Le malade, qui s'était onanisé de bonne heure, continua. Au moment de
sa masturbation, il évoquait toujours la même image de flagellation.
Depuis l'âge de treize ou quatorze ans, le malade avait des
éjaculations quand il se masturbait. Decimum septimum annum agens
primum feminam adiit coeundi causa neque coitum perficere potuit
libidine et erectione deficientibus. Mox autem iterum apud alteram
coitum conatus est nullo successu. Tum feminam per vim verberavit.
Tantopere erat excitatus ut mulierem dolore clamantem atque lamentantem
verberare non desierit. Il ne pensait pas que ce fait pouvait lui
attirer des poursuites judiciaires qui, d'ailleurs, n'ont pas eu lieu.
Par ce procédé, il obtenait l'érection, l'orgasme et l'éjaculation. Il
accomplissait l'acte de la manière suivante: il serrait de ses deux
genoux la femme de manière que son pénis touchait le corps de celle-ci,
mais sans immissio penis in vaginam, ce qui lui paraissait tout à fait
superflu.
Plus tard le malade eut tant de honte de battre des femmes et fut en
proie à des idées si noires, qu'il pensa souvent au suicide. Pendant
les trois années suivantes, le malade alla encore chez des femmes. Mais
jamais il ne leur demanda plus de se laisser battre par lui. Il
essayait d'arriver à l'érection en pensant aux coups donnés à la femme;
mais cet artifice n'avait aucun succès, neque membrum a muliere
tractatum se erexit. Après avoir fait cet essai et échoué, le malade
prit la résolution de se confier à un médecin.
Le malade fournit encore une série d'autres renseignements sur sa vita
sexualis. L'anomalie de son instinct sexuel l'avait autant gêné que son
intensité. Il se couchait avec des idées sexuelles qui le poursuivaient
toute la nuit et revenaient au moment de son réveil le matin. Il
n'était jamais à l'abri de la résurrection de ces idées morbides qui
l'excitaient, idées auxquelles au début il se livrait avec délectation,
mais dont il ne pouvait se débarrasser pour quelque temps que par la
masturbation.
À une de mes questions, le malade répond qu'en dehors des coups sur le
dos et surtout sur les nates de la femme, les autres violences
n'exerçaient aucun charme sur lui. Ligotter la femme, fouler son corps
aux pieds, n'avaient pas du charme pour lui. Ce fait est d'autant plus
à relever que les coups donnés à la femme ne procurent au patient un
plaisir sexuel que parce que ces coups sont «humiliants et
déshonorants» pour la femme; celle-ci doit sentir qu'elle est
complètement en son pouvoir. Le malade n'éprouverait aucun charme s'il
frappait la femme sur une autre partie du corps que celle dont il a été
fait mention, ou s'il lui causait des douleurs d'un autre genre.
Multo minorem ei affert voluptatem si nates suæ a muliere verberantur;
tamen ea res sæpe ejaculationem seminis effecit sed hæc fieri putat
erectione deficiente.
Inter verbera autem penem in vaginam immittendo nullum voluptatem se
habere ratus qualibet parte corporis femininæ pene tacta semen
ejaculat. De même qu'en battant la femme le charme pour lui consistait
dans l'humiliation de celle-ci, il se sentait de même excité
sexuellement par le fait contraire, c'est-à-dire par l'idée d'être
humilié lui-même par des coups et de se trouver entièrement livré à la
puissance de la femme. Pourtant tout autre genre d'humiliation que des
coups reçus sur les fesses, ne pouvait l'exciter. Il lui répugnait de
se laisser ligoter et fouler aux pieds par une femme.
Les rêves du malade en tant qu'ils étaient de nature érotique, se
mouvaient toujours dans le même ordre d'idées que ses penchants sexuels
à l'état de veille. Dans ses rêves il avait souvent des pollutions. Les
idées sexuelles perverties ont-elles apparu d'abord dans les rêves ou à
l'état de veille? Le patient n'a pu donner sur ce sujet de
renseignements précis, bien que le souvenir de la première excitation
remonte à l'âge de sept ans. Cependant il croit que ces idées lui sont
venues à l'état de veille. Dans ses rêves, le malade battait souvent
des personnes du sexe mâle, ce qui lui causait aussi des pollutions. À
l'état de veille, l'idée de battre des hommes ne lui causait que peu
d'excitation. Le corps nu de l'homme n'a pour lui aucun charme, tandis
qu'il se sent nettement attiré par le corps nu d'une femme, bien que
son libido ne trouve de satisfaction que lorsque les faits
sus-mentionnés ont lieu, et bien qu'il n'éprouve aucun désir du coït in
vaginam.
Le traitement du malade eut essentiellement pour but d'amener chez lui
un coït normal, autant que possible avec penchant normal, car il était
à supposer que si l'on réussissait à rendre normale sa vie sexuelle, il
perdrait aussi son caractère farouche et craintif qui le gêne beaucoup.
Dans le traitement que j'ai employé (Dr Moll), pendant trois mois et
demi, j'ai usé des trois moyens suivants:
1º J'ai défendu expressément au malade qui désire vivement être guéri,
de s'abandonner avec plaisir à ses idées perverses. Il va de soi que je
ne lui donnai pas le conseil absurde de ne plus penser du tout à la
flagellation. Un pareil conseil ne pourrait être suivi par le malade,
car ces idées lui viennent indépendamment de sa volonté et apparaissent
rien qu'en lisant par hasard le mot «frapper». Ce que je lui défendis
expressément, c'était d'évoquer lui-même de pareilles idées et de s'y
abandonner volontairement. Au contraire, je lui recommandai de faire
tout pour concentrer ses idées sur un autre sujet.
2º J'ai permis, j'ai même recommandé au malade, puisqu'il s'intéresse
aux femmes nues, de se représenter dans son imagination des femmes dans
cet état. Je lui fis cette recommandation bien qu'il prétende que ce
n'est pas au point de vue sexuel que les femmes nues l'intéressent.
3º J'ai essayé par l'hypnose, qui était très difficile à obtenir, et
par la suggestion, d'aider le malade dans cette nouvelle voie. Pour le
moment, toute tentative de coït lui a été interdite afin d'éviter qu'il
se décourage par un échec éventuel.
Au bout de deux mois et demi, ce traitement eut pour résultat que,
d'après les affirmations du patient du moins, les idées perverses
venaient plus rarement et étaient de plus en plus reléguées au second
rang; l'image des femmes nues lui donnait des érections qui devenaient
de plus en plus fréquentes et qui l'amenaient souvent à se masturber
avec l'idée du coït sans qu'il s'y mêle l'idée de battre une femme.
Pendant son sommeil, il n'avait que rarement des rêves érotiques;
ceux-ci avaient comme sujet, tantôt le coït normal, tantôt les coups
donnés aux femmes. Deux mois et demi après le début de mon traitement,
j'ai conseillé au malade d'essayer le coït. Il l'a fait depuis quatre
fois. Je lui recommandai de choisir toujours une femme qui lui fût
sympathique, et j'essayai, avant le coït, d'augmenter son excitation
sexuelle par de la tinctura cantharidum.
Les quatre essais--le dernier a eu lieu le 29 novembre 1800--ont donné
les résultats suivants. La première fois, la femme a dû faire de
longues manipulations sur le pénis pour qu'il y eût érection; alors
l'immissio in vaginam réussit et il y eut éjaculation avec orgasme.
Pendant toute la durée de l'acte, il ne lui vint point l'idée qu'il
battait la femme ou qu'il en était battu: la femme l'excitait
suffisamment pour qu'il pût pratiquer le coït. Au second essai, le
résultat fut meilleur et plus prompt. Les manipulations de la femme sur
les parties génitales ne furent nécessaires que dans une très faible
mesure. Au troisième essai, le coït ne réussit qu'après que le malade
eut, pendant longtemps, pensé à la flagellation et se fût mis, par ce
moyen, en érection; mais il n'en vint point à des voies de fait. Au
quatrième essai, le coït réussit sans aucune évocation d'idées de
frapper et sans aucune manipulation de la femme sur le pénis.
Il est évident que, jusqu'en ce moment, on ne peut considérer comme
guéri le malade dont il est ici question. De ce que le malade a pu
quelquefois pratiquer le coït d'une manière à peu près normale ou tout
à fait normale, cela ne veut pas dire qu'il en sera toujours capable à
l'avenir, d'autant plus que l'idée de battre lui cause toujours un
grand plaisir, bien que cette idée lui vienne maintenant plus rarement
qu'autrefois. Pourtant il y a des probabilités pour que le penchant
anormal qui, à l'heure actuelle, s'est considérablement atténué,
diminue dans l'avenir ou disparaisse peut-être complètement.
Ce cas, observé avec beaucoup de soin, est extrêmement intéressant à
bien des points de vue. Il montre nettement une des raisons cachées du
sadisme, la tendance à réduire la femme à une sujétion sans limites,
tendance qui est entrée dans ce cas dans la conscience de l'individu.
C'est d'autant plus curieux que l'individu en question était d'un
caractère timide, et, dans ses autres rapports sociaux, d'allures
excessivement modestes et mêmes craintives. Ce cas nous montre aussi
clairement qu'il peut exister un libido puissant et entraînant
l'individu malgré tous les obstacles, tandis qu'en même temps il y a
absence de tout désir du coït, la note dominante du sentiment étant
tombée sur la sphère des idées sadistes et voluptueusement cruelles. Le
cas en question contient en même temps quelques faibles éléments de
masochisme.
Il n'est pas rare d'ailleurs que des hommes aux penchants pervertis
payent des prostituées pour qu'elles se laissent flageller et même
blesser jusqu'au sang.
Les ouvrages qui s'occupent de la prostitution contiennent des
renseignements sur ce sujet, entre autres la volume de Coffignon: La
Corruption à Paris.
D.--PENCHANT À SOUILLER LES FEMMES
Quelquefois l'instinct pervers qui pousse le sadique à blesser les
femmes, à les traiter d'une manière humiliante et avilissante, peut se
manifester par une tendance à les barbouiller avec des matières
dégoûtantes ou salissantes.
Dans cette catégorie il faut classer le cas suivant, rapporté par
Arndt(Vierteljahrsschr. f. ger. Medicin, N. F. XVII, H. 1).
OBSERVATION 31.--A..., étudiant en médecine à Greifswald, accusatus
quod iterum iterumque puellis honestis parentibus natis in publico
genitalia sua e bracis dependentia plane nudata quæ antea summo amiculo
(pans de redingote) tecta erant, ostenderat. Nonnunquam puellas
fugientes secutus easque ad se attractas urina oblivit. Hæc luce clara
facta sunt; nunquam aliquid hæc faciens locutus est.
A... est âgé de vingt-trois ans, fort au physique, proprement mis et de
manières décentes. Crâne un peu progeneum. Atteint de pneumonie
chronique à la pointe droite du poumon. Emphysème. Pouls: 60; en
émotion: 70 à 80 coups. Parties génitales normales. Se plaint de
troubles périodiques de la digestion, de constipation, de vertiges et
d'une excitation sexuelle excessive qui l'a poussé de bonne heure à
l'onanisme, mais jamais à la satisfaction normale de ses besoins
sexuels. Se plaint aussi d'être d'humeur mélancolique de temps en
temps, d'idées qui lui viennent de se torturer lui-même, ainsi que de
tendances perverses dont il ne saurait s'expliquer le mobile. Ainsi,
par exemple, il rit dans des occasions graves, a quelquefois l'idée de
jeter son argent à l'eau, de courir sous une pluie torrentielle.
Le père de l'inculpé est de tempérament nerveux, la mère sujette à des
maux de tête nerveux. Un frère souffrait de crises épileptiques.
Dès sa première jeunesse, l'inculpé montrait un tempérament nerveux,
était sujet aux crampes et aux syncopes, et était pris d'un état de
catalepsie momentané lorsqu'on le grondait sévèrement. En 1869, il
suivait les cours de médecine à Berlin. En 1870, il prit part à la
guerre comme ambulancier. Ses lettres de cette époque dénotent de la
mollesse et de l'apathie. En rentrant au printemps de 1871, son
irritabilité d'humeur éveilla l'attention de son entourage. Il se
plaignait souvent à cette époque de malaises physiques et des
désagréments que lui causait une liaison féminine.
Il passait pour un homme très convenable.
En prison, il est calme et quelquefois pensif. Il attribue ses actes à
des excitations sexuelles très gênantes et qui, ces temps derniers,
étaient devenues excessives. Il s'était parfaitement rendu compte de
l'immoralité de ses actes, et après coup, il en avait toujours eu de la
honte. En les accomplissant, il n'a pas éprouvé une véritable
satisfaction sexuelle. Il n'a pas une connaissance parfaite de la vraie
portée de sa situation. Il se considère comme un martyre, une victime
d'un pouvoir méchant. On suppose que chez lui le libre arbitre est
supprimé.
Ce penchant se manifeste aussi dans l'instinct sexuel paradoxal qui se
réveille à l'âge de sénilité et qui souvent se fait jour d'une façon
perverse.
Ainsi Turnowsky (op. cit., p. 76) nous rapporte le cas suivant:
OBSERVATION 32.--J'ai connu un malade qui s'est couché avec une femme
en toilette de soirée et fortement décolletée, sur un divan bas, dans
une chambre très éclairée. Ipse apud janum alius cubiculi obscurati
constitit adspiciendo aliquantulum feminam, excitatus in eam insiluit
excrementa in sinus ejus deposuit. Hæc faciens ejaculationem quamdam se
sentire confessus est.
Un journaliste viennois me communique le fait que des hommes, en payant
des prix exorbitants, décident des prostituées à tolérer, ut illi viri
in ora earum spuerent, et fæces et urinas in ora explerent[43].
[Note 43: Léo Taxil, dans son ouvrage: La Corruption fin de siècle,
rapporte (p. 223) des faits analogues. Il y a aussi des hommes qui
exigent introductio linguæ meretricis in anum.]
Dans cette catégorie paraît aussi rentrer le cas suivant raconté par le
Dr Pascal (Igiene dell'amore):
OBSERVATION 33.--Un homme avait une maîtresse. Ses rapports avec elle
se bornaient aux actes suivants: elle devait se laisser noircir les
mains avec du charbon ou de la suie de chandelle, ensuite elle devait
se mettre devant une glace, de sorte qu'il pût voir dans la glace les
mains salies. Durant sa conversation souvent assez prolongée avec sa
maîtresse, il portait sans cesse ses regards dans la glace sur l'image
des mains salies, et puis il prenait congé d'elle, l'air très satisfait.
Très remarquable aussi à ce point de vue, le cas suivant qui m'a été
communiqué par un médecin. Un officier n'était connu dans un lupanar à
K..., que sous le sobriquet de «l'huile». L'huile lui procurait des
érections et des éjaculations, à la condition qu'il fît entrer la
puellam publicam nudam dans un seau rempli d'huile et qu'il lui
enduisît d'huile tout le corps.
En présence de ces faits, la supposition s'impose que certains
individus qui abîment les vêtements de femmes (en versant dessus, par
exemple, de l'acide sulfurique ou de l'encre), doivent obéir au désir
de satisfaire un instinct sexuel pervers. C'est là aussi une façon de
causer de la douleur. Les personnes endommagées sont toujours des
femmes, tandis que ceux qui commettent le dégât sont des hommes. Dans
tous les cas, il serait bon, dans de pareilles affaires judiciaires, de
prêter à l'avenir quelque attention à la vita sexualis des agresseurs.
Le caractère sexuel de ces attentats est mis en lumière par le cas de
Bachmann que nous citerons plus loin (Observ. 93) et dans lequel le
mobile sexuel du délit fut prouvé jusqu'à l'évidence.
E.--AUTRES ACTES DE VIOLENCE SUR DES FEMMES. SADISME SYMBOLIQUE
Dans les groupes énumérés plus haut, toutes les formes sous lesquelles
l'instinct sadiste se manifeste contre la femme, ne sont pas encore
épuisées. Si le penchant n'est pas trop puissant ou s'il y a encore
assez de résistance morale, il peut se faire que l'inclination sadiste
se satisfasse par un acte en apparence puéril et insensé, mais qui,
pour l'auteur, possède un caractère symbolique.
Tel semble être le sens des deux cas suivants.
OBSERVATION 34.--(Dr Pascal, Igiene dell' Amore). Un homme avait
l'habitude d'aller une fois par mois, à une date fixe, chez sa
maîtresse et de lui couper alors, avec une paire de ciseaux, les mèches
qui lui tombaient sur le front. Cet acte lui procurait le plus grand
plaisir. Il n'exigeait jamais autre chose de la fille.
OBSERVATION 35.--Un homme, habitant Vienne, fréquente régulièrement
plusieurs prostituées, rien que pour leur savonner la figure et y
passer ensuite un rasoir comme s'il voulait leur faire la barbe.
Numquam puellas lædit, sed hæc faciens valde excitatur libidine et
sperma ejaculat[44].
[Note 44: Léo Taxil (op. cit., p. 224) raconte que, dans les lupanars
de Paris, on tient à la disposition de certains clients des instruments
qui représentent des gourdins mais qui, en réalité, ne sont que des
vessies gonflées du genre de celles avec lesquelles les clowns, dans
les cirques, se donnent des coups. Des sadiques se donnent par ce moyen
l'illusion qu'ils battent des femmes.]
Unique dans son genre est le cas suivant qui malheureusement n'a pas
été assez étudié au point de vue scientifique.
OBSERVATION 36.--Au cours d'un procès devant un tribunal correctionnel
de Vienne, on a révélé le fait suivant. Dans un jardin de restaurant
public, un comte N... est venu un jour accompagné d'une femme et a
scandalisé le public par ses menées. Il exigea de la femme qui était
avec lui, qu'elle s'agenouillât devant lui et qu'elle l'adorât les
mains jointes. Ensuite il lui ordonna de lécher ses bottes. Enfin il
exigea d'elle, en plein public, quelque chose d'inouï (osculum ad nates
ou quelque chose d'analogue) et ne céda que lorsque la femme eut juré
d'accomplir l'acte demandé chez elle, dans l'intimité.
Ce qui frappe dans ce cas c'est le besoin de l'homme perverti
d'humilier la femme devant témoins (à comparer les fantaisies des
sadistes cités plus haut, observation 30), et le fait que le désir
d'humilier la femme tient le premier rang, et que c'est seulement un
acte de nature symbolique. À côté de cela, dans ce cas incomplètement
observé, les actes cruels sont aussi probables.
F.--SADISME PORTANT SUR DES OBJETS QUELCONQUES. FOUETTEURS DE GARCONS
En dehors des actes sadiques sur des femmes dont on vient de lire la
description, il y en a aussi qui se pratiquent sur des êtres ou des
objets quelconques, sur des enfants, sur des animaux, etc. L'individu
peut, dans ces cas, se rendre nettement compte que son penchant cruel
vise en réalité les femmes et qu'il maltraite, faute de mieux, le
premier objet qui se trouve à sa portée.
L'état du malade peut aussi être tel qu'il s'aperçoive que seul le
penchant aux actes cruels est accompagné d'émotions voluptueuses,
tandis que le véritable motif de sa cruauté (qui pourrait seul
expliquer la tendance voluptueuse à de pareils actes) reste pour lui
obscur.
La première alternative suffit pour expliquer les cas cités par le Dr
Albert (Friedreichs Blætter f. ger Med., 1859) et où il s'agit de
précepteurs voluptueux qui, sans aucun motif, donnaient des fessées à
leurs élèves.
Si, d'autre part, des garçons, on voyant appliquer une correction à
leurs camarades, sont mis dans un état d'excitation sexuelle et
reçoivent ainsi une direction pour leur vita sexualis dans l'avenir,
cela nous fait penser à la seconde alternative, à un instinct sadique
inconscient par rapport à son objet, comme dans les deux exemples
suivants.
OBSERVATION 37.--R..., vingt-cinq ans, négociant, s'est adressé à moi
au printemps de l'année 1889 pour me consulter au sujet d'une anomalie
de sa vita sexualis, anomalie qui lui fait craindre une maladie et des
malheurs dans la vie matrimoniale.
Le malade est d'une famille nerveuse; il était, dans son enfance,
délicat, faible, nerveux, d'ailleurs bien portant sauf des morbilli.
Plus tard, il s'est bien développé au physique et est devenu vigoureux.
À l'âge de huit ans, il fut témoin, à l'école, des corrections que le
maître appliquait aux garçons, leur prenant la tête entre ses genoux et
leur fouettant ensuite le derrière.
Cette vue causa au malade une émotion voluptueuse. Sans avoir une idée
du danger et de la honte de l'onanisme, il se satisfit par la
masturbation, et, à partir de ce moment, il se masturba fréquemment, en
évoquant toujours le souvenir des garçons qu'il avait vu fouetter.
Il continua ces pratiques jusqu'à l'âge de vingt ans. Alors il apprit
quelle est la portée de l'onanisme, il s'en effraya et essaya d'enrayer
son penchant à la masturbation; mais il avait recours à la masturbation
psychique qu'il croyait inoffensive et justifiable au point de vue de
la morale; à cet effet, il évoquait le souvenir des enfants fouettés.
Le malade devint neurasthénique, souffrit de pollutions, essaya de se
guérir par la fréquentation des maisons publiques, mais il n'arriva
jamais à avoir une érection. Il fit alors des efforts pour acquérir des
sentiments sexuels normaux en recherchant la société des dames
convenables. Mais il reconnut bientôt qu'il était insensible aux
charmes du beau sexe.
Le malade est un homme de constitution physique normale, intelligent et
doué d'un bel esprit. Il n'y a chez lui aucun penchant pour les
personnes de son propre sexe.
Mon ordonnance médicale consista en préceptes pour combattre la
neurasthénie et pour arrêter les pollutions. Je lui défendis la
masturbation psychique et manuelle, je l'engageai à se tenir à l'écart
de toute excitation sexuelle, et je lui fis prévoir un traitement
hypnotique pour le ramener tout doucement à la vita sexualis normale.
OBSERVATION 38.--Sadisme larvé. N..., étudiant, est venu au mois de
décembre 1890 à ma clinique. Depuis sa plus tendre jeunesse, il se
livre à la masturbation. D'après ses assertions, il a été sexuellement
excité en voyant son père appliquer une correction à ses frères, et
plus tard, lorsque le maître d'école punissait les élèves. Témoin de
ces actes, il éprouvait toujours des sensations voluptueuses. Il ne
sait pas dire au juste à quelle date ce sentiment s'est pour la
première fois manifesté chez lui; vers l'âge de six ans cela a déjà pu
se produire. Il ne sait pas non plus précisément quand il a commencé à
se masturber, mais il affirme nettement que son penchant sexuel a été
éveillé à l'aspect de la flagellation des autres et que c'est ce fait
qui l'a amené inconsciemment à se masturber. Le malade se rappelle bien
que, dès l'âge de quatre ans jusqu'à l'âge de huit ans, il a été, lui
aussi, à plusieurs reprises, fouetté sur le derrière, mais qu'il n'en a
ressenti que de la douleur, jamais de la volupté. Comme il n'avait pas
toujours l'occasion de voir battre les autres, il se représentait ces
scènes dans son imagination. Cela excitait sa volupté, et alors il se
masturbait. Toutes les fois qu'il le pouvait, il s'arrangeait à l'école
de façon à pouvoir assister à la correction appliquée aux autres.
Parfois il éprouvait le désir de fouetter lui-même ses camarades. À
l'âge de douze ans, il sut décider un camarade à se laisser battre par
lui. Il en éprouva une grande volupté. Mais lorsque l'autre prit sa
revanche et le battit à son tour, il ne ressentit que de la douleur.
Le désir de battre les autres n'a jamais été très fort chez lui. Le
malade trouvait plus de satisfaction à jouir des scènes de flagellation
qu'il évoquait dans son imagination. Il n'a jamais eu d'autres
tendances sadiques, jamais le désir de voir couler du sang, etc.
Jusqu'à l'âge de quinze ans, son plaisir sexuel fut la masturbation
jointe au travail d'imagination dont il est fait mention plus haut.
À partir de cette époque, il fréquenta les cours de danse et les
demoiselles; alors ses anciens jeux d'imagination cessèrent presque
complètement et n'évoquèrent que faiblement des sensations
voluptueuses, de sorte que le malade les a tout à fait abandonnés. Il
essaya alors de s'abstenir de la masturbation, mais il n'y réussit pas,
bien qu'il fît souvent le coït et qu'il y éprouvât plus de plaisir que
dans la masturbation. Il voudrait se débarrasser de l'onanisme, qu'il
considère comme une chose indigne. Il n'en éprouve pas d'effets
nuisibles. Il fait le coït une fois par mois, mais il se masturbe
chaque nuit une ou deux fois. Il est maintenant normal au point de vue
sexuel, sauf l'habitude de la masturbation. On ne trouve chez lui
aucune trace de neurasthénie. Ses parties génitales sont normales.
OBSERVATION 39.--L. P..., quinze ans, de famille de haut rang, est né
d'une mère hystérique. Le frère et le père de Mme P... sont morts dans
une maison de santé.
Deux frères du jeune P... sont morts, pendant leur enfance, de
convulsions. P... a du talent, il est sage, calme, mais, par moments,
coléreux, entêté et violent. Il souffre d'épilepsie et se livre à la
masturbation. Un jour, on découvrit que P..., en donnant de l'argent à
un camarade pauvre, nommé B... et âgé de quatorze ans, avait décidé ce
dernier à se laisser pincer aux bras, aux cuisses et aux fesses. Quand
B... se mit à pleurer, P... s'excita, frappa de la main droite sur
B..., tandis qu'avec la gauche il farfouillait dans la poche gauche de
son pantalon.
P... avoua que le mauvais traitement qu'il avait infligé à son ami,
qu'il aimait d'ailleurs beaucoup, lui avait causé un plaisir
particulier. Comme, pendant qu'il battait son ami, il se masturbait,
l'éjaculation qui en fut la suite, disait-il, lui procura plus de
plaisir que celle de la masturbation solitaire. (V. Gyurkovochky,
Pathologie und Therapie der männlichen Impotenz, 1889, p. 80.)
Dans tous ces mauvais traitements d'origine sadique exercés sur des
garçons, on ne peut pas admettre une combinaison du sadisme avec
l'inversion sexuelle, comme cela arrive quelquefois aux personnes
atteintes d'inversion sexuelle.
Il n'y a aucun signe positif en faveur de cette hypothèse; d'ailleurs,
l'absence d'inversion sexuelle ressort aussi de l'examen du groupe
suivant où, à côté de l'objet des mauvais traitements, l'animal, le
sens de l'instinct pour la femme se fait souvent assez bien sentir.
G.--ACTES SADIQUES SUR DES ANIMAUX
Dans bien des cas, des hommes sadiques et pervers qui reculent devant
un crime commis sur des hommes, ou qui, en général, ne tiennent qu'à
voir souffrir un être vivant quelconque, ont recours à la torture des
animaux ou au spectacle d'un animal mourant pour exciter ou augmenter
leur volupté.
Le cas rapporté par Hofman dans son Cours de médecine légale est très
caractéristique.
D'après les dépositions de plusieurs prostituées devant le tribunal de
Vienne, il y avait, dans la capitale autrichienne, un homme qui, avant
de faire l'acte sexuel, avait l'habitude de s'exciter en torturant et
en tuant des poulets, des pigeons et d'autres oiseaux. Cette habitude
lui avait valu, de la part des prostituées, le sobriquet du «Monsieur
aux poules» (Hendlherr).
Une observation de Lombroso est très précieuse pour expliquer ces
faits. Il a observé deux hommes qui, toutes les fois qu'ils tuaient des
poulets ou des pigeons, avaient une éjaculation.
Dans son Uomo delinquente, p. 201, le même auteur raconte qu'un célèbre
poète était toujours très excité sexuellement toutes les fois qu'il
voyait dépecer un veau qu'on venait de tuer ou qu'il apercevait de la
viande saignante.
D'après Mantegazza, des Chinois dégénérés auraient l'habitude de se
livrer à un sport horrible qui consisterait à sodomiser des canards et
à leur couper le cou avec un sabre tempore ejaculationis(!).
Mantegazza (Fisiologia del piacere, 5e éd., p. 394-395) rapporte qu'un
homme qui avait vu couper le cou à un coq, avait depuis ce moment la
passion de fouiller dans les entrailles chaudes et sanglantes d'un coq
tué, parce que, ce faisant, il éprouvait une sensation de volupté.
Dans ce cas et dans les cas analogues, la vita sexualis est ab origine,
telle que la vue du sang et du meurtre provoque des sentiments
voluptueux.
Il en est de même dans le cas suivant.
OBSERVATION 40.--C. L..., quarante-deux ans, ingénieur, marié, père de
deux enfants. Est issu de famille névropathique: le père est emporté,
potator; la mère, hystérique, a souffert d'accès éclamptiques.
Le malade se souvient qu'étant enfant il aimait beaucoup à voir tuer
des animaux domestiques et surtout des cochons. À cet aspect, il avait
des sensations de volupté bien prononcées et de l'éjaculation. Plus
tard, il visitait les abattoirs pour se réjouir au spectacle du sang
versé et des animaux se débattant dans l'agonie. Toutes les fois que
l'occasion se présentait, il tuait lui-même un animal, ce qui lui
causait toujours un sentiment qui suppléait au plaisir sexuel.
Ce n'est que lorsqu'il eut atteint l'âge adulte qu'il reconnut le
caractère anormal de son état. Le malade n'avait pas d'aversion
proprement dite pour les femmes, mais avoir des rapports plus intimes
avec elles lui paraissait une horreur. Sur le conseil d'un médecin, il
épousa, à l'âge de vingt-cinq ans, une femme qui lui était sympathique;
il espérait, de cette manière, pouvoir se débarrasser de son anomalie.
Bien qu'il eût beaucoup d'affection pour sa femme, il ne put accomplir
que très rarement le coït avec elle, et encore lui fallait-il, pour
cela, beaucoup d'efforts et la tension de son imagination. Malgré cet
état de choses, il engendra deux enfants. En 1866, il prit part à la
guerre austro-prussienne. Les lettres adressées du champ de bataille à
sa femme étaient conçues en termes exaltés et enthousiastes. Depuis la
bataille de Koeniggraetz, il a disparu.
Dans le cas que nous venons de citer, la faculté du coït normal a été
fortement diminuée par la prédominance des idées perverses. Dans le cas
suivant, on pourra constater une suppression complète de cette faculté.
OBSERVATION 41.--(Dr Pascal. Igiene dell Amore.) Un individu se
présentait chez des prostituées, leur faisait acheter des poules
vivantes et des lapins, et exigeait qu'on torturât ces animaux en sa
présence. Il tenait à ce qu'on leur arrachât les yeux et les
entrailles. Quand il tombait sur une puella qui se laissait décider à
ces actes et qui se signalait par une cruauté extraordinaire, il était
enchanté, payait et s'en allait, sans lui demander autre chose, sans
même la toucher.
Il ressort des deux derniers chapitres que les souffrances de tout être
sensible peuvent devenir, pour des natures disposées au sadisme, la
source d'une jouissance sexuelle perverse. Il y a donc un sadisme qui a
pour objet des êtres quelconques.
Mais il serait erroné et exagéré de vouloir expliquer tous les cas de
cruauté étrange et extraordinaire par la perversion sadique, et, comme
cela se fait quelquefois, de donner le sadisme comme mobile à toutes
les atrocités historiques, ou à certains phénomènes de la psychologie
des masses contemporaines.
La cruauté naît de sources différentes, et elle est naturelle chez
l'homme primitif.
La pitié est un phénomène secondaire, c'est un sentiment acquis assez
tard. L'instinct de combativité et de destruction qui, dans l'état
préhistorique, était une arme si précieuse, continue toujours à
produire son effet, prenant une nouvelle incarnation dans notre société
civilisée contre le criminel, pendant que son objectif primitif,
«l'ennemi», existe toujours.
Qu'on ne se contente pas de la mort simple, mais qu'on exige aussi la
torture du vaincu, cela s'explique en partie par le sentiment de
puissance qui veut être satisfait par ce moyen et, d'autre part, par
l'immensité de l'instinct de revanche. De cette façon, on peut
expliquer toutes les atrocités des monstres historiques sans avoir
recours au sadisme, qui a pu parfois entrer en jeu, mais qui, étant une
perversion relativement rare, ne doit pas être toujours considéré comme
mobile unique.
Il faut, en outre, tenir compte d'un élément psychique qui explique le
grand attrait que les exécutions publiques ont encore de nos jours sur
les masses: c'est le désir d'avoir des sensations fortes et
inaccoutumées, un spectacle rare. Devant ce désir, la pitié est
condamnée au silence, surtout chez les natures brutales et blasées.
Il y a évidemment beaucoup d'individus pour qui, malgré ou peut-être
grâce à leur vive pitié, tout ce qui se rattache à la mort et aux
souffrances exerce une force d'attraction mystérieuse. Ces individus
cèdent à un instinct obscur et, malgré leur répugnance intérieure,
cherchent à s'occuper de ces spectacles ou, faute de mieux, des images
et des circonstances qui les retracent. Cela n'est pas non plus du
sadisme, tant qu'aucun élément sexuel n'entre en scène, bien que des
fils mystérieux, nés dans le domaine de l'inconscience, puissent relier
ces phénomènes à un fonds de sadisme ignoré.
SADISME CHEZ LA FEMME
On s'explique facilement que le sadisme, perversion fréquente chez
l'homme, ainsi que nous l'avons constaté, soit de beaucoup plus rare
chez la femme. D'abord, le sadisme dont un des éléments constitutifs
est précisément la subjugation de l'autre sexe, n'est, en réalité,
qu'une accentuation pathologique de la virilité du caractère sexuel;
ensuite, les puissants obstacles qui s'opposent à la manifestation de
ce penchant monstrueux sont évidemment encore plus difficiles à
surmonter pour la femme que pour l'homme.
Toutefois, il y a aussi des cas de sadisme chez la femme, ce qui ne
peut s'expliquer que par le premier élément constitutif de ce penchant
et par la surexcitation générale de la zone motrice.
Jusqu'ici, on n'en a scientifiquement observé que deux cas.
OBSERVATION 42.--Un homme marié s'est présenté chez moi et m'a montré
de nombreuses cicatrices de blessures sur ses bras. Voici ce qu'il m'a
raconté sur l'origine de ces cicatrices. Toutes les fois qu'il veut
s'approcher de sa jeune femme, qui est un peu nerveuse, il est obligé
d'abord de se couper au bras. Elle suce ensuite le sang de la blessure
et alors il se produit chez elle une vive excitation sexuelle.
Ce cas rappelle la légende très répandue des vampires dont l'origine
pourrait peut-être se rattacher à des faits sadiques[45].
[Note 45: Cette légende est répandue surtout dans la presqu'île
Balkanique. Chez les Grecs modernes, elle remonte à l'antique
mythologie des Lamies, femmes qui suçaient le sang. Goethe a traité ce
sujet dans sa Fiancée de Corinthe. Les vers qui ont trait au
vampirisme: «Sucent le sang de ton coeur, etc.», ne sont complètement
compréhensibles qu'avec l'étude comparée des documents antiques.]
Dans un second cas de sadisme féminin, qui m'a été communiqué par M. le
Dr Moll de Berlin, il y a, à côté de la tendance perverse de
l'instinct, insensible aux procédés normaux de la vie sexuelle, comme
cela se voit fréquemment, des traces de masochisme.
OBSERVATION 43.--Mme H..., vingt-six ans, est née d'une famille dans
laquelle il n'y aurait eu ni maladies de nerfs ni troubles psychiques.
Par contre, la malade présente des symptômes d'hystérie et de
neurasthénie. Bien que mariée et mère d'un enfant, Mme H... n'a jamais
eu le désir d'accomplir le coït. Élevée comme jeune fille dans des
principes très sévères, elle resta, jusqu'à son mariage, dans une
ignorance naïve des choses sexuelles. Depuis l'âge de quinze ans, elle
a des menstrues régulières. Ses parties génitales ne présentent aucune
anomalie essentielle. Non seulement le coït ne lui procure aucun
plaisir, mais c'est pour elle un acte désagréable. L'aversion pour le
coït s'est de plus en plus accentuée chez elle. La malade ne comprend
pas comment on peut considérer un pareil acte comme le suprême bonheur
de l'amour, sentiment qui, à son avis, est trop élevé pour pouvoir être
rattaché à l'instinct sexuel. Il faut rappeler, à ce propos, que la
malade aime sincèrement son mari. Elle a beaucoup de plaisir à
l'embrasser, un plaisir sur la nature duquel elle ne saurait donner
aucune indication précise. Mais elle ne peut pas comprendre que les
parties génitales puissent jouer un rôle en amour. Mme H... est, du
reste, une femme très sensée, douée d'un caractère féminin.
Si oscule dat conjugi, magnam voluptatem percipit in mordendo eum.
Gratissimum ei esset conjugem mordere eo modo ut sanguis fluat.
Contenta esset si loco coitus morderetur a conjuge ipsæque eum mordere
liceret. Tamen eam poeniteret, si morsu magnam dolorem faceret. (Dr
Moll).
On rencontre dans l'histoire des exemples de femmes, quelques-unes
illustres, dont le désir de régner, la cruauté et la volupté, font
supposer une perversion sadiste chez ces Messalines. Il faut compter
dans la catégorie de ces femmes Messaline Valérie, elle-même, Catherine
de Médicis, l'instigatrice de la Saint-Barthélémy et dont le plus grand
plaisir était de faire fouetter en sa présence les dames de sa cour,
etc.[46].
[Note 46: Heinrich von Kleist, poète de génie mais évidemment d'un
esprit déséquilibré, nous donne dans sa Penthésilée le portrait
horrible d'une sadique parfaite imaginée par lui.
Dans la 22e scène de cette pièce, Kleist nous présente son héroïne:
elle est prise d'une rage de volupté et d'assassinat, déchire en
morceaux Achille, qu'elle avait poursuivi dans son rut et dont elle
s'est emparée par la ruse.
«En lui arrachant son armure, elle enfonce ses dents dans la poitrine
blanche du héros, ainsi que ses chiens qui veulent surpasser leur
maîtresse. Les dents d'Oxus et de Sphynx pénètrent à droite et à
gauche. Quand je suis arrivé, elle avait la bouche et les mains
ruisselantes de sang.» Plus loin, quand Penthésilée est dégrisée, elle
s'écrie: «Est-ce que je l'ai baisé mort?--Non, je ne l'ai pas baisé?
L'ai-je mis en morceaux? Alors c'est un leurre. Baisers et morsures
sont la même chose, et celui qui aime de tout son coeur peut les
confondre.»
Dans la littérature moderne on trouve des descriptions de scènes de
sadisme féminin, dans les romans de Sacher-Masoch, dont il sera
question plus loin, dans la Brunhilde de Ernst von Wildenbruch, dans la
Marquise de Sade de Rachilde, etc.]
MASOCHISME[47] OU EMPLOI DE LA CRUAUTÉ ET DE LA VIOLENCE SUR SOI-MÊME
POUR PROVOQUER LA VOLUPTÉ.
[Note 47: Ainsi nommé d'après Sacher-Masoch, dont les romans et les
contes traitent de préférence de ce genre de perversion.]
Le masochiste est le contraire du sadiste. Celui-ci veut causer de la
douleur et exerce des violences; celui-là, au contraire, tient à
souffrir et à se sentir subjugué avec violence.
Par masochisme, j'entends cette perversion particulière de la vita
sexualis psychique qui consiste dans le fait que l'individu est, dans
ses sentiments et dans ses pensées sexuels, obsédé par l'idée d'être
soumis absolument et sans condition à une personne de l'autre sexe,
d'être traité par elle d'une manière hautaine, au point de subir même
des humiliations et des tortures. Cette idée s'accompagne d'une
sensation de volupté; celui qui en est atteint, se plaît aux fantaisies
de l'imagination qui lui dépeint des situations et des scènes de ce
genre; il cherche souvent à réaliser ces images et, par cette
perversion de son penchant sexuel, il devient fréquemment plus ou moins
insensible aux charmes normaux de l'autre sexe, incapable d'une vita
sexualis normale, psychiquement impuissant. Cette impuissance psychique
n'a nullement pour base l'horror sexus alterius; elle est fondée sur ce
fait que la satisfaction du penchant pervers peut, comme dans les cas
normaux, venir de la femme, mais non du coït.
Il y a aussi des cas où, à côté de la tendance perverse de l'instinct,
l'attrait pour les plaisirs réguliers est encore à peu près conservé et
des rapports sexuels normaux ont encore lieu à côté des manifestations
perverses. Dans d'autres cas, l'impuissance n'est pas purement
psychique, mais bien physique, c'est-à-dire spinale. Car cette
perversion, comme presque toutes les autres perversions de l'instinct
sexuel, ne se développe que sur le terrain d'une individualité
psychopathique dans la plupart des cas tarée, et ces individus se
livrent ordinairement dès leur première jeunesse à des excès sexuels,
surtout des excès de masturbation auxquels les pousse la difficulté de
réaliser leurs fantaisies.
Le nombre des cas de masochisme incontestable qu'on a observé jusqu'ici
est déjà considérable. Le masochisme existe-t-il simultanément avec une
vie sexuelle normale, ou domine-t-il exclusivement l'individu? Le
malade atteint de cette perversion cherche-t-il, et dans quelle mesure,
à réaliser ses fantaisies étranges? A-t-il par cette perversion plus ou
moins perdu sa puissance sexuelle ou non? Tout cela dépend de
l'intensité de la perversion, de la force des mobiles contraires,
éthiques et esthétiques, ainsi que de la vigueur relative, de la
constitution physique et psychique de l'individu atteint. Au point de
vue de la psychopathie, l'essentiel c'est le trait commun qui se trouve
dans tous ces cas: tendance du penchant sexuel à la soumission et à la
recherche des mauvais traitements de la part de l'autre sexe.
On peut appliquer au masochisme tout ce qui a été dit plus haut du
sadisme relativement au caractère impulsif (mobiles obscurs) de ses
actes et au caractère congénital de cette perversion.
Chez le masochiste aussi il y a une gradation dans les actes, depuis
les faits les plus répugnants et les plus monstrueux jusqu'aux plus
puérils et aux plus ineptes, selon le degré d'intensité des penchants
pervers et l'intensité de la force de réaction morale et esthétique.
Mais ce qui empêche d'aller jusqu'aux conséquences extrêmes du
masochisme, c'est l'instinct de la conservation. Voilà pourquoi
l'assassinat et les blessures graves qui peuvent se commettre sous
l'influence de la passion sadique, ne trouvent pas, autant qu'on sait,
leur pendant masochiste dans la réalité. Il est cependant possible que
les désirs pervers des masochistes puissent, dans leur imagination,
aller jusqu'à ces conséquences extrêmes. (Voir l'observation 53.)
Les actes auxquels se livrent certains masochistes se pratiquent en
même temps que le coït, c'est-à-dire qu'ils servent de préparatifs.
Chez d'autres, ces actes servent d'équivalent au coït. Cela dépend
seulement de l'état de la puissance sexuelle qui chez la plupart est
psychiquement ou physiquement atteinte par suite de la perversion des
représentations sexuelles. Mais cela ne change rien au fond de la chose.
A.--RECHERCHE DES MAUVAIS TRAITEMENTS ET DES HUMILIATIONS DANS UN BUT
DE SATISFACTION SEXUELLE
L'autobiographie d'un masochiste qui va suivre, nous fournit une
description détaillée d'un cas typique de cette étrange perversion.
OBSERVATION 44.--Je suis issu d'une famille névropathique dans
laquelle, en dehors de toutes sortes de bizarreries de caractère et de
conduite, il y a aussi diverses anomalies au point de vue sexuel.
De tout temps, mon imagination fut très vive, et, de bonne heure, elle
fut portée vers les choses sexuelles. En même temps, j'étais, autant
que je puis me rappeler, adonné à l'onanisme, longtemps avant ma
puberté, c'est-à-dire avant d'avoir des éjaculations. À cette époque
déjà, mes pensées, dans des rêveries durant des heures entières,
s'occupaient des rapports avec le sexe féminin. Mais les rapports dans
lesquels je me mettais idéalement avec l'autre sexe étaient d'un genre
bien étrange. Je m'imaginais que j'étais en prison et livré au pouvoir
absolu d'une femme, et que cette femme profitait de son pouvoir pour
m'infliger des peines et des tortures de toutes sortes. À ce propos,
les coups et les flagellations jouaient un grand rôle dans mon
imagination, ainsi que d'autres actes et d'autres situations qui,
toutes, marquaient une condition de servitude et de soumission. Je me
voyais toujours à genoux devant mon idéal, ensuite foulé aux pieds,
chargé de fers et jeté en prison. On m'imposait de graves souffrances
comme preuve de mon obéissance et pour l'amusement de ma maîtresse.
Plus j'étais humilié et maltraité dans mon imagination, plus
j'éprouvais de délices en me livrant à ces rêves. En même temps, il se
produisit en moi un grand amour pour les velours et les fourrures que
j'essayais toujours de toucher et de caresser et qui me causaient aussi
des émotions de nature sexuelle.
Je me rappelle bien d'avoir, étant enfant encore, reçu plusieurs
corrections de mains de femmes. Je n'en ressentais alors que de la
honte et de la douleur, et jamais je n'ai eu l'idée de rattacher les
réalités de ce genre à mes rêves. L'intention de me corriger et de me
punir m'émouvait douloureusement, tandis que, dans les rêves de mon
imagination, je voyais toujours ma «maîtresse» se réjouir de mes
souffrances et de mes humiliations, ce qui m'enchantait. Je n'ai pas
non plus à rattacher à mes fantaisies les ordres ou la direction des
femmes qui me surveillaient pendant mon enfance. De bonne heure, j'ai
pu, par la lectures d'ouvrages, apprendre la vérité sur les rapports
normaux des deux sexes; mais cette révélation me laissa absolument
froid. La représentation des plaisirs sexuels resta attachée aux images
avec lesquelles elle se trouvait unie dès la première heure. J'avais
aussi, il est vrai, le désir de toucher des femmes, de les serrer dans
mes bras et de les embrasser; mais les plus grandes délices, je ne les
attendais que de leurs mauvais traitements et des situations dans
lesquelles elles me faisaient sentir leur pouvoir. Bientôt je reconnus
que je n'étais pas comme les autres hommes; je préférais être seul afin
de pouvoir me livrer à mes rêvasseries. Les filles ou femmes réelles
m'intéressaient peu dans ma première jeunesse, car je ne voyais guère
la possibilité qu'elles puissent jamais agir comme je le désirais. Dans
les sentiers solitaires, au milieu des bois, je me flagellais avec les
branches tombées des arbres et laissais alors libre cours à mon
imagination. Les images de femmes hautaines me causaient de réelles
délices, surtout quand ces femmes étaient des reines et portaient des
fourrures. Je cherchais de tous côtés les lectures en rapport avec mes
idées de prédilection. Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau, qui me
tombèrent alors sous la main, furent pour moi une grande révélation.
J'y ai trouvé la description d'un état qui, dans ses points principaux,
ressemblait au mien. Je fus encore plus frappé de retrouver des idées
en harmonie avec les miennes, lorsque j'eus appris à connaître les
ouvrages de Sacher-Masoch. Je dévorais ces livres avec avidité, bien
que les scènes sanguinaires dépassaient souvent mon imagination et me
faisaient alors horreur. Toutefois, le désir de réaliser ces scènes ne
m'est pas venu, même à l'époque de la puberté. En présence d'une femme,
je n'éprouvais aucune émotion sensuelle, tout au plus la vue d'un pied
féminin me donnait passagèrement le désir d'en être foulé.
Cette indifférence ne concernait cependant que le domaine purement
sensuel. Dans les premières années de ma puberté, je fus souvent pris
d'une affection enthousiaste pour des jeunes filles de ma connaissance,
affection qui se manifestait avec toutes les extravagances
particulières à ces émotions juvéniles. Mais jamais l'idée ne m'est
venue de relier le monde de mes idées sensuelles avec ces purs idéals.
Je n'avais même pas à repousser une pareille association d'idées, elle
ne se présentait jamais. C'est d'autant plus curieux que mes
imaginations voluptueuses me paraissaient étranges et irréalisables,
mais nullement vilaines ni répréhensibles. Ces rêves aussi étaient pour
moi une sorte de poésie; il me restait deux mondes séparés l'un de
l'autre: dans l'un, c'était mon coeur ou plutôt ma fantaisie qui
s'excitait esthétiquement; dans l'autre, ma force d'imagination
s'enflammait par la sensualité. Pendant que mes sentiments
«transcendantaux» avaient pour objet une jeune fille bien connue, je me
voyais dans d'autres moments aux pieds d'une femme mûre, qui me
traitait comme je viens de le décrire plus haut. Mais je n'attribuais
jamais ce rôle de tyran à une femme connue. Dans les rêves de mon
sommeil, ces deux formes de représentations érotiques apparaissaient
tour à tour, mais jamais elles ne se confondaient. Seules les images de
la sphère sensuelle ont provoqué des pollutions.
À l'âge de dix-neuf ans, je me laissai conduire par des amis chez des
prostituées, bien que, dans mon for intérieur, il me répugnât de les
suivre; je le fis par curiosité. Mais je n'éprouvai, chez les
prostituées, que de la répugnance et de l'horreur, et je me sauvai
aussitôt que je pus sans avoir ressenti la moindre excitation ou
émotion sensuelles. Plus tard, je répétai l'essai de ma propre
initiative pour voir si je n'étais pas impuissant, car mon premier
échec m'affligeait beaucoup. Le résultat fut toujours le même: je n'eus
pas la moindre émotion ni érection. Tout d'abord il m'était impossible
de considérer une femme en os et en chair comme objet de la
satisfaction sensuelle. Ensuite, je ne pouvais renoncer à des états et
à des situations qui, in sexualibus, étaient pour moi la chose
essentielle, et sur lesquelles je n'aurais, pour rien au monde, dit un
mot à qui que ce soit. L'immissio penis à laquelle je devais procéder
me paraissait un acte sale et insensé. En second lieu, ce fut une
répugnance contre des femmes qui appartenaient à tous et la crainte
d'être infecté par elles. Livré à la solitude, ma vie sexuelle
continuait comme autrefois. Toutes les fois que les anciennes images de
mes imaginations surgissaient, j'avais des érections vigoureuses et
presque chaque jour des éjaculations. Je commençais à souffrir de
toutes sortes de malaises nerveux, et je me considérais comme
impuissant, malgré les vigoureuses érections et les violents désirs qui
se manifestaient quand j'étais seul. Malgré cela, je continuais, par
intervalles, mes essais avec des prostituées. Avec le temps, je me
débarrassai de ma timidité et j'arrivai à vaincre en partie la
répugnance que m'inspirait tout contact avec une femme vile et commune.
Mes imaginations ne me suffisaient plus. J'allais maintenant plus
souvent chez les prostituées et je me faisais masturber quand je
n'avais pu accomplir le coït. Je crus d'abord que j'y trouverais un
plaisir plus réel qu'à mes rêveries; au contraire, j'y trouvai un
plaisir moins grand. Quand la femme se déshabillait, j'examinais avec
attention les pièces de ses vêtements. Le velours et la soie jouaient
le premier rôle; mais tout autre objet d'habillement m'attirait aussi,
et surtout les contours du corps féminin, tels qu'ils étaient dessinés
par le corset et les jupons. Je n'avais, pour le corps nu de la femme,
guère d'autre intérêt qu'un intérêt esthétique. Mais, de tout temps, je
m'attachai surtout aux bottines à hauts talons et j'y associais
toujours l'idée d'être foulé par ces talons ou de baiser le pied en
guise d'hommage, etc., etc.
Enfin, je surmontai mes dernières répugnances, et un jour, pour
réaliser mes rêves, je me laissai flageller et fouler aux pieds par une
prostituée. Ce fut pour moi une grande déception. Cela était, pour mes
sentiments, brutal, répugnant et ridicule à la fois. Les coups ne me
causèrent que de la douleur, et les autres détails de cette situation,
de la répugnance et de la honte. Malgré cela, j'obtins, par des moyens
mécaniques, une éjaculation, en même temps qu'à l'aide de mon
imagination je transformais la situation réelle en celle que je rêvais.
La situation rêvée différait de celle que j'avais créée, surtout par le
fait que je m'imaginais une femme qui devait m'infliger des mauvais
traitements avec un plaisir égal à celui avec lequel je les recevais
d'elle. Toutes mes imaginations sexuelles étaient échafaudées sur
l'existence d'un pareil sentiment chez la femme, femme tyrannique et
cruelle, à laquelle je devais me soumettre. L'acte qui devait montrer
cet état d'esclavage ne m'était que d'une importance secondaire. Ce
n'est qu'après ce premier essai, d'une réalisation impossible, que je
reconnus nettement quelle était la véritable tendance de mes désirs. En
effet, dans mes rêves voluptueux, j'avais souvent fait abstraction de
toute représentation de mauvais traitements, et je me bornais à me
représenter une femme aimant à donner des ordres, au geste impérieux, à
la parole faite pour le commandement, à qui je baisais le pied, ou des
choses analogues. Ce n'est qu'alors que je me rendis clairement compte
de ce qui m'attirait en réalité. Je reconnus que la flagellation
n'était qu'un moyen d'exprimer fortement la situation désirée, mais,
qu'en elle-même, la flagellation était sans valeur, me causant plutôt
un sentiment désagréable et même douloureux ou répugnant.
Malgré cette déception, je ne renonçai point à essayer de transporter
dans la réalité mes représentations érotiques, maintenant que le
premier pas dans ce sens avait été fait. Je comptais que mon
imagination une fois habituée à la nouvelle réalité, je trouverais les
éléments nécessaires pour obtenir des effets plus forts. Je cherchais
les femmes qui s'appropriaient le mieux à mon dessein et je les
instruisais soigneusement de la comédie compliquée que je voulais leur
faire jouer. J'appris en même temps que la voie m'avait été préparée
par des prédécesseurs qui avaient les mêmes sentiments que moi. La
puissance de ces comédies, pour agir sur mes imaginations et sur ma
sensibilité, restait bien problématique. Ces scènes m'ont servi pour me
montrer, d'une manière plus vive, quelques détails secondaires de la
situation que je désirais; mais, ce qu'elles donnaient de ce côté,
elles l'enlevaient en même temps à la chose principale que mon
imagination seule, sans le secours d'une duperie grossière et de
commande, pouvait me procurer en rêve, d'une manière beaucoup plus
facile. Les sensations physiques produites par les mauvais traitements,
variaient. Plus l'illusion réussissait, plus je ressentais la douleur
comme un plaisir. Ou, pour être plus exact, je considérais alors en mon
esprit les mauvais traitements comme des actes symboliques. Il en
sortit l'illusion de la situation tant désirée, illusion qui, tout
d'abord, s'accompagna d'une sensation de plaisir psychique. Ainsi la
perception du caractère douloureux des mauvais traitements a été
quelquefois supprimée. Le processus était analogue, mais de beaucoup
plus simple, parce qu'il restait sur le terrain psychique, quand je me
soumettais à de mauvais traitements moraux, à des humiliations. Ceux-ci
aussi s'accentuaient avec la sensation de plaisir, à la condition que
je réussisse à me tromper moi-même. Mais cette duperie réussissait
rarement bien et jamais complètement. Il restait toujours dans ma
conscience un élément troublant. Voilà pourquoi je revenais, entre
temps, à la masturbation solitaire. D'ailleurs, avec les autres
procédés également, la scène se terminait habituellement par une
éjaculation provoquée par l'onanisme, éjaculation qui, parfois, avait
lieu sans que j'eusse besoin de recourir à des moyens mécaniques.
Je continuai ce manège pendant des années entières. Ma puissance
sexuelle s'affaiblissait de plus en plus, mais non mes désirs et encore
moins l'empire que mes étranges idées sexuelles avaient sur moi. Tel
est, encore aujourd'hui, l'état de ma vita sexualis. Le coït, que je
n'ai jamais pu accomplir, me paraît toujours, dans mon idée, comme un
de ces actes étranges et malpropres que je connais par la description
des aberrations sexuelles. Mes propres idées sexuelles me paraissent
naturelles et n'offensent en rien mon goût, d'ailleurs très délicat.
Leur réalisation, il est vrai, ne me donne guère de satisfaction
complète, pour les raisons que je viens d'exposer plus haut. Je n'ai
jamais obtenu, pas même approximativement, une réalisation directe et
véritable de mes imaginations sexuelles. Toutes les fois que je suis
entré en relations plus intimes avec une femme, j'ai senti que la
volonté de la femme était soumise à la mienne, et jamais je n'ai
éprouvé le contraire. Je n'ai jamais rencontré une femme qui, dans les
rapports sexuels, aurait manifesté le désir de régner. Les femmes qui
veulent régner dans le ménage et, comme on dit, porter la culotte, sont
choses tout à fait différentes de mes représentations érotiques. En
dehors de la perversion de ma vita sexualis, il y a encore bien des
symptômes d'anomalie dans la totalité de mon individualité: ma
disposition névropathique se manifeste par de nombreux symptômes sur le
terrain physique et psychique. Je crois, en outre, pouvoir constater
des anomalies héréditaires de caractère dans le sens d'un rapprochement
vers le type féminin. Du moins je considère comme telle mon immense
faiblesse de volonté et mon manque surprenant de courage vis-à-vis des
hommes et des animaux, ce qui contraste avec mon sang-froid habituel.
Mon extérieur physique est tout à fait viril.
L'auteur de cette autobiographie m'a encore donné les renseignements
suivants:
Une de mes préoccupations constantes était de savoir si les idées
étranges qui me dominent au point de vue sexuel, se rencontrent aussi
chez d'autres hommes, et, depuis les premiers renseignements que j'ai
obtenus par hasard, j'ai fait de nombreuses recherches dans ce sens. Il
est vrai que les observations sur cette question sont difficiles à
faire et ne sont pas toujours sûres, étant donné qu'il s'agit là d'un
processus intime de la sphère des représentations. J'admets l'existence
du masochisme là où je trouve des actes pervers dans les rapports
sexuels, actes que je ne peux pas m'expliquer autrement que par cette
idée dominante. Je crois que cette anomalie est très répandue.
Toute une série de prostituées de Berlin, de Paris, de Vienne et
d'ailleurs m'ont donné des renseignements sur ce sujet, et j'ai appris
de cette manière combien sont nombreux mes compagnons de douleur. J'eus
toujours la précaution de ne pas leur raconter des histoires moi-même
ni de leur demander si telle ou telle chose leur était arrivée, mais je
les laissais raconter au hasard d'après leur expérience personnelle.
La flagellation simple est si répandue que presque chaque prostituée
est outillée pour cela. Les cas manifestes de masochisme sont aussi
très fréquents. Les hommes atteints de cette perversion se soumettent
aux tortures les plus raffinées. Avec des prostituées auxquelles on a
fait la leçon, ils exécutent toujours la même comédie: l'homme se
prosterne humblement; il y a ensuite coups de pied, ordres impérieux,
injures et menaces apprises par coeur, ensuite flagellation, coups sur
les diverses parties du corps et toutes sortes de tortures, piqûres
d'épingles jusqu'à faire saigner, etc. La scène se termine parfois par
le coït, souvent par une éjaculation sans coït. Quelques prostituées
m'ont montré, à deux reprises différentes, des chaînes en fer avec
menottes que leurs clients se faisaient fabriquer pour être enchaînés,
puis les pois secs sur lesquels ils se mettaient à genoux, les coussins
hérissés d'aiguilles sur lesquels ils devaient s'asseoir sur un ordre
de la femme, et bien d'autres objets analogues. Parfois l'homme pervers
exige que la femme lui ligote le pénis pour lui causer des douleurs,
qu'elle lui pique la verge avec des épingles, qu'elle lui donne des
coups de canif ou qu'elle le frappe avec un bout de bois. D'autres se
font légèrement égratigner avec la pointe d'un couteau ou d'un
poignard, mais il faut qu'en même temps la femme les menace de mort.
Dans toutes ces scènes, la symbolique de la soumission est la
principale chose. La femme est habituellement appelée la «maîtresse»
(Herrin), l'homme l'«esclave».
Dans toutes ces comédies exécutées avec des prostituées, scènes qui
doivent paraître à l'homme normal comme une folie malpropre, le
masochiste n'a qu'un maigre équivalent. J'ignore si les rêves
masochistes peuvent se réaliser dans une liaison amoureuse.
Si par hasard un pareil fait se produit, il doit être bien rare, car un
goût conforme chez la femme (sadisme féminin, comme le dépeint
Sacher-Masoch) doit se rencontrer bien rarement. La manifestation d'une
anomalie sexuelle chez la femme se bute à de plus grands obstacles,
entre autres la pudeur, etc., que la manifestation d'une perversion
chez l'homme. Moi-même je n'ai jamais remarqué la moindre avance faite
par une femme dans ce sens, et je n'ai pu faire aucun essai d'une
réalisation effective de mes imaginations. Une fois un homme m'a avoué
confidentiellement sa perversion masochiste, et il a prétendu en même
temps qu'il avait trouvé son idéal.
Les deux faits suivants sont analogues à celui de l'observation 44.
OBSERVATION 45.--M. Z..., vingt-neuf ans, élève de l'école
polytechnique, est venu me consulter parce qu'il se croyait atteint de
tabes. Le père était nerveux et est mort tabétique. La soeur de son
père était folle. Plusieurs parents sont nerveux à un haut degré et
gens bien étranges.
En l'examinant de plus près, j'ai constaté que le malade est un sexuel,
spinal et cérébral, asthénique. Il ne présente aucun symptôme
anamnestique ni présent de tabes dorsalis. La question qui s'imposait
était de savoir s'il avait abusé de ses organes génitaux. Il répond
que, dès sa première jeunesse, il s'est livré à la masturbation. Au
cours de l'examen, on a relevé les intéressantes anomalies
psychopathiques suivantes.
À l'âge de cinq ans, la vita sexualis s'éveilla chez le malade sous
forme d'un penchant voluptueux à se flageller et en même temps d'un
désir de se faire flageller par d'autres. Pour cela il ne songeait pas
à des individus concrets et sexuellement différenciés. Faute de mieux,
il se livrait à la masturbation, et avec les années il parvint à avoir
des éjaculations.
Longtemps auparavant, il avait commencé à se satisfaire par la
masturbation en évoquant en même temps des images de scènes de
flagellation.
Devenu adulte, il vint deux fois au lupanar pour s'y faire fouetter par
des mérétrices. À cet effet, il choisissait la plus belle fille; mais
il fut déçu, il n'arriva pas à l'érection et encore moins à
l'éjaculation.
Il reconnut alors que la flagellation était chose secondaire, et que
l'essentiel c'était l'idée d'être soumis à la volonté de la femme. La
première fois il n'arriva pas à provoquer cet état, mais il réussit à
un second essai. Il obtint un succès complet, parce qu'il avait
présente l'idée de la sujétion.
Avec le temps, il arriva en excitant son imagination à évoquer des
représentations masochistes, à pratiquer le coït, même sans
flagellation, mais il n'en éprouva que peu de satisfaction, de sorte
qu'il préféra avoir des rapports sexuels à la façon des masochistes.
Grâce à ses désirs congénitaux de flagellation, il ne trouvait de
plaisir aux scènes masochistes que lorsqu'il était flagellé ad podicem
ou que du moins son imagination lui composait une scène semblable. Dans
les moments de grande excitabilité, il lui suffisait même de raconter
de pareilles scènes à une belle fille. Ce récit provoquait de
l'orgasme, et il arrivait la plupart du temps à l'éjaculation.
Il s'ajouta de bonne heure à cet état une représentation fétichiste
vivement impressionnante. Il s'aperçut qu'il n'était attiré et
satisfait que par des femmes qui portaient des jupons courts et des
bottes montantes (costume hongrois). Il ignore comment cette idée
fétichiste lui est venue. Même chez les garçons, la jambe chaussée
d'une botte montante le charme, mais c'est un charme purement
esthétique et sans aucune note sensuelle; il n'a d'ailleurs jamais
remarqué en lui des sentiments homosexuels. Le malade attribue son
fétichisme au fait qu'il a une prédilection pour les mollets. Mais il
n'est excité que par un mollet de femme chaussé d'une botte élégante.
Les mollets nus et en général les nudités féminines n'exercent pas sur
lui la moindre impression sexuelle.
L'oreille humaine constitue pour le malade une représentation
fétichiste accessoire et d'importance secondaire. Il éprouve une
sensation à caresser les oreilles des belles personnes, c'est-à-dire
d'individus qui ont l'oreille bien faite. Avec les hommes cette caresse
ne lui procure qu'un plaisir faible, mais il est très vif avec les
femmes.
Il a aussi un faible pour les chats. Il les trouve simplement beaux;
tous leurs mouvements lui sont agréables. L'aspect d'un chat peut même
l'arracher à la plus profonde dépression morale. Le chat est pour lui
sacré; il voit dans cet animal, pour ainsi dire, un être divin. Il ne
peut nullement se rendre compte de la raison de cette idiosyncrasie
étrange.
Ces temps derniers, il a plus souvent des idées sadiques dans le sens
de la flagellation des garçons. Dans l'évocation de ces images de
flagellation, les hommes aussi bien que les femmes jouent un rôle, mais
généralement ces dernières, et alors son plaisir est de beaucoup plus
grand.
Le malade trouve qu'à côté de l'état de masochisme qu'il connaît et
qu'il ressent, il y a encore chez lui un autre état qu'il désigne par
le mot de «pagisme».
Tandis que ses jouissances et ses actes masochistes sont tout à fait
empreints d'un caractère et d'une note de sensualité brutale, son
«pagisme» consiste dans l'idée d'être le page d'une belle fille. Il se
représente cette fille comme tout à fait chaste, «mais piquante» et
vis-à-vis de laquelle il occuperait la position d'un esclave, mais avec
des rapports chastes et un dévouement purement «platonique». Cette idée
délirante de servir de page à une «belle créature» se manifeste avec un
plaisir délicieux, mais qui n'a rien de sexuel. Il en éprouve une
satisfaction morale exquise, contrairement au masochisme de note
sensuelle, et voilà pourquoi il croit que son «pagisme» est une chose à
part.
Au premier aspect, l'extérieur physique du malade n'offre rien
d'étrange; mais son bassin est excessivement large avec des hanches
étalées; il est anormalement oblique et a le caractère féminin très
prononcé. Il rappelle aussi qu'il a souvent des démangeaisons et des
excitations voluptueuses dans l'anus (zone érogène) et qu'il peut se
procurer de la satisfaction ope digiti.
Le malade doute de son avenir. Il ne pourra être guéri, dit-il, que
s'il peut prendre un véritable intérêt à la femme, mais sa volonté
ainsi que son imagination sont trop faibles pour cela.
Ce que le malade de cette observation désigne sous le nom de «pagisme»
n'a rien qui diffère du caractère du masochisme, ainsi que cela résulte
de la comparaison des deux cas suivants de masochisme symbolique et
d'autres cas encore. Cette conclusion est encore corroborée par le fait
que, dans ce genre de perversion, le coït est quelquefois dédaigné
comme un acte inadéquat et que, dans de pareils cas, il se produit
souvent une exaltation fantastique de l'idéal pervers.
OBSERVATION 46.--X..., homme de lettres, vingt-huit ans, taré,
hyperesthésique dès son enfance, a rêvé à l'âge de six ans, plusieurs
fois, qu'une femme le battait ad nates. Il se réveillait après ce rêve
en proie à la plus vive émotion voluptueuse; il fut amené à la
masturbation. À l'âge de huit ans, il demanda un jour à la cuisinière
de le battre. À partir de l'âge de dix ans, neurasthénie. Jusqu'à l'âge
de vingt-cinq ans, il eut des rêves de flagellations, et quelquefois il
évoquait à l'état de veille ces images et se masturbait en même temps.
Il y a trois ans, cédant à une obsession, il s'est fait battre par une
puella. Le malade fut alors déçu, car ni l'érection ni l'éjaculation ne
se produisirent. Nouvel essai dans ce sens à l'âge de vingt-sept ans
pour forcer, par ce moyen, l'érection et l'éjaculation. Il ne réussit
qu'en ayant recours à l'artifice suivant. Pendant qu'il essayait le
coït, la puella lui devait raconter comment elle battait les autres
impuissants et le menacer d'en faire autant avec lui. En outre, il
était obligé de s'imaginer qu'il se trouvait ligoté et tout à fait à la
merci de la femme, et que, sans aucun moyen de défense, il recevait
d'elle des coups des plus douloureux. À l'occasion, il était obligé,
pour être puissant, de se faire ligoter pour de bon. C'est ainsi que le
coït lui réussissait. Les pollutions n'étaient accompagnées de
sensations de volupté que lorsqu'il rêvait (cas très rare) être
maltraité ou voir comment une puella en fouettait d'autres. Il n'eut
jamais une vraie sensation de volupté dans le coït. Chez la femme, il
n'y a que les mains qui l'intéressent. Il préfère avant tout des femmes
vigoureuses, à la poigne solide. Toutefois, son besoin de flagellation
n'est qu'idéal, car, ayant l'épiderme très sensible, quelques coups lui
suffisent dans les plus mauvais cas. Des coups donnés par des hommes
lui seraient désagréables. Il voudrait se marier. L'impossibilité de
demander la flagellation à une femme honnête et la crainte d'être
impuissant sans ce procédé créent son embarras et lui font éprouver le
désir de se guérir.
Dans les trois cas cités jusqu'ici, la flagellation passive servait aux
individus atteints de la perversion masochiste comme une forme de la
servitude envers la femme, situation tant désirée par eux. Le même
moyen est employé par un grand nombre de masochistes.
Or la flagellation passive, comme on sait, peut, par l'irritation
mécanique des nerfs du séant, produire des érections réflexes[48].
[Note 48: Comparez plus haut, le chapitre d'introduction.]
Les débauchés affaiblis ont recours à ces effets de la flagellation
pour stimuler leur puissance génitale amoindrie; et cette
perversité--et non perversion--est très fréquente.
Il convient donc d'examiner quels rapports il y a entre la flagellation
passive des masochistes et celle des débauchés qui, bien que
physiquement affaiblis, ne sont pas psychiquement pervers.
Il ressort déjà des renseignements fournis par des individus atteints
de masochisme, que cette perversion est bien autre chose et quelque
chose de plus grand que la simple flagellation.
Pour le masochiste, c'est la soumission à la femme qui constitue le
point le plus important; le mauvais traitement n'est qu'une manière
d'exprimer cette condition et, il faut ajouter, la manière la plus
expressive. L'action a pour lui une valeur symbolique; c'est un moyen
pour arriver à la satisfaction de son état d'âme et de ses désirs
particuliers.
Par contre, l'homme affaibli qui n'est pas masochiste, ne cherche
qu'une excitation de son centre spinal, à l'aide d'un moyen mécanique.
Ce sont les aveux de ces individus, et souvent aussi les circonstances
accessoires de l'acte, qui nous permettent, dans un cas isolé, de dire
s'il y a masochisme réel ou simple flagellantisme (réflexe). Il
importe, pour juger cette question, de tenir compte des faits suivants:
1º Chez le masochiste, le penchant à la flagellation passive existe
presque toujours ab origine. Il se montre comme désir, avant même
qu'une expérience sur l'effet réflexe du procédé ait été faite; souvent
ce désir ne se manifeste d'abord que dans des rêves ainsi qu'on le
verra plus loin dans l'observation 48.
2º Chez le masochiste, la flagellation passive n'est ordinairement
qu'une des nombreuses et diverses formes des mauvais traitements dont
l'image naît dans son imagination et qui souvent se réalise. Dans les
cas où les mauvais traitements ainsi que les marques d'humiliation
purement symboliques sont employés en dehors de la flagellation, il ne
peut pas être question d'un effet d'excitation physique et réflexe.
Dans ces cas donc, il faut toujours conclure à une anomalie
congénitale, à la perversion.
3º Il y a encore une particularité bien importante à considérer, c'est
que si on donne au masochiste la flagellation tant désirée, elle ne
produit pas toujours un effet aphrodisiaque. Souvent elle est suivie
d'une déception plus ou moins vive, ce qui arrive toutes les fois que
le but du masochiste qui veut se créer par l'illusion la situation tant
désirée d'être à la merci de la femme, n'est pas atteint et que la
femme qu'il a chargée d'exécuter cette comédie apparaît comme
l'instrument docile de sa propre volonté. À ce sujet comparez les trois
cas précédents et l'observation 50, plus loin.
Entre le masochisme et le simple réflexe des flagellants, il y a un
rapport analogue à celui qui existe entre l'inversion sexuelle et la
pédérastie acquise.
Cette manière de voir n'est nullement infirmée par le fait que chez le
masochiste la flagellation peut aussi amener un effet réflexe et qu'une
punition corporelle reçue dans la jeunesse peut éveiller pour la
première fois la volupté et faire en même temps sortir de son état
latent la vita sexualis du masochiste.
Il faut qu'alors le fait soit caractérisé par les circonstances
énumérées plus haut pour pouvoir être considéré comme masochisme.
Quand on ne possède pas de détails sur l'origine des cas, les
circonstances accessoires, comme celles que nous avons citées, peuvent
tout de même en faire reconnaître clairement le caractère masochiste.
C'est ce qui arrive dans les deux cas suivants.
OBSERVATION 47.--Un malade du docteur Tarnowsky a fait louer, par une
personne de confiance, un appartement, pour les périodes de ses accès,
et il a fait instruire le personnel (trois prostituées) de tout ce
qu'on doit lui faire.
Il venait de temps en temps; alors on le déshabillait, on le
masturbait, on le flagellait, ainsi qu'il l'avait ordonné. Il faisait
semblant d'opposer une résistance, demandait grâce; alors on lui
donnait à manger, comme c'était dans les instructions, on le laissait
dormir, mais on le retenait malgré ses protestations, et on le battait
s'il se montrait récalcitrant.
Ce manège durait quelques jours. L'accès passé, on le relâchait, et il
rentrait chez sa femme et ses enfants qui ne se doutaient pas le moins
du monde de sa maladie. L'accès revenait une ou deux fois par an.
(Tarnowsky, op. cit.)
OBSERVATION 48.--X..., trente-quatre ans, très chargé, souffre
d'inversion sexuelle. Pour plusieurs raisons, il n'a pas trouvé
l'occasion de se satisfaire avec un homme, malgré ses grands besoins
sexuels. Par hasard, il rêva, une nuit, qu'une femme le fouettait. Il
eut une pollution.
Ce rêve l'amena à se laisser fouetter par des mérétrices, pour
remplacer chez lui l'amour homosexuel. Conducit sibi non nunquam
meretricem, ipse vestimenta sua omnia deponit, dum puellæ ultimum
tegumentum deponere non licet, puellam pedibus ipse percutere,
flagellare, verberare jubet. Qua re summa libidine affectus pedem
feminæ lambit quod solum eum libidinosum facere potest: tum
ejaculationem assequitur. Aussitôt l'éjaculation produite, il est pris
du plus grand dégoût d'une situation moralement si avilissante, il se
dérobe ensuite le plus rapidement possible.
Il y a aussi des cas où la seule flagellation passive constitue tout ce
que rêve l'imagination des masochistes, sans autres idées
d'humiliation, et sans que l'individu se rende nettement compte de la
véritable nature de cette marque de soumission.
Ces cas sont très difficiles à distinguer de ceux du flagellantisme
simple et réflexe. Ce qui permet alors de faire le diagnostic
différentiel, c'est la constatation de l'origine primitive du désir
avant toute expérience de l'effet réflexe (voir plus haut), et aussi ce
fait que dans les cas de masochisme vrai, il s'agit ordinairement
d'individus déjà pervers dès la première jeunesse et chez qui la
réalisation du désir souvent n'est pas mise à exécution ou produit une
déception (voir plus haut), puis que tout se passe dans le domaine de
l'imagination.
À ce propos, nous citerons un autre cas de masochisme typique dans
lequel toute la sphère des représentations particulières à cette
perversion paraît complètement atteinte. Ce cas pour lequel nous avons
une autobiographie détaillée de l'état psychique du malade, ne diffère
de l'observation 44 que parce que l'individu atteint a tout à fait
renoncé à réaliser sas fantaisies perverses et que, à côté de la
perversion existante de la vita sexualis, les plaisirs normaux ont
encore assez d'effet pour rendre possibles les rapports sexuels dans
les conditions ordinaires.
OBSERVATION 49.--J'ai trente-cinq ans; mon état physique et
intellectuel est normal. Dans ma parenté la plus étendue--en ligne
directe et collatérale--je ne connais aucun cas de trouble psychique.
Mon père qui, à ma naissance, était âgé d'environ trente ans, avait,
autant que je sais, une prédilection pour les femmes de haute taille et
d'une beauté plantureuse.
Déjà, dans ma première enfance, je me plaisais aux représentations
d'idées qui avaient pour sujet le pouvoir absolu d'un homme sur
l'autre. L'idée de l'esclavage avait pour moi quelque chose de très
excitant; l'émotion était également forte en me voyant dans le rôle du
maître comme dans celui du serviteur. J'étais excité outre mesure à la
pensée qu'un homme pouvait en posséder un autre, le vendre, le battre;
et à la lecture de La Case de l'oncle Tom (ouvrage que je lus à
l'époque où j'entrais en puberté), j'avais des érections. Ce qui était
surtout excitant pour moi, c'était l'idée d'un homme attelé à une
voiture où un autre homme, armé d'un fouet, était assis et le
dirigeait, le faisant marcher à coups de fouet.
Jusqu'à l'âge de vingt ans, ces représentations étaient objectives et
sans sexe, c'est-à-dire que l'homme attelé dans mon imagination était
une tierce personne (pas moi-même), et la personne qui commandait
n'était pas nécessairement du sexe féminin.
Aussi ces idées étaient-elles sans influence sur mon instinct sexuel,
ainsi que sur la manifestation de cet instinct. Bien que ces scènes
créées dans mon imagination m'aient causé des érections, je ne me suis
jamais de ma vie masturbé; à partir de l'âge de dix-neuf ans, j'ai fait
le coït sans le concours des représentations imaginaires susindiquées
et sans y penser. Toutefois, j'avais une grande prédilection pour les
femmes mûres, plantureuses et de haute taille, bien que je ne
dédaignasse pas non plus les plus jeunes.
À partir de l'âge de vingt et un ans, les représentations commencèrent
à s'«objectiver»; il s'y ajoutait une chose «essentielle», c'est que la
«maîtresse» devait être une personne grande, forte, et d'au moins
quarante ans. À partir de ce moment, je fus toujours soumis à mes
idées; ma maîtresse était une femme brutale qui m'exploitait à tous les
points de vue, même au point de vue sexuel, qui m'attelait devant sa
voiture et faisait ainsi ses promenades, une femme que je devais suivre
comme un chien et aux pieds de laquelle je devais me coucher nu pour
être battu et fouetté.
Voilà quelle était la base fixe des représentations de mon imagination
autour desquelles se groupaient toutes les autres images.
J'éprouvais, à me livrer à ces idées, un grand plaisir qui me causait
des érections, mais jamais d'éjaculation. À la suite de la grande
excitation sexuelle que me donnaient ces images, je cherchais une
femme, de préférence une femme d'un extérieur correspondant à mon
idéal, et je faisais le coït avec elle sans aucun autre procédé et sans
être, pendant l'acte, dominé par les images en question. J'avais en
outre des penchants pour d'autres femmes et je faisais avec elles le
coït sans y être amené par l'impression de l'image évoquée.
Bien que j'aie mené, d'après ce qu'on a pu voir jusqu'ici, une vie pas
trop anormale au point de vue sexuel, ces images se présentaient
périodiquement et avec régularité à mon esprit, et c'étaient presque
toujours les mêmes scènes que mon imagination évoquait. À mesure que
mon instinct sexuel augmentait, les intervalles entre l'apparition des
images devenaient de plus en plus longs. Actuellement ces
représentations se montrent tous les quinze jours ou toutes les trois
semaines. Si je faisais le coït la veille, j'en empêcherais peut-être
le retour. Je n'ai jamais essayé de donner un corps à ces
représentations très précises et très caractéristiques, c'est-à-dire de
les relier avec le monde extérieur; je me suis contenté de me délecter
des jeux de mon imagination, car j'étais profondément convaincu que
jamais je ne pourrais obtenir une réalisation de mon «idéal», pas même
une réalisation approximative. L'idée d'arranger une comédie avec des
filles publiques payées, me paraissait ridicule et inutile, car une
personne que je payerais ne pourrait jamais, dans mon idée, occuper la
place d'«une souveraine» cruelle. Je doute qu'il y ait des femmes à
tendances sadiques, telles que les héroïnes des romans de
Sacher-Masoch. Quand même il y en aurait, et que j'aurais le bonheur
d'en trouver une, mes rapports avec elle, dans la vie réelle,
m'auraient toujours paru comme une comédie. Eh bien! me disais-je, si
je tombais sous l'esclavage d'une Messaline, je crois que, à la suite
des privations qu'elle m'imposerait, j'en aurais bientôt assez de cette
vie tant désirée et que, dans les intervalles de lucidité, je ferais
tous mes efforts pour pouvoir reprendre ma liberté.
Pourtant j'ai trouvé un moyen d'obtenir une réalisation approximative.
Après avoir, par l'évocation de ces scènes imaginaires fortement excité
mon instinct sexuel, je vais trouver une prostituée; arrivé chez elle,
je me représente vivement dans mon imagination une de ces scènes
d'esclavage où je m'attribue le rôle principal. Au bout d'une
demi-heure pendant laquelle mon imagination me dépeint ces situations
et que l'érection augmente de plus en plus, je fais le coït avec une
volupté plus vive et avec une forte éjaculation. Quand l'éjaculation a
eu lieu, le charme est rompu. Honteux, je m'éloigne le plus vite
possible et j'évite de me remémorer ce qui s'est passé. Ensuite, quinze
jours se passent sans que je sois hanté par mes idées. Quand le coït
m'a satisfait, il arrive même que, pendant la période calme qui précède
l'accès, je ne puis pas comprendre comment on peut avoir des goûts
masochistes. Mais un autre accès arrive sûrement tôt ou tard. Je dois
cependant faire remarquer que je fais aussi le coït sans y être préparé
par de pareilles représentations; je le fais aussi avec des femmes qui
me connaissent bien et en présence desquelles je renie entièrement les
fantaisies dont il est question. Mais, dans ces derniers cas, je ne
suis pas toujours puissant, tandis que, sous le coup des idées
masochistes, ma puissance sexuelle est absolue. Je ne crois pas inutile
de faire encore remarquer que, pour mes autres pensées et mes autres
sentiments, j'ai des dispositions esthétiques, et que je méprise au
plus haut degré les mauvais traitements infligés à un homme. Finalement
je dois encore rappeler que la forme du dialogue a aussi son
importance. Dans mes représentations, il est essentiel que la
«Souveraine» me tutoie, tandis que moi je suis obligé de l'appeler
«vous» et «madame». Le fait d'être tutoyé par une personne qui s'y
prête et cela comme expression d'une puissance absolue, m'a causé des
sensations voluptueuses dès ma première jeunesse et m'en cause encore
aujourd'hui.
J'ai eu le bonheur de trouver une femme qui me convient à tous les
points de vue, même au point de vue de la vie sexuelle, bien qu'elle
soit loin de ressembler à mon idéal masochiste.
Elle est douce, mais plantureuse, qualité sans laquelle je ne peux pas
m'imaginer aucun plaisir sexuel.
Les premiers mois de mon mariage se passèrent d'une manière normale au
point de vue sexuel; les accès masochistes ne venaient plus; j'avais
perdu presque complètement le goût du masochisme. Mais le premier
accouchement de ma femme arriva, et l'abstinence par conséquent me fut
imposée. Alors les penchants masochistes se manifestèrent régulièrement
toutes les fois que le libido se faisait sentir et, malgré mon amour
profond et sincère pour ma femme, je fus alors fatalement amené à faire
le coït extra-conjugal avec représentations masochistes.
À ce propos, il y a un fait curieux à constater.
Le coitus maritalis que j'ai repris plus tard n'était pas suffisant
pour éloigner les idées masochistes, comme cela a lieu régulièrement
avec le coït masochiste.
Quant à l'essence du masochisme, je suis d'avis que les idées, par
conséquent le côté intellectuel, constituent le phénomène principal, le
phénomène lui-même. Si la réalisation des idées masochistes (par
conséquent la flagellation passive, etc.) était le but désiré, alors
comment expliquer ce fait contradictoire qu'une grande partie des
masochistes n'essaient jamais de réaliser leurs idées, ou, s'ils le
font, qu'ils en sortent complètement dégrisés ou au moins qu'ils n'y
trouvent pas la satisfaction qu'ils espéraient.
Enfin je ne voudrais pas laisser échapper l'occasion de confirmer, par
mon expérience, que le nombre des masochistes, surtout dans les grandes
villes, paraît être très considérable. La seule source pour de pareils
renseignements, car il n'y a guère de communications inter viros, est
dans les dépositions des prostituées et, comme elles s'accordent dans
les points principaux, on peut considérer certains faits comme prouvés.
Ainsi il est bien établi que chaque prostituée expérimentée est munie
d'un instrument destinée à la flagellation (habituellement une
baguette); mais il faut, à ce propos, rappeler qu'il y a des hommes qui
se font flageller pour stimuler leurs désirs sexuels, et qui,
contrairement aux masochistes, considèrent la flagellation comme un
moyen.
D'autre part, presque toutes les prostituées sont d'accord dans leurs
assertions pour dire qu'il y a un certain nombre d'hommes qui aiment à
jouer le rôle d'esclaves, c'est-à-dire à s'entendre appeler ainsi, à se
laisser injurier, fouler aux pieds et même battre.
Bref, le nombre des masochistes est plus grand qu'on ne le suppose.
La lecture du chapitre de votre livre sur ce sujet m'a fait, ainsi que
vous pouvez vous l'imaginer, une formidable impression. Je crus à une
guérison, mais à une guérison par la logique d'après la maxime: tout
comprendre, c'est tout guérir.
Il est vrai qu'il ne faut entendre le mot guérison qu'avec une certaine
restriction, et qu'il faut bien distinguer entre sentiments généraux et
idées concrètes. Les premiers ne peuvent jamais se supprimer. Ils
surgissent comme l'éclair; ils sont là et l'on ne sait comment ni d'où
ils viennent. Mais on peut éviter la pratique du masochisme en
s'abandonnant aux images concrètes et cohérentes ou du moins on peut
l'endiguer en quelque sorte.
À l'heure qu'il est, ma situation a changé. Je me dis: Quoi! tu
t'enthousiasmes pour des objets que réprouve non seulement le sens
esthétique des autres, mais aussi le tien! Tu trouves beau et désirable
ce qui, d'après ton jugement, est vilain, bas, ridicule et en même
temps impossible! Tu désires une situation dans laquelle en réalité tu
ne voudrais jamais entrer! Voilà les contre-motifs qui agissent comme
entraves, dégrisent et coupent court aux fantaisies. En effet, depuis
la lecture de votre livre (au commencement de cette année), je ne me
suis pas une seule fois laissé aller aux rêveries, bien que les
tendances masochistes se manifestent à intervalles réguliers.
Du reste, je dois avouer que le masochisme, malgré son caractère
pathologique très prononcé, non seulement ne peut pas gâter le bonheur
de ma vie, mais n'a pas non plus la moindre action sur ma vie sociale.
Pendant la période exempte du masochisme, je suis un homme très normal
en ce qui concerne mes actions et mes sentiments. Au moment de mes
accès masochistes, il se produit une grande révolution dans le monde de
mes sentiments, mais ma vie extérieure ne change en rien. J'ai une
profession qui exige que je me montre beaucoup dans la vie publique.
Or, j'exerce ma profession, pendant l'état masochiste, aussi bien que
pendant d'autres périodes.
L'auteur de ce mémoire m'a encore envoyé les notes suivantes:
I. D'après mon expérience, le masochisme est dans tous les cas
congénital et n'est jamais créé par l'individu. Je sais positivement
que je n'ai jamais été battu sur les fesses, que mes idées masochistes
se sont manifestées dès ma première jeunesse, et que j'ai caressé de
pareilles idées depuis le moment où j'ai commencé à penser. Si
l'origine de ces idées était due à un coup reçu, je n'en aurais pas
assurément perdu le souvenir. Ce qui est caractéristique, c'est que ces
idées étaient là bien avant l'existence du libido.
Mais alors les représentations étaient tout à fait sans sexe. Je me
rappelle qu'étant enfant, j'étais très excité (pour ne pas dire agité)
lorsqu'un garçon plus âgé que moi me tutoyait, tandis que je lui
disais: «vous». Je recherchais les conversations avec lui et j'avais
soin d'arranger les choses de telle façon que ces tutoiements
reviennent le plus souvent possible au cours de notre entretien. Plus
tard, quand je fus plus avancé au point de vue sexuel, ces choses
n'avaient de charme pour moi que lorsqu'elles avaient lieu avec une
femme relativement plus âgée.
II. Je suis, au point de vue physique et psychique, d'un caractère tout
à fait viril. Très barbu et le corps entier très poilu. Dans mes
rapports non masochistes avec la femme, la position dominante de
l'homme est pour moi une condition indispensable, et je repousserais
avec énergie toute tentative qui y porterait atteinte. Je suis
énergique bien que médiocrement brave, mais le manque de bravoure
disparaît surtout quand mon orgueil a été blessé. En présence des
événements de la nature (orage, tempête sur la mer, etc.), je suis tout
à fait calme [49].
[Note 49: Cette différence de bravoure en présence des éléments de la
nature d'un côté, et en présence des conflits de la volonté de l'autre,
est en tout cas bien frappante (comparez Observation 44); bien que,
dans ce cas, elle constitue la seule marque d'effeminatio dont il a été
fait mention.]
Mes penchants masochistes n'ont pas, non plus, rien de ce qu'on
pourrait appeler de féminin ou d'efféminé. Il est vrai qu'alors domine
le penchant à être sollicité et recherché par la femme; cependant les
rapports avec la «Souveraine», rapports tant désirés, ne sont pas les
mêmes que ceux qui existent entre femme et homme; mais c'est la
condition de l'esclave vis-à-vis du maître, de l'animal domestique
vis-à-vis de son propriétaire. En tirant les conséquences extrêmes du
masochisme, on ne peut conclure autrement qu'en disant que l'idéal du
masochiste c'est d'avoir une situation analogue à celle du chien ou du
cheval. Ces deux animaux sont la propriété d'un maître qui les
maltraite à sa guise sans qu'il doive en rendre compte à qui que ce
soit.
C'est précisément ce pouvoir absolu sur la vie et sur la mort, comme on
ne le possède que sur l'esclave et sur l'animal domestique, qui
constitue l'alpha et l'oméga de toutes les représentations masochistes.
III. La base de toutes les idées masochistes c'est le libido. Dès qu'il
y a flux ou reflux dans ce dernier, le même phénomène se produit dans
les fantaisies du masochisme. D'autre part, les images évoquées,
aussitôt qu'elles se présentent à l'esprit, renforcent considérablement
le libido. Je n'ai pas naturellement de grands besoins sexuels. Mais,
quand les représentations masochistes surgissent dans mon imagination,
je suis poussé au coït à tout prix (dans la plupart des cas je suis
alors entraîné vers les femmes les plus viles), et si je ne cède pas
assez tôt à cette poussée, le libido monte en peu de temps jusqu'au
satyriasis. On pourrait à ce propos parler de cercle vicieux.
Le libido se produit ou parce que j'ai laissé passer un certain laps de
temps ou par une excitation particulière, quand même elle ne serait pas
de nature masochiste, par exemple par un baiser. Malgré cette origine,
le libido, en vertu des idées masochistes qu'il évoque, se transforme
en un libido masochiste, c'est-à-dire impur.
Il est du reste incontestable que le désir est considérablement
renforcé par les impressions accidentelles, et surtout par le séjour
dans les rues d'une grande ville. La vue de belles femmes imposantes in
natura de même qu'in effigie produit de l'excitation. Pour celui qui
est sous le coup du masochisme, toute la vie des phénomènes extérieurs
est empreinte de masochisme, du moins pendant la durée de l'accès. La
gifle que la patronne donne à l'apprenti, le coup de fouet du cocher,
tout cela produit au masochiste de profondes impressions, tandis que
ces faits le laissent froid ou lui causent même du dégoût en dehors des
périodes d'accès.
IV. En lisant les romans de Sacher-Masoch, je fus déjà frappé par
l'observation que, chez le masochiste, des sentiments sadistes se
mêlent de temps en temps aux autres sentiments. Chez moi aussi j'ai
découvert parfois des sentiments sporadiques de sadisme. Je dois
cependant faire observer que les sentiments sadistes ne sont pas aussi
marqués que les sentiments masochistes, et, outre qu'ils ne se
manifestent que rarement et d'une façon accessoire, ils ne sortent
jamais du cadre de la vie des sentiments abstraits, et surtout ils ne
revêtent jamais la forme des représentations concrètes et cohérentes.
Toutefois, l'effet sur le libido est le même dans les deux cas.
Ce cas est remarquable par l'exposé complet des faits psychiques qui
constituent le masochisme.
Le cas qu'on va lire plus loin, l'est aussi par l'extravagance
particulière des actes émanant de la perversion. Ce cas est
particulièrement de nature à montrer nettement les rapports qui
existent entre la soumission à la femme, l'humiliation par la femme et
l'étrange effet sexuel qui en résulte.
OBSERVATION 50.--Masochisme. M. Z..., fonctionnaire, cinquante ans,
grand, musculeux, bien portant, prétend être né de parents sains;
cependant, à sa naissance, le père avait trente ans de plus que la
mère. Une soeur de deux ans plus âgée que Z..., est atteinte de la
monomanie de la persécution.
L'extérieur de Z... n'offre rien d'étrange. Le squelette est tout à
fait viril, la barbe est forte, mais le torse n'a pas de poil du tout.
Il dit lui-même qu'il est un homme sentimental qui ne peut rien refuser
à personne; toutefois il est emporté, brusque, mais il se repent
aussitôt de ses mouvements de colère. Z... prétend n'avoir jamais
pratiqué l'onanisme. Dès sa jeunesse, il avait des pollutions nocturnes
dans lesquelles l'acte sexuel n'a jamais joué un rôle, mais toujours la
femme seule. Il rêvait, par exemple, qu'une femme qui lui était
sympathique, s'appuyait fortement contre lui ou, qu'étant couché sur
l'herbe, la femme par plaisanterie montait sur son dos. De tout temps,
Z... eut horreur du coït avec une femme. Cet acte lui paraissait
bestial. Malgré cela, il se sentait attiré vers la femme. Il ne se
sentait à son aise et à sa place que dans la compagnie de belles filles
et de belles femmes. Il était très galant sans être importun.
Une femme plantureuse, avec de belles formes et surtout un beau pied,
pouvait, quand il la voyait assise, le mettre dans la plus grande
excitation. Il sentait alors le désir violent de s'offrir pour lui
servir de siège et pouvoir «supporter tant de splendeur». Un coup de
pied, un soufflet, venus d'elle, lui auraient été le plus grand
bonheur. L'idée de faire le coït avec elle lui faisait horreur. Il
éprouvait le besoin de se mettre au service de la femme. Il lui
semblait que les femmes aiment à monter à cheval. Il délirait à l'idée
délicieuse de se fatiguer sous le poids d'une belle femme pour lui
procurer du plaisir. Il se dépeignait une pareille situation dans tous
les sens; il voyait dans son imagination le beau pied muni d'éperons,
les superbes mollets, les cuisses rondes et molles. Toute dame de belle
taille, tout beau pied de dame excitait fortement son imagination, mais
jamais il ne laissait voir ces sensations étranges qui lui paraissaient
à lui-même anormales, et il savait toujours se dompter. Mais, d'autre
part, il n'éprouvait aucun besoin de lutter contre elles; au contraire,
il aurait regretté d'abandonner ses sentiments qui lui sont devenus si
chers.
À l'âge de trente-deux ans, Z... fit par hasard la connaissance d'une
femme de vingt-sept ans qui lui était très sympathique, qui était
divorcée de son mari et qui se trouvait dans la misère. Il s'intéressa
à elle, travailla pour elle pendant des mois et sans aucune intention
égoïste. Un soir elle lui demanda impérieusement une satisfaction
sexuelle; elle lui fit presque violence. Le coït eut lieu. Z... prit la
femme chez lui, vécut avec elle, faisant le coït avec modération; mais
il considérait le coït plutôt comme une charge que comme un plaisir;
ses érections devinrent faibles; il ne put plus satisfaire la femme et,
un jour, celle-ci déclara qu'elle ne voulait plus continuer ses
rapports avec lui puisqu'il l'excitait sans la satisfaire. Bien qu'il
aimât profondément cette femme, il ne pouvait renoncer à ses fantaisies
étranges. Il vécut donc en camarade avec elle, regrettant beaucoup de
ne pouvoir la servir de la façon qu'il aurait désiré.
La crainte que ses propositions soient mal accueillies, ainsi qu'un
sentiment de honte, l'empêchaient de se révéler à elle. Il trouvait une
compensation dans ses rêves. Il rêvait entre autres être un beau
coursier fougueux et être monté par une belle femme. Il sentait le
poids de la cavalière, les rênes auxquelles il devait obéir, la
pression de la cuisse contre ses flancs, il entendait sa voix belle et
gaie. La fatigue lui faisait perler la sueur, l'impression de l'éperon
faisait le reste et provoquait parfois l'éjaculation au milieu d'une
vive sensation de volupté.
Sous l'obsession de pareils rêves, Z..., il y a sept ans, surmonta ses
craintes et chercha à reproduire dans la réalité une scène analogue.
Il réussit à trouver des «occasions convenables».
Voici ce qu'il rapporte à ce sujet: «... Je savais toujours m'arranger
de façon que, dans une occasion donnée, elle s'assît spontanément sur
mon dos. Alors je m'efforçais de lui rendre cette situation aussi
agréable que possible, et je faisais tant et si bien qu'à la prochaine
occasion c'était elle qui me disait: «Viens, je veux chevaucher sur
toi.» Étant de grande taille, je m'appuyais des deux mains sur une
chaise, je mettais mon dos dans une position horizontale et elle
l'enfourchait comme les hommes ont l'habitude de monter à cheval. Je
contrefaisais alors autant que possible tous les mouvements d'un cheval
et j'aimais à être traité par elle comme une monture et sans aucun
égard. Elle pouvait me battre, piquer, gronder, caresser, tout faire
selon son bon plaisir. Je pouvais supporter, pendant une demi-heure ou
trois quarts d'heure, des personnes pesant 60 à 80 kilogrammes. Après
ce laps de temps, je demandais toujours un moment de repos. Pendant cet
entr'acte, les rapports entre ma «souveraine» et moi étaient tout à
fait inoffensifs, et nous ne parlions pas même de ce qui venait de se
passer. Un quart d'heure après, j'étais complètement reposé, et je me
mettais de nouveau à la disposition de ma «souveraine». Quand le temps
et les circonstances le permettaient, je continuais ce manège trois ou
quatre fois de suite. Il arrivait que je m'y livrais dans la matinée et
dans l'après-midi du même jour. Après, je ne sentais aucune fatigue ni
aucun malaise, seulement j'avais peu d'appétit dans ces journées. Quand
c'était possible, je préférais avoir le torse nu pour mieux sentir les
coups de cravache. Ma «souveraine» était obligée d'être décente. Je la
préférais avec de belles bottines, de beaux bas, des pantalons courts
et serrant aux genoux, le torse complètement habillé, la tête coiffée
d'un chapeau et les mains gantées.»
M. Z... rapporte ensuite que, depuis sept ans, il n'a plus fait le
coït, mais qu'il se sentait tout de même puissant.
Le «chevauchage par la femme» remplace complètement pour lui cet acte
«bestial», même lorsqu'il ne parvient pas à l'éjaculation.
Depuis huit mois, Z... a fait le voeu de renoncer à son sport
masochiste, et il a tenu parole. Toutefois, il avoue que si une femme
un peu belle lui disait sans ambage: «Viens, je veux t'enfourcher!» il
n'aurait pas la force de résister à cette tentation. Z... demande à
être éclairé et à savoir si son anomalie est guérissable, s'il doit
être détesté comme un homme vicieux ou s'il n'est qu'un malade qui
mérite de la pitié.
Le cas que voici ressemble beaucoup au précédent.
OBSERVATION 51.--Un homme trouve sa satisfaction sexuelle de la manière
suivante. Il va de temps en temps chez une puella publica. Il fait
serrer son pénis dans un anneau de porcelaine, tels qu'on en emploie
pour suspendre les rideaux des fenêtres. On attache sur cet anneau deux
ficelles qu'on passe entre ses jambes par derrière et qu'on attache
ensuite au lit. Alors l'homme prie la femme de le fouetter sans
miséricorde et de le traiter comme un cheval rétif. Plus la femme le
pousse à tirer par ses cris et par les coups de fouet, plus il sent
augmenter en lui l'excitation sexuelle; il a une érection probablement
favorisée mécaniquement par la compression des vena dorsalis penis qui
sont serrées par l'anneau lorsque les ficelles sont trop tendues.
L'érection augmentant, le membre est comprimé par l'anneau, et enfin
l'éjaculation se produit avec une vive sensation de volupté.
Déjà, dans les observations précédentes, l'action d'être foulé aux
pieds joue un rôle, à côté d'autres phénomènes, pour exprimer chez le
masochiste les situations d'humilié et de souffre-douleur. On voit
l'emploi exclusif et étendu dans la plus grande mesure de ce moyen dans
le cas classique suivant que Hammond (op. cit., p. 28), cite d'après
une observation du Dr Cox[50], de Colorado.
[Note 50: Transactions of the Colorado State medical society quoted in
the Alienist and Neurologist, 1883. April, p. 347.]
Ces cas forment un degré intermédiaire entre un autre genre de
perversion et constituent un groupe spécial.
OBSERVATION 52.--X..., mari modèle, avec des principes moraux
rigoureux, père de plusieurs enfants, est pris par moments, ou pour
mieux dire par accès, de l'envie d'aller au bordel, d'y choisir deux ou
trois des plus grandes filles et de s'enfermer avec elles. Alors il met
son torse à nu, se couche par terre, croise les bras sur l'abdomen,
ferme les yeux et fait marcher la puella sur sa poitrine nue, sur son
cou et sa figure, en la priant d'enfoncer vigoureusement à chaque pas
les talons dans sa chair. À l'occasion, il demande des filles encore
plus lourdes ou quelques autres exercices qui rendent le procédé encore
plus cruel. Au bout de deux ou trois heures, il en a assez, paie son
compte et va à ses affaires pour revenir, une semaine après, se
procurer de nouveau ce plaisir étrange.
Il arrive aussi quelquefois qu'il fait monter une de ces filles sur sa
poitrine, et les autres doivent alors la prendre et la faire tourner
sur ses talons comme une toupie jusqu'à ce que la peau de M. X...
saigne sous les talons des bottines.
Souvent une des filles est obligée de se placer de façon à ce qu'elle
tienne la bottine sur ses deux yeux et que le talon presse un peu la
pupille de l'un des yeux tandis que l'autre pied chaussé est sur le
cou. Dans cette position, il soutient le poids d'une personne d'environ
150 livres pendant quatre ou cinq minutes.
L'auteur parle d'une douzaine de cas analogues dont il a eu
connaissance. Hammond suppose avec raison que cet homme, étant devenu
impuissant dans ses rapports avec les femmes, cherchait et trouvait,
par ce procédé étrange, un équivalent du coït; pendant qu'il laissait
piétiner son corps jusqu'à en saigner, il éprouvait d'agréables
sensations sexuelles accompagnées d'éjaculation.
Les neuf cas de masochisme que nous avons cités jusqu'ici et beaucoup
d'autres cas analogues dont les auteurs font mention, constituent
l'opposé du groupe des cas sadistes dont nous avons donné la
description plus haut. De même que, dans ce groupe des sadistes, des
hommes pervers cherchent une excitation et trouvent une satisfaction en
maltraitant la femme, de même, dans le masochisme, ils cherchent à
obtenir un effet semblable en endurant des mauvais traitements.
Mais, fait curieux, le groupe des sadistes, celui des assassins même,
n'est pas sans avoir un pendant correspondant à celui du masochisme.
Dans ses extrêmes conséquences, le masochisme devrait aboutir au vif
désir de se faire donner la mort par une personne de l'autre sexe, de
même que le sadisme atteint son plus haut degré dans l'assassinat par
volupté. Mais contre cette extrême conséquence se dresse l'instinct de
la conservation, de sorte que l'idée extrême n'arrive jamais à être
mise à exécution.
Quand tout l'édifice du masochisme n'est échafaudé qu'in petto,
l'imagination des individus atteints peut même aller jusqu'aux idées
extrêmes, ainsi que le prouve le cas suivant.
OBSERVATION 53.--Un homme d'âge moyen, marié et père de famille, qui a
toujours mené une vita sexualis normale, mais qui prétend être né d'une
famille très nerveuse, me fait les communications suivantes. Dans sa
premières jeunesse, il était sexuellement très excité toutes les fois
qu'il voyait une femme qui égorgeait un animal avec un couteau. À
partir de cette époque, il fut pendant des années plongé dans ce rêve
voluptueux que des femmes armées de couteaux le piquaient, le
blessaient et même le tuaient. Plus tard, quand il commença à avoir des
rapports sexuels normaux, ces idées perdirent pour lui tout leur charme
pervers.
Il faut rapprocher ce dernier cas des observations citées plus haut et
d'après lesquelles il y a des hommes qui trouvent une jouissance
sexuelle à se laisser blesser légèrement par des femmes et à être
menacés de mort par elles.
Ces fantaisies donneront peut-être l'explication de l'étrange fait qui
va suivre et que je dois à une communication de M. le Dr Koerber de
Hankau (Silésie).
OBSERVATION 54.--Une dame m'a raconté l'histoire suivante. Jeune fille
ignorante, elle fut mariée à un homme d'environ trente ans. La première
nuit du mariage, il lui mit presque par force un petit bassin avec du
savon dans les mains; il voulut alors, sans autre marque d'amour,
qu'elle lui savonnât le menton et le cou comme s'il devait se faire la
barbe. La jeune femme, tout à fait inexpérimentée, fit ce que son mari
exigeait, et fut très étonnée de n'avoir, pendant les premières
semaines de son mariage, appris rien autre chose des mystères de la vie
matrimoniale. Son mari lui déclara que son plus grand plaisir était de
se faire savonner la figure par elle. La jeune femme ayant plus tard
consulté des amies, décida son mari à faire le coït et, comme elle
l'affirme formellement, elle eut de lui par la suite trois enfants. Le
mari est travailleur, même très rangé, mais il est brusque et morose.
Il exerce le métier de négociant.
Il est très admissible que l'homme dont il est ici question ait
considéré l'acte d'être rasé (ou les préparatifs par le savonnage)
comme la réalisation symbolique d'idées de blessures et d'égorgement,
de fantaisies sanguinaires, comme les idées qui hantèrent, dans un
autre cas, un homme d'un certain âge pendant sa jeunesse, et que c'est
cette symbolisation qui lui a procuré l'excitation et la satisfaction
sexuelles. La parfaite contre-partie sadiste de ce cas ainsi envisagé
se trouve dans l'observation 35 qui traite d'un cas de sadisme
symbolique.
D'ailleurs, il y a tout un groupe de masochistes qui se contentent des
signes symboliques de la scène qui correspond à leur perversion. Ce
groupe correspond au groupe des sadistes «symboliques», ainsi que les
groupes masochistes que nous avons cités plus haut correspondent aux
autres groupes du sadisme. Les désirs pervers du masochiste peuvent
(bien entendu toujours dans son imagination) aller jusqu'à
«l'assassinat passif par volupté», mais, d'autre part, ils peuvent se
contenter de simples indications symboliques de cette situation
désirée. D'habitude cette situation se traduit par des mauvais
traitements, ce qui, objectivement, dépasse le rêve d'être tué, mais
reste en deçà de l'idée subjective.
À côté de l'observation 54, nous tenons encore à citer quelques cas
analogues dans lesquels les scènes désirées et arrangées par le
masochiste n'ont qu'un caractère purement symbolique et ne servent que
pour indiquer la situation tant désirée.
OBSERVATION 55.--(Pascal, Igiene dell Amore.) Tous les trois mois, un
homme d'environ quarante-cinq ans, venait chez une prostituée et lui
payait 10 francs pour faire ce qui suit. La puella devait le
déshabiller, lui lier pieds et mains, lui bander les yeux et en outre
fermer les volets des fenêtres pour rendre la chambre obscure. Alors
elle le faisait asseoir sur un divan et l'abandonnait dans cet état.
Une demi-heure plus tard, la fille devait revenir et délier les cordes.
L'homme payait alors et s'en allait satisfait pour revenir dans trois
mois.
Il paraît que cet homme en restant dans l'obscurité, complétait par son
imagination l'idée qu'il était livré sans défense au pouvoir absolu
d'une femme. Le cas suivant est encore plus étrange; c'est une comédie
compliquée pour satisfaire des désirs masochistes.
OBSERVATION 56.--(Dr Pascal, ibid.) À Paris, un individu se rendait à
des soirées fixées d'avance dans un appartement dont la propriétaire
était disposée à se prêter à ses penchants étranges. Il entrait en
tenue de soirée dans le salon de la dame qui devait le recevoir en
grande toilette et d'un air hautain. Il l'appelait «marquise» et elle
devait l'appeler: «mon cher comte». Il parlait ensuite du bonheur de la
trouver toute seule, de son amour et de l'heure du berger. La dame
devait alors jouer le rôle d'une dame froissée dans sa dignité. Le
prétendu comte s'enflammait de plus en plus et demandait à la
pseudo-marquise de lui poser un baiser sur l'épaule. Grande scène
d'indignation; elle sonne, un valet loué exprès à cet effet, entre et
met le comte à la porte. Le comte s'en va très content et paie
richement les personnes qui ont joué cette comédie préparée.
Il faut distinguer de ce «masochisme symbolique» le «masochisme idéal»
dans lequel la perversion psychique reste dans le domaine de l'idée et
de l'imagination et n'essaie jamais de transporter dans la réalité les
scènes rêvées. On peut considérer comme exemples de «masochisme idéal»
les observations 49 et 53. On peut y faire rentrer aussi les deux cas
suivants: le premier concerne un individu taré physiquement et
intellectuellement, portant des marques de dégénérescence, et chez
lequel l'impuissance physique et psychique s'est produite très tôt.
OBSERVATION 57.--M. Z..., vingt-deux ans, célibataire, m'a été amené
par son tuteur pour consultation médicale, le jeune homme étant très
nerveux et, de plus, sexuellement anormal. Son père, au moment de la
conception, avait une maladie de nerfs.
Le malade était un enfant vif et doué de talents. On constata chez lui
la masturbation dès l'âge de sept ans. À partir de neuf ans, il devint
distrait, oublieux, ne pouvant faire de progrès dans ses études.
On était obligé de l'aider par des répétitions et par protection; c'est
avec beaucoup de peine qu'il put finir ses classes au Real-gymnasium;
pendant son année de volontariat, il se fit remarquer par son
indolence, son manque de mémoire et divers coups de tête.
Ce qui amena à demander une consultation médicale fut un incident dans
la rue. Z... s'était approché d'une dame et, d'une manière très
importune, au milieu des marques d'une vive surexcitation, il avait
voulu entamer une conversation à tout prix.
Le malade donne comme motif qu'il a voulu, par la conversation avec une
honnête fille, s'exciter afin d'être capable de faire le coït avec une
prostituée.
Le père de Z... considère son fils comme un garçon originairement bon
et moral, mais sans énergie, faible, troublé, souvent désespéré des
insuccès de la vie qu'il a menée jusqu'ici, comme un homme indolent qui
ne s'intéresse qu'à la musique pour laquelle il a beaucoup de talent.
L'extérieur physique du malade, notamment son crâne plagiocéphale, ses
grandes oreilles écartées, l'innervation du côté droit de la bouche,
l'expression névropathique des yeux, indiquent un névropathe dégénéré.
Z... est d'une grande taille, robuste de corps, d'une apparence tout à
fait virile. Le bassin est viril, les testicules sont bien développés;
pénis très gros, mons Veneris très poilu, le testicule droit descend
plus bas que le gauche, le réflexe crémastérien des deux côtés est
faible. Au point de vue intellectuel, le malade est au-dessous de la
moyenne. Il sent lui-même son insuffisance, se plaint de son indolence
et prie qu'on lui rende la force de caractère. Son attitude gauche,
embarrassée, son regard effarouché et son maintien nonchalant indiquent
la masturbation. Le malade convient que, depuis l'âge de sept ans
jusqu'à il y a un an et demi, il s'est masturbé de 8 à 12 fois par
jour. Jusqu'à ces dernières années, époque où il devint neurasthénique
(douleurs à la tête, incapacité intellectuelle, irritation spinale,
etc.), il prétend avoir éprouvé toujours beaucoup de volupté en se
masturbant. Depuis, il n'a plus cette sensation, et la masturbation a
perdu pour lui tout son charme. Il est devenu de plus en plus timide,
mou, sans énergie, lâche et craintif; il ne prend plus intérêt à rien,
ne vaque à ses affaires que par devoir et se sent exténué. Il n'a
jamais pensé au coït et, à son point de vue d'onaniste, il ne comprend
pas comment les autres peuvent y trouver du plaisir.
J'ai recherché l'inversion sexuelle; j'ai obtenu un résultat négatif.
Il prétend n'avoir jamais senti de penchant pour les personnes de son
propre sexe. Il croit plutôt avoir eu par ci par là une faible
inclination pour les femmes. Il prétend avoir été amené à l'onanisme de
lui-même. À l'âge de treize ans, il remarqua pour la première fois
l'émission de sperme à la suite des manipulations onanistes.
Ce n'est qu'après avoir longuement insisté que Z... consentit à révéler
tout entière sa vita sexualis. Ainsi qu'il ressort des renseignements
qui suivront, on pourrait le classer comme un cas de masochisme idéal
combiné à un sadisme rudimentaire. Le malade se rappelle bien
distinctement que, dès l'âge de six ans, des «idées de violence» ont
germé spontanément dans son esprit. Il était obsédé par l'idée que la
fille de chambre lui écartait de force les jambes pour montrer ses
parties génitales à d'autres personnes; qu'elle essayait de le jeter
dans l'eau froide ou bouillante pour lui causer de la douleur. Ces
idées de violence étaient accompagnées du sensations de volupté et
provoquaient la masturbation. Plus tard, c'est le malade lui-même qui
évoquait dans son imagination ces tableaux afin de se stimuler à la
masturbation. Ils jouaient même un rôle dans ses rêves, mais ils
n'amenaient jamais la pollution, évidemment parce que le malade se
masturbait outre mesure pendant la journée.
Avec le temps se joignirent à ces idées masochistes de violence des
idées sadiques. D'abord c'était l'image de garçons qui, par violence,
se masturbaient mutuellement et se coupaient réciproquement les parties
génitales. Souvent alors il se mettait en imagination dans le rôle d'un
de ces garçons, tantôt dans le rôle actif, tantôt dans le rôle passif.
Plus tard, son esprit fut préoccupé par l'image de filles et de femmes
qui s'exhibitionnaient l'une devant l'autre; il se présentait à son
imagination des scènes où la fille de chambre écartait de force les
cuisses d'une autre fille et lui tirait les poils du pubis; ensuite
c'étaient des garçons cruels qui piquaient des filles et leur pinçaient
les parties génitales.
Tous ces tableaux provoquaient chez lui des excitations sexuelles; mais
il n'eut jamais de penchants à jouer un rôle actif dans ces scènes ou
de les subir passivement. Il lui suffisait de se servir de ces
représentations pour l'automasturbation. Depuis un an et demi ces
scènes et ces désirs sont devenus plus rares, à la suite de la
diminution du libido et de l'imagination sexuelle, mais leur sujet est
resté toujours le même. Les idées de violence masochiste prévalent sur
les idées sadistes. Depuis ces temps derniers, quand il aperçoit une
dame, il lui vient toujours l'idée qu'elle a les mêmes idées sexuelles
que lui. Cela explique en partie son embarras dans son commerce avec le
monde. Comme le malade a entendu dire qu'il serait débarrassé de ses
idées sexuelles qui lui sont devenues importunes, s'il s'habituait à
une satisfaction normale de son instinct, il a, au cours des derniers
dix-huit mois, tenté deux fois d'accomplir le coït, bien que cet acte
lui répugnât et qu'il ne se promît aucun succès. Aussi l'essai s'est-il
terminé chaque fois par un échec complet. La seconde fois il éprouva,
au moment de sa tentative, une telle répugnance qu'il repoussa la fille
et se sauva à toutes jambes.
Le second cas est l'observation suivante qu'un collègue a mise à ma
disposition. Bien qu'aphoristique elle est de nature à montrer le
caractère du masochisme, la conscience de la soumission.
OBSERVATION 58.--Masochisme. Z..., vingt-sept ans, artiste, de
vigoureuse constitution physique, d'extérieur agréable, prétend n'être
pas taré; bien portant pendant son enfance; est depuis l'âge de
vingt-trois ans nerveux et enclin aux idées hypocondriaques. Au point
de vue sexuel, il a un penchant à la fanfaronnade, mais toutefois il
n'est pas capable de grands exploits. Malgré les avances que lui font
les femmes, ses rapports avec elles se bornent à des caresses
innocentes. Avec cela, il a un penchant curieux à convoiter les femmes
qui se montrent farouches avec lui. Depuis l'âge de vingt-cinq ans, il
a fait lui-même la constatation que les femmes, fussent-elles les plus
laides, provoquent en lui une excitation sexuelle aussitôt qu'il
aperçoit un trait impérieux et hautain dans leur caractère. Un mot de
colère de la bouche d'une femme suffit pour provoquer chez lui les
érections les plus violentes. Il était un jour assis au café et
entendit la caissière, femme d'ailleurs très laide, gronder vertement
et d'une voix énergique le garçon. Cette scène lui causa une violente
émotion sexuelle qui, en peu de temps, aboutit à l'éjaculation. Z...
exige des femmes avec lesquelles il doit avoir des rapports sexuels
qu'elles le repoussent et lui fassent des misères de toutes sortes. Il
dit que, seules, les femmes qui ressemblent aux héroïnes des romans de
Sacher-Masoch pourraient l'exciter.
Ces faits où toute la perversion de la vita sexualis ne se manifeste
que dans le domaine de l'imagination et de la vie intérieure des idées
et de l'instinct, et n'arrive que rarement à la connaissance d'autrui,
paraissent être assez fréquents. Leur signification pratique, comme en
général celle du masochisme qui n'offre pas un aussi grand intérêt
médico-légal que le sadisme, consiste uniquement dans l'impuissance
psychique dans laquelle tombent ordinairement les individus atteints de
cette perversion; leur portée pratique consiste en outre dans un
penchant violent à la satisfaction solitaire sous l'influence d'images
adéquates et dans les conséquences que ces pratiques peuvent entraîner.
Le masochisme est une perversion très fréquente, cela ressort
suffisamment de ce qu'on en a déjà cité scientifiquement des cas
relativement très nombreux; les diverses observations publiées plus
haut en prouvent aussi la grande extension.
Les ouvrages qui s'occupent de la prostitution des grandes villes
contiennent également de nombreux documents sur cette matière[51].
[Note 51: Léo Taxil (op. cit., p. 238), donne la description de scènes
masochistes dans les bordels de Paris. Là aussi on appelle «esclave»
l'homme atteint de cette perversion.]
Un fait intéressant et digne d'être noté, c'est qu'un des hommes les
plus célèbres de tous les temps ait été atteint de cette perversion et
en ait parlé dans son autobiographie bien qu'avec une interprétation
quelque peu erronée.
Il ressort des Confessions de Jean-Jacques Rousseau que ce grand homme
était atteint de masochisme.
Rousseau, dont la vie et la maladie ont été analysées par Moebius
(J.-J. Rousseau Krankheitsgeschichte, Leipzig 1889) et par Châtelain
(La folie de J.-J. Rousseau, Neuchâtel 1890) raconte dans ses
Confessions (1re partie Ier livre) combien Mlle Lambercier, alors âgée
de trente ans, lui en imposait lorsque, à l'âge de huit ans, il était
en pension et en apprentissage chez le frère de cette demoiselle.
L'irritation de la dame, quand il ne savait promptement répondre à une
de ses questions, ses menaces de le fouetter, lui faisaient la plus
profonde impression. Ayant reçu un jour une punition corporelle de la
main de Mlle L..., il éprouva, en dehors de la douleur et de la honte,
une sensation voluptueuse et sensuelle qui lui donna une envie violente
de recevoir encore d'autres corrections. Seule la crainte de faire de
la peine à la dame, empêchait Rousseau de provoquer les occasions pour
éprouver cette douleur voluptueuse. Un jour cependant il s'attira
malgré lui une nouvelle punition de la main de Mlle L... Ce fut la
dernière, car Mlle Lambercier dut s'apercevoir de l'effet étrange que
produisait cet acte et, à partir de ce moment, elle ne laissa plus
dormir dans sa chambre ce garçon de huit ans. Depuis R... éprouvait le
besoin de se faire punir de la même façon qu'avec Mlle Lambercier, par
des dames qui lui plaisaient, bien qu'il affirme n'avoir rien su des
rapports sexuels avant d'être devenu jeune homme. On sait que ce ne fut
qu'à l'âge de trente ans que Rousseau fut initié aux vrais mystères de
l'amour par Mme de Warens et qu'il perdit alors son innocence.
Jusque-là il n'avait que des sentiments et des langueurs pour les
femmes en vue d'une flagellation passive et d'autres idées masochistes.
Rousseau raconte in extenso combien, avec ses grands besoins sexuels,
il a souffert de cette sensualité étrange et évidemment éveillée par
les coups de fouet, languissant de désirs et hors d'état de pouvoir les
manifester. Ce serait cependant une erreur de croire que Rousseau ne
tenait qu'à la flagellation seule. Celle-ci n'éveillait en lui qu'une
sphère d'idées appartenant au domaine du masochisme. C'est là que se
trouve en tout cas le noyau psychologique de son intéressante
auto-observation. L'essentiel chez Rousseau c'était l'idée d'être
soumis à la femme. Cela ressort nettement de ses Confessions où il
déclare expressément:
«Être aux genoux d'une maîtresse impérieuse, obéir à ses ordres, avoir
des pardons à lui demander, étaient pour moi de très douces
jouissances.»
Ce passage prouve donc que la conscience de la soumission et de
l'humiliation devant la femme était pour lui la principale chose.
Il est vrai que Rousseau lui-même était dans l'erreur en supposant que
ce penchant à s'humilier devant la femme n'avait pris naissance que par
la représentation de la flagellation qui avait donné lieu à une
association d'idées.
«N'osant jamais déclarer mon goût, je l'amusais du moins par des
rapports qui m'en conservaient l'idée.»
Pour pouvoir saisir complètement le cas de Rousseau et découvrir
l'erreur dans laquelle il a dû tomber fatalement lui-même en analysant
son état d'âme, il faut comparer son cas avec les nombreux cas établis
de masochisme parmi lesquels il y en a tant qui n'ont rien à faire avec
la flagellation et qui par conséquent nous montrent clairement le
caractère originel et purement psychique de l'instinct d'humiliation.
C'est avec raison que Binet (Revue anthropologique, XXIV, p. 256) qui a
analysé à fond le cas de Rousseau, attire l'attention sur la
signification masochiste de ce cas en disant:
«Ce qu'aime Rousseau dans les femmes, ce n'est pas seulement le sourcil
froncé, la main levée, le regard sévère, l'attitude impérieuse, c'est
aussi l'état émotionnel dont ces faits sont la traduction extérieure;
il aime la femme fière, dédaigneuse, l'écrasant à ses pieds du poids de
sa royale colère.»
L'explication de ce fait énigmatique de psychologie a été résolue par
Binet par l'hypothèse qu'il s'agissait de fétichisme, à cette
différence près que l'objectif du fétichisme, l'objet d'attrait
individuel (le fétiche), ne doit pas toujours être une chose matérielle
comme la main, le pied, mais qu'il peut être aussi une qualité
intellectuelle. Il appelle ce genre d'enthousiasme «amour
spiritualiste» en opposition avec l'«amour plastique», comme cela a
lieu dans le fétichisme ordinaire.
Ces remarques sont intéressantes, mais elles ne font que donner un mot
pour désigner un fait; elles n'en fournissent aucune explication.
Est-il possible de trouver une explication de ce phénomène? C'est une
question qui nous occupera plus loin.
Chez Baudelaire, un auteur français célèbre ou plutôt mal réputé et qui
a fini dans l'aliénation mentale, on trouve des éléments de masochisme
et de sadisme. Baudelaire est aussi issu d'une famille d'aliénés et
d'exaltés. Il était dès son enfance physiquement anormal. Sa vita
sexualis était certainement morbide. Il entretenait des liaisons
amoureuses avec des personnes laides et répugnantes, des négresses, des
naines, des géantes. Il exprima à une très belle femme le désir de la
voir suspendue par les mains pour pouvoir baiser ses pieds. Cet
enthousiasme pour le pied nu se montre aussi dans une de ses poésies
enfiévrées comme un équivalent de la jouissance sexuelle. Il déclarait
que les femmes sont des animaux qu'il faut enfermer, battre et bien
nourrir. Cet homme qui avouait ses penchants masochistes et sadistes, a
fini dans l'idiotie paralytique (Lombroso: L'homme de génie).
Dans les ouvrages scientifiques on n'a, jusqu'à ces temps derniers,
prêté aucune attention aux faits qui constituent le masochisme. On doit
rappeler cependant que Tarnowsky (Die krankhaften Erscheinungen des
Geschlechtssinns, Berlin, 1866) a rencontré dans sa pratique des hommes
intelligents, très heureux en ménage, qui de temps en temps éprouvaient
le désir irrésistible de se soumettre aux traitements les plus brutaux
et les plus cyniques, de se faire injurier et battre par des Cynèdes,
des pédérastes actifs ou des prostituées.
À remarquer aussi le fait observé par Tarnowsky, que, chez certains
individus adonnés à la flagellation passive, les coups seuls, quand
même ils font saigner le corps, n'amènent pas toujours le succès désiré
(puissance ou du moins éjaculation au moment de la flagellation). «Il
faut alors déshabiller de force l'individu en question, lui ligoter les
mains, l'attacher à un banc, etc.; pendant ces manoeuvres, il fait
semblant d'opposer une résistance et de proférer des injures. Seuls,
dans ces conditions, les coups de fouet ou de verge produisent une
excitation qui aboutit à l'éjaculation.»
L'ouvrage d'O. Zimmermann (Die Wonne des Leids, Leipzig, 1885) renferme
bien des documents sur ce sujet, puisés dans l'histoire de la
littérature et de la civilisation[52].
[Note 52: Il faut cependant bien séparer le masochisme de la thèse
principale soutenue dans cet ouvrage, que l'amour contient toujours une
part de douleur. De tout temps on a dépeint les langueurs de l'amour
non partagé comme pleines de délices et de souffrances à la fois, et
les poètes ont parlé des «tortures délicieuses» de la «volupté
douloureuse». Il ne faut pas confondre cela avec les phénomènes du
masochisme, ainsi que le fait Zimmermann. De même on ne peut comprendre
dans cette catégorie les cas où l'on appelle cruelle l'amante qui ne
veut pas se livrer. Toutefois, il est curieux de remarquer que
Hamerling (Amor und Psyche, 4e chant), pour exprimer ce sentiment, a
choisi des images tout à fait masochistes, telles que la flagellation,
etc.]
Plus récemment ce sujet a attiré l'attention.
A. Moll, dans son ouvrage «Les perversions de l'instinct génital»
(édition française, Paris, Carré, 1893), cite une série de cas de
masochisme qu'on a observés chez des individus atteints d'inversion
sexuelle, entre autres le cas d'un masochiste à inversion sexuelle qui
donne à un homme habitué à cela une instruction détaillée en vingt
paragraphes pour se faire traiter en esclave et torturer.
Au mois de juin 1891, M. Dimitri von Stefanowsky, actuellement
substitut du procureur impérial à Iaroslaw, en Russie, m'a dit que
depuis trois ans déjà il a porté son attention sur ce phénomène de
perversion de la vita sexualis que j'ai décrit sous le nom de
masochisme, mais qu'il a désigné par le mot de «passivisme». Il y a un
an et demi il a fait présenter par le professeur Kowalewsky de Charkow
un travail sur ce sujet dans les Archives russes de psychiatrie, et, au
mois de novembre 1888, il a fait à la Société juridique de Moscou une
conférence sur ce sujet au point de vue juridique et psychologique
(reproduite dans le Juridischen Boten, organe de la société en
question).
V. Schrenk-Notring consacre, dans son ouvrage récemment paru (Die
suggestions-therapie bei krankhaften erscheinungen des
geschlechtssinnes, etc., Stuttgart, 1892), au masochisme ainsi qu'au
sadisme quelques chapitres et cite plusieurs observations[53].
[Note 53: Dans la littérature nouvelle, dans les romans et les contes,
la perversion psycho-sexuelle qui fait le sujet de ce chapitre, a été
traitée par Sacher-Masoch, dont les écrits, plusieurs fois cités,
contiennent des descriptions de l'état d'âme morbide de ces individus.
Beaucoup de gens atteints de cette perversion signalent les ouvrages de
Sacher-Masoch comme une description typique de leur propre état
psychique.
Zola a, dans sa Nana, une scène masochiste, de même que dans Eugène
Rougon. Le décadentisme littéraire, plus moderne, en France et en
Allemagne, s'occupe beaucoup de masochisme et de sadisme. Le roman
moderne russe, s'il faut en croire Stefanowski, traite aussi ce sujet;
mais, d'après les communications du voyageur Johann-Georg Forster (en
1751-94), cet état jouait déjà un rôle dans la chanson populaire russe.]
B.--FÉTICHISME DU PIED ET DES CHAUSSURES. MASOCHISME LARVÉ
Au groupe des masochistes se rattache celui des fétichistes du pied et
des chaussures, dont on compte des exemples nombreux. Ce groupe forme
une transition avec les phénomènes d'une autre perversion distincte, le
fétichisme, mais il est plus près du masochisme que du fétichisme,
voilà pourquoi nous l'avons fait rentrer dans celui-là.
Par fétichistes j'entends des individus dont l'intérêt sexuel se
concentre exclusivement sur une partie déterminée du corps de la femme
ou sur certaines parties du vêtement féminin.
Une des formes les plus fréquentes du fétichisme consiste dans ce fait
que le pied ou le soulier de la femme sont le fétiche qui devient
l'unique objet des sentiments et des penchants sexuels.
Or il est fort probable, et cela ressort déjà de la classification
logique des cas observés, que la plupart des cas de fétichisme des
chaussures, peut-être tous, ont pour base un instinct d'humiliation
masochiste plus ou moins conscient.
Déjà, dans le cas de Hammond (observation 52), le plaisir d'un
masochiste consiste à se faire piétiner sur le corps. Les individus des
observations 44 et 48 se laissent aussi fouler aux pieds; celui de
l'observation 58, equus eroticus, est en extase devant le pied de la
femme, et ainsi de suite. Dans la plupart des cas de masochisme, être
foulé aux pieds est la principale forme expressive de la condition de
servitude[54].
[Note 54: Le désir de se laisser piétiner sur le corps se retrouve
aussi chez les fanatiques religieux. Comparez Turgenjew: Contes
étranges.]
Parmi les nombreux cas précis de fétichisme des souliers, le cas
suivant, rapporté par le docteur A. Moll, de Berlin, est
particulièrement apte à montrer la connexité qui existe entre le
masochisme et le fétichisme des souliers.
Ce cas offre beaucoup d'analogies avec celui que nous présente Hammond,
mais il est relaté avec plus de détails et d'ailleurs très
minutieusement observé.
OBSERVATION 59.--O. L..., trente et un ans, comptable dans une ville
wurtembergeoise, issu d'une famille tarée.
Le malade est un homme de grande taille, fort, avec l'aspect d'une
santé florissante. En général il est d'un tempérament calme; mais, dans
certaines circonstances, il peut devenir très violent. Il dit lui-même
qu'il est querelleur et chicaneur. L... est d'un bon caractère,
généreux; pour la moindre raison il se sent porté à pleurer. À l'école,
il passait pour un élève de talent, avec un don d'assimilation facile.
Le malade souffre de temps en temps de congestions à la tête, mais pour
le reste il se porte bien, si ce n'est qu'il se sent déprimé et souvent
mélancolique, par suite de sa perversion sexuelle, dont on lira plus
loin la description.
On n'a pu constater que fort peu de chose sur ses antécédents
héréditaires.
Le malade donne sur le développement de sa vie sexuelle les
renseignements suivants.
Dès sa première jeunesse, quand il n'avait que huit ou neuf ans, il
souhaitait être chien et lécher les bottes de son maître d'école. Il
croit qu'il est possible que cette idée lui ait été suggérée par le
fait qu'il a vu un jour comment un chien léchait les bottes de
quelqu'un; mais il ne peut l'affirmer formellement. En tout cas, ce qui
lui paraît certain, c'est que les premières idées sur ce sujet lui sont
venues pendant qu'il était à l'état de veille et non en rêve.
À partir de l'âge de dix ans et jusqu'à quatorze ans, L... cherchait
toujours à toucher les bottines de ses camarades et même celles des
petites filles; mais il ne choisissait que des camarades dont les
parents étaient riches ou nobles. Un de ses condisciples, fils d'un
riche propriétaire, avait des bottes d'écuyer; L..., en l'absence de
son camarade, prenait souvent ces bottes dans ses mains, se frappait
avec sur le corps ou les pressait sur sa figure. L... fit de même avec
les bottes élégantes d'un officier de dragons.
Après la puberté, le désir se porta exclusivement sur les chaussures de
femmes. Entre autres, pendant la saison de patinage, le malade
cherchait par tous les moyens l'occasion d'aider aux femmes et aux
filles à attacher ou à ôter leurs patins; mais il ne choisissait que
des femmes ou des filles riches et distinguées. Quand il passait dans
la rue ou ailleurs, il ne faisait que guetter les bottines élégantes.
Sa passion pour les chaussures allait si loin qu'il prenait le sable ou
la crotte qu'elles avaient foulé et le mettait dans son porte-monnaie
et quelquefois dans sa bouche. N'ayant encore que quatorze ans, L...
allait au lupanar et fréquentait un café-concert uniquement pour
s'exciter par la vue de bottes élégantes; les souliers avaient moins de
prise sur lui; sur ses livres d'école et sur les murs des cabinets il
dessinait toujours des bottes. Au théâtre, il ne regardait que les
souliers des dames. L... suivait dans les rues et même sur des bateaux
à vapeur, pendant des heures entières, les dames qui portaient des
bottines élégantes; il songeait en même temps avec enchantement comment
il pourrait arriver à toucher ces bottines. Cette prédilection
particulière pour les bottines s'est conservée chez lui jusqu'à
maintenant. L'idée de se laisser piétiner par des dames bottées ou de
pouvoir baiser ces bottines procure à L... la plus grande volupté. Il
s'arrête devant les magasins de chaussures, rien que pour contempler
les bottines. C'est surtout la forme élégante de la bottine qui
l'excite.
Le patient aime surtout les bottines boutonnées très haut ou lacées
très haut, avec des talons très hauts; mais les bottines moins
élégantes, même avec des talons bas, excitent le malade si la femme est
très riche, de haute position, et surtout si elle est fière.
À l'âge de vingt ans, L... tenta le coït, mais ne put y réussir,
«malgré les plus grands efforts», comme il le dit. Pendant sa tentative
de coït, le malade ne songeait pas aux souliers, mais il avait essayé
de s'exciter préalablement par la vue de chaussures; il prétend que sa
trop grande excitation fut cause de son échec. Il a tenté jusqu'ici le
coït quatre ou cinq fois, mais toujours en vain; dans une de ces
tentatives, le malade, qui est déjà très à plaindre, a eu le malheur de
contracter une lues. Je lui demandai comment il comprenait la suprême
volupté; il me déclara: «Ma plus grande volupté, c'est de me coucher nu
sur le parquet et de me laisser ensuite piétiner par des filles
chaussées de bottines élégantes; bien entendu, cela n'est possible
qu'au lupanar.» D'ailleurs, le malade prétend que, dans bien des
«lupanars», on connaît bien ce genre de perversion sexuelle des hommes.
La preuve que cette perversion n'est pas très rare, c'est que les
puellæ appellent les hommes de ce genre les «clients aux bottes». Le
malade a rarement exécuté l'acte tel qu'il serait pour lui le plus beau
et le plus agréable. Il n'a jamais eu d'idées qui l'aient poussé au
coït, du moins pas dans le sens d'une immissio penis in vaginam; il n'y
pourrait trouver aucun plaisir. De plus, il a, avec le temps, pris peur
du coït, ce qui s'explique suffisamment par l'échec de ses tentatives;
il dit lui-même que le fait de ne pouvoir achever le coït l'a toujours
gêné. Le malade n'a jamais pratiqué l'onanisme proprement dit. Sauf les
quelques cas où il a satisfait son penchant sexuel par l'onanisme avec
des bottines ou par des pratiques analogues, il ne connaît pas ce genre
de satisfaction, car, dans son excitation provoquée par les bottines,
il s'en tient aux érections, et c'est tout au plus si, parfois, il a un
écoulement lent et faible d'un liquide qu'il croit être du sperme.
L'aspect d'un soulier seul et d'un soulier qui n'est porté par personne
excite aussi le malade, mais pas dans la même mesure que le soulier
porté par une femme. Des souliers tout neufs et qui n'ont pas encore
été portés l'excitent beaucoup moins que les souliers qui ont été déjà
portés, mais qui ne sont pas usés et ont encore l'aspect neuf. C'est ce
genre de souliers qui excite le plus le malade.
Le malade est aussi excité par les bottines de dames quand elles ne
sont pas portées. Dans ce cas, L... se représente la dame pour
compléter l'image; il presse la bottine contre ses lèvres et son pénis.
L... «mourrait de plaisir» si une femme, honnête et fière, piétinait
sur lui avec ses souliers.
Abstraction faite des qualités citées plus haut, telles que fierté,
richesse, distinction qui, jointes à l'élégance de la bottine, offrent
un charme particulier, le malade n'est pas insensible non plus aux
qualités physiques du sexe féminin. Il a de l'enthousiasme pour les
belles femmes, même sans penser aux bottines; mais cette affection ne
vise aucune satisfaction sexuelle. Même dans leurs relations avec
l'idée des bottines, les charmes physiques jouent un rôle; une femme
laide et vieille ne saurait l'exciter, eût-elle les bottines les plus
élégantes; les autres parties de la toilette et d'autres conditions
encore jouent un rôle important, ce qui ressort déjà du fait que ce
sont les bottines élégantes, portées par des femmes de distinction, qui
produisent un effet particulièrement émotionnel sur lui. Une servante
grossière, dans sa tenue de travail, ne l'exciterait pas, quand même
elle serait chaussée des bottines les plus élégantes.
À l'heure qu'il est, ni les souliers, ni les bottines d'hommes ne
produisent plus aucun charme sur le malade; il ne se sent pas non plus
attiré sexuellement vers les hommes.
Par contre, d'autres circonstances provoquent très facilement une
érection chez lui. Si un enfant s'assied sur ses genoux, s'il pose la
main pendant quelque temps sur un chien ou sur un cheval, s'il est en
chemin de fer ou s'il se promène à cheval, il se produit chez lui des
érections qu'il attribue, dans ces derniers cas, aux mouvements du
corps.
Chaque matin, il a des érections, et il est capable d'en provoquer en
très peu de temps rien qu'en pensant qu'il touche des bottes comme il
les désire. Autrefois, il avait souvent des pollutions nocturnes,
environ toutes les trois ou quatre semaines, tandis que maintenant
elles sont plus rares et n'ont lieu que tous les trois ou quatre mois.
Dans ses rêves érotiques, le malade est toujours excité sexuellement
par la même pensée qui l'excite à l'état de veille. Depuis quelque
temps, il croit sentir un écoulement de sperme au moment de ses
érections; mais il n'en conclut ainsi que parce qu'il sent quelque
chose de mouillé au bout de son pénis.
Toute lecture qui touche de près à la sphère sexuelle du malade
l'excite d'une manière générale; ainsi, en lisant La Vénus à la
fourrure, de Sacher-Masoch, il est si excité que «le sperme ne fait que
filer».
D'ailleurs, cette sorte d'écoulement constitue pour L... une
satisfaction complète de son instinct sexuel.
Je le questionnai pour savoir si les coups qu'il recevrait d'une femme
l'exciteraient; il crut devoir répondre par l'affirmative. Il est vrai
qu'il n'a jamais fait une expérience dans ce sens; mais quand une femme
lui donnait, par plaisanterie, quelques coups, cela lui produisait
toujours une impression très agréable.
Le malade éprouverait surtout un grand plaisir si une femme, même
déchaussée, lui donnait des coups de pied. Mais il ne croit pas que les
coups par eux-mêmes produiraient l'excitation: c'est plutôt l'idée
d'être maltraité par la femme, ce qui peut se faire aussi bien par des
injures que par des voies de fait. Du reste les coups et les injures
n'auraient d'effet que s'ils venaient d'une femme orgueilleuse et
distinguée.
En général, c'est le sentiment de l'humiliation et du dévouement de
caniche qui lui procure de la volupté. «Si, dit-il, une dame
m'ordonnait de l'attendre même par le froid le plus rigoureux,
j'éprouverais, malgré la rigueur de la saison, une grande volupté.»
Je lui demandai si, en voyant la bottine, il était saisi d'un sentiment
d'humiliation, il me répondit: Je crois que cette passion générale de
l'humiliation s'est concentrée spécialement sur les bottines de dames,
parce qu'on dit, sous forme symbolique, qu'une personne «n'est pas
digne de délier les cordons des souliers d'une autre», et qu'un
subordonné doit être à genoux.
Les bas de la femme exercent aussi un effet excitant sur le malade,
mais à un degré moindre, et peut-être uniquement parce qu'ils évoquent
l'idée de la bottine. La passion pour les bottines de dames a augmenté
de plus en plus, et ce n'est que dans ces dernières années qu'il a cru
s'apercevoir d'une diminution de cette passion. Il ne va plus que
rarement chez les filles publiques; en outre, il est capable de se
retenir. Pourtant cette passion le domine encore entièrement, et lui
gâte tout autre plaisir. Une belle bottine de dame détournerait ses
regards du plus beau des paysages. Actuellement il va souvent, pendant
la nuit, dans les couloirs d'un hôtel, prend des bottines de dames
élégantes qu'il baise, qu'il presse contre sa figure, mais surtout
contre son pénis.
Le malade, qui a une belle situation matérielle, a fait, il y a quelque
temps, un voyage en Italie dans l'unique but de devenir, sans se faire
connaître, le valet d'une femme riche et de haute position. Ce projet
n'a pas réussi.
Il est venu à la consultation et n'a pas suivi de traitement médical
jusqu'ici.
Le récit de cette maladie que nous venons de reproduire, s'étend
jusqu'à une période récente, pendant laquelle L... m'a donné par
correspondance des renseignements sur son état de santé.
L'histoire qu'on vient de lire, se passe de longs commentaires. Elle me
paraît une des images les plus exactes de la maladie; elle est de
nature à éclaircir l'affinité supposée par Krafft-Ebing entre le
fétichisme des chaussures et le masochisme[55].
[Note 55: Le docteur Moll (op. cit., p. 130) fait cependant remarquer,
contre cette manière de voir, dans le fétichisme du pied et des
chaussures un phénomène de masochisme parfois latent et inexplicable:
que le fétichiste préfère souvent des bottines à hauts talons, des
chaussures d'une forme particulière, tantôt celles à boutons, tantôt
les vernies. Contre cette objection il faut remarquer d'abord que les
hauts talons caractérisent la bottine de la femme et qu'ensuite le
fétichiste, abstraction faite du caractère sexuel de son penchant, a
l'habitude d'exiger de son fétiche certaines particularités de nature
esthétique. Comparez plus loin, Observation 90.]
Le principal plaisir pour le malade c'est, comme il l'a déclaré
toujours et sans que par des questions on lui ait suggéré sa réponse,
la soumission à la femme qui doit être placée bien au-dessus de lui et
par sa fierté et par sa grande position sociale.
Nombreux sont les cas où, dans les limites de la sphère des idées
masochistes complètement développées, le pied, la bottine ou la botte
d'une femme, considérés comme instruments d'humiliation, deviennent
l'objet d'un intérêt sexuel tout à fait particulier. Dans leurs
gradations nombreuses qu'on peut facilement suivre, ils représentent la
transition bien reconnaissable vers d'autres cas dans lesquels les
penchants masochistes sont de plus en plus relégués au second rang et
peu à peu échappent à la conscience, tandis que l'intérêt pour le
soulier de la femme reste vivace dans la conscience et présente un
penchant en apparence inexplicable. Ce sont de nombreux cas de
fétichisme de la chaussure.
Les adorateurs si nombreux des souliers qui, comme tous les
fétichistes, offrent aussi quelque intérêt au point de vue médico-légal
(vol de chaussures), forment la limite entre le masochisme et le
fétichisme.
On peut les considérer pour la plus grande partie ou même tous comme
des masochistes larvés avec mobile inconscient, chez qui le pied ou le
soulier de la femme est arrivé à une importance par lui-même, comme
fétiche masochiste.
À ce propos nous allons citer encore deux cas dans lesquels les
chaussures de la femme forment le centre de l'intérêt, il est vrai,
mais où pourtant des penchants masochistes manifestes jouent encore un
rôle important (Comparez observation 44).
OBSERVATION 60.--M. X..., vingt-cinq ans, né de parents sains, n'ayant
jamais eu de maladies sérieuses, met à ma disposition l'autobiographie
suivante.
À l'âge de dix ans, j'ai commencé à me masturber, mais sans idée
voluptueuse. À cette époque déjà, je le sais pertinemment, la vue et
l'attouchement des bottines de femmes élégantes avaient pour moi un
charme particulier; aussi mon plus vif désir était de pouvoir me
chausser de semblables bottines, désir que je réalisais à l'occasion
des mascarades. Il y avait encore une autre idée qui me tourmentait:
mon idéal était de me voir dans une situation humble; j'aurais voulu
être esclave, battu, bref subir tout à fait les traitements qu'on
trouve décrits dans les nombreuses histoires d'esclaves. Je ne saurais
dire si ce désir s'est éveillé en moi spontanément ou s'il m'a été
inspiré à la suite de la lecture d'histoires d'esclaves.
À l'âge de treize ans, je suis entré en puberté; avec les éjaculations
qui se produisaient, mes sensations de volupté s'accrurent, et je me
masturbai plus fréquemment, souvent deux ou trois fois par jour.
Dès l'âge de douze ans jusqu'à seize ans, je me figurais toujours,
pendant l'acte de la masturbation, qu'on me forçait de porter des
bottines de fille. La vue d'une bottine élégante au pied d'une fille un
tant soit peu belle me grisait, et je reniflais avec avidité l'odeur du
cuir. Afin de pouvoir sentir du cuir pendant l'acte de la masturbation,
je m'achetai des manchettes en cuir que je reniflais en me masturbant.
Mon enthousiasme pour les bottines de femme en cuir est encore le même
aujourd'hui, seulement, depuis l'âge de dix-sept ans, il s'y mêle aussi
le désir d'être valet, de cirer des bottines de femmes distinguées,
d'être obligé de les aider à se chausser et à se déchausser.
Mes rêves nocturnes ne me montrent que des scènes où les bottines
jouent un certain rôle: tantôt je suis couché aux pieds d'une dame pour
renifler et lécher ses bottines.
Depuis un an, j'ai renoncé à l'onanisme et je vais ad puellas; le coït
ne peut avoir lieu que lorsque je concentre ma pensée sur des bottines
de dame à boutons; à l'occasion, je prends le soulier de la puella dans
le lit. Je n'ai jamais eu de malaises à la suite de mes actes
d'onanisme d'autrefois. J'apprends avec facilité, j'ai une bonne
mémoire et jamais de ma vie je n'ai eu de maux de tête. Voilà tout ce
qui concerne ma personne.
Encore quelques mots concernant mon frère. J'ai la ferme conviction
que, lui aussi, il est fétichiste du soulier; parmi les nombreux faits
qui me le prouvent je ne relève que le suivant: il éprouve un immense
plaisir à se laisser piétiner sur le corps par une belle cousine.
D'ailleurs je me fais fort de dire d'un homme qui s'arrête devant un
magasin de chaussures pour regarder les marchandises, si c'est un
«amant des souliers» ou non. Cette anomalie est très fréquente; quand,
en compagnie de camarades, j'amène la conversation sur la question de
savoir qu'est-ce qui excite le plus chez la femme, j'entends très
souvent déclarer que c'est plutôt la femme habillée que la femme nue;
mais chacun se garde bien de nommer son fétiche spécial.
Je suppose aussi qu'un de mes oncles est fétichiste du soulier.
OBSERVATION 61 (Rapportée par Mantegazza dans ses Études
anthropologiques).--X..., américain, de bonne famille, bien constitué
au point de vue physique et moral, n'était, depuis l'âge de la puberté,
excité que par des souliers de femme. Le corps de la femme et même le
pied nu ou seulement chaussé d'un bas ne lui faisaient aucune
impression, mais le pied chaussé d'un soulier ou même le soulier seul
lui causaient des érections et même des éjaculations. Il lui suffisait
seulement de voir des bottes élégantes, c'est-à-dire des bottines de
cuir noir boutonnées sur le côté, et avec de hauts talons. Son instinct
génital était puissamment excité lorsqu'il touchait ou embrassait ces
bottines ou bien qu'il s'en chaussait. Son plaisir augmente quand il
peut planter des clous dans les talons, de façon à ce qu'en marchant
les pointes des clous s'enfoncent dans sa chair. Il en éprouve des
douleurs épouvantables mais en même temps une véritable volupté. Son
suprême plaisir est de se mettre à genoux devant les beaux pieds d'une
dame élégamment chaussée et de se laisser fouler par ces pieds. Si la
porteuse de ces souliers est une femme laide, les chaussures ne
produisent pas d'effet et l'imagination du malade se refroidit. S'il
n'a à sa disposition que des souliers, il arrive par son imagination à
y rattacher une belle femme et alors l'éjaculation se produit. Ses
rêves nocturnes n'ont pour objet que des bottines de belles femmes. La
vue des souliers de femmes dans les étalages choque le malade comme
quelque chose de contraire à la morale, tandis qu'une conversation sur
la nature de la femme lui paraît inoffensive et inepte. À plusieurs
reprises, il a tenté le coït, mais sans succès. Il n'arrivait jamais à
l'éjaculation.
Dans le cas suivant, l'élément masochiste est encore assez distinct,
mais à côté il y a aussi des velléités sadistes (Comparez plus haut les
tortureurs de bêtes).
OBSERVATION 62.--Jeune homme vigoureux, vingt-six ans. Ce qui l'excite
sensuellement dans le beau sexe, ce sont uniquement des bottines
élégantes aux pieds d'une femme bien «chic», surtout quand les bottines
sont de cuir noir avec un talon très haut. La bottine sans la porteuse
lui suffit. C'est sa suprême volupté de voir la bottine, de la palper
et de l'embrasser. Le pied nu d'une dame ou seulement chaussé d'un bas
le laisse absolument froid. Depuis son enfance il a un faible pour les
bottines de dames. X... est puissant; pendant l'acte sexuel, il faut
que la personne soit élégamment mise et qu'elle ait avant tout de
belles bottines. Arrivé à l'apogée de l'émotion voluptueuse, des idées
cruelles se mêlent à son admiration des bottines. Il faut qu'il pense
avec délice aux douleurs d'agonie qu'a souffert l'animal dont la peau a
fourni la matière des bottines. De temps en temps, il se sent poussé à
apporter des poules et d'autres animaux vivants chez la Phryné pour que
celle-ci les écrase de ses élégantes bottines et lui procure ainsi une
plus grande volupté. Il appelle ce procédé «sacrifier aux pieds de
Vénus». D'autres fois, la femme chaussée est obligée de le piétiner;
plus elle l'écrase, plus il éprouve de plaisir.
Jusqu'à il y a un an, il se contentait, comme il ne trouvait aucun
charme à la femme même, de caresser des bottines de femmes de son goût,
et, au milieu de ces caresses, il avait des éjaculations et une
satisfaction complète (Lombroso, Archiv. di psichiatria, IX, fascic. 3).
Le cas suivant rappelle en partie le troisième de cette série par
l'intérêt que le malade attache aux clous des souliers (comme causes de
douleur) et en partie le quatrième cas en ce qui concerne les éléments
sadiques qui se font discrètement sentir.
OBSERVATION 63.--X..., trente-quatre ans, marié, issu de parents
névropathiques; dons son enfance, a souffert de convulsions graves;
étonnamment précoce (à l'âge de trois ans il savait déjà lire!), mais
développé dans une seule direction, nerveux dès sa première enfance; a
été saisi à l'âge de sept ans du violent désir de s'occuper de souliers
de femmes ou plutôt des clous de ces souliers. Les voir, mais plus
encore les toucher et les compter, procurait à X... un plaisir
indescriptible.
Pendant la nuit, il lui fallait se figurer comment ses cousines se font
prendre mesures pour des bottines, comment il clouait à l'une d'elles
un fer à cheval ou lui coupait les pieds.
Avec le temps, ces scènes de souliers ont pris empire sur lui pendant
la journée, et sans grande peine elles provoquaient des érections et
des éjaculations. Souvent il prenait des souliers de femmes demeurant
dans le même appartement; il lui suffisait de les toucher avec son
pénis pour avoir une éjaculation. Pendant quelque temps, alors qu'il
était étudiant, il réussit à refouler ces idées. Mais il vint un temps
ou il se sentit forcé de guetter ne fût-ce que le bruit des pas
féminins sur le pavé des rues, ce qui le faisait frémir de volupté, de
même que de voir planter des clous dans des bottines de femmes, ou de
voir des chaussures de femmes étalées dans les vitrines des magasins.
Il se maria, et, dans les premiers mois de son mariage, il n'eut pas de
ces impulsions. Peu à peu, il devint hystérique et neurasthénique.
À cette période, il avait des accès hystériques aussitôt qu'un
cordonnier lui parlait de clous de souliers de dames ou de l'acte de
clouer les talons des souliers de femmes. La réaction était encore plus
violente quand il voyait une belle femme avec des souliers à gros
clous. Pour avoir des éjaculations, il lui suffisait de découper en
carton des talons de souliers de dames et d'y planter des clous, ou
bien il achetait des souliers de dames, y faisait mettre des clous dans
un magasin, les traînait sur le parquet, chez lui, et enfin les
touchait avec le bout de son pénis. Mais spontanément aussi il lui
venait des images voluptueuses de souliers, et au milieu de ces scènes
il se satisfaisait par la masturbation.
X... est assez intelligent, zélé dans son emploi, mais il lutte en vain
contre sa perversion. Il est atteint de phimosis; le pénis est court et
incurvé à sa base, très peu apte à l'érection. Un jour le malade se
laissa aller à se masturber en présence d'une dame arrêtée devant la
boutique d'un cordonnier; il fut arrêté comme criminel. (Blanche,
Archives de neurologie, 1882, nº 22.)
Il faut encore rappeler à ce propos le cas (cité plus loin, observation
111) d'un individu atteint d'inversion sexuelle et dont la sexualité
n'était préoccupée que de bottines de domestiques masculins. Il aurait
voulu se laisser piétiner sur le corps par eux, etc.
Un élément masochiste se manifeste encore dans le cas suivant.
OBSERVATION 64 (Dr Pascal, Igiene del' amore).--X..., négociant, a
périodiquement, surtout quand il fait mauvais temps, les désirs
suivants. Il aborde une prostituée, la première venue, et la prie de
venir avec lui chez un cordonnier où il lui achète une belle paire de
bottines vernies, à la condition qu'elle s'en chausse immédiatement.
Cela fait, la femme doit traverser les rues, autant que possible dans
les endroits les plus sales et les ruisseaux pour bien crotter les
bottines. Puis, X... conduit la personne dans un hôtel et, à peine
enfermé avec elle dans la chambre, il se précipite sur ses pieds, y
frotte ses lèvres, ce qui lui procure un plaisir extraordinaire. Après
avoir nettoyé les bottines de cette façon, il fait un cadeau en argent
à la femme et s'en va.
De tous ces cas il ressort que le soulier est un fétiche chez le
masochiste, évidemment en raison des rapports qui existent entre
l'image du pied chaussé de la femme et l'idée d'être piétiné et humilié.
Si donc, dans d'autres cas de fétichisme du soulier, la bottine de la
femme se montre comme seul excitant des désirs sexuels, on peut
supposer qu'alors les mobiles masochistes sont restés à l'état latent.
L'idée d'être foulé aux pieds, reste dans les profondeurs du domaine de
l'inconscient, et c'est l'idée seule du soulier, en tant que moyen pour
réaliser ces actes, qui surgit dans la conscience. Ainsi s'expliquent
bien des cas qui autrement resteraient tout à fait inexplicables.
Il s'agit là d'un masochisme larvé dont le mobile pourrait paraître
inconscient, sauf dans le cas exceptionnel où il est établi que son
origine est due à une association d'idées provoquée par un incident
précis dans le passé du malade, ainsi qu'on le verra dans les
observations 87 et 88.
Ces cas de penchant sexuel pour les souliers de femme, sans motif
conscient et sans qu'on en ait pu établir la cause ni l'origine, sont
très nombreux[56]. Nous citerons comme exemples les trois faits
suivants.
[Note 56: Au fétichisme du pied se rattachent évidemment ces faits de
certains individus qui, non satisfaits par le coït ou incapables de
l'accomplir, le remplacent par le tritus membri inter pedes mulieris.]
OBSERVATION 65.--Ecclésiastique, cinquante ans. Il se montre de temps
en temps dans des maisons de prostituées, sous prétexte de louer une
chambre dans ces maisons; il entre en conversation avec une puella,
lance des regards de convoitise vers les souliers de la femme, lui en
ôte un, osculatur et mordet caligam libidine captus; ad genitalia
denique caligam premit, ejaculat semen semineque ejaculato axillas
pectusque terit, revient de son extase voluptueuse, demande à la
propriétaire du soulier la faveur de le garder quelques jours et le
rapporte avec mille remerciements après le délai fixé. (Cantarano, La
Psichiatria, V. p. 205.)
OBSERVATION 66.--Z..., étudiant, vingt-trois ans, issu d'une famille
tarée: la soeur était mélancolique, le frère souffrait d'hysteria
virilis. Le malade fut, dès sa première enfance, un être étrange, a
souvent des malaises hypocondriaques. En lui donnant une consultation
pour une «maladie de l'esprit», je trouve chez lui un homme à
l'intelligence embrouillée, taré, présentant des symptômes
neurasthéniques et hypocondriaques. Mes soupçons de masturbation se
confirment. Le malade fait des révélations très intéressantes sur sa
vita sexualis.
À l'âge de dix ans, il s'est senti vivement attiré par le pied d'un
camarade. À l'âge de douze ans, il a commencé à s'enthousiasmer pour
les pieds de femmes. C'était pour lui un plaisir délicieux de les voir.
À l'âge de quatorze ans, il commença à pratiquer l'onanisme, en se
représentant dans son imagination un très beau pied de femme. À partir
de ce moment, il s'extasiait devant les pieds de sa soeur qui avait
trois ans de plus que lui. Les pieds d'autres dames, en tant que
celles-ci lui étaient sympathiques, l'excitaient sexuellement. Chez la
femme, il n'y a que le pied qui l'intéresse. L'idée d'un rapport sexuel
avec une femme lui fait horreur. Il n'a jamais essayé de faire le coït.
À partir de douze ans, il n'éprouve plus aucun intérêt pour le pied
masculin.
La forme de la chaussure du pied féminin lui est indifférente; ce qui
est important, c'est que la personne lui soit sympathique. L'idée de
jouir des pieds de prostituées lui inspire du dégoût. Depuis des
années, il est amoureux des pieds de sa soeur. Rien qu'en voyant ses
souliers, sa sensualité se trouve violemment excitée. Une accolade, un
baiser de sa soeur ne produisent pas cet effet. Son suprême bonheur est
de pouvoir enlacer le pied d'une femme sympathique et d'y poser ses
lèvres. Souvent il fut tenté de toucher avec son pénis un des souliers
de sa soeur; mais jusqu'ici il a su réprimer ce désir, d'autant plus
que, depuis deux ans, sa faiblesse génitale étant très grande, l'aspect
d'un pied suffit pour le faire éjaculer.
On apprend par son entourage que le «malade» a une «admiration
ridicule» pour les pieds de sa soeur, de sorte que celle-ci l'évite et
tâche toujours de lui cacher ses pieds. Le malade sent lui-même que son
penchant sexuel pervers est morbide, et il est péniblement impressionné
de ce que ses fantaisies malpropres aient précisément choisi comme
objet le pied de sa propre soeur. Autant qu'il lui est possible, il
évite les occasions et cherche à se compenser par la masturbation au
cours de laquelle il a toujours présents dans son imagination des pieds
de femmes, ainsi que dans ses pollutions nocturnes. Quand le désir
devient trop violent, il ne peut plus résister à l'envie de voir les
pieds de sa soeur.
Immédiatement après l'éjaculation, il est pris d'un vif dépit d'avoir
été trop faible. Son affection pour le pied de sa soeur lui a valu bien
des nuits blanches. Il s'étonne souvent qu'il puisse toujours continuer
à aimer sa soeur. Bien qu'il trouve juste que sa soeur cache ses pieds
devant lui, il en est souvent irrité, car cela l'empêche d'avoir sa
pollution. Le malade insiste sur le fait qu'autrement il est d'une
bonne moralité, ce qui est confirmé par son entourage.
OBSERVATION 67.--S..., de New-York, est accusé de vols commis sur la
voie publique. Dans son ascendance, il y a de nombreux cas de folie; le
frère et la soeur de son père sont également anormaux au point de vue
intellectuel. À l'âge de sept ans, il eut deux fois un violent
ébranlement du cerveau. À l'âge de treize ans, il est tombé d'un
balcon. À l'âge de quatorze ans, S... eut de violents maux de tête. Au
moment de ces accès, ou du moins immédiatement après, il se manifestait
en lui un penchant étrange à voler un soulier, jamais une paire,
appartenant aux membres féminins de sa famille, et de le cacher dans un
coin. Quand on lui fait des reproches, il nie ou il prétend ne plus se
rappeler cette affaire. L'envie de prendre des souliers lui vient
périodiquement tous les trois ou quatre mois. Une fois il a essayé de
dérober un soulier au pied d'une bonne; une autre fois il a enlevé un
soulier de la chambre de sa soeur. Au printemps, il a déchaussé par
force deux dames qui se promenaient dans la rue et leur a pris leurs
souliers. Au mois d'août, S... quitta de bon matin son logement pour
aller travailler dans l'atelier d'imprimerie où il était employé comme
typographe.
Un moment après son départ, il arracha à une fille, dans la rue, un
soulier, se sauva avec, et courut à son atelier où on l'arrêta pour vol.
Il prétend ne pas savoir grand'chose sur son action; à la vue du
soulier, il lui vient, comme un éclair subit, l'idée qu'il en a besoin.
Dans quel but? Il n'en sait rien. Il a agi avec absence d'esprit. Le
soulier se trouvait, comme il l'avoua, dans une poche de son veston. En
prison il était dans un tel état de surexcitation mentale qu'on
craignit un accès de folie. Remis en liberté, il enleva encore les
souliers de sa femme pendant qu'elle dormait. Son caractère moral, son
genre de vie étaient irréprochables. C'était un ouvrier intelligent;
seulement les occupations variées qui se suivaient trop rapidement le
troublaient et le rendaient incapable de travailler. Il fut acquitté.
(Nichols, Americ J. J., 1859; Beck, Medical jurisprud., 1860, vol. 1,
p. 732.)
Le Dr Pascal (op. cit.) a cité encore quelques observations analogues
et beaucoup d'autres m'ont été communiquées par des collègues et des
malades.
C.--ACTES MALPROPRES COMMIS DANS LE BUT DE S'HUMILIER ET DE SE PROCURER
UNE SATISFACTION SEXUELLE.--MASOCHISME LARVÉ
On a constaté de nombreux exemples d'hommes pervers dont l'excitation
sexuelle, était produite par les sécrétions ou même par les excréments
des femmes, qu'ils cherchent à toucher.
Ces cas ont probablement toujours comme base un penchant obscur au
masochisme, avec recherche de la plus basse humiliation de soi-même et
efforts pour y arriver.
Cette corrélation se dégage nettement des aveux faits par des personnes
atteintes de cette hideuse perversion. L'observation qu'on va lire plus
loin et qui concerne un individu atteint d'inversion sexuelle, est très
instructive sous ce rapport.
Le sujet de cette observation ne s'extasie pas seulement à l'idée
d'être l'esclave de l'homme aimé, invoquant pour cela le roman La Vénus
à la fourrure de Sacher-Masoch, sed etiam sibi fingit amatum poscere ut
crepidas sudore diffluentes olfaciat ejusque stercore vescatur. Deinde
narrat, quia non habeat, quæ confingat et exoptet, eorum loco suas
crepidas sudore infectas olfacere suoque stercore vesci, inter quæ
facta pene erecto se voluptate perturbari semenque ejaculari.
La signification masochiste des actes dégoûtants existe encore
clairement dans le cas suivant qu'un collègue m'a communiqué.
OBSERVATION 68.--H.-R. G..., propriétaire, major en retraite, qui est
mort à l'âge de soixante ans, est issu d'une famille où la légèreté,
les dettes et le relâchement des idées éthiques sont héréditaires. Dès
sa jeunesse, il s'adonna aux débauches les plus folles. Il était connu
comme organisateur «des bals de nu». D'un caractère brutal et cynique,
mais sévère et exact dans son service militaire qu'il a dû quitter pour
une affaire malpropre qui n'a jamais été divulguée, il vécut en
particulier pendant dix-sept ans. Insouciant de l'administration de sa
fortune, il s'introduisait partout comme viveur; mais on l'évitait à
cause de sa lascivité. Malgré sa brusquerie, on lui fit sentir qu'il
était mis au ban de la bonne société. Voilà ce qui le décida à
fréquenter ensuite de préférence le monde commun des cochers, des
ouvriers et le «zinc» des cabarets. On n'a pu établir s'il avait des
rapports sexuels avec des hommes; mais il est bien certain que, même à
un âge avancé, il organisait avec un monde très mélangé des symposies,
et, jusqu'à la fin de ses jours, il garda la réputation d'un débauché.
Dans les dernières années de sa vie, il avait pris l'habitude de
stationner le soir, près des maisons en construction; il choisissait,
parmi les ouvriers qui quittaient le bâtiment, les plus sales et les
invitait à l'accompagner.
Il est bien établi qu'il faisait déshabiller ces journaliers, qu'il
leur suçait ensuite l'orteil, et que, par ce procédé, il réveillait son
libido qu'il satisfaisait ensuite.
Cantarano a publié aussi dans La Psichiatria (V. Année, p. 207) une
observation d'un individu qui, avant de pratiquer le coït, et pour la
même raison, suçait et mordait l'orteil de la puella qui depuis
longtemps n'avait pas été lavé.
J'ai connu plusieurs cas où en dehors d'autres actes masochistes
(mauvais traitements, humiliations), les malades s'adonnaient à ces
penchants dégoûtants, et les dépositions faites par ces individus mêmes
ne laissent plus subsister aucun doute sur la signification de ces
actes malpropres. De pareils faits nous aident à comprendre d'autres
cas qui, si on ne les envisageait pas dans leurs associations avec le
penchant masochiste à l'humiliation, deviendraient absolument
inexplicables[57].
[Note 57: Il y a, dans ces cas, analogie avec les excès du délire
religieux. L'extatique religieuse Antoinette Bouvignon de la Porte
mélangeait sa nourriture avec des excréments afin de se mortifier
(Zimmermann, op. cit., p. 124). Marie Alacoque, béatifiée depuis,
léchait, pour sa mortification, les déjections des malades et suçait
leurs orteils couverts de plaies.]
Il est cependant vraisemblable que l'individu pervers n'a pas
conscience de la vraie signification de ce penchant, et qu'il ne se
rend compte que de son envie pour les choses dégoûtantes. Par
conséquent, là aussi il y a masochisme larvé.
À cette catégorie de pervertis appartiennent d'autres cas observés par
Cantarano (mictio et dans un autre cas même defæcatio puellæ ad linguam
viri ante actum, usage d'aliments à odeur fécale pour être puissant),
et enfin le cas suivant qui m'a été également communiqué par un médecin.
OBSERVATION 69.--Un prince russe très décrépit a fait déféquer sa
maîtresse sur sa poitrine; elle dut s'accroupir au-dessus de lui en lui
tournant le dos. De cette manière, il a pu réveiller les restes de son
libido.
Un autre entretient très généreusement une maîtresse, à la condition
qu'elle mange exclusivement du pain d'épice. Ut libidinosus fiat et
ejaculare possit, excrementa feminæ ore excipit. Un médecin brésilien
m'a raconté plusieurs cas de defæcatio feminæ in os viri qui sont
parvenus à sa connaissance.
De pareils faits arrivent partout et ne sont pas rares. Toutes les
sécrétions possibles, la salive, la mucosité nasale et même le cérumen
des oreilles sont employés dans ce but et avalés avec avidité, oscula
ad nates et même ad anum. (Le Dr Moll, op. cit., p. 135, rapporte des
faits analogues chez les homosexuels). Le désir pervers très répandu de
pratiquer le cunnilungus provient peut-être souvent de velléités
masochistes.
Pelanda (Archivio di Psichiatria X, fascicolo 3-4) rapporte le fait
suivant.
OBSERVATION 70.--W..., quarante-cinq ans, taré, était, dès l'âge de
huit ans, adonné à la masturbation. A decimo sexto anno libidines suas
bibendo recentem feminarum urinam satiavit. Tanta erat voluptas urinam
bibentis ut nec aliquid olfaceret nec saperet, hæc faciens. Après
l'avoir bu, il éprouvait toujours du dégoût, avait mal au coeur et se
jurait de ne plus recommencer. Une seule fois il éprouva le même
plaisir en buvant l'urine d'un garçon de neuf ans, avec lequel il
s'était livré une fois à la fellatio. Le malade est atteint de délire
épileptique.
Les faits cités dans ce groupe sont en parfaite opposition avec ceux du
groupe des sadistes.
Il faut classer dans cette catégorie les faits plus anciens que Tardieu
(Étude médico-légale sur les attentats aux moeurs, p. 206) avait déjà
observés chez des individus séniles. Il décrit comme «renifleurs» ceux
qui in secretos locos nimirum theatrorum posticos convenientes quo
complures feminæ ad micturiendum festinant, per nares urinali odore
excitati, illico se invicem polluunt.
Les «stercoraires» dont parle Taxil (La prostitution contemporaine)
sont uniques dans ce genre.
Enfin, il faut encore donner place ici au fait suivant qui m'a été
communiqué par un médecin.
OBSERVATION 71.--Un notaire, connu dans son entourage comme un original
et un misanthrope depuis sa jeunesse et qui, pendant qu'il faisait ses
études, était très adonné à l'onanisme, avait l'habitude, comme il le
raconte lui-même, de stimuler ses désirs sexuels en prenant un certain
nombre de feuilles de papier de latrine dont il s'était servi; il les
étalait sur la couverture de son lit, les regardait et reniflait
jusqu'à ce que l'érection se produisît, érection dont il se servait
ensuite pour accomplir l'acte de la masturbation. Après sa mort, on a
trouvé près de son lit un grand panier rempli de ces papiers. Sur
chaque feuille, il avait soigneusement noté la date.
Il s'agit ici probablement d'une évocation imaginaire d'actes
accomplis, comme dans les exemples précédents.
D.--LE MASOCHISME CHEZ LA FEMME
Chez la femme, la soumission volontaire à l'autre sexe est un phénomène
physiologique. Par suite de son rôle passif dans l'acte de la
procréation, par suite des moeurs des sociétés de tous les temps, chez
la femme l'idée des rapports sexuels se rattache en général à l'idée de
soumission. C'est pour ainsi dire le diapason qui règle la tonalité des
sentiments féminins.
Celui qui connaît l'histoire de la civilisation sait dans quelle
condition de soumission absolue la femme fut tenue de tout temps
jusqu'à l'époque d'une civilisation relativement plus élevée[58].
[Note 58: Les livres de droit du commencement du moyen âge donnaient à
l'homme le droit de tuer sa femme; ceux des périodes suivantes lui
accordaient encore le droit de la châtier. On en a fait un ample usage,
même dans les classes élevées (Comparez Schultze, Das hæfische Leben
sur Zeit des Minnesangs, Bd I. p. 163 f.). À côté on trouve le
paradoxal hommage rendu aux femmes du moyen âge.]
Un observateur attentif de la vie sociale reconnaîtra facilement,
aujourd'hui même, comment les coutumes de nombreuses générations
jointes au rôle passif que la nature a attribué à la femme, ont
développé dans le sexe féminin la tendance instinctive à se soumettre à
la volonté de l'homme. Il remarquera aussi que les femmes trouvent
inepte une accentuation trop forte de la galanterie usuelle, tandis
qu'une nuance d'attitude impérieuse est accueillie avec un blâme
hautement manifesté, mais souvent avec un plaisir secret[59].
[Note 59: Comparez les paroles de Lady Milford dans Kabale und Liebe de
Schiller: «Nous autres femmes, nous ne pouvons choisir qu'entre la
domination et la servitude; mais le plus grand bonheur du pouvoir n'est
qu'un misérable pis-aller, si ce plus grand bonheur d'être esclaves
d'un homme que nous aimons nous est refusé.» (Acte II, scène 1.)]
Sous le vernis des moeurs de salon, l'instinct de la servitude de la
femme est partout reconnaissable.
Ainsi il est tout indiqué de considérer le masochisme comme une
excroissance pathologique des éléments psychiques, surtout chez la
femme, comme une accentuation morbide de certains traits de son
caractère sexuel psychique; il faut donc chercher son origine primitive
dans le sexe féminin.
On peut admettre comme bien établi que le penchant à se soumettre à
l'homme--(qu'on peut toutefois considérer comme une utile institution
acquise et comme un phénomène qui s'est développé conformément à
certains faits sociaux)--existe chez la femme, jusqu'à un certain
point, comme un phénomène normal.
Que, dans ces circonstances, on n'arrive pas souvent à «la poésie» de
l'hommage symbolique, cela tient en partie à ce que l'homme n'a pas la
vanité du faible qui veut faire ostentation de son pouvoir (comme les
dames du moyen âge en présence de leur cavalier servant), mais qu'il
préfère en tirer un profit réel. Le barbare fait labourer ses champs
par sa femme; le philistin de notre civilisation spécule sur la dot. La
femme supporte volontiers ces deux états.
Il est probable qu'il y a chez les femmes des cas assez fréquents d'une
accentuation pathologique de cet instinct dans le sens du masochisme,
mais la manifestation en est réprimée par les conventions sociales.
D'ailleurs, beaucoup de jeunes femmes aiment avant tout être à genoux
devant leurs époux ou leurs amants. Chez tous les peuples slaves,
dit-on, les femmes de basse classe s'estiment malheureuses quand elles
ne sont pas battues par leurs maris.
Un correspondant hongrois m'assure que les paysannes du comitat de
Somogy ne croient pas à l'amour de leur mari tant qu'elles n'ont pas
reçu de lui une première gifle comme marque d'amour.
Il est difficile au médecin observateur d'apporter des documents
humains sur le masochisme de la femme. Des résistances internes et
externes, pudeur et convenances, opposent des obstacles presque
insurmontables aux manifestations extérieures des penchants sexuels
pervers de la femme.
De là vient qu'on n'a pu jusqu'ici constater scientifiquement qu'un
seul cas de masochisme chez la femme; encore ce cas est entouré de
circonstances accessoires qui le rendent obscur.
OBSERVATION 72.--Mlle V. X..., trente-cinq ans, née d'une famille très
chargée, se trouve depuis quelques années dans la phase initiale d'une
paranoia persecutoria. Cette maladie a eu pour cause une neurasthenia
cerebrospinalis dont le point de départ doit être cherché dans une
surexcitation sexuelle. Depuis l'âge de vingt-quatre ans, la malade
était adonnée à l'onanisme. À la suite d'un espoir matrimonial déçu et
d'une violente excitation sensuelle, elle en est venue à la
masturbation et à l'onanisme psychique. Il n'y eut jamais chez elle
d'affection pour des personnes de son propre sexe. Voici les
dépositions de la malade: «À l'âge de six à huit ans, l'envie m'a prise
d'être fouettée. Comme je n'ai jamais été battue et que je n'ai jamais
assisté à la flagellation d'autrui, je ne peux pas m'expliquer comment
ce désir étrange a pu se produire chez moi. Je ne peux que m'imaginer
qu'il est congénital. J'éprouvais un véritable sentiment de délice à
ces idées de flagellation et, dans mon imagination, je me représentais
combien ce serait bon d'être fouettée par une amie. Jamais la fantaisie
ne m'est venue de me laisser fouetter par un homme. Je jouissais à
l'idée seule et n'ai jamais essayé de mettre à exécution mes
fantaisies. À partir de l'âge de dix ans, j'ai perdu ces idées. Ce
n'est qu'à l'âge de trente-quatre ans, lorsque j'eus lu les Confessions
de Rousseau, que je compris ce que signifiait cette envie d'être
flagellée, et qu'il s'agissait chez moi des mêmes idées morbides que
chez Rousseau. Jamais, depuis l'âge de dix ans, je n'ai eu de pareilles
tendances.»
Ce cas doit évidemment, par son caractère primitif ainsi que par
l'évocation de Rousseau, être classé comme cas de masochisme. Que ce
soit une amie qui, dans l'imagination, exerce le rôle de flagellant,
cela s'explique simplement par le fait qu'ici les sentiments
masochistes entrent dans la conscience d'une enfant avant que la vita
sexualis soit développée et que le penchant pour l'homme se manifeste.
L'inversion sexuelle est absente dans ce cas d'une façon absolue.
ESSAI D'EXPLICATION DU MASOCHISME
Les faits de masochisme comptent certainement parmi les plus
intéressants de la psychopathologie. Avant d'essayer de les expliquer,
il faut d'abord bien établir ce qui est essentiel et ce qui est
secondaire dans ce phénomène.
L'essentiel, dans le masochisme, c'est, dans tous les cas, l'envie
d'être absolument soumis à la volonté d'une personne de l'autre sexe
(dans le sadisme, au contraire, le règne absolu sur cette personne),
mais avec provocation et accompagnement de sensations sexuelles se
traduisant par du plaisir qui va jusqu'à produire l'orgasme. Le
secondaire, c'est, d'après le critérium précédent, la manière spéciale
dont cette condition de dépendance ou de règne est manifestée, que ce
soit par des actes purement symboliques ou qu'il y ait en même temps
désir de supporter des douleurs causées par une personne de l'autre
sexe.
Tandis qu'on peut considérer le sadisme comme une excroissance
pathologique du caractère sexuel viril dans ses particularités
psychiques, le masochisme est plutôt une excroissance morbide des
particularités psychiques propres à la femme.
Il existe sans doute aussi des cas très fréquents de masochisme chez
l'homme; ce sont ceux qui deviennent pour la plupart apparents et
remplissent presque à eux seuls toute la casuistique. Nous en avons
donné les raisons plus haut.
Tout d'abord, à l'état d'excitation voluptueuse, chaque impression
exercée sur l'excité par la personne qui est le point de départ du
charme sexuel, vient indépendamment du genre de cette impression.
C'est encore une chose tout à fait normale que des tapes légères et de
petits coups de poing soient considérés comme des caresses[60].
Like the lovers pinch wich hurts and is desired.
(Shakespeare, Antonius and Cleopatra.)
[Note 60: Nous trouvons des faits analogues chez les animaux
inférieurs. Les chenilles du poumon (Pulmonata Cuv.) possèdent une
soi-disant «flèche d'amour», baguette de chaux pointue qui se trouve
dans une pochette particulière de leur corps et qu'elles font sortir au
moment de l'accouplement. C'est un organe d'excitation sexuelle qui,
d'après sa constitution, doit être un excitant douloureux.]
De là il n'y a pas loin à conclure que le désir d'éprouver une très
forte impression de la part du consors amène, dans le cas d'une
accentuation pathologique de l'ardeur amoureuse, à l'envie de recevoir
des coups, la douleur étant toujours un moyen facile pour produire une
forte impression physique. De même que, dans le sadisme, la passion
sexuelle aboutit à une exaltation dans laquelle l'excès de l'émotion
psychomotrice déborde dans les sphères voisines, il se produit de même,
dans le masochisme, une extase dans laquelle la marée montante d'un
seul sentiment engloutit avidement toute impression venant de la
personne aimée et la noie dans la volupté.
La seconde cause, la plus puissante du masochisme, doit être cherchée
dans un phénomène très répandu qui rentre déjà dans le domaine d'un
état d'âme insolite et anormal, mais pas encore dans celui d'un état
perverti.
J'entends ici ce fait fréquent qu'on observe dans des cas très nombreux
et sous les formes les plus variées, qu'un individu tombe d'une façon
étonnante et insolite sous la dépendance d'un individu de l'autre sexe,
jusqu'à perdre toute volonté, dépendance qui force l'assujetti à
commettre et à tolérer des actes compromettant souvent gravement ses
propres intérêts, contraires et aux lois et aux moeurs.
Dans les phénomènes de la vie normale, cette dépendance varie selon
l'intensité du penchant sexuel qui est ici en jeu et le peu de force de
volonté qui devrait contrebalancer l'instinct. Il n'y a donc qu'une
différence quantitative, mais non pas qualitative, comme c'est le cas
dans les phénomènes du masochisme.
J'ai désigné sous le nom de servitude sexuelle ce fait de dépendance
anormale, mais non encore perverse, d'un homme vis-à-vis d'un individu
de l'autre sexe, fait qui offre un grand intérêt, surtout au point de
vue médico-légal. Je l'ai nommé ainsi parce que les conditions qui en
résultent sont empreintes d'une marque de servitude[61]. La volonté du
sujet dominateur commande à celle du sujet asservi, comme la volonté du
maître à celle du serviteur[62].
[Note 61: Comparer l'essai de l'auteur «Sur la servitude sexuelle et le
masochisme» dans Psychiatrische Jahrbücher, t. X, p. 169, où ce sujet a
été traité à fond, surtout au point de vue médico-légal.]
[Note 62: Bien qu'on les emploie au figuré pour de pareilles
situations, j'ai cru devoir éviter ici les expressions esclave et
esclavage, parce que ce sont des termes qu'on emploie de préférence
pour le masochisme dont il faut bien distinguer la «servitude».
L'expression de servitude ne doit pas être confondue non plus avec la
sujétion de la femme de J. St. Mill. Mill désigne par cette expression
des moeurs et des lois, des phénomènes historiques et sociaux. Mais ici
nous ne parlons que de faits nés de mobiles individuels particuliers et
qui sont en contradiction avec les lois et les moeurs en usage. En
outre, il est question des deux sexes.]
Cette servitude sexuelle est, comme nous le disions, un phénomène
anormal, même au point de vue psychique.
Elle commence là où la règle extérieure, les limites de la dépendance
d'une partie sur l'autre ou de la dépendance mutuelle, tracées par la
loi et les moeurs, sont transgressées à la suite d'une particularité
individuelle due à l'intensité de mobiles qui en eux-mêmes sont tout à
fait normaux. La servitude sexuelle n'est pas du tout un phénomène
pervers: les agents moteurs sont les mêmes que ceux qui mettent en
mouvement, quoique avec moins de vivacité, la vita sexualis psychique
renfermée dans les limites et les règles normales.
La peur de perdre sa compagne, le désir de la contenter toujours, de la
conserver aimable et disposée aux rapports sexuels, sont ici les
mobiles qui poussent le sujet asservi.
D'un côté un amour excessif qui, surtout chez la femme, n'indique pas
toujours un degré excessif de sensualité; de l'autre, une faiblesse de
caractère: tels sont les premiers éléments de ce processus insolite[63].
[Note 63: Le fait le plus important, dans ces cas, c'est peut-être que
l'habitude d'obéir développe une sorte de mécanisme d'obéissance
inconsciente qui fonctionne avec une exactitude automatique et qui n'a
pas à lutter contre des idées contraires, parce qu'il est au delà de la
limite de la conscience nette, et qu'il peut être manié comme un
instrument inerte par la partie régnante.]
Le mobile de l'autre sujet, c'est l'égoïsme, qui peut se donner libre
cours.
Les faits de servitude sexuelle sont très variés dans leurs formes, et
leur nombre est très grand[64].
[Note 64: Dans les littératures de tous les pays et de toutes les
époques, la servitude sexuelle joue un grand rôle. Les phénomènes
insolites mais non pervers de la vie de l'âme sont pour le poète des
sujets heureux et qu'il lui est permis de traiter. La description la
plus célèbre de la «servitude» chez l'homme, est celle de l'abbé
Prévost dans sa Manon Lescaut. Une description parfaite de la servitude
chez la femme se trouve dans le roman Leone Leoni, de George Sand. Il
faut citer ici la Kæthchen von Heilbronn de Kleist, qui lui-même
désigne cette pièce comme l'opposé de sa Penthésilée (sadisme), enfin
la Griselidis de Halm et beaucoup d'autres poésies analogues.]
Nous rencontrons à chaque pas dans la vie des hommes tombés dans la
servitude sexuelle. Il faut compter parmi les gens de cette catégorie
les maris qui vivent sous la domination de leur femme, surtout les
hommes déjà vieux qui épousent de jeunes femmes et qui veulent racheter
leur disproportion d'âge et de qualités physiques par une
condescendance absolue à tous les caprices de l'épouse; il faut aussi
classer dans cette catégorie les hommes trop mûrs qui, en dehors du
mariage, veulent renforcer leurs dernières chances d'amour par
d'immenses sacrifices, et aussi les hommes de tout âge qui, pris d'une
violente passion pour une femme, se heurtent à une froideur calculée et
doivent capituler dans de dures conditions; les gens très amoureux qui
se laissent entraîner à épouser des catins connues; les hommes qui,
pour courir après des aventurières, abandonnent tout, jouent leur
avenir; les maris et les pères qui délaissent épouse et enfants, et qui
placent les revenus d'une famille aux pieds d'une hétaïre.
Quelque nombreux que soient les exemples de servitude chez l'homme,
tout observateur un peu impartial de la vie conviendra que leur nombre
et leur importance sont bien inférieurs à ceux observés chez la femme.
Ce fait est facilement explicable. Pour l'homme, l'amour n'est presque
toujours qu'un épisode; il a une foule d'autres intérêts importants;
pour la femme, au contraire, l'amour est la vie: jusqu'à la naissance
des enfants, l'amour tient le premier rang, et souvent même après la
naissance des enfants. Ce qui est encore plus important, c'est que
l'homme peut dompter son penchant ou l'apaiser dans des accouplements
pour lesquels il trouve de nombreuses occasions. La femme, dans les
classes supérieures, quand elle est alliée à un homme, est obligée de
se contenter de lui seul, et, même dans les basses couches sociales, la
polyandrie se heurte encore à des obstacles considérables.
Voilà pourquoi, pour la femme, l'homme qu'elle possède signifie le sexe
tout entier. Son importance pour elle devient par ce fait immense. De
plus, les rapports normaux, tels que la loi et les moeurs les ont
établis entre l'homme et la femme, sont loin d'être établis d'après les
règles de la parité et destinent déjà la femme à une grande dépendance.
Sa servitude deviendra encore plus grande par les concessions qu'elle
fait à l'amant pour obtenir de lui cet amour qui pour elle ne peut se
remplacer; dans la même mesure s'augmenteront les prétentions des
hommes qui sont décidés à mettre à profit leurs avantages et à faire
métier d'exploiter l'abnégation illimitée de la femme.
Tels sont: le coureur de dot qui se fait payer des sommes énormes pour
détruire les illusions qu'une vierge s'était faite de lui; le séducteur
réfléchi et calculateur qui compromet une femme et spécule en même
temps sur la rançon et le chantage; le soldat aux galons d'or,
l'artiste musicien à la crinière de lion qui savent provoquer chez la
femme un brusque: «Toi ou la mort!» un bon moyen pour payer les dettes
ou pour s'assurer une vie facile; le simple troupier qui, dans la
cuisine, fait payer son amour par la cuisinière en bons repas;
l'ouvrier-compagnon qui mange les économies de la patronne qu'il a
épousée; et enfin le souteneur qui force par des coups la prostituée,
dont il vit, à lui gagner chaque jour une certaine somme. Ce ne sont là
que quelques-unes des diverses formes de la servitude dans laquelle la
femme tombe forcément par suite de son grand besoin d'amour et des
difficultés de sa position.
Il était nécessaire de donner une courte description de la servitude
sexuelle, car il faut évidemment voir en elle le terrain propice d'où
la principale racine du masochisme est sortie. La servitude ainsi que
le masochisme consistent essentiellement en ce que l'individu atteint
de cette anomalie se soumet absolument à la volonté d'une personne d'un
autre sexe et subit sa domination[65].
[Note 65: Il peut se produire des cas où la servitude sexuelle se
traduise par les mêmes actes que ceux qui sont particuliers au
masochisme. Quand des hommes brutaux battent leurs femmes et que
celles-ci le tolèrent par amour, sans cependant avoir la nostalgie des
coups, il y a dans cette servitude un trompe-oeil qui peut nous faire
croire à l'existence du masochisme.]
On peut cependant faire une démarcation nette entre les deux
phénomènes, car ils diffèrent non pas par leur gradation, mais par leur
nature. La servitude sexuelle n'est pas une perversion; elle n'a rien
de morbide. Les éléments auxquels elle doit son origine, l'amour et la
faiblesse de la volonté, ne sont pas pervers; seule la disproportion de
leurs forces mutuelles donne un résultat anormal qui souvent est opposé
aux intérêts personnels, aux moeurs et aux lois. Le mobile auquel la
partie subjuguée obéit en subissant la domination, c'est le penchant
normal vers la femme (ou réciproquement vers l'homme), penchant dont la
satisfaction est le prix et la compensation de la servitude subie. Les
actes de la partie subjuguée, actes qui sont l'expression de la
servitude sexuelle, sont accomplis sur l'ordre de la partie dominante
pour servir à la cupidité de cette dernière. Ils n'ont pour la partie
assujettie aucun but indépendant, ils ne sont pour elle que des moyens
d'obtenir ou de conserver la possession de la partie dominatrice, ce
qui est le vrai but final. Enfin, la servitude est une conséquence de
l'amour pour une personne déterminée; elle n'a lieu que lorsque cet
amour s'est déclaré.
Les choses sont tout autres dans le masochisme qui est nettement
morbide, et qui, en un mot, est une perversion. Là, le mobile des actes
et des souffrances de la partie assujettie se trouve dans le charme que
la tyrannie exerce sur elle. Elle peut, en même temps, désirer aussi le
coït avec la partie dominante; dans tous les cas, son penchant vise
aussi les actes servant d'expression à la tyrannie comme objets directs
de sa satisfaction. Ces actes dans lesquels le masochisme trouve son
expression, ne sont pas pour le subjugué un moyen d'arriver au but
comme c'est le cas dans la servitude, car ils sont eux-mêmes le but
final. Enfin, dans le masochisme, la nostalgie de la soumission se
manifeste a priori, avant qu'il y ait une affection pour un objet
d'amour concret.
La connexité qu'on peut admettre entre la servitude et le masochisme
vient du trait commun des phénomènes externes de la dépendance, malgré
la différence des mobiles; la transition de l'anomalie à la perversion
se produit probablement de la façon suivante.
Celui qui reste pendant longtemps en état de servitude sexuelle sera
plus enclin à contracter de légères tendances masochistes. L'amour, qui
supporte volontiers la tyrannie pour l'amour de la personne aimée,
devient alors directement un amour de la tyrannie. Quand l'idée d'être
tyrannisé s'est longtemps associée à une représentation de l'objet
aimé, accompagnée d'un sentiment de plaisir, cette manifestation de la
sensation de plaisir finit par se reporter sur la tyrannie même et il
se produit de la perversion. Voilà comment le masochisme peut être
acquis[66].
[Note 66: C'est un fait bien intéressant et qui repose sur l'analogie
qui existe entre la sujétion et le masochisme, relativement à leur
manifestation extérieure, que pour décrire la servitude sexuelle on
emploie généralement, soit par plaisanterie, soit au figuré, des
expressions comme celles-ci: «esclavage, être enchaîné, porter des
fers, agiter le fouet sur quelqu'un, atteler quelqu'un à son char de
triomphe, être aux pieds de quelqu'un, sous le règne de la culotte,
etc.», toutes choses qui, prises au pied de la lettre, sont pour le
masochiste, l'objet de ses désirs pervers.
Ces locutions imagées sont d'un fréquent usage dans la vie ordinaire et
sont presque devenues triviales. Elles ont pris leur origine dans la
langue poétique. De tout temps la poésie a vu dans l'image d'ensemble
d'une violente passion amoureuse, l'état de dépendance de l'objet qui
peut ou qui doit se refuser, et les phénomènes de la servitude se sont
toujours présentés à l'observation des poètes. Le poète, en choisissant
des termes comme ceux que nous venons de citer, pour représenter avec
des images frappantes la dépendance de l'amoureux, suit absolument le
même chemin que le masochiste qui, pour se représenter d'une manière
frappante sa dépendance (qui est pour lui le but), cherche à réaliser
des situations correspondant à son désir.
Déjà la poésie antique désigne l'amante par le mot domina et emploie de
préférence l'image de la captivité chargée de fers (Horace, Od., IV,
11). Dès cette époque et jusqu'aux temps modernes, (comparez
Grillparzer, Ottokar, IVe acte: «Régner est si doux, presque aussi doux
qu'obéir») la poésie galante de tous les siècles est remplie de phrases
et de métaphores semblables. Sous ce rapport, l'histoire de l'origine
du mot «maîtresse» est aussi très intéressante.
Mais la poésie réagit sur la vie. C'est de cette façon qu'a pu prendre
naissance le service des dames chez les courtisanes du moyen âge. Ce
service avec adoration des femmes comme «maîtresses» dans la société
aussi bien que dans les liaisons d'amour isolées, en assimilant les
rapports entre féaux et serfs avec les rapports entre le chevalier et
sa dame, avec la soumission à tous les caprices féminins, aux épreuves
d'amour et aux voeux, à l'engagement d'obéissance à tous les ordres des
dames, apparaît comme un développement et un perfectionnement
systématique de la servitude amoureuse. Certains phénomènes extrêmes,
commue, par exemple, les souffrances d'Ulric de Lichtenstein ou de
Pierre Vidal au service de leurs dames, ou les menées de la confrérie
des «Galois» en France qui cherchaient le martyre par amour et se
soumettaient à toutes sortes de tortures, portent déjà une empreinte
bien visible du caractère masochiste, et montrent la transition
naturelle d'un état vers l'autre.]
Un faible degré de masochisme peut bien être engendré par la servitude
et peut, par conséquent, être acquis. Mais le vrai masochisme complet
et profondément enraciné, avec sa nostalgie brûlante de soumission dès
la première enfance, tel que le dépeignent les personnes mêmes qui en
sont atteintes, est toujours congénital.
La meilleure explication de l'origine du masochisme complet, perversion
toutefois assez rare, serait dans l'hypothèse que cette perversion est
née de la servitude sexuelle, anomalie de plus en plus fréquente, qui
parfois se transmet par hérédité à un individu psychopathe de façon à
dégénérer en perversion. On a démontré plus haut qu'un léger
déplacement des éléments psychiques qui jouent ici un rôle, peut amener
cette transition. Ce que peut faire, pour les cas possibles de
masochisme acquis, l'habitude associative, l'hérédité peut le faire
pour les cas bien établis de masochisme congénital. Aucun élément
nouveau ne s'ajoute alors à la servitude; au contraire, un élément
disparaît, le raisonnement qui rattache l'amour à la dépendance, et qui
constitue la différence entre l'anomalie et la perversion, entre la
servitude et le masochisme. Il est tout naturel que ce soit la partie
d'instinct seule qui se transmette par hérédité.
Cette transition de l'anomalie à la perversion par transmission
héréditaire s'effectuera facilement, surtout dans le cas où la
disposition psychopathique du descendant fournit un autre facteur pour
le masochisme, c'est-à-dire l'élément que nous avons appelé la première
cause du masochisme: la tendance des natures sexuellement
hyperesthésiées à assimiler aux impressions sexuelles toute impression
qui part de l'objet aimé.
C'est de ces deux éléments, la servitude sexuelle d'une part, et
d'autre part la prédisposition à l'extase sexuelle qui accepte avec
plaisir les mauvais traitements, c'est de ces deux éléments,
disons-nous, dont les causes peuvent être ramenées jusqu'au domaine des
faits physiologiques, que le masochisme tire son origine, quand il
trouve un terrain psychopathique propice et que l'hyperesthésie
sexuelle amène jusqu'au degré morbide de la perversion les
circonstances physiologiques et anormales de la vita sexualis[67].
[Note 67: Quand on voit, ainsi que cela a été démontré plus haut, que
la «servitude sexuelle» est un phénomène qui a été constaté bien plus
fréquemment et avec une intensité plus grande dans le sexe féminin que
dans le sexe masculin, la conclusion s'impose: que le masochisme (sinon
toujours, du moins habituellement) est un legs de la «servitude» des
ascendants féminins. De cette façon, il entre en rapport, bien
qu'éloigné, avec l'inversion sexuelle, en raison de ce fait qu'une
perversion qui devrait être particulière à la femme, se transmet à
l'homme. Cette manière d'envisager le masochisme comme une inversion
sexuelle rudimentaire, comme une effeminatio partielle qui, dans ce
cas, n'atteint que les traits secondaires du caractère de la vita
sexualis (manière de voir que j'ai déjà, dans la 6e édition de cet
ouvrage, exprimée d'une façon très nette), est encore corroborée par
les dépositions des malades des observations 44 et 49, citées plus
haut, et dont les sujets sont aussi marqués d'autres traits
d'effémination, tous les deux désignant comme leur idéal une femme
relativement plus âgée qui les aurait recherchés et conquis.
Il faut cependant noter le fait que la sujétion joue aussi un rôle
considérable dans la vita sexualis masculine, et que, par conséquent,
le masochisme peut s'expliquer sans l'hypothèse de la transmission des
éléments féminins à l'homme. Il ne faut pas oublier non plus, à ce
propos, que le masochisme et son opposé le sadisme se rencontrent
quelquefois en combinaisons irrégulières avec l'inversion sexuelle.]
En tout cas, le masochisme, en tant que perversion sexuelle
congénitale, représente aussi dans le tableau de l'hérédité un signe de
dégénérescence fonctionnelle, et cette constatation clinique a été en
particulier confirmée par mes propres observations de masochisme et de
sadisme.
Il est facile de prouver que cette tendance psychiquement anormale et
particulière par laquelle le masochisme se manifeste, représente une
anomalie congénitale; elle ne se greffe pas sur l'individu porté à la
flagellation, par suite d'une association d'idées, comme le supposent
Rousseau et Binet.
Cela ressort de ces cas nombreux, même de la majorité de ces cas, où la
flagellation n'est jamais venue à l'idée du masochiste, mais où le
penchant pervers visait exclusivement des actes symboliques, qui
expriment la soumission sans causer de douleurs physiques.
Les détails de l'observation 52 nous renseignent à ce sujet.
Mais on arrive à la même conclusion, c'est-à-dire à la constatation que
la flagellation passive ne peut pas être le noyau qui réunit tous les
autres éléments autour de lui, même quand on examine de plus près les
cas dans lesquels la flagellation passive joue un rôle, comme dans les
observations 44 et 49.
Sous ce rapport, l'observation 50 est particulièrement instructive, car
il ne peut pas y être question d'une stimulation sexuelle produite par
une punition reçue dans l'enfance. Dans ce cas, il est surtout
impossible de relier le phénomène à un fait ancien, car l'objet du
principal intérêt sexuel n'est pas réalisable, même avec un enfant.
Enfin l'origine purement psychique du masochisme est prouvée par la
comparaison du masochisme avec le sadisme. (Voir plus loin.)
Si la flagellation passive se rencontre si fréquemment dans le
masochisme, cela s'explique simplement par le fait que la flagellation
est le moyen le plus efficace d'exprimer l'état de soumission.
Je ne puis que répéter que ce qui différencie absolument la simple
flagellation passive de la flagellation basée sur un désir masochiste,
c'est que, dans le premier cas, l'acte est un moyen pour rendre
possible le coït ou l'éjaculation, tandis que, dans le dernier cas,
c'est un moyen pour obtenir une satisfaction de l'âme dans le sens des
désirs masochistes.
Ainsi que nous l'avons vu plus haut, les masochistes se soumettent
aussi à d'autres mauvais traitements et à des souffrances pour
lesquelles il ne peut être question d'une excitation voluptueuse
réflexe. Comme ces faits sont très nombreux, il faut examiner dans
quelle proportion existent la douleur et le plaisir dans de pareils
actes, et aussi dans la flagellation des masochistes.
De la déposition d'un masochiste, il résulte le fait suivant.
La proportion n'est pas telle que l'individu éprouve simplement comme
plaisir physique ce qui ordinairement cause de la douleur; mais
l'individu se trouvant en extase masochiste, ne sent pas la douleur,
soit que, grâce à son état passionnel, (comme chez le soldat au milieu
de la mêlée et de la bataille), il n'ait pas la perception de
l'impression physique produite sur les nerfs de son épiderme, soit que,
grâce à la trop grande abondance de sensations voluptueuses (comme chez
les martyrs ou dans l'extase religieuse), l'idée des mauvais
traitements n'entre dans son esprit que comme un symbole et sans les
attributs de la douleur.
Dans la deuxième alternative, il y a pour ainsi dire une
surcompensation de la douleur physique par le plaisir psychique, et
c'est cet excédent qui reste seul comme plaisir psychique dans la
conscience. Cet excédent de plaisir est encore renforcé soit par
l'influence des réflexes spinaux, soit par une accentuation
particulière des impressions sensibles dans le sensorium; il se produit
une espèce d'hallucination de volupté physique, avec une localisation
vague de la sensation projetée au dehors.
Des phénomènes analogues paraissent se produire dans
l'auto-flagellation des extasiés religieux (fakirs, derviches hurlants,
flagellants), seulement les images qui provoquent la sensation de
plaisir ont une autre forme. Là aussi on perçoit l'idée de la torture
sans ses attributs de douleur, la conscience étant trop remplie par
l'idée accentuée du plaisir de servir Dieu en subissant des tortures,
de racheter ses péchés, de gagner le ciel, etc.
MASOCHISME ET SADISME
Le sadisme est l'opposé complet du masochisme. Tandis que celui-ci veut
supporter des douleurs et se sentir soumis, celui-là cherche à
provoquer la souffrance et à violenter.
Le parallélisme est complet. Tous les actes et toutes les scènes qui
sont exécutés par le sadiste d'une façon active, constituent l'objet
des désirs du masochiste dans son rôle passif. Dans les deux
perversions ces actes passent graduellement des procédés symboliques
aux tortures les plus graves. L'assassinat par volupté lui-même, comble
du sadisme, trouve sa contre-partie passive dans le masochisme, bien
entendu uniquement comme imagination, ainsi que cela résulte de
l'observation 53. Ces deux perversions peuvent, dans des circonstances
favorables, subsister à côté d'une vita sexualis normale; dans les deux
cas, les actes par lesquels elles se manifestent servent de préparatifs
au coït ou bien le remplacent[68].
[Note 68: Naturellement toutes deux ont à combattre des contre-motifs
esthétiques et éthiques dans le for intérieur. Mais, lorsqu'il les a
vaincus, le sadisme, en se manifestant dans le monde extérieur, entre
en conflit avec le Code pénal. Tel n'est pas le cas du masochisme, ce
qui explique la plus grande fréquence des actes masochistes. Par
contre, à la réalisation de ces derniers s'opposent l'instinct de la
conservation et la crainte de la douleur physique. La signification
pratique du masochisme n'existe que dans ses rapports avec
l'impuissance psychique, tandis que celle du sadisme a surtout une
portée médico-légale.]
L'analogie ne concerne pas seulement les symptômes extérieurs; elle
s'étend aussi à l'essence intime des deux perversions.
On doit les considérer toutes les deux comme des psychopathies
congénitales chez des individus dont l'état psychique est anormal et
qui sont atteints surtout d'hyperæsthesia sexualis psychique, et
habituellement d'autres anomalies accessoires; dans chacune de ces deux
perversions on peut établir l'existence de deux éléments constitutifs
qui tirent leur origine de faits psychiques intervenant dans la zone
physiologique.
Ainsi que je l'ai indiqué plus haut, pour le masochisme, ces éléments
consistent dans les faits suivants: 1º Dans la passion sexuelle, chaque
action partant du consors provoque par elle-même et indépendamment de
la nature de cette action une sensation de plaisir qui, dans le cas
d'hyperæsthesia sexualis, peut aller jusqu'à compenser et au delà toute
sensation de douleur; 2º La «servitude sexuelle» produisant dans la vie
psychique des phénomènes qui en eux-mêmes ne sont pas de nature
perverse, peut, dans des conditions pathologiques, devenir un besoin de
soumission morbide s'accompagnant de sensations de plaisir, ce
qui--quand même l'hypothèse d'une hérédité maternelle serait laissée de
côté--indique une dégénérescence pathologique de l'instinct
physiologique de soumission qui caractérise la femme.
De même, pour expliquer le sadisme, on trouve deux éléments
constitutifs dont l'origine peut être ramenée jusque dans le domaine
physiologique: 1º Dans la passion sexuelle, il peut se produire une
sorte d'émotion psychique, un penchant à agir sur l'objet aimé de la
façon la plus forte possible ce qui, chez des individus sexuellement
hyperesthésiés, peut devenir une envie de causer de la douleur; 2º Le
rôle actif de l'homme, la nécessité de conquérir la femme, peuvent,
dans des circonstances pathologiques données, se transformer en désir
d'obtenir d'elle une soumission illimitée.
Ainsi le masochisme et le sadisme se présentent comme la contre-partie
complète l'un de l'autre. Ce qui corrobore ce fait, c'est que, pour les
individus atteints de l'une ou de l'autre de ces deux perversions,
l'idéal est toujours une perversion opposée à la leur et qui se
manifesterait chez une personne de l'autre sexe. Comme exemples à
l'appui, il suffit de citer les observations 44 et 49 ainsi que les
Confessions de Rousseau.
La comparaison du masochisme et du sadisme peut encore servir à écarter
complètement cette hypothèse que le masochisme tirerait son origine
primitive de l'effet réflexe de la flagellation passive, et que tout le
reste ne serait que le produit d'associations d'idées se rattachant au
souvenir de la flagellation, ainsi que l'a soutenu Binet dans son
explication du cas de Jean-Jacques Rousseau et ainsi que Rousseau
lui-même l'a cru. De même la torture active qui, pour le sadiste, est
le but du désir sexuel, ne produit aucune excitation des nerfs
sensitifs; par conséquent l'origine psychique de cette perversion ne
saurait être mise en doute. Mais le sadisme et le masochisme sont
tellement similaires, ils se ressemblent tellement en tous points, que
la conclusion par analogie de l'un à l'autre est permise, et qu'elle
suffirait à elle seule à établir le caractère psychique du masochisme.
La comparaison de tous les éléments et phénomènes du masochisme et du
sadisme étant faite, si nous résumons le résultat de tous les cas
observés plus haut, nous pouvons établir que: le plaisir à causer de la
douleur et le plaisir à la subir ne sont que deux faces différentes
d'un même processus psychique dont l'origine essentielle est l'idée de
la soumission active ou passive, tandis que la réunion de la cruauté et
de la volupté n'a qu'une importance psychologique d'ordre secondaire.
Les actes cruels servent à exprimer cette soumission, tout d'abord
parce qu'ils constituent le moyen le plus fort de traduire cet état, et
puis, parce qu'ils représentent la plus forte impression que, sauf le
coït et en dehors du coït, un individu peut produire sur un autre.
Le sadisme et le masochisme sont le résultat d'associations d'idées
dans le même sens que tous les phénomènes compliqués de la vie
psychique. La vie psychique consiste, à part la production des éléments
primitifs de la conscience, uniquement en associations et disjonctions
de ces éléments.
Le résultat principal des analyses que nous venons de faire, c'est que
le masochisme et le sadisme, ne sont point le produit d'une association
de hasard due à un incident occasionnel, à une coïncidence de temps,
mais qu'ils sont bien nés d'associations dont la préformation, même
dans les circonstances normales, est très rapprochée, ou qui, dans
certaines conditions (hyperesthésie sexuelle), se nouent très
facilement. Un instinct sexuel accru d'une façon anormale se développe
non seulement en hauteur mais aussi en largeur. En débordant sur les
sphères voisines, il se confond avec elles et accomplit ainsi
l'association pathologique qui est l'essence de ces deux
perversions[69].
[Note 69: V. Schrenk-Notzing qui, dans l'explication de toutes les
perversions, met au premier rang l'occasion et qui préfère l'hypothèse
d'une perversion acquise grâce aux circonstances extérieures à
l'hypothèse de la prédisposition congénitale, donne aux phénomènes du
masochisme et du sadisme (qu'il appelle «algolagnie active et passive»)
une place intermédiaire entre la perversion acquise et congénitale. Ces
phénomènes, il est vrai, ne peuvent, dans certains cas, s'expliquer que
par une prédisposition congénitale; mais, ajoute-t-il, dans une partie
des autres cas, l'acquisition par une coïncidence de hasard doit
évidemment jouer le rôle principal (op. cit., p. 179).
La démonstration de cette dernière assertion est faite avec
casuistique. L'auteur reproduit deux observations de la Psychopathia
sexualis de l'édition actuelle, et il montre comment, dans ces cas, une
coïncidence occasionnelle, l'aspect d'une fille saignante ou d'un
enfant fouetté, d'une part, une excitation sexuelle du spectateur,
d'autre part, peut fournir la raison suffisante d'une association
pathologique.
En présence de cette hypothèse, il faut cependant considérer comme
concluant le fait, que chez tout individu hyperesthésique, les
excitations et les mouvements précoces de la vie sexuelle ont coïncidé
au point de vue du temps, avec bien des éléments hétérogènes, tandis
que les associations pathologiques, ne se relient qu'à certains faits
peu nombreux et bien déterminés (faits sadistes et masochistes). Nombre
d'élèves se sont livrés aux excitations et aux satisfactions sexuelles
pendant les leçons de grammaire, de mathématiques, dans la salle de
classe et dans des lieux secrets, sans que des associations perverses
en soient résultées.
Il en ressort jusqu'à l'évidence que l'aspect des scènes de
flagellation et d'actes semblables peut bien faire sortir de son état
latent une association pathologique, déjà existante, mais qu'il ne peut
pas en créer une, sans compter que, parmi les faits nombreux qui se
présentent, ce sont précisément avec ceux qui normalement provoquent le
déplaisir que l'instinct sexuel éveillé se met en rapport.
Ce que nous venons de dire servira également de réponse à l'opinion de
Binet qui, lui aussi, veut expliquer par des associations de hasard
tous les phénomènes dont il est ici question.]
Bien entendu, les choses ne se passent pas toujours de cette manière,
et il y a des cas d'hyperesthésie sans perversion. Les cas de pure
hyperæsthesia sexualis, du moins ceux qui sont d'une intensité
frappante, sont plus rares que les cas de perversion. Ce qui est
intéressant, mais ce qui est bien difficile à expliquer, ce sont les
cas où le masochisme et le sadisme se manifestent simultanément chez le
même individu. Telles sont les observations 49 et 57, mais surtout
l'observation 30, qui montre que c'est précisément l'idée de la
soumission soit active, soit passive, qui forme la base du désir
pervers. On peut, dans bien d'autres cas, reconnaître aussi les traces
plus ou moins nettes d'un état de choses analogue. Évidemment c'est
toujours l'une des deux perversions qui l'emporte et de beaucoup.
Étant donnée cette prédominance décisive de l'une des deux perversions
et leur manifestation tardive dans ce cas, on peut supposer que seule
l'une des deux, la perversion prédominante, est congénitale, tandis que
l'autre a été acquise. Les idées de soumission et de mauvais
traitements actifs ou passifs, accompagnées de sensations de plaisir,
se sont profondément enracinées chez l'individu. À l'occasion,
l'imagination essaie de se placer dans la même sphère de
représentation, mais avec un rôle inverse. Elle peut même arriver à une
réalisation de cette inversion. Ces essais, soit en imagination, soit
en réalité, sont, dans la plupart des cas, bientôt abandonnés comme
n'étant pas adéquats à la tendance primitive.
Le masochisme et le sadisme se trouvent aussi combinés avec l'inversion
sexuelle en des formes et des degrés très variés. L'individu atteint
d'inversion sexuelle peut être sadiste aussi bien que masochiste.
Comparez à ce sujet l'observation 48 de ce livre, l'observation 49 de
la 7e édition et les nombreux cas d'inversion sexuelle qui seront
traités plus loin.
Toutes les fois que sur la base d'une individualité névropathique s'est
développée une perversion sexuelle, l'hyperesthésie sexuelle, qu'il
faut supposer dans ce cas, peut aussi produire les symptômes du
masochisme et du sadisme; tantôt une de ces deux perversions, tantôt
toutes les deux ensemble, de sorte que l'une est engendrée par l'autre.
Le masochisme et le sadisme se présentent donc comme les formes
fondamentales des perversions sexuelles qui peuvent se montrer sur tout
le terrain des aberrations de l'instinct génital.
3.--ASSOCIATION DE L'IMAGE DE CERTAINES PARTIES DU CORPS OU DU VÊTEMENT
FÉMININ AVEC LA VOLUPTÉ.--FÉTICHISME
Dans nos considérations sur la psychologie de la vie sexuelle normale,
qui ont servi d'entrée en matière à ce livre, nous avons montré que,
même dans les limites de l'état physiologique, l'attention
particulièrement concentrée sur certaines parties du corps de personnes
de l'autre sexe et surtout sur certaines formes de ces parties du
corps, peut devenir d'une grande importance psycho-sexuelle. Qui plus
est, cette force d'attraction particulière pour certaines formes et
certaines qualités agit sur beaucoup d'hommes et même sur la plupart;
elle peut être considérée comme le vrai principe de l'individualisation
en amour.
Cette prédilection pour certains traits distincts du caractère physique
de personnes de l'autre sexe, prédilection à côté de laquelle il y a
aussi quelquefois une préférence manifeste pour certains caractères
psychiques, je l'ai désignée par le mot «fétichisme», en m'appuyant sur
Binet (Du fétichisme en amour, Revue Philosophique, 1887) et sur
Lombroso (préface de l'édition allemande de son ouvrage). En effet,
l'enthousiasme et l'adoration de certaines parties du corps ou d'une
partie de la toilette, à la suite des ardeurs sexuelles, rappelle à
beaucoup de points de vue l'adoration des reliques, des objets sacrés,
etc., dans les cultes religieux. Ce fétichisme physiologique a été déjà
traité à fond plus haut.
Cependant, sur le terrain psycho-sexuel, il y a, a côté du fétichisme
physiologique, un fétichisme incontestablement pathologique et
érotique, sur lequel nous possédons déjà de nombreux documents humains
et dont les phénomènes présentent un grand intérêt en clinique
psychiatrique et même dans certaines circonstances médico-légales. Ce
fétichisme pathologique ne se rapporte pas uniquement à certaines
parties du corps vivant, mais même à des objets inanimés qui cependant
sont toujours des parties de la toilette de la femme et par là se
trouvent en connexité étroite avec son corps.
Ce fétichisme pathologique se rattache par des liens intermédiaires et
graduels avec le fétichisme physiologique, de sorte que--du moins pour
le fétichisme du corps--il est presque impossible d'indiquer par une
ligne de démarcation nette où la perversion commence. En outre, la
sphère totale du fétichisme corporel ne se trouve pas en dehors de la
sphère des choses qui, dans les conditions normales, agissent comme
stimulants de l'instinct génital; au contraire, il y trouve sa place.
L'anomalie consiste seulement, en ce qu'une impression d'une partie de
l'image de la personne de l'autre sexe, absorbe par elle-même tout
l'intérêt sexuel, de sorte qu'à côté de cette impression partielle,
toutes les autres impressions s'effacent ou laissent plus ou moins
indifférent.
Voilà pourquoi il ne faut pas considérer le fétichiste d'une partie du
corps comme un monstrum per excessum, tel que le sadiste ou le
masochiste, mais plutôt comme un monstrum per defectum. Ce n'est pas la
chose qui agit sur lui comme charme qui est anormale, c'est plutôt le
fait que les autres parties n'ont plus de charme pour lui; c'est, en un
mot, la restriction du domaine de son intérêt sexuel, qui constitue ici
l'anomalie. Il est vrai que cet intérêt sexuel resserré dans des
limites plus étroites, éclate avec d'autant plus d'intensité, et avec
une intensité poussée jusqu'à l'anomalie. On pourrait bien indiquer
comme un moyen pour déterminer la ligne de démarcation du fétichisme
pathologique, d'examiner tout d'abord si l'existence du fétiche est une
conditio sine qua non pour pouvoir accomplir le coït. Mais, en
examinant les faits de plus près, nous verrons que la délimitation
basée sur ce principe n'est exacte qu'en apparence. Il y a des cas
nombreux où, malgré l'absence du fétiche, le coït est encore possible,
bien qu'incomplet, forcé (souvent avec le secours de l'imagination qui
représente des objets en rapport avec le fétiche); mais c'est surtout
un coït qui ne satisfait pas et même fatigue. Ainsi, en examinant de
plus près les phénomènes psychiques et subjectifs, on ne trouve que des
cas intermédiaires dont une partie n'est caractérisée que par une
préférence purement physiologique, tandis que pour les autres il y a
impuissance psychique en l'absence du fétiche.
Il vaudrait peut-être mieux chercher le critérium de l'élément
pathologique du fétichisme corporel sur le terrain de la subjectivité
psychique.
La concentration de l'intérêt sexuel sur une partie déterminée du
corps, sur une partie--ce sur quoi il faut insister--qui n'a aucun
rapport direct avec le sexus (comme les mamelles ou les parties
génitales externes), amène souvent les fétichistes corporels à ne plus
considérer le coït comme le vrai but de leur satisfaction sexuelle,
mais à le remplacer par une manipulation quelconque faite sur la partie
du corps qu'ils considèrent comme fétiche. Ce penchant dévoyé peut être
considéré, chez le fétichiste corporel, comme le critérium de l'état
morbide, que l'individu atteint soit capable ou non de faire le coït.
Mais le fétichisme des choses ou des vêtements peut, dans tous les cas,
être considéré comme un phénomène pathologique, son objet se trouvant
en dehors de la sphère des charmes normaux de l'instinct génital.
Là aussi les symptômes présentent une analogie apparente avec les faits
de la vita sexualis physiquement normale; mais en réalité l'ensemble
intime du fétichisme pathologique est de nature tout à fait différente.
Dans l'amour exalté d'un homme physiquement normal, le mouchoir, le
soulier, le gant, la lettre, la fleur «qu'elle a donné», la mèche de
cheveux, etc., peuvent aussi être des objets d'idolâtrie, mais
uniquement parce qu'ils représentent une forme du souvenir de l'amante
absente ou décédée, et qu'ils servent à reconstituer la totalité de la
personnalité aimée. Le fétichiste pathologique ne saisit pas les
rapports de ce genre. Pour lui, le fétiche est la totalité de sa
représentation. Partout où il l'aperçoit il en ressent une excitation
sexuelle, et le fétiche produit sur lui son impression[70].
[Note 70: Dans Thérèse Raquin, de Zola, où l'homme embrasse plusieurs
fois les bottines de l'amante, il s'agit d'un fait tout différent de
celui des fétichistes du soulier ou des bottines qui, à l'aspect de
n'importe quelle bottine au pied d'une dame, ou même d'une bottine
seule, entrent en extase voluptueuse et arrivent même à l'éjaculation.]
D'après les faits observés jusqu'ici, le fétichisme pathologique paraît
ne se produire que sur le terrain d'une prédisposition psychopathique
et héréditaire ou sur celui d'une maladie psychique existante. De là
vient qu'il se montre combiné avec d'autres perversions primitives de
l'instinct génital et qui ont la même source. Chez les individus
atteints d'inversion sexuelle, chez les sadistes et les masochistes, le
fétichisme se rencontre souvent sous ses formes les plus variées.
Certaines formes du fétichisme corporel (le fétichisme de la main ou du
pied) ont même avec le masochisme et le sadisme des relations plus ou
moins obscures.
Bien que le fétichisme se base sur une disposition psychopathique
générale et congénitale, cette perversion en elle-même n'est pas
primitive de sa nature comme celles que nous avons traitées jusqu'ici;
elle n'est pas congénitale, comme nous l'avons dit du sadisme et du
masochisme. Tandis que, dans le domaine des perversions sexuelles qui
nous ont occupé jusqu'ici, l'observateur n'a rencontré que des cas
d'origine congénitale, il trouvera dans le domaine du fétichisme des
cas exclusifs de perversion acquise.
Tout d'abord, pour le fétichisme, on peut souvent établir qu'une cause
occasionnelle a fait naître cette perversion.
Ensuite, on ne trouve pas dans le fétichisme ces phénomènes
physiologiques qui, dans le domaine du sadisme et du masochisme, sont
poussés par une hyperesthésie sexuelle générale jusqu'à la perversion,
et qui justifient l'hypothèse de leur origine congénitale. Pour le
fétichisme, il faut chaque fois un incident qui fournisse matière à la
perversion. Ainsi que je l'ai dit plus haut, c'est un phénomène de la
vie sexuelle normale, de s'extasier devant telle ou telle partie de la
femme: mais c'est précisément la concentration de la totalité de
l'intérêt sexuel sur cette impression partielle, qui constitue le point
essentiel, et cette concentration doit s'expliquer par un motif spécial
pour chaque individu atteint de ce genre d'aberration.
On peut donc se rallier à l'opinion de Binet que, dans la vie de tout
fétichiste, il faut supposer un incident, qui a déterminé par des
sensations de volupté l'accentuation de cette impression isolée. Cet
incident doit être placé à l'époque de la plus tendre jeunesse, et
coïncide ordinairement avec le premier éveil de la vita sexualis. Ce
premier éveil a eu lieu simultanément avec une impression sexuelle
provoquée par une apparition partielle (car ce sont toujours des choses
qui ont quelque rapport avec la femme); il enregistre cette impression
partielle et la garde comme objet principal de l'intérêt sexuel pour
toute la durée de sa vie.
Ordinairement, l'individu atteint ne se rappelle pas l'occasion qui a
fait naître l'association d'idées. Il ne lui reste dans la conscience
que le résultat de cette association. Dans ce cas, c'est en général la
prédisposition aux psychopathies, l'hyperesthésie qui est
congénitale[71].
[Note 71: Quand Binet prétend, au contraire, que toute perversion
sexuelle, sans exception, repose sur un incident pareil agissant sur un
individu prédisposé--(il entend par prédisposition uniquement
l'hyperesthésie en général),--il faut remarquer que cette hypothèse
n'est ni nécessaire ni suffisante pour expliquer les autres perversions
sexuelles, excepté le fétichisme, ainsi que nous l'avons démontré
précédemment. On ne peut pas comprendre comment, la vue d'un individu
qu'on flagelle, aurait précisément pour effet d'exciter sexuellement un
autre individu, même très excitable, si l'alliance physiologique entre
la volupté et la cruauté, chez cet individu anormalement excitable
n'avait produit un sadisme primitif. Cependant, les associations
d'idées sur lesquelles repose le fétichisme érotique, ne sont pas tout
à fait dues au hasard. De même que les associations sadistes et
masochistes sont préformées par le voisinage d'éléments respectifs dans
l'âme du sujet, de même la possibilité des associations fétichistes est
préparée par les attributs de l'objet et s'explique aussi par cette
préparation. Ce sont toujours les impressions d'une partie de la femme
(y compris le vêtement) dont il s'agit dans ce cas. Les associations
fétichistes dues au pur hasard n'ont pu être constatées que dans très
peu des cas qui seront cités plus loin.]
Comme les perversions que nous avons étudiées jusqu'ici, le fétichisme
peut se manifester à l'extérieur par les actes les plus étranges, les
plus contraires à la nature et même par des actes criminels:
satisfaction sur le corps de la femme loco indebito, vol et rapt
d'objets agissant comme fétiches, souillure de ces objets, etc.
Là aussi tout dépend de l'intensité du penchant pervers et de la force
relative des contre-motifs éthiques.
Les actes pervers des fétichistes peuvent, comme ceux des individus
atteints d'autres perversions, remplir à eux seuls toute la vita
sexualis externe, mais ils peuvent aussi se manifester à côté de l'acte
sexuel normal, selon que la puissance physique et psychique,
l'excitabilité par les charmes normaux se sont plus ou moins
conservées. Dans le dernier cas, la vue ou l'attouchement du fétiche
sert souvent d'acte préparatoire nécessaire.
D'après ce que nous venons de dire, la grande importance pratique qui
se rattache aux faits de fétichisme pathologique se montre dans deux
circonstances.
Premièrement, le fétichisme pathologique est souvent une cause
d'impuissance psychique[72].
[Note 72: On peut considérer comme une sorte de fétichisme psychique,
le fait très fréquent, que de jeunes maris qui autrefois ont beaucoup
fréquenté les prostituées, se trouvent impuissants en présence de la
chasteté de leurs jeunes épouses. Un de mes clients n'a jamais été
puissant en présence de sa jeune femme, belle et chaste, parce qu'il
était habitué aux procédés lascifs des prostituées. S'il essayait de
temps en temps le coït avec les puellæ, il était parfaitement puissant.
Hammond rapporte un cas tout à fait analogue et très intéressant. Il
est vrai que dans de pareils cas le remords ainsi que la crainte d'être
impuissant jouent un certain rôle.]
Comme l'objet sur lequel se concentre l'intérêt sexuel du fétichiste,
n'a par lui-même aucun rapport immédiat avec l'acte sexuel normal, il
arrive souvent que le fétichiste cesse, par sa perversion, d'être
sensible aux charmes normaux, ou que, du moins, il ne peut faire le
coït qu'en concentrant son imagination sur le fétiche. Dans cette
perversion, de même que dans beaucoup d'autres, il y a tout d'abord,
par suite de la difficulté à obtenir une satisfaction adéquate, une
tendance continuelle à l'onanisme psychique et physique, surtout chez
les individus encore jeunes et chez d'autres encore que des
contre-motifs esthétiques font reculer devant la réalisation de leurs
désirs pervers. Inutile de dire que l'onanisme, soit psychique soit
physique, auquel ils ont été amenés, réagit d'une façon funeste sur
leur constitution physique et sur leur puissance.
Secondement, le fétichisme est d'une grande importance médico-légale.
De même que le sadisme peut dégénérer en assassinat, provoquer des
coups et des blessures, le fétichisme peut pousser au vol et même à des
actes de brigandage.
Le fétichisme érotique a pour objet, ou une certaine partie du corps du
sexe opposé, ou une certaine partie de la toilette de la femme, ou même
une étoffe qui sert à l'habillement. (Jusqu'ici on ne connaît des cas
de fétichisme pathologique que chez l'homme; voilà pourquoi nous ne
parlons que du corps et de la toilette de la femme.)
Les fétichistes se divisent donc en trois groupes.
A.--LE FÉTICHE EST UNE PARTIE DU CORPS DE LA FEMME
Dans le fétichisme physiologique, ce sont surtout l'oeil, la main, le
pied et les cheveux de la femme qui deviennent souvent fétiches; de
même dans le fétichisme pathologique, ce sont la plupart du temps ces
mêmes parties du corps qui deviennent l'objet unique de l'intérêt
sexuel. La concentration exclusive de l'intérêt sur ces parties pendant
que toutes les autres parties de la femme s'effacent, peut amener la
valeur sexuelle de la femme à tomber jusqu'à zéro, de sorte qu'au lieu
du coït, ce sont des manipulations étranges avec l'objet fétiche qui
deviennent le but du désir. Voilà ce qui donne à ces cas un caractère
pathologique.
OBSERVATION 73 (Binet, op. cit.).--X..., trente-sept ans, professeur de
lycée; dans son enfance a souffert de convulsions. À l'âge de dix ans
il commença à se masturber, avec des sensations voluptueuses se
rattachant à des idées bien étranges. Il était enthousiasmé pour les
yeux de la femme; mais comme il voulait à tout prix se faire une idée
quelconque du coït et qu'il était tout à fait ignorant in sexualibus,
il en arriva à placer le siège des parties génitales de la femme dans
les narines, endroit qui est le plus proche des yeux. Ses désirs
sexuels très vifs tournent, à partir de ce moment, autour de cette
idée. Il fait des dessins qui représentent des profils grecs très
corrects, des têtes de femmes, mais avec des narines si larges que
l'immissio penis devient possible.
Un jour, il voit dans un omnibus une fille chez laquelle il croit
reconnaître son idéal. Il la poursuit jusque dans son logement, demande
sa main, mais on le met à la porte; il revient toujours jusqu'à ce
qu'on le fasse arrêter. X... n'a jamais eu de rapports sexuels avec des
femmes.
Les fétichistes de la main sont très nombreux. Le cas suivant que nous
allons citer n'est pas encore tout à fait pathologique. Nous le citons
comme cas intermédiaire.
OBSERVATION 74.--B..., de famille névropathique, très sensuel, sain
d'esprit, tombe en extase à la vue d'une belle main de femme jeune, et
sent alors de l'excitation sexuelle allant jusqu'à l'érection. Baiser
et presser la main, c'est pour lui le suprême bonheur.
Il se sent malheureux tant qu'il voit cette main recouverte d'un gant.
Sous prétexte de dire la bonne aventure, il cherche à s'emparer des
mains. Le pied lui est indifférent. Si les belles mains sont ornées de
bagues, cela augmente son plaisir. Seule la main vivante, et non
l'image d'une main, lui produit cet effet voluptueux. Mais, quand il
s'est épuisé à la suite de coïts réitérés, la main perd alors pour lui
son charme sexuel. Au début, le souvenir des mains féminines le
troublait même dans ses travaux. (Binet, op. cit.)
Binet rapporte que ces cas d'enthousiasme pour la main de la femme sont
très nombreux.
Rappelons à ce propos qu'il y a enthousiasme pour la main de la femme
dans l'observation 24 pour des motifs sadistes et dans l'observation 46
pour des raisons masochistes. Ces cas admettent donc des
interprétations multiples.
Mais cela ne veut pas dire que tous les cas de fétichisme de la main ou
même la plupart de ces cas demandent ou nécessitent une interprétation
sadiste ou masochiste.
Le cas suivant, très intéressant et observé minutieusement, nous
apprend que, bien qu'au début un élément sadiste ou masochiste ait été
en jeu, cet élément semble avoir disparu à l'époque de la maturité de
l'individu et après que la perversion fétichiste se fut complètement
développée. On peut supposer que, dans ce cas, le fétichisme a pris
naissance par une association accidentelle; c'est une explication très
suffisante.
OBSERVATION 75.--Cas de fétichisme de la main communiqué par le docteur
Albert Moll.--P. L..., vingt-huit ans, négociant en Westphalie. À part
le fait que le père du malade était un homme d'une mauvaise humeur
excessive et d'un caractère un peu violent, aucune tare héréditaire ne
peut être notée dans sa famille.
À l'école, le malade n'était pas très appliqué; il n'a jamais pu
concentrer pendant longtemps son attention sur un sujet; en revanche,
dès son enfance, il avait beaucoup d'amour pour la musique. Son
tempérament fut toujours un peu nerveux.
En 1890 il est venu me voir, se plaignant de maux de tête et de ventre
qui m'ont fait l'effet de douleurs neurasthéniques. Le malade avoue en
outre qu'il manque d'énergie. Ce n'est qu'après des questions bien
déterminées et bien précises, que le malade m'a donné les
renseignements suivants sur sa vie sexuelle. Autant qu'il peut se
rappeler, c'est à l'âge de sept ans que se sont manifestés chez lui les
premiers symptômes d'émotion sexuelle. Si pueri ejusdem fere ætatis
mingentis membrum adspexit, valde libidinibus excitatus est. L...
assure que cette émotion était accompagnée d'érections manifestes.
Séduit par un autre garçon, L... a été amené à l'onanisme à l'âge de
sept ou huit ans. «D'une nature très facile à exciter, dit L..., je me
livrai très fréquemment à l'onanisme jusqu'à l'âge de dix-huit ans,
sans que j'aie eu une conception nette ni des conséquences fâcheuses ni
de la signification de ce