, est d'une sexualité normale.
L'examen des parties génitales du malade n'a pas permis de constater
aucune anomalie, sauf un phimosis.
Hammond (Impuissance sexuelle, Berlin, 1889), ne peut citer
parmi ses nombreuses observations que les trois cas suivants d'anæsthesia
sexualis:
OBSERVATION 5.--W..., trente-trois ans, vigoureux, bien portant, avec
des parties génitales normales, n'a jamais éprouvé de libido et
a en vain essayé d'éveiller son sens sexuel absent par des lectures
obscènes et des relations avec des mérétrices.
Ces tentatives ne lui causaient qu'un dégoût allant jusqu'à la nausée,
de l'épuisement nerveux et physique; et même, lorsqu'il força la
situation, il ne put qu'une seule fois arriver à une érection bien
passagère. W... ne s'est jamais masturbé; depuis l'âge de dix-sept ans,
il a eu une pollution tous les deux mois. Des intérêts importants
exigeaient qu'il se mariât. Il n'avait pas l'horror feminæ,
désirait vivement avoir un foyer et une femme, mais il se sentait
incapable d'accomplir l'acte sexuel, et il est mort célibataire pendant
la guerre civile de l'Amérique du Nord.
OBSERVATION 6.--X..., vingt-sept ans, avec des parties génitales
normales, n'a jamais éprouvé de libido. L'érection ne peut
avoir lieu par des excitations mécaniques ni par la chaleur; mais, au
lieu du libido, il se produit alors chez lui un penchant aux
excès alcooliques. Par contre, ces derniers provoquaient des érections
spontanées et, dans ces moments, il se masturbait parfois. Il avait de
l'aversion pour les femmes et le coït lui causait du dégoût.
S'il en essayait lorsqu'il était en érection, celle-ci cessait
immédiatement. Il est mort dans le coma, par suite d'un accès
d'hyperhémie du cerveau.
OBSERVATION 7.--Mme O..., d'une constitution normale, bien portante,
bien réglée, âgée de trente-cinq ans, mariée depuis quinze ans, n'a
jamais éprouvé de libido, et n'a jamais ressenti de sensation
érotique dans le commerce sexuel avec son mari. Elle n'avait pas
d'aversion pour le coït, et il paraît que parfois elle le trouvait
agréable, mais elle n'avait jamais le désir de répéter la cohabitation.
À côté de ces cas de pure anesthésie, nous devons rappeler aussi ceux
où, comme dans les précédents, le côté psychique de la vita sexualis
présente une page blanche dans la biographie de l'individu, mais où de
temps en temps des sentiments sexuels rudimentaires se manifestent au
moins par la masturbation. (Comparez le cas transitoire, observation
6.) D'après la subdivision établie par Magnan, classification
intelligente mais non rigoureusement exacte et d'ailleurs trop
dogmatique, la vie sexuelle serait, dans ce cas, limitée dans la zone
spinale. Il est possible que, dans certains de ces cas, il existe
néanmoins virtuellement un coté psychique de la vita sexualis,
mais il a des bases faibles et se perd par la masturbation avant de
pouvoir prendre racine pour se développer ultérieurement.
Ainsi s'expliqueraient les cas intermédiaires entre l'anesthésie
sexuelle (psychique) congénitale et l'anesthésie acquise. Celle-ci
menace nombre de masturbateurs tarés. Au point de vue psychologique, il
est intéressant de constater que, lorsque la vie sexuelle se dessèche
trop vite, il se produit aussi une défectuosité éthique.
Comme exemples remarquables, citons les deux faits suivants que j'ai
déjà cités autrefois dans l'Archiv für Psychiatrie:
OBSERVATION 8.--F... J..., dix-neuf ans, étudiant, est né d'une mère
nerveuse dont la soeur était épileptique. À l'âge de quatre ans,
affection aiguë du cerveau qui a duré quinze jours. Enfant, il n'avait
pas de coeur; froid pour ses parents; comme élève, il était étrange,
renfermé, s'isolait, toujours cherchant et lisant. Bien doué pour
l'étude. À partir de l'âge de quinze ans, il s'est livré à la
masturbation. Depuis sa puberté, il a un caractère excentrique, hésite
continuellement entre l'enthousiasme religieux et le matérialisme,
étudie la théologie et les sciences naturelles. À l'Université, ses
camarades le considéraient comme un toqué. Il lisait alors
exclusivement Jean-Paul et faisait l'école buissonnière. Manque absolu
de sentiments sexuels pour l'autre sexe. S'est laissé une fois
entraîner au coït, mais n'y a éprouvé aucun plaisir sexuel, a trouvé
que le coït est une ineptie et n'a jamais essayé d'y revenir. Sans
aucun motif sérieux, l'idée de suicide lui est venue souvent; il en a
fait le sujet d'une thèse philosophique dans laquelle il déclare que le
suicide ainsi que la masturbation sont des actes très utiles. Après des
études préliminaires répétées sur l'effet des poisons qu'il essayait
sur lui-même, il a tenté de se suicider avec 57 grammes d'opium; mais
il guérit et on le transporta dans un asile d'aliénés.
Le malade est dépourvu de tout sentiment moral et social. Ses écrits
dénotent une banalité et une frivolité incroyables. Il possède de
vastes connaissances, mais sa logique est tout à fait étrange et
biscornue. Il n'y a pas trace de sentiments affectifs. Avec une ironie
et une indifférence de blasé sans pareil, il raille tout, même les
choses les plus sublimes. Avec des sophismes et de fausses conclusions
philosophiques, il plaide la légitimité du suicide, dont il a
l'intention d'user, comme un autre accomplirait une affaire des plus
ordinaires. Il regrette qu'on lui ait enlevé son canif. Sans cela, il
aurait pu, comme Sénèque, s'ouvrir les veines pendant qu'il était au
bain. Un ami lui donna dernièrement un purgatif au lieu d'un poison
qu'il avait demandé. Il dit, en faisant un calembour, que cette drogue
l'avait mené aux cabinets au lieu de le mener dans l'autre monde. Seul
le grand opérateur, armé de la faux du trépas, pourrait lui couper sa
«vieille idée folle et dangereuse», etc.
Le malade a le crâne volumineux, de forme rhomboïde, et déformé; la
partie gauche du front est plus plate que la partie droite. L'occiput
est très droit. Les oreilles sont très écartées et fortement décollées;
l'orifice extérieur de l'oreille forme une fente étroite. Les parties
génitales sont flasques, les testicules très mous et très petits.
Quelquefois le malade se plaint d'être possédé de la manie du doute. Il
est forcé de creuser les problèmes les plus inutiles, hanté par une
obsession qui dure des heures entières, qui lui est pénible et qui le
fatigue outre mesure. Il se sent alors tellement exténué, qu'il n'est
plus capable de concevoir aucune idée juste.
Au bout d'un an, le malade a été renvoyé de l'asile comme incurable.
Rentré chez lui, il passait son temps à lire et à pleurer, s'occupait
de l'idée de fonder un nouveau christianisme parce que, dit-il, le
Christ était atteint de la monomanie des grandeurs et avait dupé le
monde avec des miracles (!).
Après un séjour d'un an chez son père, une excitation psychique s'étant
subitement produite, il fut de nouveau interné dans l'asile. Il
présentait un mélange de délire initial, de délire de persécution
(diable, antéchrist, se croit persécuté, monomanie de l'empoisonnement,
voix qui le persécutent) et de monomanie des grandeurs (se croit le
Christ, le Rédempteur de l'univers). En même temps ses actes étaient
impulsifs et incohérents. Au bout de cinq mois, cette maladie mentale
intercurrente disparaissait, et le malade revenait à son état
d'incohérence intellectuelle primitive et de défectuosité morale.
OBSERVATION 9.--E..., trente ans, ouvrier peintre sans place, a été
pris en flagrant délit: il voulait couper le scrotum d'un garçon qu'il
avait attiré dans un bois. Il donna comme motif qu'il voulait détruire
cette partie du corps, pour que le monde ne se peuple pas davantage.
Dans son enfance, disait-il, il s'était, pour la même raison, fait des
coupures aux parties génitales. Son arbre généalogique ne peut pas être
établi. Dès son enfance, E... était un anormal au point de vue
intellectuel; il rêvassait, n'était jamais gai; facile à exciter,
emporté, il allait toujours méditant; c'était un faible d'esprit. Il
détestait les femmes, aimait la solitude, et lisait beaucoup.
Quelquefois il riait en lui-même et faisait des bêtises. Dans ces
dernières années, sa haine des femmes s'est accentuée; il en veut
surtout aux femmes enceintes par qui, dit-il, la misère s'augmente dans
le monde. Il déteste aussi les enfants, maudit celui qui lui a donné la
vie; il a des idées communistes, s'emporte contre les riches et les
prêtres, contre Dieu qui l'a fait naître si pauvre. Il déclare qu'il
vaudrait mieux châtrer les enfants que d'en faire de nouveaux qui
seront condamnés à la pauvreté et à la misère. Ce fut toujours son
idée, et, à l'âge de quinze ans déjà, il avait essayé de s'émasculer
pour ne pas contribuer au malheur et à l'augmentation du nombre des
hommes. Il méprise le sexe féminin qui contribue à augmenter la
population. Deux fois seulement, dans sa vie, il s'est fait manustuprer
par des femmes; sauf cet incident il n'a jamais eu affaire avec elles.
Il a, de temps en temps, des désirs sexuels, c'est vrai, mais jamais le
désir de leur donner une satisfaction naturelle.
E... est un homme vigoureux et bien musclé. La constitution de ses
parties génitales n'accuse rien d'anormal. Sur le scrotum et sur le
pénis on trouve de nombreuses cicatrices de coupures, traces
d'anciennes tentatives d'émasculation. Il prétend que la douleur l'a
empêché d'exécuter complètement son projet. À la jointure du genou
droit il existe un genu valgum. On n'a pu noter aucun symptôme
d'onanisme. Il est d'un caractère sombre, entêté et emporté. Les
sentiments sociaux lui sont absolument étrangers. En dehors de
l'insomnie et de maux de tête fréquents, il n'y a pas chez lui de
troubles fonctionnels.
Il faut distinguer ces cas cérébraux de ceux où l'absence ou bien
l'atrophie des organes de la génération constituent la cause de
l'impotence fonctionnelle, ainsi que cela se voit chez les
hermaphrodites, les idiots et les crétins.
Un cas de ce genre se trouve mentionné dans le livre de Maschka.
OBSERVATION 10.--La plaignante demande le divorce à cause de
l'impuissance de son mari qui n'a encore jamais accompli avec elle
l'acte sexuel. Elle a trente et un ans et elle est vierge. L'homme est
un peu faible d'esprit; au physique il est fort; les parties génitales
extérieures sont bien constituées. Il prétend n'avoir jamais eu
d'érection complète ni d'éjaculation, et il dit que les rapports avec
les femmes le laissent absolument indifférent.
L'aspermie seule ne peut pas être une cause d'anesthésie sexuelle; car,
d'après les expériences d'Ullzmann[25], même dans le cas d'aspermie
congénitale, la vita sexualis et la puissance génésique peuvent
se produire d'une façon tout à fait satisfaisante. C'est une nouvelle
preuve que l'absence du libido ab origine ne doit pas être
attribuée qu'à des causes cérébrales.
Les naturæ frigidæ de Zacchias représentent une forme atténuée
de l'anesthésie. On les rencontre plus souvent chez les femmes que chez
les hommes. Peu de penchant pour les rapports sexuels et même aversion
manifeste, bien entendu sans avoir un autre équivalent sexuel, absence
de toute émotion psychique ou voluptueuse pendant le coït qu'on accorde
simplement par devoir, voilà les symptômes de cette anomalie de
laquelle j'ai souvent entendu des maris se plaindre devant moi. Dans de
pareils cas, il s'agissait toujours de femmes névropathiques ab
origine. Certaines d'entre elles étaient en même temps hystériques.
2º Anesthésie acquise.--La diminution acquise du penchant
sexuel ainsi que l'extinction de ce sentiment, peut être attribuée à
diverses causes.
Celles-ci peuvent être organiques ou fonctionnelles, psychiques ou
somatiques, centrales ou périphériques.
À mesure qu'on avance en âge, il se produit physiologiquement une
diminution du libido; de même, immédiatement après l'acte
sexuel, il y a disparition temporaire du libido.
Les différences en ce qui concerne la durée de la conservation du
penchant sexuel sont très grandes et variables selon la nature de
chaque individu. L'éducation et le genre de vie ont une grande
influence sur l'intensité de la vita sexualis.
Les occupations qui fatiguent l'esprit (études approfondies), le
surmenage physique, l'abstinence, les chagrins, la continence sexuelle
sont sûrement nuisibles à l'entretien du penchant sexuel.
L'abstinence agit d'abord comme stimulant. Tôt ou tard, selon la
constitution physique, l'activité des organes génitaux se relâche et en
même temps le libido s'affaiblit.
En tout cas, il y a chez l'individu sexuellement mûr, une corrélation
intime entre le fonctionnement de ses glandes génésiques et le degré de
son libido. Mais le premier n'est pas toujours décisif, ainsi
que nous le démontre ce fait que des femmes sensuelles, même après la
ménopause, continuent leurs rapports sexuels et peuvent présenter des
phases d'excitation sexuelle, mais d'origine cérébrale.
On peut aussi, chez les eunuques, voir le libido subsister
longtemps encore après que la production du sperme a cessé.
D'autre part, l'expérience nous apprend que le libido a pour
condition essentielle la fonction des glandes génésiques, et que les
faits que nous venons de citer ne constituent que des phénomènes
exceptionnels. Comme causes périphériques de la diminution du libido
ou de sa disparition, on peut admettre la castration, la dégénérescence
des glandes génésiques, le marasme, les excès sexuels sous forme de
coït et de masturbation, l'alcoolisme. De même, on peut expliquer la
disparition du libido dans le cas de troubles généraux de la
nutrition (diabète, morphinisme etc.)
Enfin nous devons encore faire mention de l'atrophie des testicules
qu'on a quelquefois constatée à la suite des maladies des centres
cérébraux (cervelet).
Une diminution de la vita sexualis due à la dégénérescence des
nerfs et du centre génito-spinal, se produit dans les cas de maladies
du cerveau et de la moelle épinière. Une lésion d'origine centrale
atteignant l'instinct sexuel peut être produite organiquement par une
maladie de l'écorce cérébrale (dementia paralytica à l'état
avancé), fonctionnellement par l'hystérie (anesthésie centrale), et par
la mélancolie ou l'hypocondrie.
C.--HYPERESTHÉSIE (EXALTATION MORBIDE DE L'INSTINCT SEXUEL)
La pathologie se trouve en présence d'une grande difficulté quand elle
doit, même dans un cas isolé, dire si le désir de la satisfaction
sexuelle a atteint un degré pathologique. Emminghaus (Psychopathologie,
p. 225) considère comme évidemment morbide le retour du désir
immédiatement après la satisfaction sexuelle, surtout si ce désir
captive toute l'attention de l'individu; il porte le même jugement
quand le libido se réveille à l'aspect de personnes et d'objets
qui en eux-mêmes n'offrent aucun intérêt sexuel. En général, l'instinct
sexuel et le besoin correspondant sont proportionnés à la force
physique et à l'âge.
À partir de l'époque de la puberté, l'instinct sexuel monte rapidement
à une intensité considérable; il est très puissant entre 20 et 40 ans,
il diminue ensuite lentement. La vie conjugale paraît conserver et
régler l'instinct.
Les changements répétés d'objet dans la satisfaction sexuelle
augmentent les désirs. Comme la femme a moins de besoins sexuels que
l'homme, une augmentation de ces besoins chez elle doit toujours faire
supposer un cas pathologique, surtout quand ils se manifestent par
l'amour de la toilette, par la coquetterie ou même par l'andromanie, et
font dépasser les limites tracées par les convenances et les bonnes
moeurs.
Dans les deux sexes, la constitution physique joue un rôle important.
Souvent une constitution névropathique s'accompagne d'une augmentation
morbide du besoin sexuel; des individus atteints de cette défectuosité
souffrent pendant une grande partie de leur existence et portent
péniblement le poids de cette anomalie constitutionnelle de leur
instinct. Par moments la puissance de l'instinct sexuel peut acquérir
chez eux l'importance d'une mise en demeure organique et compromettre
sérieusement leur libre arbitre. La non-satisfaction du penchant peut
alors amener un véritable rut ou un état psychique plein d'angoisse,
état dans lequel l'individu succombe à son instinct: alors sa
responsabilité devient douteuse.
Si l'individu ne succombe pas à la violence de son penchant, il court
risque d'amener, par une abstinence forcée, son système nerveux à la
neurasthénie ou d'augmenter gravement une neurasthénie déjà existante.
Même chez les individus d'une organisation normale, l'instinct sexuel
n'est pas une quantité constante. À part l'indifférence temporaire qui
suit la satisfaction, l'apaisement de l'instinct par une abstinence
prolongée qui a pu surmonter heureusement certaines phases de réaction
du désir sexuel, exerce une grande influence sur la vita sexualis;
il en est de même du genre de vie.
Les habitants des grandes villes qui sont sans cesse ramenés aux choses
sexuelles et excités aux jouissances ont assurément de plus grands
besoins génésiques que les campagnards. Une vie sédentaire, luxueuse,
pleine d'excès, une nourriture animale, la consommation de l'alcool,
des épices, etc., ont un effet stimulant sur la vie sexuelle.
Chez la femme, le désir augmente après la menstruation. Chez les femmes
névropathiques l'excitation, à cette période, peut atteindre à un degré
pathologique.
Un fait très remarquable, c'est le grand libido des phtisiques.
Hoffmann rapporte le cas d'un paysan phtisique qui, la veille de sa
mort, avait encore satisfait sa femme.
Les actes sexuels sont: le coït (éventuellement le viol), faute de
mieux, la masturbation, et, lorsqu'il y a défectuosité du sens moral,
la pédérastie et la bestialité. Si, à côté d'un instinct sexuel
démesuré, la puissance a baissé ou même s'est éteinte, alors toutes
sortes d'actes de perversité sexuelle sont possibles.
Le libido excessif peut être provoqué par une cause
périphérique ou centrale. Il peut avoir pour cause le prurit des
parties génitales, l'eczéma, ainsi que l'action de certaines drogues
qui stimulent le désir sexuel, comme par exemple les cantharides.
Chez les femmes, il y a souvent, au moment de la ménopause, une
excitation sexuelle occasionnée par le prurit; mais souvent ce fait se
produit lorsqu'elles sont tarées au point de vue nerveux. Magnan (Annales
médico-psychol., 1885) rapporte le cas d'une dame qui avait les
matins de terribles accès d'erethismus genitalis, et celui d'un
homme de cinquante-cinq ans qui, pendant la nuit, était torturé par un
priapisme insupportable. Dans les deux cas il y avait nervosisme.
Une excitation sexuelle d'origine centrale se produit souvent chez des
individus tarés, comme les hystériques, et dans les états d'exaltation
psychique[26].
[Note 26: Pour les individus chez lesquels l'hyperesthésie sexuelle
très avancée va de pair avec la faiblesse sensitive et acquise de
l'appareil sexuel, il peut même arriver qu'au seul aspect de femmes
désirables, le mécanisme non seulement de l'érection, mais même celui
de l'éjaculation soit mis en action sans qu'il y ait une excitation
périphérique des parties génitales. Le mouvement part alors du centre
psychosexuel. Il suffit à ces individus de se trouver en face d'une
femme, soit dans un wagon de chemin de fer, soit dans un salon ou
ailleurs: ils se mettent psychiquement en relation sexuelle et arrivent
à l'orgasme et à l'éjaculation.
Hammond (op. cit., p. 40) décrit une série de malades semblables
qu'il a traités pour de l'impuissance acquise. Il rapporte que ces
individus, pour désigner leur procédé, se servent de l'expression de
«coït idéal». A. Moll, de Berlin, m'a communiqué un cas tout à fait
analogue. À Berlin aussi on se servait de la même expression.]
Quand l'écorce cérébrale et le centre psychosexuel se trouvent dans un
état d'hyperesthésie (sensibilité anormale de l'imagination, facilité
des associations d'idées), non seulement les sensations visuelles et
tactiles, mais encore les sensations auditives et olfactives peuvent
suffire pour évoquer des idées lascives.
Magnan (op. cit.) rapporte le cas d'une demoiselle qui, dès sa
nubilité, eut des désirs sexuels toujours croissants et qui, pour les
satisfaire, se livrait à la masturbation. Par la suite, cette dame
éprouvait, à l'aspect de n'importe quel homme, une violente émotion
sexuelle, et, comme alors elle ne pouvait pas répondre d'elle, elle se
renfermait dans sa chambre où elle restait jusqu'à ce que l'orage fût
passé. Finalement elle se livrait à tout venant pour calmer les désirs
violents qui la faisaient souffrir. Mais ni le coït, ni l'onanisme ne
lui procuraient le soulagement désiré, et elle fut internée dans un
asile d'aliénés.
On peut citer encore le cas d'une mère de cinq enfants qui, se sentant
malheureuse à cause de la violence de ses désirs sexuels, fit plusieurs
tentatives de suicide et demanda plus tard à être admise dans une
maison de santé. Là son état s'améliora, mais elle n'osait plus quitter
l'asile.
On trouve plusieurs cas bien caractéristiques concernant des individus
des deux sexes, dans l'ouvrage de l'auteur de Ueber gewisse
Anomalien des Geschlechtstriebs, Observations 6 et 7 (Archiv für
Psychiatrie, VII, 2.)
En voici deux.
OBSERVATION 11.--Le 7 juillet 1874, dans l'après-midi, l'ingénieur
Clemens qui se rendait pour affaires de Trieste à Vienne, quitta le
train à la station de Bruck, et, traversant la ville, vint dans la
commune de Saint-Ruprecht, située près de Bruck, où il fit une
tentative de viol sur une femme de soixante-dix ans restée seule à la
maison. Il fut pris par les habitants du village et arrêté par les
autorités locales. Interrogé, il prétendit qu'il avait voulu chercher
l'établissement de voirie pour assouvir sur une chienne son instinct
sexuel surexcité. Il souffre souvent de pareils accès de surexcitation.
Il ne nie pas son acte, mais il l'excuse par sa maladie. La chaleur, le
cahot du wagon, le souci de sa famille qu'il voulait rejoindre, lui ont
complètement troublé les sens et l'ont rendu malade. Il ne manifeste ni
honte, ni repentir. Son attitude était franche; il avait l'air calme;
les yeux étaient rouges, brillants; la tête chaude, la langue blanche,
le pouls plein, mou, battant plus de 100 pulsations, les doigts un peu
tremblants.
Les déclarations de l'accusé sont précises, mais précipitées; son
regard est fuyant, avec l'expression manifeste de la lubricité. Le
médecin légiste, qui avait été appelé, a été frappé de son état
pathologique, comme si l'accusé eût été au début du délire alcoolique.
Clemens a quarante-cinq ans, est marié, père d'un enfant. Les
conditions de santé de ses parents et des autres membres de sa famille
lui sont inconnues. Dans son enfance, il était faible, névropathe. À
l'âge de cinq ans il a eu une lésion à la tête à la suite d'un coup de
houe. Il porte encore sur l'os de l'occiput droit et sur l'os frontal
droit une cicatrice longue d'un pouce et large d'un demi-pouce. L'os
est un peu enfoncé. La peau qui le recouvre est adhérente à l'os.
La pression sur cet endroit lui cause une douleur qui s'irradie dans la
branche inférieure du trijumeau. Souvent même il s'y produit
spontanément des douleurs. Dans sa jeunesse, il avait souvent des
syncopes. Avant l'âge de puberté, pneumonie rhumatismale et
inflammation d'intestins. Dès l'âge de sept ans, il éprouvait une
sympathie étrange pour les hommes, notamment pour un colonel. À
l'aspect de cet homme, il sentait comme un coup de poignard dans son
coeur; il embrassait le sol où le colonel avait mis le pied. À l'âge de
dix ans, il tomba amoureux d'un député du Reichstag. Plus tard encore,
il s'enflammait pour des hommes, mais cet enthousiasme était purement
platonique. À partir de quatorze ans, il se masturbait. À l'âge de
dix-sept ans, il avait ses premiers rapports avec des femmes. Avec
l'habitude du coït normal disparurent les anciens phénomènes
d'inversion sexuelle. Dans sa jeunesse il se trouvait dans un état
particulier de psychopathie aiguë qu'il désigne lui-même comme une
«sorte de clairvoyance». À partir de l'âge de quinze ans, il souffrit
d'hémorroïdes avec symptômes de plethora abdominalis. Après
l'abondante hémorragie hémorroïdale qu'il avait régulièrement toutes
les trois ou quatre semaines, il se sentait mieux. En outre il était
toujours en proie à une pénible excitation sexuelle qu'il soulageait
tantôt par l'onanisme, tantôt par le coït. Toute femme qu'il
rencontrait l'excitait. Même quand il se trouvait au milieu de femmes
de sa famille, il se sentait poussé à leur faire des propositions
immorales. Parfois il réussissait à dompter ses instincts; d'autres
fois il était irrésistiblement entraîné à des actes immoraux. Quand,
dans de pareils cas, on le mettait à part, il en était content; car,
disait-il, j'ai besoin d'une pareille correction et de ce soutien
contre ces désirs trop puissants qui me gênent moi-même. On n'a pu
reconnaître aucune périodicité dans ses excitations sexuelles.
Jusqu'en 1861, il fit des excès in Venere et récolta plusieurs
blennorrhagies et chancres.
En 1861, il se maria. Il se sentait satisfait sexuellement, mais
devenait importun à sa femme par ses besoins excessifs. En 1864, il
eut, à l'hôpital, un accès de monomanie; il retomba malade la même
année et fut transporté dans l'asile d'Y... où il resta interné
jusqu'en 1867.
Dans la maison de santé il souffrit de récidives de son état maniaque,
avec grandes excitations sexuelles. Il désigne comme cause de sa
maladie, à cette époque, un catarrhe intestinal et beaucoup de
contrariétés.
Plus tard, il se rétablit. Il était bien portant, mais souffrait
beaucoup de l'excès de ses besoins sexuels. Aussitôt qu'il était
éloigné de sa femme, son désir devenait si violent qu'il lui était égal
de le satisfaire avec des êtres humains ou avec des animaux. Pendant la
saison d'été surtout ces poussées devenaient excessives; en même temps
il se produisait un afflux de sang aux intestins. Clemens qui a des
réminiscences de lectures médicales, est d'avis que, chez lui, le
système ganglionnaire domine le système cérébral.
Au mois d'octobre 1873, ses occupations l'obligèrent à vivre loin de sa
femme. Jusqu'au jour de Pâques, il n'avait eu aucun rapport sexuel,
sauf qu'il s'était masturbé par-ci par-là. À partir de cette époque, il
se servait de femmes et de chiennes. Du 15 juin jusqu'au 7 juillet, il
n'avait eu aucune occasion de satisfaire son besoin sexuel. Il
éprouvait une agitation nerveuse, se sentait fatigué, il lui semblait
qu'il allait devenir fou. Le désir violent de revoir sa femme, qui
vivait à Vienne, l'éloignait de son service. Il prit un congé. La
chaleur de la route, la trépidation du chemin de fer, l'avaient
complètement troublé; il ne pouvait plus supporter son état de
surexcitation génitale, compliqué d'un fort afflux de sang aux
intestins. Il avait le vertige. Alors, arrivé à Bruck, il quitta le
wagon. Il était, dit-il, tout troublé, ne savait pas où il allait, et à
un moment l'idée lui vint de se jeter à l'eau; il y avait comme un
brouillard devant ses yeux.
Mulierem tunc adspexit, penem nudavit, feminamque
amplecti conatus est. La femme cependant cria au secours, et c'est
ainsi qu'il fut arrêté.
Après l'attentat, la conscience claire de son acte lui vint subitement.
Il l'avoua franchement, se souvint de tous les détails, mais il soutint
que son action avait quelque chose de morbide. C'était plus fort que
lui.
Clemens souffrait encore quelquefois de maux de tête, de congestions;
il était, par moments, très agité, inquiet, et dormait mal. Ses
fonctions intellectuelles ne sont pas troublées, mais c'est
naturellement un homme bizarre, d'un caractère mou et sans énergie.
L'expression de la figure a quelque chose de fauve et porte un cachet
de lubricité et de bizarrerie. Il souffre d'hémorroïdes. Les parties
génitales ne présentent rien d'anormal. Le crâne est, dans sa partie
frontale, étroit et un peu fuyant. Le corps est grand et bien fait.
Sauf une diarrhée, on n'a remarqué chez lui aucun trouble des fonctions
végétatives.
OBSERVATION 12.--Mme E..., quarante-sept ans. Un oncle maternel fut
atteint d'aliénation mentale; le père était un homme exalté qui faisait
des excès in Venere. Le frère de la malade est mort d'une
affection aiguë du cerveau. Dès son enfance, la malade était nerveuse,
excentrique, romanesque, et manifestait, à peine sortie de l'enfance,
un penchant sexuel excessif. Elle s'adonna, dès l'âge de dix ans, aux
jouissances sexuelles. Elle se maria à l'âge de dix-neuf ans. Elle
faisait assez bon ménage avec son mari. L'époux, bien que suffisamment
doué, ne lui suffisait pas; elle eut, jusqu'à ces dernières années,
toujours quelques amis en dehors de son mari. Elle avait pleine
conscience de la honte de ce genre de vie, mais elle sentait sa volonté
défaillir en présence du penchant insatiable qu'elle cherchait du moins
à dissimuler. Elle disait plus tard que c'était de l'andromanie
qu'elle avait souffert.
La malade a accouché six fois. Il y a six ans, elle est tombée de
voiture et a subi un ébranlement cérébral considérable. À la suite de
cet accident, il se produisit chez elle une mélancolie compliquée du
délire de la persécution. Cette maladie l'amena à l'asile d'aliénés. La
malade approche de la ménopause; elle a eu, ces temps derniers, des
menstrues fréquentes et très abondantes. La violence de son ancien
penchant s'est atténué, ce qu'elle constate avec plaisir. Son attitude
actuelle est décente. Faible degré de descensus uteri et prolapsus
ani.
L'hyperesthésie sexuelle peut être continue avec des exacerbations, ou
bien intermittente, ou même périodique. Dans le dernier cas, c'est une
névrose cérébrale particulière (voir la Pathologie spéciale), ou une
manifestation d'un état d'excitation psychique général (Manie
épisodique dans la dementia paralytica senilis, etc.).
Un cas remarquable de satyriasis intermittent a été publié par Lentz
dans le Bulletin de la Société de méd. légale de Belgique, nº
21.
OBSERVATION 13.--Depuis trois ans, le cultivateur D..., âgé de
trente-cinq ans, marié et jouissant de l'estime générale, avait des
accès d'excitation sexuelle, qui devenaient de plus en plus fréquents
et plus violents. Depuis un an, ces accès se sont aggravés et sont
devenus des crises de satyriasis. On n'a rien pu constater au point de
vue héréditaire, pas plus qu'au point de vue organique.
D... tempore, quum libidinibus valde afficeretur, decim vel
quindecim cohabitationes per 24 horas exegit, neque tamen cupiditates
suas satiavit.
Peu à peu se développait en lui un état d'éréthisme généralisé, avec
une irascibilité allant jusqu'à des accès de colère pathologiques; en
même temps, il se manifestait un penchant à abuser des boissons
alcooliques, et bientôt se montrèrent des symptômes d'alcoolisme. Ses
accès de satyriasis étaient tellement violents que le malade n'avait
plus d'idées nettes et que, poussé par son instinct aveugle, il se
laissait aller à des actes lascifs. Qua de causa factum est ut
uxorem suam alienis viris immovere animalibus ad coeundum tradi, cum
ipso filiabus præsentibus concubitum exsequi jusserit, propterea quod
hæc facta majorem ipsi voluptatem afferent. Il ne se souvient pas
du tout des faits qui se passent au moment de ces crises, et son
excitation extrême peut l'amener jusqu'à la rage. D... avoue qu'il a eu
des moments où il n'était plus maître de lui-même; s'il était resté
sans satisfaction, il eût été contraint de s'attaquer à la première
femme venue. Cet état d'excitation sexuelle disparaît tout d'un coup
après chaque émotion morale violente.
Les deux observations suivantes nous montrent quel état violent,
dangereux et pénible constitue l'hyperesthésie sexuelle pour ceux qui
sont atteints de cette anomalie.
OBSERVATION 14 (Hyperæsthesia sexualis. Delirium acutum ex
abstinentia).--Le 29 mai 1882, F..., vingt-trois ans, cordonnier,
célibataire, a été reçu à la clinique. Il est né d'un père coléreux,
très violent et d'une mère névropathique, dont le frère était aliéné.
Le sujet n'a jamais été gravement malade ni ne s'est adonné à la
boisson, mais, de tout temps, il a eu de grands besoins sexuels. Il y a
cinq jours, il a été atteint d'une affection psychique aiguë. Il a
fait, en plein jour et devant deux témoins, une tentative de viol, a eu
du délire obscène, s'est masturbé avec excès; il y a trois jours, il a
eu un accès de folie furieuse, et, lors de son arrivée à la clinique,
il était en état de delirium acutum très grave, avec de la
fièvre et des phénomènes d'excitation motrice très violents. Par un
traitement à l'ergotine, on amena la guérison.
Le 5 janvier 1888, le même individu fut reçu une seconde fois,
présentant des symptômes de folie furieuse. D'abord, il était morose,
irascible, disposé à pleurer et atteint d'insomnie. Ensuite, après
avoir attaqué sans succès des femmes, il se mit dans une rage de plus
en plus violente.
Le 6 janvier, son état s'est aggravé; il a du delirium acutum
très grave (jactation, grincement de dents, grimaces, etc., symptômes
d'incitations motrices; température allant jusqu'à 40°,7). Il se
masturbait tout à fait instinctivement. Il a été guéri par un
traitement énergique à l'ergotine, qui a duré jusqu'au 11 janvier.
Après sa guérison, le malade a donné des explications très
intéressantes sur la cause de sa maladie.
De tout temps, il eut de grands besoins sexuels. Son premier coït eut
lieu à l'âge de seize ans. La continence lui a causé des maux de tête,
une grande irascibilité psychique, de l'abattement, un manque de goût
pour le travail, de l'insomnie. Comme il vivait à la campagne, il
n'avait que rarement l'occasion de satisfaire ses besoins; il y
suppléait par la masturbation. Il lui fallait se masturber une ou deux
fois par jour.
Depuis deux mois, il n'avait pas coïté. Son excitation sexuelle s'est
de plus en plus exaltée; il ne pensait qu'au moyen de satisfaire son
instinct. La masturbation ne suffisait plus pour faire cesser les
tourments de plus en plus pénibles dus à la continence. Ces jours
derniers, il eut un désir violent de coïter; insomnie de plus en plus
aiguë et irritabilité. Il ne se souvient que sommairement de la période
de sa maladie. Le malade était guéri au mois de décembre. C'est un
homme très convenable. Il considère son instinct irrésistible comme un
cas pathologique et redoute l'avenir.
OBSERVATION 15.--Le 11 juillet 1884, R..., trente-trois ans, employé,
atteint de paranoia persecutoria et neurasthenia sexualis,
a été reçu à la clinique. Sa mère était névropathe. Son père est mort
d'une maladie de la moelle épinière. Dès son enfance, il eut un
instinct sexuel très puissant dont il prit pleine conscience à l'âge de
six ans. Depuis cette époque, masturbation; à partir de quinze ans,
pédérastie, faute de mieux; quelquefois tendances à la sodomie. Plus
tard, abus du coït dans le mariage, cum uxore. De temps à autre
même des impulsions perverses, idée de faire le cunnilingus, de
donner des cantharides à sa femme, dont le libido ne correspond
pas au sien. Peu de temps après le mariage, la femme mourut. La
situation économique du malade devient de plus en plus mauvaise; il n'a
plus les moyens de se procurer des femmes. Il revient à l'habitude de
la masturbation, se sert de lingua canis pour provoquer
l'éjaculation. De temps en temps accès de priapisme et état frisant le
satyriasis. Il était alors forcé de se masturber pour éviter le stuprum.
À mesure que la neurasthénie sexuelle a augmenté, s'accompagnant de
velléités de mélancolie, il y a diminution du libido nimia, ce
qu'il a considéré comme un soulagement salutaire.
Un exemple classique d'hyperesthésie sexuelle pure est le cas suivant
que j'emprunte à la Folie lucide de Trélat et qui est très
précieux pour l'étude de certaines Messalines, devenues célèbres dans
l'histoire.
OBSERVATION 16.--Mme V... souffre depuis sa première jeunesse d'andromanie.
De bonne famille, d'un esprit cultivé, bonne de caractère, d'une
décence allant jusqu'à la faculté de rougir, elle était, encore jeune
fille, la terreur de sa famille. Quandoquidem sola erat cum homine
sexus alterius, negligens, utrum infans sit an vir, an senex, utrum
pulcher an teter, statim corpus nudavit et vehementer libidines suas
satiari rogavit vel vim et manus ei injecit. On essaya de la guérir
par le mariage. Maritum quam maxime amavit neque tamen sibi
temperare potuit quin a quolibet viro, si solum apprehenderat, seu
servo, seu mercenario, seu discipulo coitum exposceret.
Rien ne put la guérir de ce penchant. Même lorsqu'elle fut devenue
grand'mère, elle resta Messaline. Puerum quondam duodecim annos
natum in cubiculum allectum stuprare voluit. Le garçon se défendit
et se sauva. Elle reçut une verte correction de son frère. C'était
peine perdue. On l'interna dans un couvent. Là, elle fut un modèle de
bonne tenue et n'encourut aucun reproche. Aussitôt revenue du couvent,
les scandales recommencèrent dans la ville. La famille la chassa et lui
servit une petite rente. Elle se mit à travailler et gagnait le
nécessaire, ut amantes sibi emere posset.
Quiconque aurait vu cette dame, mise proprement, de manières
distinguées et agréables, n'aurait pu se douter quels immenses besoins
sexuels elle avait encore à l'âge de soixante-cinq ans. Le 17 janvier
1854, sa famille, désespérée par de nouveaux scandales, la fit interner
dans une maison de santé. Elle y vécut jusqu'au mois de mai 1858 et y
succomba à une apoplexia cerebri à l'âge de soixante-treize
ans. Sa conduite, avec la surveillance de l'établissement, était
irréprochable. Mais aussitôt qu'on l'abandonnait à elle-même et qu'une
occasion favorable se présentait, ses penchants sexuels se faisaient
jour, même peu de temps avant sa mort. À l'exception de son anomalie
sexuelle, les aliénistes n'ont rien constaté chez elle pendant les
quatre années qu'ils la soignèrent.
D.--PARESTHÉSIE DU SENS SEXUEL (PERVERSION SEXUELLE)
Il se produit dans ce cas un état morbide des sphères de représentation
sexuelle avec manifestation de sentiments faisant que des
représentations, qui d'habitude doivent provoquer
physico-psychologiquement des sensations désagréables, sont au
contraire accompagnées de sensations de plaisir. Et même il peut se
produire une association anormale et tellement forte de ces deux
phénomènes qu'ils peuvent aller jusqu'à la forme passionnelle.
Comme résultat pratique, on a des actes pervertis (Perversion de
l'instinct sexuel). Ce cas se produit d'autant plus facilement que les
sensations de plaisir poussées jusqu'à la passion, empêchent la
manifestation des représentations contraires qui pourraient encore
exister et provoquer des sensations désagréables. Il se produit
toujours lorsque, par suite de l'absence totale des idées de morale,
d'esthétique ou de justice, les représentations contraires sont
devenues impossibles. Mais ce cas n'est que trop fréquent quand la
source des représentations et des sentiments éthiques (sentiment sexuel
normal) est troublée ou empoisonnée.
Il faut considérer comme pervertie toute manifestation de l'instinct
sexuel qui ne répond pas au but de la nature, c'est-à-dire à la
perpétuité de la race, si cette manifestation s'est produite malgré
l'occasion propice pour satisfaire d'une manière naturelle le besoin
sexuel. Les actes sexuels pervertis que la paresthésie provoque sont
très importants au point de vue clinique, social et médico-légal; aussi
est-il indispensable de les traiter ici à fond et de vaincre à cet
effet tout le dégoût esthétique et moral qu'ils nous inspirent.
La perversion de l'instinct sexuel, comme je le démontrerai plus loin,
ne doit pas être confondue avec la perversité des actes sexuels.
Celle-ci peut se produire sans être provoquée par des causes
psychopathologiques. L'acte pervers concret, quelque monstrueux qu'il
soit, n'est pas une preuve. Pour distinguer entre maladie (perversion)
et vice (perversité), il faut remonter à l'examen complet de l'individu
et du mobile de ses actes pervers. Voilà la clef du diagnostic. (Voir
plus bas.)
La paresthésie peut se combiner avec l'hyperesthésie. Cette combinaison
clinique se présente très souvent. Alors, on peut sûrement s'attendre à
des actes sexuels. La perversion de l'activité sexuelle peut avoir
comme objectif la satisfaction sexuelle avec des personnes de l'autre
sexe ou du même sexe.
Ainsi nous arrivons à classer en deux grands groupes les phénomènes de
la perversion sexuelle.
I.--AFFECTION SEXUELLE POUR DES PERSONNES DE L'AUTRE SEXE AVEC
MANIFESTATION PERVERSE DE L'INSTINCT.
A.--RAPPORTS ENTRE LA CRUAUTÉ ACTIVE, LA VIOLENCE ET LA
VOLUPTÉ.--SADISME[27]
[Note 27: Ainsi nommé d'après le mal famé marquis de Sade, dont les
romans obscènes sont ruisselants de volupté et de cruauté. Dans la
littérature française «Sadisme» est devenu le mot courant pour désigner
cette perversion.]
C'est un fait connu et souvent observé que la volupté et la cruauté se
montrent fréquemment associées l'une à l'autre. Des écrivains de toutes
les écoles ont signalé ce phénomène[28]. Même à l'état physiologique,
on voit fréquemment des individus sexuellement fort excitables mordre
ou égratigner leur consors pendant le coït[29].
[Note 28: Entre autres: Novalis, dans ses Fragmenten; Goerres: Christliche
Mystik, t. III, p. 400.]
[Note 29: Comparez les célèbres vers d'Alfred de Musset à l'Andalouse:
Qu'elle est superbe en son désordre Quand elle tombe les seins nus,
Qu'on la voit béante se tordre Dans un baiser de rage et mordre En
hurlant des mots inconnus! ]
Les anciens auteurs avaient déjà appelé l'attention sur la connexité
qui existe entre la volupté et la cruauté.
Blumröder (Ueber Irresein, Leipzig, 1836, p. 51) hominem
vidit qui compluria vulnera in musculo pectorali habuit, quæ femina
valde libidinosa in summa voluptate mordendo effecit.
Dans un essai «Ueber Lust und Schmerz» (Friedreichs Magazin
für Seelenkunde, 1830, II, 5), il appelle l'attention
particulièrement sur la corrélation psychologique qui existe entre la
volupté et la soif du sang. Il rappelle à ce sujet la légende indienne
de Siwa et Durga (Mort et Volupté), les sacrifices d'hommes avec
mystères voluptueux, les désirs sexuels de l'âge de puberté associés à
un penchant voluptueux pour le suicide, à la flagellation, aux
pincements, aux blessures faites aux parties génitales dans le vague et
obscur désir de satisfaire le besoin sexuel.
Lombroso aussi (Verzeni e Agnoletti, Roma, 1874) cite de
nombreux exemples de tendance à l'assassinat pendant la surexcitation
produite par la volupté.
Par contre, bien souvent, quand le désir de l'assassinat est excité, il
entraîne après lui la sensation de volupté. Lombroso rappelle le fait
cité par Mantegazza que, dans les horreurs d'un pillage, les soldats
éprouvent ordinairement une volupté bestiale[30].
[Note 30: Au milieu de l'exaltation du combat l'image de l'exaltation
de la volupté vient à l'esprit. Comparez, chez Grillparzer, la
description d'une bataille faite par un guerrier:
«Et lorsque sonne le signal,--que les deux armées se
rencontrent,--poitrine contre poitrine,--quels délices des dieux!--Par
ici, par là--des ennemis,--des frères,--sont abattus par l'acier
mortel.--Recevoir et donner la mort et la vie,--dans l'échange
alternant et chancelant,--dans une griserie sauvage!» (Traum
ein Leben, acte I).]
Ces exemples forment des cas de transition entre les cas manifestement
pathologiques.
Très instructifs aussi les exemples des Césars dégénérés (Néron,
Tibère), qui se réjouissaient en faisant égorger devant eux des jeunes
gens et des vierges, ainsi que le cas de ce monstre, le maréchal Gilles
de Rays (Jacob, Curiosités de l'Histoire de France, Paris,
1858) qui a été exécuté en 1440 pour viols et assassinats commis
pendant huit ans sur plus de huit cents enfants. Il avoua que c'était,
à la suite de la lecture de Suétone et des descriptions des orgies de
Tibère, de Caracalla, que l'idée lui était venue d'attirer des enfants
dans son château, de les souiller en les torturant et de les assassiner
ensuite. Ce monstre assura avoir éprouvé un bonheur indicible à
commettre ces actes. Il avait deux complices. Les cadavres des
malheureuses victimes furent brûlés et seules quelques têtes d'enfants
exceptionnellement belles furent gardées comme souvenir.
Quand on veut expliquer la connexité existant entre la volupté et la
cruauté, il faut remonter à ces cas qui sont encore presque
physiologiques où, au moment de la volupté suprême, des individus,
normaux d'ailleurs mais très excitables, commettent des actes, comme
mordre ou égratigner, qui habituellement ne sont inspirés que par la
colère. Il faut, en outre, rappeler que l'amour et la colère sont non
seulement les deux plus fortes passions, mais encore les deux uniques
formes possibles de la passion forte (sthénique). Toutes les deux
cherchent leur objet, veulent s'en emparer, et se manifestent par une
action physique sur l'objet; toutes les deux mettent la sphère
psycho-motrice dans la plus grande agitation et arrivent par cette
agitation même à leur manifestation normale.
Partant de ce point de vue, on comprend que la volupté pousse à des
actes qui, dans d'autres cas, ressemblent à ceux inspirés par la
colère[31].
[Note 31: Schultz (Wiener med. Wochenschrift,
1869, nº 49) rapporte le cas curieux d'un homme de vingt-huit ans qui
ne pouvait faire avec sa femme le coït qu'après s'être mis
artificiellement en colère.]
L'une comme l'autre est un état d'exaltation, constitue une puissante
excitation de toute la sphère psychomotrice. Il en résulte un désir de
réagir par tous les moyens possibles et avec la plus grande intensité
contre l'objet qui provoque l'excitation. De même que l'exaltation
maniaque passe facilement à l'état de manie de destruction furieuse, de
même l'exaltation de la passion sexuelle produit quelquefois le violent
désir de détendre l'excitation générale par des actes insensés qui ont
une apparence d'hostilité. Ces actes représentent pour ainsi dire des
mouvements psychiques et accessoires; il ne s'agit point d'une simple
excitation inconsciente de l'innervation musculaire (ce qui se
manifeste aussi quelquefois sous forme de convulsions aveugles), mais
d'une vraie hyperbolie de la volonté à produire un puissant effet sur
l'individu qui a causé notre excitation. Le moyen le plus efficace pour
cela, c'est de causer à cet individu une sensation de douleur. En
partant de ce cas où, dans le maximum de la passion voluptueuse,
l'individu cherche à causer une douleur à l'objet aimé, on arrive à des
cas où il y a sérieusement mauvais traitements, blessures et même
assassinat de la victime[32].
[Note 32: Voir Lombroso (Uomo delinquente), qui cite des faits
analogues chez les animaux en rut.]
Dans ces cas, le penchant à la cruauté qui peut s'associer à la passion
voluptueuse, s'est augmenté démesurément chez un individu psychopathe,
tandis que, d'autre part, la défectuosité des sentiments moraux fait
qu'il n'y a pas normalement d'entraves ou qu'elles sont trop faibles
pour réagir.
Ces actes sadiques monstrueux ont, chez l'homme, chez lequel ils se
produisent plus fréquemment que chez la femme, encore une autre cause
puissante due aux conditions physiologiques.
Dans le rapport des deux sexes, c'est à l'homme qu'échoit le rôle actif
et même agressif, tandis que la femme se borne au rôle passif et
défensif[33].
[Note 33: Chez les animaux aussi c'est ordinairement le mâle qui
poursuit la femelle de ses propositions d'amour. On peut aussi souvent
remarquer que la femelle prend la fuite ou feint de la prendre. Alors
il s'engage une scène semblable à celle qui a lieu entre l'oiseau de
proie et l'oiseau auquel il fait la chasse.]
Pour l'homme, il y a un grand charme a conquérir la femme, à la
vaincre; et, dans l'Ars amandi, la décence de la femme qui reste
sur la défensive jusqu'au moment où elle a cédé, est d'une grande
importance psychologique. Dans les conditions normales, l'homme se voit
en présence d'une résistance qu'il a pour tâche de vaincre, et c'est
pour cette lutte que la nature lui a donné un caractère agressif. Mais
ce caractère agressif peut, dans des conditions pathologiques, dépasser
toute mesure et dégénérer en une tendance à subjuguer complètement
l'objet de ses désirs jusqu'à l'anéantissement et même à le tuer[34].
[Note 34: La conquête de la femme se fait aujourd'hui sous une forme
civile, en faisant la cour, par séduction et en employant la ruse, etc.
Mais l'histoire de la civilisation et l'anthropologie nous apprennent
qu'autrefois et maintenant encore il est certains peuples chez qui la
force brutale, le rapt de la femme, et même l'habitude de la rendre
inoffensive par des coups de massue remplacent les sollicitations
d'amour. Il est possible qu'un retour à l'atavisme contribue, avec de
pareils penchants, à favoriser les accès de sadisme.
Dans les Jahrbücher für Psychologie (II, p. 128), Schaefer
(Iéna) rapporte deux observations d'A. Payer. Dans le premier cas, un
état d'excitation sexuelle excessif s'est développé à l'aspect de
scènes de bataille, même en peinture; dans l'autre cas, c'est la
torture cruelle de petits animaux qui produisit cet effet. Schaefer
ajoute: «La combativité et l'envie de tuer sont, dans toutes les
espèces animales, tellement l'attribut du mâle, que l'existence d'une
connexité entre ces penchants mâles et les penchants purement sexuels
ne saurait être mise en doute. Je crois cependant pouvoir assurer, en
me fondant sur des observations qui ne sauraient être contestées, que,
même chez des individus mâles doués d'une parfaite santé psychique et
sexuelle, les premiers signes précurseurs, mystérieux et obscurs des
désirs sexuels peuvent faire apparition à la suite de lectures de
scènes de bataille ou de chasse émouvantes. Une poussée inconsciente
pousse les jeunes gens à chercher une sorte de satisfaction dans les
jeux de guerre (lutte corps à corps). Dans ces jeux aussi l'instinct
fondamental de la vie sexuelle arrive à son expression: le lutteur
cherche à se mettre en contact extensif et intensif avec son
partenaire, avec l'arrière-pensée plus ou moins nette de le terrasser
ou de le vaincre.]
Si ces deux éléments constitutifs se rencontrent, si le désir prononcé
et anormal d'une réaction violente contre l'objet aimé s'unit à un
besoin exagéré de subjuguer la femme, alors les explosions les plus
violentes du sadisme se produiront.
Le sadisme n'est donc qu'une exagération pathologique de certains
phénomènes accessoires de la vita sexualis qui peuvent se
produire dans des circonstances normales, surtout chez le mâle.
Naturellement, il n'est pas du tout nécessaire, et ce n'est pas la
règle, que le sadiste ait conscience de ces éléments de son penchant.
Ce qu'il éprouve, c'est uniquement le désir de commettre des actes
violents et cruels sur les personnes de l'autre sexe, et une sensation
de volupté rien qu'en se représentant ces actes de cruauté. Il en
résulte une impulsion puissante à exécuter les actes désirés. Comme les
vrais motifs de ce penchant restent inconnus à celui qui agit, les
actes sadistes sont empreints des caractères des actes impulsifs.
Quand il y a association entre la volupté et la cruauté, non seulement
la passion voluptueuse éveille le penchant à la cruauté, mais le
contraire aussi peut avoir lieu: l'idée et surtout la vue d'actes
cruels agissent comme un stimulant sexuel et sont dans ce sens employés
par des individus pervers[35].
[Note 35: Il arrive aussi que la vue accidentelle du sang versé mette
le mécanisme psychique et prédisposé du sadiste en mouvement et éveille
le penchant qui était à l'état latent.]
Il est impossible empiriquement d'établir une distinction entre les cas
de sadisme congénital et de sadisme acquis. Beaucoup d'individus tarés
originellement font pendant longtemps tous les efforts possibles pour
résister à leurs penchants pervers. Si la puissance sexuelle existe
encore, ils ont au commencement une vita sexualis normale,
souvent grâce à l'évocation d'images de nature perverse. Plus tard
seulement, après avoir vaincu successivement toutes les contre-raisons
éthiques et esthétiques et après avoir constaté à plusieurs reprises
que l'acte normal ne procure pas de satisfaction complète, le penchant
morbide se fait jour et se manifeste extérieurement. Une disposition
perverse et ab origine se traduit alors tardivement par des
actes. Voilà ce qui produit souvent l'apparence d'une perversion
acquise et trompe sur le vrai caractère congénital du mal. A priori,
on peut cependant supposer que cet état psychopathique existe toujours ab
origine. Nous verrons plus loin les raisons en faveur de cette
hypothèse.
Les actes sadistes diffèrent selon le degré de leur monstruosité, selon
l'empire du penchant pervers sur l'individu qui en est atteint, ou bien
selon les éléments de résistance qui existent encore, éléments qui,
cependant, peuvent être plus ou moins affaiblis par des défectuosités
éthiques originelles, par la dégénérescence héréditaire, par la folie
morale.
Ainsi naissent une longue série de formes qui commencent par les crimes
les plus graves et qui finissent par des actes puérils qui n'ont
d'autre but que d'offrir une satisfaction symbolique au besoin pervers
du sadiste.
On peut encore classer les actes sadiques selon leur genre. Il faut
alors distinguer s'ils ont lieu après la consommation du coït dans
lequel le libido nimia n'a pas été satisfait, ou si, dans le
cas d'affaiblissement de la puissance génésique, ils servent de
préparatifs pour la stimuler, ou si enfin, dans le cas d'une absence
totale de la puissance génésique, les actes sadiques doivent remplacer
le coït devenu impossible et provoquer l'éjaculation. Dans les deux
derniers cas, il y a, malgré l'impuissance, un libido violent,
ou du moins ce libido subsistait chez l'individu à l'époque où
il a constaté l'habitude des actes sadiques. L'hyperesthésie sexuelle
doit toujours être considérée comme la base des penchants sadistes.
L'impuissance si fréquente chez les individus psycho-névropathiques
dont il est ici question, à la suite d'excès faits dès la première
jeunesse, est ordinairement de la faiblesse spinale. Quelquefois il se
peut qu'il y ait une sorte d'impuissance psychique par la concentration
de la pensée vers l'acte pervers, à côté duquel alors l'image de la
satisfaction normale s'efface.
Quel que soit le caractère extérieur de l'acte, pour le comprendre il
est essentiel d'examiner les dispositions perverses de l'âme et le sens
du penchant de l'individu atteint.
A.--ASSASSINAT PAR VOLUPTÉ[36] (VOLUPTÉ ET CRUAUTÉ, AMOUR DU MEURTRE
POUSSÉ JUSQU'À L'ANTHROPOPHAGIE)
[Note 36: Comparez: Meizger Ger. Arzneiw, édité par Remer, p. 539; Klein's Annalen, X, p.
176, XVIII, p. 311; Heinroth, System der Psych. ger. Med., p. 270; Neuer
Pitaval, 1855, 23 Th. (cas Blaize Ferrage).]
Le fait le plus horrible mais aussi le plus caractéristique pour
montrer la connexité qui existe entre la volupté et la cruauté, c'est
le cas d'Andreas Bichel que Feuerbach a publié dans son Aktenmæssigen
Darstellung merkwürdiger Verbrechen.
B. puellas stupratas necavit et dissecuit.--À propos
de l'assassinat commis sur une de ses victimes, il s'est exprimé dans
les termes suivants au cours de son interrogatoire:
«Je lui ai ouvert la poitrine et j'ai tranché avec un couteau les
parties charnues du corps. Ensuite j'ai apprêté le corps de cette
personne, comme le boucher a l'habitude de faire avec la bête qu'il
vient de tuer. Je lui ai coupé le corps en deux avec une hache de façon
à l'enfouir dans le trou creusé d'avance dans la montagne et destiné à
recevoir le cadavre. Je puis dire qu'en ouvrant la poitrine j'étais
tellement excité que je tressaillais et que j'aurais voulu trancher un
morceau de chair et le manger.»
Lombroso[37] cite aussi des cas de ce genre, entre autres celui d'un
nommé Philippe qui avait l'habitude d'étrangler post actum les
prostituées et qui disait: «J'aime les femmes, mais cela m'amuse de les
étrangler après avoir joui d'elles.»
[Note 37: Geschlechtstrieb und
Verbrechen in ihren gegenseitigen Beziehungen, Goltdammers Archiv,
Bd. XXX.]
Un nommé Grassi (V. Lombroso op. cit., p. 12) a été pris
nuitamment d'un désir sexuel pour une parente. Irrité par la résistance
de cette femme, il lui donna plusieurs coups de couteau dans le
bas-ventre, et lorsque le père et l'oncle de la malheureuse voulurent
le retenir, il les tua tous deux. Immédiatement après il alla calmer
dans les bras d'une prostituée son rut sexuel. Mais cela ne lui
suffisait pas; il assassina son propre père et égorgea plusieurs boeufs
dans l'étable.
Il ressort des faits que nous venons d'énumérer que, sans aucun doute,
un grand nombre d'assassinats par volupté sont dus à l'hyperesthésie
associée à la paresthésie sexuelle. De même, à un degré plus élevé, la
perversion sexuelle peut amener à commettre des actes de brutalité sur
des cadavres, comme par exemple le dépècement du cadavre, l'arrachement
voluptueux des entrailles. Le cas de Bichel indique clairement la
possibilité d'une pareille observation.
De notre temps, on peut citer comme exemple Menesclou (V. Annales
d'hygiène publique) sur lequel Lasègue, Brouardel et Motet ont
donné un rapport. On le jugea d'esprit sain, et il fut guillotiné.
OBSERVATION 17.--Le 18 avril 1880, une fille de quatre ans disparut de
la maison de ses parents. Le 16 on arrêta Menesclou, un des locataires
de cette maison. Dans ses poches on trouva les avant-bras de l'enfant;
de la cheminée on retira la tête et les viscères à moitié carbonisés.
Dans les lieux d'aisance on trouva aussi des parties du cadavre. On n'a
pu retrouver les parties génitales de la victime. Menesclou, interrogé
sur le sort de l'enfant, se troubla. Les circonstances ainsi qu'une
poésie lascive trouvée sur lui, ne laissèrent plus subsister aucun
doute: il avait assassiné l'enfant après en avoir abusé. Menesclou ne
manifesta aucun repentir; son acte, disait-il, était un malheur.
L'intelligence de l'accusé est bornée. Il ne présente aucun stigmate de
dégénérescence anatomique; il a l'ouïe dure et il est scrofuleux.
Menesclou a vingt ans. À l'âge de neuf mois il eut des convulsions;
plus tard, il souffrit d'insomnies; enuresis nocturna; il était
nerveux, se développa tardivement et d'une façon incomplète. À partir
de l'âge de puberté il devint irritable, manifestant des penchants
mauvais; il était paresseux, indocile, impropre à toute occupation. Il
ne se corrigea pas, même dans la maison de correction. On le mit dans
la marine; là non plus il n'était bon à rien. Rentré de son service, il
vola ses parents et eut de mauvaises fréquentations. Il n'a jamais
couru après les femmes. Il se livrait avec ardeur à l'onanisme et, à
l'occasion, il se livrait à la sodomie sur des chiennes. Sa mère
souffrait de mania menstrualis periodica; un oncle était fou,
un autre oncle ivrogne.
L'autopsie du cerveau de Menesclou a permis de constater une altération
morbide des deux lobes frontaux, de la première et de la seconde
circonvolution temporale ainsi que d'une partie des circonvolutions
occipitales.
OBSERVATION 18.--Alton, garçon de magasin en Angleterre, va se promener
dans les environs de la ville. Il attire une enfant dans un bosquet,
rentre après y avoir passé quelque temps, va au bureau où il inscrit
sur son carnet la note suivante: Killed to day a young girl, it was
fine and hot (Assassiné aujourd'hui une jeune fille; le temps était
beau; il faisait chaud).
On remarque l'absence de l'enfant, on se met à sa recherche et on la
trouve déchirée en morceaux; certaines parties de son corps, entre
autres les parties génitales, n'ont pu être retrouvées. Alton ne
manifesta pas la moindre trace d'émoi et ne fournit aucune explication
ni sur le mobile ni sur les circonstances de son acte horrible. C'était
un individu psychopathe qui avait de temps à autre des états de
dépression avec tædium vitæ.
Son père avait eu un accès de manie aiguë, un parent proche souffrait
de manie avec penchants à l'assassinat. Alton fut exécuté.
Dans de pareils cas, il peut arriver que l'individu morbide éprouve le
désir de goûter la chair de la victime assassinée et que, cédant à
cette aggravation perverse de ses représentations objectives, il mange
des parties du cadavre.
OBSERVATION 19.--Léger, vigneron, vingt-quatre ans, dès sa jeunesse
sombre, renfermé et fuyant toute société, s'en va pour chercher de
l'ouvrage. Pendant huit jours il rôde dans une forêt. Puellam
apprehendit duodecim annorum: stupratæ genitalia mutilat, cor eripit,
en mange, boit le sang et enfouit le cadavre. Arrêté, il nie d'abord,
mais finit par avouer son crime avec un sang-froid cynique. Il écoute
son arrêt de mort avec indifférence et est exécuté. À l'autopsie,
Esquirol a constaté des adhérences pathologiques entre les méninges et
le cerveau (Georgel, Compte rendu du procès Léger, Feldtmann, etc.).
OBSERVATION 20.--Tirsch, pensionnaire de l'hospice de Prague,
cinquante-cinq ans, de tout temps concentré, bizarre, brutal, très
irascible, maussade, vindicatif, condamné à vingt ans de prison pour
viol d'une fille de dix ans, avait, ces temps derniers, éveillé
l'attention par ses accès de rage pour des raisons futiles et par son tædium
vitæ.
En 1864, après avoir été éconduit par une veuve à laquelle il proposait
le mariage, il avait pris en haine les femmes. Le 8 juillet, il rôdait
avec l'intention d'assassiner un individu du sexe qu'il détestait tant.
Vetulam occurrentem in silvam allexit, coitum poposcit,
renitentem prostravit, jugulum feminæ compressit «furore captus».
Cadaver virga betulæ desecta verberare voluit nequetamen id perfecit,
quia conscientia sua hæc fieri vetuit, cultello mammas et genitalia
desecta domi cocta proximis diebus cum globis comedit. Le 12
septembre, lorsqu'on l'arrêta, on trouva encore les restes de cet
horrible repas. Il allégua comme mobile de son acte «une soif
intérieure» et demanda lui-même à être exécuté, puisqu'il avait été de
tout temps un paria dans la société. En prison, il manifestait une
irrascibilité excessive, et parfois il avait des accès de rage pendant
lesquels il refusait toute nourriture. On a fait la remarque que la
plupart de ses anciens excès coïncidaient avec des explosions
d'irritation et de rage. (Maschka, Prager
Vierteljahrsschrift, 1886, I, p. 79; Gauster dans Maschka's
Handb. der ger. Medicin IV, p. 489.)
Dans la catégorie de ces monstres psycho-sexuels rentre sans doute
l'éventreur de Whitechapel[38] que la police cherche toujours sans
pouvoir le découvrir.
[Note 38: Comparez entre autres:
Spitzka, The Journal of nervous and mental Diseases, déc. 1888;
Kiernan, The medical Standard, nov.-déc. 1888.]
L'absence régulière de l'utérus, des ovaires et de la vulve chez les
dix victimes de ce Barbe-bleue moderne, fait supposer qu'il
cherche et trouve encore une satisfaction plus vive dans
l'anthropophagie.
Dans d'autres cas d'assassinat par volupté, le stuprum n'a pas
lieu soit pour des raisons physiques, soit pour des raisons psychiques,
et le crime sadiste seul remplace le coït.
Le prototype de pareils cas est celui de Verzeni. La vie de ses
victimes dépendait de la manifestation hâtive ou tardive de
l'éjaculation. Comme ce cas mémorable renferme tout ce que la science
moderne connaît sur la connexité existant entre la volupté, la rage de
tuer et l'anthropophagie, il convient d'en faire ici une mention
détaillée, d'autant plus qu'il a été bien observé.
OBSERVATION 21.--Vincent Verzeni, né en 1849, arrêté depuis le 11
janvier 1872, est accusé: 1º d'avoir essayé d'étrangler sa cousine
Marianne, alors que celle-ci, il y a quatre ans, était couchée et
malade dans son lit; 2º d'avoir commis le même délit sur la personne de
l'épouse d'Arsuffi, âgée de vingt-sept ans; 3º d'avoir essayé
d'étrangler Mme Gala en lui serrant la gorge pendant qu'il était
agenouillé sur son corps; 4º il est, en outre, soupçonné d'avoir commis
les assassinats suivants:
Au mois de décembre, le matin entre sept et huit heures, Jeanne Molta
se rendit dans une commune voisine. Comme elle ne rentrait pas, le
maître chez qui elle était servante, partit à sa recherche et trouva
sur un sentier, près du village, le cadavre de cette fille horriblement
mutilé. Les viscères et les parties génitales étaient arrachés du corps
et se trouvaient près du cadavre. La nudité du cadavre, des érosions
aux cuisses faisaient supposer un attentat contre la pudeur; la bouche
remplie de terre indiquait que la fille avait été étouffée. Près du
cadavre, sous un monceau de paille, on trouva une partie détachée du
mollet droit et des vêtements. L'auteur du crime est resté inconnu.
Le 28 août 1871, de bon matin, Mme Frigeni, âgée de vingt-huit ans,
alla aux champs. Comme à huit heures elle n'était pas encore rentrée,
son mari partit pour aller la chercher. Il la retrouva morte dans un
champ, portant autour du cou des traces de strangulation et de
nombreuses blessures; le ventre ouvert laissait sortir les entrailles.
Le 29 août, à midi, comme Maria Previtali, âgée de dix-neuf ans,
traversait les champs, elle fut poursuivie par son cousin Verzeni,
traînée dans un champ de blé, jetée par terre, serrée au cou. Quand il
la relâcha un moment pour s'assurer qu'il n'y avait personne dans le
voisinage, la fille se releva et obtint, sur ses instantes prières, que
Verzeni la laissât partir après lui avoir fortement serré les mains.
Verzeni fut traduit devant le tribunal. Il a vingt-deux ans, son crâne
est de grandeur moyenne, asymétrique. L'os frontal droit est plus
étroit et plus bas que le gauche; la bosse frontale droite est peu
développée, l'oreille droite plus petite que la gauche (d'un centimètre
en hauteur et de trois en largeur); la partie inférieure de l'hélix
manque aux deux oreilles; l'artère de la tempe est un peu
athéromateuse. Nuque de taureau, développement énorme de l'os
zygomatique et de la mâchoire inférieure, pénis très développé, manque
du frenulum, léger strabismus alternans divergens
(insuffisance des muscles recti interni et myopie). Lombroso
conclut de ces marques de dégénérescence à un arrêt congénital du
développement du lobe frontal droit. À ce qu'il paraît, Verzeni est un
héréditaire. Deux de ses oncles sont des crétins, un troisième est un
microcéphale, imberbe, chez qui un des testicules manque, tandis que
l'autre est atrophié. Le père présente des traces de dégénérescence
pellagreuse et eut un accès d'hypocondria pellagrosa. Un cousin
souffrait d'hyperhémie cérébrale, un autre est kleptomane.
La famille de Verzeni est dévote et d'une avarice sordide. Il est d'une
intelligence au-dessus de la moyenne, sait très bien se défendre,
cherche à trouver un alibi et à démentir les témoins. Dans son
passé on ne trouve aucun signe d'aliénation mentale. Son caractère est
étrange; il est taciturne et aime la solitude. En prison, son attitude
est cynique; il se masturbe et cherche à tout prix à voir des femmes.
Verzeni a fini par avouer ses crimes et dire les mobiles qui l'y
avaient poussé.
L'accomplissement de ses crimes, dit-il, lui avait procuré une
sensation extrêmement agréable (voluptueuse), accompagnée d'érection et
d'éjaculation. À peine avait-il touché sa victime au cou, qu'il
éprouvait des sensations sexuelles. En ce qui concerne ces sensations,
il lui était absolument égal que les femmes fussent vieilles, jeunes,
laides ou belles. D'habitude, il éprouvait du plaisir rien qu'en
serrant le cou de la femme, et dans ce cas il laissait la victime en
vie. Dans les deux cas cités, la satisfaction sexuelle tardait à venir,
et alors il avait serré le cou jusqu'à ce que la victime fût morte. La
satisfaction qu'il éprouvait pendant ces strangulations était plus
grande que celle que lui procurait la masturbation. Les contusions à la
peau des cuisses et du pubis étaient faites avec les dents lorsqu'il
suçait, avec grand plaisir, le sang de sa victime. Il avait sucé un
morceau de mollet et l'avait emporté pour le griller à la maison; mais,
se ravisant, il l'avait caché sous un tas de paille, de crainte que sa
mère ne s'aperçût de ses menées. Il avait emporté avec lui les
vêtements et les viscères; il les porta pendant quelque temps parce
qu'il avait du plaisir à les renifler et à les palper. La force qu'il
possédait dans ces moments de volupté était énorme. Il n'a jamais été
fou; en exécutant ses actes, il ne voyait plus rien autour de lui
(évidemment l'excitation sexuelle, poussée au plus haut degré, a
supprimé en lui la faculté de perception; acte instinctif). Après il
éprouvait toujours un certain bien-être et un sentiment de grande
satisfaction. Il n'a jamais éprouvé de remords. Jamais l'idée ne lui
est venue de toucher aux parties génitales des femmes qu'il avait
torturées, ni de souiller ses victimes; il lui suffisait de les
étrangler et d'en boire le sang. En effet, les assertions de ce vampire
moderne semblent avoir un fondement de vérité. Les penchants sexuels
normaux paraissent lui avoir été étrangers. Il avait deux maîtresses,
mais il se contentait de les regarder, et il est lui-même étonné qu'en
leur présence, l'envie ne lui soit pas venue de les étrangler ou de
leur empoigner les mains. Il est vrai qu'avec elles il n'éprouvait pas
la même jouissance qu'avec ses victimes. On n'a constaté chez lui
aucune trace de sens moral, ni de repentir, etc.
Verzeni déclara lui-même qu'il deviendrait bon si on le tenait enfermé;
car, rendu à la liberté, il ne pourrait pas résister à ses envies.
Verzeni a été condamné aux travaux forcés à perpétuité. (Lombroso,
Verzeni e Agnoletti. Roma, 1873.)
Les aveux faits par Verzeni après sa condamnation sont très
intéressants:
«J'éprouvais un plaisir indicible quand j'étranglais des femmes; je
sentais alors des érections et un véritable désir sexuel. Rien que de
renifler des vêtements de femme, cela me procurait déjà du plaisir. La
sensation de plaisir que j'éprouvais en serrant le cou d'une femme
était plus grande que celle que me causait la masturbation. En buvant
le sang du pubis, j'éprouvais un grand bonheur. Ce qui me faisait
encore beaucoup de plaisir, c'était de retirer de la chevelure des
assassinées les épingles à cheveux. J'ai pris les vêtements et les
viscères pour avoir le plaisir de les renifler et de les palper. Ma
mère, finalement, s'aperçut de mes agissements, car, après chaque
assassinat ou tentative d'assassinat, elle apercevait des taches de
sperme sur ma chemise. Je ne suis pas fou; mais, au moment d'égorger,
je ne voyais plus rien. Après la perpétration de l'acte, j'étais
satisfait et me sentais bien. Jamais l'idée ne m'est venue de toucher
ou de regarder les parties génitales. Il me suffisait d'empoigner le
cou des femmes et de sucer leur sang. J'ignore encore aujourd'hui
comment la femme est faite. Pendant que j'étranglais et aussi après, je
me pressais contre le corps de la femme, sans porter mon attention sur
une partie du corps plutôt que sur l'autre.»
V... a été amené seul à ses actes pervers après avoir remarqué, à l'âge
de douze ans, qu'il éprouvait un plaisir étrange toutes les fois qu'il
avait des poulets à tuer. Voilà pourquoi il en avait tué alors en
quantité, alléguant qu'une belette avait pénétré dans la basse-cour. (Lombroso Goltdammers Archiv.Bd. 30, p. 13.)
Lombroso (Goltdammers Archiv.) cite encore un cas analogue qui
s'est passé à Vittoria en Espagne.
OBSERVATION 22.--Le nommé Gruyo, quarante et un ans, autrefois d'une
conduite exemplaire et qui avait été marié trois fois, a étranglé six
femmes en dix ans. Les victimes étaient presque toutes des filles
publiques et pas jeunes. Après les avoir étranglées, il leur arrachait per
vaginam les intestins et les reins. Il abusa de quelques-unes de
ses victimes avant de les assassiner; sur d'autres il ne commit aucun
acte sexuel, par suite de l'impuissance qui lui vint plus tard. Il
opérait ses atrocités avec tant de précaution que, pendant dix ans, il
put rester à l'abri de toute poursuite.
B.--NÉCROPHILES
Au groupe horrible des assassins par volupté les nécrophiles font
naturellement suite, car, chez ces derniers, comme chez les premiers,
une représentation qui en soi évoque l'horreur et fait frémir l'homme
sain ou non dégénéré, est accompagnée de sensations de plaisir, et
devient ainsi une impulsion aux actes de nécrophilie.
Les cas de viol de cadavres décrits dans la littérature par les poètes
et les romanciers, font l'impression de phénomènes pathologiques;
seulement ils ne sont ni exactement observés ni exactement décrits, si
l'on veut toutefois excepter le cas du célèbre sergent Bertrand. (Voir
plus loin.)
Dans certains cas, il ne se produit peut-être pas d'autre phénomène
qu'un désir effréné qui ne considère pas la mort de l'objet aimé comme
un empêchement à la satisfaction sensuelle.
Tel est peut-être le septième des cas rapportés par Moreau.
Un homme de vingt-trois ans a fait une tentative de viol sur Madame
X..., âgée de cinquante-trois ans, a tué cette femme qui se défendait,
puis en a abusé sexuellement et, l'acte commis, l'a jetée à l'eau. Mais
il a repêché le cadavre pour le souiller de nouveau. L'assassin a été
guillotiné. On a trouvé à l'autopsie les méninges frontales épaissies
et adhérentes à l'écorce cérébrale.
D'autres auteurs français ont cité des exemples de nécrophilie. Deux
fois, il était question de moines qui étaient de garde auprès d'une
morte; dans un troisième cas, il est question d'un idiot atteint de
manie périodique. Après avoir commis un viol, il fut interné dans un
asile d'aliénés; là, il pénétra dans la salle mortuaire pour violer des
cadavres de femmes.
Dans d'autres cas, le cadavre est manifestement préféré à la femme
vivante. Si l'auteur ne commet pas d'autres actes de
cruauté--dépècement, etc.--sur le corps du cadavre, il est alors
probable que c'est l'inertie du cadavre qui en fait le charme. Il se
peut qu'un cadavre qui présente la forme humaine avec une absence
totale de volonté, soit, par ce fait même, capable de satisfaire le
besoin morbide de subjuguer d'une manière absolue et sans aucune
possibilité de résistance l'objet désiré.
Brière de Boismont (Gazette médicale, 1859, 2 juillet) raconte
l'histoire d'un nécrophile qui, après avoir corrompu les gardiens,
s'est introduit dans la chambre mortuaire où gisait le cadavre d'une
fille de seize ans, enfant d'une famille très distinguée. Pendant la
nuit, on entendit dans la chambre mortuaire un bruit comme si un meuble
eût été renversé. La mère de la jeune fille décédée pénétra dans la
chambre et aperçut un homme en chemise qui venait de sauter du lit de
la morte. On le prit d'abord pour un voleur, mais bientôt on s'aperçut
de quoi il s'agissait. On apprit que le nécrophile, fils d'une grande
famille, avait déjà souvent violé des cadavres de jeunes femmes. Il a
été condamné aux travaux forcés à perpétuité.
L'histoire suivante, racontée par Taxil (La Prostitution
contemporaine, p. 171), est aussi d'un grand intérêt pour l'étude
de la nécrophilie.
Un prélat venait de temps en temps dans une maison publique à Paris et
commandait qu'une prostituée, vêtue de blanc comme un cadavre,
l'attendît couchée sur une civière.
À l'heure fixée, il arrivait revêtu de ses ornements, entrait dans la
chambre transformée en chapelle ardente, faisait comme s'il disait une
messe, se jetait alors sur la fille qui pendant tout ce temps devait
jouer le rôle d'un cadavre[39].
[Note 39: Simon (Crimes et Délits, p. 209) cite une observation
de Lacassagne auquel un homme très convenable a avoué qu'il n'éprouvait
de forte excitation sexuelle que lorsqu'il assistait à un enterrement.]
Les cas où l'auteur maltraite et dépèce le cadavre, sont plus faciles à
expliquer. Ils font un pendant immédiat aux assassins par volupté,
étant donné que la volupté chez ces individus est liée à la cruauté ou
du moins au penchant à se livrer à des voies de fait sur la femme.
Peut-être un reste de scrupule moral fait-il reculer l'individu devant
l'idée de commettre des actes cruels sur la personne d'une femme
vivante, peut-être l'imagination omet-elle l'assassinat par volupté et
ne s'en tient-elle qu'au résultat de l'assassinat: le cadavre. Il est
probable que l'idée de l'absence de volonté du cadavre joue ici un rôle.
OBSERVATION 23.--Le sergent Bertrand est un homme d'une constitution
délicate, d'un caractère étrange; il était, dès son enfance, toujours
taciturne et aimait la solitude.
Les conditions de santé de sa famille ne sont pas suffisamment connues,
mais on a pu établir que, dans son ascendance, il y avait des cas
d'aliénation mentale. Il prétend avoir été affecté d'une étrange manie
de destruction dès son enfance. Il brisait tout ce qui lui tombait
entre les mains.
Dès son enfance, il en vint à la masturbation sans y avoir été
entraîné. À l'âge de neuf ans, il commença à éprouver de l'affection
pour les personnes de l'autre sexe. À l'âge de treize ans, le puissant
désir de satisfaire ses sens avec des femmes se réveilla en lui; il se
masturbait sans cesse. En se livrant à cet acte, il se représentait
toujours une chambre remplie de femmes. Il se figurait alors, dans son
imagination, qu'il accomplissait avec elles l'acte sexuel et qu'il les
maltraitait ensuite. Bientôt il se les représentait comme des cadavres,
et, dans son imagination, il se voyait souillant ces cadavres. Parfois,
quand il se trouvait dans cet état, l'idée lui vint d'avoir affaire
aussi à des cadavres d'hommes, mais cette idée le remplissait toujours
de dégoût.
Ensuite il éprouva le vif désir de se mettre en contact avec de
véritables cadavres.
Faute de cadavres humains, il se procurait des cadavres d'animaux,
auxquels il ouvrait le ventre, arrachait les entrailles, pendant qu'il
se masturbait. Il prétend avoir éprouvé alors un plaisir indicible. En
1846, les cadavres ne lui suffisaient plus. Il tua deux chiens, avec
lesquels il fit la même chose. Vers la fin de 1846, il lui vint, pour
la première fois, l'envie de se servir de cadavres humains. D'abord, il
résista. En 1847, comme il venait d'apercevoir par hasard, au
cimetière, la tombe d'un mort qu'on venait d'enterrer, cette envie le
prit si violemment, en lui causant des maux de tête et des battements
de coeur, que, bien qu'il y eût du monde tout près et danger d'être
découvert, il se mit à déterrer le cadavre. N'ayant sous la main aucun
instrument pour le dépecer, il prit la bêche d'un fossoyeur et se mit à
frapper avec rage sur le cadavre. En 1847 et 1848 se manifestait
pendant quinze jours, avec de violents maux de tête, l'envie de
brutaliser des cadavres. Au milieu des plus grands dangers et des plus
grandes difficultés, il satisfit environ quinze fois ce penchant. Il
déterrait les cadavres avec ses ongles, et, telle était son excitation,
qu'il ne sentait même pas les blessures qu'il se faisait aux mains. Une
fois en possession du cadavre, il l'éventrait avec son sabre ou son
couteau, arrachait les entrailles pendant qu'il se masturbait. Le sexe
des morts, prétend-il, lui était absolument égal; mais on a constaté
que ce vampire moderne avait déterré plus de cadavres de femmes que de
cadavres d'hommes. Pendant ces actes, il se trouvait dans une
excitation sexuelle indescriptible. Après avoir dépecé les cadavres, il
les enterrait de nouveau.
Au mois de juillet 1848, il tomba, par hasard, sur le cadavre d'une
fille de seize ans.
C'est alors que, pour la première fois, s'éveilla en lui l'envie de
pratiquer le coït sur le cadavre. «Je le couvrais de baisers et le
pressais comme un enragé contre mon coeur. Toute la jouissance qu'on
peut éprouver avec une femme vivante n'est rien en comparaison du
plaisir que j'éprouvai. Après en avoir joui environ quinze minutes, je
dépeçai, comme d'habitude, le cadavre et en arrachai les entrailles.
Ensuite je l'enterrai de nouveau.»
C'est à partir de cet attentat, prétend B..., qu'il a senti l'envie de
jouir sexuellement des cadavres avant de les dépecer, ce qu'il a fait
avec trois cadavres de femmes. Mais le vrai mobile qui le faisait
déterrer les cadavres était resté le même: le dépècement, et le plaisir
qu'il éprouvait à cet acte était plus grand que celui que lui procurait
le coït pratiqué sur le cadavre.
Ce dernier acte n'était qu'un épisode de l'acte principal et n'a jamais
pu complètement satisfaire son rut. Voilà pourquoi, après l'acte
sexuel, il mutilait les cadavres.
Les médecins légistes admirent le cas de monomanie. Le conseil de
guerre condamna B... à un an de prison.
(Michéa, Union méd., 1849.--Lunier, Annales méd.-psychol.,
1849, p. 153.--Tardieu, Attentats aux moeurs, 1878, p.
114.--Legrand, La Folie devant les Tribunaux, p. 524.)
C.--MAUVAIS TRAITEMENTS INFLIGÉS À DES FEMMES (PIQÛRES, FLAGELLATIONS,
ETC.)
À la catégorie des assassins par volupté et à celle des nécrophiles qui
a beaucoup d'affinités avec la première, il faut joindre celle des
individus dégénérés qui éprouvent du charme et du plaisir à blesser la
victime de leurs désirs et à voir le sang couler.
Un monstre de ce genre était le fameux marquis de Sade[40], qui a donné
son nom à cette tendance à unir la volupté à la cruauté.
[Note 40: Taxil (op. cit., p. 180) donne des renseignements
détaillés sur ce monstre psychosexuel qui, évidemment, a dû présenter
un état de satyriasis habituel associé à une paresthesia sexualis.
De Sade était cynique au point de vouloir sérieusement idéaliser sa
cruelle sensualité et se faire l'apôtre d'une doctrine fondée sur ce
sentiment pervers. Ses menées étaient devenues si scandaleuses (entre
autres il invita chez lui une société de dames et de messieurs qu'il
mit en rut en leur faisant servir des bonbons de chocolat mélangés de
cantharide) qu'on dut l'enfermer dans la maison de santé de Charenton.
Pendant la Révolution (1790), il fut remis en liberté. Il écrivit alors
des romans ruisselants de volupté et de cruauté. Lorsque Bonaparte
devint consul, le marquis de Sade lui fit cadeau de la collection de
ses romans, reliés avec luxe. Le consul fit détruire les oeuvres du
marquis et interner de nouveau l'auteur à Charenton, où celui-ci mourut
en 1814, à l'âge de soixante-quatre ans.]
Le coït n'avait pour lui de charme que lorsqu'il pouvait faire saigner
par des piqûres l'objet de ses désirs. Sa plus grande volupté était de
blesser des prostituées nues et de panser ensuite leurs blessures.
Il faut aussi classer dans cette catégorie le cas d'un capitaine dont
l'histoire nous est racontée par Brierre de Boismont. Ce capitaine
forçait sa maîtresse, avant le coït qu'il faisait très fréquemment, à
se poser des sangsues ad pudenda. Finalement cette femme fut
atteinte d'une anémie très grave et devint folle.
Le cas suivant, que j'emprunte à ma clientèle, nous montre d'une façon
bien caractéristique la connexité qui existe entre la volupté, la
cruauté et le penchant à verser, ou à voir couler du sang.
OBSERVATION 24.--M. X..., vingt-cinq ans, est né d'un père lunatique,
mort de dementia paralytica et d'une mère de constitution
hystéro-neurasthénique. C'est un individu faible au physique, de
constitution névropathique et portant de nombreux stigmates de
dégénérescence anatomique. Étant enfant, il avait déjà des tendances à
l'hypocondrie et des obsessions. De plus, son état d'esprit passait de
l'exaltation à la dépression. Déjà, à l'âge de dix ans, le malade
éprouvait une étrange volupté à voir couler le sang de ses doigts.
Voilà pourquoi il se coupait ou se piquait souvent les doigts et
éprouvait de ces blessures un bonheur indicible. Alors il se produisit
des érections lorsqu'il se blessait, de même lorsqu'il voyait le sang
d'autrui, par exemple une bonne qui s'était blessée au doigt. Cela lui
causait des sensations d'une volupté particulière. Puis sa vita
sexualis s'éveilla de plus en plus. Il se mit à se masturber sans
qu'il y fût amené par personne.
Pendant l'acte de la masturbation, il lui revenait des images et des
souvenirs de femmes baignées de sang. Maintenant, il ne lui suffisait
plus de voir couler son propre sang. Il était avide de la vue du sang
de jeunes femmes, surtout de celles qui lui étaient sympathiques.
Souvent il pouvait à peine contenir son envie de blesser deux de ses
cousines et une femme de chambre. Mais des femmes qui par elles-mêmes
ne lui étaient pas sympathiques, provoquaient chez lui ce désir si
elles l'impressionnaient par une toilette particulière, par les bijoux
et les coraux dont elles étaient parées. Il put résister à ce penchant,
mais son imagination était toujours hantée par des idées sanguinaires
qui entretenaient en lui des émotions voluptueuses. Il y avait une
corrélation intime entre les deux sphères d'idées et de sentiments.
Souvent d'autres fantaisies cruelles l'obsédaient. Ainsi, par exemple,
il se représentait dans le rôle d'un tyran qui fait mitrailler le
peuple. Par une obsession de son imagination, il se dépeignait les
scènes qui se passeraient si l'ennemi envahissait une ville, s'il
violait, torturait et enlevait les vierges. Dans ses moments de calme,
le malade qui était d'ailleurs d'un bon caractère et sans défectuosité
éthique, éprouvait une honte et un profond dégoût de pareilles
fantaisies, cruelles et voluptueuses. Aussi ce travail d'imagination
cessait aussitôt qu'il s'était procuré une satisfaction sexuelle par la
masturbation.
Peu d'années suffirent pour rendre le malade neurasthénique. Alors le
sang et les scènes sanguinaires évoqués par son imagination, ne
suffisaient plus pour arriver à l'éjaculation. Afin de se délivrer de
son vice et de ses rêves de cruauté, le malade eut des rapports sexuels
avec des femmes.
Le coït n'était possible que lorsque le malade s'imaginait que la fille
saignait des doigts. Il ne pouvait avoir d'érection sans avoir présente
cette image dans son idée. L'idée cruelle de blesser n'avait alors pour
objectif que la main de la femme. Dans les moments de plus grande
excitation sexuelle, le seul aspect d'une main de femme sympathique
était capable de lui donner les érections les plus violentes.
Effrayé par la lecture d'un ouvrage populaire sur les conséquences
funestes de l'onanisme, il s'imposa une abstinence rigoureuse et tomba
dans un état grave de neurasthénie générale compliquée d'hypocondrie, tædium
vitæ. Grâce à un traitement médical très compliqué et très actif,
le malade se rétablit au bout d'un an. Depuis trois ans, il est d'un
esprit sain; il a, comme auparavant, de grands besoins sexuels, mais il
n'est hanté que très rarement par ses anciennes idées sanguinaires.
X... a tout à fait renoncé à la masturbation. Il trouve de la
satisfaction dans la jouissance sexuelle normale; il est parfaitement
puissant et n'a plus besoin d'avoir recours à ses idées sanguinaires.
Quelquefois ces tendances à la volupté cruelle ne se produisent chez
des individus tarés qu'épisodiquement et dans certains états
exceptionnels déterminés, ainsi que nous le montre le cas suivant,
rapporté par Tarnowsky (op. cit., p. 61).
OBSERVATION 25.--Z..., médecin, de constitution névropathique,
réagissant faiblement contre l'alcool, pratiquant le coït normal dans
les circonstances ordinaires, sentait, aussitôt qu'il avait bu du vin,
que le simple coït ne satisfaisait plus son libido augmenté par
cette boisson. Dans cet état, il était forcé, pour avoir une
éjaculation et obtenir le sentiment d'une satisfaction complète, de
piquer les nates de la puella, de les couper avec une
lancette, de voir le sang et de sentir comment la lame pénètre dans la
chair vivante.
Mais la plupart des individus atteints de cette forme de perversion,
présentent cette particularité que le charme de la femme ne les excite
pas. Déjà dans le premier des cas cités plus haut, l'imagination a dû
recourir à l'idée de l'écoulement du sang pour que l'érection puisse se
produire.
Le cas suivant a rapport à un homme qui, par suite de la masturbation
dès son enfance, a perdu la faculté d'érection, de sorte que, chez,
lui, l'acte sadique remplace le coït.
OBSERVATION 26.--Le piqueur de filles de Bozen (communiqué par Demme, Buch
der Verbrechen, Bd. II, p. 341). En 1829, une enquête judiciaire
fut ouverte contre B..., soldat, âgé de trente ans. À différentes
époques, et dans plusieurs endroits, il avait blessé avec un couteau ou
un canif des filles au derrière, mais de préférence dans la région des
parties génitales. Il donna comme mobile de ces attentats un penchant
sexuel poussé jusqu'à la frénésie et qui ne trouvait de satisfaction
que par l'idée ou le fait de piquer des femmes. Ce penchant l'avait
obsédé pendant des journées. Cela troublait ses idées et ce trouble ne
cessait que quand il avait répondu par un acte à son penchant. Au
moment de piquer, il éprouvait la satisfaction d'un coït accompli, et
cette satisfaction était augmentée par l'aspect du sang ruisselant sur
son couteau. Dès l'âge de dix ans, l'instinct sexuel se manifesta
violemment chez lui. Il se livra tout d'abord à la masturbation et
sentit que son corps et son esprit en étaient affaiblis.
Avant de devenir «piqueur de filles», il avait satisfait son instinct
sexuel en abusant de petites filles impubères, les masturbant et
commettant des actes de sodomie. Peu à peu l'idée lui était venue qu'il
éprouverait du plaisir en piquant une belle jeune fille aux parties
génitales et en voyant couler le sang le long de son couteau.
Dans ses effets, on a trouvé des imitations d'objets servant au culte,
des images obscènes peintes par lui et représentant d'une façon étrange
la conception de Marie, «l'idée de Dieu figée» dans le sein de la
Sainte Vierge.
Il passait pour un homme bizarre, très irascible, fuyant les hommes,
avide de femmes, et morose. On ne constata chez lui aucune trace de
honte ni de repentir. Évidemment c'était un individu devenu impuissant
par suite d'excès sexuels prématurés, mais que la persistance d'un libido
sexualis violent poussait à la perversion sexuelle[41].
[Note 41: Voy. Krauss, Psychologie des
Verbrechens, 1884, p. 188; Dr Hofer, Annalen der
Staatsarzneikunde, 6. III. 2; Schmidt's Jahrbücher, Bd 59,
p. 94.]
OBSERVATION 27.--Dans les premières années qui suivirent 1860, la
population de Leipzig était terrorisée par un homme qui avait
l'habitude d'assaillir, avec un poignard, les jeunes filles dans la rue
et de les blesser au bras supérieur. Enfin on réussit à l'arrêter et
l'on constata que c'était un sadique qui, au moment où il blessait les
filles, avait une éjaculation, et chez qui l'acte de faire une blessure
aux filles était un équivalent du coït. (Wharton, A
treatise on mental unsoundness, Philadelphia 1873, § 623[42]).
[Note 42: Les journaux rapportent qu'en décembre 1896 une série
d'attentats analogues ont été commis à Mayence. Un garçon, entre
quatorze et seize ans, s'approchait des filles et des femmes et leur
blessait les jambes avec un instrument aigu. Il fut arrêté et fit
l'impression d'un aliéné. On n'a donné aucun détail sur ce cas,
probablement de nature sadique.]
Dans les trois cas suivants, il y a également impuissance, mais elle
peut être d'origine psychique, la note dominante de la vita sexualis
étant ab origine basée sur le penchant sadiste et ses éléments
normaux se trouvant atrophiés.
OBSERVATION 28 (communiquée par Demme, Buch der Verbrechen,
VII, p. 281).--Le coupeur de filles d'Augsbourg, le nommé Bartle,
négociant en vins, avait déjà des penchants sexuels à l'âge de quatorze
ans, mais une aversion prononcée pour la satisfaction de l'instinct par
le coït, aversion qui allait jusqu'au dégoût du sexe féminin. Déjà, à
cette époque, il lui vint à l'idée de faire des plaies aux filles et de
se procurer par ce moyen une satisfaction sexuelle. Il y renonça
cependant faute d'occasions et d'audace.
Il dédaignait la masturbation; par-ci par-là il avait des pollutions
sous l'influence de rêves érotiques avec des filles blessées.
Arrivé à l'âge de dix-neuf ans, il fit, pour la première fois, une
blessure à une fille. Hæc faciens sperma ejaculavit, summa libidine
affectus. L'impulsion à de pareils actes devint de plus en plus
forte. Il ne choisissait que des filles jeunes et jolies et leur
demandait auparavant si elles étaient mariées ou non. L'éjaculation et
la satisfaction sexuelle ne se produisaient que lorsqu'il s'apercevait
qu'il avait réellement blessé la fille. Après l'attentat, il se sentait
toujours faible et mal à l'aise; il avait aussi des remords.
Jusqu'à l'âge de trente-deux ans, il ne blessait les filles qu'en
coupant la chair, mais il avait toujours soin de ne pas leur faire de
blessures dangereuses. À partir de cette époque et jusqu'à l'âge de
trente-six ans, il parvint à dompter son penchant. Ensuite il essaya de
se procurer de la jouissance en serrant les filles aux bras ou au cou,
mais par ce procédé il n'arrivait qu'à l'érection, jamais à
l'éjaculation. Alors il essaya de frapper les filles avec un couteau
resté dans sa gaine, mais cela ne produisit pas non plus l'effet voulu.
Enfin il donna un coup de couteau pour de bon et eut un plein succès,
car il s'imaginait qu'une fille blessée de cette manière perdait plus
de sang et ressentait plus de douleur que si on lui avait incisé la
peau. À l'âge de trente-sept ans, il fut pris en flagrant délit et
arrêté. Dans son logement, on trouva un grand nombre de poignards, de
stylets et de couteaux. Il déclara que le seul aspect de ces armes,
mais plus encore de les palper, lui avait procuré des sensations
voluptueuses et une vive excitation.
En tout, il aurait blessé cinquante filles, s'il faut s'en tenir à ses
aveux.
Son extérieur était plutôt agréable. Il vivait dans une situation bien
rangée, mais c'était un individu bizarre et qui fuyait la société.
OBSERVATION 29.--J.H..., vingt-cinq ans, est venu en 1883 à la
consultation pour neurasthénie et hypocondrie très avancées. Le malade
avoue s'être masturbé depuis l'âge de quatorze ans; jusqu'à l'âge de
dix-huit ans il en usa moins fréquemment, mais depuis il n'a plus la
force de résister à ce penchant. Jusque-là, il n'a jamais pu
s'approcher d'une femme, car il était soigneusement surveillé par ses
parents qui, à cause de son état maladif, ne le laissaient jamais seul.
D'ailleurs, il n'avait pas de désir prononcé pour cette jouissance qui
lui était inconnue.
Il arriva, par hasard, qu'un jour, une fille de chambre de sa mère
cassa une vitre en lavant les carreaux de la fenêtre. Elle se fit une
blessure profonde à la main. Comme il l'aidait à arrêter le sang, il ne
put s'empêcher de le sucer, ce qui le mit dans un état de violente
excitation érotique allant jusqu'à l'orgasme complet et à l'éjaculation.
À partir de ce moment, il chercha par tous les moyens à se procurer la
vue du sang frais de personnes du sexe féminin et autant que possible à
en goûter. Il préférait celui des jeunes filles. Il ne reculait devant
aucun sacrifice ni aucune dépense d'argent pour se procurer ce plaisir.
Au début, la femme de chambre se mettait à sa disposition et se
laissait, selon le désir du jeune homme, piquer au doigt avec une
aiguille et même avec une lancette. Mais lorsque la mère l'apprit, elle
renvoya la femme de chambre. Maintenant il est obligé d'avoir recours à
des mérétrices pour obtenir un équivalent, ce qui lui réussit assez
souvent, malgré toutes les difficultés qu'il a à surmonter. Entre
temps, il se livre à la masturbation et à la manustupratio per
feminam, ce qui ne lui donne jamais une satisfaction complète et ne
lui vaut qu'une fatigue et les reproches qu'il se fait intérieurement.
À cause de son état nerveux, il fréquentait beaucoup les stations
thermales; il a été deux fois interné dans des établissements spéciaux
où il demandait lui-même à entrer. Il usa de l'hydrothérapie, de
l'électricité et de cures appropriées sans obtenir un résultat sensible.
Parfois il réussit à corriger sa sensibilité sexuelle anormale et son
penchant à l'onanisme par l'emploi des bains de siège froids, du
camphre monobromé et des sels de brome. Cependant, quand le malade se
sent libre, il revient immédiatement à son ancienne passion et
n'épargne ni peine ni argent pour satisfaire son désir sexuel de la
façon anormale décrite plus haut.
OBSERVATION 30 (communiquée par Albert Moll, de Berlin).--L... T...,
vingt et un ans, commerçant dans une ville rhénane, appartient à une
famille dans laquelle il y a plusieurs personnes nerveuses et
psychopathes. Une de ses soeurs est atteinte d'hystérie et de
mélancolie.
Le malade a toujours été d'un caractère très tranquille; il était même
timide. Étant à l'école, il s'isolait souvent de ses camarades, surtout
quand ceux-ci parlaient de filles. Il lui semblait toujours choquant de
traiter, dans une conversation avec dames, mariées ou non, la question
du coucher ou du lever, ou même d'en faire mention.
Dans les premières années de ses études, le malade travaillait bien;
plus tard, il devint paresseux et ne put plus faire de progrès. Le
malade vint, le 17 août 1870, consulter le docteur Moll sur les
phénomènes anormaux de sa vie sexuelle. Cette démarche lui fut
conseillée par un médecin ami, la docteur X..., auquel il avait fait
des confidences auparavant.
Le malade fait l'impression d'un homme très timide, farouche. Il avoue
sa timidité, surtout en présence d'autres personnes, son manque de
confiance en lui-même et d'aplomb. Ce fait a été confirmé par le
docteur X...
En ce qui concerne sa vie sexuelle, le malade peut en faire remonter
les premières manifestations à l'âge de sept ans. Alors il jouait
souvent avec ses parties génitales, et il fut quelquefois puni pour
cela. En se masturbant ainsi, il prétend avoir obtenu des érections; il
se figurait toujours qu'il frappait avec des verges une femme sur les nates
dénudées jusqu'à ce qu'elle en eût des durillons.
«Ce qui m'excitait surtout, raconte le malade, c'est l'idée que la
personne flagellée était une femme belle et hautaine, et que je lui
infligeais la correction en présence d'autres personnes, surtout des
femmes, pour qu'elle sentît la force de mon pouvoir sur elle. Je
cherchai donc de bonne heure à lire des livres où il est question de
corrections corporelles, entre autres un ouvrage où il était question
des mauvais traitements infligés aux esclaves romains.
«Cependant je n'avais pas d'érections quand les mauvais traitements que
je me représentais consistaient en coups donnés sur le dos ou sur les
épaules. Tout d'abord je crus que ce genre d'excitation passerait avec
le temps, et voilà pourquoi je n'en parlai à personne.»