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Psychopathia Sexualis

Richard von Krafft-Ebing partie III


procédé.» Il aimait surtout cum nonnulis commilitonibus mutuam masturbationem tractare; mais il ne lui était pas du tout indifférent d'avoir tel ou tel garçon; au contraire, il n'y avait que peu de ses camarades qui auraient pu le satisfaire dans ce sens. Je lui demandai pour quelle raison il préférait un garçon à un autre; L... me répondit que ce qui le séduisait dans la masturbation mutuelle avec un camarade d'école, c'était quand un de ses camarades avait une belle main blanche. L... se rappelle aussi que souvent, au commencement de la leçon de gymnastique, il s'occupait à faire des exercices seul sur une barre qui se trouvait dans un coin éloigné; il le faisait dans l'intention ut quam maxime excitaretur idque tantopere assecutus est, ut membro manu non tacto, sine ejuculatione--puerili ætate erat--voluptatem clare senserit. Il est encore un incident fort intéressant de sa première jeunesse dont le malade se rappelle. Un de ses camarades favoris N..., avec lequel L... pratiquait la masturbation mutuelle, lui fit un jour la proposition suivante: ut L... embrum N...i apprehendere conaretur; N... se débattrait autant que possible et essayerait d'en empêcher L... L... accepta la proposition.

L'onanisme était donc directement associé à une lutte des deux garçons, lutte dans laquelle N... était toujours vaincu[73].

[Note 73: C'est ainsi une sorte de sadisme rudimentaire chez L... et de masochisme rudimentaire chez N...]

La lutte se terminait régulièrement ut tandem coactus sit membrum masturbari. L... m'affirme que ce genre de masturbation lui a procuré un plaisir tout à fait particulier de même qu'à N... Il se masturba fréquemment jusqu'à dix-huit ans. Instruit par un ami des conséquences de ses pratiques, L... fit tous les efforts possibles et usa de toute son énergie pour lutter contre sa mauvaise habitude. Cela lui réussit peu à peu, jusqu'à ce qu'il eut accompli son premier coït, ce qui lui arriva à vingt et un ans et demi; il abandonna alors complètement l'onanisme qui lui paraît maintenant incompréhensible, et il est pris de dégoût en songeant qu'il a pu trouver du plaisir à pratiquer l'onanisme avec des garçons. Aucune puissance humaine, dit-il, ne pourrait aujourd'hui le décider à toucher le membre d'un autre homme; la vue seule du pénis d'autrui lui est odieuse. Tout penchant pour l'homme a disparu chez lui et le malade ne se sent attiré que vers la femme.

Il faut cependant rappeler que malgré son penchant bien prononcé pour la femme, il subsiste toujours chez L... un phénomène anormal.

Ce qui l'excite surtout chez la femme, c'est la vue d'une belle main; L... est de beaucoup plus émotionné en touchant une belle main de femme, quam si eamdem feminam plane nudatam adspiceret.
Jusqu'à quel point va la prédilection de L... pour une belle main de femme? Nous allons le voir par le fait suivant.

L... connaissait une belle jeune femme, douée de tous les charmes; mais sa main était quelque peu trop grande et n'était peut-être pas toujours aussi propre que L... l'aurait désiré. Par suite de cette circonstance, il était non seulement impossible à L... de porter un intérêt sérieux à cette dame, mais il n'était même pas capable de la toucher. Il dit qu'il n'y a rien qui le dégoûte autant que des ongles mal soignés; seul l'aspect d'ongles malpropres le met dans l'impossibilité de tolérer le moindre contact avec une dame, fût-elle la plus belle. D'ailleurs, pendant les années précédentes, L... avait souvent remplacé le coït ut puellam usque ad ejaculationem effectam membrum suum manu tractare jusserit.

Je lui demande ce qui l'attire particulièrement dans la main de la femme, s'il voit surtout dans la main le symbole du pouvoir et s'il éprouve du plaisir à subir une humiliation directe de la femme. Le malade me répond que c'est uniquement la belle forme de la main qui l'excite, qu'être humilié par une femme ne lui procurerait aucune satisfaction et que, jusqu'ici, jamais l'idée ne lui est venue de voir dans la main le symbole ou l'instrument du pouvoir de la femme. Sa prédilection pour la main de la femme est encore aujourd'hui si forte chez lui, ut majore voluptate afficiatur si manus feminæ membrum tractat, quam coitu in vaginam. Pourtant, le malade préfère accomplir le coït, parce que celui-ci lui paraît naturel, tandis que l'autre procédé lui semble être un penchant morbide. Le contact d'une belle main féminine sur son corps cause au malade une érection immédiate; il dit que l'accolade et les autres genres de contact sont loin de lui faire une impression aussi puissante.

Ce n'est que dans les dernières années que le malade a fait plus souvent le coït, mais toujours il lui en coûtait de s'y décider.

De plus, il n'a pas trouvé dans le coït la satisfaction pleine et entière qu'il cherchait. Mais quand L... se trouve près d'une femme qu'il désire posséder, son émotion sexuelle augmente au seul aspect de cette femme, au point de provoquer l'éjaculation. L... affirme formellement que, dans une pareille occurrence, il s'abstient intentionnellement de toucher ou de presser son membre. L'écoulement du sperme qui a lieu dans ce cas procure à L... un plaisir de beaucoup plus grand que l'accomplissement du coït réel[74].

[Note 74: Donc hyperesthésie sexuelle à un très haut degré (comparez plus haut).]

Les rêves du malade, dont nous avons encore à nous occuper, ne concernent jamais le coït. Quand, au milieu de la nuit, il a des pollutions, celles-ci arrivent sous l'influence d'idées tout autres que celles qui hantent, dans des circonstances analogues, les hommes normaux. Ces rêves du malade sont des reconstitutions des scènes de son séjour à l'école. Pendant cette période, le malade avait, en dehors de la masturbation mutuelle dont il a été question plus haut, des éjaculations toutes les fois qu'il était saisi d'une grande anxiété.

Quand, par exemple, le professeur dictait un devoir et que L... ne pouvait pas suivre dans la traduction, il avait souvent une éjaculation[75]. Les pollutions nocturnes qui se produisent parfois maintenant, sont toujours accompagnées de rêves portant sur un sujet analogue ou identique aux incidents de l'école dont nous venons de parler.

[Note 75: Cela est aussi de l'hyperesthésie sexuelle. Toute émotion forte, de quelque nature qu'elle soit, met la sphère sexuelle en ébullition (Binet, Dynamogénie générale). Le docteur Moll me communique à ce sujet le cas suivant:

«Un fait analogue m'est rapporté par M. E..., âgé de vingt-huit ans. Celui-ci, un commerçant, avait souvent à l'école et aussi en dehors de l'école une éjaculation avec un sentiment de volupté, quand il était pris d'une forte angoisse. En outre, presque toute douleur morale ou physique lui produit un effet analogue. Le malade E... prétend avoir un instinct génital normal, mais il souffre d'impuissance nerveuse.»]

Le malade croit que, par suite de son penchant et de ses sensations contre nature, il est incapable d'aimer une femme longtemps.

Jusqu'ici, on n'a pu entreprendre un traitement médical de la perversion sexuelle du malade.

Ce cas de fétichisme de la main ne repose certainement ni sur le masochisme ni sur le sadisme; il s'explique simplement par l'onanisme mutuel que le malade a pratiqué de très bonne heure. Il n'y a pas là d'inversion sexuelle non plus. Avant que l'instinct génital ait pu se rendre nettement compte de son objet, la main d'un condisciple a été employée. Aussitôt que le penchant pour l'autre sexe se dessine, l'intérêt concentré sur la main en général est reporté sur la main de la femme.

Chez les fétichistes de la main, qui, selon Binet, sont très nombreux, il se peut que d'autres associations d'idées arrivent au même résultat.

À côté des fétichistes de la main je rangerai, comme suite naturelle, les fétichistes du pied. Mais tandis que le fétichisme de la main est rarement remplacé par le fétichisme du gant, qui appartient, à proprement parler, au groupe du fétichisme d'objets inanimés, nous trouvons l'enthousiasme pour le pied nu de la femme, qui présente bien rarement quelques signes pathologiques très peu accusés, mais qui est remplacé par les innombrables cas de fétichisme du soulier et de la bottine.

La raison en est bien facile à comprendre. Dans la plupart des cas le garçon voit la main de la femme dégantée, et le pied revêtu d'une chaussure. Ainsi les associations d'idées de la première heure qui déterminent chez les fétichistes la direction de la vita sexualis, se rattachent naturellement à la main nue; mais quand il s'agit du pied, elles se rattachent au pied couvert d'une chaussure.

Le fétichisme de la chaussure pourrait trouver sa place dans le groupe des fétichistes du vêtement qui sera étudié plus loin; mais à cause de son caractère masochiste qu'on a pu prouver dans la plupart des cas, il a été analysé en grande partie dans les pages précédentes.

En dehors de l'oeil, de la main et du pied, la bouche et l'oreille remplissent encore souvent le rôle de fétiches. A. Moll fait en particulier mention de pareils cas. (Comparez aussi le roman de Belot La bouche de Madame X... qui, d'après l'assertion de l'auteur, repose sur une observation prise dans la vie réelle.)

Dans ma pratique j'ai rencontré le cas suivant qui est assez curieux.

OBSERVATION 76.--Un homme très chargé m'a consulté pour son impuissance, qui le pousse au désespoir.

Tant qu'il fut célibataire, son fétiche était la femme aux formes plantureuses. Il épousa une femme de complexion correspondant à son goût; il était parfaitement puissant avec elle et très heureux. Quelques mois plus tard, sa femme tomba gravement malade et maigrit considérablement. Quand, un jour, il voulut de nouveau remplir ses devoirs conjugaux, il fut tout à fait impuissant et il l'est resté. Mais quand il essaye le coït avec des femmes fortes, il redevient tout de suite puissant.

Des défauts physiques même peuvent devenir des fétiches.

OBSERVATION 77.--X..., vingt-huit ans, issu d'une famille gravement chargée. Il est neurasthénique, se plaint de manquer de confiance en lui-même, il a de fréquents accès de mauvaise humeur, avec tendance au suicide, contre laquelle il a souvent une forte lutte à soutenir. À la moindre contrariété, il perd la tête et se désespère. Le malade est ingénieur dans une fabrique, dans la Pologne russe; il est de forte constitution physique, sans stigmates de dégénérescence. Il se plaint d'avoir une «manie» étrange, qui souvent, le fait douter qu'il soit un homme sain d'esprit. Depuis l'âge de dix-sept ans, il n'est sexuellement excité que par l'aspect des difformités féminines, particulièrement des femmes qui boitent et qui ont les jambes déformées. Le malade ne peut pas se rendre compte des premières associations qui ont attaché son libido à ces défauts de la beauté féminine.

Depuis la puberté, il est sous l'influence de ce fétichisme, qui lui est très pénible. La femme normale n'a pour lui aucun charme; seule l'intéresse la femme boiteuse, avec des pieds-bots ou des pieds défectueux. Quand une femme est atteinte d'une pareille défectuosité, elle exerce sur lui un puissant charme sensuel, qu'elle soit belle ou laide.

Dans ses rêves de pollutions, il ne voit que des femmes boiteuses. De temps à autre, il ne peut pas résister à l'impulsion d'imiter une femme qui boite. Dans cet état, il est pris d'un violent orgasme et il se produit chez lui une éjaculation, accompagnée de la plus vive sensation de volupté. Le malade affirme être très libidineux et souffrir beaucoup de la non-satisfaction de ses désirs. Toutefois, il n'a pratiqué son premier coït qu'à l'âge de vingt-deux ans, et, depuis, il n'a coïté qu'environ cinq fois en tout. Bien qu'il soit puissant, il n'y a pas éprouvé la moindre satisfaction. S'il avait la chance de coïter une fois avec une femme boiteuse, cela serait pour lui bien autre chose. Dans tous les cas, il ne pourrait se décider au mariage, à moins que sa future ne soit une boiteuse.

Depuis l'âge de vingt ans, le malade présente aussi des symptômes de fétichisme des vêtements. Il lui suffit souvent de mettre des bas de femme ou des souliers ou des pantalons de femme. De temps en temps, il s'achète ces objets de toilette féminine, s'en revêt en secret, en éprouve alors une excitation voluptueuse et arrive, par ce moyen, à l'éjaculation. Des vêtements qui ont déjà été portés par des femmes n'ont pour lui aucun charme. Ce qu'il aimerait le mieux, ce serait de s'habiller en femme aux moments de ses excitations sensuelles, mais il n'a pas encore osé le faire, de crainte d'être découvert.

Sa vita sexualis se borne aux pratiques sus-mentionnées. Le malade affirme avec certitude et d'une façon digne de foi qu'il ne s'est jamais adonné à la masturbation. Depuis ces temps derniers, il est très fatigué par des pollutions en même temps que ses malaises neurasthéniques augmentent.

Un autre exemple est Descartes, qui (Traité des Passions, CXXXVI) a fait lui-même des réflexions sur l'origine des penchants étranges à la suite de certaines associations d'idées. Il a toujours eu du goût pour les femmes qui louchent, parce que l'objet de son premier amour avait ce défaut (Binet, op. cit.).

Lydstone (A Lecture on sexual perversion, Chicago 1890), rapporte le cas d'un homme qui a entretenu une liaison amoureuse avec une femme à qui on avait amputé une cuisse. Quand il fut séparé de cette femme, il rechercha sans cesse et activement des femmes atteintes de la même défectuosité. Un fétiche négatif!

Quand la partie du corps féminin qui constitue le fétiche peut être détachée, les actes les plus extravagants peuvent se produire à la suite de cette circonstance.

Aussi les fétichistes des cheveux constituent-ils une catégorie très intéressante et en outre importante au point de vue médico-légal. Comme ces admirateurs des cheveux de la femme se rencontrent fréquemment aussi sur le terrain physiologique, et que probablement, les différents sens (l'oeil, l'odorat, l'ouïe par les froissements, et même le sens tactile chez les fétichistes du velours et de la soie), perçoivent aussi dans les conditions physiologiques des émotions qui se traduisent par une sensation voluptueuse, on a constaté par contre toute une série de cas pathologiques de forme semblable, et on a vu, sous l'impulsion puissante du fétichisme des cheveux, des individus se laisser entraîner à commettre des délits. C'est le groupe des coupeurs de nattes[76].

[Note 76: Moll (op. cit.) rapporte: «Le nommé X... est très excité sexuellement toutes les fois qu'il aperçoit une femme avec une natte; des cheveux tombant librement ne sauraient produire sur lui la même impression, fussent-ils des plus beaux.»

Il n'est pas juste, toutefois, de prendre pour des fétichistes tous les coupeurs de nattes; car, dans certains cas, l'âpreté au gain matériel est le mobile; la natte est une marchandise et non pas un fétiche.]

OBSERVATION 78.--Un coupeur de nattes, P..., quarante ans, ouvrier serrurier, célibataire, né d'un père temporairement frappé d'aliénation mentale et d'une mère très nerveuse. Il s'est bien développé dans son enfance, était intelligent, mais de bonne heure, il fut atteint de tics et d'obsessions. Il ne s'est jamais masturbé; il aimait platoniquement, avait souvent des projets de mariage, ne coïtait que rarement avec des prostituées, mais ne se sentait jamais satisfait dans ses rapports avec ces dernières: au contraire, il en éprouvait plutôt du dégoût. Il y a trois ans, il eut de gros malheurs (ruine financière); en outre, il traversa une affection fébrile, aggravée par des accès de délire. Ces épreuves ont gravement atteint le système nerveux central du malade qui, du reste, est chargé héréditairement. Le soir du 28 août 1889, P... a été arrêté en flagrant délit, place du Trocadéro, à Paris, au moment où, dans la foule, il avait coupé la natte d'une jeune fille. On l'arrêta la natte en main, et une paire de ciseaux en poche. Il allégua un trouble momentané des sens, une passion funeste et indomptable, et il avoua avoir déjà coupé à dix reprises des nattes qu'il gardait chez, lui et qu'il contemplait de temps en temps avec délices.

Dans la perquisition à son domicile, on trouva chez lui 65 nattes et queues assorties et mises en paquets. Déjà, le 15 décembre 1886, P... avait été arrêté une fois dans des circonstances analogues, mais on l'avait relâché, faute de preuves suffisantes.

P... déclare que, depuis trois ans, il se sent anxieux, ému et pris de vertige toutes les fois qu'il reste le soir seul dans sa chambre; et c'est alors qu'il est saisi de l'envie de toucher des cheveux de femme. Lorsqu'il a eu l'occasion de tenir effectivement dans la main la natte d'une jeune fille, libidine valde excitatus est neque amplius puella tacta, erectio et ejaculatio evenit. Il s'en étonne d'autant plus qu'autrefois, dans ses relations les plus intimes avec les femmes, il n'avait jamais éprouvé une sensation pareille. Un soir il ne put résister au désir de couper la natte d'une fille. Arrivé chez lui, la natte dans sa main, l'effet voluptueux se renouvela. Il avait le désir de se passer la natte sur le corps et d'en envelopper ses parties génitales. Enfin, après avoir épuisé ces pratiques, il en avait honte, et pendant quelques jours il n'osait plus sortir. Après plusieurs mois de tranquillité, il fut de nouveau poussé à porter la main sur des cheveux de femme, de n'importe quelle femme. Quand il arrivait à son but, il se sentait comme possédé d'un pouvoir surnaturel et hors d'état de lâcher sa proie. S'il ne pouvait atteindre l'objet de sa convoitise, il en devenait profondément triste, rentrait chez lui, fouillait dans sa collection de nattes, les touchait, les palpait, ce qui lui donnait un violent orgasme qu'il satisfaisait alors par la masturbation. Les nattes exposées dans les vitrines des coiffeurs le laissaient tout à fait froid. Il lui fallait des nattes tombant de la tête d'une femme.

Au moment précis où il commettait ses attentats, P... prétend avoir été toujours saisi d'une si vive émotion qu'il n'avait qu'une perception incomplète de tout ce qui se passait autour de lui, et que, par conséquent, il n'en a pu garder qu'un souvenir fort vague. Aussitôt qu'il touchait les nattes avec des ciseaux, il avait de l'érection et, au moment de les couper, il avait une éjaculation.

Depuis qu'il a éprouvé, il y a trois ans, des revers de fortune, sa mémoire, prétend-il, s'est affaiblie; son esprit se fatigue vite; il est tourmenté d'insomnies, de soubresauts, quand il dort. P... se repent vivement de ses actes.

On a trouvé chez lui, non seulement des nattes, mais aussi des épingles à cheveux, des rubans et autres objets de toilette féminine qu'il s'était fait donner en cadeaux. De tout temps, il eut une véritable manie à collectionner des objets de ce genre, de même que des feuilles de journaux, des morceaux de bois et autres objets sans aucune valeur, mais dont jamais il n'aurait voulu se désaisir. Il avait aussi une répugnance étrange et qu'il ne pouvait s'expliquer, à traverser certaines rues; quand il essayait de le faire, il se sentait tout à fait mal.

L'examen des médecins a démontré qu'on avait affaire à un héréditaire, que les actes incriminés avaient un caractère impulsif dénué de tout libre arbitre, et qu'ils lui étaient imposés par une obsession renforcée par des sentiments sexuels anormaux. Acquittement. Internement dans un asile d'aliénés. (Voisin, Socquet, Motet, Annales d'hygiène, 1890, avril.)

Pour faire suite à ce cas, nous en citerons un autre analogue qui mérite toute notre attention, car il a été soigneusement observé; il fournit un exemple pour ainsi dire classique et jette une vive lumière sur le fétichisme ainsi que sur l'éveil de cette perversion par une association d'idées.

OBSERVATION 79.--Un coupeur de nattes. E..., vingt-cinq ans; une tante du coté maternel épileptique; un frère a souffert de convulsions. E... prétend avoir été bien portant pendant son enfance et avoir bien travaillé à l'école. À l'âge de quinze ans, il éprouva, pour la première fois, une sensation voluptueuse avec érection, en voyant une belle fille du village se peigner les cheveux. Jusque-là les personnes de l'autre sexe n'avaient fait sur lui aucune impression. Deux mois plus tard, à Paris, il se sentit vivement excité à la vue de jeunes filles dont les cheveux flottaient autour de la nuque. Un jour il ne put se retenir de prendre la natte d'une jeune fille et de la tortiller entre ses doigts. Il fut arrêté et condamné à trois mois de prison.

Peu de temps après, il fut soldat et fit cinq ans de service. Pendant cette période, il n'eut pas à redouter de voir des nattes. Cependant il rêvait parfois de têtes de femmes avec des nattes ou des cheveux flottants. À l'occasion, il faisait le coït avec des femmes, mais sans que leurs cheveux agissent comme fétiche.

Rentré à Paris, il eut de nouveau des rêves du genre sus-indiqué et, de nouveau, il se sentit excité à la vue des cheveux de femmes.

Jamais il ne rêve du corps entier de la femme; ce ne sont que des têtes à nattes qui lui apparaissent. Ces temps derniers, l'excitation sexuelle due à ce fétiche est devenue si forte qu'il a dû recourir à la masturbation.

Il était de plus en plus en proie à l'obsession de toucher des cheveux de femme, ou, de préférence, de posséder des nattes pour pouvoir se masturber avec.

Depuis quelque temps, l'éjaculation se produit chez lui aussitôt qu'il tient des cheveux de femme entre ses doigts. Un jour il a réussi à couper dans la rue trois nattes d'une longueur de vingt-cinq centimètres sur la tête de petites filles qui passaient. Une tentative semblable faite sur une quatrième enfant amena son arrestation. Il manifesta un repentir profond et de la honte.

Depuis qu'il est interné dans une maison d'aliénés, il en est arrivé à n'être plus excité à la vue des nattes de femme. Il a l'intention, aussitôt remis en liberté, de rentrer dans son pays où les femmes portent les cheveux relevés et attachés en haut. (Magnan, Archives de l'anthropologie criminelle, t. V, nº 28.)

Nous citerons encore le fait suivant, qui est aussi de nature à nous éclairer sur le caractère psychopathique de ces phénomènes et dont la curieuse guérison mérite attention.

OBSERVATION 80.--Fétichisme des nattes de cheveux. M. X..., entre trente et quarante ans, appartenant à une classe sociale très élevée, célibataire, issu d'une famille censée être sans tare; dès son enfance, nerveux, sans esprit de suite, bizarre; prétend que depuis l'âge de huit ans, il s'est senti puissamment attiré par les cheveux des femmes, particulièrement lorsqu'il se trouvait en présence de jeunes filles. Lorsqu'il eut neuf ans, une jeune fille de treize ans fit avec lui des actes d'impudicité. Mais il n'était pas à même de comprendre, et il n'y eut chez lui aucune excitation.

Sa soeur, âgée de douze ans, s'occupait beaucoup de lui; elle l'embrassait et le pressait souvent contre elle. Il se laissait faire parce que les cheveux de cette jeune fille lui plaisaient beaucoup.

À l'âge d'environ dix ans, il commença à éprouver des sensations voluptueuses à l'aspect des cheveux des femmes qui lui plaisaient. Peu à peu, ces sensations se produisirent spontanément, et aussitôt s'y joignait le souvenir imaginaire de cheveux de jeunes filles. À l'âge de onze ans, il fut entraîné à la masturbation par des camarades d'école. Le lien d'association des sentiments sexuels avec l'idée fétichiste, était alors déjà solidement établi et se faisait jour, toutes les fois que le malade pratiquait avec ses camarades des actes d'impudicité. Avec les années, le fétiche devint de plus en plus puissant. Les fausses nattes même commençaient à l'exciter, pourtant il préférait les vraies. Quand il en pouvait toucher ou y poser ses lèvres, il se sentait tout heureux. Il rédigeait en prose des articles, il faisait des poésies sur la beauté des cheveux des femmes; il dessinait des nattes et se masturbait en même temps. À partir de l'âge de quatorze ans, il devint tellement excité par son fétiche qu'il en avait des érections violentes. Contrairement au goût qu'il avait, étant encore petit garçon, il n'était plus excité que par les nattes bien touffues, noires et solidement tressées. Il éprouvait une envie folle de poser ses lèvres sur ces nattes et de les mordre. L'attouchement des cheveux ne lui donnait que peu de satisfaction; c'était plutôt la vue qui lui en procurait, mais avant tout, le fait d'y poser les lèvres et de les mordre.

Si cela lui était impossible, il se sentait malheureux jusqu'au tædium vitæ. Il essayait alors de se dédommager en évoquant dans son imagination l'image d'«aventures de nattes» et en se masturbant en même temps.

Souvent, dans la rue, au milieu d'une bousculade de la foule, il ne pouvait pas se retenir de poser un baiser sur la tête des dames. Cela fait, il courait chez lui pour se masturber. Parfois il réussissait à résister à cette impulsion, mais alors il était forcé, oppressé d'une angoisse vive, de prendre vite la fuite, pour échapper au cercle magique du fétiche. Une fois seulement, au milieu de la bousculade d'une foule, il eut l'obsession de couper la natte d'une jeune fille. Il éprouva pendant cette tentative une vive anxiété, ne réussissant pas avec son canif, et échappa avec peine en se sauvant au danger d'être pris.

Devenu grand, il essaya de se satisfaire par le coït avec des puellis. Il provoquait une érection violente en baisant les nattes, mais il ne pouvait pas arriver à l'éjaculation. Voilà pourquoi il n'était pas satisfait du coït. Pourtant son idée favorite était de coïter en baisant des nattes. Cela ne lui suffisait pas, puisque par ce moyen il n'arrivait pas non plus à l'éjaculation. Faute de mieux, il vola un jour à une dame les cheveux qu'elle avait laissés en se peignant; il se les mettait dans la bouche et se masturbait en évoquant dans son esprit en même temps l'image de la dame. Dans l'obscurité, il n'avait aucun intérêt pour la femme, parce qu'il ne voyait pas ses cheveux. Des cheveux défaits n'avaient pour lui aucun charme, les poils des parties génitales non plus. Ses rêves érotiques n'avaient pour sujet que des nattes. Ces temps derniers, le malade était tellement excité sexuellement qu'il tomba dans une sorte de satyriasis. Il devint incapable de vaquer à ses affaires, et, il se sentait si malheureux, qu'il essaya de s'étourdir par l'alcool. Il en consomma de grandes quantités, fut pris de délire alcoolique et dut être transporté à l'hôpital. Après l'avoir guéri de l'intoxication, un traitement approprié fit disparaître assez rapidement son excitation sexuelle, et, lorsque le malade fut renvoyé de l'hôpital, il était délivré de son idée fétichiste qui ne se manifestait que rarement dans ses rêves nocturnes.

L'examen du corps a fait constater l'état normal des parties génitales et l'absence totale de stigmates de dégénérescence.

Ces cas de fétichisme des nattes, qui mènent à des vols de nattes de femmes, paraissent se rencontrer de temps en temps dans tous les pays. Au mois de novembre 1890, des villes entières des États-Unis de l'Amérique ont été, au dire des journaux américains, inquiétées par un coupeur de nattes.

B.--LE FÉTICHE EST UNE PARTIE DU VÊTEMENT FÉMININ

On sait combien grande est, en général, l'importance des bijoux et de la toilette de la femme, même pour la vita sexualis normale de l'homme. La civilisation et la mode ont créé pour la femme des traits artificiels de caractère sexuel dont l'absence peut être considérée comme une lacune et peut produire une impression étrange, quant on se trouve en présence d'une femme nue, malgré l'effet sensuel que doit normalement produire cette vue[77].

[Note 77: Comparez les remarques de Goethe sur son aventure à Genève (Lettres de Suisse).]

À ce propos, il ne faut pas oublier que la toilette de la femme a souvent tendance à faire ressortir, et même à exagérer, certaines particularités du sexe, des traits de caractère sexuel secondaires, tels que la gorge, la taille, les hanches.

Chez la plupart des individus, l'instinct génital s'éveille longtemps avant de pouvoir trouver l'occasion d'avoir des rapports intimes avec l'autre sexe, et les appétits de la première jeunesse se préoccupent habituellement d'images du corps de la femme vêtue. De là vient que souvent, au début de la vita sexualis, la représentation de l'excitant sexuel et celle du vêtement féminin s'associent. Cette association peut devenir indissoluble; la femme vêtue peut être pour toujours préférée à la femme nue, surtout lorsque les individus en question, se trouvant sous la domination d'autres perversions, n'arrivent pas à une vita sexualis normale ni à la satisfaction par les charmes naturels.

Par suite de cette circonstance, il arrive alors que, chez des individus psychopathes et sexuellement hyperesthésiques, la femme habillée est toujours préférée à la femme nue. Rappelons-nous bien que, dans l'observation 48, la femme n'a jamais dû laisser tomber ses derniers voiles, et que l'equus eroticus de l'observation 40 préfère la femme habillée. Plus loin encore, on trouvera une déclaration de ce genre faite par un inverti.

Le Dr Moll (op. cit.) fait mention d'un malade qui ne pouvait faire le coït avec une puella nuda; la femme devait être revêtue au moins d'une chemise. Le même auteur cite un individu atteint d'inversion sexuelle qui est sous le coup du même fétichisme du vêtement.

La cause de ce phénomène doit évidemment être cherchée dans l'onanisme psychique de ces individus. Ils ont, à la vue de bien des personnes habillées, éprouvé des désirs avant de s'être trouvé en présence de nudités[78].

[Note 78: Un phénomène analogue en ce qui concerne l'objet, mais tout à fait différent en ce qui concerne le moyen psychique, est le fait que le corps à demi revêtu, produit souvent plus de charme que le corps tout nu. Cela tient aux effets de contraste et à la passion de l'attente qui sont des phénomènes généraux et n'ont rien de pathologique.]

Une seconde forme de fétichisme du vêtement, forme plus prononcée, consiste en ce que ce n'est pas généralement la femme habillée qu'on préfère, mais c'est seulement un certain genre d'habillement qui devient fétiche. Il est bien concevable qu'une forte impression sexuelle, surtout si elle se produit de très bonne heure, et si elle se rattache au souvenir d'une certaine toilette de femme, puisse, chez des individus hyperesthésiques, éveiller un intérêt intense pour ce genre de toilette. Hammond (op. cit., p. 46) rapporte le cas suivant qu'il emprunte au Traité de l'impuissance de Roubaud.

OBSERVATION 81.--X..., fils d'un général, a été élevé à la campagne. À l'âge de quatorze ans il fut initié par une jeune dame aux mystères de l'amour. Cette dame était une blonde, qui portait les cheveux en boucles; afin de ne pas être découverte, elle gardait habituellement ses vêtements, ses guêtres, son corset et sa robe de soie, quand elle avait une conversation intime avec son jeune amant.

Après avoir terminé ses études, X... fut envoyé en garnison; il voulut profiter de sa liberté pour se payer du plaisir; il constata que son penchant sexuel ne pouvait s'exciter que dans certaines conditions déterminées. Ainsi une brune ne lui faisait aucun effet, et une femme en costume de nuit pouvait éteindre complètement tout son enthousiasme en amour. Une femme, pour éveiller ses désirs, devait être blonde, chaussée de guêtres, avoir un corset et une robe de soie, en un mot être vêtue tout à fait comme la dame qui avait pour la première fois éveillé chez lui l'instinct génital. Il a toujours résisté aux tentatives qu'on a faites pour le marier, sachant qu'il ne pourrait s'acquitter de ses devoirs conjugaux avec une femme en costume de nuit.

Hammond rapporte encore (page 42), un cas où le coïtus maritalis n'a pu être obtenu qu'à l'aide d'un costume déterminé. Le Dr Moll fait mention de plusieurs cas semblables chez des hétéro- et homo-sexuels. Comme cause primitive, il faut toujours supposer une association d'idées qui s'est produite à la première heure. C'est la seule raison plausible de ce fait que, chez ces individus, tel costume agit avec un charme irrésistible, quelle que soit la personne qui porte le fétiche. On comprend ainsi que, d'après le récit de Coffignon, des hommes qui fréquentent les bordels, insistent pour que les femmes avec lesquelles ils ont affaire, mettent un costume particulier, de ballerine, de religieuse, etc., et que les maisons publiques soient, à cet effet, munies de toute une garde-robe pour déguisements.

Binet (op. cit.) raconte le cas d'un magistrat, qui n'était amoureux que des Italiennes qui viennent à Paris pour poser dans les ateliers, et que cet amour avait pour véritable objet leur costume particulier. La cause en a pu être bien établie; c'était l'effet de la première impression au moment de l'éveil de l'instinct génital.

Une troisième forme du fétichisme du vêtement, qui présente un degré beaucoup plus avancé vers l'état pathologique, se présente plus fréquemment à l'observation du médecin. Elle consiste dans le fait que ce n'est plus la femme, habillée ou même habillée d'une certaine façon, qui agit en première ligne comme excitant sexuel; mais l'intérêt sexuel se concentre tellement sur une certaine partie de la toilette de la femme, que la représentation de cet objet de toilette, accentuée par un sentiment de volupté, se détache complètement de l'idée d'ensemble de la femme, et acquiert par là une valeur indépendante. Voilà le vrai terrain du fétichisme du vêtement; un objet inanimé, une partie isolée du vêtement suffit par elle seule à l'excitation et à la satisfaction du penchant sexuel. Cette troisième forme de fétichisme du vêtement est aussi la plus importante au point de vue médico-légal.

Dans un grand nombre de cas de ce genre, il s'agit de pièces de linge de femme qui, par leur caractère intime, sont surtout de nature à produire des associations d'idées dans ce sens.

OBSERVATION 82.--K..., quarante-cinq ans, cordonnier, prétend n'avoir aucune tare héréditaire; il est d'un caractère bizarre, mal doué intellectuellement, d'habitus viril, sans stigmates de dégénérescence; d'une conduite généralement sans reproche, il fut pris en flagrant délit le 5 juillet 1876, au soir, emportant du linge volé qu'il avait gardé dans un endroit caché. On trouva chez lui trois cents objets de toilette de femme, entre autres, des chemises de femme, des pantalons de femme, des bonnets de nuit, des jarretières et même une poupée. Quand on l'arrêta, il avait sur le corps une chemise de femme. Déjà, à l'âge de treize ans, il s'était livré à son impulsion à voler du linge de femme; puni une première fois, il devint plus prudent; il commettait ses vols avec ruse et beaucoup d'adresse. Quand cette impulsion lui venait, il avait toujours de l'angoisse et se sentait la tête lourde. Dans de pareils moments, il ne pouvait résister, coûte que coûte. Peu lui importait à qui il enlevait ces objets.

La nuit, quand il était au lit, il mettait les objets de toilette qu'il avait volés, en même temps il évoquait dans son imagination l'image de belles femmes, et il éprouvait une sensation voluptueuse avec écoulement de sperme.

Voilà évidemment le mobile de ses vols; en tous cas, il n'avait jamais vendu aucun des objets volés, mais il les tenait cachés dans un endroit quelconque. Il déclara qu'il avait eu autrefois des rapports sexuels normaux avec des femmes. Il nie avoir jamais pratiqué l'onanisme ou la pédérastie ou d'autres actes sexuels anormaux. À l'âge de vingt-cinq ans, il fut fiancé, mais l'engagement fut rompu par sa faute. Il n'était pas à même de comprendre que ses actes étaient criminels, et en outre, empreints d'un caractère morbide. (Passow, Vierteljahrsschrift für ger. Medicin. N. F. XXVIII, p. 61; Krauss, Psychologie des Verbrechens, 1884, p. 190.)

Hammond (op. cit., p. 43) rapporte un cas de passion pour une partie du vêtement de la femme. Dans ce cas aussi, le plaisir du malade consiste à porter sur son corps un corset de femme, de même que d'autres pièces de toilette féminine, sans qu'il y ait chez lui trace d'inversion sexuelle. La douleur que lui cause à lui ou à une femme un corset trop fortement lacé, lui fait plaisir: élément sadico-masochiste.

Tel est encore le cas que rapporte Diez (Der Selbstmord, 1838, p. 24). Il s'agit d'un jeune homme qui ne pouvait résister à l'impulsion de déchirer du linge de femme. Pendant qu'il déchirait, il avait toujours une éjaculation.

Une alliance entre le fétichisme et la manie de détruire le fétiche (sorte de sadisme contre un objet inanimé), semble se rencontrer assez souvent. Comparez observation 93.

Le tablier est une pièce du vêtement qui n'a aucun caractère intime proprement dit, mais qui, par l'étoffe et la couleur, rappelle le linge du corps, et qui, par l'endroit où il est porté, évoque des idées de rapports sexuels. (Comparez l'emploi métonymique en allemand des mots tablier et jupon dans la locution Ieder Schürze nachlaufen, etc. Ceci dit, nous arriverons à mieux comprendre le cas suivant.

OBSERVATION 83.--C..., trente-sept ans, de famille très chargée, crâne plagiocéphale, facultés intellectuelles faibles, a aperçu à l'âge de quinze ans, un tablier qu'on avait suspendu pour le faire sécher. Il se ceignit de ce tablier et se masturba derrière une haie.

Depuis il ne put voir un tablier sans répéter l'acte. Quand il voyait passer quelqu'un, femme ou homme, ceint d'un tablier, il était forcé de courir après. Pour le guérir de ses vols répétés de tabliers, on le mit, à l'âge de seize ans, dans la marine. Là, il n'y avait pas de tabliers et par conséquent il resta tranquille. Revenu à l'âge de dix-neuf ans, il eut de nouveau l'impulsion de voler des tabliers, ce qui lui amena des complications fâcheuses. Il fut plusieurs fois arrêté; enfin, il essaya de se guérir de sa manie en s'enfermant dans un couvent de Trappistes. Aussitôt sorti du couvent, il recommença.

À l'occasion d'un vol récent, on l'a soumis à l'examen de médecins légistes, et on l'a ensuite transporté dans une maison de santé. Il ne volait jamais autre chose que des tabliers. C'était pour lui un plaisir d'évoquer le souvenir du premier tablier volé. Ses rêves n'avaient pour sujet que des tabliers. Plus tard, il se servait de ces évocations de souvenirs, soit pour pouvoir accomplir le coït à l'occasion soit pour se masturber (Charcot-Magnan, Arch. de Neurologie, 1882, Nr. 12).

Un cas analogue à cette série d'observations que nous venons de citer, est rapporté par Lombroso (Amori anormali precoci nei pazzi. Arch. di psych., 1883, p. 17). Un garçon, très chargé héréditairement, avait déjà à l'âge de quatre ans, des érections et une forte émotion sexuelle à la vue des objets blancs et surtout du linge. Le contact, le froissement de ces objets, lui procuraient de la volupté. À l'âge de dix ans, il commença à se masturber à la vue du linge blanc empesé. Il paraît être atteint de folie morale; il a été exécuté pour assassinat.

Le cas suivant de fétichisme du jupon est combiné à des circonstances bien particulières.

OBSERVATION 84.--M. Z..., trente-cinq ans, fonctionnaire, est l'enfant unique d'une mère nerveuse et d'un père bien portant. Il était nerveux dès son enfance; à la consultation on remarque son oeil névropathe, son corps fluet et délicat, ses traits fins, sa voix grêle et sa barbe très clairsemée. Sauf des symptômes d'une légère neurasthénie, on ne constate chez le malade rien de morbide. Les parties génitales sont normales, de même que les fonctions sexuelles. Le malade prétend ne s'être masturbé que quatre ou cinq fois, lorsqu'il était encore petit garçon.

Déjà, à l'âge de treize ans, le malade était très excité sexuellement à la vue de vêtements mouillés, tandis que les mêmes vêtements à l'état sec ne l'excitaient nullement. Son plus grand plaisir était de regarder, par une pluie torrentielle, les femmes trempées. Quand il en rencontrait, et si la femme avait une figure sympathique, il éprouvait une volupté intense, une violente érection et se sentait poussé au coït.

Il prétend n'avoir jamais eu l'envie de se procurer des jupons trempés ou de mouiller une femme. Le malade n'a pu fournir aucun renseignement sur l'origine de sa pica.

Il est possible que l'instinct génital se soit éveillé pour la première fois à la vue d'une femme qui, par la pluie, a relevé ses jupons et fait voir ses charmes. Ce penchant obscur et qui ne se rendait pas encore bien compte de son véritable objet, s'est reporté sur les jupons trempés, phénomène qui a continué à se produire.

Les amateurs de mouchoirs de femmes se rencontrent souvent: voilà pourquoi ces cas sont importants au point de vue médico-légal. Ce qui peut contribuer à la grande propagation du fétichisme du mouchoir, c'est peut-être que le mouchoir est la pièce du linge féminin qui est le plus souvent exposée aux regards, même dans les rapports non intimes; il peut tomber par hasard entre les mains d'une tierce personne en lui apportant le parfum spécial et moite de sa propriétaire. C'est peut-être pour cela que l'idée du mouchoir s'associe si fréquemment avec les premières sensations de volupté, association qu'il faut supposer dans ces cas.

OBSERVATION 85.--Un garçon boulanger de trente-deux ans, célibataire et jusqu'ici d'antécédents nets, a été pris au moment où il volait le mouchoir d'une dame. Il avoua, avec un repentir sincère, qu'il avait déjà volé 80 à 90 mouchoirs de cette façon. Il ne recherchait que des mouchoirs de femme et exclusivement de femmes jeunes et qui lui plaisaient.

L'extérieur de l'inculpé ne présente rien d'intéressant. Il s'habille très soigneusement; il a une attitude bizarre, craintive, déprimée, avec un genre trop obséquieux et très peu viril qui va souvent jusqu'au ton larmoyant et aux pleurs. On reconnaît aussi en lui une maladresse manifeste, de la faiblesse de la faculté d'assimilation, de la paresse dans l'orientation des idées et dans la réflexion. Une de ses soeurs est épileptique. Il vit dans une bonne situation; il n'a jamais été gravement malade, et il s'est bien développé.

En relatant sa biographie, il fait preuve de manque de mémoire, de manque de clarté; faire du calcul lui est difficile, bien qu'à l'école il faisait des progrès et apprenait avec facilité. Son air craintif, son manque d'assurance font soupçonner l'onanisme. L'inculpé avoue que, depuis l'âge de dix-neuf ans, il s'est livré avec excès à ce vice.

Depuis quelques années, il a souffert des suites de ce vice: dépression, fatigue, tremblements des jambes, douleurs dans le dos, dégoût du travail. Souvent il était en proie à une dépression mélancolique avec peur; alors il évitait les hommes. Il avait des idées exagérées et fantastiques sur les conséquences des rapports sexuels avec les femmes, et voilà pourquoi il ne pouvait se décider au coït. Ces temps derniers cependant il a songé à se marier.

C'est avec un repentir profond et comme un débile qu'il est, que X... m'avoua qu'il y a six mois, en voyant au milieu de la foule une belle jeune fille, il se sentit sexuellement très excité, il dut se frotter contre elle et éprouva le désir de se dédommager par une satisfaction plus complète de son désir sexuel en lui prenant son mouchoir. Bien qu'il se rendît compte du caractère délictueux de son action, il ne put résister à son impulsion. En même temps, il éprouva une angoisse terrible, causée en partie par le désir génital qui l'obsédait, et aussi par la peur d'être découvert.

À la suite de cet incident, aussitôt qu'il voyait une femme sympathique, il était saisi d'une excitation sexuelle violente, avec battement de coeur, érection, impetus coeundi, et il éprouvait l'obsession de se frotter contre la personne en question et, faute de mieux, de lui voler son mouchoir.

Le rapport des médecins légistes fait très judicieusement valoir sa débilité d'esprit congénitale, l'influence démoralisante de l'onanisme, et attribue son penchant anormal à un instinct génital pervers, dans lequel on trouve une connexité intéressante entre le sens génésique et le sens olfactif, connexité observée d'ailleurs sur le terrain physiologique. On reconnut l'irrésistibilité de l'impulsion morbide. X... fut acquitté. (Zippe, Wiener med. Wochenschrift, 1879, nº 23.)

Je dois à l'obligeance de M. le docteur Fritsch, médecin légiste au Landesgericht de Vienne, d'autres renseignements sur ce fétichiste du mouchoir qui, au mois d'août 1890, fut de nouveau arrêté au moment où il cherchait à tirer un mouchoir de la poche d'une dame.

Une perquisition domiciliaire a amené la découverte de 446 mouchoirs de dames. L'accusé prétend avoir brûlé deux paquets de ces corpora delicti. Au cours de l'enquête, on a, en outre, constaté que, déjà en 1883, X... avait été condamné à quinze jours de prison pour avoir volé 27 mouchoirs, et que, pour un délit analogue, on lui avait infligé, en 1866, trois semaines de prison.

En ce qui concerne ses rapports de parenté, on sait que son père a beaucoup souffert de congestions, et qu'une fille de son frère est une imbécile de constitution névropathique.

X... s'est marié en 1879, et commença par s'établir boulanger. En 1881, il fit faillite. Bientôt après, sa femme, qui était toujours en mésintelligence avec lui et qui prétendait qu'il ne remplissait pas ses devoirs conjugaux (fait contesté par X...), demanda le divorce. Il vécut ensuite comme garçon boulanger dans l'établissement de son frère.

Il regrette profondément son malheureux penchant pour les mouchoirs de dames; mais, dit-il, quand il se trouve dans son état critique, il ne peut malheureusement pas se maîtriser. Il éprouve alors une sensation délicieuse, et il lui semble être poussé par quelqu'un. Parfois, il réussit à se retenir; mais, si la jeune dame lui est sympathique, il succombe à la première impulsion. Dans de pareils moments, il est tout trempé de sueur, par suite de la peur d'être découvert et par suite de l'impulsion à commettre son acte. Il prétend avoir éprouvé des émotions sensuelles à l'aspect de mouchoirs de femmes dès l'âge de la puberté. Il ne peut se rappeler les incidents précis sous le coup desquels l'association d'idées fétichistes s'est établie chez lui. L'émotion sensuelle à la vue de dames, de la poche desquelles sortait un bout de mouchoir, s'est augmentée de plus en plus. À plusieurs reprises cela lui a donné des érections, mais jamais d'éjaculation. Il prétend avoir eu, depuis sa vingt et unième année, quelquefois des velléités de satisfaction normale de l'instinct sexuel, et avoir fait le coït sans difficulté et sans avoir recours à l'évocation mentale d'un mouchoir. Quand le fétiche eut pris plus d'empire sur lui, le vol des mouchoirs est devenu pour lui une satisfaction beaucoup plus grande. Le vol du mouchoir d'une dame sympathique avait pour lui autant de valeur que s'il avait eu des rapports sexuels avec cette dame. Il éprouvait alors un véritable orgasme.

Quand il ne pouvait prendre un mouchoir convoité, il en ressentait une excitation pleine de tourments, avec tremblements et sueurs sur tout le corps.

Il gardait dans un endroit spécial les mouchoirs de dames qui lui étaient particulièrement sympathiques; il était heureux de les contempler et éprouvait alors un sentiment de bien-être. Leur odeur aussi lui causait une sensation délicieuse; mais, dit-il, c'était l'odeur particulière à la lingerie et non pas celle des parfums artificiels qui excitait ses sens. Il prétend ne s'être masturbé que rarement.

Sauf des maux de tête périodiques et des vertiges, X... ne se plaint d'aucun malaise. Il regrette profondément son malheur, son penchant morbide, le mauvais démon qui le pousse à ces actes criminels. Il n'a qu'un désir, c'est de trouver quelqu'un qui puisse l'en guérir. Au physique, il présente de légers symptômes de neurasthénie, des anomalies dans la circulation du sang, des pupilles inégales.

Il fut prouvé que X... avait agi sous l'influence d'une obsession morbide et irrésistible. Acquittement.

Ces cas de fétichisme du mouchoir qui entraînent l'individu anormal à commettre des vols, sont très nombreux. Ils se rencontrent aussi chez des personnes atteintes d'inversion sexuelle, ainsi que le prouve le cas suivant, pris dans l'ouvrage de M. le docteur Moll que nous avons déjà plusieurs fois cité[79].

[Note 79: Page 124 (op. cit.), le docteur Moll dit, à propos de ce penchant chez les hétéro-sexuels: «La passion pour les mouchoirs peut être si violente que l'homme se trouve littéralement subjugué par ce petit objet. Voici ce qui me fut raconté par une femme: «Je connais un monsieur, me dit-elle; il me suffit, quand je le vois de loin, de tirer de ma poche le coin de mon mouchoir pour qu'il me suive comme un chien. Je puis aller n'importe où, il ne me quitte plus. Que ce monsieur se trouve en voiture ou soit occupé par une affaire très sérieuse, aussitôt qu'il voit mon mouchoir, il abandonne tout pour me suivre.»]

OBSERVATION 86.--Fétichisme du mouchoir combiné avec l'inversion sexuelle.--K..., trente-huit ans, ouvrier, homme solidement bâti, se plaint de malaises nombreux, tels que faiblesse des jambes, douleurs dans le dos, maux de tête, manque de courage au travail, etc. Ses plaintes font penser manifestement à la neurasthénie avec tendance à l'hypocondrie. Ce n'est qu'après avoir suivi plusieurs mois mon traitement, qu'il avoua qu'il était aussi anormal au point de vue sexuel.

K... n'a jamais eu aucun penchant pour les femmes; par contre, les beaux hommes ont exercé sur lui, de tout temps, un charme particulier.

Le malade s'est beaucoup masturbé depuis sa jeunesse jusqu'à l'époque où il est venu me consulter. K... n'a jamais pratiqué ni l'onanisme mutuel, ni la pédérastie. Il ne croit pas qu'il y aurait trouvé une satisfaction quelconque, car, malgré sa prédilection pour les hommes, le plaisir principal pour lui est d'avoir un morceau de linge blanc d'homme; mais, là encore, c'est la beauté du propriétaire qui joue un rôle important. Ce sont surtout les mouchoirs des beaux hommes qui l'excitent sexuellement. Sa plus grande volupté consiste à se masturber dans des mouchoirs d'hommes. C'est pour cette raison qu'il enlevait souvent des mouchoirs à ses amis; pour éviter d'être découvert comme voleur, le malade laissait toujours un de ses propres mouchoirs chez l'ami pour remplacer celui qu'il venait de voler. De cette façon, K... voulait échapper au soupçon de vol et faire croire à un changement de mouchoir. D'autres pièces de linge d'homme ont aussi excité K..., mais pas au même point que les mouchoirs.

K... a souvent fait le coït avec des femmes; il eut des érections suivies d'éjaculation, mais sans aucune sensation de volupté. De plus, le malade n'éprouvait aucune envie particulière de pratiquer le coït. L'érection et l'éjaculation ne se produisaient que, lorsqu'au milieu de l'acte, le malade pensait au mouchoir d'un homme. Il y arrivait encore plus facilement quand il prenait avec lui le mouchoir d'un ami et le tenait en main pendant l'acte.

Conformément à sa perversion sexuelle, ses pollutions nocturnes aussi se produisent sous l'influence de représentations voluptueuses dans lesquelles le linge d'homme joue le rôle principal.

On rencontre plus fréquemment que les fétichistes du linge les fétichistes du soulier de la femme. Ces cas sont, pour ainsi dire, innombrables, et un grand nombre déjà ont été scientifiquement analysés, tandis que pour le fétichisme du gant je n'ai que quelques rares communications de troisième main. Relativement aux causes de la rareté du fétichisme du gant, voir plus haut.

Dans le fétichisme du soulier il n'y a pas de rapport étroit entre l'objet et le corps de la femme, rapport qui rend explicable le fétichisme du linge. C'est pour cette raison, et aussi parce qu'il y a toute une série de cas soigneusement étudiés, dans lesquels l'adoration fétichiste de la chaussure de la femme a, d'une manière incontestable et bien établie, pris naissance dans une sphère d'idées masochistes; c'est pour ces motifs, disons-nous, qu'on peut, à juste titre, admettre l'hypothèse d'une cause de nature masochiste, bien que déguisée, toutes les fois que, dans un cas déterminé, on ne peut trouver une autre origine.

C'est pour ce motif que j'ai inséré dans le chapitre sur le masochisme la plus grande partie des observations sur le fétichisme du soulier ou du pied qui étaient à ma disposition. Là, nous avons, en montrant les diverses transitions, déjà suffisamment démontré le caractère régulièrement masochiste de cette forme du fétichisme érotique.

Cette hypothèse du caractère masochiste du fétichisme du soulier, n'est réfutée et infirmée, que là où l'on a acquis la preuve qu'un accident de hasard a amené une association entre les émotions sexuelles et l'image du soulier de la femme; car la formation a priori d'une pareille association d'idées est tout à fait improbable.

Une corrélation de ce genre existe dans les deux observations suivantes.

OBSERVATION 87.--Fétichisme du soulier.--M. von P..., de vieille noblesse polonaise, trente-deux ans, m'a consulté en 1890, au sujet de sa vita sexualis anormale. Il affirme être issu d'une famille tout à fait saine, mais être nerveux depuis son enfance et avoir souffert à l'âge de onze ans de chorea minor. Depuis l'âge de dix ans, il souffre beaucoup d'insomnie, et de malaises neurasthéniques.

Il prétend n'avoir connu la différenciation des sexes qu'à l'âge de quinze ans; c'est de cette époque que datent ses penchants sexuels. À l'âge de dix-sept ans, une institutrice française l'a séduit, mais ne lui a pas permis d'accomplir le coït, de sorte que seule une excitation sensuelle (masturbation mutuelle) a pu avoir lieu. Au milieu de cette scène, son regard tomba sur les bottines très élégantes de cette femme. Cette vue lui fit une profonde impression. Ses relations avec cette personne dissolue se continuèrent pendant quatre mois. Durant ces attouchements, les bottines de l'institutrice devenaient un fétiche pour le malheureux jeune homme. Il commença à s'intéresser aux chaussures de dames, et rôdait afin de rencontrer de belles bottines de dames. Le fétiche soulier prit sur son esprit un ascendant de plus en plus grand. Sicuti calceolus mulieris gallicæ penem tetigit, statim summa cum voluptate sperma ejaculavit. Quand on eut éloigné celle qui l'avait séduit, il dut aller chez les puellas avec lesquelles il avait recours au même procédé. Ordinairement cela suffisait pour le satisfaire. Ce n'est que rarement et subsidiairement qu'il avait recours au coït. Son penchant pour cet acte disparaissait de plus en plus. Sa vita sexualis se bornait aux pollutions dues à des rêves, où, seules les chaussures de dames jouaient un rôle, et à satisfaire ses sens avec des chaussures de femmes, apposita ad mentulam; mais il fallait que la puella fît cette manipulation. Dans le commerce avec l'autre sexe, il n'y avait que la bottine qui l'excitât sensuellement, et encore la bottine devait être élégante, de forme française, avec talon d'un noir reluisant comme l'était la première. Avec le temps sont survenues des conditions accessoires: souliers d'une prostituée très élégante, chic, avec des jupons empesés et autant que possible des bas noirs.

Le reste de la femme ne l'intéresse pas. Le pied nu lui est tout à fait indifférent. Aussi au point de vue de l'âme, la femme n'exerce pas le moindre charme sur lui. Il n'a jamais eu des tendances masochistes, comme de vouloir être foulé aux pieds d'une femme. Avec les années son fétichisme a pris un tel empire sur lui que, dans la rue, s'il aperçoit une dame d'un certain extérieur et chaussée d'une certaine façon, il est si violemment excité qu'il est forcé de se masturber. Une légère pression sur le pénis suffit à cet individu très neurasthénique pour provoquer une éjaculation. Des chaussures dans les étalages et, depuis quelque temps, la lecture même d'une simple annonce de magasin de chaussures suffisent pour le mettre dans un état d'émotion violente.

Son libido étant très vif, il se soulageait par la masturbation, quand il ne pouvait se servir de chaussures. Le malade reconnut vite l'inconvénient et le danger de son état, et, bien qu'il se portât physiquement bien, sauf ses malaises neurasthéniques, il éprouvait tout de même une profonde dépression morale. Il consulta plusieurs médecins. L'hydrothérapie, l'hypnotisme furent employés sans aucun résultat. Les médecins les plus célèbres lui conseillaient de se marier et l'assuraient qu'aussitôt qu'il aimerait sérieusement une jeune fille, il serait débarrassé de son fétiche. Le malade n'avait aucune confiance en son avenir; pourtant il suivit le conseil des médecins. Il fut cruellement déçu dans cette espérance éveillée par l'autorité des médecins, bien qu'il se soit allié avec une dame que distinguent de grandes qualités physiques et intellectuelles. La première nuit de son mariage fut terrible pour lui; il se sentit criminel et ne toucha pas à sa femme. Le lendemain il vit une prostituée avec le «certain chic» qu'il aimait. Il eut la faiblesse d'avoir des rapports avec elle, à sa façon accoutumée. Il acheta alors une paire de bottines de femme très élégantes et les cacha dans le lit nuptial; en les touchant, il put, quelques jours plus tard, remplir ses devoirs conjugaux. L'éjaculation ne venait que tardivement, car il devait se forcer au coït; au bout de quelques semaines, l'artifice employé n'avait déjà plus d'effet, son imagination ayant perdu de sa vivacité. Le malade se sentait excessivement malheureux, et il aurait autant aimé mettre immédiatement fin à ses jours. Il ne pouvait plus satisfaire sa femme qui avait sexuellement de grands besoins et qui avait été très excitée par les rapports qu'elle avait eus jusqu'ici avec lui; il voyait combien elle en souffrait moralement et physiquement. Il ne pouvait ni ne voulait révéler son secret à son épouse. Il éprouvait du dégoût pour les rapports conjugaux; il avait peur de sa femme, craignait les soirées et les tête-à-tête avec elle. Il arriva à ne plus avoir d'érections.

Il fit de nouveau des essais avec des prostituées; il se satisfaisait en touchant leurs souliers et ensuite la puella était obligée calceolo mentulam tangere; il éjaculait ou, si l'éjaculation ne se produisait pas, il essayait le coït avec la femme vénale, mais sans résultat, car alors l'éjaculation se faisait subitement.

Le malade vient à la consultation tout désespéré. Il regrette profondément d'avoir, malgré sa conviction intime, suivi le conseil funeste des médecins, d'avoir rendu malheureuse une très brave femme et de lui avoir causé un préjudice physique et moral. Pouvait-il répondre devant Dieu de continuer une pareille vie? Quand même il se confesserait à sa femme et qu'elle ferait tout ce qu'il désire, cela ne lui servirait à rien, car il lui faudrait encore le «parfum du demi-monde».

L'extérieur de ce malheureux ne présente rien de frappant, sauf sa douleur morale. Les parties génitales sont tout à fait normales. La prostate est un peu grosse. Il se plaint d'être tellement sous l'obsession des idées de chaussures, qu'il rougit quand il est question de bottines. Toute son imagination ne s'occupe que de ce sujet. Quand il est dans sa propriété à la campagne, il se voit souvent forcé de partir pour la ville la plus proche, qui est encore à dix lieues de distance, afin de pouvoir satisfaire son fétichisme devant les étalages et aussi avec des puellis.

On ne pouvait entreprendre aucun traitement médical chez ce malheureux, car sa confiance dans les médecins était profondément ébranlée. Un essai d'hypnose et de suppression des associations fétichistes par la suggestion a échoué, par suite de l'émotion morale de ce pauvre jeune homme qu'obsède l'idée d'avoir rendu sa femme malheureuse.

OBSERVATION 88.--X..., vingt-quatre ans, de famille chargée (frère de sa mère et grand'père maternel fous, soeur épileptique, autre soeur souffrant de migraines, parents d'un tempérament très irritable), a eu à l'époque de sa dentition quelques accès de convulsions. À l'âge de sept ans, il fut entraîné à l'onanisme par une bonne. La première fois, X... trouva plaisir à ces manipulations cum illa puella fortuito pede calceolo tecto penem tetigit.

Ce fait a suffi pour créer chez l'enfant taré une association d'idées, grâce à laquelle, dorénavant, le seul aspect d'un soulier de femme et ensuite le rappel d'un souvenir dans ce sens pouvaient provoquer de l'érection et de l'éjaculation. Il se masturbait alors en regardant des souliers de femme ou en se les représentant dans son imagination. À l'école, il était vivement excité par les souliers de l'institutrice. En général, les bottines qui étaient en partie cachées par une longue robe lui produisaient toujours cet effet.

Un jour il ne put pas s'empêcher de saisir l'institutrice par les bottines, ce qui lui causa une vive émotion sexuelle. Malgré les coups qu'il reçut, il ne put s'empêcher de réitérer ce manège. Enfin, on reconnut qu'il y avait là un mobile morbide, et on le plaça sous la direction d'un maître d'école. Il s'abandonnait alors aux délicieux souvenirs de la scène des bottines avec l'institutrice; cela lui donnait des érections, de l'orgasme et, à partir de l'âge de quatorze ans, même des éjaculations. En outre, il se masturbait en pensant à un soulier de femme. Un jour l'idée lui vint d'augmenter son plaisir en se servant d'un soulier de dame pour la masturbation. Il prit souvent en secret des souliers et s'en servait à cet effet.

Rien de la femme ne pouvait l'exciter sexuellement; l'idée du coït lui inspirait de l'horreur. Les hommes ne l'intéressaient pas non plus.

À l'âge de dix-huit ans, il s'établit comme marchand et fit entre autres le commerce de chaussures. Il éprouvait une excitation sexuelle toutes les fois qu'il essayait des souliers aux pieds des dames ou qu'il pouvait manipuler des souliers usés par des femmes.

Un jour, il eut, au milieu de ces pratiques, un accès épileptique qui, bientôt, fut suivi d'un second, pendant qu'il se masturbait, comme à son habitude. Ce n'est qu'alors qu'il reconnut le danger de ces procédés sexuels pour sa santé. Il combattit son penchant à l'onanisme, ne vendit plus de chaussures et s'efforça de se débarrasser de cette association morbide entre les chaussures de femmes et les fonctions sexuelles. Mais alors il se produisit des pollutions fréquentes sous l'influence de rêves érotiques ayant pour sujet des chaussures de femmes, et les accès épileptiques ne cessèrent point. Bien qu'il n'eût pas le moindre penchant sexuel pour le sexe féminin, il se décida à conclure un mariage, ce qui lui parut être le seul remède possible.

Il épousa une femme jeune et belle. Malgré une vive érection produite en pensant aux souliers de sa femme, il fut tout à fait impuissant dans ses essais de cohabitation, car le dégoût du coït et des rapports intimes en général, l'emportait sur l'influence de la représentation du soulier, son stimulant sexuel. Pour se guérir de son impuissance, le malade s'adressa au docteur Hammond qui traita son épilepsie par le brome, et qui lui conseilla de fixer ses regards pendant le coït sur un soulier attaché au-dessus du lit nuptial et de se figurer que sa femme était un soulier.

Le malade guérit de ses accès épileptiques et devint puissant. Il pouvait faire le coït tous les huit jours. Son excitation sexuelle, à la vue des souliers de dames, s'atténuait de plus en plus. (Hammond, Impuissance sexuelle.)

Ces deux cas de fétichisme du soulier qui, comme en général tous les cas de fétichisme, se basent sur des associations subjectives et accidentelles, ainsi qu'on vient de le prouver, n'ont rien d'extraordinaire en ce qui concerne la cause objective. Dans le premier cas il s'agit d'une impression partielle dégagée de l'ensemble de la femme; dans le second cas, d'une impression partielle produite par une manipulation excitante.

Mais on a aussi observé des cas--il est vrai que jusqu'ici il n'y en a que deux--où l'association décisive n'a nullement été amenée par un rapport entre la nature de l'objet et les choses qui normalement peuvent provoquer une excitation.

OBSERVATION 89.--L..., trente-sept ans, employé de commerce, d'une famille très chargée, a eu, à l'âge de cinq ans, sa première érection, en voyant un parent plus âgé qui couchait dans la même chambre, mettre son bonnet de nuit. Le même effet se produisit quand, plus tard, il vit un soir une vieille dame mettre son bonnet de nuit.

Plus tard, il lui suffisait, pour se mettre en érection, de la seule idée d'une tête de vieille femme laide, coiffée d'un bonnet de nuit. Le seul aspect d'un bonnet de femme, ou d'une femme nue, ou d'un homme nu, le laissaient absolument froid. Mais le contact d'un bonnet de nuit lui donnait une érection et parfois même une éjaculation.

L... n'était pas un masturbateur et, jusqu'à l'âge de trente-deux ans, lorsqu'il épousa une belle fille qu'il aimait, il n'avait jamais pratiqué aucune manoeuvre sexuelle.

Pendant sa nuit de noce, il resta insensible jusqu'à ce que, dans son embarras, il se vit obligé d'évoquer le souvenir de la tête de vieille femme laide coiffée d'un bonnet de nuit. Aussitôt le coït réussit.

Dans la période qui suivit, il dut parfois recourir à ce moyen. Depuis son enfance, il avait de temps en temps de profondes dépressions de caractère avec tendances au suicide, et quelquefois aussi des hallucinations terrifiantes pendant la nuit. En regardant par la fenêtre, il était saisi de vertige et d'angoisse. C'était un homme gauche, bizarre, embarrassé, et mal doué intellectuellement. (Charcot et Magnan, Arch. de Neurol., 1882, nº 12.)

Dans ce cas très curieux, une coïncidence fortuite entre la première émotion sexuelle et une impression tout à fait hétérogène, semble avoir seule déterminé le caractère du penchant.

Un cas presque aussi étrange de fétichisme d'association accidentelle est rapporté par Hammond (op. cit., p. 50). Un homme marié, âgé de trente ans, et qui en somme était tout à fait bien portant et psychiquement normal, aurait vu l'impuissance se déclarer à la suite d'un changement de logement et disparaître après qu'on lui eut remis sa chambre à coucher dans son ancien état.

C.--LE FÉTICHE EST UNE ÉTOFFE

Il y a un troisième groupe principal de fétichistes, dont le fétiche n'est ni une partie du corps féminin, ni une partie des vêtements de la femme, mais une étoffe déterminée, qui même ne sert pas toujours à la confection de la toilette féminine, et qui cependant peut, par elle-même, en tant que matière, faire naître ou accentuer les sentiments sexuels. Ces étoffes sont: les fourrures, le velours et la soie.

Ces cas se distinguent des faits précédents de fétichisme érotique du vêtement par le fait que ces étoffes ne sont pas, comme le linge, en rapports étroits avec le corps féminin et n'ont pas, comme les souliers ou les gants, une corrélation avec des parties déterminées du corps féminin ou ne sont pas une signification symbolique quelconque de ces parties.

Ce genre de fétichisme ne peut pas provenir non plus d'une association accidentelle, comme dans les cas tout à fait particuliers du bonnet de nuit ou des meubles de la chambre à coucher; mais ils forment un groupe dont l'objet est homogène. Il faut donc supposer que certaines sensations tactiles--(une sorte de chatouillement qui a une parenté éloignée avec les sensations voluptueuses)--sont, chez des individus hyperesthésiques, la cause première de ce genre de fétichisme.

À ce propos nous donnerons tout d'abord une observation personnelle exposée par un homme qui lui-même était atteint de cet étrange fétichisme.

OBSERVATION 90.--N..., trente-sept ans, issu de famille névropathique, de constitution névropathique lui-même, déclare:

Depuis ma première jeunesse, j'ai une passion profondément enracinée pour les fourrures et le velours, parce que ces étoffes éveillent en moi une émotion sexuelle, et que leur vue et leur contact me procurent un plaisir voluptueux. Je ne puis me rappeler qu'un incident quelconque ait occasionné ce penchant étrange--(coïncidence de la première émotion sexuelle avec l'impression de ces étoffes, respectivement première excitation pour une femme vêtue de ces étoffes).--En somme, je ne me souviens pas comment a commencé cette prédilection. Je ne veux point exclure absolument la possibilité d'un pareil incident, ni d'une liaison accidentelle de la première impression qui aurait pu créer une association d'idées; mais je crois peu probable que pareille chose ait pu se passer, car je suis convaincu qu'un incident de ce genre se serait profondément gravé dans ma mémoire.

Ce que je sais, c'est qu'étant encore petit enfant, j'aimais vivement voir des fourrures et les caresser, et qu'en faisant ainsi j'éprouvais un vague sentiment de volupté. Lors de la première manifestation de mes idées sexuelles concrètes, c'est-à-dire quand mes idées sexuelles se dirigèrent vers la femme, j'avais déjà une prédilection particulière pour la femme vêtue de ces étoffes.

Cette prédilection m'est restée jusqu'à l'âge d'homme mûr. Une femme qui porte une fourrure ou qui est vêtue de velours, m'excite plus rapidement et plus violemment qu'une femme sans ces accessoires. Ces étoffes, il est vrai, ne sont pas la conditio sine qua non de l'excitation; le désir se produit aussi sans elles pour les charmes habituels; mais l'aspect, et surtout le contact de ces tissus fétichistes, constituent pour moi un moyen, aident puissamment les autres charmes normaux, et me procurent une augmentation du plaisir érotique. Souvent, la seule vue d'une femme à peine jolie, mais vêtue de ces étoffes, me donne la plus violente excitation et m'entraîne complètement. La simple vue de mes tissus fétiches me fait un plaisir bien plus grand encore que l'attouchement.

L'odeur pénétrante de la fourrure m'est indifférente, plutôt désagréable, et je ne la supporte, qu'à cause de son association avec des sensations agréables de la vue et du tact. Je languis du plaisir de pouvoir toucher ces étoffes sur le corps d'une femme, de les caresser, de les embrasser et d'y mettre ma figure. Mon plus grand plaisir est de voir et de sentir inter actum mon fétiche sur les épaules de la femme.

La fourrure et le velours isolément me produisent l'impression que je viens de décrire. L'effet de la première est de beaucoup plus fort que celui du dernier. Mais la combinaison de ces deux matières produit le plus grand effet. Des pièces de vêtements féminins en velours ou en fourrure, que je vois et touche détachées de leur porteuse, m'excitent sexuellement aussi, quoiqu'à un degré moindre,--de même les couvertures confectionnées en fourrure, qui ne font nullement partie de la toilette féminine, le velours et la peluche des meubles et des draperies. De simples gravures représentant des toilettes en fourrures et en velours sont pour moi l'objet d'un intérêt érotique, et même le seul mot «fourrure» a pour moi une vertu magique et me donne des idées érotiques.

La fourrure est pour moi tellement l'objet de l'intérêt sexuel, qu'un homme qui porte une fourrure à effet, me produit une impression très désagréable, horripilante et scandaleuse, comme l'effet que produirait sur tout individu normal, un homme en costume et dans l'attitude d'une ballerine. De même je trouve répugnant l'aspect d'une vieille femme laide couverte d'une belle fourrure; cette vue éveille en moi des sentiments qui s'entrechoquent.

Ce plaisir érotique de voir des fourrures et du velours est tout à fait différent de mes appréciations purement esthétiques. J'ai un goût très vif pour les belles toilettes de femmes, et en même temps une prédilection particulière pour les dentelles, mais c'est un goût d'une nature purement esthétique. Je trouve la femme en toilette de dentelles ou bien parée avec une autre belle toilette, plus belle qu'une autre, mais la femme vêtue de mes étoffes fétiches est la plus charmante pour moi.

La fourrure n'exerce sur moi l'effet dont j'ai parlé que lorsqu'elle est à poils fins, touffus, lisses, longs, et se dressant en haut. C'est de ces qualités que dépend l'impression. Je reste tout à fait indifférent, non seulement aux fourrures à poils drus, emmêlés, espèce qu'on estime comme inférieure, mais aussi aux fourrures qu'on estime comme très belles et supérieures, mais dont on a enlevé les poils qui redressent (castor, chien de mer) ou qui ont naturellement les poils courts (hermine) ou trop long et couchés (singe, ours). Les poils redressés ne me produisent l'impression spécifiques que chez la zibeline, la martre, etc. Or, le velours est fait de poils fins touffus et redressés en haut, ce qui expliquerait l'impression analogue qu'il me produit. L'effet paraît dépendre d'une impression déterminée de l'extrémité pointue des poils sur les terminaisons des nerfs sensitifs.

Mais je ne peux pas m'expliquer quel rapport cet effet étrange sur les nerfs tactiles peut avoir avec la vie sexuelle. Le fait est que tel est le cas chez beaucoup d'hommes. Je fais encore remarquer expressément, qu'une belle chevelure de femme me plaît beaucoup, mais qu'elle ne joue pas un rôle plus grand que tout autre charme féminin, et qu'en touchant des fourrures je ne pense nullement à des cheveux de femme. (La sensation tactile dans les deux cas n'a pas d'ailleurs la moindre analogie.) En général il ne s'y attache aucune idée. La fourrure par elle-même réveille en moi la sensualité. Comment? Voilà ce qui me paraît absolument inexplicable.

Le seul effet esthétique produit par la beauté des fourrures grand genre, à laquelle chacun est plus ou moins sensible, par la fourrure qui, depuis la Fornarina de Raphaël et l'Hélène Fourment de Rubens, a été employée par beaucoup de peintres comme cadre et ornement des charmes féminins, et qui dans la mode, dans l'art et la science de la toilette féminine, joue un si grand rôle--cet effet esthétique, dis-je, n'explique rien dans ce cas, ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de le faire remarquer. Cet effet esthétique que les belles fourrures produisent sur les hommes normaux, les fleurs, les rubans, les pierres précieuses et les autres parures le produisent sur moi, comme chez tout le monde. Habilement employés, ces objets font mieux ressortir la beauté féminine et peuvent ainsi, dans certaines circonstances, produire indirectement un effet sensuel. Mais ils ne produisent jamais sur moi le même effet sensuel direct que les étoffes fétiches dont j'ai parlé.

Bien que chez moi, comme peut-être chez tous les autres fétichistes, il faille bien distinguer l'impression sensuelle de l'impression esthétique, cela ne m'empêche pas d'exiger de mon fétiche une série de conditions esthétiques concernant la forme, la coupe, la couleur, etc. Je pourrais m'étendre ici longuement sur ces exigences de mon penchant, mais je laisse de côté ce point qui ne touche pas le fond du sujet. Je ne voulais qu'attirer l'attention sur ce fait que le fétichisme érotique se complique encore d'un mélange d'idées purement esthétiques.

L'effet particulièrement érotique de mes étoffes fétichistes, ne peut pas s'expliquer par l'association avec l'idée du corps d'une femme qui porterait ces étoffes, pas plus que par un effet d'esthétique quelconque. Car, premièrement, ces étoffes me produisent de l'effet, même quand elles sont isolées et détachées du corps, quand elles se présentent comme simple matière; et, secondement, des parties de la toilette intime (corset, chemise) qui, sans doute, évoquent des associations, ont sur moi une action beaucoup plus faible. Les étoffes fétichistes ont toutes pour moi une valeur sensuelle intrinsèque. Pourquoi? C'est pour moi une énigme. Les plumes sur les chapeaux de femme ou les éventails produisent sur moi la même impression fétichiste que la fourrure et le velours: similitude de la sensation tactile et du chatouillement étrange produit par le mouvement léger de la plume. Enfin l'effet fétichiste, quoiqu'à un degré très atténué, est encore provoqué par d'autres étoffes unies, telles que la soie, le satin, etc., tandis que les étoffes rugueuses, le drap grossier, la flanelle, me produisent plutôt un effet répugnant.

Enfin, je tiens encore à rappeler que j'ai lu quelque part un essai de Carl Vogt sur les hommes microcéphales: il y est raconté comment un microcéphale, à la vue d'une fourrure, s'y est précipité et l'a caressée en manifestant une vive joie. Je suis loin de voir pour cette raison, dans le fétichisme très commun de la fourrure, une régression atavique vers les goûts des ancêtres de la race humaine qui étaient couverts de peaux d'animaux. Le microcéphale dont parle Carl Vogt faisait, avec le sans-gêne qui lui était naturel, un attouchement qui lui était agréable, mais dont le caractère n'était pas sexuellement sensuel; il y a beaucoup d'hommes normaux qui aiment à caresser un chat, à toucher des fourrures, du velours, sans en être sexuellement excités.

On trouve encore dans la littérature quelques cas de ce genre.

OBSERVATION 91.--Un garçon de douze ans éprouva une vive émotion sexuelle en se couvrant un jour, par hasard, d'une couverture en fourrure. À partir de ce moment, il commença à se masturber en se servant de fourrures ou en prenant dans son lit un petit chien à longs poils. Il avait des éjaculations suivies quelquefois d'accès hystériques. Ses pollutions nocturnes étaient occasionnées par des rêves où il se voyait couché nu sur une fourrure soyeuse qui l'enveloppait complètement. Les charmes de la femme ou de l'homme n'avaient aucune prise sur lui.

Il devint neurasthénique, souffrit de la monomanie de l'observation, croyant que tout le monde s'apercevait de son anomalie sexuelle; il eut, pour cette cause du tædium vitæ et devint fou.

Il était très chargé, avait les parties génitales mal conformées, et d'autres signes de dégénérescence anatomique. (Tarnowsky, op. cit., p. 22.)

OBSERVATION 92.--C... est un amateur enragé de velours. Il se sent attiré d'une manière normale vers les belles femmes, mais il est particulièrement excité lorsque la personne de rencontre avec laquelle il a des rapports est vêtue de velours.

Ce qui est frappant dans ce cas, c'est que ce n'est pas la vue du velours, mais le contact qui produit l'excitation. C... me disait qu'en passant la main sur une jaquette de femme en velours, il avait une excitation sexuelle telle qu'aucun autre moyen ne saurait jamais en provoquer une pareille chez lui. (Dr Moll, op. cit., p. 127.)

Un médecin m'a communiqué le cas suivant. Un des habitués d'un lupanar était connu sous le sobriquet de «Velours». Il avait l'habitude de revêtir de velours une puella qui lui était sympathique et de satisfaire ses penchants sexuels rien qu'en caressant sa figure avec un coin de la robe en velours, sans qu'il y ait autre contact entre lui et la femme.

Un autre témoin m'assure que, surtout chez les masochistes, l'adoration des fourrures, du velours et de la soie est très fréquente (Comparez plus haut, observation 44, 45[80]).

[Note 80: Dans les romans de Sacher-Masoch la fourrure joue aussi un rôle important; elle sert même de titre à un de ses romans. Mais son explication, qui fait de la fourrure, de l'hermine, le symbole de la domination, et en fait pour la même raison le fétiche des hommes dépeints dans ce roman, me paraît spécieuse et peu satisfaisante.]

Le cas suivant est un cas de fétichisme d'étoffe bien curieux. On voit se joindre au fétichisme l'impulsion à détruire le fétiche. Ce penchant est, dans ce cas, ou un élément de sadisme contre la femme qui porte l'étoffe ou un sadisme impersonnel dirigé contre l'objet, tendance qui se rencontre souvent chez les fétichistes.

Cet instinct de destruction a fait du cas dont nous parlons une cause criminelle très curieuse.

OBSERVATION 93.--Au mois de juillet 1891, a dû comparaître devant la seconde chambre du tribunal correctionnel de Berlin le garçon serrurier Alfred Bachmann, âgé de vingt-cinq ans.

Au mois d'avril de la même année, la police avait reçu plusieurs plaintes: une main méchante avait, avec un instrument bien tranchant, coupé les robes de plusieurs dames. Le soir du 25 avril, on réussit à prendre l'agresseur mystérieux dans la personne de l'accusé. Un agent de la police remarqua l'accusé qui cherchait d'une étrange façon à se blottir contre une dame qui traversait un passage, accompagnée d'un monsieur. Le fonctionnaire pria la dame d'examiner sa robe, pendant qu'il tenait l'homme suspect. On constata que la robe avait reçu une longue entaille. L'accusé fut amené au poste où on le visita. En dehors d'un couteau bien aiguisé dont il avoua s'être servi pour déchirer des robes, on trouva encore sur lui deux rubans de soie comme on en emploie pour la garniture des robes de femmes. L'accusé avoua qu'il les avait détachés des robes dans une bousculade. Enfin, la visite amena encore la découverte sur son corps d'un foulard de soie de dame. Quant à ce dernier objet, il prétendit l'avoir trouvé. Comme on ne pouvait infirmer son assertion à ce sujet, on ne l'accusa sous ce chef que de fraude d'objets trouvés, tandis que ses deux autres actes lui valurent, dans les deux cas où les endommagées demandaient des poursuites, une accusation pour destruction d'objets et, dans deux autres cas, une accusation de vol. L'accusé qui a été déjà plusieurs fois condamné, est un homme à la figure pâle et sans expression. Il donna devant le juge une explication bien étrange de sa conduite énigmatique. La cuisinière d'un commandant, dit-il, l'avait jeté au bas de l'escalier alors qu'il demandait l'aumône, et, depuis ce temps, il avait une haine implacable contre le sexe féminin. On douta de sa responsabilité, et on le fit examiner par un médecin attaché au service de l'Administration.

Aux débats judiciaires, l'expert déclara qu'il n'y avait aucune raison de considérer comme un aliéné l'accusé dont, il est vrai, l'intelligence était très peu développée. L'accusé se défendit d'une façon bien étrange. Une impulsion irrésistible, dit-il, le force de s'approcher des femmes qui portent des robes de soie. Le contact avec une étoffe de soie est pour lui tellement délicieux que, même pendant sa détention, il se sentait ému, quand, en cardant de la laine, un fil de soie lui tombait par hasard dans les mains.

Le procureur royal, M. Muller, considéra simplement l'accusé comme un homme méchant et dangereux, qu'il fallait, pour un certain laps de temps, rendre incapable de nuire. Il requit contre lui la peine d'un an de prison. Le tribunal condamna l'accusé à six mois de prison et à la perte de ses droits civiques pour un an.

II.--SENS SEXUEL FAIBLE OU NUL POUR L'AUTRE SEXE ET REMPLACÉ PAR UN PENCHANT SEXUEL POUR LE MÊME SEXE (SENS HOMOSEXUEL OU INVERTI).

Une des parties constitutives les plus solides de la conscience du moi, à l'époque de la pleine maturité sexuelle, c'est d'avoir la conviction de représenter une individualité sexuelle bien déterminée, et d'éprouver le besoin, pendant les processus physiologiques (formation de la semence et de l'oeuf), d'accomplir des actes sexuels conformes à l'individualité sexuelle, actes qui consciemment ont pour but la conservation de la race.

Sauf quelques sentiments et quelques impulsions obscurs, le sens sexuel et l'instinct génital restent à l'état latent jusqu'à l'époque du développement des organes génitaux. L'enfant est de generis neutrius. Quand même, dans cette période où la sexualité latente n'existe que virtuellement et n'est pas encore annoncée par des sentiments organiques puissants, ni entrée dans la conscience, il se produirait prématurément des excitations des organes génitaux, soit spontanément, soit par une influence externe, et qu'elles trouveraient une satisfaction par la masturbation, il y a dans tout cela absence totale de rapports idéals avec les personnes de l'autre sexe, et les actes sexuels de ce genre ont plus ou moins la signification de phénomènes spinaux réflexes.

Le fait de l'innocence ou de la neutralité sexuelle mérite d'autant plus d'attention que déjà, de très bonne heure, l'enfant constate une différenciation entre les enfants des deux sexes par l'éducation, les occupations, les vêtements etc. Ces impressions toutefois ne sont pas perçues par l'âme, car elles ne sont pas appuyées sexuellement, l'organe central (l'écorce cérébrale) des idées et des sentiments sexuels n'étant pas encore développé et n'ayant pas encore la faculté de perception.

Quand commence le développement anatomique et fonctionnel des organes génitaux avec la différenciation simultanée des formes du corps, attribut de l'un ou l'autre sexe, on voit apparaître chez le garçon, ainsi que chez la jeune fille, les bases d'un état d'âme conforme au sexe de chacun, état que contribuent puissamment à développer l'éducation et les influences externes, étant donné que l'individu est devenu plus attentif.

Si le développement sexuel est normal et n'est pas troublé dans son cours, il se forme un caractère bien déterminé et conforme à la nature du sexe. Les rapports avec les personnes de l'autre sexe font alors naître certains penchants, certaines réactions, et, au point de vue psychologique, il est bien remarquable de voir avec quelle rapidité relative se forme le type moral particulier au sexe de chaque individu.

Tandis que, dans l'enfance, la pudeur, par exemple, n'est qu'une exigence de l'éducation mal comprise par l'enfant et qui, incompréhensible pour lui, étant donnée son innocence, ne peut arriver qu'à une expression incomplète; la pudeur paraît au jeune homme et à la vierge comme une obligation impérieuse de l'estime de soi-même à laquelle on ne peut toucher sans provoquer une puissante réaction vaso-motrice et un désir psychique.

Si la disposition primitive est favorable, normale, si les facteurs nuisibles au développement psycho-sexuel restent hors de jeu, il se forme une individualité psycho-sexuelle si harmonique, si solidement construite et si conforme au sexe représenté par l'individu, que même la perte des organes génitaux, à une époque ultérieure (par la castration, par exemple), ou bien le climax ou le senium ne la peuvent plus changer dans son essence.

Cela ne veut pas dire que l'homme émasculé, la femme châtrée, le jeune homme et le vieillard, la vierge et la matrone, l'homme puissant et l'homme impuissant, ne diffèrent pas l'un de l'autre dans leur état d'âme.

Une question très intéressante et très importante pour la matière que nous allons traiter est de savoir si c'est l'influence périphérique des glandes génitales (testicules et ovaires) ou si ce sont les conditions cérébrales centrales qui sont décisives pour le développement psycho-sexuel. Un fait qui plaide en faveur de l'importance des glandes génitales, est que l'absence congénitale de celles-ci ou leur enlèvement avant la puberté ont une influence puissante sur le développement du corps et sur le développement psycho-sexuel, de sorte que ce dernier est arrêté et prend une direction dans le sens du sexe contraire (eunuques, viragines, etc.).

Toutefois les processus physiques qui se passent dans les organes génitaux ne sont que des facteurs auxiliaires, mais non pas les facteurs exclusifs de la formation d'une individualité psycho-sexuelle; cela ressort du fait que, malgré une constitution normale au point de vue physiologique et anatomique, il peut se développer un sentiment sexuel contraire au caractère du sexe que l'individu représente.

La cause ici ne peut se trouver que dans une anomalie des conditions centrales, dans une disposition psycho-sexuelle anormale. Cette disposition est, sous le rapport de sa cause anatomique et fonctionnelle, encore enveloppée de mystère. Comme, dans presque tous les cas en question, l'inverti présente des tares névropathiques de plusieurs sortes et que ces tares peuvent être mises en corrélation avec des conditions dégénératives héréditaires, on peut, au point de vue clinique, considérer cette anomalie du sentiment psychosexuel comme un stigmate de dégénérescence fonctionnelle. Cette sexualité perverse se manifeste spontanément et sans aucune impulsion externe, au moment du développement de la vie sexuelle, comme phénomène individuel d'une dégénérescence anormale de la vita sexualis; et alors elle nous frappe comme un phénomène congénital; ou bien elle ne se développe qu'au cours d'une vie sexuelle qui, au début, a suivi les voies normales, et elle a été produite par certaines influences manifestement nuisibles: alors elle nous apparaît comme une perversion acquise. Pour le moment, on ne peut pas encore expliquer sur quoi repose le phénomène énigmatique du sens homosexuel acquis et l'on en est réduit aux hypothèses. Il paraît probable, d'après l'examen minutieux des cas dits acquis, que là aussi la disposition consiste dans une homosexualité, du moins en une bisexualité latente qui, pour devenir apparente, a eu besoin d'être influencée par des causes accidentelles et motrices qui l'ont fait sortir de son état de sommeil.

On trouve, dans les limites de l'inversion sexuelle, des gradations diverses du phénomène, gradations qui correspondent presque complètement au degré de tare héréditaire de l'individu, de sorte que, dans les cas peu prononcés, on ne trouve qu'un hermaphroditisme psychique; dans les cas un peu plus graves, les sentiments et les penchants homosexuels sont limités à la vita sexualis; dans les cas plus graves, toute la personnalité morale, et même les sensations physiques sont transformées dans le sens de la perversion sexuelle; enfin, dans les cas tout à fait graves, l'habitus physique même paraît transformé conformément à la perversion.

C'est sur ces faits cliniques que repose par conséquent la classification suivante des différentes formes de cette anomalie psycho-sexuelle.

A.--LE SENS HOMOSEXUEL COMME PERVERSION ACQUISE.

L'important ici est de prouver qu'il y a penchant pervers pour son propre sexe, et non pas de constater des actes sexuels accomplis sur des individus de même sexe. Ces deux phénomènes ne doivent pas être confondus; on ne doit pas prendre la perversité pour de la perversion. Souvent on a l'occasion d'observer des actes pervers sexuels qui ne sont pas basés sur la perversion. C'est surtout le cas dans les actes sexuels entre personnes de même sexe et notamment dans la pédérastie. Là il n'est pas toujours nécessaire que la paræsthesia sexualis soit en jeu, mais il y a souvent de l'hyperesthésie avec impossibilité physique ou psychique d'une satisfaction sexuelle naturelle.

Ainsi nous rencontrons des rapports homosexuels chez des onanistes ou des débauchés devenus impuissants, ou bien chez des femmes ou des hommes sensuels détenus dans les prisons, chez des individus confinés à bord d'un vaisseau, dans les casernes, dans les pensionnats, dans les bagnes, etc.

Ces individus reprennent les rapports sexuels normaux aussitôt que les obstacles qui les empêchaient cessent d'exister.

Très souvent, la cause d'une pareille aberration temporaire est la masturbation avec ses conséquences chez les individus jeunes. Rien n'est aussi capable de troubler la source des sentiments nobles et idéaux que fait naître le sentiment sexuel avec son développement normal, que l'onanisme pratiqué de bonne heure: il peut même la faire tarir complètement. Il enlève au bouton de rose qui va se développer et le parfum et la beauté, et ne laisse que le penchant grossièrement sensuel et brutal pour la satisfaction sexuelle. Quand un individu corrompu de cette manière arrive à l'âge où il peut procréer, il n'a plus ce caractère esthétique et idéal, pur et ingénu, qui l'attire vers l'autre sexe. Alors l'ardeur du sentiment sensuel est éteinte et l'inclination pour l'autre sexe diminue considérablement. Cette défectuosité influence d'une façon défavorable la morale, l'éthique, le caractère, l'imagination, l'humeur, le monde des sentiments et des penchants du jeune onaniste, homme ou femme; avec les circonstances, elle amène le désir pour l'autre sexe à tomber à zéro, de sorte que la masturbation est préférée à toute satisfaction naturelle.

Parfois le développement de sentiments sexuels élevés pour l'autre sexe est contrarié par la peur hypocondriaque d'une infection vénérienne ou par une infection contractée effectivement, ou par une fausse éducation qui, avec intention, a rappelé ces dangers et les a exagérés, chez les filles par la crainte légitime des suites du coït (peur de devenir enceinte), ou bien par le dégoût de l'homme par suite de ses défectuosités physiques et morales. Alors la satisfaction devient perverse et le penchant se manifeste avec une violence morbide. Mais la satisfaction sexuelle perverse pratiquée de trop bonne heure n'atteint pas seulement les facultés mentales, elle atteint aussi le corps, car elle produit des névroses de l'appareil sexuel (faiblesse irritative du centre d'érection et d'éjaculation, sensations de volupté défectueuses au moment du coït, etc.), tout en maintenant l'imagination dans une émotion continuelle et en excitant le libido.

Pour presque tous les masturbateurs il vient un moment où, effrayés d'apprendre les conséquences de leur vice en les constatant sur eux-mêmes (neurasthénie), ou bien poussés vers l'autre sexe soit par séduction soit par l'exemple d'autrui, ils voudraient fuir leur vice et rendre leur vita sexualis normale.

Les conditions morales et physiques sont, dans ce cas, les plus défavorables qu'on puisse imaginer. La chaleur du pur sentiment est éteinte, le feu de l'ardeur sexuelle manque de même que la confiance en soi-même, car tout masturbateur est plus ou moins lâche. Quand le jeune pécheur réunit ses énergies pour essayer le coït, il en revient déçu, car la sensation de volupté manque et il n'a pas de plaisir, ou bien la force physique pour accomplir l'acte lui fait défaut. Cet échec a la signification d'une catastrophe et l'amène à l'impuissance psychique absolue. Une conscience qui n'est pas nette, le souvenir d'échecs honteux empêchent toute réussite en cas de nouveaux essais. Mais le libido sexualis qui continue à subsister, exige impérieusement une satisfaction, et la perversion morale et physique éloigne de plus en plus l'individu de la femme.

Pour différentes raisons (malaises neurasthéniques, peur hypocondriaque des suites, etc.), l'individu se détourne aussi des pratiques de la masturbation. Dans ce cas il peut pour un moment et passagèrement être poussé à la bestialité. L'idée des rapports avec les gens de son propre sexe s'impose alors facilement; elle est amenée par l'illusion de sentiments d'amitié qui, sur le terrain de la pathologie sexuelle, se lient aisément avec des sentiments sexuels.

L'onanisme passif et mutuel remplace alors les procédés habituels. S'il se trouve un séducteur, et il y en a tant malheureusement, nous avons alors le pédéraste d'éducation, c'est-à-dire un homme qui accomplit des actes d'onanisme avec des personnes de son propre sexe, et qui se plaît dans un rôle actif correspondant à son véritable sexe, mais qui, au point de vue des sentiments de l'âme, est indifférent non seulement aux personnes de l'autre sexe, mais aussi à celles de son propre sexe.

Voilà le degré auquel peut arriver la perversité sexuelle d'un individu de disposition normale, exempt de tare et jouissant de ses facultés mentales. On ne peut citer aucun cas où la perversité soit devenue une perversion, une inversion du penchant sexuel[81].

[Note 81: Garnier (Anomalies sexuelles, Paris, pp. 568-569 rapporte deux cas (Observations 222 et 223) qui semblent être en contradiction avec cette thèse, surtout le premier, où le chagrin éprouvé à la suite de l'infidélité de l'amante a fait succomber le sujet aux séductions des hommes. Mais il ressort clairement de cette observation que cet individu n'a jamais trouvé de plaisir aux actes homosexuels. Dans l'observation 223, il s'agit d'un efféminé ab origine, du moins d'un hermaphrodite psychique. L'opinion de ceux qui rendent une fausse éducation et les états psychologiques exclusivement responsables de l'origine des sentiments et penchants homosexuels, est tout à fait erronée.

On peut donner à un individu exempt de toute tare l'éducation la plus efféminée, et à une femme l'éducation la plus virile; ni l'un ni l'autre ne deviendront homosexuels. C'est la disposition naturelle qui est importante et non pas l'éducation et les autres éléments accidentels comme, par exemple, la séduction. Il ne peut être question d'inversion sexuelle que lorsque la personne exerce sur une autre du même sexe un charme psycho-sexuel, c'est-à-dire qu'elle provoque le libido, l'orgasme, et surtout lorsqu'elle produit l'effet d'une attraction psychique. Tout autres sont les cas où, par suite d'une trop grande sensualité et d'une absence de sens esthétique, l'individu se sert, faute de mieux, du corps d'un individu de même sexe pour pratiquer avec lui un acte d'onanisme (non le coït dans le sens d'un entraînement de l'âme).

Moll, dans son excellente monographie, signale, d'une manière très claire et très convaincante, l'importance décisive de la prédisposition héréditaire en présence de l'importance très relative des causes occasionnelles (Comparez op. cit., pp. 156-175). Il connaît beaucoup de cas «où des rapports sexuels pratiqués avec des hommes pendant une certaine période n'ont pu amener la perversion». Moll dit aussi d'une manière très significative: «Je connais une épidémie de ce genre (onanisme mutuel) qui s'est produite dans une école berlinoise où un élève, aujourd'hui acteur, avait introduit d'une manière éhontée l'onanisme mutuel. Bien que je connaisse les noms de nombreux uranistes berlinois, je n'ai pu établir avec probabilité qu'aucun des anciens élèves de ce lycée soit devenu uraniste; par contre, je sais assez exactement que beaucoup d'entre eux, à l'heure qu'il est, se comportent, au point de vue sexuel, d'une façon normale.»]

Tout autre est la situation de l'individu taré. La sexualité perverse latente se développe sous l'influence de la neurasthénie causée par la masturbation, l'abstinence ou d'autres causes.

Peu à peu le contact avec des personnes de son propre sexe met l'individu en émotion sexuelle. Ces idées sont renforcées par des sensations de plaisir et provoquent des désirs correspondants. Cette réaction, nettement dégénérative, est le commencement d'un processus de transformation du corps et de l'âme, processus qui sera décrit plus loin en détail et qui présente un des phénomènes psycho-pathologiques les plus intéressants. On peut reconnaître dans cette métamorphose divers degrés ou phases.

Premier degré: Inversion simple du sens sexuel.

Ce degré est atteint quand une personne du même sexe produit sur un individu un effet aphrodisiaque, et que ce dernier éprouve pour l'autre un sentiment sexuel. Mais le caractère et le genre du sentiment restent encore conformes au sexe de l'individu. Il se sent dans un rôle actif; il considère son penchant pour son propre sexe comme une aberration et cherche éventuellement un remède.

Avec cette amélioration épisodique de la névrose il se peut qu'au début des sentiments sexuels normaux se manifestent et se maintiennent. L'observation suivante nous paraît tout à fait apte à montrer par un exemple frappant cette étape sur la route de la dégérérescence psycho-sexuelle.

OBSERVATION 94.--Inversion acquise.

Je suis fonctionnaire; je suis né, autant que je sais, d'une famille exempte de tares; mon père est mort d'une maladie aiguë, ma mère vit: elle est assez nerveuse. Une de mes soeurs est devenue depuis quelques années d'une religiosité exagérée.

Quant à moi, je suis de grande taille et j'ai tout à fait le caractère viril dans mon langage, ma démarche et mon maintien. Je n'ai pas eu de maladies, sauf la rougeole; mais, depuis l'âge de treize ans, j'ai souffert de ce qu'on appelle des maux de tête nerveux.

Ma vie sexuelle a commencé à l'âge de treize ans, en faisant la connaissance d'un garçon un peu plus âgé que moi, quocum alter alterius genitalia tangendo delectabar. À l'âge de quatorze ans, j'eus ma première éjaculation. Amené à l'onanisme par deux de mes camarades d'école, je le pratiquai, tantôt avec eux, tantôt solitairement, mais toujours en me représentant dans mon imagination des êtres du sexe féminin. Mon libido sexualis était très grand; il en est encore de même aujourd'hui. Plus tard, j'ai essayé d'entrer en relations avec une servante jolie, grande, ayant de fortes mammæ; id solum assecutus sum, ut me præsente superiorem corporis sui partem enudaret mihique concederet os mammasque osculari, dum ipsa penem meum valde erectum in manum suam recepit eumque trivit. Quamquam violentissime coitum rogavi hoc solum concessit, ut genitalia ejus tangerem.

Devenu étudiant à l'Université, je visitai un lupanar et je réussis le coït sans effort.

Mais un incident est arrivé qui a produit en moi une évolution. Un soir, j'accompagnais un ami qui rentrait chez lui et, comme j'étais un peu gris, je le saisis ad genitalia en plaisantant. Il ne se défendit pas beaucoup; je montai ensuite avec lui dans sa chambre, nous nous masturbâmes, et nous pratiquâmes assez souvent dans la suite cette masturbation mutuelle; il y avait même immissio penis in os avec éjaculation. Ce qui est étrange, c'est que je n'étais pas du tout amoureux de ce camarade, mais passionnément épris d'un autre de mes camarades dont l'approche ne m'a jamais produit la moindre excitation sexuelle et, dans mon idée, je ne mettais jamais sa personne en rapport avec des faits sexuels. Mes visites au lupanar, où j'étais un client bien vu, devenaient de plus en plus rares; je trouvais une compensation chez mon ami et ne désirais plus du tout les rapports sexuels avec les femmes.

Nous ne pratiquions jamais la pédérastie; nous ne prononcions pas même ce mot. Depuis le commencement de cette liaison avec mon ami, je me suis remis à me masturber davantage; naturellement l'idée de la femme fut de plus en plus reléguée au second rang; je ne pensais qu'à des jeunes gens vigoureux avec de gros membres. Je préférais surtout les garçons imberbes de seize à vingt-cinq ans, mais il fallait qu'ils soient jolis et propres. J'étais surtout excité par les jeunes ouvriers en pantalon d'étoffe de manchester ou de drap anglais; les maçons principalement me produisaient cette impression.

Les personnes de mon monde ne m'excitaient pas du tout; mais, à l'aspect d'un fils du peuple, vigoureux et énergique, j'avais une émotion sexuelle bien prononcée. Toucher ces pantalons, les ouvrir, saisir le pénis, puis embrasser le garçon, voilà ce qui me paraissait le plus grand bonheur.

Ma sensibilité pour les charmes féminins s'est un peu émoussée, mais, dans les rapports sexuels avec la femme, surtout quand elle a des seins forts, je suis toujours puissant sans avoir besoin de me créer dans mon imagination des scènes excitantes. Je n'ai jamais essayé de séduire à mes vils désirs un jeune ouvrier ou quelqu'un de son monde, et je ne le ferai jamais; mais j'en ai souvent envie. Quelquefois je fixe dans ma mémoire l'image d'un de ces garçons et je me masturbe chez moi.

Je n'ai aucun goût pour les occupations féminines. Je n'aime pas trop à être dans la société des dames; la danse m'est désagréable. Je m'intéresse vivement aux beaux arts. Si j'ai parfois un sentiment d'inversion sexuelle, c'est, je crois, en partie une conséquence de ma grande paresse qui m'empêche de me déranger pour entamer une liaison avec une fille; toujours fréquenter le lupanar, cela répugne à mes sentiments esthétiques. Aussi je retombe toujours dans ce maudit onanisme auquel il m'est bien difficile de renoncer.

Je me suis déjà dit cent fois que, pour avoir des sentiments sexuels tout à fait normaux, il me faudrait avant tout étouffer ma passion presque indomptable pour ce maudit onanisme, aberration si répugnante pour mes sentiments esthétiques. J'ai pris tant et tant de fois la ferme résolution de combattre cette passion de toute la force de ma volonté! Mais jusqu'ici je n'ai pas réussi. Au lieu de chercher une satisfaction naturelle quand l'instinct génital devenait trop violent chez moi, je préférais me masturber, car je sentais que j'en éprouverais plus de plaisir.

Et cependant l'expérience m'a appris que j'étais toujours puissant avec les filles, sans difficulté et sans avoir recours à des images des parties génitales viriles, sauf une seule fois ou je ne suis pas arrivé à l'éjaculation, parce que la femme--c'était dans un lupanar--manquait absolument de charme. Je ne peux pas me débarrasser de l'idée ni me défendre du grave reproche que je me fais à ce sujet, que l'inversion sexuelle dont sans doute je suis atteint à un certain degré, n'est que la conséquence de mes masturbations excessives, et cela me cause d'autant plus de dépression morale que j'avoue ne guère me sentir la force de renoncer par ma propre volonté à ce vice.

À la suite de mes rapports sexuels avec un condisciple et ami de longue date, rapports qui n'ont commencé que pendant notre séjour à l'Université et après sept ans de relations amicales, le penchant pour les satisfactions anormales du libido s'est renforcé en moi.

Permettez-moi de vous raconter encore un épisode qui m'a préoccupé pendant des mois entiers.

L'été 1882 je fis la connaissance d'un collègue de l'Université, de six ans plus jeune que moi, et qui m'avait été recommandé par plusieurs jeunes gens, à moi et à d'autres personnes de ma connaissance. Bientôt j'éprouvai un intérêt profond pour ce jeune homme qui était très beau, de formes bien proportionnées, de taille svelte et d'aspect bien portant. Après des relations de quelques semaines avec lui, cet intérêt devint un sentiment d'amitié intense et plus tard un amour passionné entremêlé des tourments de la jalousie. Je m'aperçus bientôt que des mouvements sensuels se confondaient avec cette affection. Malgré ma ferme résolution de me contenir vis-à-vis de ce jeune homme que j'estimais à cause de son excellent caractère, pourtant une nuit, après force libations de bière, nous étions dans ma chambre où nous vidions une bouteille de vin en l'honneur de notre amitié sincère et durable; je succombai à l'envie irrésistible de le presser contre moi, etc., etc.

Le lendemain lorsque je le revis, j'avais tellement honte que je n'osais pas le regarder dans les yeux. J'éprouvais le repentir le plus amer de ma faute et me faisais les plus violents reproches d'avoir ainsi souillé cette amitié qui aurait dû rester pure et noble. Pour lui prouver que je n'avais agi que sous le coup d'une impulsion momentanée, j'insistai auprès de lui pour qu'il fît avec moi un voyage à la fin du semestre. Il y consentit, après quelques hésitations dont les raisons étaient assez claires pour moi. Nous avons alors couché plusieurs nuits dans la même chambre, sans que j'aie jamais fait la moindre tentative pour répéter l'acte de la nuit mémorable. Je voulais lui parler de cet incident, mais je n'en avais pas le courage. Lorsque, le semestre suivant, nous fûmes séparés l'un de l'autre, je ne pus me décider à lui écrire sur cette affaire, et quand, au mois de mars, je lui fis une visite à X..., j'eus la même faiblesse. Et pourtant, j'éprouvais le besoin impérieux de lui expliquer ce point obscur, par un entretien franc et loyal. Au mois d'octobre de la même année, j'étais à X..., et ce n'est qu'alors que je trouvai le courage nécessaire pour une explication sans réserves. J'implorai son pardon, qu'il m'accorda volontiers; je lui demandai même pourquoi il ne m'avait pas alors opposé une résistance résolue; il me répondit qu'il m'avait en partie laissé faire par complaisance, que d'autre part, étant ivre, il se trouvait dans un certain état d'apathie. Je lui exposai alors ma situation d'une manière détaillée, je lui donnai aussi à lire la Psychopathia sexualis et lui exprimai le ferme espoir que par ma force de volonté j'arriverais à dompter complètement mon penchant contre nature. Depuis cette explication mes relations avec cet ami sont devenues des plus heureuses et des plus satisfaisantes; les sentiments amicaux sont de part et d'autre intimes, sincères, et j'espère durables aussi.

Dans le cas où je n'apercevrais pas une amélioration dans mon état, je me déciderais à me soumettre complètement à votre traitement, d'autant plus que, d'après l'étude de votre ouvrage, je crois pouvoir dire que je n'appartiens pas à la catégorie des soi-disant uranistes et qu'une ferme volonté secondée et dirigée par le traitement d'un homme compétent pourrait faire de moi un homme aux sentiments normaux.

OBSERVATION 95.--Ilma S...[82], vingt-neuf ans, non mariée, fille de négociant, est issue d'une famille lourdement tarée.

[Note 82: Comparez: Experimentelle Studien auf dem Gebiete des Hypnotismus de l'auteur, 3e édition, 1893.]

Le père était potator et finit par le suicide, de même que le frère et la soeur de la malade. Une soeur souffre d'hysteria convulsiva. Le grand-père du côté maternel s'est brûlé la cervelle dans un accès de folie. La mère était maladive et est morte paralysée par apoplexie. Elle n'a jamais été gravement malade; elle est bien douée intellectuellement, romanesque, d'imagination vive et rêveuse. Réglée à dix-huit ans, sans malaises; les menstruations furent irrégulières. À l'âge de quatorze ans, chlorose et catalepsie par frayeur. Plus tard, hysteria gravis et accès de folie hystérique. À l'âge de dix-huit ans, liaison avec un jeune homme, liaison qui n'en est pas restée aux termes platoniques. Elle répondait avec ardeur et chaleur à l'amour de cet homme. Des allusions faites par la malade indiquent qu'elle était très sensuelle et que, après le départ de son amant, elle s'est livrée à la masturbation. La malade mena ensuite une vie romanesque. Pour pouvoir gagner son pain, elle s'habilla en homme, devint précepteur dans une famille, quitta cette place parce que la maîtresse de la maison, ne connaissant pas son sexe, tomba amoureuse d'elle et la poursuivit de ses assiduités. Elle devint ensuite employé de chemins de fer. En compagnie de ses collègues, elle était obligée, pour cacher son sexe, de fréquenter les bordels et d'écouter des propos malséants. Cela lui répugnait; elle donna sa démission, se rhabilla en femme, et chercha dorénavant à gagner son pain par des occupations féminines. On l'a arrêtée pour vol et, par suite de crises hystéro-épileptiques, on l'a transportée à l'hôpital.

Là on découvrit chez elle des penchants pour son propre sexe. La malade devint importune par ses poursuites après les gardes-malades féminines et ses camarades d'hôpital.

On prit son inversion sexuelle pour une perversion acquise. La malade a donné à ce sujet d'intéressantes explications qui ont rectifié l'erreur.

On porte sur moi, dit-elle, un jugement erroné, quand on croit qu'en présence du sexe féminin, je me sens homme. Au contraire, dans ma manière de penser et de sentir, je me conduis en femme. J'ai aimé mon cousin comme une femme est capable d'aimer un homme.

Le changement de mes sentiments a pris naissance par le fait qu'à Budapest, déguisée en homme, j'eus l'occasion d'observer mon cousin. Je vis combien il m'avait trompée. Cette constatation m'a causé une grande douleur d'âme. Je savais que jamais je ne serais plus capable d'aimer un homme, car je suis de celles qui n'aiment qu'une fois dans leur vie. Puis, en compagnie de mes collègues de chemin de fer, je fus obligée d'écouter les conversations les plus choquantes et de fréquenter les maisons les plus mal famées. Ayant ainsi pu entrevoir les menées du monde masculin, je conçus une aversion invincible pour les hommes. Mais, comme je suis d'un naturel passionné et que j'éprouve le besoin de m'attacher à une personne aimée et de me donner entièrement, je me sentis de plus en plus attirée vers les femmes et les filles qui m'étaient sympathiques, et surtout vers celles qui brillaient par leurs qualités intellectuelles.

L'inversion sexuelle, évidemment acquise, de cette malade se manifestait souvent d'une manière impétueuse et très sensuelle; elle a gagné du terrain par la masturbation, une surveillance permanente dans les hôpitaux ayant rendu impossible toute satisfaction sexuelle avec des personnes de son propre sexe. Le caractère et le genre d'occupation sont restés féminins. Elle ne présentait pas les caractères de la virago. D'après les communications que l'auteur vient de recevoir, la malade, après un traitement de deux ans à l'asile, a guéri de sa névrose et de sa perversion sexuelle.

OBSERVATION 96.--X..., dix-neuf ans, né d'une mère souffrant d'une maladie de nerfs; deux soeurs du père et de la mère étaient folles. Le malade, de tempérament nerveux, bien doué, bien développé au physique, de conformation normale, a été, à l'âge de douze ans, amené par son frère aîné à pratiquer l'onanisme mutuel.

Plus tard, le malade persévéra dans ce vice, en le pratiquant solitairement. Depuis trois ans, il lui vint, pendant l'acte de la masturbation, d'étranges fantaisies dans le sens d'une inversion sexuelle.

Il se figure être une femme, par exemple être une ballerine, et faire le coït avec un officier ou un cavalier de cirque. Ces images perverses accompagnent l'acte d'onanisme depuis que le malade est devenu neurasthénique.

Il reconnaît lui-même les dangers de la masturbation, il la combat désespérément, mais toujours et toujours il finit par succomber à son violent penchant.

Si le malade réussit à s'en abstenir pendant quelques jours, il se produit alors chez lui des impulsions normales dans le sens des rapports sexuels avec des femmes; mais la crainte d'une infection arrête ces impulsions et le pousse de nouveau à la masturbation.

Ce qui est digne d'être remarqué, c'est que les rêves érotiques de ce malheureux n'ont pour sujet que la femme.

Au cours de ces derniers mois, le malade est devenu neurasthénique et hypocondriaque à un degré très avancé. Il craint le tabes.

Je lui conseillai de faire traiter sa neurasthénie, de supprimer la masturbation et d'arriver à la cohabitation aussitôt que sa neurasthénie se serait atténuée.

OBSERVATION 97.--X..., trente-cinq ans, célibataire, né d'une mère malade, déprimée au moral. Le frère est hypocondriaque.

Le malade était bien portant, vigoureux, de tempérament vif et sensuel, avait un instinct génital puissant qui s'éveilla de trop bonne heure; il s'est masturbé étant encore tout petit garçon, a fait le premier coït à l'âge de quatorze ans et, assure-t-il, avec plaisir; il fut complètement puissant. À l'âge de quinze ans, un homme a essayé de le débaucher et l'a manustupré. X... en éprouva du dégoût et se sauva de cette situation «dégoûtante». Devenu grand, il fit des excès de coït avec un libido indomptable. En 1880, il devint neurasthénique, souffrit de la faiblesse de ses érections et d'ejaculatio præcox; il devint en même temps de plus en plus impuissant et cessa d'éprouver du plaisir à l'acte sexuel. À cette époque, il eut, pendant une certaine période, un penchant qui lui était auparavant étranger et qui lui paraît encore aujourd'hui inexplicable, pour les rapports sexuels cum puellis non pubibus XII ad XIII annorum. Son libido s'augmentait à mesure que sa puissance s'affaiblissait.

Peu à peu il conçut un penchant pour les garçons de treize à quatorze ans. Il était poussé à s'approcher d'eux.

Quodsi ei occasio data est, ut tangere posset pueros, qui si placuere, penis vehementer se erexit tum maxime quum crura puerorum tangere potuisset. Abhinc feminas non cupivit. Nonnunquam feminas ad coïtum coegit sed erectio debilis, ejaculatio præmatura erat sine ulla voluptate.

Il n'avait plus d'intérêt que pour les jeunes garçons. Il en rêvait et avait alors des pollutions. À partir de 1882, il eut parfois l'occasion, concumbere cum juvenibus. Il était alors sexuellement très excité et se soulageait par la masturbation.

Ce n'est que par exception qu'il osa, socios concumbentes tangere et masturbationem mutuam adsequi. Il détestait la pédérastie. La plupart du temps il était obligé de satisfaire par la masturbation solitaire ses besoins sexuels. Pendant cet acte, il évoquait le souvenir et l'image de garçons sympathiques. Après les rapports sexuels avec des garçons, il se sentait toujours ragaillardi, frais, mais en même temps moralement déprimé par l'idée d'avoir commis un acte pervers, immoral et encourant des peines. Il fait la constatation très pénible que son penchant détestable était plus puissant que sa volonté.

X... suppose que son amour pour son propre sexe a pour cause ses excès des plaisirs sexuels normaux; il regrette profondément son état et a demandé, au mois de décembre 1880, à l'occasion d'une consultation, s'il n'y avait pas moyen de le ramener à la sexualité normale, puisqu'il n'a pas d'horror feminæ et qu'il aimerait bien à se marier.

Sauf les symptômes d'une neurasthénie sexuelle et spinale modérée, le sujet, d'ailleurs intelligent et exempt de stigmates de dégénérescence, ne présente aucun symptôme de maladie.

Deuxième degré: Eviratio et defeminatio.

Si, dans l'inversion sexuelle développée de cette manière, il n'y pas de réaction, il peut se produire des transformations plus radicales et plus durables de l'individualité psychique. Le processus qui s'accomplit alors peut être désigné sous le simple mot d'eviratio. Le malade éprouve un changement profond de caractère, spécialement dans ses sentiments et ses penchants, qui deviennent ceux d'une personne de sentiments féminins.

À partir de ce moment, il se sent aussi femme pendant l'acte sexuel; il n'a plus de goût que pour le rôle passif et peut, suivant les circonstances, tomber au niveau d'une courtisane. Dans cette transformation psycho-sexuelle, profonde et durable, l'individu ressemble parfaitement à l'uraniste (congénital) d'un degré plus avancé. La possibilité de rétablir l'ancienne individualité intellectuelle et sexuelle paraît, dans ce cas, absolument impossible.

L'observation suivante nous fournit un exemple classique d'une inversion sexuelle qui a été acquise de cette façon et est devenue permanente.

OBSERVATION 98.--Sch..., trente ans, médecin, m'a communiqué un jour sa biographie et l'histoire de sa maladie, en me demandant des éclaircissements et des conseils sur certaines anomalies de sa vita sexualis.

L'exposé suivant s'en tient complètement à l'autobiographie très détaillée et ne comporte que quelques abréviations à l'occasion.

Procréé par des parents sains, j'étais un enfant faible, mais j'ai prospéré grâce à de bons soins; à l'école je faisais de rapides progrès.

À l'âge de onze ans, je fus entraîné à la masturbation par un camarade avec lequel je jouais; je me livrais avec passion à ces pratiques. Jusqu'à l'âge de quinze ans, j'apprenais facilement. A mesure que les pollutions devenaient plus fréquentes, ma force de travail pour l'étude diminuait; je ne pouvais plus aussi bien suivre les leçons à l'école. Quand le professeur m'appelait au tableau, j'étais peu rassuré; je me sentais oppressé et embarrassé. Effrayé de voir baisser mes facultés et reconnaissant que les grandes pertes de sperme en étaient la cause, je cessai de pratiquer l'onanisme; toutefois les pollutions étaient fréquentes, de sorte que j'éjaculais deux à trois fois dans une nuit.

Désespéré, je consultai les médecins l'un après l'autre. Aucun n'y pouvait rien faire.

Comme je devenais de plus en plus faible, exténué par les pertes séminales et que l'instinct génital me tourmentait de plus en plus violemment, j'allai au lupanar. Mais là je ne pus me satisfaire; car, bien que l'aspect de la femme nue me réjouit, il ne se produisit ni orgasme, ni érection, et même la manustupration de la part de la puella ne put amener d'érection.

À peine avais-je quitté le lupanar, que l'instinct génital recommençait à me tourmenter par des érections violentes. Alors j'eus honte devant les filles, et je n'allai plus dans les maisons de ce genre. Ainsi se passèrent quelques années. Ma vie sexuelle consistait en pollutions. Mon penchant pour l'autre sexe se refroidissait de plus en plus. À l'âge de dix-neuf ans, j'entrai comme élève à l'Université. C'était le théâtre qui m'attirait. Je voulus devenir artiste, mes parents s'y opposaient. Dans la capitale, j'ai dû, en compagnie de mes collègues, aller de temps en temps chez les filles. Je craignais les situations de ce genre, sachant que le coït ne me réussirait pas, que mon impuissance serait révélée aux amis. C'est pour cette raison que j'évitais autant que possible le danger de devenir leur risée et d'essuyer une honte.

Un soir, assistant à une représentation d'opéra, j'avais comme voisin un monsieur plus âgé. Il me fit la cour. Je riais de tout mon coeur de ce vieillard folâtre, et je faisais bonne grâce à ses plaisanteries. Exinopinato genitalia mea prehendit, quo facto statim penis meus se erexit. Effrayé je lui demandai des explications sur ce qu'il me voulait. Il me déclara être amoureux de moi. Comme dans la clinique j'avais entendu parler d'hermaphrodites, je crus en avoir un devant moi, curiosus factus genitalia ejus videre volui. Le vieillard consentit avec joie et vint avec moi aux cabinets d'aisance. Sicuti penem maximum ejus erectum adspexi, perterritus effugi.

L'autre me guettait, me fit des propositions étranges que je ne comprenais pas et que je repoussais. Il ne me laissa plus tranquille. Je fus renseigné sur les mystères de l'amour homosexuel et sentis combien ma sensualité en devenait excitée: mais je résistai à une passion si honteuse (d'après mes idées d'alors) et je restai exempt pendant les trois années consécutives à cet incident. Pendant ce temps j'essayai à plusieurs reprises mais vainement le coït avec des filles. Mes efforts pour me faire guérir de mon impuissance par l'art médical n'eurent pas non plus de succès.

Un jour que j'étais de nouveau tourmenté par le libido sexualis, je me rappelai le propos du vieillard me disant que des homosexuels se donnent rendez-vous sur la promenade.

Après une longue lutte contre moi-même et avec un battement de coeur, j'allai à l'endroit indiqué; je fis la connaissance d'un monsieur blond et me laissai séduire. Le premier pas était fait. Cette sorte d'amour sexuel m'était adéquat. Ce que j'aimais le plus c'était d'être entre les bras d'un homme vigoureux.

La satisfaction consistait dans la manustupration mutuelle. A l'occasion osculum ad penem alterius. Je venais d'atteindre l'âge de vingt-trois ans. Le fait d'être assis à côté de mes collègues dans la salle des cours ou sur les lits des malades dans la clinique, m'excitait si violemment qu'à peine je pouvais suivre le cours du professeur. Dans la même année je nouai une véritable liaison d'amour avec un négociant âgé de trente-quatre ans. Nous vivions maritalement. X... voulait jouer l'homme, devenait de plus en plus amoureux. Je le laissais faire, mais il fallait qu'il me laissât aussi de temps en temps jouer le rôle d'homme. Avec le temps je me lassai de lui, je devins infidèle, et lui devint jaloux. Il y eut des scènes terribles, des réconciliations temporaires, et finalement une rupture définitive (ce négociant fut plus tard frappé d'aliénation mentale et mit fin à ses jours par le suicide).

Je faisais beaucoup de connaissances, aimant les gens les plus communs. Je préférais ceux qui étaient barbus, grands, d'âge moyen, et capables de bien jouer le rôle actif.

Je contractai une proctitis. Le professeur (de la Faculté de médecine) était d'avis que cela venait de la vie sédentaire à laquelle je m'étais condamné en préparant mon examen. Il se forma une fistule qu'il fallut opérer, mais, cet accident ne me guérit nullement de mon penchant à prendre le rôle passif. Je devins médecin, m'établis dans une ville de province où j'ai dû vivre comme une religieuse.

J'eus l'envie de me montrer dans la société des dames; là on me vit d'un oeil favorable, car on trouvait que je n'avais pas l'esprit aussi exclusif que les autres hommes, et je m'intéressais aux toilettes des femmes et aux conversations qui traitaient de ces sujets. Cependant je me sentais très malheureux et très isolé.

Heureusement je rencontrai dans cette ville un homme qui pensait comme moi, «une soeur». Pour quelque temps mes besoins furent satisfaits grâce à lui. Quand il était obligé de quitter la ville, j'avais une période de désespoir avec mélancolie allant jusqu'à des idées de suicide.

Trouvant le séjour de cette petite ville insupportable, je me mis médecin militaire dans une grande ville. Je respirai de nouveau; je vivais, je faisais souvent en un jour deux ou trois connaissances. Je n'avais jamais aimé ni les garçons ni les jeunes gens, mais seuls les hommes d'aspect viril. C'est ainsi que j'échappai aux griffes des maîtres chanteurs. L'idée de tomber un jour entre les mains de la police m'était terrible; toutefois je ne pouvais pas m'empêcher de continuer à satisfaire mes penchants.

Quelques mois plus tard, je devins amoureux d'un fonctionnaire âgé de quarante ans. Je lui restai fidèle pendant un an. Nous vivions comme un couple amoureux. J'étais la femme et comme telle dorloté par mon amant. Un jour je fus transféré dans une petite ville. Nous étions désespérés. Per totam noctem postremam nos vicissim osculati et amplexati sumus.

À T..., j'étais très malheureux, malgré quelques «soeurs» que j'ai pu y rencontrer. Je ne pouvais pas oublier mon amant. Pour apaiser le penchant grossièrement sexuel qui exigeait sans cesse satisfaction, je choisissais des troupiers. Pour de l'argent, ces gens-là faisaient tout; mais ils restaient froids et je n'avais aucun plaisir avec eux. Je réussis à me faire transférer de nouveau dans la capitale. Nouvelle liaison d'amour, mais avec bien des jalousies, car mon amant aimait à fréquenter la compagnie «des soeurs», il était vaniteux et coquet. Il y eut rupture.

J'étais infiniment malheureux, et par suite très content de pouvoir quitter de nouveau la capitale en me faisant transférer dans une petite garnison. Me voilà solitaire et inconsolable à C... Je fis la leçon à deux troupiers de l'infanterie, mais le résultat fut aussi peu satisfaisant qu'autrefois. Quand retrouverai-je le véritable amour?

Je suis de taille un peu au-dessus de la moyenne, bien développé au physique; j'ai l'air un peu fatigué, c'est pour cela que, quand je veux faire des conquêtes, je dois avoir recours à des artifices de toilette. Le maintien, les gestes et la voix sont virils. Au physique, je me sens jeune comme un garçon de vingt ans. J'aime le théâtre et les arts en général. Mon attention au théâtre se porte surtout sur les actrices chez qui je remarque et critique tout mouvement ou tout pli de leur robe.

En compagnie d'hommes je suis timide, embarrassé: dans la société des gens de mon espèce, je suis d'une gaieté folle, spirituel; je puis être câlin comme une chatte si l'homme m'est sympathique. Quand je suis sans amour, je tombe dans une mélancolie très profonde, mais qui s'évanouit tout de suite devant les consolations que m'offre un bel homme. Du reste, je suis très léger et rien moins qu'ambitieux. Mon grade dans l'armée ne me dit rien. Les occupations d'homme ne me sont pas agréables. Ce que j'aime le mieux faire, c'est lire des romans, aller au théâtre, etc. Je suis sensible, doux, facile à toucher, aussi facile à froisser, nerveux. Un bruit subit fait tressaillir tout mon corps, et il faut alors que je me retienne pour ne pas crier.

Epicrise.--Ce cas est évidemment un cas d'inversion sexuelle acquise, car le sentiment et le penchant génital étaient au prime abord dirigés vers la femme. Par la masturbation Sch... devient neurasthénique. Comme phénomène partiel de la névrose neurasthénique, il se produit une diminution de la force du centre d'érection et ainsi une impuissance relative. Le sentiment pour l'autre sexe se refroidit en même temps que le libido sexualis continue à subsister. L'inversion acquise doit être morbide, car le premier attouchement par une personne du même sexe constitue déjà un charme adéquat pour le centre d'érection de l'individu en question. La perversion des sentiments sexuels devient prononcée. Au début, Sch... garde encore le rôle de l'homme pendant l'acte sexuel; au cours de ces pratiques, ses sentiments et ses penchants sexuels se transforment, comme c'est la règle chez l'uraniste congénital.

Cette éviration fait désirer le rôle passif et plus tard la pédérastie (passive). L'éviration s'étend aussi au caractère de l'individualité qui devient féminine. Sch... préfère la compagnie des vraies femmes; il prend de plus en plus goût aux occupations féminines; il a même recours au fard et aux artifices de toilette pour réparer ses «charmes» en baisse et pour pouvoir faire des conquêtes.

Les faits précédents d'inversion acquise et d'éviration trouvent une confirmation très intéressante dans les faits ethnologiques suivants.

Déjà nous trouvons, chez Hérodote, la description d'une maladie étrange dont les Scythes furent atteints. La maladie consistait en ce que des hommes, efféminés de caractère, mettaient des vêtements de femmes, faisaient des travaux de femmes et donnaient à leur extérieur physique un cachet tout à fait féminin.

Hérodote donne pour cause à cette folie des Scythes, la légende mythologique d'après laquelle la déesse Vénus, irritée du pillage de son temple d'Ascalon par les Scythes, aurait transformé en femmes les sacrilèges et leurs descendants[83].

[Note 83: Comparez Sprengel: Apologie des Hippokrates, Leipzig, 1793, p. 611; Friedreich, Literärgeschichte der psych. Krankheiten, 1830, I, p. 31; Lallemand, Des pertes séminales, Paris, 1836, I, p. 58; Nysten, Dictionn. de Médecine, 11e édit., Paris, 1858; (art. Éviration et Maladie des Scythes); Marandon, De la maladie des Scythes (Annal, médico-psychol., 1877, mars, p. 161); Hammond, American Journal of Neurology and Psychiatry, 1882, August.]

Hippocrate ne croit pas aux maladies surnaturelles; il reconnaît que l'impuissance sexuelle joue dans ce cas un rôle intermédiaire, mais il l'explique par l'habitude qu'ont les Scythes qui, pour se guérir des nombreuses maladies contractées dans leurs chevauchées continuelles, se font faire une saignée autour des oreilles. Il croit que ces veines sont très importantes pour la conservation de la force génitale et qu'en les tranchant on amène l'impuissance. Comme les Scythes considéraient leur impuissance comme une punition du ciel et par conséquent inguérissable, ils se mettaient des vêtements de femmes, et vivaient comme femmes au milieu des femmes.

Il est bien remarquable que, d'après Klaproth (Reise in den Kaukasus, Berlin, 1812, V, p. 235) et Chotomski, même dans notre siècle, l'impuissance soit encore souvent chez les Tartares la conséquence de chevauchées sur des chevaux non sellés. On a observé le même fait chez les Apaches et Navajos du continent américain, qui ne vont presque jamais à pied, font des excès de cheval, et sont remarquables par leur parties génitales minuscules, leur libido et leur puissance très restreints. Déjà Sprengel, Lallemand et Nysten savaient que des chevauchées excessives peuvent être nuisibles aux organes génitaux.

Des faits analogues et fort intéressants sont rapportés par Hammond à propos des Indiens de Pueblo dans le nouveau Mexique.

Ces descendants des Aztèques élèvent des soi-disant mujerados; il en faut au moins un pour chaque tribu de Pueblo, afin qu'il puisse servir aux cérémonies religieuses, de vraies orgies de printemps, dans lesquelles la pédérastie joue un rôle considérable.

Pour élever un mujerado, on choisit un homme vigoureux autant que possible, on le masturbe avec excès et on lui fait faire sans cesse des courses à cheval. Peu à peu il se développe chez lui une telle faiblesse d'irritation des parties génitales, que, pendant qu'il est à cheval, il se produit des écoulements séminaux en abondance. Cet état d'irritation finit par amener une impuissance paralytique. Alors le pénis et les testicules s'atrophient, les poils de la barbe tombent, la voix perd son ampleur et son accent mâle, la force physique et l'énergie baissent.

Le caractère et les penchants deviennent féminins. Le mujerado perd sa situation d'homme dans la société, il prend des allures et des moeurs féminines, recherche la compagnie des femmes. Toutefois on l'estime pour des motifs religieux. Il est probable que, en dehors des fêtes aussi, il sert aux goûts pédérastes des notables de la tribu.

Hammond a eu l'occasion d'examiner deux mujerados. L'un l'était devenu, sept ans auparavant, alors qu'il avait trente-cinq ans. Jusqu'à cette époque il avait été tout à fait viril et puissant. Peu à peu il constata une atrophie des testicules et du pénis. En même temps il perdait le libido et la faculté d'érection. Dans ses vêtements et son maintien il ne différait point des femmes parmi lesquelles Hammond l'a rencontré.

Les poils des parties génitales manquaient, le pénis était atrophié, le scrotum flasque, pendant, les testicules tout à fait atrophiés et à peine sensibles à une pression quelconque.

Le mujerado avait de grosses mamelles comme une femme enceinte et affirma qu'il avait déjà allaité plusieurs enfants dont la mère était morte.

Un deuxième mujerado âgé de trente ans, et étant depuis dix ans dans cet état, présentait les mêmes phénomènes; cependant ses mamelles étaient moins développées. Comme celle de l'autre, sa voix était d'un ton élevé, grêle, le corps était riche en tissu adipeux.

Troisième degré. Transition vers la metamorphosis sexualis paranoïca.

On arrive à un second degré de développement dans les cas où les sensations physiques se transforment aussi dans le sens d'une transmutatio sexus.

L'observation suivante est, à ce sujet, un cas véritablement unique.

OBSERVATION 99.--Autobiographie.--Né en Hongrie, en 1884, je fus, pendant de longues années, l'unique enfant de mes parents, mes soeurs et frères étant morts de faiblesse; ce n'est que tardivement qu'un frère vint au monde, frère qui vécut.

Je descends d'une famille dans laquelle les maladies psychiques et nerveuses étaient très fréquentes. Étant petit enfant, j'étais, comme on me l'assure, très joli, avec des cheveux blonds bouclés et une peau transparente; j'étais très docile, tranquille, modeste; on pouvait me mettre dans n'importe quelle société de dames sans que je gêne.

Doué d'une imagination très vive,--mon ennemie de toute ma vie,--mes talents se sont très rapidement développés. À l'âge de quatre ans, je savais lire et écrire; mes souvenirs remontent jusqu'à l'âge de trois ans. Je jouais avec tout ce qui me tombait entre les mains, soldats de plomb, cailloux et rubans pris dans en magasin d'articles d'enfants. Seul un appareil pour couper du bois, dont on m'avait fait cadeau, ne me plaisait pas. Je n'en voulais pas. J'aimais, par dessus tout, rester à la maison près de ma mère qui était tout pour moi. J'avais deux ou trois amis avec lesquels j'étais assez bien, mais j'aimais autant rester avec les soeurs de ces amis qui me traitaient toujours en fille, ce qui ne me gênait nullement.

J'étais en très bonne voie pour devenir tout à fait une fille, car je me rappelle encore très bien que souvent on me disait: «Cela ne convient pas à un garçon». Sur ce, je m'efforçais de faire le garçon, j'imitais tous mes camarades et je cherchais même à les surpasser en impétuosité, ce qui me réussissait; il n'y avait pour moi ni arbre, ni bâtiment assez haut pour ne pas grimper dessus. J'aimais beaucoup à jouer avec des soldats en plomb, j'évitais les filles, puisque je ne devais pas jouer avec leurs joujous et parce que, au fond, j'étais froissé de ce qu'elles me traitaient comme leur semblable.

Dans la compagnie des gens adultes je restais toujours modeste et j'étais bien vu. Souvent j'étais dans la nuit tourmenté par des rêves fantastiques de bêtes féroces, rêves qui me chassèrent une fois de mon lit sans que je me réveille. On m'habillait toujours simplement, mais très coquettement, et ainsi j'ai pris goût à être bien mis. Ce qui me paraît curieux, c'est que, même avant d'entrer à l'école, j'avais un penchant pour les gants de femme, et en secret j'en mettais toutes les fois que l'occasion se présentait. Aussi je protestai vivement un jour, parce que ma mère avait fait cadeau de ses gants à quelqu'un; je lui dis: «J'aurais préféré les garder pour moi-même.» On me railla beaucoup, et à partir de ce moment je me gardai bien soigneusement de faire voir ma prédilection pour les gants de femme.

Et pourtant ils faisaient ma joie. J'avais surtout un grand plaisir en voyant des toilettes de mascarade, c'est-à-dire des masques féminins; quand j'en voyais, j'enviais la porteuse de ce déguisement; je fus ravi de voir un jour deux messieurs superbement déguisés en dames blanches avec de très beaux masques de femmes; et pourtant, pour rien au monde, je ne me serais montré déguisé en fille, tant était grande ma crainte d'être tourné en ridicule. À l'école, je faisais preuve de la plus grande application, j'étais toujours au premier rang; mes parents m'ont, dès mon enfance, appris que le devoir passe avant tout, et ils m'en ont donné l'exemple; du reste aller en classe m'était un plaisir, car les instituteurs étaient doux et les plus grands élèves ne tourmentaient pas les petits. Un jour nous quittâmes ma première patrie, car mon père, à cause de ses occupations, fut obligé de se séparer pour un an de sa famille; nous allâmes nous fixer en Allemagne. Dans ce pays régnait une morgue brutale chez les instituteurs et aussi chez les élèves; je fus de nouveau raillé à cause de mes manières de petite fille.

Mes condisciples allèrent jusqu'à donner mon nom à une fille dont les traits ressemblaient aux miens et me donner le sien en échange, de sorte que je pris en haine cette fille pour laquelle j'ai eu de l'amitié plus tard, quand elle fut mariée. Ma mère continuait à m'habiller coquettement, et cela me déplaisait à cause des railleries que m'attirait ma mise. Je fus content le jour où je pus enfin mettre de vrais pantalons et des vestons, comme les hommes. Mais ce changement de mise amena de nouvelles peines. Les vêtements me gênaient aux parties génitales, surtout si le drap était un peu grossier, et l'attouchement du tailleur, lorsqu'il me prenait la mesure, m'était insupportable, à cause du chatouillement qui me faisait frissonner, surtout quand il touchait à mes parties génitales.

Or, je devais faire de la gymnastique et je ne pouvais pas exécuter tous les exercices, ou je faisais mal les exercices que les filles ne peuvent non plus exécuter avec facilité. Quand il fallait se baigner, j'étais gêné par la pudeur au moment de me déshabiller; cependant j'aimais à prendre un bain; jusqu'à l'âge de douze ans j'eus une grande faiblesse des reins. Je n'appris à nager que tard, mais ensuite j'arrivai à devenir un bon nageur, de sorte que je pouvais faire des tours de force. À l'âge de treize ans, j'avais des poils, j'avais environ six pieds de taille, mais ma figure resta féminine jusqu'à l'âge de dix-huit ans, lorsque la barbe commença à me pousser fortement; je fus enfin assuré de ne plus ressembler à une femme. Une hernie inguinale, contractée à l'âge de douze ans et guérie à l'âge de vingt ans, me gênait beaucoup, surtout quand je faisais de la gymnastique.

À partir de l'âge de douze ans, lorsque je restais longtemps assis et surtout lorsque je travaillais la nuit, il me venait une démangeaison, une brûlure, un tressaillement allant du pénis jusqu'au delà du sacrum, ce qui rendait difficile la station assise ou debout, chose qui s'accentuait quand j'avais chaud ou froid. Mais j'étais loin de me douter que cela pouvait avoir quelque rapport avec mes parties génitales. Comme aucun de mes amis n'en souffrait, cela me parut tout à fait étrange, et il me fallut toute ma patience pour supporter ce malaise, d'autant plus que les intestins me faisaient souvent souffrir.

J'étais encore tout à fait ignorant in sexualibus; mais à l'âge de douze à treize ans j'eus le sentiment bien prononcé que je préférais être femme. C'est leur corps qui me plaisait le plus, leur attitude tranquille, leur décence; leurs vêtements surtout me convenaient. Mais je me gardais bien d'en laisser transpirer un mot. Je sais toutefois pertinemment qu'à cette époque, je n'aurais pas craint le couteau du châtreur pour atteindre mon but. S'il m'eût fallu dire pourquoi j'aurais préféré être habillé en femme, je n'aurais pu dire autre chose que c'était une force impulsive qui m'attirait; peut-être en étais-je venu, à cause de la douceur peu fréquente de ma peau, à me figurer que j'étais une fille. Ma peau était surtout très sensible à la figure et aux mains.

J'étais très bien vu chez les filles; bien que j'eusse préféré être toujours avec elles, je les raillais quand je pouvais; j'ai dû exagérer pour ne pas paraître efféminé moi-même; mais au fond de mon coeur, j'enviais leur sort. Mon envie était grande surtout quand une amie portait une robe longue, et allait gantée et voilée. À l'âge de quinze ans, je fis un voyage; une jeune dame chez laquelle j'étais logé me proposa de me déguiser en femme et de sortir avec elle; comme elle n'était pas seule, je n'acceptai pas sa proposition, bien que j'en eusse grande envie.

Voilà combien peu de cas on faisait de moi. Dans ce voyage je vis avec plaisir que les garçons d'une ville portaient des blouses à manches courtes qui laissaient voir leurs bras nus. Une dame bien attiffée me semblait une déesse; si de sa main gantée elle me touchait, j'étais heureux et jaloux à la fois, tant j'aurais aimé être à sa place, revêtu de sa belle toilette. Pourtant je faisais mes études avec beaucoup d'application: en neuf ans, je faisais mes classes d'école royale et de Lycée, je passai un bon examen de baccalauréat. Je me rappelle, à l'âge de quinze ans, avoir exprimé pour la première fois à un ami le désir d'être fille; comme il me demandait pour quelle raison j'avais ce désir, je ne sus lui répondre. À l'âge de dix-sept ans, je tombai dans une société de gens dissolus; je buvais de la bière, je fumais, j'essayais de plaisanter avec des filles de brasserie; celles-ci aimaient à causer avec moi, mais elles me traitaient comme si j'avais porté aussi des jupons. Je ne pouvais pas fréquenter le cours de danse; aussitôt entré dans la salle, j'avais une impulsion qui m'en faisait partir. Ah! si j'avais pu y aller déguisé, c'eût été autre chose! J'aimais tendrement mes amis, mais j'en haïssais un qui m'avait poussé à l'onanisme. Jour de malheur, qui m'a porté préjudice toute ma vie! Je pratiquais l'onanisme assez fréquemment; et pendant cet acte, je me figurais être un homme dédoublé; je ne puis pas vous décrire le sentiment que j'éprouvais, je crois qu'il était viril, mais mélangé de sensations féminines.

Je ne pouvais m'approcher d'une fille; je craignais les filles et pourtant elles ne m'étaient point étrangères; mais elles m'en imposaient plus que les hommes; je les enviais; j'aurais renoncé à toutes les joies, si, après la classe, j'avais pu, rentré chez moi, être fille, et surtout si j'avais pu sortir comme telle; la crinoline, des gants serrés: tel était mon idéal.

Chaque fois que je voyais une toilette de dame, je me figurais comment je serais si j'en étais revêtu; je n'avais pas de désirs pour les hommes.

Je me rappelle, il est vrai, d'avoir été attaché avec assez de tendresse à un très bel ami, à figure de fille, avec des boucles noires, mais je crois n'avoir eu que le désir de nous voir filles tous les deux.

Étant étudiant à l'Université, je parvins une fois à faire le coït; hoc modo sensi, me libentius sub puella concubuisse et penem meum cum cunno mutatum maluisse. La fille, à son grand étonnement, dut me traiter en fille, ce qu'elle fit volontiers; elle me traita comme si j'avais eu à remplir son rôle. Elle était encore assez naïve et ne me ridiculisa pas pour cela.

Étant étudiant, j'étais par moments sauvage, mais je sentais bien que j'avais pris cet air sauvage pour masquer et déguiser mon vrai caractère; je buvais, je me battais, mais je ne pouvais toujours pas fréquenter la leçon de danse, craignant de me trahir. Mes amitiés étaient intimes, mais sans arrière-pensées; ce qui me causait la plus grande joie, c'était quand un ami se déguisait en femme, ou quand je pouvais, dans un bal, examiner les toilettes des dames; je m'y connaissais très bien, et je commençais à me sentir de plus en plus femme.

À cause de cette situation malheureuse, je fis deux tentatives de suicide; je suis resté une fois sans raison pendant quinze jours sans sommeil; j'avais alors beaucoup d'hallucinations visuelles et auditives à la fois; je parlais avec les morts et les vivants, ce qui m'arrive encore aujourd'hui.

J'avais une amie qui connaissait mes préférences; elle mettait souvent mes gants, mais elle aussi me considérait comme si j'étais une fille. Ainsi j'arrivais à mieux comprendre les femmes qu'aucun autre homme; mais du moment que les femmes s'en apercevaient, elles me traitaient aussitôt more feminarum, comme si elles n'avaient rencontré en moi qu'une nouvelle amie. Je ne pouvais plus supporter du tout qu'on tînt des propos pornographiques devant moi, et, quand je le faisais moi-même, ce n'était que par fanfaronnade. Je surmontai bientôt le dégoût que j'avais, au début de mes études médicales, pour le sang et les mauvaises odeurs, mais il y avait des choses que je ne pouvais regarder sans horreur. Ce qui me manquait, c'est que je ne pouvais voir clair dans mon âme; je savais que j'avais des penchants féminins, et je croyais pourtant être un homme. Mais je doute qu'en dehors de mes tentatives de coït, qui ne m'ont jamais fait plaisir (ce que j'attribue à l'onanisme), j'aie jamais admiré une femme sans avoir senti le désir d'être femme moi-même ou sans me demander si je voudrais l'être, si je voudrais paraître dans sa toilette. J'ai toujours eu--aujourd'hui encore--un sentiment de frayeur à surmonter pour l'art d'accoucher, qu'il m'était très difficile d'apprendre--(j'avais honte pour ces filles étalées, et je les plaignais). Ce qui plus est, il me semblait quelquefois sentir avec la malade les tractions. Je fus dans plusieurs endroits employé avec succès comme médecin; j'ai pris part à une campagne comme médecin volontaire. Il m'était difficile de faire des courses à cheval; l'art équestre m'était déjà pénible lorsque j'étais encore étudiant, car les parties génitales me transmettaient des sensations féminines (monter à cheval à la mode des femmes m'eût été peut-être plus facile).

Je croyais toujours être un homme aux sentiments obscurs; quand je me trouvais avec des femmes, j'étais toujours traité comme une femme déguisée en militaire. Quand, pour la première fois, j'endossai mon uniforme, j'aurais préféré m'affubler d'un costume de femme et d'un voile. Je me sentais troublé toutes les fois qu'on regardait ma taille imposante et ma tenue militaire. Dans la clientèle privée, j'eus beaucoup de succès, dans les trois branches principales de la science médicale; je pris ensuite part à une seconde campagne. Là mon naturel me servit beaucoup, car je crois que, depuis le premier âne qui ait vu le jour, aucun animal gris n'eut autant d'épreuves de patience à traverser que moi. Les décorations ne manquèrent point; mais elles me laissaient absolument froid.

Ainsi je gagnais ma vie aussi bien que je pouvais; mais je n'étais jamais content de moi; j'étais pris souvent entre la sentimentalité et la sauvagerie, mais cette dernière n'était que pure affectation.

Je me trouvai dans une situation bien étrange, quand je fus fiancé. J'aurais préféré ne pas me marier du tout, mais des affaires de famille et les intérêts de ma profession médicale m'y forcèrent. J'épousai une femme aimable et énergique, sortie d'une famille où, de tout temps, les femmes avaient porté la culotte. J'étais amoureux d'elle, autant qu'un homme comme moi pouvait l'être, car ce que j'aime, je l'aime de tout mon coeur et je me livre entièrement, bien que je ne paraisse pas aussi pétulant qu'un homme complet; j'aimais ma fiancée avec toute l'ardeur féminine, presque comme on aime son fiancé. Seulement je ne m'avouai pas ce caractère de mes sentiments, car je croyais toujours être un homme, très déprimé il est vrai, mais qui, par le mariage, finirait par se remettre et par se retrouver. Dès la nuit nuptiale je sentis que je ne fonctionnais que comme une femme douée d'une conformation masculine; sub femina locum meum esse mihi visum est. Nous vécûmes ensemble contents et heureux et restâmes pendant quelques années sans enfants. Après une grossesse pleine de malaises, pendant laquelle j'étais dans un pays ennemi, en face de la mort, ma femme, dans un accouchement difficile, mit au monde un petit garçon qui, jusqu'à aujourd'hui, a gardé un naturel mélancolique et qui est toujours d'humeur triste; il en vint un second qui est très calme, un troisième très espiègle, un quatrième, un cinquième; mais tous ont déjà des dispositions à la neurasthénie. Comme je ne pouvais jamais rester en place, je fréquentais beaucoup les compagnies gaies, mais je travaillais toujours de toutes mes forces; j'étudiais, je faisais des opérations chirurgicales, des expériences sur les remèdes et les méthodes de traitement, j'expérimentais aussi sur mon propre corps. Je laissai à ma femme le gouvernement du ménage, car elle s'entendait très bien à diriger la maison. J'accomplissais mes devoirs conjugaux aussi bien que je le pouvais, mais sans en éprouver aucune satisfaction. Dès le premier coït et même aujourd'hui, la position de l'homme pendant l'acte me répugne, et il m'a été difficile de m'y conformer. J'aurais de beaucoup préféré l'autre rôle. Quand je devais accoucher ma femme, cela me fendait toujours le coeur, car je savais trop bien comprendre ses douleurs. Nous vécûmes longtemps ensemble jusqu'à ce qu'un grave accès de goutte me força à aller dans plusieurs stations thermales et me rendit neurasthénique. En même temps je devins tellement anémique, que j'étais obligé, tous les deux mois, de prendre du fer pendant quelque temps, autrement j'aurais été chlorotique ou hystérique ou tous les deux à la fois. La sténocardie me tourmentait souvent; alors j'avais des crampes semi-latérales au menton, au nez, au cou, à la gorge, de l'hémicranie, des crampes du diaphragme et des muscles de la poitrine; pendant trois ans environ, je sentis ma prostate comme grossie, avec sensation d'expulsion, comme si j'avais dû accoucher de quelque chose, des douleurs dans les reins, des douleurs permanentes au sacrum, etc.; mais je me défendais avec la rage du désespoir contre ces malaises féminins ou qui me paraissaient féminins, lorsque, il y a trois ans, un accès d'arthritis m'a complètement brisé.

Avant que ce terrible accès de goutte eût lieu, j'avais, dans mon désespoir et pour la combattre, pris des bains chauds autant que possible à la température du corps. Il arriva alors un jour que je me sentis tout à coup changé et près de la mort; je sautai hors du bassin d'un dernier effort, mais je m'étais senti femme avec des désirs de femme. Ensuite quand l'extrait de cannabis indica fut mis en usage et fut même vanté, j'en pris, contre un accès de goutte et aussi contre mon indifférence pour la vie, une dose peut-être trois ou quatre fois plus forte que celle d'usage; j'eus alors un empoisonnement par le haschisch qui m'a presque coûté la vie. Il se produisit des accès de rire, un sentiment de forces physiques et de vitesse extraordinaires, une sensation étrange dans le cerveau et les yeux: des milliers d'étincelles, un tremblement; je sentais mon cerveau à travers la peau; je pouvais encore arriver à parler; tout d'un coup je me vis femme du bout des pieds jusqu'à la poitrine; je sentis, comme auparavant dans le bain, que mes parties génitales s'étaient retirées dans l'intérieur de mon corps, que mon bassin s'élargissait, que les mamelles poussaient sur ma poitrine, et une volupté indicible s'empara de moi. Je fermai alors les yeux pour ne pas voir changer ma figure. Mon médecin, pendant ce temps, me semblait avoir, au lieu d'une tête, une énorme pomme de terre entre les épaules, et ma femme, une pleine lune en guise de tête. Et pourtant, quand ils eurent tous les deux quitté la chambre, j'eus encore la force d'inscrire ma dernière volonté sur mon calepin.

Mais qui dépeindra ma terreur quand, le lendemain matin, je me réveillai en me sentant tout à fait transformé en femme, en m'apercevant, lorsque je marchais ou que j'étais debout, que j'avais une vulve et des seins.

En sortant du lit, je sentis que toute une métamorphose s'était produite en moi. Déjà, pendant ma maladie, quelqu'un qui était venu nous voir avait dit: «Pour un homme il est bien patient.» Ce visiteur me fit cadeau d'un pot de roses, ce qui m'étonna et me fit pourtant plaisir. À partir de ce moment je fus patient, je ne voulais plus rien enlever d'assaut; mais je devins tenace et têtu comme un chat, en même temps doux, conciliant, pas vindicatif; en un mot, j'étais devenu femme de caractère. Pendant ma dernière maladie j'eus beaucoup d'hallucinations de la vue et de l'ouïe, je parlais avec les morts, etc.; je voyais et j'entendais les spiritus familiares; je me croyais un être double; sur mon grabat je ne m'apercevais pas encore que l'homme en moi était mort. Le changement de mon humeur fut une chance pour moi, car un revers de fortune me frappa alors, revers qui, dans d'autres conditions, m'aurait donné la mort, mais que j'acceptai alors avec résignation, au point que je ne me reconnaissais plus moi-même. Comme je confondais encore assez souvent avec la goutte les phénomènes de la neurasthénie, je prenais beaucoup de bains jusqu'à ce qu'une démangeaison de la peau, comme si j'avais la gale, se développât à la suite de ces bains qui auraient dû l'atténuer: je renonçai à toute la thérapeutique externe--(j'étais de plus en plus anémié par les bains). Je commençai à m'entraîner autant que je pouvais. Mais l'idée obsédante que j'étais femme, subsistait et devint si forte qu'aujourd'hui je ne porte que le masque d'un homme; pour le reste, je me sens femme à tous les points de vue et dans toutes mes parties; pour le moment, j'ai même perdu le souvenir de l'ancien temps.

Ce que la goutte avait laissé intact fut achevé complètement par l'influenza.

État présent.--Je suis grand; cheveux très clairsemés; ma barbe commence à grisonner; mon maintien commence à être courbé; depuis l'influenza, j'ai perdu environ un quart de ma force physique. La figure a un peu rougi par suite de troubles circulatoires; je porte ma barbe entière; conjonctivite chronique; plutôt musculeux que gras; au pied gauche apparaissent des veines variqueuses, il s'engourdit souvent, n'est pas encore enflé d'une manière perceptible, mais paraît devoir le devenir.

Le ventre a la forme d'un ventre féminin, les jambes ont la position qu'elles ont chez les femmes, les mollets sont comme chez ces dernières; il en est de même des bras et des mains. Je peux porter des bas de femmes et des gants 7 3/4 à 7 1/2; de même je porte sans être gêné un corset. Mon poids varie entre 168 et 184 livres. Urine sans albumine, sans sucre, mais contient de l'acide urique d'une façon anormale; elle est très claire, presque comme de l'eau, toutes les fois que j'ai eu une grande émotion. Les selles sont régulières, mais, quand elles ne le sont pas, j'éprouve tous les malaises de la constipation de la femme. Je dors mal, souvent pendant des semaines entières; mon sommeil ne dure que deux ou trois heures. L'appétit est assez bon, mais mon estomac ne supporte pas plus que celui d'une forte femme, et réagit contre les plats pimentés par un exanthème de la peau et des sensations de brûlure dans le canal uréthral. La peau est blanche, très lisse; la démangeaison insupportable qui m'a tourmenté depuis deux ans, s'est atténuée ces semaines dernières et ne se manifeste plus qu'à la jointure des genoux et au scrotum.

Disposition aux sueurs; autrefois presque pas de transpirations; maintenant j'ai toutes les nuances des mauvaises transpirations féminines, surtout dans le bas du corps, de sorte que je suis obligé de me tenir encore plus propre qu'une femme. Je mets des parfums dans mon mouchoir, je me sers de savons parfumés et d'eau de Cologne.

État général.--Je me sens comme une femme ayant la forme d'un homme; bien que je sente encore une conformation d'homme en moi, le membre viril me paraît une chose féminine; ainsi, par exemple, le pénis me paraît un clitoris, l'urèthre un vagin et l'entrée vaginale; en le touchant, je sens toujours quelque chose de moite, quand même il serait aussi sec que possible; le scrotum me paraît des grandes lèvres, en un mot je sens toujours une vulve et seul celui qui a éprouvé cette sensation, saurait dire ce qu'elle est. La peau de tout mon corps me semble féminine; elle perçoit toutes les impressions, soit les attouchements, soit la chaleur, soit les effets contraires, comme une femme, et j'ai les sensations d'une femme; je ne peux pas sortir les mains dégantées, car la chaleur et le froid me font également mal; quand la saison où il est permis même aux messieurs de porter des ombrelles est passée, je suis en grande peine à l'idée que la peau de ma figure pourrait souffrir jusqu'à la prochaine saison. Le matin, en me réveillant, il se produit pendant quelques minutes un crépuscule dans mon esprit, comme si je me cherchais moi-même; alors se réveille l'idée obsédante d'être femme; je sens l'existence d'une vulve et salue le jour par un soupir plus ou moins fort, car j'ai peur déjà d'être obligé de jouer la comédie toute la journée. Ce n'est pas une petite affaire que de se sentir femme et pourtant d'être obligé d'agir en homme. J'ai dû tout étudier de nouveau, les lancettes, les bistouris, les appareils. Car depuis trois ans je ne touche plus à ces objets de la même façon qu'auparavant; mes sensations musculaires ayant changé, j'ai dû tout apprendre de nouveau. Cela m'a réussi; seul le maniement de la scie et du ciseau à os me donne encore des difficultés; c'est presque comme si ma force physique n'y suffisait plus. Par contre, j'ai plus d'adresse au travail de la curette dans les parties molles; ce qui me répugne, c'est qu'en examinant des dames, j'ai souvent les mêmes sensations qu'elles, ce qui d'ailleurs ne leur semble pas étrange. Le plus désagréable pour moi, c'est quand je ressens avec une femme grosse les sensations causées par les mouvements de l'enfant. Pendant quelque temps, et parfois durant des mois, je suis tourmenté par les liseurs de pensées des deux sexes; du côté des femmes je supporte encore qu'on cherche à scruter mes pensées, mais de la part des hommes cela me répugne absolument. Il y a trois ans je ne me rendais pas encore clairement compte que je regarde le monde avec des yeux de femme; cette métamorphose d'impression optique m'est venue subitement sous forme d'un violent mal de tête. J'étais chez une dame atteinte d'inversion sexuelle; alors je la vis tout d'un coup toute changée, comme je m'en rends compte maintenant, c'est-à-dire que je la voyais en homme et par contre, moi en femme, de sorte que je la quittai avec une excitation mal dissimulée. Cette dame n'avait pas encore une conscience nette de son état.

Depuis, tous mes sens ont des perceptions féminines, de même que leurs rapports. Après le système cérébral ce fut presque immédiatement le système végétatif, du sorte que tous mes malaises se manifestent sous une forme féminine. La sensibilité des nerfs, surtout celle des nerfs auditif, optique et trijumeau, s'est accrue jusqu'à la névrose. Quand une fenêtre se ferme avec bruit, j'ai un soubresaut, un soubresaut intérieur, car pareille chose n'est pas permise à un homme. Si un mets n'est pas frais, j'ai immédiatement une odeur de cadavre dans le nez. Je n'aurais jamais cru que les douleurs causées par le trijumeau sautent avec tant de caprice d'une branche à l'autre, d'une dent dans l'oeil.

Depuis ma métamorphose, je supporte avec plus de calme les maux de dents et la migraine; j'éprouve aussi moins d'angoisse de la sténocardie. Une observation qui me semble bien curieuse, c'est que maintenant je me sens devenu un être timide et faible, et qu'au moment d'un danger imminent j'ai plus de sang-froid et de calme, de même dans les opérations très difficiles. Mon estomac se venge du moindre croc-en-jambe donné au régime--(régime de femme)--d'une manière inexorable, par des malaises féminins, soit par des éructations, soit par d'autres sensations.

C'est surtout l'abus de l'alcool qui se fait sentir; le mal aux cheveux chez un homme qui se sent femme est bien plus atroce que le plus formidable mal de cheveux que jamais un étudiant ait pu ressentir après ses libations. Il me semble presque que, quand on se sent femme, on est tout à fait sous le règne du système végétatif.

Quelque petits que soient les bouts de mes seins, il leur faut de la place, et je les sens comme s'ils étaient des mamelles; déjà au moment de la puberté mes seins ont gonflé et m'ont fait du mal; voilà pourquoi une chemise blanche, un gilet, un veston me gênent. Je sens mon bassin comme s'il était féminin, de même du derrière et des nates; au début j'étais troublé aussi par l'idée féminine de mon ventre qui ne voulait pas entrer dans les pantalons; maintenant ce sentiment de féminité du ventre persiste. J'ai aussi l'idée obsédante d'une taille féminine. Il me semble qu'on m'a dérobé ma peau pour me mettre dans celle d'une femme, une peau qui se prête à tout, mais qui sent tout comme si elle était d'une femme, qui fait pénétrer tous ses sentiments dans le corps masculin renfermé sous cette enveloppe et en chasse les sentiments masculins. Les testicules, bien qu'ils ne soient ni atrophiés ni dégénérés, ne sont plus de vrais testicules; ils me causent souvent de la douleur par une sorte d'impression qu'ils devraient rentrer dans la ventre et y rester; leur mobilité me tourmente souvent.

Toutes les quatre semaines, à l'époque de la pleine lune, j'ai, pendant cinq jours, tous les signes du molimen, comme une femme, au point de vue physique et intellectuel, à cette exception près que je ne saigne pas, tandis que j'éprouve une sensation comme s'il y avait écoulement de liquide et comme si les parties génitales et le bas-ventre étaient gonflés; c'est une période très agréable, surtout si, quelques jours après ces phénomènes, se manifeste le sentiment physiologique et le besoin d'accouplement avec toute la force dont il pénètre la femme à ces moments; le corps entier est alors saturé de ce sentiment, de même qu'un morceau de sucre mouillé ou une éponge sont imbibés d'eau; alors on devient avant tout une femme qui a besoin d'aimer, et on n'est plus homme qu'en seconde ligne. Ce besoin est, il me semble, plutôt une langueur de concevoir que de coïter. L'immense instinct naturel ou plutôt la lubricité féminine refoule, dans ce cas, la pudeur, de sorte qu'on désire indirectement le coït. Comme homme, je n'ai désiré le coït que tout au plus trois fois dans ma vie, si toutefois c'était cela; les autres fois j'étais indifférent. Mais dans ces trois dernières années, je le désire d'une manière passive, en femme, et quelquefois avec la sensation d'éjaculation féminine; je me sens alors toujours accouplé et fatigué comme une femme; quelquefois je suis, après l'acte, un peu indisposé, ce que l'homme n'éprouve jamais. Plusieurs fois il m'a fait tant de plaisir que je ne puis comparer à rien cette jouissance; c'est tout simplement le plus grand bonheur de ce monde, une puissante sensation pour laquelle on est capable de sacrifier tout; dans un moment pareil, la femme n'est qu'une vulve qui a englouti toute l'individualité.

Depuis trois ans, je n'ai pas perdu un seul moment le sentiment que je suis femme. Grâce à l'habitude prise, ce sentiment m'est moins pénible maintenant, bien que je sente depuis cette époque ma valeur diminuée; car se sentir femme sans désirer la jouissance, cela peut se supporter, même par un homme, mais quand les besoins se font sentir, alors toute plaisanterie cesse; j'éprouve une sensation cuisante, de la chaleur, le sentiment de turgescence dans les parties génitales. (Quand le pénis n'est pas érigé, les parties génitales ne sont plus dans leur rôle.) Avec cette forte impulsion, la sensation de turgescence du vagin et de la vulve est terrible; c'est une torture d'enfer de la volupté, à peine peut-on la supporter. Quand, dans cet état, j'ai l'occasion d'accomplir le coït, cela me soulage un peu; mais ce coït, puisqu'il n'y a pas conception suffisante, ne me donne pas une satisfaction complète; la conscience de la stérilité se fait alors sentir avec toute sa dépression humiliante; on se voit presque dans le rôle d'une prostituée. La raison n'y peut rien faire; l'idée obsédante de la féminité domine et force tout. On comprend facilement combien il est dur de travailler à son métier dans un pareil état; mais on peut s'y mettre en se violentant. Il est vrai qu'alors il est presque impossible de rester assis, de marcher, d'être couché; du moins on ne peut supporter longtemps aucune de ces trois positions; au surplus, il y a le contact continuel du pantalon, etc. C'est insupportable.

Le mariage fait alors, en dehors du moment du coït où l'homme doit se sentir comme couvert, l'effet de la cohabitation de deux femmes dont l'une se sent déguisée en homme. Quand le molimen périodique ne se manifeste pas, on éprouve le sentiment de la grossesse ou de la saturation sexuelle, qu'ordinairement l'homme ne connaît pas, mais qui accapare toute l'individualité aussi bien que chez la femme, à cette différence près qu'il est désagréable, de sorte qu'on aimerait mieux supporter le molimen régulier. Quand il se produit des rêves ou des idées érotiques, on se voit dans la forme qu'on aurait si l'on était femme; on voit des membres en érection qui se présentent, et comme par derrière aussi on se sent femme, il ne serait pas difficile de devenir cynède; seule l'interdiction positive de la religion nous en empêche, toutes les autres considérations s'évanouiraient.

Comme de pareils états doivent forcément répugner à tout le monde, on désire être de sexe neutre ou pouvoir se faire neutraliser. Si j'étais encore célibataire, il y a longtemps que je me serais débarrassé de mes testicules avec le scrotum et le pénis.

À quoi sert la sensation de jouissance féminine, quand on ne conçoit pas? À quoi bon les émotions de l'amour féminin quand pour les satisfaire on n'a à sa disposition qu'une femme, bien qu'elle nous fasse sentir comme homme l'accouplement?

Quelle honte terrible nous cause l'odeur féminine! Combien l'homme est abaissé par la joie que lui causent les robes et les bijoux! Dans sa métamorphose, quand même il ne pourrait plus se souvenir de son ancien instinct génital masculin, il voudrait n'être pas forcé de se sentir femme; il sait très bien qu'il y eut une époque où il ne sentait pas toujours sexuellement qu'il était simplement un homme sans sexe. Et voilà que tout d'un coup il doit considérer toute son individualité comme un masque, se sentir toujours femme et n'avoir de changement que toutes les quatre semaines, quand il a ses malaises périodiques et entre temps sa lubricité féminine qu'il ne peut pas satisfaire! S'il lui était permis de s'éveiller sans être obligé de se sentir immédiatement femme! À la fin il languit après le moment où il pourra lever son masque; le moment n'arrive pas. Il ne peut trouver un soulagement à sa misère que lorsqu'il peut revêtir en partie le caractère féminin, en mettant un bijou, une jupe; car il ne peut pas sortir habillé en femme; ce n'est pas une petite tâche que de remplir ses devoirs professionnels pendant qu'on se sent comme une actrice déguisée en homme, et qu'on ne sait pas où tout cela doit aboutir. La religion seule nous préserve d'une grande faute, mais elle n'empêche pas les peines que l'individu qui se sent femme éprouve quand la tentation s'approche de lui comme d'une vraie femme, et quand il est comme celle-ci forcé de l'éprouver et de la traverser. Quand un homme de haute considération, qui jouit dans le public d'une rare confiance, est obligé de lutter contre une vulve imaginaire; quand on rentre après un dur travail et qu'on est forcé d'examiner la toilette de la première dame venue, de la critiquer avec des yeux de femme, de lire dans sa figure ses pensées, quand un journal de mode--(je les aimais déjà étant enfant)--nous intéresse autant qu'un ouvrage scientifique! Quand on est obligé de cacher son état à sa femme dont on devine les pensées, parce qu'on est aussi femme, tandis qu'elle a nettement deviné qu'on s'est transformé d'âme et de corps! Et les tourments que nous causent les combats que nous avons à soutenir pour surmonter la mollesse féminine! On réussit quelquefois, surtout quand on est en congé seul, à vivre quelque temps en femme, par exemple à porter, notamment la nuit, des vêtements de femme, de garder ses gants, de prendre un voile ou un masque pendant qu'on est dans sa chambre; on réussit alors à avoir un peu de tranquillité du côté du libido, mais le caractère féminin qui s'est implanté exige impétueusement qu'il soit reconnu. Souvent il se contente d'une modeste concession, telle que, par exemple, un bracelet mis au-dessous de la manchette, mais il exige inexorablement une concession quelconque.

Le seul bonheur est de pouvoir sans honte se voir costumé en femme, avec la figure couverte d'un voile ou d'un masque: ce n'est qu'alors qu'on se croit dans son état naturel. On a alors, comme une «oie éprise de la mode», du goût pour ce qui est en vogue, tellement on est transformé. Il faut beaucoup de temps et beaucoup d'efforts pour s'habituer à l'idée, d'un côté, de ne sentir que comme une femme, et de l'autre de garder comme une réminiscence de ses anciennes manières de voir, afin de pouvoir se montrer comme homme devant le monde.

Pourtant il arrive par-ci par-là qu'un sentiment féminin vous échappe, soit qu'on dise qu'on éprouve in sexualibus telle ou telle chose, qu'un être qui n'est pas femme ne peut pas savoir, ou qu'on se trahisse par hasard en se montrant trop au courant des affaires de la toilette féminine. Si pareille chose arrive devant les femmes, il n'y a là aucun inconvénient; une femme se sent toujours flattée quand on montre beaucoup d'intérêt pour ce qui la touche et qu'on s'y connaît bien; seulement il ne faut pas que cela se produise devant sa propre épouse. Combien je fus effrayé un jour que ma femme disait à une amie que j'avais un goût très distingué pour les articles de dames! Combien fut surprise une dame à la mode et très orgueilleuse qui voulait donner une fausse éducation à sa fille, lorsque je lui analysai en paroles et par écrit tous les sentiments et toutes les sensations d'une femme! (Je fis un mensonge en lui alléguant que j'avais puisé dans des lettres ces connaissances d'un caractère si intime.) Maintenant cette dame a une grande confiance en moi, et l'enfant qui était sur le point de devenir folle, est restée sensée et très gaie. Elle m'avait confessé, comme si c'étaient des péchés, toutes les manifestations des sentiments féminins; maintenant elle sait ce qu'elle doit supporter comme fille, ce qu'elle doit maîtriser par sa volonté et par dévouement religieux: elle se sent comme un être humain. Les deux dames riraient beaucoup, si elles savaient que je n'ai puisé que dans ma propre et triste expérience. Je dois ajouter encore que, depuis, j'ai une sensibilité beaucoup plus vive pour la température; à cela s'est joint encore le sentiment, inconnu auparavant, d'avoir la peau élastique et de comprendre ce que les malades éprouvent dans la dilatation des intestins. Mais, d'autre part, quand je dissèque un corps ou fais une opération, les liquides pénètrent plus facilement ma peau. Chaque dissection me cause de la douleur; chaque examen d'une femme ou d'une prostituée avec fluor ou odeur de crevette, etc., m'agace horriblement. Je suis maintenant très accessible à l'influence de l'antipathie et de la sympathie, qui se manifestent même par suite de l'effet de certaines couleurs aussi bien que par l'impression totale qu'un individu me fait. Les femmes devinent par un coup d'oeil l'état sexuel de leurs semblables; voilà pourquoi les femmes portent un voile, bien qu'elles ne le baissent pas toujours, et pourquoi elles se mettent des odeurs, ne fût-ce que dans les mouchoirs ou dans les gants, car leur acuité olfactive en présence de leur propre sexe est énorme. En général, les odeurs ont une influence incroyable sur l'organisme féminin; ainsi, par exemple, je suis calmé par l'odeur de la rose ou de la violette; d'autres odeurs me donnent la nausée; l'ylang-ylang me cause tant d'excitation sexuelle que je ne puis plus y tenir. Le contact avec une femme me paraît homogène; le coït avec ma femme ne m'est possible que si elle est un peu plus virile, a la peau plus dure; et pourtant c'est plutôt un amor lesbicus.

Du reste, je me sens toujours passif. Souvent la nuit, quand je ne puis pas dormir à cause de l'excitation, j'y arrive pourtant, si femora mea distensa habeo, sicut mulier cum viro concumbens, ou en me couchant sur un côté; mais alors il ne faut pas qu'un bras ou une pièce de literie vienne toucher à mes seins, sinon c'en est fait du sommeil. Il ne faut pas non plus que rien me pèse ou presse sur le ventre. Je dors mieux quand je mets une chemise de femme et une camisole de nuit de dame, ou quand je garde mes gants, car la nuit j'ai très facilement froid aux mains; je me trouve aussi très bien en pantalons de femme et en jupes, car alors les parties génitales ne sont pas serrées. J'aime, plus que toutes les autres, les toilettes de l'époque de la crinoline. Les vêtements de femme ne gênent nullement l'homme qui se sent femme; il les considère comme lui appartenant et ne les sent pas comme des objets étrangers. La société que je préfère à toutes, est celle d'une dame qui souffre de neurasthénie, et qui, depuis son dernier accouchement, se sent homme, mais qui, depuis que je lui ai fait des allusions à ce sujet, se résigne à son sort, coïtu abstinet, ce qui ne m'est pas permis, à moi, homme. Cette femme m'aide, par son exemple, à supporter mon sort. Elle se rappelle encore bien clairement ses sentiments féminins, et elle m'a donné maints bons conseils. Si elle était homme et moi jeune fille, j'essaierais de faire sa conquête; je voudrais bien qu'elle me traite en femme. Mais sa photographie récente diffère tout à fait de ses anciennes photographies: c'est maintenant un monsieur, très élégamment costumé, malgré les seins, la coiffure, etc.; aussi a-t-elle le parler bref et précis, elle ne se plaît plus aux choses qui font ma joie. Elle a une sorte de sentimentalité mélancolique, mais elle supporte son sort avec résignation et dignité, ne trouve de consolation que dans la religion et l'accomplissement de ses devoirs; à la période des menstrues elle souffre à en mourir; elle n'aime plus la compagnie des femmes, ni leurs conversations, de même qu'elle n'aime plus les choses sucrées.

Un de mes amis de jeunesse se sent, depuis son enfance, comme fille; mais il a de l'affection pour le sexe masculin; chez sa soeur, c'était le contraire; mais lorsque l'utérus réclama ses droits quand même et qu'elle se vit femme aimante malgré son caractère viril, elle trancha la difficulté en se suicidant.

Voici quels sont les changements principaux que j'ai constatés chez moi depuis que mon effémination est devenue complète:

1º Le sentiment continuel d'être femme des pieds à la tête;

2º Le sentiment continuel d'avoir des parties génitales féminines;

3º La périodicité du molimen toutes les quatre semaines;

4º De la lubricité féminine qui se manifeste périodiquement, mais sans que j'aie une préférence pour un homme quelconque;

5º Sensation féminine passive pendant l'acte du coït;

6º Ensuite sensation de la partie qui a été futuée;

7º Sentiment féminin en présence des images qui représentent le coït;

8º Sentiment de solidarité à l'aspect des femmes et intérêt féminin pour elles;

9º Intérêt féminin à l'aspect des messieurs;

10º Il en est de même à la vue des enfants;

11º Humeur changée,--une plus grande patience;

12º Enfin, résignation à mon sort, résignation que, il est vrai, je ne dois qu'à la religion positive, sans cela je me serais déjà suicidé, il y a longtemps.

Car il n'est guère supportable d'être homme et d'être forcé de sentir que chaque femme est futuée comme elle désire l'être.

L'autobiographie très précieuse pour la science qu'on vient de lire était accompagnée de la lettre suivante, qui ne manque pas non plus d'intérêt.

Je dois, tout d'abord, vous demander pardon de vous importuner par ma lettre; j'avais perdu tout appui et je me considérais comme un monstre qui m'inspirais du dégoût à moi-même. Alors la lecture de vos écrits m'a rempli d'un nouveau courage, et j'ai décidé d'aller au fond de la chose, de jeter un coup d'oeil rétrospectif sur ma vie, quoi qu'il en arrive. Or, j'ai considéré comme un devoir de reconnaissance envers vous de vous communiquer le résultat de mes souvenirs et de mes observations, car je n'ai trouvé cité dans votre ouvrage aucun cas analogue au mien. Enfin j'ai pensé aussi qu'il pourrait vous intéresser d'apprendre par la plume d'un médecin quelles sont les pensées et les sensations d'un être humain masculin complètement manqué et se trouvant sous l'obsession d'être femme.

Peut-être tout cela ne s'accorde pas; mais je n'ai plus la force de faire d'autres réflexions, et je ne veux pas approfondir davantage cette matière. Bien des choses sont répétées, mais je vous prie de bien songer qu'on peut avoir des défaillances dans un rôle dont le déguisement vous a été imposé malgré vous.

J'espère, après avoir lu vos ouvrages, que, en continuant à remplir mes devoirs comme médecin, citoyen, père et époux, je pourrai toujours me compter au nombre de ceux qui ne méritent pas d'être méprisés entièrement.

Enfin j'ai tenu à vous présenter le résultat de mes souvenirs et de mes méditations, afin de prouver qu'on peut être médecin malgré la nature féminine de ses pensées et de ses sentiments. Je crois que c'est un grand tort de fermer à la femme la carrière médicale; une femme découvre, grâce à son instinct, les signes de certains maux que l'homme scruta dans l'obscurité, en dépit de tout diagnostic; en tout cas, il en est ainsi lorsqu'il s'agit de maladies de femmes et d'enfants. Si on pouvait le faire, chaque médecin devrait être forcé de faire un stage de trois mois comme femme; il comprendrait et estimerait alors mieux cette partie de l'humanité d'où il est sorti; il saurait alors apprécier la grandeur d'âme des femmes et, d'autre part, la dureté de leur sort.

Epicrise.--Le malade, très chargé, est originairement anormal au point de vue psycho-sexuel; car pendant l'acte sexuel il a une sensation féminine caractéristique. Cette sensation anormale demeura purement une anomalie psychique jusqu'à il y a trois ans, anomalie basée sur une neurasthénie grave, et puissamment accentuée par des sensations physiques dans le sens d'une transmutatio sexualis, sensations suggérées par obsession à sa conscience. Le malade, à sa grande frayeur, se sent alors aussi physiquement femme et, sous le coup de l'idée obsédante d'être femme, il croit éprouver une métamorphose complète de ses pensées, de ses sentiments et de ses aspirations d'autrefois, et même de sa vita sexualis dans le sens d'une éviration. Toutefois son «moi» est capable de conserver son empire sur ces processus morbides de l'âme et du corps, et de se sauver de la paranoia. Voilà un exemple remarquable de sensations, d'idées obsédantes basées sur des tares nerveuses, un cas d'une grande valeur pour arriver à étudier comment la transformation psycho-sexuelle a pu s'accomplir.

Quatrième degré. Métamorphose sexuelle paranoïque.

Le dernier degré possible dans le processus de la maladie est la monomanie de la métamorphose sexuelle. Elle se développe sur la base d'une neurasthénie sexuelle qui dégénère en neurasthenia universalis dans le sens d'une maladie psychique, la paranoia.

Les observations nous montrent le développement intéressant du processus névrotico-psychologique jusqu'à son point culminant.

OBSERVATION 100.--K..., trente-six ans, célibataire, domestique agricole, reçu à la clinique le 20 février 1889, présente un cas typique de neurasthenia sexualis, dégénérée en paranoïa persecutoria avec hallucinations olfactives, sensations, etc.

Il est issu d'une famille chargée. Plusieurs de ses soeurs et frères étaient psychopathes. Le malade a un crâne hydrocéphale, enfoncé au niveau de la fontanelle droite; l'oeil est névropathique. De tout temps, le malade eut de grands besoins sexuels; il s'est adonné à l'âge de onze ans à la masturbation; il a fait le coït à l'âge de vingt-trois ans; il a procréé trois enfants illégitimes et a cessé ensuite tout rapport sexuel de peur de faire encore des enfants et d'être trop chargé de pensions alimentaires. L'abstinence lui était très pénible; il renonça aussi à la masturbation et eut à la suite des pollutions abondantes. Il y a un an et demi, il est devenu sexuellement neurasthénique; il avait alors aussi des pollutions diurnes; il fut très affaibli et déprimé; cet état de choses durant, il a fini par contracter une neurasthénie générale et être atteint de paranoïa.

Depuis un an, il a eu des sensations paresthésiques; il lui semble avoir une grande pelotte à la place de ses parties génitales; ensuite il se figura que son pénis et son scrotum lui manquaient, et que ses parties génitales s'étaient transformées en parties génitales féminines. Il sentait des mamelles lui pousser, une natte de cheveux, et des vêtements féminins se coller à son corps. Il se figurait être femme. Les passants dans les rues lui semblaient tenir des propos comme ceux-ci: «Voyez donc cette garce, cette vieille drôlesse!»

Dans son sommeil accompagné de rêves, il avait la sensation d'un homme qui accomplissait le coït sur lui devenu femme. Il en avait de l'éjaculation avec un vif sentiment de volupté.

Pendant son séjour à la clinique, il s'est produit une interruption dans sa paranoïa et en même temps une amélioration notable de sa neurasthénie. Alors disparurent momentanément les sentiments et les idées d'une métamorphose sexuelle.

Voici un autre cas d'éviration avancée sur le chemin de la transformatio sexus paranoïca.

OBSERVATION 101.--Franz St..., trente-trois ans, instituteur dans une école primaire, célibataire, probablement issu d'une famille chargée, névropathe de tout temps, émotif, peureux, ne pouvant supporter l'alcool, a commencé à se masturber à l'âge de dix-huit ans. À l'âge de trente ans se produisirent chez lui des symptômes de neurasthenia sexualis. (Pollutions avec faiblesse consécutive, pollutions qui se produisaient aussi dans la journée, douleurs dans la région du plexus sacré, etc.). Il s'y ajouta encore de l'irritation spinale, des pressions sur la tête et de la cérébrasthénie.

Depuis le commencement de 1885, le malade s'est abstenu du coït qui ne lui procurait plus aucune sensation de volupté. Il se masturbait souvent.

En 1888, commença chez lui la monomanie de la persécution. Il remarquait qu'on l'évitait, qu'il répandait une odeur infecte, qu'il puait (hallucinations olfactives); il s'expliquait de cette façon le changement d'attitude des gens à son égard, de même que leurs éternuements, leur toux, etc.

Il sentait des odeurs du cadavre, d'urine corrompue. Il attribuait la cause de sa mauvaise odeur à des pollutions à l'intérieur. Il les percevait par une sensation, comme si un liquide montait du pubis à la poitrine.

Le malade quitta bientôt la clinique. En 1889, il revint pour y être reçu; il était déjà dans un état avancé de paranoïa masturbatoria persecutoria (monomanie de la persécution).

Au commencement du mois de mai 1889, le malade éveilla l'attention parce qu'il protestait violemment toutes les fois qu'on l'appelait: «Monsieur».

Il proteste contre cette apostrophe, car, prétend-il, il est femme. Des voix le lui disent. Il s'aperçoit que des mamelles lui poussent. Il y a une semaine, les autres malades lui ont fait des attouchements voluptueux. Il a entendu dire qu'il est une putain. Ces temps derniers il a eu des rêves d'accouplement. Il rêvait qu'on pratiquait le coït sur lui comme sur une femme. Il sentait l'immissio penis, et a eu la sensation d'une éjaculation au milieu de son rêve.

Le crâne est pointu, la face est longue et étroite; bosses pariétales proéminentes. Les parties génitales sont normalement développées.

Le cas suivant, observé dans l'asile d'Illenau, est un exemple manifeste d'inversion durable et maniaque de la conscience sexuelle.

OBSERVATION 102.--Metamorphosis sexualis paranoïca.

N..., vingt-trois ans, célibataire, pianiste, a été reçu vers la fin du mois d'octobre 1865 à la maison de santé d'Illenau. Il est né d'une famille censée être exempte de tares héréditaires, mais tuberculeuse. Le père et le frère ont succombé à la phtisie pulmonaire. Le malade, étant enfant, était faible, mal doué, mais avait un talent exclusif pour la musique. De tout temps il eut un caractère anormal, taciturne, renfermé, insociable, avec des manières brusques.

À partir de l'âge de quinze ans, il se livra à la masturbation. Quelques années plus tard, des malaises neurasthéniques se produisirent (battements de coeur, faiblesse, douleurs de tête périodiques, etc.), en même temps que des velléités hypocondriaques. L'année dernière, le malade travaillait beaucoup et durement. Depuis six mois, sa neurasthénie s'est accentuée. Il se plaignit alors de battements de coeur, congestion de la tête, insomnie, il devint très irritable; paraissait sexuellement très excité, et prétendait qu'il lui fallait se marier le plus tôt possible, pour raisons de santé. Il tomba amoureux d'une artiste, mais presqu'en même temps (septembre 1865), il devint malade du paranoïa persecutoria (voyait des actes hostiles, entendait des injures dans la rue, trouvait du poison dans sa nourriture, on tendait une corde à travers le pont pour qu'il ne puisse pas aller chez son amante). À la suite de son excitation croissante et de conflits avec son entourage qu'il considérait comme ennemi, il a été reçu dans l'asile d'aliénés. À son entrée, il présentait encore l'image typique de la paranoïa persecutoria avec les symptômes de la neurasthénie sexuelle qui devint plus tard générale; mais sa monomanie de la persécution ne s'échafaudait point sur ce fond nerveux. Ce n'est qu'accidentellement que le malade entendait dire à son entourage: «Voilà qu'on lui enlève le sperme, voilà qu'on lui enlève la vessie.»

Au cours des années de 1866 à 1868, la manie de la persécution fut reléguée de plus en plus au second rang et fut remplacée en grande partie par des idées érotiques. La base somatico-physique était une excitation violente et continuelle de la sphère sexuelle. Le malade s'amourachait de chaque dame qu'il voyait; il entendait des voix qui l'encourageaient à s'approcher d'elles; il demandait impérieusement le consentement au mariage et prétendait que, si on ne lui procurait pas une femme, il mourrait de consomption. Grâce à sa pratique continuelle de la masturbation, les signes d'une prochaine éviration se montrent déjà en 1869. Il disait que si on lui donnait une femme, il ne l'aimerait que «platoniquement». Le malade devient de plus en plus bizarre, il ne vit que dans une sphère d'idées érotiques, voit partout faire dans l'asile de la prostitution, entend par-ci par-là des voix qui l'accusent d'avoir une attitude indécente vis-à-vis des femmes. Il évite donc la société des dames, et ne consent à faire de la musique devant les dames qu'à la condition d'avoir deux hommes comme témoins.

Au cours de l'année 1872, l'état neurasthénique prend un développement considérable. Alors la paranoia persecutoria aussi reparaît de plus en plus au premier plan et avec une couleur clinique particulière due à l'état nerveux fondamental. Des hallucinations olfactives se produisent; il est influencé par l'action du magnétisme. Il dit que des «ondulations magnétiques agissent sur lui». (Fausse interprétation de malaises spinaux asthéniques.) Sous le coup d'une excitation violente et continuelle et d'excès de masturbation, le processus de l'éviration progresse de plus en plus. Il n'est plus qu'épisodiquement homme, il est consumé du désir d'être femme, et se plaint amèrement que la prostitution éhontée des hommes, dans cette maison, rende impossible la venue d'une femme vers lui; l'air empoisonné de magnétisme, l'amour non satisfait l'ont rendu mortellement malade; il ne peut pas vivre sans amour; il est empoisonné par un poison de lubricité qui agit sur l'instinct génital. La dame qu'il aime est ici, au milieu de la plus basse débauche. Les prostituées, dans cette maison, ont des «chaînes de félicité», c'est-à-dire des chaînes dans lesquelles on est enchaîné sans pouvoir bouger et dans lesquelles on éprouve de la volupté. Il est prêt, maintenant, à se contenter d'une prostituée. Il possède un admirable rayonnement des pensées par les yeux qui vaut 20 millions. Ses compositions valent 500,000 francs. À côté de ces symptômes de monomanie des grandeurs, il y a des symptômes de monomanie de la persécution; la nourriture est empoisonnée par des excréments vénériens; il sent le poison, il entend des accusations infâmes, et il demande une machine à boucher les oreilles.

À partir du mois d'août 1872, les signes de l'éviration deviennent de plus en plus nombreux. Il se comporte avec beaucoup d'afféterie et déclare qu'il ne pourrait plus vivre au milieu des hommes qui boivent et qui fument. Il pense et sent tout à fait en femme. On doit le traiter dorénavant en femme, et le mettre dans la section des femmes. Il demande des confitures, des gâteaux fins. Pris de ténesme et de spasme de la vessie, il demande à être transporté dans un hôpital d'accouchement, et à être traité comme une malade enceinte. Le magnétisme morbide des hommes qui le soignent a une action nuisible sur lui.

Passagèrement, il se sent encore, par moments, homme, mais il plaide d'une manière très significative pour son sens sexuel morbide, inverti; il veut la satisfaction par la masturbation, le mariage sans coït. Le mariage est une institution de volupté. La fille qu'il épouserait devrait être onaniste.

À partir du mois de décembre 1872, la conscience de sa personnalité se transforme définitivement en une conscience féminine. Il a été de tout temps une femme, mais, entre un et trois ans, un empirique, un charlatan français, lui a greffé des parties génitales masculines et a empêché le développement de ses mamelles en lui frottant et en lui préparant le thorax.

Il demande énergiquement à être interné dans la section des femmes, à être protégé contre les hommes qui veulent le prostituer et à être habillé en femme. Éventuellement il serait disposé à s'occuper dans un magasin de jouets d'enfants, à faire de la couture ou du découpage, ou à travailler pour une modiste. À partir du moment de la transformatio sexus, commence pour le malade une ère nouvelle. Dans ses souvenirs, il considère son individualité d'autrefois comme celle d'un cousin à lui.

Pour le moment, il parle de lui-même à la troisième personne; il déclare être la comtesse V..., la meilleure amie de l'impératrice Eugénie, demande des parfums, des corsets, etc. Il prend les autres hommes de l'asile pour des femmes, essaie de se tresser une natte, demande un cosmétique oriental pour l'épilation, afin qu'on ne mette plus en doute sa nature de femme. Il se plaît à faire l'apologie de l'onanisme, car «il était, dès l'âge de quinze ans, onaniste, et il n'a jamais cherché de satisfactions d'un autre genre». Occasionnellement on observe encore chez lui des malaises neurasthéniques, des hallucinations olfactives, des idées de persécution. Tous les faits de sa vie qui se sont passés jusqu'au mois de décembre 1872, reviennent à la personnalité du cousin.

Le malade ne peut être dissuadé de son idée fixe qu'il est la comtesse V... il invoque qu'il a été examiné par la sage-femme qui a constaté son sexe féminin. La comtesse ne se mariera pas, parce qu'elle méprise les hommes. Comme le malade n'obtient pas d'avoir des vêtements de femme ni des souliers à hauts talons, il préfère rester toute la journée au lit; il se comporte en femme noble et souffrante, fait la douillette, la pudique, demande des bonbons, etc. Autant qu'il peut, il fait de ses cheveux des nattes, il s'arrache les poils de la barbe, et il se fait avec des petits pains un buste de femme.

En 1877, il se produit une carie à la jointure du genou gauche, et bientôt s'y ajoute une phtisie pulmonaire. Le malade meurt le 2 décembre 1874. Crâne normal. Le lobe frontal est atrophié, le cerveau anémié. Examen microscopique (Dr Schüle): sur la couche superficielle du lobe frontal, les cellules ganglionnaires sont légèrement rétrécies; dans la tunique adventice des vaisseaux beaucoup de granulations graisseuses; le glia n'est pas changé; parcelles de pigment et granulations colloïdes isolées. Les couches profondes de l'écorce cérébrale sont normales. Les parties génitales sont très grosses, les testicules petits, flasques; à la coupe, aucun changement macroscopique.

Ce cas de monomanie de la transformation sexuelle que nous venons de décrire dans ses origines et les diverses phases de son développement, est un phénomène d'une rareté étonnante dans la pathologie de l'esprit humain. En dehors des cas précédents que je dois à mon observation personnelle, j'en ai observé un cas, comme phénomène épisodique, chez une dame invertie, un autre comme phénomène permanent chez une fille atteinte de paranoia primitive, et enfin un autre chez une dame atteinte de paranoia primitive.

Dans la littérature je n'ai pas rencontré d'observations sur la monomanie de la transformation sexuelle, sauf un cas traité brièvement par Arndt dans son Manuel (p. 172), un cas étudié assez superficiellement par Sérieux (Recherches cliniques), p. 33, et les deux cas bien connus d'Esquirol. Nous reproduisons ici sommairement le cas d'Arndt, bien que, pas plus que ceux d'Esquirol, il n'offre aucun renseignement sur la genèse de la monomanie.

OBSERVATION 103.--Une femme d'âge moyen, internée dans l'asile de Greifswalder, se prenait pour un homme et se comportait en conséquence. Elle se coupait les cheveux très courts, se faisait une raie sur le côté, à la mode des militaires. Un profil bien prononcé, un nez un peu fort et une certaine grossièreté de traits donnaient à sa figure un cachet bien caractéristique; des cheveux courts et collés aux oreilles achevaient de donner à sa tête une expression tout à fait virile.

Elle était de grande taille, maigre; sa voix était profonde et rauque; la pomme d'Adam anguleuse et proéminente; son maintien était raide, sa démarche et ses mouvements pesants sans être lourds. Elle avait l'air d'un homme déguisé en femme. Quand on lui demandait comment lui était venue l'idée de se prendre pour un homme, elle s'écriait presque toujours, pleine d'irritation: Eh bien, regardez-moi donc! Est-ce que je n'ai pas l'air d'un homme? Aussi je sens que je suis homme. J'ai toujours eu un sentiment de ce genre, mais ce n'est que peu à peu que je suis parvenue à m'en rendre compte clairement. L'homme qui est censé être mon mari n'est pas un vrai homme; j'ai procréé mes enfants toute seule. J'ai toujours senti en moi quelque chose de pareil, mais ce n'est que plus tard que j'ai vu clair. Et dans mon ménage, est-ce que je n'ai pas toujours agi en homme? L'homme qui est censé être mon mari, n'était qu'un aide. Il a exécuté ce que je lui ai commandé. Dès ma jeunesse, je fus toujours plutôt portée vers les choses viriles que vers les affaires des femmes. J'ai toujours mieux aimé m'occuper de ce qui se passe dans la ferme et dans les champs que des affaires du ménage et de la cuisine. Seulement, je n'avais pas reconnu à quoi cela tenait. Maintenant je sais que je suis un homme; aussi je veux me comporter comme tel, et c'est une honte de me tenir toujours dans des vêtements de femme.

OBSERVATION 104.--X..., vingt-six ans, de haute taille et de belle prestance, aimait, dès son enfance, à mettre des vêtements de femme. Devenu grand, il savait, à l'occasion des représentations théâtrales par des amateurs, toujours si bien arranger les choses, qu'on lui donnait des rôles de femme à jouer. Après avoir éprouvé une forte dépression mélancolique, il s'imagina être réellement une femme, et essaya d'en convaincre son entourage. Il aimait à se déshabiller, à se coiffer ensuite en femme et à se draper. Un jour il voulut sortir dans cette tenue. Sauf cette idée, il était tout à fait raisonnable. Il avait l'habitude de se coiffer pendant toute la journée, de se regarder dans la glace, et, à l'aide de sa robe de chambre, de se costumer autant que possible en femme.

Un jour qu'Esquirol faisait mine de lui soulever son jupon, il se mit en colère et lui reprocha son insolence (Esquirol).

OBSERVATION 105.--Madame X..., veuve, fut, par suite de la mort de son mari et de la perte de sa fortune, en proie à de vives émotions et au chagrin. Elle devint folle; après avoir commis une tentative de suicide, elle fut transportée à la Salpétrière.

Madame X..., svelte, maigre, continuellement en excitation maniaque, s'imaginait être un homme et se mettait toujours en colère quand on l'appelait: «Madame». Un jour qu'on mit à sa disposition des vêtements d'homme, elle fut transportée de joie. En 1802, elle est morte d'une maladie de consomption, et elle a manifesté, peu de temps encore avant son décès, sa manie d'être un homme (Esquirol).

Dans un précédent chapitre, j'ai fait mention des rapports intéressants qui existent entre ces faits de la métamorphose sexuelle imaginaire et la soi-disant folie des Scythes.

Marandon (Annales médico-psychologiques, 1888, p. 160) a, comme beaucoup d'autres, accepté l'hypothèse erronée que, chez ces Scythes de l'antiquité, il s'agissait d'une véritable monomanie et non pas d'une simple éviration. D'après la loi de l'empirisme actuel, cette monomanie, si rare aujourd'hui, a dû être non moins rare dans l'antiquité. Comme il est impossible de l'admettre autrement que basée sur une paranoia, il n'a jamais pu être question d'une manifestation endémique de ce phénomène, mais seulement de l'interprétation superstitieuse d'une éviration (dans le sens d'un châtiment d'une déesse), ainsi que cela ressort des allusions d'Hippocrate.

Le fait qui ressort de la soi-disant folie des Scythes ainsi que des observations modernes relevées chez les Indiens de Pueblo, reste toujours remarquable au point de vue anthropologique; avec l'atrophie des testicules, on a constaté en même temps celle des parties génitales et en général une régression vers le type féminin au point de vue physique et moral. C'est d'autant plus frappant qu'une pareille réaction est aussi insolite chez l'homme qui, à l'âge adulte, a perdu ses organes génitaux, que chez la femme adulte après la ménopause artificielle ou naturelle.

B.--LE SENS HOMOSEXUEL COMME PHÉNOMÈNE MORBIDE ET CONGÉNITAL[84].

[Note 84: Ouvrages (en dehors de ceux qui seront mentionnés plus tard): Tardieu, Des attentats aux moeurs, 7º édit., 1878, p. 210--Hoffmann, Lehrb. d. ger. Med., 6º édit., p. 170, 887.--Glay Revue philosophique, 1881, nº1.--Magnan, Annal. méd.-psychol., 1885, p. 558.--Shaw et Ferrin, Journal of nervous and mental disease, 1883, Avril, nº 2.--Bernhardi, Der Uranismus, Berlin (Volksbuchhandlung), 1882--Chevalier, De l'inversion de l'instinct sexuel, Paris, 1885.--Ritti, Gaz. hebdom. de médecine et de chirurgie, 1878, 4 janvier.--Tamassla, Rivista sperim., 1878, p. 97-117.--Lombroso. Archiv. di Psychiatr., 1881.--Charcot et Magnan, Archiv. de Neurologie, 1882, nos 7, 12.--Moll, Die conträre Sexualempfindung, Berlin, 1891.--Chevalier, Archives de l'anthropologie criminelle, t. V, nº 27; t. VI, nº 31.--Reuss, Aberrations du sens génésique (Annales d'hygiène publique, 1896).--Saury, Étude clinique sur la folie héréditaire, 1880.--Brouardel, Gaz. des hôpitaux, 1886 et 1887.--Tilier, L'instinct sexuel chez l'homme et chez les animaux, 1889.--Carlier, Les deux prostitutions, 1887.--Lacassagne, Art. Pédérastie in Dictionn. encyclopédique.--Vibert, Art. Pédérastie in Dictionnaire de méd. et de chirurgie.]

L'essentiel, dans ce phénomène étrange de la vie sexuelle, c'est la frigidité sexuelle poussée jusqu'à l'horreur pour l'autre sexe, tandis qu'il y a un sens sexuel et un penchant pour son propre sexe. Toutefois, les parties génitales sont normalement développées, les glandes génitales fonctionnent tout à fait convenablement, et le type sexuel est complètement différencié.

Les sentiments, les pensées, les aspirations et en général le caractère répondent, quand l'anomalie est complètement développée, à la sensation sexuelle particulière, mais non pas au sexe que l'individu atteint représente anatomiquement et physiologiquement. Ce sentiment anormal se manifeste aussi dans la tenue et dans les occupations; il va jusqu'à donner à l'individu une tendance à s'habiller conformément au rôle sexuel pour lequel il se sent doué.

Au point de vue clinique et anthropologique, ce phénomène anormal présente divers degrés dans son développement, c'est-à-dire diverses formes et manifestations.

1) À côté du sentiment homosexuel prédominant il y a des traces de sentiments hétéro-sexuels (hermaphrodisme psycho-sexuel);

2) Il n'y a de penchant que pour son propre sexe (homosexualité);

3) Tout l'être psychique se conforme au sentiment sexuel anormal (effémination et viraginité);

4) La conformation du corps se rapproche de celle qui répond au sens sexuel anormal.

Cependant, on ne rencontre jamais de vraies transitions à l'hermaphrodisme; au contraire, les organes génitaux sont parfaitement différenciés, de sorte que, comme dans toutes les perversions morbides de la vie sexuelle, il faut chercher la cause du phénomène dans le cerveau (androgynie et gynandrie).

Les premiers renseignements un peu exacts[85] sur ces phénomènes de nature énigmatique nous viennent de Casper (Über Nothzucht und Päderastie, Casper's Vierteljahrsschr., 1852, I) qui les confond avec la pédérastie, c'est vrai, mais qui déjà fait cette juste remarque que, dans la plupart des cas, cette anomalie est congénitale et doit être considérée comme une sorte d'hermaphrodisme intellectuel.

[Note 85: M. le docteur Moll, de Berlin, attire mon attention sur le fait qu'on trouve déjà des allusions à l'inversion sexuelle concernant des hommes, dans le Moritz's Magazin f. Erfahrungseelenkunde, t. VIII, Berlin, 1791. En effet, on y cite les biographies de deux hommes pris d'un amour délirant pour des personnes de leur propre sexe. Dans le deuxième cas, qui est particulièrement remarquable, le malade explique l'origine de son «aberration» par le fait qu'étant enfant, il n'a été caressé que par des personnes adultes, et à l'âge de dix à douze ans par ses camarades d'école. «Cela et la privation de la société des personnes de l'autre sexe ont eu pour conséquence chez moi de détourner le penchant naturel pour le sexe féminin et de le reporter sur les hommes. Maintenant encore les femmes me sont indifférentes.»

On ne peut pas dire s'il s'agissait d'un cas d'inversion congénitale (hermaphrodisme psycho-sexuel) ou acquise. Le cas le plus ancien d'inversion sexuelle qu'on connaisse jusqu'ici en Allemagne concerne une femme qui était mariée avec une autre femme et cohabitait avec son consort au moyen d'un priape en cuir. Un cas de viraginité qui s'est présenté au commencement du siècle passé, et qui est très intéressant aussi au point de vue juridique et historique, a été puisé dans les dossiers officiels et cité par le docteur Muller d'Alexandersbad dans Friedreichs Blætter f. ger. Medicin cahier 4.]

Il y a là un véritable dégoût des attouchements sexuels avec des femmes, tandis que l'imagination se réjouit à la vue des beaux jeunes hommes, des statues et des tableaux qui en représentent. Ce fait n'a pas échappé à Casper que, dans ces cas, l'immissio penis in anum (pédérastie) n'est pas la règle, mais ces individus recherchent et obtiennent des satisfactions sexuelles par des actes sexuels d'un autre genre (onanisme mutuel).

Dans ses Klinischen novellen (1863, p. 33), Casper cite la confession intéressante d'un homme atteint de cette perversion de l'instinct génital, et il n'hésite pas à déclarer que, abstraction faite des imaginations corrompues, de la démoralisation produite par la satiété des jouissances sexuelles normales, il y a de nombreux cas où la «pédérastie» provient d'une impulsion congénitale, étrange, inexplicable, mystérieuse. Vers 1860, un nommé Ulrichs, qui lui-même était atteint de cet instinct perverti, a soutenu dans de nombreux écrits[86], publiés sous le pseudonyme de Numa Numantius, cette thèse que la vie sexuelle de l'âme est indépendante du sexe physique, et qu'il y a des individus masculins qui, en présence de l'homme, se sentent femmes (anima muliebris in corpore virili inclusa).

[Note 86: Vindex, Inclusa, Vindicta, Formatrix, Ara spei, Gladius jurens (1864 et 1865, Leipzig, H. Matthes). Ulrichs, Kritische Pfeile, 1879, en commission chez H. Crönlein, Stuttgart, Augustenstrasse, 5. L'auteur qui combat sans se décourager les préjugés dont ses semblables ont à souffrir, a publié dans ce but, depuis 1889, à Aquila degli Abruzzi (Italie), un journal écrit en latin sous le titre: Il periodico latino.]

Il désignait ces gens sous le nom d'uranistes (Urning), et réclamait rien moins que l'autorisation de l'État et de la société pour l'amour sexuel des uranistes, comme un amour congénital et par conséquent légitime, ainsi que l'autorisation du mariage entre eux. Seulement, Ulrichs nous doit encore la preuve que ce sentiment sexuel paradoxal, qui est en tout cas congénital, soit un phénomène physiologique et non pas pathologique.

Griesinger a jeté une première lumière anthropologico-clinique sur ces faits (Archiv f. Psychiatrie, I, p. 651), en montrant, dans un cas qu'il avait observé personnellement, la lourde tare héréditaire de l'individu atteint.

Nous devons à Westphal (Archiv f. Psychiatrie, II, p. 73) le premier essai sur le phénomène qu'il appelle «inversion sexuelle congénitale, avec conscience du caractère morbide de ce phénomène». Il a ouvert la discussion: le nombre des cas a atteint jusqu'ici le chiffre de 107, sans compter ceux qui sont rapportés dans notre monographie[87].

[Note 87: Concernant les individus du sexe masculin: 1º Casper, Klin. Novellen, p. 36 (Lehrb. d. ger. Med., 7e édit., p. 176); 2º Westphal, Archiv f. Psych., II, p. 73; 3º Schminke, dans le même journal, III, p. 325; 4º Scholz, Vierteljahrsschr. f. ger. Medicin XIX; 5º Guck, Arch. f. Psych., V, p. 564; 6º Servaes, au même endroit, VI, p. 384; 7º Westphal, dans la même feuille, VI, p. 62O; 8º, 9º, 10º Stark, Zeitschr. f. Psychiatrie, t. XXXI; 11º Liman (Caspers, Lehrb. d. ger. Med., 6e édit., p. 509, p. 292); 12º Legrand du Saulle, Annal. méd.-psychol., 1876, mai; 13º Sterg, Jahrb. f. Psychiatrie, III, cahier 3; 14º Krueg, Zeitschr., Brain, 1884, oct.; 15º Charcot et Magnan, Arch. de Neurolog., 1882, nº 9; 16º, 17º, 18º Kirn, Zeitschr. f. Psychiatr., t. XXXIX, p. 216; 19º Rabow, Erlenmeyers Centralbl., 1883, nº 8; 20º Blumer, Americ. Journ. of insanity, 1882, juillet; 21º Servage, Journal of mental science, 1884, octobre; 22º Scholz, Vierteljahrsschr. f. ger. Med., N. F., t. XL, fascicule 7; 23º Magnan, Ann. med.-psychol., 1885, p. 461; 24º Chevalier, De l'inversion de l'instinct sexuel, Paris, 1885, p. 129; 25º Morselli, La Riforma medica, 4e année, mars; 26º Leonpacher, Friedreichs Blätter, 1888, II, 4; 27º Holländer, Allg. Wiener med. Zeitung 1882; 28º Kriese, Erlenmeyers Centralbl., 1888, nº 19; 29º, 30º, 31º, 32º v. Krafft-Ebing, Psychopathia sexualis, 3e édit., Observations 32, 36, 42, 43; 33º Golenko, Russ. Archiv f. Psychiatrie, t. IX, II, 3 (cité par Rothe dans Zeitschr. f. Psychiatrie; 34º v. Krafft, Internationales Centralblatt f. d. Physiol. und Pathologie der Harn und Sexualorgane, t. I, fasc. 4; 35º Cantarano, La Psychiatria, 1887, 5e année, p. 195; 36º Sérieux, Recherches cliniques sur les anomalies de l'instinct sexuel, Paris, 1888, Obs. 13; 37º-42º Kiernan, The medic. Standard, 1888, 7 cas; 43º-46º Rabow, Zeitschr. f. Klin. Medicin, t. XVII, Suppl.; 47º-51º v. Krafft, Neue Forschungen, Observations 1, 3, 4, 5, 8; 52º-61º v. Krafft, Psychopathia sexualis, 5e édit., Observ. 53, 61, 64, 66, 73, 75, 78, 84, 85, 87; 62º-65º Le même, Neue Forschungen, 2e édit., Observ. 3, 4, 5, 6; Hammond, Impuissance sexuelle, p. 30, 36; 68º-71º Garnier, Anomalies sexuelles, 1889, Observ. 227, 228, 229, 230; 72º v. Krafft, Friedreichs Blätter, 1891, fascicule 6; 73º-87º v. Krafft, Psychopathia sexualis, 6e édit., Observ. 78, 81, 82, 84, 85, 86, 87, 89, 93, 94, 96, 97, 98, 101, 102; 88º Fraenkel, Medic. Zeitung d. Vereins f. Hertkunde in Preussen, t. XXII, p. 102 (homo mollis); 89º-91º Bernheim, Hypnotisme, Paris, 1891, Obs. 38 et suivantes; 92º Wetterstrand, Der Hypnotismus, 1891; 93º Müller, Hydrothérapie, 1890, p. 309; 94º à 96º v. Sehrenk-Notzing, Suggestionstherapie, 1892, cas 63, 68, 97; 97º Ladame, Revue de l'hypnotisme, 1889, 1er septembre; 98º v. Krafft, Internat. Centralblatt f. d. Krankheiten der Harn und Geschlechtsorgane, t. I, fasc. 1; 99º à 100º Wachholz, Friedreichs Blätter f. gerichtl. Med., 1892, fascicule 6.

Concernant des individus féminins: 1º Westphal, Arch. f. Psych., II, p. 73; 2º Gock, Op. cit., nº 1; 3º Wise, The Alienist and Neurologist, 1883, janvier; 4º Cantanaro, La Psychiatria, 1883, 201; 5º Sérieux, Op. cit., Observ. 14; 6º Kiernan, op. cit.; 7º Müller, Friedreichs Blätter f. ger. Med., 1891, fascicule 4.]

Westphal ne touche pas la question de savoir si l'inversion sexuelle est le symptôme d'un état névropathique ou psychopathique, ou bien si elle constitue un phénomène isolé. Il maintient avec fermeté que cet état est congénital.

Me fondant sur les cas que j'ai publiés jusqu'en 1877, j'ai signalé cet étrange sentiment sexuel comme un stigmate de dégénérescence fonctionnelle, et comme un phénomène partiel d'un état névro-psycho-pathologique ayant pour cause, dans la plupart des cas, l'hérédité. Cette supposition a été confirmée par l'analyse des cas qui se sont présentés depuis. On peut citer, comme symptômes de cette tare névro-psycho-pathologique les points suivants.

1º La vie sexuelle des individus ainsi conformés se manifeste régulièrement bien avant la période normale et bien après, d'une façon très violente. Souvent elle présente encore d'autres phénomènes pervers, en dehors de cette direction anormale imprimée par l'étrange sentiment sexuel.

2º L'amour psychique de ces individus est souvent romanesque et exalté; de même leur instinct génital se manifeste dans leur conscience avec une force particulière, obsédante même.

3º À côté du stigmate de dégénérescence fonctionnelle de l'inversion sexuelle, on trouve encore d'autres symptômes de dégénérescence fonctionnelle et souvent aussi anatomique.

4º Il existe des névroses (hystérie, neurasthénie, états épileptoïdes, etc.). Presque toujours on peut constater de la neurasthénie temporaire ou permanente. Cette neurasthénie est ordinairement constitutionnelle, c'est-à-dire qu'elle est produite par des causes congénitales. Elle est réveillée et maintenue par la masturbation ou par l'abstinence forcée.

Chez les individus masculins, la neurasthenia sexualis se développe sur ce terrain morbide ou prédisposé congénitalement. Elle se manifeste alors surtout par la faiblesse irritative du centre d'éjaculation. Ainsi s'explique le fait que, chez la plupart des individus atteints, une simple accolade ou un baiser donné à la personne aimée, quelquefois même le simple aspect de cette dernière, provoquent l'éjaculation. Souvent l'éjaculation est alors accompagnée d'une sensation de volupté anormalement forte, qui va jusqu'à la sensation d'un courant «magnétique» à travers le corps.

5º Dans la majorité des cas, on rencontre des anomalies psychiques (talents brillants pour les beaux-arts, surtout pour la musique, la poésie, etc.), en même temps que de la faiblesse des facultés intellectuelles (esprits faux, bizarres), et même des états de dégénérescence psychique très prononcée (imbécillité, folie morale).

Beaucoup d'uranistes en viennent temporairement ou pour toujours aux délires caractéristiques des dégénérés (états passionnels pathologiques, délires périodiques, paranoia, etc.).

6º Dans presque tous les cas où il fut possible de rechercher l'état physique et intellectuel des ascendants et des proches parents, on a constaté dans ces familles des névroses, des psychoses, des stigmates de dégénérescence, etc.[88].

[Note 88: L'inversion sexuelle, comme phénomène partiel de la dégénérescence nerveuse, peut se produire aussi chez les descendants de parents exempts de névrose. Cela ressort d'une observation de Tarnowsky (op. cit., p. 34) dans laquelle le lues du procréateur était en jeu, ainsi que d'un cas du même genre rapporté par Scholz (Vierteljahrsschrift f. ger. Medicin) où la tendance perverse de l'instinct génital était liée à un arrêt de développement physique d'origine traumatique.]

L'inversion sexuelle congénitale est bien profonde et bien enracinée; cela ressort déjà du fait que les rêves érotiques de l'uraniste masculin n'ont pour sujet que des hommes, et ceux de l'homosexuel féminin des individus féminins.

L'observation de Westphal, que la conscience de la défectuosité congénitale des sentiments sexuels pour l'autre sexe et du penchant pour son propre sexe, est ressentie péniblement par l'individu atteint, ne se confirme que dans un certain nombre des cas. Beaucoup d'individus n'ont pas même conscience de la nature morbide de leur état. La plupart des uranistes se sentent heureux avec leurs sentiments sexuels pervers et la tendance de leur instinct; ils ne se sentent malheureux que par l'idée que la loi et la société ont élevé des obstacles contre la satisfaction de leur penchant pour leur propre sexe.

L'étude de l'inversion sexuelle montre nettement les anomalies de l'organisation cérébrale des individus atteints de cette perversion. Gley (Revue philosophique, 1884, janvier) croit pouvoir donner le mot de l'énigme, en supposant que ces individus ont un cerveau féminin avec des glandes génitales masculines, et que, chez eux, c'est la vie cérébrale morbide qui détermine la vie sexuelle, contrairement à l'état normal dans lequel les organes génitaux déterminent les fonctions sexuelles du cerveau.

Un de mes clients m'a exposé une manière de voir très intéressante et qui pourrait être admise pour expliquer l'inversion congénitale primitive. Il prend comme point de départ la bisexualité réelle telle qu'elle se présente anatomiquement chez tout foetus jusqu'à un certain âge.

On devrait, dit-il, prendre en considération qu'au caractère originairement hermaphrodite des parties congénitales correspond probablement aussi un caractère originairement hermaphrodite avec des germes latents de tous les traits secondaires du sexe, tels que cheveux, barbe, développement des mamelles, etc. L'hypothèse d'un hermaphrodisme latent des traits secondaires du sexe subsistant chez chaque individu pendant toute la vie est justifiée par les phénomènes de régression partielle d'un type sexuel dans l'autre, même après le développement complet du corps, phénomènes qu'on a pu constater chez les castrates, les mujerados, et, à la ménopause, chez les femmes, etc.

La partie cérébrale de l'appareil sexuel, le centre psycho-sexuel masculin ou féminin représente un des traits secondaires les plus importants du sexe; il est même égal en valeur à l'autre moitié de l'appareil sexuel. Quand il y a développement tout à fait normal de l'individu, les organes génitaux hermaphrodites du foetus, c'est-à-dire les glandes des germes et des organes de copulation, forment d'abord des organes qui portent le caractère prononcé d'un seul sexe; ensuite, les traits secondaires du caractère sexuel--physiques et psychiques--subissent la même transition de la conformation hermaphrodite à la conformation monosexuelle (en tout cas, pendant qu'ils sont à l'état latent; ou bien pendant la vie fétale, simultanément avec les organes de la génération; ou encore, plus tard, quand ils sont sur le point de sortir de leur état latent). Troisièmement, pendant cette transition, les traits secondaires du caractère sexuel suivent l'évolution opérée sur l'un des deux sexes par les organes génitaux, pour rendre possible le fonctionnement harmonique de la vie sexuelle.

Cette évolution uniforme de tous les traits du caractère sexuel se fait régulièrement, par suite d'une disposition spéciale dans le processus du développement. L'origine et le maintien de cette disposition s'expliquent suffisamment par leur nécessité absolue.

Mais, dans des conditions anormales (dégénérescence héréditaire, etc.), cette harmonie de développement peut être troublée de différentes façons. Non seulement l'évolution des organes génitaux de l'état hermaphrodite vers l'état monosexuel peut faire défaut, mais le même fait peut aussi se produire pour les traits secondaires du caractère sexuel, pour les traits physiques et plus encore pour les traits psychiques. Enfin, l'harmonie du développement de l'appareil sexuel peut être tellement troublée qu'une partie suive l'évolution vers un sexe et l'autre vers le sexe opposé.

Quatre types principaux d'hermaphrodisme sont donc possibles (il y a des types secondaires, comme les hommes à mamelles, les femmes à barbe): 1º l'hermaphrodisme purement physique des parties génitales avec monosexualité psychique; 2º l'hermaphrodisme purement psychique, avec parties génitales monosexuelles; 3º l'hermaphrodisme parfait, physique et intellectuel, avec tout l'appareil sexuel bisexuellement constitué; 4º l'hermaphrodisme croisé où la partie psychique et la partie physique sont monosexuelles, mais chacune dans un sens opposé à l'autre.

En y regardant de plus près, la première forme physique d'hermaphrodisme peut être considérée comme croisée, car les glandes génitales répondent à un sexe et les parties génitales externes à un sexe opposé.

La deuxième et la quatrième forme d'hermaphrodisme ne sont, au fond, rien autre chose que de l'inversion sexuelle congénitale[89].

[Note 89: Frank Lydston (Philadelph. med. and surgical Reporter, sept. 1818) et Thierman, (Medical Standard, novembre 1888), essaient d'expliquer d'une manière analogue une partie des cas de Paranoia sexuelle congénitale en les plaçant dans une catégorie subordonnée de l'hermaphrodisme. Kiernan, pour compléter son explication, suppose que, chez les individus tarés, il se produit plus facilement des régressions vers les formes primitives de l'hermaphrodisme de la série animale: «The original bi-sexuality of the ancestors of the race, shown in the rudimentary female organs of the male, could not fail to occasion functional, if not organic, reversions, when mental or physical manifestations were interfered with by disease or congenital defect. It seems certain that a feminely functionating brain can occupy a male body and vice versa. Males may be borne with female external genitals and vice versa. The lowest animals are bisexual, and the various types of hermaphroditism are more or less complete reversions to the ancestral type.» (Op. cit., p. 9. Note de l'auteur.)]

La troisième forme paraît être très rare. Cependant, le droit canonique de l'église s'en est occupé; car il exige de l'hermaphrodite avant son mariage un serment sur la manière dont il se comportera (Voir Phillip, Kirchenrecht, p. 633 de la 7e édit.).

Par appareil génital psychique monosexuel dans un corps monosexuel appartenant un sexe opposé, il ne faut pas comprendre «une âme féminine dans un cerveau masculin» ou vice versa, manière de voir qui serait en contradiction manifeste avec toutes les idées scientifiques. Il ne faudrait pas non plus se figurer qu'un cerveau féminin puisse exister dans un corps masculin, ce qui contredirait tous les faits anatomiques: mais il faut admettre qu'un centre psycho-sexuel féminin peut exister dans un cerveau masculin, et vice versa.

Ce centre psycho-sexuel (dont il est nécessaire de supposer l'existence, ne fût-ce que pour expliquer les phénomènes physiologiques) ne peut être autre chose qu'un point de concentration et d'entrecroisement des nerfs conducteurs qui vont aux appareils moteurs et sensitifs des organes génitaux, mais qui, d'autre part, vont aussi aux centres visuel, olfactif, etc., portant ces phénomènes de conscience qui, dans leur ensemble, forment l'idée d'un être «masculin» ou «féminin».

Comment pourrions-nous représenter cet appareil génital psychique dans l'état d'hermaphroditisme primitif que nous avons supposé plus haut? Là aussi, nous devrions admettre que les futures voies conductrices étaient déjà tracées, bien que fort légèrement, ou préparées par le groupement des éléments.

Ces «voies latentes» hermaphrodites sont projetées pour relier les organes de copulation (qui eux-mêmes sont encore à l'état hermaphrodite) avec le siège futur des éléments de représentation des deux sexes. Quand tout l'organisme se développe d'une manière normale, une moitié des ces voies doit plus tard se développer pour devenir capable de fonctionner, tandis que l'autre moitié doit rester à l'état latent; et, dans ce cas, tout dépend probablement de l'état du point d'entrecroisement que nous avons supposé, comme un centre subcortical intercalé.

Cette hypothèse très compliquée ne contredit pas forcément le fait que le cerveau foetal n'a pas de structure. Cette absence de structure n'est admise que grâce à l'insuffisance de nos moyens d'investigation actuels. Mais, d'autre part, cette hypothèse repose à son tour sur une supposition bien risquée: elle admet une localisation déjà existante pour des représentations qui n'existent pas encore, en d'autres termes une différenciation quelconque des parties du cerveau qui sont en rapport avec les représentations futures. Nous ne sommes donc pas trop éloignés de la théorie si déconsidérée «des représentations innées». Mais nous sommes aussi en présence du problème général de tous les instincts, problème qui nous pousse toujours à de semblables hypothèses.

Peut-être s'ouvrira-t-il maintenant une voie par laquelle nous pourrons faire un pas vers la solution de ces problèmes d'hérédité psychique. En nous appuyant sur les connaissances modernes beaucoup plus étendues sur les faits de la génération dans toutes les séries des organismes et sur la connaissance de la connexité de ces faits que la biologie commence à nous donner, nous pourrons jeter un coup d'oeil plus profond sur la nature de l'hérédité physique et psychique.

Nous connaissons actuellement le processus de la génération, c'est-à-dire la transformation des individus dans sa manifestation la plus simple. Elle nous montre l'amibe qui se scinde en deux cellules filles qui qualitativement sont identiques à la cellule mère.

Nous voyons, en allant plus loin, le détachement dans le bourgeonnement d'une partie réduite quantitativement, mais identique en qualité avec l'entier.

Le phénomène primitif de toute génération n'est donc pas une reproduction, mais une continuation. Si donc, à mesure que les types deviennent plus grands et plus compliqués, les germes des organismes paraissent, en comparaison de l'organisme-mère, non seulement diminués quantitativement, mais aussi simplifiés qualitativement, morphologiquement et physiologiquement, la conviction que la génération est une continuation et non pas une reproduction nous amène à la supposition générale d'une continuation latente mais ininterrompue de la vie des parents dans leurs descendants. Car, dans l'infiniment petit, il y a place pour tout, et il est aussi faux de se figurer que la réduction du volume progressant à l'infini, déduction qui n'est toujours qu'un rapport comparé à la grandeur du corps de l'être humain qui observe, arrive quelque part à une limite infranchissable pour la différenciation de la matière, qu'il serait erroné de croire que la grandeur illimitée de l'espace de l'univers arrive quelque part à une limite de remplissage avec des formations individualisées. Ce qui me paraît avoir besoin d'être expliqué, c'est plutôt le fait que ce ne sont pas toutes les qualités des parents, soit morphologiques en volume, soit physiologiques avec le mode des mouvements des particules, qui se manifestent spontanément dans la descendance, après le développement du germe. Ce fait, dis-je, a plutôt besoin d'être expliqué que l'hypothèse d'une différenciation héréditaire de la substance du cerveau qui a des relations fixes avec les représentations qui n'ont pas été perçues par l'individu, hypothèse sans laquelle les instincts restent inexplicables.

Magnan (Ann. méd.-psychol., 1885, p. 458) parle très sérieusement d'un cerveau de femme dans un corps d'homme, et vice versa[90].

[Note 90: Cette hypothèse tombe d'elle-même devant l'autopsie citée dans mon observation 118, autopsie qui a constaté que le cerveau pesait 1,150 grammes et celle de l'observation 130, où l'on a constaté que le cerveau pesait 1,175 grammes.]

L'essai d'explication de l'uranisme congénital donné, par exemple, par Ulrichs qui, dans son Memnon, paru en 1868, parle d'une anima muliebris virili corpore inclusa (virili corpori innata), et qui cherche à donner la raison du caractère congénital féminin de sa propre tendance sexuelle anormale, n'est pas plus satisfaisant. La manière de voir du malade de l'observation 124 est très originale. Il est probable, dit-il, que son père, en le procréant, a voulu faire une fille; mais, au lieu de cela, c'est un garçon qui est venu au monde.

Une des plus étranges explications de l'inversion sexuelle congénitale se trouve dans Mantegazza (op. 1886, p. 106).

D'après cet auteur, il y aurait des anomalies anatomiques chez les invertis, en ce sens que, par une erreur de la nature, les nerfs destinés aux parties génitales se répandraient dans l'intestin, de sorte que c'est de là que part l'excitation voluptueuse, qui, d'habitude, est provoquée par l'excitation des parties génitales. Comment l'auteur, d'habitude si perspicace, s'expliquerait-il alors les cas nombreux où la pédérastie est abhorrée par ces invertis? La nature ne fait d'ailleurs jamais de pareils soubresauts. Mantegazza invoque, en faveur de son hypothèse, les communications d'un ami, écrivain remarquable, qui lui assurait n'être pas encore bien fixé sur le fait de savoir s'il éprouvait un plus grand plaisir au coït qu'à la défécation!

L'exactitude de cette expérience admise, elle ne prouverait pas que l'homme en question soit sexuellement anormal, et que chez lui la sensation voluptueuse du coït soit réduite au minimum.

On pourrait peut-être expliquer l'inversion congénitale en disant qu'elle représente une particularité spéciale de la descendance, mais ayant pris naissance par voie d'hérédité.

L'atavisme serait le penchant morbide pour son propre sexe, penchant acquis par l'ascendant, et qui se trouverait fixé comme phénomène morbide et congénital chez le descendant. Cette hypothèse est, en somme, admissible, puisque, d'après l'expérience des attributs physiques et moraux acquis, non seulement les qualités, mais aussi et surtout les défectuosités, se transmettent par hérédité. Comme il n'est pas rare que des invertis fassent des enfants, que dans tous les cas ils ne sont pas toujours impuissants (les femmes ne le sont jamais), une hérédité par voie de procréation serait possible.

L'observation 124 dans laquelle la fille d'un inverti, âgée de huit ans, pratique déjà l'onanisme mutuel,--acte sexuel qui, étant donné l'âge, fait supposer une inversion sexuelle,--plaide évidemment en faveur de cette hypothèse.

La communication qui m'a été faite par un inverti de vingt-six ans, classé dans le groupe 3, est non moins significative.

Il sait positivement, dit-il, que son père, mort il y a plusieurs années, a été également atteint d'inversion sexuelle. Il affirme connaître encore beaucoup d'hommes avec lesquels son père avait entretenu «des liaisons». On n'a pu établir s'il s'agissait chez le père d'une inversion congénitale ou acquise, ni à quel groupe appartenait sa perversion.

L'hypothèse sus-indiquée paraît d'autant plus acceptable que les trois premiers degrés de l'inversion congénitale correspondent parfaitement aux degrés de développement qu'on peut suivre dans la genèse de l'inversion acquise. On se sent donc tenté d'interpréter les divers degrés de l'inversion congénitale comme les divers degrés d'anomalies sexuelles acquises ou développées d'une autre manière chez l'ascendance, et transmises par la procréation à la descendance; encore, faut-il rappeler, à ce propos, la loi d'hérédité progressante.

D'autres ont, faute de mieux, recours à l'onanisme pour les mêmes raisons multiples qui, souvent, font repousser le coït même par les non-uranistes. Chez les uranistes doués d'un système nerveux originairement irritable, ou qui a été détraqué par l'onanisme (faiblesse irritable du centre d'éjaculation), de simples accolades, des caresses avec ou sans attouchement des parties génitales, suffisent pour provoquer l'éjaculation, et procurer par là une satisfaction sexuelle. Chez des individus moins excitables, l'acte sexuel consiste en manustupration accomplie par la personne aimée, ou en onanisme mutuel, ou en une contrefaçon du coït inter femora. Chez les uranistes de moralité perverse et puissants quoad erectionem, l'impulsion sexuelle est satisfaite par la pédérastie, acte qui répugne aux individus sans défectuosité morale autant qu'aux hommes hétérosexuels. Fait digne d'attention, les uranistes affirment que l'acte sexuel qui leur plaît avec des personnes de leur propre sexe leur procure une grande satisfaction, comme s'ils s'étaient retrempés, tandis que la satisfaction par l'onanisme solitaire ou le coït forcé avec une femme les affecte beaucoup, les rend misérables, et augmente leurs malaises neurasthéniques. La manière dont se satisfont les uranistes féminins est peu connue. Dans une de mes observations personnelles, la fille se masturbait en se sentant dans le rôle d'un homme, et en s'imaginant avoir affaire à une femme aimée. Dans un autre cas, l'acte consistait dans l'onanisation de la personne aimée, à laquelle elle touchait les parties génitales.

Il est difficile d'établir nettement jusqu'à quel degré cette anomalie est répandue[91], car la plupart des individus qui en sont atteints ne sortent que rarement de leur réserve; et, dans les faits qui viennent devant les tribunaux, on confond l'uraniste par perversion de l'instinct génital avec le pédéraste qui est simplement un immoral.

[Note 91: L'inversion sexuelle ne doit pas être rare; la preuve, c'est que c'est un sujet souvent traité dans les romans.

Chevalier (op. cit.) indique, dans la littérature française (outre les romans de Balzac qui, dans la Passion au désert, traite de la bestialité, et dans Sarrasine, de l'amour d'une femme pour un eunuque); Diderot, La Religieuse (roman d'une femme adonnée à l'amour lesbien); Balzac, La Fille aux yeux d'or (Amor lesbiens); Th. Gautier, Mademoiselle de Maupin; Feydeau, La comtesse de Chalis; Flaubert, Salammbô, etc.

Il faut aussi faire mention de Mademoiselle Giraud ma femme, de Belot.

Ce qui est intéressant, c'est que les héroïnes de ces romans (lesbiens) se montrent avec le caractère et dans le rôle d'un homme vis-à-vis de la personne de leur propre sexe qu'elles aiment, et que leur amour est très ardent. La base névropathique de cette perversion sexuelle n'a pas échappé non plus à l'attention de ces romanciers. Dans la littérature allemande, ce sujet a été traité par Wilbrandt dans Fridolins heimliche Ehe et par le comte Emeric Stadion dans Brick and Brack oder Licht im Schatten. Le plus ancien roman uraniste est probablement celui de Pétrone, publié à Rome à l'époque des Césars, sous le titre de Satyricon.]

D'après les études de Casper, de Tardieu, ainsi que d'après les miennes, cette anomalie est probablement plus fréquente que ne le fait supposer le nombre minime des cas observés.

Ulrichs (Kritische Pfeile, 1880, p. 2) prétend qu'en moyenne, pour 200 hommes adultes hétérosexuels, il y a un adulte inverti, un sur 800, et que cette proportion est encore plus grande parmi les Magyares et les Slaves du Sud, affirmations sur lesquelles nous n'insistons pas.