OBSERVATION 126.--Taylor avait à examiner une nommée Elise
Edwards, âgée de vingt-quatre ans. L'examen a amené la constatation
qu'elle était du sexe masculin. E... avait depuis l'âge de quatorze ans
porté des vêtements féminins, elle a aussi débuté sur la scène comme
actrice; elle portait les cheveux longs et, à la mode des femmes, une
raie au milieu. La conformation de la figure avait quelque chose de
féminin; pour le reste le corps était tout à fait masculin. Elle avait
soigneusement arraché les poils de sa barbe. Les parties génitales
viriles, vigoureuses et bien développées, étaient fixées par un bandage
vers le haut sur le ventre.
L'examen de l'anus indiquait la pratique de la pédérastie passive (Taylor, Med. jurisprudence, 1873. 11, p. 280, 473).
OBSERVATION
127.--Un fonctionnaire d'âge moyen, marié à une brave femme et, depuis
plusieurs années, père de famille heureux, présente un phénomène
curieux dons le sens de l'inversion sexuelle.
L'histoire
scandaleuse suivante fut divulguée un jour par l'indiscrétion d'une
prostituée. X... se présentait environ tous les huit jours au lupanar,
s'y costumait en femme; à ce déguisement ne manquait jamais une
perruque de femme. La toilette terminée, il se couchait sur un lit et
se laissait masturber par une prostituée. Il préférait de beaucoup
employer, s'il pouvait l'y décider, un individu masculin, l'homme de
peine du lupanar. Le père de X... avait une tare héréditaire, fut à
plusieurs reprises atteint d'aliénation mentale et hyperæsthesia et
paræsthesia sexualis.
OBSERVATION 128.--C... R..., servante,
vingt-six ans, souffre depuis l'âge de sa formation de paranoïa
originaria et d'hystérie; elle eut, à la suite de ses idées fixes, un
passé romanesque et s'attira, en 1887, en Suisse, où elle s'était
réfugiée par monomanie de la persécution, une instruction judiciaire. À
cette occasion on constata qu'elle était atteinte d'inversion sexuelle.
On
n'a aucun renseignement sur ses parents ni sur sa parenté R... prétend
que, sauf une inflammation des poumons qu'elle a eue à l'âge de seize
ans, elle n'a jamais été gravement malade auparavant.
La
première menstruation eut lieu sans malaises à l'âge de quinze ans;
plus tard les menses furent irrégulières et anormalement fortes. La
malade affirme qu'elle n'a jamais eu de penchant pour les personnes de
l'autre sexe, et jamais toléré qu'un homme s'approchât d'elle. Elle n'a
jamais pu comprendre comment ses amies pouvaient parler de la beauté et
de l'amabilité des personnes du sexe masculin. Elle ne peut pas
comprendre non plus comment une femme peut se laisser embrasser par un
homme. Par contre, elle fut transportée d'enthousiasme quand elle put
poser un baiser sur les lèvres d'une amie bien aimée. Elle a pour les
filles un amour qu'elle ne peut pas s'expliquer. Elle a aimé et
embrassé avec extase quelques-unes de ses amies; elle aurait été
capable de leur sacrifier sa vie. Le comble de son plaisir aurait été
de vivre avec une pareille amie et de la posséder seule et entièrement.
Elle
se sent comme homme vis-à-vis de la fille aimée. Étant encore petite
fille, elle n'avait de goût que pour les jeux des garçons; elle aimait
surtout entendre les décharges des fusils et la musique militaire; elle
en était tout à fait enthousiasmée et aurait aimé partir comme soldat.
Son idéal était la chasse et la guerre. Au théâtre elle n'avait
d'intérêt que pour les artistes des rôles de femmes. Elle sait très
bien que cette tendance est contraire au caractère féminin, mais c'est
plus fort qu'elle. Elle avait grand plaisir à aller habillée en homme,
de même elle fit de tout temps avec plaisir toutes sortes d'ouvrages
d'homme et y montra une adresse particulière, tandis que c'était le
contraire en ce qui concerne les ouvrages de femme et surtout les
travaux manuels. La malade aime aussi à fumer et à boire des boissons
alcooliques. A la suite d'idées fixes de persécution et pour échapper à
ses prétendus persécuteurs, la malade s'est, à plusieurs reprises,
montrée en vêtements d'homme et a joué des rôles masculins. Elle le
faisait avec tant d'adresse--(native sans doute)--qu'elle sut
généralement tromper les gens sur son véritable sexe.
Il a été
établi documentairement que, déjà en 1884, la malade avait vécu pendant
longtemps tantôt habillée en civil, tantôt avec l'uniforme d'un
lieutenant, et que, poussée par la monomanie de la persécution, elle
s'était, en août 1884, habillée d'un costume semblable à celui des
laquais et s'était réfugiée d'Autriche en Suisse. Là elle trouva une
place comme domestique dans la famille d'un négociant; elle tomba
amoureuse de la demoiselle de la maison, la «belle Anna», qui de son
côté, ne se doutant pas du véritable sexe de R..., devint amoureuse du
jeune et joli servant.
La malade fait sur cet épisode de sa vie
les remarques caractéristiques que voici: «J'étais tout à fait
amoureuse d'Anna. Je ne sais pas comment cela m'est venu, et je ne
saurais me rendre aucun compte de cette inclination. C'est cet amour
fatal qui est cause que j'ai pendant si longtemps continué de jouer le
rôle d'un homme. Je n'ai encore jamais éprouvé d'amour pour un homme,
et je crois que mon affection se tourne vers le sexe féminin et non pas
vers le sexe masculin. Je ne comprend pas cet état.»
R...
écrivait de Suisse des lettres à son amie et compatriote Amélie, qui
ont été jointes au dossier du tribunal. Ce sont des lettres pleines
d'un amour extatique qui dépasse de bien loin la mesure de l'amitié.
Elle appelle son amie: «ma fleur de miracle, soleil de mon coeur,
langueur de mon âme». Elle est son suprême bonheur sur terre, c'est à
elle qu'elle a donné tout son coeur. Dans des lettres adressées aux
parents de son amie, elle dit qu'ils veillent bien sur cette «fleur
miraculeuse», car si celle-ci mourait, elle ne pourrait plus rester
parmi les vivants.
R... fut pendant quelque temps internée à
l'asile pour qu'on puisse examiner son état mental. Un jour qu'on
autorisa une visite d'Anna près de R..., les accolades et les baisers
ardents n'en voulaient plus finir. Anna avoua sans réticence qu'à la
maison déjà elles s'étaient embrassées avec la même tendresse.
R...
est une femme grande, svelte, et d'une apparence imposante, de
conformation tout à fait féminine, mais avec des traits plutôt
masculins. Le crâne est régulier, pas de stigmates de dégénérescence
anatomique; les parties génitales sont normales et tout à fait vierges.
R... fait l'impression d'une personne décente et moralement très pure.
Toutes les circonstances indiquent qu'elle n'a aimé que platoniquement;
le regard et l'extérieur indiquent une névropathe. Hystérie grave
périodique, accès d'une sorte de catalepsie avec état délirant et
visions. La malade est facile à mettre en état de somnambulisme par
l'influence hypnotique, et, dans cet état, elle est susceptible de
recevoir toutes les suggestions. (Observation personnelle, Friedreichs
Blætter, 1881. Fascicule 1.)
4. ANDROGYNIE ET GYNANDRIE.
Il
y a une transition à peine sensible entre la groupe précédent et les
cas d'inversion sexuelle où non seulement le caractère et toutes les
sensations du sens sexuel anormal coexistent, mais où même par la
conformation de son squelette, le type de sa figure, sa voix, etc., en
un mot sous le rapport anatomique comme sous le rapport psychique et
psycho-sexuel, l'individu se rapproche du sexe dans le rôle duquel il
se sent vis-à-vis des autres individus de son propre sexe. Il est
évident que cette empreinte anthropologique de l'anomalie cérébrale
représente un degré très avancé de dégénérescence. Mais, d'autre part,
cette déviation est basée sur des conditions tout autres que les
phénomènes tératologiques de l'hermaphrodisme envisagé au sens
anatomique. Cela ressort clairement du fait que jusqu'ici on n'a jamais
rencontré sur le terrain de l'inversion sexuelle, de tendance aux
malformations hermaphroditiques des parties génitales. On a toujours
établi que les parties génitales de ces individus étaient, au point de
vue sexuel, complètement différenciées, bien que souvent atteintes de
stigmates de dégénérescence anatomique (épi- ou hypospadies, etc.), qui
entravaient le développement des organes qui étaient du reste bien
différenciés au point de vue sexuel.
Mais on ne possède pas
encore jusqu'ici un nombre d'observations suffisant de ce groupe
intéressant: femmes en vêtements d'hommes avec parties génitales
féminines, hommes en vêtements de femmes avec parties génitales
masculines. Tout observateur expérimenté se rappelle sans doute avoir
rencontré des individus masculins dont la manière d'être féminine
(hanches larges, formes rondes avec abondance de graisse, barbe
totalement absente ou très faiblement développée; traits de la figure
féminins, teint délicat, voix de fausset, etc.) était surprenante, et
vice versa des êtres féminins qui, par la charpente des os, le bassin,
la démarche, les attitudes, leurs traits grossiers et nettement virils,
leur voix grave et rauque, etc., l'ont fait douter de l'«éternel
féminin».
Nous avons d'ailleurs, dans les groupes précédents,
rencontré des traces isolées d'une pareille transformation
anthropologique, entre autres dans l'observation 106 où une dame avait
des pieds d'homme, dans l'observation 112 où il y eut développement des
mamelles avec du lait à l'âge de la puberté.
Il paraît aussi que
chez les individus du quatrième groupe ainsi que chez quelques-uns du
troisième qui forment une transition vers le quatrième, la pudeur
sexuelle n'existe qu'en face d'une personne du propre sexe et non pas
en face du sexe opposé.
OBSERVATION 129. Androgynie.--M. V...
H..., trente ans, célibataire, est né d'une mère névropathe. On prétend
que dans la famille du malade il n'y aurait eu ni maladies nerveuses,
ni mentales, et que son frère unique est tout à fait normal au point de
vue intellectuel et physique. Le malade, dit-on, eut un développement
physique tardif et, pour cette raison, on l'a envoyé à plusieurs
reprises aux bains de mer et dans les stations climatériques. Dès son
enfance, il était de constitution névropathique et, d'après le
témoignage d'un parent, il n'était pas comme les autres garçons. De
très bonne heure il s'est fait remarquer par son aversion pour les
amusements des garçons et par sa prédilection pour les jouets féminins.
Il détestait tous les jeux des garçons, les exercices de la
gymnastique, tandis que le jeu de poupées et les ouvrages de femme
avaient pour lui un charme particulier. Plus tard le malade s'est bien
développé au physique, il n'a pas eu de maladies graves; mais, au point
de vue intellectuel, son individualité est restée anormale, incapable
d'envisager la vie d'une manière sérieuse, et empreinte d'une tendance
tout à fait féminine dans ses pensées et ses sentiments.
À l'âge
de dix-sept ans, des pollutions se sont produites; devenues de plus en
plus fréquentes, elles avaient lieu même dans la journée; elles
affaiblirent le malade et causèrent des troubles nerveux nombreux. Des
phénomènes de neurasthenia spinalis se sont développés et ont subsisté
jusqu'à ces dernières années, mais ils se sont atténués à mesure que
les pollutions devenaient plus rares. Il nie avoir pratiqué l'onanisme,
mais le contraire paraît très vraisemblable. Depuis l'âge de la
puberté, son caractère apathique, mou et rêveur s'est fait de plus en
plus jour. Tous les efforts pour amener le malade à une profession
pratique proprement dite, restèrent infructueux. Ses facultés
intellectuelles, bien que réellement saines, ne pouvaient s'élever à la
hauteur nécessaire pour se diriger efficacement avec un caractère
indépendant et envisager la vie d'une manière plus élevée. Il est resté
sans volonté précise, un grand enfant; rien ne caractérise plus
manifestement sa conformation anormale que son incapacité réelle à
manier l'argent; de son propre aveu, il n'a pas l'esprit à gérer
l'argent d'une façon ordonnée et sensée. Aussitôt qu'il a des fonds, il
les dépense en bibelots, objets de toilette et autres futilités.
Le
malade paraît aussi peu capable que possible de conquérir une position
sociale, pas même d'en comprendre l'importance et la valeur.
Il
n'a rien appris à fond; il a occupé son temps à sa toilette, aux
passe-temps artistiques, surtout à la peinture pour laquelle il semble
avoir quelque talent; mais, là non plus, il ne faisait rien, n'ayant
pas la persévérance nécessaire. On ne pouvait pas l'amener à un travail
intellectuel sérieux. Il ne comprenait que les apparences des choses;
il était toujours distrait, et s'ennuyait toutes les fois qu'il était
question d'affaires sérieuses. Des coups de tête insensés, des voyages
sans rime ni raison, des gaspillages d'argent, des dettes: voilà ce qui
se produisait à chaque instant dans son existence, et il ne saisissait
même pas les inconvénients positifs de ce genre de vie. Il était
entêté, intraitable; il n'a jamais fait rien qui vaille toutes les fois
qu'on a essayé de le faire marcher tout seul et gérer lui-même ses
intérêts.
Avec ces phénomènes d'une conformation originairement
anormale et psychiquement défectueuse, s'alliaient des symptômes
prononcés d'un sentiment sexuel pervers qui, d'ailleurs, sont aussi
indiqués par l'habitus somatique du malade. Il se sent sexuellement
femme en face de l'homme; il a de l'inclination pour les personnes de
son propre sexe en même temps que de l'indifférence, sinon de
l'aversion pour les femmes. Il prétend avoir eu, à l'âge de vingt-deux
ans, des rapports sexuels avec des femmes, et avoir accompli le coït
d'une façon normale; mais il s'est bientôt détourné du sexe féminin,
d'une part, parce que ses malaises neurasthéniques s'accentuaient après
chaque coït, d'autre part, parce qu'il avait peur d'être infecté et que
l'acte ne lui avait jamais procuré de satisfaction. Il ne se rend pas
parfaitement compte de son état sexuel anormal; il a conscience d'avoir
un penchant pour le sexe masculin, mais il n'admet qu'avec réticence
qu'il a pour certains individus masculins un sentiment du délicieuse
amitié, sans qu'il s'y joigne un sentiment sensuel. Il n'abhorre pas
précisément le sexe féminin, il se déciderait même à épouser une femme
qui l'attirerait par des penchants artistiques homogènes aux siens, à
la condition qu'on lui fît grâce de ses devoirs conjugaux qui lui
seraient désagréables et dont l'accomplissement le rendrait faible et
le fatiguerait. Le malade nie avoir jamais eu des rapports sexuels avec
des hommes; mais ses dénégations sont démenties par l'embarras et la
rougeur qu'il manifeste en parlant de ce sujet, et plus encore par un
incident arrivé à N..., où le malade se trouvait il y a quelque temps:
au restaurant, il a essayé d'entrer en rapports sexuels avec quelques
jeunes gens et a provoqué ainsi un immense scandale.
L'extérieur
aussi, l'habitus, la conformation du corps, les gestes, les manières,
la toilette attirent l'attention et rappellent décidément des formes et
des allures féminines. Le malade est d'une taille au-dessus de la
moyenne, mais le thorax et le bassin sont de conformation féminine. Le
corps est riche en graisse, la peau bien soignée, tendre et douce.
Cette impression qu'on est en présence d'une femme habillée en homme
est encore renforcée par le fait que la figure ne porte que peu de
barbe qui d'ailleurs est rasée, le malade n'ayant laissé qu'une petite
moustache, et aussi par sa démarche dandinante, ses manières timides et
pleines de minauderies, ses traits féminins, l'expression flottante et
névropathique de ses yeux, les traces de rouge et du blanc sur sa
figure, la coupe gomineuse de ses vêtements, avec un veston bombé
devant comme par des seins, sa cravate à franges et nouée à la façon
des dames, et enfin ses cheveux séparés au milieu par une raie, ramenés
et collés sur les tempes.
L'examen du corps a permis de
constater une conformation d'un caractère féminin incontestable. Les
parties génitales externes sont, il est vrai, bien développées, mais le
testicule gauche est resté dans le canal inguinal, le mons Veneris est
peu poilu, anormalement riche en graisse et proéminent. La voix est
d'un timbre élevé et manque absolument de caractère viril.
Les
occupations et les pensées de V... H... ont également un caractère
féminin très prononcé. Il a son boudoir, sa table de toilette bien
assortie devant laquelle il passe des heures entières, s'occupant de
toutes sortes d'artifices pour s'embellir; il abhorre la chasse, les
exercices d'armes et toutes les occupations masculines; il se désigne
lui-même comme un bel esprit, parle de préférence de ses peintures, de
ses essais poétiques, s'intéresse aux ouvrages féminins, tels que la
broderie qu'il fait aussi; il dit que son bonheur suprême serait de
passer sa vie dans un cercle de messieurs et de dames qui auraient des
goûts artistiques, une éducation esthétique, d'occuper son temps en
conversations, à faire de la musique, à discuter des questions
d'esthétique, etc. Sa conversation roule de préférence sur les choses
féminines, les modes, les travaux manuels de la femme, l'art de la
cuisine, les affaires du ménage.
Le malade est bien portant,
mais un peu anémique. Il est de constitution névropathique et présente
des symptômes de neurasthénie qui sont entretenus par son genre de vie
manqué, par un trop long séjour au lit et à la chambre, par sa mollesse.
Il
se plaint de maux de tête périodiques, de congestions céphaliques, de
constipation habituelle; il a facilement des soubresauts d'effroi: il
se plaint d'être parfois faible et fatigué, d'avoir des douleurs aiguës
dans les extrémités, dans la direction des nerfs lombo-abdominaux; il
se sent fatigué après ses pollutions et après ses repas; il est
sensible à la pression sur le Proc. spinosi, sur le thorax, la
poitrine, de même qu'à la palpation des nerfs qui y conduisent. Il
éprouve d'étranges sympathies ou antipathies pour certains personnages;
quand il rencontre des personnes antipathiques, il est en proie à un
état singulier d'angoisse et de trouble. Ses pollutions, bien qu'elles
soient actuellement devenues rares, sont pathologiques, car elles se
produisent même au cours de la journée et sans aucune émotion
voluptueuse.
Conclusions médicales.--1º M. V... H... est d'après
tout ce qu'on a observé en lui et rapporté sur sa personne, un être
intellectuellement anormal, défectueux, et il faut ajouter qu'il l'est
ab origine. Son inversion sexuelle présente un phénomène partiel de
cette conformation anormale au point de vue physique et intellectuel.
2º Cet état, étant primitif, n'est susceptible d'aucune guérison.
Il
y a dans les centres intellectuels les plus élevés une organisation
défectueuse, qui le rend incapable de diriger son existence par
lui-même et d'acquérir une position sociale par l'exercice d'une
profession. Son sentiment sexuel pervers l'empêche de fonctionner
sexuellement d'une façon normale; il a, en outre, pour lui, toutes les
conséquences sociales d'une pareille anomalie: dangers dans la
satisfaction des envies perverses qui résultent de son organisation
anormale, ses craintes de conflits avec la loi et la société. Cette
préoccupation cependant ne doit pas être très grande, étant donné que
l'instinct génital pervers du malade est minime.
3º M. V... H...
n'est pas irresponsable dans le sens légal du mot; il n'y a pas lieu de
l'interner dans un asile d'aliénés, cela n'est pas nécessaire.
Bien
que ce soit un grand enfant, incapable de se diriger lui-même, il peut,
sous la surveillance et la direction d'hommes intellectuellement
normaux, vivre dans la société. Il est capable aussi jusqu'à un certain
degré de respecter les lois et les prescriptions de la société civile
et de les prendre comme ligne de direction pour ses actes; mais en vue
des aberrations sexuelles et des conflits avec la loi qui en pourraient
résulter, il faut appuyer sur le fait que son sentiment sexuel est
anormal et basé sur des conditions organiques et morbides, circonstance
dont éventuellement on devra lui tenir compte.
4º M. V... H... souffre aussi physiquement. Il présente des symptômes d'une anémie légère et de neurasthenia spinalis.
Un
régime de vie rationnel, un traitement médical tonique et autant que
possible hydrothérapique paraissent nécessaires. Il faut maintenir le
soupçon que la masturbation pratiquée de bonne heure a été la cause
première de cette maladie, et la possibilité de l'existence d'une
spermatorrhée, étiologiquement et thérapeutiquement importante, paraît
tout indiquée. (Observation personnelle, Zeitschrift f. Psychiatrie.)
OBSERVATION
130.--Mlle X..., trente-huit ans, s'est présentée à l'automne de 1881 à
ma consultation pour de violentes douleurs spinales, une insomnie
persistante qu'elle a voulu combattre et qui l'a amenée au morphinisme
et au chloralisme.
La mère et la soeur avaient une maladie de
nerfs; les autres membres de la famille seraient bien portants, à ce
qu'elle dit. La malade prétend que sa maladie date de 1872, à la suite
d'une chute sur le dos dont elle fut vivement effrayée: mais étant
encore jeune fille, elle souffrait déjà de crampes musculaires et de
symptômes hystériques. Par suite de sa chute, il s'est développé une
névrose neurasthénico-hystérique où prédominaient l'irritation spinale
et l'insomnie. Épisodiquement elle eut de la paraplégie hystérique qui
dura jusqu'à huit mois, et des accès de délire d'hysteria
hallucinatoria avec crampes. Au cours de sa maladie, il se surajouta
des symptômes de morphinisme. Un séjour de plusieurs mois à la clinique
a fait cesser le morphinisme et a atténué considérablement la névrose
neurasthénique; à ce propos, la faradisation générale s'est montrée
étonnamment favorable.
Au premier aspect, la malade avait fait
une impression étrange par ses vêtements, ses traits et ses manières.
Elle portait un chapeau d'homme, des cheveux coupés courts, un
pince-nez, une cravate d'homme, une jaquette à coupe masculine et qui
couvrait une grande partie de sa robe; elle avait les traits durs,
masculins, une voix un peu grave: elle fit plutôt l'impression d'un
homme en jupons que d'une dame, en faisant abstraction de la gorge et
de la conformation féminine du bassin.
Pendant sa longue période
d'observation, la malade ne présenta jamais aucun signe d'érotisme.
Interrogée sur son genre d'habillement, elle répondit que la mise
qu'elle avait choisie lui allait mieux. Peu à peu on lui fit avouer
qu'étant petite fille encore, elle avait une prédilection pour les
chevaux et les occupations masculines, mais aucun intérêt pour les
ouvrages de femme. Plus tard, elle aima beaucoup la lecture et eut le
désir de se faire institutrice. Elle n'a jamais trouvé aucun plaisir à
la danse qu'elle a toujours considérée connue une chose insensée. Le
bal non plus n'eut jamais d'attrait pour elle. Son plus grand plaisir
était le cirque. Jusqu'à sa maladie de 1872, elle n'a eu d'affection ni
pour les personnes de l'autre sexe, ni pour celles de son propre sexe.
À partir de cette époque, elle ressentit une amitié chaleureuse, qui
lui paraissait étrange à elle-même, pour les femmes, surtout pour les
dames jeunes; elle éprouva et satisfit son besoin de porter des
chapeaux et des paletots à la façon des hommes. Depuis 1869, elle a
coupé ses cheveux et elle les porte peignés à la façon des hommes. Elle
prétend n'avoir jamais été excitée sensuellement dans ses
fréquentations avec les jeunes dames, mais son amitié et son dévouement
pour celles qui lui étaient sympathiques, étaient illimités, tandis
qu'elle éprouvait une aversion pour les hommes et leur société.
Ses
parents rapportent que, avant 1872, on demanda la malade en mariage,
mais qu'elle refusa; elle est, en 1877, revenue d'une station thermale
tout à fait changée sexuellement; depuis elle a parfois donné à
entendre qu'elle ne se considérait pas comme un être féminin.
Depuis
elle ne voulut fréquenter que des dames; elle a toujours une sorte de
liaison amoureuse avec l'une ou avec l'autre et laisse parfois échapper
la remarque qu'elle se sent homme. Cet attachement pour les dames
dépasse la mesure de l'amitié; il y a des larmes, des scènes de
jalousie, etc. En 1874, comme elle passait dans une ville balnéaire,
une jeune dame est tombée amoureuse de la malade qu'elle prit pour un
homme déguisé en femme. Quand cette dame plus tard s'est mariée, la
malade est devenue mélancolique pendant un certain temps et a parlé
d'infidélité. L'attention des parents fut aussitôt éveillée par son
penchant pour les vêtements d'hommes, par ses allures masculines, son
aversion pour les ouvrages féminins; singularités qui ne se
manifestaient que depuis sa maladie, tandis que, auparavant, la malade,
du moins au point de vue sexuel, n'avait présenté aucun symptôme
étrange. D'autres recherches il est résulté que la malade entretenait,
avec la dame décrite dans l'observation 118, une liaison d'amour qui,
en tout cas, n'était pas purement platonique et qu'elle écrivait à
cette dame des billets tendres, comme un amant en écrirait à sa
maîtresse.
J'ai revu en 1887 la malade dans un hôpital où elle
avait été transportée de nouveau, à cause de ses accès
hystéro-épileptiques, son irritation spinale et son morphinisme.
L'inversion sexuelle subsistait toujours; ce n'est que grâce à une
surveillance rigoureuse qu'on a pu empêcher la malade de faire des
tentatives impudiques sur des malades femmes. Son état n'a pas changé
jusqu'en 1889. Alors la malade fit une grave maladie, et mourut au mois
d'août 1889 d'épuisement.
L'autopsie a fait constater dans les
organes végétatifs: dégénérescence amyloïde des reins, fibrome de
l'utérus, kyste de l'ovaire gauche. L'os frontal semblait très épaissi,
inégal à sa surface interne, avec de nombreuses exostoses; la dure-mère
était soudée à la boite cranienne.
Le diamètre longitudinal du
crâne était de 175, le diamètre en largeur de 148 millimètres. Le poids
total du cerveau oedématié, mais non atrophié, était de 1,175 grammes.
Les méninges étaient fines, faciles à détacher. Écorce cérébrale pâle,
circonvolutions cérébrales larges, peu nombreuses, et régulièrement
disposées. Dans le cervelet et les gros ganglions, rien d'anormal.
OBSERVATION
131 (Gynandrie[95]).--Le 4 novembre 1889, le beau-père d'un certain
comte V. Sàndor se plaignit au parquet que le comte lui avait extorqué
la somme de 800 florins, sous prétexte qu'il avait besoin de cette
somme pour un cautionnement qu'il devait déposer pour devenir
secrétaire d'une société d'actions. On a, en outre, établi que Sàndor
avait falsifié des traités, que la cérémonie nuptiale du printemps de
1889, lorsqu'il s'était uni à sa femme, était fictive, et surtout que
ce prétendu comte Sàndor n'était pas un homme, mais une femme déguisée
en homme et dont le vrai nom était comtesse Sarolla (Charlotte) de V...
[Note
95: Comparez les rapports détaillés des médecins légistes sur ce cas
réunis par le docteur Birnbacher dans Friedreichs Blætter f. ger. Med.,
1891, fascicule 1.]
S... fut arrêté et une instruction
judiciaire ouverte contre lui pour escroquerie et falsification de
documents publics. Dans le premier interrogatoire, S..., né le 6
décembre 1866, reconnut qu'il était de sexe féminin, de culte
catholique, célibataire, et vivait comme auteur, sous le nom de comte
Sàndor V...
Voici les faits remarquables et corroborés par d'autres témoignages, qui ressortent de l'autobiographie de cet homme-femme.
S... est originaire d'une famille de vieille noblesse, très considérée en Hongrie, famille particulièrement excentrique.
Une
soeur de la grand'mère du côté maternel était hystérique, somnambule,
et resta pendant dix-sept ans au lit pour une paralysie imaginaire. Une
deuxième grand'tante a passé sept ans au lit, s'imaginant qu'elle était
malade à mourir, ce qui ne l'empêchait point de donner des bals. Une
troisième avait le spleen et l'idée qu'une console de son salon était
maudite. Si quelqu'un mettait un objet sur cette console, la dame en
avait la plus vive émotion, criait sans cesse: «c'est maudit, c'est
maudit!» Elle portait l'objet dans une pièce qu'elle appelait la
«chambre noire», et dont elle gardait sur elle la clef. Après la mort
de cette dame, on trouva dans la soi-disant «chambre noire» un grand
nombre de châles, de bijoux, de billets de banque, etc. Une quatrième
grand'tante n'a pas laissé balayer sa chambre pendant deux ans; elle ne
se débarbouillait ni ne se peignait. Elle ne se montra qu'après ces
deux ans expirés. Toutes ces femmes étaient en même temps très
instruites, spirituelles et aimables.
La mère de S... était nerveuse et ne pouvait supporter le clair de lune.
On
prétend que la famille du côté paternel avait une vis de trop dans ses
rouages. Une branche de la famille s'occupe presque exclusivement de
spiritisme. Deux parents proches du côté paternel se sont brûlé la
cervelle. La majorité des descendants masculins sont des gens de grand
talent. Les descendants féminins sont tous des êtres bornés et terre à
terre. Le père de S... occupait un poste élevé qu'il a cependant dû
quitter à cause de son excentricité et de sa prodigalité (il a mangé
plus d'un million et demi de florins).
Une des manies du père
fut de faire élever S... tout à fait en garçon; il la faisait monter à
cheval, conduire des chevaux, chasser; il admirait son énergie virile
et l'appelait Sàndor.
Par contre, ce père maniaque a fait
habiller de vêtements féminins son fils cadet, et l'a fait élever en
fille. La farce cessa à l'âge de seize ans, quand ce garçon dut entrer
dans un lycée, pour faire ses études.
Sarolta Sàndor, cependant,
resta sous l'influence de son père jusqu'à l'âge de douze ans; alors on
l'envoya chez sa grand'mère maternelle, femme excentrique qui vivait à
Dresde, mais qui la mit dans une pension de demoiselles, lorsque les
goûts virils de la petite commencèrent à devenir trop exagérés.
À
l'âge de treize ans, elle noua dans la pension une liaison d'amour avec
une Anglaise à laquelle elle déclara être un garçon et l'enleva.
Sarolta
revint ensuite chez sa mère qui n'avait aucune action sur sa fille et
qui dut permettre que sa Sarolta redevienne Sàndor, qu'elle porte de
nouveau des vêtements de garçon et qu'elle ait chaque année au moins
une liaison d'amour avec des personnes de son propre sexe. En même
temps, Sarolta recevait une éducation très soignée, faisait de grands
voyages avec son père, bien entendu toujours habillée en jeune
monsieur, fréquentait les cafés, même des lieux équivoques, et se
vantait même d'avoir, un jour, au lupanar, in utroque genu puellas
sedisse. Sarolta se grisait souvent, était passionnée pour les sports
virils, très forte en escrime. Elle se sentait particulièrement attirée
vers les actrices ou vers les femmes isolées et qui autant que possible
n'étaient pas de la première jeunesse. Elle affirme n'avoir jamais eu
d'affection pour un jeune homme et avoir éprouvé, d'année en année, une
aversion croissante pour les individus du sexe masculin. «J'aimais
mieux aller avec des hommes peu jolis et insignifiants dans la société
des dames, afin de n'être éclipsée par aucun d'eux. Si j'apercevais
qu'un de mes compagnons éveillait des sympathies chez les dames, j'en
devenais jalouse. Parmi les dames, je préférais les spirituelles à
celles qui avaient de la beauté physique. Je ne pouvais souffrir ni les
dames grosses et encore moins celles qui étaient folles des hommes.
J'aimais la passion féminine qui se manifestait sous un voile poétique.
Toute effronterie de la part d'une femme m'inspirait du dégoût. J'avais
une idiosyncrasie indicible pour les vêtements de femme et, en général,
pour tout ce qui est féminin, mais seulement sur moi et en moi; car, au
contraire, j'avais de l'enthousiasme pour le beau sexe.»
Depuis
environ dix ans, Sarolta a vécu toujours loin de sa famille et toujours
en homme. Elle eut un grand nombre de liaisons avec des dames, fit des
voyages avec elles, dépensa beaucoup d'argent et contracta des dettes.
En
même temps, elle se consacrait aux travaux littéraires et devint le
collaborateur très apprécié de deux grands journaux de la capitale.
Sa passion pour les dames était très variable. Elle n'avait pas de constance en amour.
Une
seule fois une de ses liaisons a duré trois ans. Il y a plusieurs
années que Sarolta fit au château de G... la connaissance de Mme Emma
E... qui avait dix ans plus qu'elle. Elle tomba amoureuse de cette
dame, conclut avec elle un contrat de mariage et vécut avec elle
pendant trois ans, maritalement, dans la capitale.
Un nouvel
amour qui lui fut funeste, l'a décidée à rompre ses «liens conjugaux»
avec E... Celle-ci ne voulait pas quitter Sarolta. Ce n'est qu'au prix
de grands sacrifices matériels, que Sarolta a racheté sa liberté. E...,
dit-on, se donne encore aujourd'hui comme femme divorcée et se
considère comme comtesse V... Sarolta a dû inspirer aussi à d'autres
dames de la passion; cela ressort du fait que, avant son «mariage» avec
E..., alors qu'elle s'était lassée d'une demoiselle D..., après avoir
dépensé avec elle plusieurs milliers de florins, celle-ci la menaça de
lui brûler la cervelle, si elle ne lui restait pas fidèle.
Ce
fut l'été de 1887, pendant un séjour dans une station balnéaire, que
Sarolta fit la connaissance de la famille d'un fonctionnaire très
estimé, M. E... Aussitôt Sarolta devint amoureuse de Marie, la fille de
ce fonctionnaire, et en fut aimée. La mère et la cousine de la jeune
fille essayèrent de la détourner de cette liaison, mais vainement.
Pendant l'hiver, les deux amoureux échangèrent des lettres. Au mois
d'avril 1888, le comte S... vint faire une visite, et au mois de mai
1889, il atteignit le comble de ses désirs: Marie qui entre temps avait
quitté sa place d'institutrice, fut unie par un pseudo-prêtre hongrois
à son S... adoré dans une tonnelle de jardin improvisée en chapelle; un
ami de son fiancé figurait comme témoin.
Le couple vivait
heureux et joyeux, et sans la plainte déposée par le beau-père, ce
simulacre de mariage aurait encore duré longtemps. Il est à remarquer
que pendant la longue période de son état de fiancé, S... a réussi à
induire la famille de sa fiancée en erreur complète sur son véritable
sexe.
S... était fumeur passionné, avait des allures et des
passions tout à fait masculines. Ses lettres et même les convocations
des tribunaux lui parvenaient sous l'adresse de «Comte S...»; il disait
entre autres souvent qu'il lui faudrait bientôt aller faire ses
vingt-huit jours. Il ressort des allusions faites par le «beau-père»
que S...--(ce qu'il a d'ailleurs plus tard avoué)--a pu simuler
l'existence d'un scrotum à l'aide d'un mouchoir ou d'un gant qu'il
fourrait dans une des poches de son pantalon. Le beau-père a aussi
remarqué un jour chez son futur gendre quelque chose comme un membre en
érection (probablement un priape); celui-ci a même donné à entendre
qu'il lui serait nécessaire de se servir d'un suspensoir toutes les
fois qu'il monterait à cheval. En effet S... portait un bandage autour
du corps, probablement pour attacher un priape.
Bien que S... se
fît souvent raser, pour la forme, on était pourtant convaincu dans
l'hôtel qu'il était femme, car la fille de chambre avait trouvé dans
son linge des traces de sang provenant des menstrues (sang que S...
prétendait être de provenance hémorroïdale): un jour que S... prenait
un bain, la même fille de chambre, ayant regardé à travers le trou de
la serrure, prétendit s'être convaincue de visu du sexe féminin de S...
Il faut croire que la famille de Mlle Marie fut pendant longtemps dans l'erreur sur le véritable sexe du pseudo-époux.
Rien
ne caractérise mieux la naïveté et l'innocence incroyable de cette
malheureuse fille que le passage suivant d'une lettre adressée par
Marie à S... le 20 août 1889:
«Je n'aime plus les enfants des
autres, mais un petit bébé de mon Sandi, une superbe petite
poupée,--ah! quel bonheur, mon Sandi!»
Quant à l'individualité
intellectuelle de S..., un grand nombre de manuscrits nous fournissent
les renseignements désirés. L'écriture a du caractère, de la fermeté et
de l'assurance. Ce sont des traits de plume foncièrement virils. Le
contenu se répète partout avec les mêmes singularités: passion féroce
et effrénée, haine et guerre à tout ce qui s'oppose à son coeur avide
d'amour et d'affection, amour au souffle poétique, amour qui ne touche
jamais à rien de vil, enthousiasme pour tout ce qui est beau et noble,
goût pour les sciences et les beaux-arts.
Les écrits de Sarolta
dénotent une vaste connaissance des littératures de toutes les langues:
il y a là des citations des poètes et des prosateurs de tous les pays.
Des gens compétents affirment aussi que les produits poétiques et la
prose de S... ne sont pas sans valeur.
Les lettres et les écrits
qui concernent ses rapports avec Marie, sont très remarquables au point
de vue psychologique. S... parle du bonheur qui fleurit pour elle aux
côtés de Marie, de son immense désir de voir, ne fût-ce qu'un moment,
la femme adorée. Après tant de honte, elle ne désire qu'échanger sa
cellule contre la tombe. La douleur la plus amère, c'est l'idée que
maintenant Marie aussi la haïra. Elle a versé des larmes brûlantes sur
son bonheur perdu, des larmes si abondantes qu'elle pourrait s'y noyer.
Des feuilles entières sont consacrées à la glorification de cet amour,
aux souvenirs du temps de son premier amour et de sa première
connaissance.
S... se plaint de son coeur qui ne se laisse pas
dominer par la raison; elle manifeste des explosions de sentiments,
qu'on ne peut que sentir dans la réalité, et qu'on ne peut feindre.
Puis de nouveau, des explosions de la passion la plus folle avec la
déclaration de ne pouvoir plus vivre sans Marie. «Ta voix si chère et
si aimée, cette voix au son de laquelle je sortirais peut-être encore
de ma tombe, cette voix dont le son m'était toujours la promesse du
paradis! Ta seule présence était suffisante pour soulager mes
souffrances physiques et morales. C'était un courant magnétique, une
singulière puissance que ton être a exercée sur le mien et que je ne
saurais jamais définir. Ainsi j'en suis restée à la définition
éternellement juste et vraie: Je l'aime, parce que je l'aime. Dans la
nuit sombre et pleine de désolation, je n'avais qu'une étoile, l'astre
de l'amour de Marie. Cet astre est éteint maintenant; il n'en est resté
que le reflet, le souvenir doux et douloureux qui de sa lueur faible
éclaircit encore la nuit terrible de la mort, une étincelle
d'espoir...» Cet écrit se termine par cette apostrophe: «Messieurs,
sages jurisconsultes, psycho-pathologues et autres, jugez-moi! Chaque
pas que je faisais était guidé par l'amour, chacun de mes actes avait
pour cause l'amour.--Dieu me l'a inculqué dans le coeur. S'il m'a créée
telle et non autrement, est-ce ma faute ou sont-ce les voies du destin
à jamais insondables? J'ai foi en Dieu et je crois qu'un jour la
délivrance viendra, car ma faute n'était que l'amour même, base et
principe fondamental de ses doctrines et de son empire. Dieu
miséricordieux, tout-puissant, tu vois mes peines, tu sais combien je
souffre: penche-toi vers moi, tends-moi ta main secourable, puisque
tout le monde m'a déjà abandonnée. Dieu seul est juste. Dans quel beau
langage le dit Victor Hugo dans sa Légende des Siècles! Qu'il me semble
triste et singulier cet air de Mendelssohn: Chaque nuit je te vois dans
mon rêve...»
Bien que S..., sache qu'aucun de ses écrits
n'arrivera à sa «tête de lionne adorée», elle ne se lasse point de
remplir les feuilles de l'exaltation de la personne de Marie, d'y
transcrire les explosions de sa douleur et de son bonheur en amour, «de
solliciter une seule larme claire et brillante, versée par un clair et
tranquille soir d'été, quand le lac est embrasé des feux du soleil
couchant, comme de l'or fondu, et que les cloches de Sainte-Anna et de
Maria-Woerth se fondent en une harmonie mélancolique et annoncent le
calme et la paix à cette pauvre âme, à ce pauvre coeur qui jusqu'au
dernier soupir n'a battu que pour toi.»
Examen personnel.--La
première rencontre que les médecins légistes eurent avec Mlle S..., fut
en quelque sorte un embarras pour les deux parties: pour les médecins,
parce que la tournure virile, peut-être exagérée, de S..., leur en
imposait; pour elle, parce qu'elle craignait d'être déshonorée par le
stigmate de la moral insanity. Une figure intelligente, pas laide, qui
malgré une certaine délicatesse des traits et une certaine exiguïté des
parties, aurait eu un caractère masculin très prononcé, s'il n'y avait
pas absence totale de moustaches, ce que S... regrettait beaucoup. Il
était difficile, même pour les médecins légistes, malgré les vêtements
féminins de Sarolta, de se figurer sans cesse avoir devant eux une
dame: par contre, les rapports avec Sàndor homme se passaient avec
beaucoup plus de sans-gêne, de naturel, et de correction apparente,
l'accusée elle-même le sent bien. Elle devient plus franche, plus
communicative, plus dégagée, aussitôt qu'on la traite en homme.
Malgré
son penchant pour le sexe féminin qui existait chez elle depuis les
premières années de sa vie, elle prétend n'avoir éprouvé les premières
manifestations de l'instinct génital qu'à l'âge de treize ans,
lorsqu'elle enleva l'Anglaise à cheveux roux du pensionnat de Dresde.
Cet instinct se manifestait alors par une sensation de volupté, quand
elle embrassait et caressait son amie. Déjà à cette époque, elle ne
voyait dans ses songes que des êtres féminins; depuis, dans ses rêves
érotiques, elle se sentit toujours dans la situation d'un homme, et à
l'occasion, elle eut aussi la sensation de l'éjaculation.
Elle
ne connaît ni l'onanisme solitaire ni l'onanisme mutuel. Pareille chose
lui paraît dégoûtante et au-dessous de la «dignité d'un homme». Elle ne
s'est jamais laissée toucher par d'autres ad genitalia, d'abord pour la
raison qu'elle tenait beaucoup à garder son secret. Les menses ne se
sont produites qu'à l'âge de dix-sept ans, elles venaient toujours
faiblement et sans aucun malaise. S... abhorre visiblement la
discussion des phénomènes de la menstruation; c'est quelque chose qui
répugne à ses sentiments et à sa conscience d'homme. Elle reconnaît le
caractère morbide de ses penchants sexuels, mais elle ne désire pas un
autre état, se sentant bien et heureuse dans cette situation perverse.
L'idée d'un rapport sexuel avec des hommes lui fait horreur et elle en
croit l'exécution impossible.
Sa pudeur va si loin qu'elle
coucherait plutôt avec des hommes qu'avec des femmes. Ainsi quand elle
veut satisfaire un besoin naturel ou changer du linge, elle se voit
dans la nécessité de prier sa compagne de cellule de se tourner vers la
fenêtre pour qu'elle ne la regarde pas.
Quand S... se trouve par
hasard en contact avec sa compagne de cellule, femme de la lie du
peuple, elle éprouve une excitation voluptueuse, et a dû en rougir.
S... raconte, même spontanément, qu'elle fut en proie à une véritable
angoisse lorsque, dans la cellule de la prison, elle fut forcée de
reprendre les vêtements de femme dont elle avait perdu l'habitude. Sa
seule consolation fut qu'on lui avait laissé au moins sa chemise
d'homme. Ce qui est très remarquable et ce qui prouve l'importance du
sens olfactif dans sa vita sexualis, c'est qu'elle nous dit que, après
le départ de Marie, elle avait cherché et reniflé les endroits du
canapé où la tête de Marie s'était posée, pour respirer avec volupté le
parfum de ses cheveux. Quant aux femmes, ce ne sont pas précisément les
jeunes et les plantureuses qui intéressent S..., les très jeunes non
plus. Elle ne met qu'au second rang les charmes physiques de la femme.
Elle se sent attirée comme par une force magnétique vers celles qui
sont entre vingt-quatre et trente ans. Elle trouvait sa satisfaction
sexuelle exclusivement in corpore feminæ (jamais sur son propre corps),
par la manustupration de la femme aimée ou en faisant le cunnilingus. À
l'occasion elle se servait aussi d'un bas garni d'étoupe comme priape.
S... ne fait qu'à contre-coeur et avec un visible embarras pudique ces
révélations; de même, dans ses écrits, on ne trouve aucune trace
d'impudicité ou de cynisme.
Elle est dévote, a un vif intérêt
pour tout ce qui est beau et noble, sauf pour les hommes; elle est très
sensible à l'estime morale des autres.
Elle regrette
profondément d'avoir par sa passion rendu Marie malheureuse, trouve
pervers ses sentiments sexuels, et cet amour d'une femme pour une autre
femme moralement répréhensible chez les individus sains. Elle a
beaucoup de talent littéraire, possède une mémoire extraordinaire. Sa
seule faiblesse est sa légèreté colossale et son incapacité de gérer,
avec bon sens, l'argent et les valeurs en argent. Mais elle se rend
parfaitement compte de cette faiblesse et nous prie de n'en plus parler.
S...
a 153 centimètres de taille; elle est d'une charpente osseuse délicate
et maigre, mais étonnamment musculeuse sur la poitrine et sur la partie
supérieure des cuisses. Sa démarche, avec des vêtements féminins, est
maladroite.
Ses mouvements sont vigoureux, pas désagréables,
bien que d'une certaine raideur masculine, sans grâce. Elle salue par
une vigoureuse poignée de mains. Toute son attitude a l'air résolue,
énergique, et dénote une certaine confiance en sa propre force. Le
regard est intelligent, l'air un peu sombre. Ses pieds et ses mains
sont remarquablement petits comme chez un enfant. Les parties
tendineuses des extrémités sont remarquablement velues, tandis qu'on ne
voit pas de poils de barbe, ni même de duvet, malgré les expériences
faites avec le rasoir. Le torse ne répond pas du tout à la conformation
féminine. La taille manque. Le bassin est si mince et si peu proéminent
qu'une ligne partie d'au-dessous de l'aisselle et allant au genou
correspondant forme une ligne droite et n'est ni enfoncée par la
taille, ni repoussée en dehors par le bassin. Le crâne est légèrement
oxycéphale et reste dans toutes ses dimensions d'un centimètre
au-dessous du volume moyen du crâne féminin.
La circonférence du
crâne est de 32 centimètres, la ligne de l'oreille à la pointe
postérieure du crâne de 24, la ligne de l'oreille à l'occiput de 23,
celle de l'oreille au front de 26,5; la circonférence longitudinale est
de 30, la ligne de l'oreille au menton de 20,5, le diamètre
longitudinal de 17, le plus grand diamètre en largeur de 13, la
distance des conduits auditifs de 12, la ligne des jugulaires de 11,2
centimètres. La mâchoire supérieure dépasse la mâchoire inférieure de
0,5 centimètre. La position des dents n'est pas tout à fait normale. La
dent oculaire supérieure à droite ne s'est jamais développée. La bouche
est remarquablement petite. Les oreilles sont décollées, les lobes ne
sont pas séparés, mais se confondent avec la peau des joues. Le palais
est dur, étroit et bombé. La voix est dure et grave. Les seins sont
assez développés, mais sans sécrétion. Le mons Veneris est couvert de
poils touffus et foncés. Les parties génitales sont tout à fait
féminines, sans aucune trace de phénomènes d'hermaphrodisme, mais leur
développement s'est arrêté; elles ont le type enfantin d'une fille de
dix ans. Les labia majora se touchent presque complètement, les minora
ont la forme d'une crête de coq et proéminent au-dessus des grandes. Le
clitoris est petit et très sensible. Le frenulum est tendre, le
perineum très étroit, introitus vaginæ étroit, avec muqueuse normale.
L'hymen manque (probablement absence congénitale), de même les
carunculæ myrtiformes. La vagina est tellement étroite que
l'introduction d'un membrum virile serait impossible; d'ailleurs très
sensible. Il est évident que jusqu'ici le coït n'a pas eu lieu.
L'utérus est senti à travers le rectum gros comme une noix; il est
immobile et en rétroflexion.
Le bassin est aminci dans tous les
sens (rabougri), avec un type masculin très prononcé. La distance entre
les pointes de l'os iliaque antérieur est de 22,3 (au lieu de 26,9),
celle des crêtes iliaques 26,5 (au lieu de 29,3) celle des trochanter
de 27,7 (31), les conjungata externes ont 17,2 (19-20), et les internes
ont 7,7 (au lieu de 10,8). En raison du peu de largeur du bassin, les
cuisses ne sont pas convergentes comme c'est le cas chez la femme, mais
leur position est tout à fait droite.
Le rapport médical a
démontré que chez S..., il y a une inversion morbide et congénitale du
sentiment sexuel, inversion qui se manifeste même anthropologiquement
par des anomalies dans le développement du corps, et qui a pour cause
de lourdes tares héréditaires; qu'enfin les actes incriminés trouvent
leur explication dans la sexualité morbide et irrésistible de la malade.
La
remarque caractéristique de S.: «Dieu m'a inculqué l'amour dans le
coeur; s'il m'a créée telle et pas autrement, est-ce ma faute, ou
sont-ce les voies insondables de la Providence?» est, sous ce rapport,
tout à fait légitime.
Le tribunal a prononcé l'acquittement. La
«comtesse en vêtements d'homme», comme l'appelaient les journaux,
rentra dans la capitale de son pays où elle figure de nouveau comme
comte Sàndor. Son seul chagrin est que son amour heureux avec sa Marie
ardemment adorée a maintenant disparu.
Une femme mariée, à
Brandon (Wisconsin), dont le docteur Kiernan rapporte l'histoire (The
med. Standard, 1888, nov.-déc), a eu plus de chance. Elle enleva, en
1883, une jeune fille, se laissa marier avec elle à l'église, et vécut
maritalement avec elle sans être dérangée.
Un cas rapporté par
Spitzka (Chicago med. Review du 20 août 1881) fournit un intéressant
exemple historique d'androgynie. Il concerne lord Cornbury, gouverneur
de New-York, qui a vécu sous le gouvernement de la reine Anne, et qui,
évidemment atteint de moral insanity, était un débauché effréné. Malgré
sa haute position, il ne pouvait s'empêcher de se promener dans les
rues vêtu en femme et avec toutes les allures et les minauderies d'une
cocotte.
Sur un des portraits qu'on a pu conserver de lui, on
remarquera surtout l'étroitesse de son os frontal, sa face asymétrique,
ses traits féminins, sa bouche sensuelle. Il est certain qu'il ne s'est
jamais pris lui-même pour une femme.
Chez les individus atteints
d'inversion sexuelle, le sentiment et la tendance sexuels pervers
peuvent aussi se compliquer d'autres phénomènes de perversion.
Il
est probable qu'il s'agit, en ce qui concerne la manifestation de
l'instinct, de faits analogues à ceux qui se produisent chez les
personnes hétérosexuelles perverses dans la mise en action de leur
instinct.
Étant donné cette circonstance que l'inversion
sexuelle va presque régulièrement de pair avec une accentuation morbide
de la vie sexuelle, il est fort possible que des actes sadistes et de
volupté cruelle se produisent sans la satisfaction du libido. Un
exemple caractéristique à ce sujet est le cas de Zastroio
(Casper-Liman, 7e édit., t. I, p. 160; t. II, p. 487), qui a mordu une
de ses victimes, un garçon, lui a déchiré le prépuce, fendu l'anus, et
finalement l'a étranglé.
Z... était issu d'un grand-père
psychopathe, d'une mère mélancolique; son oncle maternel s'adonnait à
des jouissances sexuelles anormales et s'est suicidé.
Z... était
né d'uraniste; dans son habitus et ses occupations, il était de
caractère masculin, atteint de phimosis; c'était un homme faible
psychiquement, tout à fait déséquilibré et, au point de vue social,
tout à fait inutilisable. Il avait l'horror feminæ; dans ses rêves
érotiques, il se sentait femme en face de l'homme; il avait la pénible
conscience de son absence de sentiment sexuel normal et de son penchant
pervers; il essaya de trouver une satisfaction dans l'onanisme mutuel
et eut souvent des désirs de pédérastie.
On trouve dans
l'historique de quelques-uns des malades précédents de pareilles
velléités sadistes chez des invertis sexuels (comp. observations 107,
108 de cette édition). Il y a aussi du masochisme parfois (comp.
observations 43, 6e édition, observation 111, 114 de cette édition).
Comme
exemple de satisfaction sexuelle perverse basée sur l'inversion
sexuelle, nous citerons encore ce Grec qui, comme le rapporte Athenæus,
était amoureux d'une statue de Cupidon et la souilla dans le temple de
Delphes; puis, outre les cas monstrueux cités dans le livre de Tardieu
(Attentats, p. 272), le cas horrible d'un nommé Artusio (voir Lumbroso:
L'uomo delinquente, p. 200) qui a ouvert le ventre d'un garçon et l'a
souillé par cette ouverture.
Les observations 86, 110, 111 prouvent que, dans l'inversion sexuelle, on rencontre quelquefois aussi du fétichisme.
DIAGNOSTIC, PRONOSTIC ET TRAITEMENT DE L'INVERSION SEXUELLE
L'inversion
sexuelle n'a eu pour la science jusqu'à ces derniers temps qu'un
intérêt anthropologique, clinique et médico-légal; on est arrivé, grâce
aux recherches plus récentes, à pouvoir penser aussi à la thérapie de
cette anomalie funeste qui, chez l'individu atteint, constitue un si
grave préjudice au point de vue moral, physique et social.
La
première condition d'une intervention thérapeutique, c'est la
différenciation exacte entre les cas de maladie acquise et ceux de
maladie congénitale, et le classement d'un cas concret dans une des
catégories qu'on a pu définir par la voie de l'empirisme scientifique.
Le diagnostic entre les cas acquis et congénitaux n'offre pas de difficultés au début.
Si l'inversio sexualis est déjà déclarée, l'étude rétrospective du cas donnera les éclaircissements nécessaires sur la maladie.
La
conclusion importante, au point de vue du pronostic, c'est-à-dire de
savoir s'il y a inversion congénitale ou acquise, ne peut dans ces cas
se déduire que d'une anamnèse minutieuse.
Il serait de la plus
grande importance, pour juger du caractère congénital de l'anomalie,
d'établir si l'inversion sexuelle existait longtemps avant que
l'individu se soit livré à la masturbation. Une enquête dans ce sens se
butte à une difficulté: la possibilité d'une indication inexacte de
l'époque (erreur de mémoire).
Prouver que le sentiment
hétérosexuel a existé avant la période de début de l'auto-masturbation
ou de l'onanisme mutuel, est chose importante pour la constatation
d'une inversion sexuelle acquise.
En général, les cas acquis sont caractérisés de la façon suivante:
1º
Le sentiment homosexuel ne se montre dans la vie de l'individu que
secondairement, et peut être dû parfois à des incidents qui ont troublé
la satisfaction sexuelle normale (neurasthénie onaniste, états
psychiques).
Il est cependant probable que dans ce cas, malgré
un libido sensuel et grossier, les sentiments et les penchants pour
l'autre sexe, surtout au point de vue de l'affection psychique et du
sens esthétique, ne reposent ab origine que sur une base très faible.
2º
Tant que l'inversion sexuelle ne s'est pas manifestée par des faits, le
sentiment homosexuel est jugé par la conscience comme vicieux et
morbide, et l'individu ne s'abandonne que faute de mieux à cette
anomalie.
3º Le sentiment hétérosexuel reste pendant longtemps
prédominant, et l'individu ressent péniblement l'impossibilité de le
satisfaire. Ce sentiment s'efface à mesure que le sentiment homosexuel
se fait de plus en plus fort.
Dans les cas congénitaux, au contraire, on observe les phénomènes suivants:
a)
Le sentiment homosexuel vient en première ligne et domine la vita
sexualis. Il apparaît comme une satisfaction naturelle et prédomine
aussi dans les songes de l'individu.
b) Le sentiment
hétérosexuel a manqué de tout temps, ou si, dans le cours de la vie de
l'individu, il se manifeste aussi (hermaphrodisme psycho-sexuel), il
n'est qu'un phénomène épisodique, ne trouve pas de racines dans l'âme
de l'individu, et n'est qu'un moyen accidentel pour satisfaire des
impulsions sexuelles.
D'après ce qui procède, la différenciation
entre les divers autres groupes d'invertis congénitaux et les cas
d'inversion acquise ne rencontrera guère de difficultés.
Le
pronostic des cas d'inversion sexuelle acquise est de beaucoup plus
favorable que celui des cas congénitaux. Dans les premiers, c'est
vraisemblablement l'effémination complète, la transformation psychique
de l'individu dans le sens de ses sentiments sexuels pervers qui
constitue la limite au delà de laquelle il n'y a plus rien à espérer
pour la thérapeutique. Dans les cas congénitaux, les diverses
catégories énumérées dans ce livre représentent autant de degrés divers
de la tare psychosexuelle, et la guérison n'est possible qu'avec la
catégorie des hermaphrodites, et seulement probable (voir plus loin le
cas de Schrenk-Notzing) dans les états de dégénérescence plus grave.
La
prophylaxie de ces états n'en serait que plus importante: empêchement
pour les congénitaux de procréer de pareils malheureux; préservation
pour les invertis acquis des influences nuisibles qui, d'après
l'expérience, pourraient amener cette fatale aberration du sentiment
sexuel.
D'innombrables héréditaires deviennent la proie de ce
triste mal, parce que les parents et les précepteurs ne se doutent même
pas des dangers que la masturbation peut avoir pour les enfants, sur un
terrain pareil.
Dans beaucoup d'écoles et de pensionnats il y a
pour ainsi dire un apprentissage de la masturbation et de l'impudicité.
Aujourd'hui on se préoccupe trop peu de la situation physique et morale
des élèves.
S'acquitter du programme d'études, voilà la
principale chose. Qu'importe si en même temps maint élève sombre au
physique et au moral!
Avec une pruderie ridicule on cache d'un
voile épais aux jeunes gens qui grandissent la vita sexualis: mais on
ne fait pas la moindre attention aux mouvements de leur instinct
génital. Combien peu de médecins sont consultés par leurs clients
souvent les plus lourdement tarés pendant la période de développement
des enfants.
On croit tout devoir abandonner à la nature. Par
moments celle-ci s'agite trop violemment et conduit par des voies
dangereuses les jeunes gens qui manquent de conseils et de secours.
Il ne nous paraît pas à propos d'approfondir ici le côté prophylactique de la question[96].
[Note
96: Les paroles suivantes, que m'a écrites le malade de l'observation
88 de la 6e édition, sont dignes d'attention sous le rapport de la
prophylaxie: «Si jamais on arrivait, non pas à détruire, comme chez les
Spartiates, les jeunes gens malingres pour avoir une bonne sélection
dans le sens des idées darwiniennes, mais à reconnaître notre inversion
sexuelle à l'âge de notre première jeunesse, on pourrait peut-être,
pendant cette période, guérir par la suggestion, la pire de toutes les
maladies! Il est probable que la guérison pourrait être plus facilement
obtenue dans la jeunesse que plus tard.»]
Les parents et les
précepteurs trouveront beaucoup d'indications et d'instructions dans ce
livre ainsi que dans les nombreux ouvrages scientifiques sur la
masturbation.
Voici les points à remplir dans le traitement de l'inversion sexuelle:
1º Combattre l'onanisme ainsi que les autres éléments nuisibles à la vita sexualis.
2º
Suppression de la névrose (neurasthenia sexualis et universalis)
produite par des conditions anti-hygiéniques de la vita sexualis.
3º Traitement psychique pour combattre les sentiments et les impulsions homosexuels et développer le penchant hétérosexuel.
Le point principal de l'action devra viser à remplir la troisième indication, surtout contre l'onanisme.
L'accomplissement
des points 1 et 2 du programme ne suffira que dans des cas très rares,
quand l'inversion sexuelle acquise n'est pas encore arrivée à un état
avancé. Le cas suivant rapporté par l'auteur dans le l'Irrenfreund de
1884, nº I, en fournit un exemple.
OBSERVATION 132.--Z... 51
ans, de mère psychopathe, a été mis dans son jeune âge à l'école des
cadets où il a été entraîné à l'onanisme. Il se développa bien au
physique; il avait le sens sexuel normal, et devint à l'âge de dix-sept
ans légèrement neurasthénique à la suite de pratiques de masturbation;
il eut des rapports sexuels avec des femmes et en éprouva du plaisir,
se maria à l'âge de vingt-cinq ans, mais fut atteint un an plus tard de
malaises neurasthéniques accentués et perdit alors tout à fait son
inclination pour le sexe féminin. Elle fut remplacée par l'inversion
sexuelle. Impliqué dans un procès de haute trahison, il passa deux ans
en prison et ensuite cinq ans en Sibérie. Pendant ces sept années, la
neurasthénie et l'inversion sexuelle s'aggravèrent sous l'influence de
la masturbation continuelle. À l'âge de trente-cinq ans, rendu à la
liberté, le malade a dû depuis visiter toutes sortes de stations
thermales, à cause de ses malaises neurasthéniques très avancés.
Pendant cette longue période, son sentiment sexuel anormal n'a subi
aucun changement. Il vivait pour la plupart du temps séparé de sa
femme, qu'il estimait beaucoup pour ses qualités intellectuelles, mais
qu'il fuyait parce qu'elle était femme, de même qu'il évitait les
contacts avec tout être féminin. Son inversion sexuelle était purement
platonique. L'amitié, l'accolade cordiale, un baiser, lui suffisaient.
Des pollutions occasionnelles se produisaient sous l'influence de rêves
érotiques où il s'agissait toujours de personnes de son propre sexe.
Pendant la journée aussi, la plus belle femme le laissait froid, tandis
que la seule vue de beaux hommes provoquait chez lui de l'érection et
de l'éjaculation. Au cirque et au bal il n'y avait que les athlètes et
les danseurs qui l'intéressaient. Dans ses périodes de plus grande
émotivité, l'aspect même des statues d'hommes lui provoquait du
l'érection. Incidemment il retomba à son ancien vice, à la
masturbation. Homme délicat de sentiment et cultivé au point de vue
esthétique, il avait la pédérastie en horreur. Il considéra toujours
son sentiment sexuel pervers comme quelque chose de morbide, sans s'en
estimer malheureux, étant donné son libido et sa puissance
manifestement affaiblis.
Le status præsens a montré les
symptômes ordinaires de la neurasthénie. La taille, l'attitude et le
vêtement ne présentaient rien d'étrange. Le massage électrique eut un
succès extraordinaire. Au bout de quelques séances, le malade était
très ragaillardi au physique et au moral. Après vingt séances, le
libido s'est réveillé de nouveau, non dans le sens qu'il avait
jusqu'ici, mais avec une tendance normale, la même que le malade eut
jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans. À partir de ce moment ses rêves
érotiques n'eurent pour objet que la femme, et un jour le malade me
raconta avec joie qu'il avait fait le coït et qu'il y avait éprouvé le
même plaisir qu'il y a vingt-six ans. Il cohabitait de nouveau avec sa
femme et espérait être délivré pour jamais de la neurasthénie et de
l'inversion sexuelle. Cette espérance s'est justifiée pendant les six
mois que j'ai encore eu l'occasion d'observer le malade.
Ordinairement
le traitement physique, même soutenu par la thérapie morale, par des
conseils énergiques d'éviter la masturbation, de supprimer les
sentiments homosexuels et d'éveiller les tendances hétérosexuelles, ne
suffit pas, même dans les cas d'inversion sexuelle acquise.
Seul le traitement psychique--la suggestion--peut être efficace.
L'observation
suivante montre un exemple intéressant et réconfortant du succès obtenu
par l'autosuggestion dans les formes atténuées de l'anomalie.
OBSERVATION
133.--Autobiographie d'un hermaphrodite psychique.--Lutte victorieuse
de l'individu contre ses penchants homosexuels.
Mon père a eu
une attaque d'apoplexie, mais il guérit en gardant une légère déviation
de la figure. Ma mère était très anémique et très mélancolique. Tous
deux ont beaucoup souffert d'hémorrhoïdes; mon père leur attribuait les
maux de reins dont il souffrait par moments, même après son mariage.
Je
suis, si j'ose m'exprimer ainsi, un caractère passif. Étant enfant je
m'abandonnais à toutes sortes d'imaginations (les religieuses y
compris). Je mouillais mes draps et pendant mon sommeil je m'amusais
avec mes parties génitales, jusqu'au jour où mon père, pour m'en
empêcher, m'attacha les mains. (J'étais à cette époque tout enfant et
je ne me masturbais pas.) J'ai toujours été timide et maladroit dans
mes rapports avec les autres. À l'âge d'environ quatorze ou quinze ans
je fus poussé à l'onanisme. L'impulsion et les désirs pour la femme qui
se sont manifestés lors de l'éveil de mon sentiment sexuel, n'étaient
au fond que de nature platonique; d'ailleurs je n'avais pas d'occasions
de me mettre en relation avec des dames. À l'âge d'environ dix-huit ans
j'ai essayé de satisfaire d'une façon naturelle mon besoin sexuel,
plutôt poussé par la curiosité que par une impulsion intérieure. Sans
avoir eu jamais d'inclination pour la femme, j'ai depuis ce temps
satisfait mon besoin par des rapports sexuels chaque fois que j'en ai
eu l'occasion.
Peu après la période de la puberté, je devins
très anémique et je paraissais plus que mon âge. Alors des pensées
mélancoliques et des idées étranges se firent jour. J'éprouvais une
vraie volupté à me représenter dans l'état de la plus grande
humiliation possible. Il peut être intéressant d'ajouter encore qu'à
cette époque je luttais contre des doutes religieux et que ce n'est que
plus tard que j'ai trouvé le courage de me placer au-dessus de la
religion. Je tombais amoureux des jeunes gens. Au commencement je
résistai à ces idées, mais plus tard elles sont devenues si puissantes
que je suis devenu un véritable uraniste. Les femmes me paraissaient
n'être que des êtres humains de seconde classe. J'étais dans un état
d'esprit désolant. Avec une lassitude de la vie, des tendances à la
misanthropie s'installèrent dans mon âme malade. Un jour je lus
l'ouvrage: Was will das werden? (Qu'adviendra-t-il?) Et avant que j'aie
pu m'en rendre compte, j'étais devenu démocrate-socialiste, mais dans
le sens idéal. La vie avait de nouveau une valeur pour moi, car j'avais
un idéal: la lutte pacifique pour le relèvement social du prolétariat.
Cela produisit une puissante révolution dans mon être. Comme dans mes
meilleurs jours (à l'âge de seize et dix-sept ans), je m'enthousiasmais
pour l'art et notamment pour le théâtre. À l'heure qu'il est, je
travaille à un drame et à une comédie, et je roule dans ma tête de
grandes idées. J'ai lu une remarque de Schlegel que Sophocle devait son
énergie et sa puissance de travail aux exercices physiques, son sens
artistique à la musique. Puis un autre passage: «L'auteur dramatique
doit être avant tout d'une intelligence intacte.» Cela me tomba comme
une lourde pierre sur l'âme; car mes sentiments sexuels invertis ne
pouvaient être sortis d'un esprit sain et droit.
Je conçus alors
l'idée de me faire traiter par l'hypnotisme, mais la honte m'en
empêcha. Je me dis alors que je devais être, au fond, un être lâche et
bien faible pour avoir si peu de confiance en moi-même et je résolus
sérieusement de supprimer mes désirs uranistes. En même temps, je
combattis par un régime rationnel ma nervosité. Je faisais des parties
de canot; je fréquentais la salle d'armes, je marchais beaucoup en
plein air, et j'eus la joie, en me réveillant un matin, de me trouver
comme un homme tout à fait transformé. Quand je pensais à mon passé
entre vingt et vingt-six ans, il me semblait que, pendant cette
période, un homme tout à fait étranger et dégoûtant avait logé dans ma
peau.
J'étais tout étonné que le plus bel écuyer, le camionneur
de bière le plus vigoureux ne m'inspirassent plus aucun intérêt; les
musculeux tailleurs de pierres même me laissaient froid. J'avais du
dégoût en pensant que de pareils gens avaient pu me sembler beaux. Ma
confiance en moi-même s'augmente; je suis très bon, c'est vrai, mais je
suis d'un caractère foncièrement actif. Mon extérieur s'est
continuellement amélioré depuis l'âge de vingt ans. J'ai maintenant
l'air que comporte mon âge. J'ai, c'est vrai, des rechutes dans mes
désirs uranistes, mais je les supprime avec énergie. Je ne satisfais
mon libido que par le coït, et j'espère qu'en continuant ce genre de
vie rationnel l'envie du coït s'accroîtra.
Ordinairement c'est la suggestion par un tiers et la suggestion provoquée par l'hypnose qui offrira des chances de succès.
Dans
ces cas la suggestion posthypnotique doit désuggérer l'impulsion à la
masturbation ainsi que les sentiments homosexuels, et, d'autre part,
inculquer au malade la confiance dans sa puissance et lui donner des
penchants hétérosexuels.
La condition première est naturellement
la possibilité d'amener une hypnose suffisamment profonde. C'est
précisément ce qui ne réussit pas souvent chez les neurasthéniques; car
ils sont trop excités, embarrassés, et peu en état de pouvoir
concentrer leur idées.
Ainsi dans un cas que j'ai rapporté (T.
I, fascicule II, p. 58 de Internationale Centralblatt für die
Physiologie und Pathologie der Harn und Sexualorgane), je n'ai pas
réussi à obtenir l'hypnose bien que le malade la désirât vivement et
fît tout son possible pour y parvenir.
Étant donnés les
bienfaits énormes qu'on peut rendre à ces malheureux, quand on se
rappelle le fait de Ladame (voir plus loin), on devrait dans de pareils
cas faire tout son possible pour forcer l'hypnose, seul moyen de salut.
Le résultat fut satisfaisant dans les trois cas suivants.
OBSERVATION 134. (Inversion sexuelle acquise par la masturbation.)--M. X..., négociant, vingt-neuf ans.
Les parents du malade étaient bien portants. Dans la famille du père, aucune trace de nervosité.
Le père était un homme irritable et morose. Un frère du père avait été un viveur et est mort célibataire.
La
mère est morte à sa troisième couche, le malade avait six ans; elle
avait une voix grave et rauque, plutôt virile, et était très brusque
dans ses allures.
Parmi les enfants nés de cette union, il y a un frère du malade qui est irritable, mélancolique et indifférent aux femmes.
Étant
enfant, le malade eut une rougeole avec délire. Jusqu'à l'âge de
quatorze ans, il était gai et sociable; à partir de cette époque, il
est devenu calme, solitaire, mélancolique. La première trace de
sentiment sexuel s'est fait remarquer à l'âge de dix à onze ans; il fut
alors initié par d'autres garçons à l'onanisme et pratiqua avec eux
l'onanisme mutuel.
À l'âge de treize à quatorze ans il eut sa
première éjaculation. Jusqu'à il y a trois mois, le malade ne s'est
aperçu d'aucune conséquence fâcheuse de l'onanisme.
À l'école il
apprenait avec facilité; parfois il avait des maux de tête. À partir de
l'âge de vingt ans, il a eu des pollutions, bien qu'il se masturbât
tous les jours. Quand il avait des pollutions, il rêvait de scènes
d'accouplement; il voyait comment l'homme et la femme accomplissaient
l'acte. À l'âge de dix-sept ans, il a été amené par un homme homosexuel
à pratiquer l'onanisme mutuel. Il y a éprouvé de la satisfaction, car
il a toujours eu d'énormes besoins sexuels. Il s'est passé un temps
assez long avant que le malade ait cherché une nouvelle occasion
d'avoir des rapports avec un homme. Il s'agissait seulement pour lui de
se débarrasser de son sperme.
Il n'éprouvait ni amitié, ni amour
pour les personnes avec lesquelles il entretenait des rapports. Il
n'éprouvait de satisfaction que lorsqu'il était dans le rôle actif et
qu'on le manustruprait. Une fois l'acte accompli, il n'avait que du
mépris pour l'individu. Quand, avec le temps, le personnage lui
inspirait de l'estime, il cessait les relations. Plus tard, il lui fut
indifférent de se masturber ou d'être masturbé. Quand il se masturbait
lui-même, il pensait toujours à la main des hommes sympathiques qui
l'onanisaient. Il préférait les mains dures et rugueuses.
Le
malade croit que, sans la séduction, il se serait dirigé dans les voies
de la satisfaction naturelle de l'instinct génital. Il n'a jamais
éprouvé de l'amour pour son propre sexe, mais il s'est plu à l'idée de
cultiver l'amour avec des hommes. Au commencement il a eu des émotions
sensuelles en face de l'autre sexe. Il aimait à danser; il se plaisait
avec les femmes, mais il regardait plutôt leur corps que leur figure.
Il avait eu aussi des érections en voyant une femme sympathique, il n'a
jamais essayé de faire le coït, car il craignait l'infection; il ignore
même s'il serait puissant en présence d'une femme. Il croit que tel ne
serait pas le cas, car ses sentiments pour les femmes se sont
refroidis, surtout depuis cette dernière année.
Tandis
qu'auparavant, dans ses rêves érotiques, il avait des représentations
d'hommes et de femmes, plus tard, il ne rêvait plus que de
rapprochements avec des hommes. Il ne peut se rappeler d'avoir, ces
années dernières, rêvé de rapports sexuels avec une femme. Au théâtre,
ce sont toujours les figures féminines qui l'intéressent, de même au
cirque et au bal. Dans les musées, il se sent également attiré par les
statues masculines et féminines.
Le malade fume beaucoup, boit
de la bière, aime la compagnie des messieurs, est gymnaste et patineur.
Les manières fates lui ont toujours été odieuses; il n'a jamais eu le
désir de plaire aux hommes, mais plutôt le désir de plaire aux dames.
Il
ressent péniblement son état actuel, l'onanisme ayant pris trop
d'empire. L'onanisme qui, autrefois, était inoffensif, montre
maintenant ses effets nuisibles.
Depuis le mois de juillet 1889,
il souffre de névralgie des testicules; la douleur se fait sentir
surtout pendant la nuit; il a souvent des tremblements la nuit,
(irritabilité réflexe exagérée): le sommeil ne le repose pas; le malade
s'éveille avec des douleurs dans les testicules. Il est maintenant
porté à se masturber plus souvent qu'autrefois. Il a peur de
l'onanisme. Il espère que sa vie sexuelle pourra encore être ramenée
dans les voies normales. Il pense à l'avenir; il a même déjà noué une
liaison avec une demoiselle qui lui est sympathique, et l'idée de
l'avoir comme épouse lui est agréable.
Depuis cinq jours il
s'est abstenu de l'onanisme, mais il ne croit pas qu'il serait capable
d'y renoncer par sa propre force. Ces temps derniers, il était très
abattu, n'avait plus envie de travailler, se sentait las de la vie.
Le malade est grand, vigoureux, bien bâti, très barbu. Le crâne et le squelette sont normaux.
Réflexes
profonds très accentués, pupilles plus larges que la moyenne, égales,
réagissant très promptement. Carotides de calibre égal. Hyperæsthesia
urethræ. Les cordons spermatiques et le testicule ne sont pas
sensibles; les parties génitales sont tout à fait normales.
On
rassure le malade; on le console par l'espoir d'un avenir heureux à la
condition qu'il renonce à l'onanisme et qu'il reporte son sentiment
actuel pour son propre sexe vers les femmes.
Ordonnance: demi-bains (24--20° R.), antipyrine, 1 gr. pro die; le soir 4 grammes de bromure de potassium.
13
décembre. Le malade vient tout effrayé et troublé à la consultation,
disant qu'il ne pourra par sa propre force résister à l'onanisme; il
prie qu'on l'aide.
Un essai d'hypnose plonge la malade dans un profond engourdissement.
Il reçoit les suggestions suivantes:
1º Je ne puis, ne dois et ne veux plus faire de l'onanisme;
2º J'ai en horreur l'amour pour mon propre sexe et je ne trouverai plus beau aucun homme;
3º Je veux guérir et je guérirai; j'aimerai une brave femme, je serai heureux et je la rendrai heureuse.
14 décembre. Le malade, en se promenant, a vu un bel homme et s'est senti puissamment attiré vers celui-ci.
À
partir de ce moment, tous les deux jours, séances hypnotiques avec les
suggestions sus-indiquées. Le 18 décembre, (quatrième séance) on
réussit à obtenir le somnambulisme. L'impulsion à l'onanisme et
l'intérêt pour les individus masculins diminuent.
Dans la
huitième séance, on ajoute aux suggestions sus-mentionnées celle de la
«puissance complète». Le malade se sent moralement relevé et
physiquement renforcé. La névralgie des testicules a disparu. Il trouve
qu'il est maintenant au zéro du sentiment sexuel.
Il croit être débarrassé de la masturbation et de l'inversion sexuelle.
Après
la onzième séance, il déclare n'avoir plus besoin des séances
médicales. Il veut rentrer chez, lui et épouser une fille. Il se sent
tout à fait bien portant et puissant. Le malade est renvoyé au
commencement du mois de janvier 1890.
En mars 1890, le malade
m'écrit: «J'ai eu depuis encore quelquefois besoin de rassembler toutes
mes forces morales pour combattre mon ancienne habitude et Dieu merci!
j'ai réussi à me délivrer de ce mal. Plusieurs fois déjà j'ai pu
accomplir le coït et j'y ai éprouvé un plaisir assez sérieux. Je compte
avec tranquillité sur l'avènement d'un avenir heureux.»
OBSERVATION
135. (Inversion sexuelle acquise. Amélioration notable par le
traitement hypnotique.)--M. P..., né en 1803, employé d'un
établissement industriel, est issu d'une famille de patriciens très
considérée en Allemagne centrale, famille dans laquelle la nervosité et
les maladies mentales étaient fréquentes.
L'aïeul du côté
paternel et sa soeur sont morts aliénés, la grand'mère est morte
d'apoplexie, le frère du père est mort fou, la fille de ce dernier a
péri d'une tuberculose cérébrale; le frère de la mère s'est suicidé
dans un accès de folie. Le père du malade est très nerveux; un frère
aîné est gravement atteint de neurasthénie compliquée d'anomalie de la
vita sexualis; un autre frère est l'objet de l'observation 118 de la
sixième édition de la Psychopathia sexualis, un troisième frère a une
conduite excentrique et aurait, dit-on, des monomanies; une soeur
souffre de crampes, une autre soeur est morte en bas âge de convulsions.
Le
malade est taré, car dès sa première jeunesse, il était très bizarre,
irritable, emporté; il faisait à son entourage l'impression d'un
individu anormal.
De très bonne heure, la vita sexualis se
manifesta chez lui violemment, il est venu à l'onanisme sans y être
entraîné. À partir de l'âge de seize ans, ce garçon, très développé
pour son âge, fréquentait les bordels de la capitale, profitant de ses
sorties du dimanche et des jours de fêtes. Il faisait le coït avec
plaisir, et pendant les jours de la semaine, il se satisfaisait par
l'onanisme. À partir de l'âge de vingt ans, le malade, devenu
indépendant, fit des excès avec des prostituées; il fut à la suite
atteint de neurasthenia sexualis, devint relativement impuissant, et ne
trouva plus de satisfaction dans le coït, à cause de sa faiblesse
d'érection et de l'ejaculatio præcox. Son libido sexualis devint plus
puissant que jamais; il le satisfaisait par l'onanisme. Au commencement
de l'année 1888, le malade fit la connaissance d'un jeune homme.
«Par
sa figure agréable, ses manières câlines et les belles formes
extérieures de son corps, il s'acquit toute mon affection. J'avais le
désir de lui adresser la parole et je me réjouissais d'avance du moment
où je pourrais le voir, j'étais tout à fait amoureux de lui. Avec cette
passion s'éteignit mon amour pour les femmes. Cet homme pouvait
m'exciter à un tel point que pendant des minutes, je sentais ma mémoire
s'évanouir et que je ne pouvais que balbutier.
«Bientôt après,
je fis la connaissance d'un monsieur qui m'était sympathique aussi et
qui devait avoir une influence décisive sur le reste de ma vie. Il
était homosexuel. Je lui avouai que je n'éprouvais plus que du dégoût
pour le sexe féminin et que je me sentais attiré vers l'homme.
«Un
jour que je demandais à mon camarade comment il s'y prenait pour amener
des soldats à se livrer à lui, il me répondit que la principale chose
était d'avoir de l'aplomb et qu'alors on pouvait faire marcher
n'importe qui. Vers la fin de 1888, me rappelant ce conseil, je me
rapprochai d'un brosseur d'officier qui m'avait puissamment excité,
bien que jamais aucune éjaculation n'en eût résulté. Voyant que ce
soldat ne voulait pas se livrer, je n'insistai plus auprès de lui.
Alium quondam militem in cubiculum allectum rogavi ut, veste exuta,
mecum in lectum concumberet. Rogatus fecit quæ volui et alter alterius
penem trivit.
«Bien qu'après ce succès heureux j'aie encore
abusé de beaucoup de gens, je n'étais pour ainsi dire amoureux que d'un
seul. C'était un très joli garçon de dix-sept ans. Sa voix me semblait
si caressante, ses manières étaient si convenablement tendres,
qu'aujourd'hui encore je ne puis l'oublier. Dans mes rêves je ne
m'occupais que de beaux jeunes gens et souvent ma sensualité réveillée
m'empêchait de dormir des nuits entières».
Au commencement de
l'année 1889, les manières du malade éveillèrent des soupçons d'amour
homosexuel. Une dénonciation dont il était menacé, le déprima
profondément et il songea à se suicider. Sur le conseil du médecin de
la famille, il partit pour la capitale. Comme le malade était incapable
de renoncer par sa propre volonté à ses goûts habituels, on commença à
lui appliquer le traitement hypnotique. On n'obtint qu'un léger
engourdissement qui n'eut qu'un succès minime, étant données les
séductions des anciens amants dans la proximité desquels le malade se
trouvait.
À cette époque, il ne manquait pas encore de principes
moraux solides. La situation s'améliora grâce à l'idée de sa famille
désolée, et par la crainte d'une poursuite judiciaire dont il était
sérieusement menacé.
Le malade se décida à essayer de se soumettre au traitement de l'auteur de ce livre.
J'ai
trouvé en lui un homme délicat, pâle, gravement neurasthénique, qui
désespérait de son avenir, mais qui n'avait aucun stigmate extérieur de
dégénérescence. Le malade reconnaissait qu'il se trouvait dans une
fausse position et semblait vouloir faire tout son possible pour
redevenir un homme honnête et convenable.
Il regrettait
profondément sa perversion sexuelle qu'il jugeait comme morbide, mais
qu'il croyait acquise. Il ne me cacha nullement qu'en présence de
jeunes gens il n'était plus maître de lui et qu'il ne pouvait pas
garantir non plus de pouvoir s'abstenir de l'onanisme auquel il était
forcé d'avoir recours faute de mieux. Seule une volonté puissante
pourrait par suggestion l'en préserver.
Son amour homosexuel a
consisté jusqu'ici exclusivement en onanisme mutuel; l'érection ne se
produit chez lui qu'au contact des hommes aimés; l'éjaculation a lieu
très tôt, mais l'accolade seule ne suffit pas pour la provoquer. Il ne
s'est pas senti dans un rôle sexuel particulier vis-à-vis de l'homme.
Les parties génitales et les organes végétatifs sont normaux.
En
dehors des dispositions pour un traitement contra neurastheniam, on a
commencé, le 8 avril 1890, un traitement hypnotico-suggestif.
L'hypnose
réussit facilement par le simple regard et la suggestion verbale. Après
une demi-minute, le malade tomba dans un profond engourdissement avec
attitude cataleptiforme des muscles. Le réveil eut lieu en lui
suggérant qu'il se réveillerait en comptant jusqu'à trois. Parfois, on
pouvait obtenir des suggestions post-hypnotiques. Les suggestions
intra-hypnotiques avaient pour sujet:
1º Défense de s'onaniser;
2º Ordre formel de considérer l'amour homosexuel comme méprisable, dégoûtant et impossible;
3º
Ordre de ne trouver de beauté que chez les dames, de s'approcher
d'elles, de rêver d'elles, de sentir du libido et de l'érection à leur
aspect.
Les séances ont eu lieu quotidiennement. Le 14 avril, le
malade m'annonça avec contentement et une sorte de satisfaction morale
qu'il a fait le coït avec plaisir et qu'il avait éjaculé tardivement.
Le
16, il se sentit exempt de tendances onanistes, attiré vers la femme et
tout à fait indifférent envers les hommes. Il rêve de charmes féminins
et a des rapports avec des femmes.
Le 1er mai, le malade paraît
tout à fait normal sexuellement et il se sent comme tel. Il est devenu
au physique un tout autre homme, plein de courage et de confiance en
lui-même.
Il fait le coït normal avec une satisfaction parfaite et il se croit à l'abri de toute rechute.
Dans une lettre écrite plus tard M. P... dit:
«Ce
qui n'est pas autrement remarquable, c'est que je suis toujours délivré
de ces aberrations. La seule chose qui me rappelle encore cette période
sombre, ce sont les rêves, rares il est vrai, de mon passé désolé que
je n'ai pas le pouvoir de bannir et qui parfois occupent même
agréablement mes pensées. Par ma propre volonté, je l'espère, je
réussirai pourtant à m'en débarrasser bientôt tout à fait. Dans le cas
où je redeviendrais faible, vos exhortations instantes, j'en suis sûr,
feront que je résisterai avec énergie et que je ne succomberai point.»
Le 20 octobre 1890 P... m'écrivait:
«Je
suis complètement guéri de l'onanisme et l'amour homosexuel ne trouve
plus de sympathie en moi. Mais la puissance complète ne semble pas
encore rétablie, bien que je vive avec un régime très réglé. Toutefois
je me sens content.»
OBSERVATION 136. (Inversion sexuelle
acquise.)--Z..., fonctionnaire, trente-deux ans, né d'une mère
hystéropathe. La mère de la mère souffrait également d'hystérie, et
tous ses frères et soeurs avaient des maladies de nerfs. Un frère est
uraniste. Z... était faiblement doué d'esprit; il apprenait
difficilement. En dehors de la scarlatine, il n'eut pas de maladies
d'enfance. À treize ans, il fut amené par des camarades de pensionnat à
pratiquer l'onanisme. Il était sexuellement hyperesthésique; il
commença à l'âge de dix-sept ans à faire le coït qu'il pratiquait avec
plaisir et puissance complète. À l'âge de vingt-six ans, mariage par
raison d'argent et pour sa position sociale. Le ménage fut malheureux.
Après un ans, Mme Z..., à la suite d'une maladie utérine très grave,
devint incapable de supporter le coït. Z... satisfaisait ses grands
besoins avec d'autres femmes et, faute de mieux, par la masturbation.
Il s'adonna, en outre, à la passion du jeu, mena une vie tout à fait
dissolue, devint gravement neurasthénique et essaya de ranimer ses
nerfs usés en buvant de grandes quantités de vin et de cognac. À ses
malaises essentiellement cérébrasthéniques se joignirent alors des
crises de rire et de pleurs; il devint très émotif. Son libido nimia
subsistait toujours sans être diminué. Par suite du dégoût qu'il avait
toujours eu des prostituées et de la crainte des maladies, il ne se
satisfaisait qu'exceptionnellement par le coït. Dans la plupart des
cas, il se soulageait par l'onanisme.
Il y a quatre ans, il
s'aperçut d'un affaiblissement progressif de l'érection et de la
diminution du libido pour la femme. Il commença à se sentir attiré vers
les hommes, et les scènes de ses rêves érotiques n'avaient plus pour
objet la femme mais des individus masculins.
Il y a trois ans,
comme un garçon de bain le massait, il fut très excité sexuellement (le
domestique avait aussi de l'érection, ce qui frappa l'attention du
malade). Il ne put pas se retenir de se serrer contre le garçon, de
l'embrasser et de se faire masturber par lui, ce que celui-ci fit
volontiers. À partir de ce moment ce genre de satisfaction sexuelle fut
le seul qui lui convint. La femme lui est devenue tout à fait
indifférente. Il ne courait qu'après les hommes. Cum talibus
masturbationem mutuam fecit, concupivit cum iis dormire. Il abhorrait
la pédérastie. Il se sentait tout à fait heureux, quand une lettre
anonyme (datée du mois d'août 1889) qui l'engageait à être prudent, le
ramena à la conscience de sa situation. Il fut profondément bouleversé,
eut des attaques hystériques, fut complètement déprimé, eut honte
devant les autres hommes, se sentit comme un paria dans la société,
médita un suicide, s'ouvrit à un prêtre qui le rassura. Il tomba
ensuite dans les idées religieuses, voulut entre autres entrer dans un
couvent par pénitence et pour se guérir de ses aberrations sexuelles.
En proie à cet état d'esprit, le malade tomba par hasard sur mon livre
Psychopathia sexualis. Il fut épouvanté, honteux, mais il trouva une
consolation dans l'idée qu'il devait être malade. Sa première idée fut
de se réhabiliter sexuellement devant lui-même. Il surmonta toute son
aversion, essaya le coït dans un bordel, ne réussit pas d'abord par
suite de sa trop grande excitation, mais finit par remporter un succès.
Comme
ses sentiments d'inversion sexuelle ne disparaissaient pas, bien qu'il
s'efforçât de les refouler par toutes sortes de moyens possibles, il
vint me trouver et me demander des soins médicaux. Il se sentait,
dit-il, affreusement malheureux, près du désespoir et du suicide. Il
voyait devant lui l'abîme et il voudrait être sauvé à tout prix.
Sa
confession fut interrompue à plusieurs reprises par de violents accès
hystériques. Des affirmations rassurantes, l'espoir du salut le
calmèrent.
Au point de vue physique, la malade a le front un peu
fuyant; pas d'autres stigmates de dégénérescence. L'irritation spinale,
les réflexes profonds exagérés, la congestion de la tête, indiquaient
la neurasthénie. Du côté des parties génitales point d'anomalies, mais
l'urethra était hyperesthésié. Sa mine était troublée, son maintien
relâché; vie psychique désordonnée et sans aucune consistance.
Ordonnance:
demi-bains, frictions, antipyrine, bromure. Interdiction de s'onaniser,
d'avoir des rapports avec des hommes; interdiction d'avoir des pensées
libidineuses portant sur des hommes.
Le malade revient après
quelques jours et se plaint qu'il n'est pas assez fort pour exécuter ce
programme. Sa volonté est trop faible. Étant donnée cette situation
précaire, il n'y a que la suggestion hypnotique qui puisse porter
remède.
Suggestions: 1º Je déteste l'onanisme, je ne puis et ne veux plus me masturber.
2º Je trouve le penchant pour l'homme dégoûtant, détestable. Jamais je ne trouverai plus l'homme ni beau, ni désirable.
3º Je trouve que seule la femme est désirable. Je ferai le coït avec plaisir et avec puissance, une fois par semaine.
Le malade accepte ces suggestions et les répète d'une voix balbutiante.
Les
séances ont lieu tous les deux jours. À partir du 15 on réussit à
obtenir l'état somnambulique avec suggestions posthypnotiques à
volonté. Le malade reprend une certaine solidité morale et se rétablit
au physique, mais des malaises cérébrasthéniques le tourmentent encore;
parfois il a encore des rêves d'hommes pendant la nuit, et à l'état de
veille des penchants vers l'homme, ce qui le déprime.
Le
traitement dure jusqu'au 21 septembre. Résultat: le malade est guéri de
l'onanisme; il n'est plus excité par les hommes mais bien par les
femmes. Coït normal tous les huit jours. Les malaises hystériques ont
disparu; les malaises neurasthéniques sont très atténués.
Le 6
octobre, le malade m'annonce par lettre qu'il se porte bien, et me
remercie en paroles émues de l'avoir «sauvé d'un abîme profond». Il se
sent rendu à une nouvelle vie.
Le 9 décembre 1889, le malade
revient pour être soumis de nouveau à mon traitement. Il a eu, ces
temps derniers, deux fois des rêves érotiques d'hommes, mais à l'état
de veille il n'a éprouvé aucun penchant pour l'homme, il a pu aussi
résister à la tentation de se masturber, bien que vivant seul à la
campagne il n'eût pas d'occasions de faire le coït. Il a plus que de
l'inclination pour l'autre sexe, et ordinairement il ne rêve que de
personnes féminines; rentré dans la capitale, il a fait le coït et en a
éprouvé du plaisir. Le malade se sent réhabilité moralement, presque
débarrassé des malaises neurasthéniques, et déclare, après trois
nouvelles séances hypnotiques, que maintenant il se croit tout à fait
guéri et à l'abri de toute rechute. Toutefois une rechute a eu lieu au
mois de septembre 1890. Le malade, après un surmenage physique dans un
voyage à travers de hautes montagnes et une série d'émotions morales,
et de plus par manque d'occasions de faire le coït, était redevenu
neurasthénique.
Il eut de nouveau des rêves d'hommes, se sentit
attiré vers des hommes sympathiques. Il se masturba plusieurs fois et
n'éprouva plus de vrai plaisir lorsque, rentré dans la ville, il fit le
coït. Du reste, par un traitement antineurasthénique et une seule
hypnose, on réussit vite à rétablir sa santé et à rendre sa conduite
normale.
Au cours des années 1890 et 1891, le malade eut encore
par-ci par là des tendances à l'inversion sexuelle et des rêves dans ce
sens, mais seulement lorsque, à la suite d'émotions morales ou d'excès,
la névrose se manifestait de nouveau. Dans ces moments, le coït ne lui
procurait plus de satisfaction. Le malade s'est vu alors dans la
nécessité de faire rétablir l'équilibre par quelques séances
hypnotiques, ce qui a toujours facilement réussi.
À la fin de
l'année 1891, le malade déclare avec satisfaction que depuis son
traitement il a su se maintenir à l'abri de la masturbation et des
rapports homosexuels, et que sa confiance en lui-même, de même que son
estime de lui-même, s'est consolidée de nouveau.
Quant aux
autres cas d'inversion acquise, guéris par l'emploi de la suggestion
hypnotique, consulter Wetterstrand, Der Hypnotismus und seine Anwendung
in der praktischen Medicin, 1891, p. 52; Bernheim Hypnotisme, Paris,
1891, etc., p. 38.
Les faits que nous venons de citer et qui
montrent le succès de la suggestion hypnotique en présence des cas
d'inversion sexuelle acquise, font supposer qu'il est possible de
porter secours aussi aux malheureux qui sont atteints d'inversion
sexuelle congénitale.
Bien entendu, la situation dans ces
derniers cas est tout autre, en tant qu'il s'agit de combattre une
anomalie congénitale, de détruire une existence psycho-sexuelle morbide
pour en créer à sa place une nouvelle qui soit saine. Cet effet paraît
a priori impossible à obtenir, du moins chez l'uraniste prononcé. Mais,
ce qui est en apparence impossible, devient possible par l'emploi
d'artifices; cela ressort du cas de Schrenck-Notzing que nous
trouverons plus loin. Il dépasse de beaucoup le cas que j'ai rapporté
et dans lequel du moins la désuggestion des sentiments homosexuels a
réussi avec l'emploi de l'hypnose.
Une observation analogue est rapportée par Ladame (voir plus loin).
Les
conditions sont de beaucoup plus favorables chez l'hermaphrodite
psycho-sexuel, chez qui on peut du moins renforcer par la suggestion et
faire prévaloir les éléments et le sentiment hétérosexuel qui existent
chez l'individu malade.
OBSERVATION 137.--Je suis enfant
illégitime, né en 1858. Ce n'est que tard, en suivant les traces
obscures de mon origine, que j'ai pu avoir des renseignements sur
l'individualité de mes parents. Ces renseignements, malheureusement,
sont très incomplets. Mon père et ma mère étaient cousins. Mon père est
mort il y a trois ans; il s'était marié avec une autre femme et avait
plusieurs enfants qui, autant que je sais, sont bien portants.
Je
ne crois pas que mon père ait eu de l'inversion sexuelle. Étant enfant,
je l'ai vu souvent sans me douter que c'était mon père. Il avait un
aspect vigoureux et viril. D'ailleurs, on dit qu'à l'époque de ma
naissance ou auparavant, il aurait eu une maladie vénérienne.
J'ai
vu plusieurs fois ma mère dans la rue, mais j'ignorais alors que
c'était ma mère. Elle devait avoir environ vingt-quatre ans, lorsque je
suis venu au monde. Elle était de grande taille, de mouvements brusques
et énergiques et d'un caractère résolu. On dit qu'à l'époque de ma
naissance elle a beaucoup voyagé, déguisée en homme, qu'elle a porté
les cheveux courts, fumé de longues pipes et en général qu'elle s'est
fait remarquer alors par ses allures excentriques. Elle possédait une
excellente instruction, avait été belle dans sa jeunesse; elle est
morte sans avoir été jamais mariée et a laissé une fortune considérable.
Tout
cela permettrait, le cas donné, de conclure à des penchants homosexuels
ou du moins à l'existence d'anomalies. Ma mère a, plusieurs années
avant ma naissance, donné le jour à une fille. Cette soeur que je n'ai
jamais connue, s'est mariée très jeune; mais elle s'est empoisonnée
après quelques années de mariage, pour des raisons que j'ignore encore.
J'ai
1 m. 70 de taille; 0 m. 92 de tour; le tour de mes reins est de 1 m.
02; je crois donc avoir le bassin un peu fortement développé. Le
pannicule graisseux a été très développé chez moi de tout temps. La
charpente osseuse est vigoureuse. La musculature est bien faite, mais
pas assez développée, peut-être faute d'exercice ou peut-être sous
l'influence de l'onanisme que j'ai pratiqué de bonne heure et avec
persévérance: de sorte que je parais plus fort que je ne le suis. Le
système pileux, les cheveux et la barbe sont normaux. Les poils des
parties génitales sont quelque peu clairsemés. Le reste du corps est
presque glabre. Tout mon extérieur a un caractère tout à fait viril. La
démarche, le maintien, la voix, sont d'un homme complet, et d'autres
uranistes m'ont souvent dit qu'ils ne se doutaient pas du tout de ma
passion. J'ai servi dans l'armée et j'ai toujours pris plaisir aux
exercices du cavalier, monter à cheval, faire de l'escrime, nager, etc.
Ma
première éducation a été dirigée par un prêtre. Je n'avais guère de
camarades de jeu pour ainsi dire. La vie de famille de mes parents
d'adoption était irréprochable. Au mois d'octobre 1871, on m'a mis en
pension. Là, j'ai commis les premiers actes pervers sur lesquels
j'aurai à revenir en détail dans l'historique de ma vie sexuelle.
J'ai
fait mes classes au lycée, puis mon service militaire comme volontaire
d'un an; j'ai étudié ensuite la science forestière et je suis
maintenant intendant d'un grand domaine. Je n'ai appris à parler qu'à
l'âge de trois ans et ce fait a contribué à maintenir les gens dans la
supposition que je suis hydrocéphale. À partir de l'époque où j'allai à
l'école, mon développement intellectuel fut normal; j'apprenais même
facilement, mais je n'ai jamais pu concentrer mon activité sur un point
fixe. J'ai beaucoup de goût pour l'art et pour l'esthétique, mais aucun
goût pour la musique. Dans mes premières années, j'avais le plus
mauvais caractère qu'on puisse imaginer. Il a changé complètement au
cours de ces derniers douze ans, sans que j'en puisse indiquer la
cause. Aujourd'hui rien ne m'est plus haïssable que le mensonge et je
ne dis plus rien de contraire à la vérité, pas même en plaisantant.
Dans les affaires d'argent je suis devenu très économe, sans être pour
cela avare.
Bref, aujourd'hui je ne pense qu'en rougissant à mon
passé et je ne me considérerai à juste titre comme un parfait galant
homme, que lorsque je pourrai être délivré de ma malheureuse perversion
ou perversité sexuelle. J'ai bon coeur, toujours prêt à faire le bien
dans la mesure de mes moyens, de caractère gai pour la plupart du
temps; je suis un homme bien vu dans la société. Je n'ai aucune trace
de cette irascibilité nerveuse qu'on remarque si souvent chez mes
compagnons de souffrance. Je ne manque pas non plus de bravoure
personnelle. Rien dans les premières phases de mon développement
n'indique une anomalie. Il est vrai qu'étant encore enfant j'aimais à
être au lit et à me coucher sur le ventre; je me suis, dans cette
position, le matin, frotté avec plaisir le ventre contre le lit, ce qui
a souvent fait rire mes parents adoptifs. Mais je ne me rappelle pas
avoir ressenti de sensations voluptueuses par ces mouvements. Je n'ai
jamais recherché particulièrement la camaraderie des petites filles et
je n'ai jamais joué aux poupées. De très bonne heure, j'entendis parler
des choses sexuelles. Mais en écoutant ce genre de conversation, je ne
pensais à rien. Même dans la vie de mes rêves, il n'y avait alors rien
qui touchât aux choses sexuelles. Il n'en était pas non plus question
dans mes relations avec les garçons de mon âge. Je crois pouvoir
affirmer que ma vita sexualis ne s'est éveillée qu'à l'âge de treize
ans, au pensionnat, après avoir été entraîné par un camarade à
l'onanisme mutuel. L'éjaculation ne se produisit pas encore; la
première n'eut lieu qu'un an plus tard. Malgré cela, je me livrai avec
passion au vice de l'onanisme. Mais à cette époque se manifestèrent
déjà les premiers symptômes d'un penchant homosexuel. Des jeunes gens
vigoureux, des débardeurs de la halle, des ouvriers, des soldats
apparurent dans mes rêves, et l'évocation de leur image jouait un rôle
pendant la masturbation. En même temps, il se manifesta une première
inclination à la pédérastie, notamment à la pédérastie passive. Jusqu'à
l'âge de quatorze ans j'ai fait souvent avec mon séducteur des essais
de pédérastie mutuelle sans que l'on ait réussi à accomplir une
immissio. Parallèlement à ces tendances, il existait encore un penchant
faible pour le sexe féminin. Environ six mois après la première
masturbation, j'allai une fois chez une puella publica, mais je n'eus
ni éjaculation ni volupté particulière. Plus tard j'ai fait jusqu'à
l'âge de dix-neuf ans six fois le coït dans des maisons publiques.
L'érection et l'éjaculation se produisaient promptement, mais sans me
procurer une grande volupté. L'onanisme, surtout pratiqué mutuellement,
m'était au moins aussi agréable que le coït. Je n'ai jamais eu ce qu'on
appelle un «amour de lycéen». Il y a dix ans, lorsque je me trouvais à
la station balnéaire de H., je crus qu'il s'éveillait en moi de l'amour
pour une dame d'une beauté extraordinaire qui appartenait à une grande
famille; je me sentais bien près d'elle et je m'estimai heureux quand
je constatai que mon amour était payé de retour. Aussi cette liaison me
détourna pendant quelque temps de l'onanisme; seulement j'avais peur,
par suite de l'onanisme pratiqué pendant des années, d'être affaibli et
d'être incapable de remplir mes devoirs conjugaux. Quand nous fûmes
ensuite séparés par la distance, mon affection se refroidit bien vite;
je m'aperçus que je m'étais berné moi-même et, deux années plus tard,
je pouvais apprendre sans la moindre jalousie, que cette dame s'était
mariée. Mon penchant pour la femme--si jamais il avait existé--se
refroidissait de plus en plus. Il y a deux ans et demi, étant allé avec
des amis très virils dans une maison publique à H., je fis mon dernier
coït. J'eus encore une érection, mais plus d'éjaculation. La femme
m'est devenue indifférente; la prostituée qui se comporte avec
effronterie, provoque mon indignation. J'aime la société des femmes
spirituelles, surtout de celles qui sont déjà d'un certain âge, bien
que dans la société je sois maladroit, gauche, et souvent même sans
tact. Je n'ai jamais trouvé aucun charme aux formes du corps féminin.
Mais
revenons à mes tendances perverses. Quand, à l'âge de quatorze ans, je
suis venu à H..., j'ai perdu de vue mon amant, mon séducteur. Il avait
quelques années de plus que moi, et il entra dans la carrière
administrative à l'âge de dix-neuf ans, je l'ai rencontré pendant un
voyage en chemin de fer. Nous avons interrompu notre voyage, pris une
chambre commune et essayé de la pédérastie mutuelle; mais, à cause des
douleurs, l'immissio ne nous a pas réussi. Nous nous sommes satisfaits
alors par l'onanisme mutuel. À H..., j'ai eu des rapports sexuels avec
deux condisciples, mais ces rapports se bornaient à de fréquentes
masturbations mutuelles, mes deux camarades ne voulant pas se prêter à
la pédérastie. Dans la dernière année de mon séjour à H..., j'avais
alors dix-neuf ans, j'eus encore des rapports avec un troisième ami en
pratiquant de l'onanisme; mais nos relations étaient déjà plus intimes;
nous nous déshabillions et faisions de la masturbation mutuelle au lit.
Du mois d'octobre 1869 jusqu'au mois de juillet 1870, je n'eus pas
d'amant. Je faisais de la masturbation solitaire. Quand la guerre
éclata, je voulus me faire enrôler comme volontaire, mais on ne m'a pas
pris. En même temps que moi se présenta au bureau d'enrôlement un
ancien camarade d'école qui depuis était devenu un jeune homme d'une
rare beauté. J'ai dû partager avec lui dans un hôtel trop rempli le
même lit pendant une nuit. Bien qu'à l'époque de notre séjour à l'école
nous n'eussions jamais eu de rapports sexuels l'un avec l'autre, il se
montra favorable à mes assiduités et fit une tentative de pédérastie.
Elle ne réussit pas non plus, à cause des douleurs; cependant pendant
ces essais il y eut ejaculatio ante anum meum. Aujourd'hui encore je me
rappelle de la sensation de volupté que j'ai éprouvée et qui dépassa
toute mon attente. Après la guerre j'ai encore souvent rencontré cet
ami, mais nos rapports se bornèrent alors aux procédés d'onanisme
mutuel. Pendant les dix-huit années suivantes, je n'ai eu que deux fois
l'occasion de pratiquer l'amour homosexuel. L'hiver de l'année 1879 je
rencontrai dans un compartiment de chemin de fer un beau hussard. Je le
décidai à coucher avec moi dans un hôtel. Plus tard il m'avoua avoir
déjà pratiqué l'onanisme mutuel avec le fils du châtelain de sa
commune. Je ne pus le décider à la pédérastie. Par contre je provoquai
chez lui de l'éjaculation par la receptio penis ejus in os meum. Ce
procédé ne m'a procuré aucune satisfaction, mais du dégoût. Je n'y suis
jamais revenu depuis et je n'ai pas accepté non plus la receptio penis
mei in os alterius. En 1887 j'ai fait, c'était encore en chemin de fer,
la connaissance d'un matelot que je décidai à rester avec moi à
l'hôtel. Il prétendit, il est vrai, n'avoir encore jamais fait de la
pédérastie, mais il s'y montra tout de suite disposé; il était dans une
excitation sensuelle manifeste, eut immédiatement de l'érection et
accomplit l'acte avec une ardeur non dissimulée. C'était la première
fois que la pædicatio réussissait. J'eus, il est vrai, des douleurs
atroces mais aussi une jouissance infinie.
Pendant mon séjour
dans cette ville ma vita sexualis a subi un changement radical. J'ai
constaté avec quelle facilité on peut, soit pour de l'argent, soit par
goût, trouver des gens qui se prêtent à nos penchants. De tristes
expériences avec des escrocs ne me furent pas épargnées non plus.
Jusqu'à la fin de l'année passée j'ai goûté abondamment au plaisir de
l'amour homosexuel et surtout de la pédérastie passive; depuis je n'ai
pratiqué que l'onanisme mutuel de peur de contracter une maladie
vénérienne. Je n'ai jamais été pédéraste actif, d'abord pour la simple
raison que je n'ai trouvé personne qui pût supporter la douleur qui en
résulte.
Je cherche de préférence mes amants parmi les
cavaliers, les marins, éventuellement parmi les ouvriers, surtout les
bouchers et les forgerons. Les hommes robustes, à la figure colorée,
m'attirent particulièrement. Les culottes de peau ordinaire des
cavaliers ont pour moi un charme particulier. Je n'ai pas de
prédilection ni pour les baisers ni pour d'autres accessoires. J'aime
aussi les grandes mains dures et rendues calleuses par le travail.
Je ne veux pas laisser passer inaperçu que, dans certaines circonstances, j'ai un grand empire sur moi-même.
Étant
intendant d'un grand domaine, j'habitais une grande maison. Mon valet
était un jeune homme d'une rare beauté, qui avait fait son service
militaire dans les hussards. Après avoir causé une fois vaguement de
cette affaire avec lui et appris à cette occasion qu'il était
inaccessible, j'ai habité pendant des années avec ce jeune homme, je me
suis réjoui de sa beauté, mais je ne l'ai jamais touché. Je crois qu'il
ignore encore aujourd'hui ma passion. De même j'ai fait il y a deux ans
et demi à C... la connaissance d'un matelot qu'aujourd'hui encore, mes
amis et moi, nous déclarons être le plus bel homme que nous ayons
jamais vu. Après une absence de plus de deux années, ce marin se
rendit, il y a quelques semaines, à mon invitation et me fit une
visite. Je sus m'arranger de façon à ce que nous couchions dans la même
chambre; je brûlais du désir de m'approcher de lui. Mais avant je le
sondai par une conversation confidentielle et quand j'appris qu'il
méprisait tout ce qui avait rapport à l'amour homosexuel, je ne pus me
décider à essayer de nouveaux rapprochements. Pendant des semaines nous
avons partagé la même chambre, je me suis toujours réjoui à la vue de
son corps superbe (dans les premiers jours j'en étais même excité
sexuellement); j'ai pris avec lui un bain romain afin de pouvoir
regardé son corps nu, mais il n'a jamais rien su de ma passion.
Aujourd'hui encore j'ai une liaison idéale et platonique avec ce jeune
homme qui a une instruction bien supérieure à sa position sociale et un
joli talent de poète.
Jusqu'à l'âge de trente-huit ans, je n'ai
pas eu une idée nette de ma situation. Je croyais toujours que je
m'étais désaccoutumé de la femme par suite de l'onanisme trop précoce
et pratiqué depuis, continuellement et avec intensité; j'espérais
toujours que, quand je rencontrerais «la vraie femme», j'abandonnerais
l'onanisme et que je pourrais trouver du plaisir avec elle. Je n'ai
connu mon état qu'après avoir fait la connaissance de compagnons de
souffrance et de gens de ma tendance. Je fus d'abord épouvanté; plus
tard, je me suis résigné en me disant que mon sort ne dépend pas de
moi. Aussi n'ai-je plus fait d'efforts pour résister à la tentation.
Il
y a deux ou trois semaines, votre livre Psychopathia sexualis m'est
tombé entre les mains. Cet ouvrage m'a fait une impression des plus
profondes. Je l'ai d'abord lu avec un intérêt indubitablement lascif.
La description de la formation des mujerados, par exemple, m'a beaucoup
excité. L'idée qu'un jeune homme vigoureux soit émasculé de cette façon
pour servir plus tard à la pédérastie de toute une tribu de
peaux-rouges sauvages, vigoureux et sensuels, m'a tellement excité que,
les deux jours suivants, je me suis masturbé cinq fois, toujours en
rêvant que j'étais un de ces mujerados. Mais plus j'avançais dans la
lecture du livre, plus j'en comprenais la portée sérieuse, morale, et
plus j'ai pris en horreur mon état actuel. J'ai compris de mieux en
mieux ce qu'il me faudrait faire pour amener, s'il en existe la moindre
possibilité, un changement dans ma situation présente. Quand j'eus fini
l'ouvrage, ma résolution était prise d'aller chercher remède chez
l'auteur.
La lecture de l'ouvrage cité a eu sans doute un
résultat. Depuis, je n'ai pratiqué que deux fois la masturbation
solitaire, et deux fois avec des cavaliers. Dans ces quatre cas, j'ai
eu bien moins de satisfaction qu'auparavant et j'ai toujours ce
sentiment: «Ah! puisses-tu donc renoncer à tout cela!»
Néanmoins, je vous avoue que maintenant encore j'ai immédiatement des érections, quand je me trouve avec de beaux militaires.
Pour
terminer, j'ajouterai encore que malgré, ou peut-être à cause de la
fréquence de l'onanisme, je n'ai jamais eu de pollutions. L'éjaculation
qui d'ailleurs ne consiste et n'a consisté habituellement qu'en
quelques petites gouttelettes, ne se produit qu'après une friction
d'une durée relativement longue.
Quand pour une raison ou pour
une autre, je m'abstenais pendant longtemps de l'onanisme,
l'éjaculation se produisait plus promptement et plus abondamment.
Il y a douze ans, Hansen a essayé, mais en vain, de m'hypnotiser.»
Au
printemps de 1891 l'auteur de l'autobiographie précédente est venu me
trouver, en me déclarant qu'il ne pouvait plus continuer cette
existence et qu'il considérait le traitement hypnotique comme son
dernier moyen de salut, ne se sentant pas lui-même la force nécessaire
pour résister à son penchant funeste à l'onanisme et à la satisfaction
sexuelle avec des personnes de son propre sexe. Il se sent comme un
paria, un être contre nature, mis hors les lois de la nature et de la
société, et se trouvant de plus en danger de tomber entre les mains des
juges.
Il éprouve une horreur morale en accomplissant l'acte
sexuel avec un individu masculin, et pourtant il se sent comme
électrisé à la vue d'un beau troupier.
Depuis des années, il n'a plus la moindre sympathie, pas même morale, pour la femme.
La malade m'a paru, au point de vue physique et psychique, exactement tel qu'il s'est présenté dans son autobiographie.
J'ai pu constater que le crâne est un peu hydrocéphale et en même temps plagiocéphale.
Les essais d'hypnotisation se sont heurtés au commencement à des difficultés.
Ce
n'est que par le moyen du Braid et en me servant d'un peu de
chloroforme que j'ai pu obtenir, dans la troisième séance, un profond
engourdissement.
À partir de ce moment, il suffisait de le faire regarder un objet brillant.
Les
suggestions consistaient dans l'interdiction de la masturbation, dans
la désuggestion des sentiments homosexuels, dans l'assurance que le
malade prendrait goût à la femme et qu'il n'aurait plaisir et puissance
que dans les rapports hétérosexuels.
Une seule fois il revint encore à la masturbation. Après la troisième séance, le malade rêva de femmes.
Quand,
après la quatorzième séance, le malade, appelé à sa maison, par
d'importantes affaires, dut partir, il se déclara complètement
débarrassé des tendances à la masturbation et à l'amour homosexuel:
cependant, ajoutait-il, le penchant pour l'homme n'était pas encore
tout à fait éteint.
Il éprouva de nouveau de l'intérêt pour le
sexe féminin, et il espère en continuant le traitement se délivrer
définitivement de son funeste état.
OBSERVATION 138.
(Hermaphrodisme psychique.)--M. V. P., vingt-cinq ans, célibataire,
issu d'une famille nerveuse, a souffert de convulsions dans son
enfance. Il s'en est rétabli, mais il est resté malingre, émotif et
irascible. Il n'a pas eu de maladies graves. Avant l'âge de dix ans, la
vie sexuelle s'est éveillée. Ses premiers souvenirs à ce sujet se
rapportent à des sensations voluptueuses qu'il a éprouvées auprès des
valets de la maison. Quand il fut plus âgé, il avait des rêves
érotiques où il s'agissait de rapports avec des hommes. Au cirque il
s'intéressait exclusivement aux artistes masculins.
Les jeunes
gens vigoureux lui étaient les plus sympathiques de tous. Souvent il ne
pouvait résister à l'envie de les enlacer et de les embrasser. Ces
temps derniers, le simple frôlement d'un homme le remplissait de
délices et lui donnait de l'éjaculation. Il a jusqu'ici heureusement
résisté à l'impulsion de nouer une liaison amoureuse avec un homme. Le
malade est un hermaphrodite psychique, dans ce sens qu'il n'est pas
insensible aux charmes féminins; mais il trouve l'homme plus beau que
la femme. Jusqu'ici, à vrai dire, les nudités féminines ne lui ont
jamais plu, et ce n'est qu'une fois qu'il aurait, d'après ses
souvenirs, rêvé du coït avec une femme.
Ayant de grands besoins
sexuels et ne voulant pas se commettre avec des hommes, il a toutefois
commencé à l'âge de vingt ans à avoir des rapports sexuels avec des
femmes. Jusque-là il s'est rarement livré à la masturbation manuelle,
mais il a fait souvent de l'onanisme psychique; ce faisant, des images
de beaux hommes planaient dans son imagination.
Il a fait le
coït avec succès, mais sans plaisir et sans une véritable sensation de
volupté. Par des circonstances particulières, il fut astreint à
l'abstinence de sa vingt-deuxième à sa vingt-quatrième année. Il
supporta péniblement cette abstinence, mais il se soulageait par-ci
par-là par l'onanisme psychique.
Quand, il y un an, il trouva de
nouveau l'occasion de faire le coït, il s'aperçut que son libido pour
la femme s'était affaibli, que l'érection était insuffisante et que
l'éjaculation se produisait trop tôt. Finalement il renonça au coït.
Alors il se manifesta chez lui du libido pour l'homme.
Étant
donnée la faiblesse irritable de son centre d'éjaculation, le seul
contact des hommes sympathiques suffisait pour provoquer chez lui un
écoulement de sperme.
Le malade est fils unique. Des raisons de
famille exigent qu'il conclue un mariage. Il a, à juste titre, des
scrupules; il se croit impuissant «imaginatif», et demande conseil et
remède.
Il sait bien qu'il faudrait lui enlever ses penchants pour l'homme; c'est le seul moyen de le secourir.
Il
est d'un extérieur tout à fait viril. Le crâne est légèrement
hydrocéphale. Barbe richement développée, parties génitales normales.
Le réflexe crémastérien ne peut pas être provoqué. Aucun symptôme de
neurasthénie. OEil névropathique. Pollutions rares. Érections seulement
en présence des hommes sympathiques.
Le 16 juillet 1889, on a
commencé à faire de l'hypnose selon la méthode de Bernheim, afin d'agir
sur lui par suggestion. Ce n'est qu'à la troisième séance, le 18, qu'on
a obtenu un profond engourdissement.
Suggestions: Vous n'avez
plus d'affection pour l'homme. Seule la femme est belle et désirable.
Vous aimerez une femme, vous l'épouserez, vous serez heureux, et vous
la rendrez heureuse. Vous êtes tout à fait puissant. Vous le sentez
déjà.
Le malade accepte toutes les suggestions dans l'hypnose
qui est répétée chaque jour, mais qui ne dépasse jamais
l'engourdissement. Le 22 juillet il annonce qu'il a fait le coït avec
plaisir. Le garçon de l'hôtel où il demeure l'intéresse de moins en
moins. Toutefois, il trouve toujours l'homme plus beau que la femme. Le
1er août on a dû interrompre le traitement. Résultat: puissance
complète, indifférence totale pour le sexe masculin, et aussi pour le
moment pour le sexe féminin.
Le même traitement a eu un succès
décisif dans le cas suivant d'hermaphrodisme psychosoxuel que j'ai
rapporté dans le T. 1, fascicule 2 de l'Internat. Centralblatt für die
Physiol. u. Pathol. der Harn und Sexualorgane.
OBSERVATION
139.--Monsieur V. X., vingt-cinq ans, grand propriétaire, né d'un père
névropathe et emporté. Le père dit-on, est sexuellement normal. La mère
souffrait des nerfs, de même que ses deux soeurs. La mère de la mère
était nerveuse, le père de la mère était un viveur et faisait des excès
in Venere. Le malade est enfant unique et tient de la mère. Il fut dès
sa naissance malingre, souffrit beaucoup de migraines; il était
nerveux, il a supporté diverses maladies d'enfance et s'est livré, sans
y être entraîné, à l'onanisme à partir de l'âge de quinze ans.
Il
prétend n'avoir éprouvé d'inclination ni pour le sexe féminin, ni pour
le masculin, jusqu'à l'âge de dix-sept ans; alors s'est éveillé en lui
le penchant pour l'homme. Il est devenu amoureux d'un camarade.
Celui-ci a répondu à son amour. Ils se sont enlacés, se sont embrassés
et se sont masturbés mutuellement. À l'occasion le malade pratiquait le
coït inter femora viri. Il abhorrait la pédérastie.
Ses rêves
érotiques n'avaient pour objet que des hommes. Au théâtre et au cirque,
il ne s'intéressait qu'aux sujets masculins. Son penchant le portait
vers les gens d'environ vingt ans. Une belle taille plantureuse lui
inspirait de la sympathie.
Quand ces conditions étaient
remplies, peu lui importait à quelle classe de la société l'homme de sa
prédilection appartenait. Dans ses rencontres sexuelles, il se sentait
toujours dans le rôle masculin.
À partir de l'âge de dix-huit
ans, le malade fut l'objet de vives préoccupations de la part de sa
famille, car il avait noué une liaison amoureuse avec un garçon de
café, s'était rendu ridicule par cette affaire et s'était laissé
exploiter. On le fit rentrer à la maison. Il se commettait avec des
valets et des cochers. Il y eut scandale. On l'envoya en voyage. À
Londres il s'attira une affaire de chantage. Il réussit à regagner sa
patrie.
Ces diverses expériences ne lui furent d'aucun
enseignement et il manifesta de nouveau un penchant fatal pour les
hommes. On m'a envoyé le malade pour que je le guérisse de son funeste
penchant (décembre 1888). C'est un jeune homme bien portant, de grande
taille, imposant, robuste; il est de conformation tout à fait virile, a
les parties génitales fortes et bien développées. La démarche, la voix
et le maintien sont tout à fait virils. Il n'a pas de passions viriles
bien prononcées. Il fume peu et seulement des cigarettes, boit très
peu, aime les sucreries, la musique, les beaux-arts, l'élégance, les
fleurs, et se meut de préférence dans les cercles de femmes; il porte
moustache, mais le reste de la figure est rasé. Sa mise n'a rien du
gommeux. C'est un homme pâle, amolli, un flâneur et un propre à rien du
grand monde, qu'il est difficile de sortir du lit avant l'heure de
midi. Il prétend n'avoir jamais senti le caractère morbide de son
penchant pour son propre sexe. Il croit que cette disposition est
congénitale; il voudrait, assagi par de fâcheuses expériences, se
délivrer de sa funeste perversion; mais il n'a guère confiance en sa
force morale. Il a déjà essayé, mais alors il tombe toujours dans le
vice de la masturbation qu'il trouve nuisible, car elle lui cause des
malaises neurasthéniques (pas trop graves d'ailleurs). Il n'y a pas
chez lui de défectuosités morales. L'intelligence est un peu au-dessous
de la moyenne. Il a une éducation soignée et des manières
aristocratiques. L'oeil un peu névropathique dénote la constitution
nerveuse de l'individu. Le malade n'est pas un uraniste complet et
condamné. Il a des sentiments hétérosexuels, mais ses émotions
sensuelles pour le beau sexe ne se manifestent que rarement et à un
degré très faible. À l'âge de dix-neuf ans, il fut pour la première
fois amené par des amis dans un lupanar. Il n'éprouva pas d'horror
feminæ, il eut une érection suffisante et fit le coït avec quelque
plaisir, mais sans cette volupté intense qu'il éprouve entre les bras
d'un homme.
Depuis, dit le malade, il a encore coïté six fois,
deux fois sua sponte. Il affirme qu'il en a toujours l'occasion, mais
qu'il ne le fait que faute de mieux, quand l'impulsion sexuelle le
tourmente trop; enfin que le coït ainsi que la masturbation lui servent
de faible compensation pour remplacer l'amour homosexuel. Il a même
déjà pensé à la possibilité de trouver une femme sympathique et de
l'épouser. Il est vrai qu'il considérerait les rapports conjugaux et
l'abstinence définitive des hommes comme des devoirs très durs.
Comme
il y avait là des rudiments de sentiment hétérosexuel et que le cas ne
pouvait être considéré comme désespéré, un essai thérapeutique me
sembla opportun. Les indications étaient très claires, mais on ne
pouvait compter sur la volonté de ce malade amolli, qui n'avait
nullement la conscience nette de sa situation. Il était donc tout
indiqué de chercher dans l'hypnose un appui pour l'influence morale du
médecin. La réalisation de cet espoir paraissait douteuse, par suite du
récit du malade que le fameux Hansen avait, à plusieurs reprises, mais
en vain, essayé de l'hypnotiser.
Toutefois, il fallait répéter
les essais, à cause des intérêts sociaux importants du malade. À mon
grand étonnement, la méthode de Bernheim amena immédiatement un profond
engourdissement avec possibilité de suggestion posthypnotique.
À
la deuxième séance, le somnambulisme a été obtenu par un simple regard
jeté sur le malade qui est suggestible dans tous les sens. On peut, en
lui passant la main sur la peau, provoquer des contractures. Le réveil
a lieu en comptant jusqu'à trois.
La malade a de l'amnésie, en
dehors de l'hypnose, pour tout ce qui s'est passé pendant son état
hypnotique. On l'hypnotise tous les deux ou trois jours pour lui faire
des suggestions. On fait, en outre, un traitement moral et
hydrothérapique.
Les suggestions faites pendant l'hypnose sont les suivantes:
1º Je déteste l'onanisme, car il rend malade et misérable;
2º
Je n'ai plus d'affection pour l'homme, car l'amour pour un être
masculin est contraire à la religion, à la nature et à la loi;
3º J'éprouve du penchant pour la femme, car la femme est un être aimable et désirable; elle est créée pour l'homme.
Dans les séances, la malade répète ces suggestions sur mon ordre.
Après
la quatrième séance on est surpris de constater déjà que, dans les
cercles où il est présenté, le malade commence à faire la cour aux
dames. Peu de temps après, quand une célèbre cantatrice passe sur la
scène, il est tout feu et flamme pour elle. Quelques jours plus tard,
le malade s'informe de l'adresse d'un lupanar.
Toutefois, il
cherche encore de préférence la compagnie des jeunes messieurs, mais,
malgré une surveillance très étroite, on n'a pu constater rien de
suspect à ce sujet.
17 février. Le malade demande la permission de faire le coït et il est très satisfait de son début avec une dame du demi-monde.
16
mars. Jusqu'ici hypnose environ deux fois par semaine. Par un seul
regard, le malade est plongé dans un profond somnambulisme; sur mon
ordre, il répète les suggestions; il est accessible à toute suggestion
posthypnotique et, à l'état de veille, il ne se rappelle plus de
l'influence qu'on a exercée sur lui pendant son état d'hypnose. À
l'état hypnotique, il affirme être parfois tout à fait débarrassé de
l'onanisme et des sentiments sexuels pour les hommes. Comme dans
l'hypnose il donne toujours les mêmes réponses stéréotypées (par
exemple, d'avoir à telle ou telle date fait la masturbation pour la
dernière fois) et qu'il subit trop la volonté du médecin pour pouvoir
mentir, ses affirmations méritent foi, d'autant plus qu'il a les
apparences d'une santé florissante, qu'il est exempt de tout malaise
neurasthénique, qu'il ne donne aucune inquiétude dans ses rapports avec
les messieurs, et qu'il montre un caractère franc, libre et viril.
Comme
il fait parfois le coït avec plaisir et en cédant à son libre penchant,
et que les pollutions qu'il a quelquefois, ne sont provoquées que par
des rêves érotiques concernant des personnes féminines, on ne peut plus
douter de la transformation favorable de sa vita sexualis et l'on peut
supposer que les suggestions hypnotiques sont maintenant devenues des
auto-suggestions directrices de la totalité de ses sentiments, de ses
idées et de ses efforts. Le malade restera probablement toujours une
natura frigida, mais il parle souvent de mariage, et de sa résolution,
aussitôt qu'il aura trouvé une dame qui lui soit sympathique, de
solliciter sa main. On cessa le traitement. (Observation personnelle.
International Centralblatt für die Physiol. u. Pathologie der Harn und
Sexualorgane. T. I.)
Au mois de juillet 1889, j'ai reçu une lettre du père qui m'annonce que son fils se porte bien et a une bonne conduite.
Le
24 mai 1890 j'ai rencontré par hasard mon ancien client dans un voyage.
Son air de santé florissante me laissa supposer un état des plus
favorables. Il me confessa qu'il trouvait encore certains hommes
sympathiques, mais qu'il n'éprouvait plus aucune velléité amoureuse
pour le sexe masculin. À l'occasion, il fait le coït avec des femmes,
en éprouve un plaisir parfait, et il songe sérieusement à se marier.
Pour
faire un essai, j'ai hypnotisé le malade selon la méthode que je lui
avais appliquée autrefois et je lui demandai de répéter les ordres que
je lui avais donnés.
Plongé dans un profond somnambulisme et
avec la même intonation qu'autrefois, le malade me récita les
suggestions qu'il avait reçues en décembre 1888. C'est, en tout cas, un
exemple de la durée et de la puissance de la suggestion posthypnotique.
Le traitement par suggestion hypnotique eut un succès complet dans les cas suivants.
OBSERVATION
140. (Hermaphrodisme psychique. Amélioration par le traitement
hypnotique).--M. de K..., 23 ans, d'une grande famille, très bien doué
intellectuellement, scrofuleux pendant son enfance, descend d'un père
qui, dit-on, a été un viveur. Le frère du père avait la réputation
d'être un inverti sexuel.
Le malade affirme que, déjà à l'âge de
sept ans, il avait une inclination singulière pour les personnes du
sexe masculin. C'étaient surtout les cochers et les laquais à
moustaches qui l'enthousiasmaient à cette époque. Il éprouvait un
sentiment de bonheur étrange quand il pouvait se frotter contre ces
individus.
De bonne heure, le malade fut placé au corps des
cadets, où il fut entraîné à l'onanisme mutuel et où il apprit la
pratique de l'imitatio coïtus inter femora viri. À l'âge de dix-sept
ans, il fit pour la première fois le coït avec une prostituée.
Il
accomplit l'acte très bien, mais il n'eut pas le moindre plaisir, et il
reconnut ou que ce genre de satisfaction n'était rien ou bien qu'il
devait être autrement conformé que les autres jeunes gens.
Toutefois,
il coïtait encore souvent, contracta une gonorrhée, après la guérison
de laquelle il éprouva une aversion de plus en plus vive pour le sexe
féminin; il pratiqua dorénavant le coït de plus en plus rarement et
seulement dans les cas où, malgré son libido très vif, il ne pouvait
avoir des rapports avec des individus masculins. Son penchant pour les
hommes devenait de plus en plus fort; c'étaient notamment les hommes
adultes bien bâtis et autant que possible peu barbus qui avaient de
l'attrait pour lui. Il aboutit aux excès les plus dégoûtants dans le
sens du coïtus buccalis, et de la pédérastie active et passive.
Le
malade lui-même avait grande honte d'une pareille dégradation; il
essayait toujours de revenir dans la bonne voie en faisant le coït avec
la femme, mais il dut se rendre à cette évidence désespérante que sa
force normale était insuffisante, que le rapport avec la femme le
laissait froid ou même lui répugnait, et que, à vrai dire, il était
créé pour les rapports sexuels avec des personnes de son propre sexe.
En effet, ses songes n'avaient jamais les femmes pour objet, mais
toujours les hommes, et tel était déjà le cas à un âge où il n'avait
pas encore la moindre idée de la différence des sexes.
Le malade
vient à la consultation, car il a compris que le bonheur de toute sa
vie est en jeu. Il a clairement reconnu le caractère immoral et
antinaturel de son existence sexuelle. Il croit que sa situation n'est
pas désespérée, puisqu'il n'abhorre pas la femme: il y a trois semaines
encore, il a coïté avec une femme, il a réussi, bien qu'il n'ait
éprouvé ni plaisir, ni satisfaction morale. Il ne met pas en doute
qu'il soit en réalité créé pour l'amour du sexe masculin; mais à la
suite d'une neurasthénie qui vient de se déclarer, il n'a plus, même
dans l'acte sexuel avec l'homme, le plaisir qu'il éprouvait autrefois
dans des circonstances analogues. Il a abandonné sa position d'officier
de l'armée, parce que ses troupiers l'excitaient trop sexuellement, et
qu'il craignait de se compromettre un jour.
Le malade n'a pas de
stigmates de dégénérescence. Il a un extérieur tout à fait viril; les
parties génitales sont normales. L'examen d'un spécimen du sperme a
permis de constater des spermatozoïdes en abondance. Le pénis est
grand, bien développé; le système pileux sur les parties génitales et
sur le corps en général est très bien fourni. Le malade a des goûts
virils, mais il n'a jamais trouvé plaisir ni à fumer ni à boire. Son
oeil névropathique est la seule chose qu'on pourrait interpréter dans
le sens d'une prédisposition nerveuse.
Il prétend que dans ses
actes sexuels avec les hommes, il s'est la plupart du temps senti dans
le rôle de l'homme, mais parfois aussi dans celui de la femme.
Une
tentative d'hypnose a amené un engourdissement avec une attitude
cataleptiforme des muscles; on l'utilise pour lui faire des suggestions
appropriées à sa maladie.
Après la quatrième séance, il déclare
avec satisfaction et étonnement à la fois, que les hommes le laissent
froid. Il voudrait essayer sa bonne chance avec des femmes, mais il
craint d'être impuissant.
Après la sixième séance, il essaie le
coït cum muliere, sans y avoir été engagé. Son libido fut très grand,
mais inter actum le libido ainsi que l'érection l'abandonnèrent.
Après
la neuvième séance, le malade interrompt le traitement, ses affaires
l'ayant obligé de rentrer à la maison. Il est content en tant qu'il se
sent indifférent vis-à-vis de l'homme, et capable de résister à toute
tentation. Il a la conviction certaine qu'il ne retombera plus dans ses
anciennes «vilenies». Mais à l'heure qu'il est, il ne sent pas non plus
le moindre intérêt pour le sexe féminin.
OBSERVATION 141.--M.
X..., trente et un ans, chimiste, issu d'une famille névropathique,
était, dès son enfance, nerveux, émotif, peureux et sujet aux
migraines. Il se rappelle nettement qu'étant tout petit garçon, il
contemplait avec plaisir les ouvriers à demi nus dans l'atelier qui se
trouvait en face de la maison paternelle et qu'il se sentait attiré
vers eux. Quand on l'envoya en classe, il éprouva un sentiment analogue
pour ses camarades. Sans y être incité, il arriva à l'âge de onze ans à
faire de l'onanisme; pendant l'acte, il pensait toujours à ses
camarades d'école. Plus tard, il eut des amitiés extatiques. Sa vita
sexualis est devenue toute-puissante. Devenu grand, il s'intéressa
aussi aux femmes, mais le principal objet du ses désirs, c'étaient les
hommes des classes élevées de la société. Il sentit l'anomalie de ce
penchant, chercha des relations avec les puellis, fit plusieurs fois le
coït, mais sans y éprouver un véritable agrément. Alors il s'égara de
plus en plus dans la voie de l'inversion sexuelle: il pratiquait la
masturbation mutuelle et le coït inter femora viri, se livrait à
l'occasion aussi à la pédérastie passive, mais il y renonça bientôt car
il n'en éprouvait que de la douleur.
Il affirme qu'il se sent
tout à fait homme et qu'il n'a jamais eu de goûts féminins. Squelette,
attitude tout à fait virils. Système pileux et barbe très abondants,
parties génitales tout à fait normales. Point d'aversion pour le sexe
féminin. À l'occasion, il fait le coït avec des puellis, mais sans en
être satisfait. Le malade se sent très malheureux, reconnaît nettement
sa fausse position, voudrait à tout prix être débarrassé de son
penchant homosexuel et devenir capable de se marier. Ce serait terrible
d'être toujours forcé de jouer la comédie. Dès le premier essai
d'hypnotisation fait d'après la méthode de Bernheim, le malade est
plongé dans un profond engourdissement. Il est très suggestible, reçoit
les suggestions nécessaires, constate avec satisfaction, après la
quatrième séance, que les individus masculins lui sont devenus tout à
fait indifférents et qu'il commence à coïter avec plaisir, mais que
dans son âme il ne se sent pas satisfait, étant donné qu'il est obligé
d'avoir recours aux puellæ publicæ. Après la quatorzième séance, il
déclare n'avoir plus besoin d'appui. Il est enthousiasmé d'une jeune
dame et il a l'intention de l'épouser. Le malade a sollicité la main de
cette dame, mais il a été éconduit. Bientôt après, il fit un voyage en
Italie, et alors l'intérêt pour les hommes se réveilla de nouveau. Il
eut une rechute et me demanda de reprendre le traitement. En peu de
séances le statu quo ante fut rétabli.
OBSERVATION 142.
(Hermaphrodisme psychique. Traitement par la suggestion hypnotique
suivi de succès). M. Z..., vingt ans, prétend être issu de
grands-parents bien portants, de père sain, mais d'une mère nerveuse.
Il est enfant unique et il a été gâté par sa mère. À l'âge de huit ans,
il a été très excité sexuellement par un valet qui lui montrait des
gravures pornographiques et son pénis.
À l'âge de douze ans,
Z... devint amoureux de son corépétiteur. En s'endormant il eut la
vision de cet homme tout nu. Il se sentit vis-à-vis de celui-ci dans la
situation d'une femme; il s'extasiait à l'idée de pouvoir l'épouser un
jour.
À l'âge de treize ans, à l'occasion d'une soirée dansante
donnée à la maison, une jeune gouvernante excita son imagination, et à
l'âge de quinze ans il tomba amoureux d'une jeune dame. Il est resté
sensuellement très excitable, mais les années suivantes ce furent
exclusivement les hommes sympathiques qui lui firent cette impression.
Il ne pratiquait point la masturbation.
À l'âge de vingt ans, le
malade est devenu neurasthénique ex abstinentia. Il essaya alors le
coït, mais ne réussit pas. En revanche, il était saisi d'un puissant
libido quand, dans un hammam, il avait l'occasion de voir des viri
nudi. L'un d'eux remarqua l'émotion du jeune homme, l'aborda, le
masturba, ce qui lui causa un grand plaisir. Il se sentait puissamment
attiré vers cet homme et se fit encore masturber par lui à plusieurs
reprises. Entre temps il faisait des essais du coït avec les femmes,
mais il remportait toujours un échec. Le malade en était profondément
désolé; il consulta des médecins qui expliquèrent son impuissance par
sa nervosité et qui étaient d'avis que cela s'arrangerait bientôt.
Jusqu'à
l'âge de vingt-cinq ans, sa satisfaction sexuelle consistait à se faire
masturber une fois par mois par l'homme aimé. C'est à cette époque
qu'il se sentit pour la dernière fois attiré vers la femme. C'était une
paysanne vierge. Elle se montra inaccessible à ses désirs. Comme son
amant lui était devenu inaccessible aussi, le malade prit l'habitude de
la masturbation solitaire. À la suite de ces pratiques, sa neurasthénie
s'accentua de plus en plus. Il ne put pour cette raison terminer ses
études; il évita les hommes, devint sombre, aboulique; il fit sans
succès des cures dans divers établissements hydrothérapiques. Le malade
vint me trouver vers la fin du mois de février 1890 pour me demander
conseil au sujet de sa neurasthénie (cérébro-spinale) qui était grave
et continue.
C'est un homme grand, svelte, de manières
aristocratiques, d'allures nettement viriles, et d'apparence
névropathique; lobes des oreilles grands et se confondant comme un
cadre avec les joues. Les parties génitales sont tout à fait normales.
Il présente les symptômes ordinaires d'une neurasthénie cérébro-spinale
modérée. Il est très déprimé, se plaint que la vie lui paraît si peu
agréable qu'il en est arrivé au tædium vitæ; il est péniblement affecté
de son anomalie sexuelle, d'autant plus que sa famille insiste pour
qu'il se marie.
Chez la femme il n'y a que l'âme qui l'intéresse
et non le corps. Sexuellement il n'a d'affection que pour les hommes,
et encore faut-il que ceux-ci soient du meilleur monde. Ses rêves n'ont
jamais eu pour objet des individus de son propre sexe, mais toujours
des personnes du sexe féminin. Dans ces rêves érotiques il s'est vu
dans le rôle de la femme.
La puella la plus raffinée n'a jamais pu provoquer de l'érection ni du libido chez lui.
Ses
rapports sexuels avec les hommes ont consisté dans la masturbation
passive ou mutuelle. Il ne s'est livré que rarement à
l'auto-masturbation et quand il ne pouvait faire autrement. Depuis cinq
mois il s'en est abstenu, depuis le mois d'août 1889 il n'a pas eu non
plus de rapports sexuels avec des hommes.
Un essai d'hypnose
selon la méthode de Bernheim n'a pas réussi. En passant plusieurs fois
la main sur le front, on provoque de l'engourdissement avec catalepsie.
Cette méthode est employée pour appliquer le traitement suggestif chez
ce malade digne de pitié. L'état hypnotique reste toujours le même; il
est impossible de l'amener au somnambulisme.
À la troisième
séance le malade reçoit les suggestions: l'onanisme et l'amour du sexe
masculin sont détestables; il faut trouver les femmes belles et rêver
d'elles.
Après la sixième séance (10 mars), il se produit une
évolution visible dans l'existence psychique du malade. Il devient plus
calme, il se sent plus dégagé, rêve par-ci par-là de femmes, et plus
d'hommes, trouve que ces derniers lui sont devenus tout à fait
indifférents et m'annonce avec satisfaction qu'il n'a plus de velléités
de masturbation. Il s'approche du beau sexe, mais il s'aperçoit que les
femmes n'exercent pas sur lui la moindre force d'attraction.
Le 19 mars des affaires rappellent le malade chez lui, de sorte que le traitement a dû être interrompu.
Le
17 mai 1890 il revient au traitement. Il affirme qu'entre temps il ne
s'est pas masturbé et qu'il a su résister à son penchant pour les
hommes. Aussi n'a-t-il plus rêvé d'hommes, et deux fois même dans ses
songes il s'est occupé de femmes, mais tout à fait platoniquement. Son
asthénie cérébrale (ex abstinentia) s'est augmentée. Il souffre
évidemment du manque d'une satisfaction morale et sensuelle de sa vita
sexualis, puisque l'amour homosexuel et la masturbation lui sont
devenus impossibles, et que, en même temps, il est aussi privé des
rapports avec les femmes. Le malade en est péniblement affecté jusqu'au
tædium vitæ.
On le soumet alors à un traitement
antineurasthénique (hydro-électrothérapie) et on reprend le traitement
hypnotique. Ce n'est qu'après une cure laborieuse de dix semaines que
les malaises neurasthéniques disparaissent. Parallèlement il se produit
un changement dans l'individualité psychique.
Le malade
s'aperçoit avec satisfaction qu'il devient plus vigoureux et que la vie
sexuelle ne joue plus chez lui un rôle dominant. Il est vrai qu'il se
sent attiré plutôt vers l'homme que vers la femme, mais il résiste
facilement aux désirs homosexuels. Le boudoir qu'il avait jusqu'ici se
transforme en bureau de travail; au lieu de s'occuper de luxe, de
toilette et de lectures frivoles, il court dans les forêts et sur les
montagnes. À cause des dangers d'un échec, on laisse le malade prendre
une initiative sur le terrain hétérosexuel.
Ce n'est que dans la
quatorzième semaine de sa cure qu'il se met à l'épreuve. Il réussit
brillamment. Il devient un homme gai, sain de corps et d'esprit; il
nourrit les meilleures espérances pour son avenir et caresse même
l'idée de se marier.
Il éprouve un plaisir croissant aux
rapports sexuels normaux et a, à l'occasion, des rêves érotiques
concernant des femmes; il ne rêve plus d'hommes.
Vers la fin du
mois de septembre, la cure du malade est terminée. Il se sent tout à
fait normal sous le rapport hétérosexuel; il est délivré de sa
neurasthénie et il a des idées de mariage. Toutefois il avoue
franchement qu'il entre encore en érection quand il voit un homme bien
fait tout nu; mais il résiste avec facilité aux envies qui pourraient
le prendre à ce propos; dans la vie des songes il a exclusivement des
«relations avec la femme».
Au mois d'avril 1891 j'ai revu le
malade qui se portait au mieux. Il croit que sa vita sexualis est
complètement assainie, en tant qu'il fait le coït régulièrement avec
une parfaite puissance, qu'il ne rêve que de femmes et qu'il n'a jamais
la moindre velléité de masturbation. Toutefois il me fait cet aveu
intéressant que souvent post coïtum il a encore passagèrement un «léger
goût pour l'homme», mais qu'il lui est facile de le dompter. Il se
croit rétabli pour toujours et nourrit le projet de se marier.
Le
traitement par suggestion peut réussir aussi dans l'inversion sexuelle
manifestement congénitale, ainsi que le prouvent les sujets traités par
l'auteur et celui de Ladame où du moins on a réussi à désuggérer les
sentiments homosexuels et à obtenir une neutralisation sexuelle très
salutaire, étant donnés les dangers de la honte sociale et des
poursuites judiciaires. Wetterstrand a même réussi à remplacer la
tendance homosexuelle par des sentiments hétérosexuels avec puissance
génitale. Ce cas est cité par von Schrenk (op. cit., observation 49).
Des succès analogues ont été encore obtenus par Bernheim (cité par
Schrenk: observation 51), Muller (cité par Schrenk: observation 53),
Schrenk (op. cit., cas 66, 67). Ce dernier même a réussi dans des cas
d'effémination (Schrenk, op. cit., cas 62 et 63).
Nous tenons à
citer ici le premier de ces cas qui est pour ainsi dire un succès
phénoménal et que l'auteur a pu personnellement suivre. D'ailleurs, ces
succès décisifs et durables ne peuvent être obtenus que quand on peut
pousser l'hypnose jusqu'au somnambulisme. Toutefois, il faut se mettre
en garde contre les illusions.
OBSERVATION 143 (Cas d'inversion
sexuelle congénitale amélioré par suggestion hypnotique).--R.,
fonctionnaire, vingt-huit ans, demanda, le 20 janvier 1880, des secours
médicaux. Il est le frère du malade qui fait l'objet de l'observation
135 et par conséquent d'une famille très tarée. Vers la fin du
traitement, il avoue être l'auteur de l'autobiographie qui a été
insérée comme observation 83 dans la cinquième édition de ce livre et
que nous allons tout d'abord reproduire ici:
«Mon anomalie
consiste, pour le dire brièvement, en ce que, sous le rapport sexuel,
je me sens tout à fait femme. Depuis ma première jeunesse, dans mes
rêves et dans mes actes sexuels, j'ai eu devant les yeux uniquement des
images d'êtres masculins et de parties génitales d'hommes. Jusqu'à ce
que je sois devenu élève de l'Université, je n'y ai rien trouvé
d'étrange. (Je n'ai jamais parlé à autrui de mes fantaisies et de mes
rêves; je vivais, quand je fréquentais le lycée, très retiré, et
j'étais très peu communicatif). Ce qui frappa mon attention, alors que
j'étais étudiant de l'Université, c'est que les êtres féminins ne
pouvaient m'inspirer le moindre intérêt. J'ai essayé plusieurs fois
depuis, au lupanar et ailleurs, de faire le coït ou d'arriver au moins
au coït, mais toujours en vain.
«Aussitôt que j'étais seul avec
un être féminin dans une chambre, toute érection cessait immédiatement.
J'ai pris d'abord ce phénomène pour de l'impuissance, et pourtant
j'étais à cette époque si excité sexuellement qu'il me fallait me
masturber plusieurs fois par jour pour pouvoir dormir.
«Mes
sentiments pour le sexe masculin se sont développés bien autrement: ils
sont devenus plus forts chaque année. Au commencement ils se
manifestèrent par une amitié extrêmement romanesque pour certains
personnages, sous la fenêtre desquels j'attendais la nuit des heures
entières, que je cherchais par tous les moyens à rencontrer dans les
rues, et dont je cherchais toujours à me rapprocher. J'écrivais à ces
personnages les lettres les plus passionnées, mais je me gardais bien
toutefois d'y déclarer trop clairement mes sentiments. Plus tard, dans
la période qui suivit mes vingt ans, j'eus une conscience nette de la
nature sensuelle de mes inclinations, surtout à la suite de la
sensation voluptueuse que j'éprouvais aussitôt que je me trouvais en
contact direct avec un de ces amis. C'étaient tous des hommes bien
bâtis, aux cheveux foncés et aux yeux noirs. Je ne me suis jamais senti
excité par des garçons et je ne comprends pas comment on peut avoir du
goût pour la pédérastie proprement dite. À la même époque (entre ma
vingt-deuxième et ma vingt-troisième année) le cercle des personnes que
j'aimais, s'élargissait de plus en plus. À l'heure qu'il est, je ne
peux pas voir dans la rue un bel homme sans concevoir le désir de le
posséder. J'aime surtout les personnes de la basse classe dont les
formes vigoureuses m'attirent: les soldats, les gendarmes, les cochers
de tramway, etc.. en un mot, tout ce qui porte un uniforme. Si
quelqu'un de ces gens répond à mon regard, je sens comme un frisson à
travers tout mon corps. Je suis excité surtout le soir, et rien qu'en
entendant le pas vigoureux d'un militaire, j'ai souvent des érections
des plus violentes. C'est pour moi un plaisir particulier de suivre ces
individus et de les contempler en marchant derrière eux. Aussitôt que
j'apprends qu'ils sont mariés ou qu'ils se commettent avec des filles,
mon émotion disparaît. Il y a quelques mois encore je pouvais maîtriser
mes penchants et ils ne se faisaient pas remarquer directement. À cette
époque, un soldat que je suivais, me sembla disposé à consentir à mes
désirs; je l'abordai. Pour de l'argent, il fut prêt à tout. Statim
summa libidine affectus sum eum amplecti et osculari neque periculo
videndi deterritus sum, quominus hæc facerem. Genitalia mea apprehendit
manibus et statim ejaculatio evenit. Cette rencontre me fit enfin
comprendre le but de ma vie, but que je cherchais depuis si longtemps.
Je savais que c'était là que mon naturel trouverait son bonheur et sa
satisfaction; à partir de ce moment j'ai pris la résolution de faire
tous mes efforts pour trouver un être que je puisse aimer et auquel je
resterais attaché pour toujours. Je n'ai aucun remords de ma manière
d'agir.
«Il est vrai que dans les moments de calme je sens très
bien la grande différence qui existe entre ma façon de penser et les
vues du monde; je connais naturellement aussi, étant jurisconsulte, les
dangers d'une liaison telle que je la désire, mais tant que la totalité
de ma nature n'aura pas changé, je ne saurais résister aux tentations
qui me hantent. Malgré tout, je serais prêt à me soumettre à tout
traitement pour sortir de mon état anormal.
«Je sens en femme,
et je m'en rends compte, entre autres par le fait que toute
représentation sensuelle ayant rapport à une femme me paraît pour ainsi
dire forcée et même contre nature. Je suis certain aussi que mon estime
pour une femme--je fréquente beaucoup la société des dames et je m'y
trouve très bien--se convertirait en aversion dans le cas où
j'apercevrais chez elle des inclinations sensuelles pour ma personne.
Dans mes rêves et dans mes fantaisies érotiques concernant les hommes,
je me figure toujours dans des positions telles que leur figure est
tournée vers moi. Maxima mihi esset voluptas, si vir robustus nudus me
tanta vi amplecteretur, ut reniti non possem. En général, je me vois
dans ces positions dans un rôle tout à fait passif, et ce n'est qu'en
faisant violence à mes sentiments que je pourrais m'imaginer dans une
autre situation. Je suis d'une timidité vraiment féminine. Quelque
grand que soit mon désir de m'approcher de tel ou tel individu, je fais
des efforts aussi grands pour ne rien laisser percer de mon
inclination. Des moustaches, un système pileux très développé, et même
la crasse, me paraissent particulièrement attrayants. Inutile de dire
qu'au point de vue social mon état me paraît tout à fait désespérant,
et si je n'avais pas l'espoir de trouver un être qui me comprenne, je
ne saurais guère supporter la vie. Je sens que les rapports sexuels
avec l'homme sont l'unique moyen de combattre avec efficacité mon
penchant pour l'onanisme. Bien que cela m'affecte beaucoup, je ne puis
pas m'en passer longtemps, car autrement, ainsi que je l'ai déjà
éprouvé par expérience, je serais encore plus affaibli par des
pollutions nocturnes et par des érections qui dureraient des heures
entières dans la journée.
«Jusqu'ici je n'ai aimé vraiment que
deux hommes. Tous les deux étaient des officiers, de beaux hommes, de
grand talent, sveltes et bien bâtis, bruns, avec des yeux noirs. J'ai
fait la connaissance de l'un à l'Université. J'étais amoureux fou de
lui; je souffrais beaucoup de son indifférence, je passais la moitié
des nuits sous ses fenêtres, rien que pour être dans sa proximité.
Quand il fut transféré dans une autre garnison, je fus désespéré.
«Peu
après je fis la connaissance d'un autre officier qui ressemblait au
premier, et qui m'a captivé dès le premier moment. Je cherchai par tous
les moyens possibles à me rencontrer avec lui; je passais toute la
journée dans la rue et dans les endroits où je pouvais espérer le voir.
Je sentais me monter le sang au visage quand je l'apercevais à
l'improviste. Quand je le voyais causer amicalement avec d'autres, je
ne me sentais plus de jalousie. Quand j'étais assis à côté de lui,
j'avais l'impulsion invincible de le toucher; je pouvais à peine cacher
ma grande émotion, quand j'avais l'occasion de lui effleurer les genua
aut femora. Cependant jamais je n'ai eu le courage de déclarer mes
sentiments devant lui, car j'ai cru deviner dans ses manières qu'il ne
les aurait pas compris ou pas partagés.
«J'ai vingt-sept ans, je
suis de taille moyenne, bien fait; je passe pour être joli, j'ai la
poitrine un peu étroite, de petites mains, de petits pieds et une voix
grêle. Au point de vue intellectuel, je crois être bien doué, car j'ai
passé brillamment mon examen de brevet; je sais plusieurs langues et je
suis bon peintre.
«Dans mon métier je passe pour être
travailleur et consciencieux. Les gens de ma connaissance me trouvent
froid et singulier. Je ne fume pas, ne pratique aucun sport; je ne puis
ni chanter, ni siffler. Ma démarche est un peu affectée, de même que
mon langage. J'ai beaucoup de prédilection pour l'élégance, j'aime les
bijoux, les sucreries, les parfums, et je vais de préférence dans la
société des dames.»
On apprend encore par les notes prises par
le Dr V. Schrenk sur la maladie de cet inverti, que les entraves
sociales et légales d'un côté, l'impulsion violente pour son propre
sexe de l'autre côté, ont provoqué dans l'âme du malade des luttes
terribles qui ont fait de sa vie un supplice. C'est pour cette raison
qu'il s'est confié à un médecin.
Le 22 janvier 1889, le malade
fut soumis au traitement hypnotico-suggestif suivant la méthode de
l'École de Nancy. Peu à peu on réussit à le mettre en somnambulisme.
Les
suggestions lui ont été faites dans ce sens: indifférence et faculté de
résistance vis-à-vis du sexe masculin, intérêt croissant pour les
rapports avec la femme, interdiction de la masturbation, substitution
des images féminines aux images masculines dans les rêves érotiques.
Après quelques séances, les formes féminines commencent à plaire au
malade. À la septième séance, on lui suggère de faire le coït et d'y
réussir. Cette suggestion est suivie d'effet. Pendant les trois mois
suivants, le malade se trouvant sous l'influence éducatrice des
suggestions périodiques, est resté en possession complète d'un
fonctionnement sexuel normal. Le 22 avril 1889, il y a rechute, par
suite de la séduction d'un uraniste. Repentir et horreur dans la séance
suivante. Comme expiation, coït avec une femme en présence du séducteur.
Le
malade se plaint que le coït avec des femmes très inférieures comme
éducation, ne satisfait pas son besoin esthétique. Il espère trouver
cette satisfaction dans un mariage heureux. Il cesse le traitement, se
fiance quelques semaines plus tard avec une amie d'enfance, se présente
six mois après comme un heureux fiancé, et croit, par suite du bonheur
qu'il éprouve avec sa fiancée, être à l'abri de toute rechute.
L'auteur
assure que le traitement hypnotique n'a jamais d'effet nuisible
secondaire. Étant donnée la lourde tare héréditaire du malade, il ne
tranche pas la question de savoir si la guérison sera durable, mais il
exprime la conviction que, dans le cas de récidive, la suggestion
hypnotique ne manquerait pas de produire son effet comme la première
fois.
Comme le succès incroyable de ce cas m'avait intéressé au
plus haut degré, et que je m'intéressais encore davantage au cours que
prendraient les choses après la guérison, je me suis adressé à l'auteur
en lui demandant des renseignements sur l'état de santé de son ancien
malade.
Avec la plus grande amabilité, M. le Dr V. Schrenk a mis
à ma disposition la lettre suivante qu'il avait reçue au mois de
janvier 1890.
«Par le traitement suggestif de M. le baron V.
Schrenk, j'eus pour la première fois la faculté physique d'avoir des
rapports sexuels avec une femme, ce qui, jusqu'ici ne m'avait pas
réussi malgré des essais réitérés.
«Comme mon besoin esthétique
ne pouvait être satisfait par des relations avec des prostituées, j'ai
cru trouver mon salut réel dans un mariage. Une affection amicale
ancienne pour une dame que je connais depuis mon enfance m'a fourni la
meilleure occasion de conclure un mariage, d'autant plus qu'à cette
époque je croyais que c'était elle qui serait le plus capable
d'éveiller en moi des sentiments pour le sexe féminin, sentiments qui,
jusque-là m'étaient totalement inconnus. Son être répond tellement à
mes inclinations que je suis profondément convaincu de trouver aussi
une complète satisfaction physique. Cette conviction n'a pas changé
pendant les mois qui se sont écoulés depuis nos fiançailles.
«J'ai l'intention de me marier dans quatre semaines.
«En
ce qui concerne mon attitude vis-à-vis du sexe masculin, ma force de
résistance--c'est le résultat le plus positif et le plus constant du
traitement--subsiste toujours au même degré. Tandis que, autrefois, il
m'était impossible, en voyant par exemple un beau cocher de tramway, de
résister à une excitation sexuelle intense au point de me forcer à
quitter la voiture: aujourd'hui je peux rester sans aucune excitation
sexuelle, même quand je me trouve avec mon ancien amant. Il faut
ajouter toutefois que la fréquentation de ce dernier a toujours pour
moi un certain attrait qui cependant ne peut être comparé à mon
ancienne passion.
«D'autre part j'ai refusé, et sans que cela
m'ait coûté beaucoup d'efforts, des offres réitérées d'entrer en
rapports sexuels avec des hommes auxquels autrefois je n'aurais pu
résister.
«Je puis affirmer que c'est plutôt par sentiment de
pitié que je ne romps pas les relations avec mon ancien amant qui a
conservé pour moi son affection passionnée.
«Ces relations me paraissent plutôt comme un devoir moral que comme un besoin intérieur.
«Depuis
que le traitement médical a été terminé, je n'ai plus eu de rapports
avec des prostituées. Cette circonstance, ainsi que les nombreuses
lettres de mon ancien amant et ses tentatives de renouer l'ancienne
liaison, peuvent être considérées comme la cause de ce que, dans
l'intervalle de huit mois, je me suis laissé entraîner trois ou quatre
fois dans nos entretiens à un rapport sexuel. Dans ces occasions, j'ai
toujours conservé la conscience d'être parfaitement maître de moi-même,
ce qui était contraire à mon état passionnel d'autrefois, et m'a attiré
les reproches les plus vifs de la part de mon ami. Je sens toujours une
certaine barrière insurmontable qui n'est pas fondée sur des raisons
morales mais qui doit être directement attribuée à votre traitement.
Depuis ce temps, je n'éprouve plus pour lui d'amour dans le sens
d'autrefois. D'ailleurs, depuis que le traitement a été terminé, je
n'ai plus jamais cherché d'occasions d'entrer en rapports sexuels avec
des hommes et je n'en éprouve pas non plus le besoin, tandis
qu'autrefois il ne se passait pas un jour où je ne m'y sentisse poussé
au point que par moments j'étais incapable de penser à autre chose.
«Les images sexuelles à l'état de rêve ou à l'état de veille sont devenues très rares.
«Je
crois pouvoir exprimer la conviction que mon mariage, qui aura lieu
d'ici quelques semaines, que le changement de domicile qui en sera la
conséquence et que je désire moi-même, seront capables de détruire les
derniers résidus de ma perversion, résidus qui d'ailleurs ne me gênent
plus. Je termine ces lignes par l'affirmation la plus sincère que, dans
mon for intérieur, je suis devenu un tout autre homme et que cette
transformation m'a rendu l'équilibre moral qui m'a manqué jusqu'ici.»
Les
lignes précédentes que M. le Dr V. Schrenk complète encore en
rapportant une communication verbale du malade d'après laquelle
celui-ci ne s'est plus livré à aucun acte de masturbation, constituent
bien la preuve la plus éclatante de l'effet durable et efficace de la
suggestion post-hypnotique.
Pour ma part, je tiens le sentiment
hétérosexuel du malade pour une création artificielle d'un excellent
médecin, et le malade lui-même semble le sentir, car il parle d'une
barrière qui n'est pas fondée sur des raisons morales, mais qui doit
être directement attribuée au traitement.
La lettre suivante,
que mon collègue V. Schrenk a bien voulu mettre à ma disposition, nous
montre quel sort a été réservé à ce malade intéressant.
«Monsieur
le baron, rentré depuis quelques jours de mon voyage de noces, je me
permets de vous envoyer un rapport sommaire sur mon état actuel. La
semaine qui précéda le mariage, je me trouvai, à vrai dire, dans un
état d'émotion excessive, car je craignais de ne pouvoir remplir
certains devoirs. Les prières pressantes de mon ami, qui voulait à tout
prix avoir encore un entretien avec moi, m'ont laissé absolument froid.
Depuis que je vous ai rencontré la dernière fois, je n'ai pas revu cet
ami. J'étais très inquiet à l'idée que mon mariage pourrait fatalement
devenir malheureux. Mais maintenant je n'ai plus d'inquiétude à ce
sujet. Il est vrai que, la première nuit, je n'ai réussi que très
difficilement à me mettre en excitation sexuelle; mais la seconde nuit
et les suivantes je crois avoir satisfait à toutes les exigences qu'on
peut demander à un homme normal; je suis toujours capable d'y
satisfaire. J'ai aussi la conviction que l'harmonie qui existe, au
point de vue intellectuel, entre ma femme et moi depuis longtemps, se
complète encore de plus en plus par un autre genre d'harmonie. Il me
paraît impossible de revenir aux anciennes habitudes. Voici peut-être
un fait significatif pour mon état actuel: la nuit passée j'ai, il est
vrai, rêvé d'un ancien amant, mais ce rêve n'était pas sensuel et ne
m'a pas excité.
«Quant à ma situation actuelle, j'en suis
satisfait. Je sais bien que mon affection nouvelle est loin d'avoir
atteint le même degré que mon affection ancienne. Mais je crois que ce
penchant croîtra en force tous les jours. Déjà maintenant la vie que je
menais autrefois me paraît incompréhensible et je ne puis pas
comprendre pourquoi je n'ai pas pensé plus tôt à refouler ces
sentiments anormaux par une satisfaction sexuelle normale. Une rechute
ne me paraîtrait possible qu'à la suite d'une transformation complète
de ma vie psychique actuelle, et cela, pour le dire en un mot, me
semble impossible.
«Votre tout dévoué, L...»
J'apprends encore les détails suivants par une lettre que M. le Dr V. Schrenk m'a écrite le 7 décembre:
«Dans
le cas présent, la guérison paraît être de plus longue durée que je ne
l'aurais attendu, car, lorsqu'il y a quelques mois, j'ai parlé avec mon
ancien malade, celui-ci a déclaré qu'il se sentait très heureux de la
vie conjugale et, comme je l'ai compris, il s'attend à devenir père
d'ici peu de temps.»
En effet, au printemps 1891, il est devenu
père. Le docteur V. Schrenk a publié sur son ancien malade de nouveaux
renseignements très intéressants au point de vue thérapeutique, qu'on
peut relire dans la Wiener internationale klinische Rundschau 1892
ainsi que dans son livre Die Suggestionstherapie, 1892, p. 242.
IV PATHOLOGIE SPÉCIALE
Les
phénomènes de la vie sexuelle morbide dans les diverses formes et états
de l'aliénation mentale.--Entraves psychiques.--Affaiblissement mental
aigu.--Faiblesse mentale consécutive à des psychoses, à des attaques
d'apoplexie, à une lésion de la tête ou à un lues cerebralis.--Démence
paralytique.--Épilepsie.--Folie périodique.--Psychopathie sexuelle
périodique.--Manie.--Symptômes d'excitation sexuelle chez les
maniaques.--Satyriasis.--Nymphomanie.--Satyriasis et nymphomanie
chroniques.--Mélancolie.--Hystérie.--Paranoia.
ENTRAVES PSYCHIQUES AU DÉVELOPPEMENT
En
général, la vie sexuelle est très peu développée chez les idiots. Elle
fait même totalement défaut chez les idiots d'un degré avancé. Les
parties génitales sont, dans ce cas, petites, atrophiées, les menstrues
ne se produisent que tard ou pas du tout. Il y a impuissance ou
stérilité. Même chez les idiots qui ont des facultés mentales d'un
niveau relativement plus élevé, la vie sexuelle ne tient pas le premier
rang. Elle se manifeste, dans quelques cas très rares, avec une
certaine périodicité et alors elle se fait jour avec une grande
intensité. Elle ne peut apparaître que sous forme de rut et elle exige
avec impétuosité une satisfaction. Les perversions de l'instinct
génital ne semblent pas se rencontrer chez les individus dont le
développement intellectuel reste à un degré aussi peu élevé.
Si
l'impulsion à la satisfaction sexuelle se butte à une résistance, il se
produit de puissants désirs accompagnés de violences dangereuses contre
les personnes. Il est bien compréhensible que l'idiot ne soit pas
difficile quand il s'agit de sa satisfaction sexuelle et qu'il
s'attaque même aux personnes de sa plus proche parenté.
Ainsi
Marc Ideler rapporte le cas d'un idiot qui voulut stuprer sa propre
soeur et qui l'avait presque étranglée quand on l'empêcha de commettre
l'acte.
Un cas analogue est raconté par Friedreich (Friedreichs Blätter, 1858, p. 50).
J'ai, à plusieurs reprises, donné mon avis médical sur des délits contre les moeurs commis sur des petites filles.
Girard
aussi (Annales méd.-psych., 1885, nº 1) cite un cas à ce sujet. La
conscience de la portée de l'acte manque toujours, mais souvent l'idiot
a le sentiment instinctif que ces actes obscènes ne sont pas permis en
public, c'est ce qui le décide à accomplir les actes sexuels dans un
lieu solitaire.
Chez les imbéciles, la vie sexuelle est
ordinairement aussi développée que chez les individus qui jouissent de
la plénitude de leurs facultés mentales. Les sentiments d'arrêt moraux
sont très peu développés. Voilà pourquoi la vie sexuelle de ces
individus se fait jour d'une manière plus ou moins vive. C'est aussi
pour cette raison que les imbéciles sont un élément troublant pour la
vie sociale. L'accentuation morbide et la perversion de l'instinct sont
très rares chez eux.
La satisfaction de l'instinct génital la
plus usitée, c'est l'onanisme. L'imbécile ose rarement s'attaquer aux
personnes adultes de l'autre sexe.
Souvent il stupre des
animaux. L'immense majorité des sodomistes sont des imbéciles. Les
enfants aussi sont assez souvent l'objet de leurs aggressions.
Emminghaus
(Maschka's Handbuch, IV, p. 234) rappelle la grande fréquence chez eux
des manifestations impudiques de l'instinct génital: masturbation dans
un lieu public, exhibition des parties génitales, violences sur des
enfants et même sur des personnes de leur propre sexe, sodomie.
Giraud (Annales méd.-psychol., 1885, nº 1) a rapporté toute une série d'attentats aux moeurs commis sur des enfants.
1º
H..., dix-sept ans, imbécile, a entraîné avec des noix une petite fille
dans un grenier, (Genitalia puellæ nudavit, sua genitalia ei ostendit
et in abdomine infantis coitum conatus est. Il n'a pas du tout
conscience de la signification de son acte au point de vue légal et
moral.
2º L..., vingt et un ans, imbécile, dégénéré, est occupé
à garder les troupeaux. Sa soeur âgée de onze ans vient avec une
camarade âgée de huit ans et raconte qu'un inconnu a essayé de
commettre sur elles des attentats obscènes. L... conduit aussitôt les
enfants dans une maison inhabitée, essaie le coït sur l'enfant de huit
ans, mais il abandonne bientôt sa tentative car l'immissio ne réussit
pas et l'enfant crie. Rentré à la maison, il promet à l'enfant de
l'épouser si elle ne le trahit pas. Amené devant le juge, il exprime
l'intention de réparer son tort en épousant la petite.
3º G...,
vingt et un ans, microcéphale, imbécile, pratique depuis l'âge de six
ans la masturbation: il fut plus tard pédéraste, tantôt actif, tantôt
passif; a essayé à plusieurs reprises de faire l'acte de pédérastie sur
des garçons et a attaqué des petites filles. Il ne comprenait
absolument pas la portée de ses actes. Ses envies sexuelles le
prenaient périodiquement et sous forme de rut, comme chez les
animaux[97].
[Note 97: Pour les nombreux cas de ce genre, voir
Henkes Zeitschrift, XXIII, fascicule supplémentaire, p. 147.--Combes,
Annales med.-psych., 1866--Liman, Zweifelhafte Geisteszustaende, p.
389).--Casper-Liman, Lehrb., 7e édit., cas 293.--Bartels, Friedreichs
Blätter f. d. gerichtl. Med., 1890, fascicule 1.
Pour d'autres cas de pédérastie consulter Casper, Klin. Novellen, cas 5.--Combes, Annales méd.-psychol., juillet.]
4º
B..., vingt et un ans, imbécile, se trouvant seul au bois avec sa soeur
âgée de dix-neuf ans, lui demande de consentir au coït. Elle refuse. Il
menace de l'étrangler et la blesse d'un coup de couteau. La fille
affolée lui tire violemment le pénis comme pour l'arracher, alors il
renonce à sa tentative et revient tranquillement à son ouvrage. B... a
un crâne microcéphale, mal conformé: il n'a aucune compréhension de son
acte.
Emminghaus (op. cit. p. 234) cite un cas d'exhibitionnisme.
OBSERVATION
144.--Un homme de quarante ans, marié, avait pendant seize ans
exhibitionné dans des squares et autres endroits publics devant des
petites filles, des bonnes, etc. Il choisissait toujours l'heure du
crépuscule et sifflait pour attirer l'attention sur lui. Des gens qui
le guettaient l'avaient souvent surpris et lui avaient administré une
verte correction. Il évitait alors ces endroits; mais il continuait
ailleurs. Hydrocéphalie. Imbécillité à un degré léger. Le tribunal
inflige une punition minime.
OBSERVATION 145.--X..., issu d'une
famille chargée de tares héréditaires, imbécile, étrange et bizarre
dans ses pensées, ses sentiments et ses actes, est arrivé, grâce au
népotisme, à occuper les fonctions de juge suppléant. Accusatus est
quod iterum iterumque ancilis genitalia sua ostendit et superiorem
corporis partem de fenestra demonstravit. Hors cela aucune trace
d'instinct génital. Prétend n'avoir jamais pratiqué la masturbation.
(Sander: Archiv. f. Psych. T. I, p. 655)
OBSERVATION 146.--Actes
de pédérastie sur un enfant. Le 8 avril 1884, à dix heures du matin, un
certain V... entre en conversation dans la rue avec Mme X... qui tenait
sur ses genoux un garçon de seize mois. V... lui prit l'enfant sous
prétexte qu'il voulait le mener promener. Il s'éloigna à une distance
d'un demi-kilomètre, revint et déclara que l'enfant lui était tombé des
bras et s'était, dans sa chute, blessé à l'anus. Cette partie du corps
était déchirée et il en coulait du sang. À l'endroit où l'accident a eu
lieu, on a trouvé des traces de sperme. V... avoua son crime
abominable, mais pendant l'audience il eut une attitude si étrange,
qu'on ordonna un examen de son état mental. Il fit l'impression d'un
imbécile aux gardiens de la prison.
V..., quarante-cinq ans,
ouvrier maçon, moralement et psychiquement taré, est
dolichomicrocéphale; il a une face étroite et resserrée, une figure et
des oreilles asymétriques, un front bas et fuyant. Les parties
génitales sont normales. V... fait preuve d'une sensibilité cutanée
très minime en général; c'est un imbécile, il n'a pas de conception de
rien. Il vit au jour le jour, sans s'inquiéter de rien, vit pour lui et
ne fait rien de sa propre initiative. Il n'a ni désirs ni coeur; il n'a
jamais fait le coït. Il est impossible d'obtenir de lui d'autres
détails sur sa vita sexualis. L'idiotie intellectuelle et morale est
prouvée par sa microcéphalie; le crime doit être attribué à un instinct
sexuel indomptable et pervers. Il est interné dans un asile d'aliénés
(Virgilio. Il Manicomio. Ve année nº 3).
Un cas analysé par L.
Meyer (Arch. f. Psych. T. I, p. 103) nous montre des femmes imbéciles
devenues indécentes, se livrant à la prostitution et à d'autres actes
d'immoralité[98].
DÉBILITÉ MENTALE ACQUISE
Dans la
pathologie générale, nous avons déjà parlé des anomalies variées de la
vita sexualis dans les cas de dementia senilis. Dans les autres états
de faiblesse mentale acquise, produits par l'apoplexie, le trauma
capitis, ou existant comme phases secondaires des psychoses non encore
établies ou bien sur la base d'inflammations chroniques de l'écorce
cérébrale (lues, dom. paralytica), les perversions de l'instinct
génital semblent être très rares et les actes sexuels choquants ne
semblent avoir pour origine qu'une accentuation morbide ou une
manifestation effrénée d'une vie sexuelle qui en soi-même n'est point
anormale.
1.--DÉBILITÉ MENTALE (IDIOTIE) CONSÉCUTIVE AUX PSYCHOSES.
Casper
(Klin. Novellen, cas 31) cite un cas d'impudicité commis sur un enfant
et dont s'était rendu coupable un médecin, âgé de trente-trois ans,
faible d'esprit consécutivement à une maladie hypocondriaque. Il
s'excusa d'une manière toute puérile, ne saisissant point la portée
légale et morale de cet acte qui évidemment n'était que la conséquence
d'un instinct sexuel devenu indomptable par suite de la faiblesse
mentale de l'individu.
Un cas analogue est cité dans
l'observation 21 de l'ouvrage Zweifelhafte Geisteszustaende de Liman
(Dementia par mélancolie; outrage à la pudeur; exhibitionnisme).
2.--IDIOTIE CONSÉCUTIVE À L'APOPLEXIE.
OBSERVATION
147.--B...., cinquante-deux ans, a eu une maladie du cerveau à la suite
de laquelle il est devenu incapable de continuer son métier de
négociant.
Un jour, pendant l'absence de sa femme, il attira
deux petites filles dans sa chambre, leur fait boire des boissons
alcooliques, leur fit des attouchements voluptueux, leur recommanda de
ne rien dire et alla ensuite vaquer à ses affaires. L'expertise a
constaté une idiotie consécutive à un double accès d'apoplexie. B...
qui jusque-là avait eu une conduite irréprochable, prétend avoir commis
l'acte sous l'obsession d'une impulsion qu'il ne s'explique pas
lui-même et lui a fait perdre la raison. Après le délit, lorsqu'il fut
revenu à lui-même, il en eut honte et il renvoya immédiatement les
petites filles. Depuis ses attaques d'apoplexie, B... était affaibli
mentalement, incapable d'exercer son métier, à moitié paralysé, pouvant
à peine parler et penser. Il pleurait souvent comme un enfant, et fit
bientôt après son arrestation une tentative puérile de suicide. En tout
cas, son énergie morale et intellectuelle était trop affaiblie pour
combattre ses mouvements sensuels. Pas de condamnation. (Giraud, Ann.
méd.-psychol., 1881, mars).
3.--IDIOTIE CONSÉCUTIVE À DES LÉSIONS DE LA TÊTE.
OBSERVATION
148.--K..., à l'âge de quatorze ans, a été gravement blessé à la tête
par un cheval. Le crâne était brisé en plusieurs endroits; il a fallu
enlever plusieurs esquilles. Depuis cet accident, il paraît très borné
d'esprit, violent et emporté. Peu à peu s'est développée chez lui une
sensualité démesurée et vraiment bestiale qui l'amenait aux actes les
plus impudiques. Un jour il viola une fille de douze ans et l'étrangla,
pour qu'on ne découvrît pas son crime. Arrêté, il avoua. Le médecin
légiste le déclara responsable. Exécution capitale.
L'autopsie a
fait constater une soudure de presque toutes les sutures du crâne, une
asymétrie remarquable des deux moitiés du crâne, des traces de
fractures du crâne guéries. La moitié du cerveau affectée était
traversée par des masses cicatrisées en forme de rayons; elle était
d'un tiers plus petite que l'autre moitié. (Friedreichs Blätter, 1855,
fascicule 6.)
4.--IDIOTIE ACQUISE, PROBABLEMENT PAR LUES.
OBSERVATION
140.--X... officier. Sæpius cum parvis puellis stupra fecit, eas
masturbare ipsum jussit, genitalia sua ostendit earumque genitalia
tetigit.
X..., autrefois sain et d'une conduite irréprochable,
fut atteint, en 1867, de syphilis. En 1879, il se produisit une
paralysie du premier abducteur. On remarqua alors chez lui, comme
conséquence de cet accident, de la faiblesse de la mémoire, un
changement dans toutes ses manières et dans son caractère, des maux de
tête, parfois de l'incohérence du langage, de la diminution dans la
vivacité de l'esprit et de la logique, par moment de l'inégalité des
pupilles, de la paralysie du côté droit de la bouche.
X...,
trente-sept ans, ne présente, lors de l'examen, aucune trace de lues.
La paralysie de l'abducteur subsiste toujours. L'oeil gauche est
ambliopique. Il est affaibli mentalement; en présence des preuves
écrasantes recueillies contre lui, il prétend qu'il s'agit d'un
malentendu innocent. Traces d'aphasie. Faiblesse de la mémoire surtout
pour les faits très récents, caractère superficiel de la réaction
morale; l'esprit se fatigue très vite au point qu'il perd la mémoire et
la faculté de parler. Cela prouve que la défectuosité éthique et que
l'instinct génital pervers sont des symptômes d'un état cérébral
morbide qui a été probablement occasionné par des lues.
Les poursuites sont abandonnées (Observation personnelle. Jahrbuscher fur Psychiatrie.
5.--DEMENTIA PARALYTICA.
Dans
cette maladie aussi, la vie sexuelle est affectée morbidement; elle est
accentuée dans les premières phases de la maladie et dans les états
d'excitation épisodiques; elle est quelquefois aussi perverse; vers les
dernières phases de la maladie, le libido et la puissance baissent
habituellement jusqu'à zéro.
Comme dans les phases prodromiques
des formes séniles, on voit se produire de très bonne heure, à côté de
lacunes morales et intellectuelles plus ou moins grandes, des
manifestations d'un instinct sexuel exagéré (propos obscènes, lascivité
dans les rapports avec l'autre sexe, projets de mariage, fréquentation
des bordels, etc.), manifestations qui se font avec un sans-gêne bien
caractéristique dû à l'obscurcissement de la conscience.
Excitation
à la débauche, enlèvement de femmes, scandales publics, sont dans ce
cas à l'ordre du jour. Au début, l'individu tient encore quelque peu
compte des circonstances, bien que le cynisme de sa manière d'agir soit
déjà assez frappant.
À mesure que la faiblesse mentale fait des
progrès, les malades de cette catégorie deviennent choquants par
exhibitionnisme, ils se masturbent dans la rue, font des actes obscènes
avec des enfants.
Des états d'excitation psychique amènent le
malade à des tentatives de viol ou du moins à des outrages grossiers à
la pudeur, il attaque les femmes dans la rue, paraît en public dans une
toilette incomplète, pénètre en toilette négligée dans les appartements
d'autrui avec l'intention de faire le coït avec la femme d'un ami ou
d'épouser séance tenante la fille de la maison.
De nombreux cas
de ce genre se trouvent enregistrés dans Tardieu (Attentats aux
moeurs), Mendel (Progr. Paralyse der Irren, 1880, p. 123), Westphal
(Archiv f. Psychiatrie, VII, p. 622). Un cas rapporté par Pétrucci
(Annal. méd.-psychol. 1875) nous montre que, dans ce genre de maladie,
les individus atteints peuvent être aussi amenés à la bigamie.
Ce
qui est très caractéristique, c'est la brutalité avec laquelle les
malades à l'état avancé procèdent pour satisfaire leur instinct sexuel.
Dans
un cas rapporté par Legrand (La folie, p. 519), on surprit un père de
famille qui se masturbait en pleine rue. Après l'acte, il avala son
sperme.
Un malade que j'ai observé, officier, issu d'une grande
famille, fit dans une ville de saison, en plein jour, des tentatives
obscènes sur des petites filles.
Un cas analogue est rapporté par Regis (De la dynamie ou exaltation fonctionnelle au début de la paralysie générale, 1878).
Les
observations de Tarnowsky (Op. cit., p. 82), nous apprennent que, dans
les phases prodromiques et au cours de la maladie, il se produit aussi
des cas de pédérastie et de bestialité.
ÉPILEPSIE
Il faut
ajouter aux maladies dont nous venons de parler l'épilepsie, qui est
souvent une cause d'affaiblissement psychique et qui peut donner
naissance à tous les faits de satisfaction sexuelle brutale dont nous
venons de parler.
D'ailleurs, chez beaucoup d'épileptiques,
l'instinct génital est très vif. Dans la plupart des cas, il est
satisfait par la masturbation, parfois par des actes obscènes avec des
enfants, par la pédérastie. La perversion de l'instinct suivie d'actes
sexuels pervers ne semble se rencontrer que rarement.
De
beaucoup plus importants sont les cas,--qu'on cite de plus en plus
fréquemment dans les ouvrages spéciaux,--les cas dans lesquels les
épileptiques ne présentent pendant certains intervalles aucun symptôme
de sexualité excessive, mais seulement au moment des accès
épileptiques, quand ils sont dans un état d'exception psychique
équivalent ou post-épileptique.
Ces cas ont été jusqu'ici à
peine analysés au point de vue clinique, et nullement au point de vue
médico-légal; ils méritent pourtant une étude approfondie, car on
pourrait ainsi mieux juger certains actes contre la morale et certains
viols, et éviter par ce moyen certains arrêts injustes des tribunaux.
Les
faits suivants feront clairement ressortir que les altérations du
cerveau, qui se produisent à la suite des affections épileptiques,
peuvent occasionner une excitation morbide de la vie sexuelle[99].
[Note
99: Arndt (Lehrbuch. d. Psych., p. 140), relève particulièrement l'état
de rut qui existe chez les épileptiques. «J'ai connu des épileptiques
qui se sont enflammés de la passion la plus sensuelle pour leur propre
mère et d'autres qui étaient suspectés par leur père d'avoir des
rapports sexuels avec leur mère.» Mais Arndt est dans l'erreur quand il
prétend que partout où il y a une vie sexuelle anormale, il faut
supposer l'existence d'un élément épileptique.]
De plus, dans
les états d'exception psychique, l'épileptique a les sens troublés et
se trouve sans résistance contre ses impulsions sexuelles.
Depuis
des années, je vois un jeune épileptique, très taré, qui, toutes les
fois qu'il a eu des accès réitérés, s'élance sur sa mère et veut la
stuprer. Le malade reprend ses sens après un certain temps, mais avec
amnésie pour les faits qui se sont passés. Dans les intervalles, c'est
un homme d'une moralité sévère et qui n'a pas de besoins sexuels.
Il
y a quelques années, j'ai connu un valet de ferme qui, au moment de ses
accès épileptiques, se livrait à une masturbation effrénée. Pendant les
intervalles, sa conduite était irréprochable.
Simon (Crimes et
délits, p. 220), fait mention d'une fille épileptique de vingt-trois
ans, de la meilleure éducation et d'une moralité des plus sévères, qui,
dans l'attaque de vertige, murmure quelques paroles obscènes, soulève
ensuite ses jupons, fait des mouvements lascifs et cherche à déchirer
son pantalon fermé.
Kiernan (Alienist und Neurologiste, janvier
1884) raconte qu'un épileptique avait toujours comme aura de ses accès
la vision d'une belle femme en position lascive et qu'il en avait de
l'éjaculation. Après des années et à la suite d'un traitement bromuré,
cette vision a été remplacée par celle d'un diable qui l'attaque avec
un trident. Au moment où celui-ci l'atteint, il perd conscience.
Le
même auteur fait mention d'un homme très respectable qui avait deux à
trois fois par an des accès épileptiques suivis de rage dysthymique et
des impulsions à la pédérastie qui duraient huit à quinze jours; il
parle ensuite d'une dame qui, à la ménopause, avait des accès
épileptiques avec des impulsions sexuelles pour un garçon.
OBSERVATION
150.--W..., sans tare, autrefois sain, intellectuellement normal,
tranquille, bon, de moeurs décentes, non adonné à la boisson, manqua
d'appétit le 13 avril 1877. Le 14 au matin, en présence de sa femme et
de ses enfants, il se leva brusquement de son siège, s'élança sur une
amie de sa femme, la conjura et conjura sa femme ensuite de lui
accorder le coït. Repoussé, il fut atteint immédiatement d'une crise
épileptiforme, à la suite de laquelle il se mit à rager, cassant ce
qu'il trouvait, jetant de l'eau bouillante à ceux qui voulaient
l'approcher et jetant un enfant dans le foyer. Bientôt après il devint
calme, resta troublé pendant quelques jours encore et recouvrit ensuite
ses sens mais avec une amnésie complète pour tout ce qui s'était passé
(Howalewsky, Jahrbuescher f. Psych., 1879).
Un autre cas étudié
par Casper (Klin. Novellen, p. 267) dans lequel un homme ordinairement
très convenable, attaqua à peu d'intervalle quatre femmes dans la rue
(une fois même devant deux témoins) et en viola une, quoique son
épouse, jeune, jolie et saine, habitât tout près,--peut être aussi
rattaché à une épilepsie larvée, d'autant plus que l'individu en
question avait de l'amnésie de ses actes scandaleux.
La nature épileptique des actes sexuels est incontestable et claire dans les observations suivantes.
OBSERVATION
151.--L..., fonctionnaire, quarante ans, époux affectueux, bon père,
commit, en quatre années, vingt-cinq délits graves contre les moeurs
pour lesquels il eut à purger des peines d'emprisonnement d'assez
longue durée.
Comme premier chef, il était accusé d'avoir, en
passant à cheval, mis à nu ses parties génitales devant des filles de
onze à treize ans et attiré l'attention de celles-ci par des paroles
obscènes. Même étant en prison, il s'est montré(genitalibus denudatis)
à la fenêtre qui donnait sur une promenade très fréquentée.
Le
père de L... était un aliéné, le frère de L... a été un jour rencontré
dans la rue, vêtu seulement d'une chemise. Pendant son service
militaire, L... eut deux fois des syncopes très graves. Depuis 1859, il
souffrait d'étranges accès de vertige qui devenaient de plus en plus
fréquents; il devenait alors tout faible, tremblait de tout son corps,
devenait d'une pâleur de mort; un voile obscurcissait ses yeux, il
voyait de petites étincelles scintiller; il était obligé de s'appuyer
pour ne pas tomber. Après des attaques plus violentes, grande fatigue
et sueurs profuses.
Depuis 1861, grande irascibilité qui
attirait des blâmes sévères à ce fonctionnaire dont on avait toujours à
se louer dans le service. Sa femme le trouvait changé: il y avait des
jours où il se démenait comme un fou à la maison, se tenait la tête
entre les mains, la cognait contre le mur et se plaignait de maux de
tête. Pendant l'été de 1869, le malade est tombé quatre fois par terre,
restant engourdi et les yeux ouverts.
On a constaté aussi des états de crépuscule intellectuel.
L...
prétend ne rien savoir des délits qu'on lui reproche. L'observation a
fait constater d'autres accès plus violents de vertigo epileptica. L...
n'a pas été condamné. En 1875, il s'est développé chez lui une dementia
paralytica qui se dénoua bientôt par la mort. (Westphal, Archiv f.
Psych., VII, p. 113).
OBSERVATION 152.--Un homme de vingt-six
ans, ayant de la fortune, vivait depuis un an avec une fille qu'il
aimait beaucoup. Il faisait le coït rarement, ne se montrait jamais
pervers. Pendant cette année, il a eu deux fois, après des excès
alcooliques, des crises épileptiques. Le soir, après un dîner où il
avait bu beaucoup de vin, il alla dans l'appartement de sa maîtresse,
entra d'un pas ferme dans la chambre à coucher bien que la fille de
chambre lui eût dit que sa maîtresse était sortie. De là il alla dans
une autre chambre où un garçon de quatorze ans dormait: il se mit à le
violer. Aux cris du garçon qu'il avait blessé au prépuce et à la main,
la bonne accourut. Alors le malade laissa le garçon et fit violence à
la bonne. Il se coucha ensuite et dormit pendant douze heures. En se
réveillant, il ne se rappelait que sommairement de son ivresse et du
coït. Plus tard, il a eu à plusieurs reprises des crises épileptiques.
(Tarnowsky, op. cit., p. 52).
OBSERVATION 153.--X..., homme du
meilleur monde, mène depuis quelque temps une vie très dissolue et a
des attaques d'épilepsie. Il se fiance ensuite. Le jour fixé pour le
mariage, peu de temps avant la cérémonie nuptiale, il paraît au bras de
son frère dans la salle remplie d'invités pour la noce. Arrivé devant
sa fiancée, denudat coram publico genitalia et masturbare incipit. On
l'amène immédiatement dans une clinique psychiatrique; en route il se
masturbe sans cesse et il est encore, pendant quelques jours en proie à
cette tentation. Le paroxysme passé, le malade n'avait qu'un souvenir
très vague des incidents qui venaient de se passer, et il ne put donner
aucune explication de sa manière d'agir. (Le même.)
OBSERVATION
154.--Z..., vingt-sept ans, très chargé de tares héréditaires,
épileptique, viole une fille de onze ans et la tue ensuite. Il nie le
fait. Amnésie. L'état d'exception psychique au moment du crime n'a pas
été démontré. (Pugliese, Arch. di Psich., VIII, p. 622.)
OBSERVATION
155.--V..., soixante ans, médecin, a commis des actes obscènes avec des
enfants; il a été condamné à deux ans de prison. Le docteur Marandon a
constaté plus tard des accès de peur épileptoïdes, démence, délire
érotique et hypocondriaque par moments, accès d'angoisse. (Lacassagne,
Lyon médical, 1887, nº 51.)
OBSERVATION 156.--Le 4 août 1878, la
fille H..., âgée de presque quinze ans, cueillait, en compagnie de
plusieurs petites filles et petits garçons, des groseilles sur la route
publique. Tout d'un coup, H... terrassa la petite L..., âgée de neuf
ans et demi, la dénuda, la tint ferme et invita A... âgé de sept ans et
demi et O... âgé de cinq ans à exécuter une conjunctio membrorum avec
la fille, ce que ces deux petits garçons firent réellement.
H...
avait une bonne réputation. Depuis cinq ans elle souffrait
d'irritabilité nerveuse, de maux de tête, de vertiges, d'accès
épileptiques et s'était arrêtée dans son développement physique et
intellectuel. Elle n'est pas encore menstruée, mais elle présente le
molimen menstruale. Sa mère est suspectée d'épilepsie. Depuis trois
mois, H... avait souvent, après ses accès, fait des choses de travers
sans en avoir souvenance.
H... paraît déflorée. Elle ne présente
pas de défectuosités intellectuelles. Elle déclare ne rien savoir de
l'acte dont on l'accuse. D'après le témoignage de sa mère, elle avait
eu le matin du 4 août un accès épileptique et sa mère lui avait, pour
cette raison, donné l'ordre de ne pas quitter la maison. (Purkhauer,
Friedreichs Blætter f. ger. Med., 1879, II. 3.)
OBSERVATION 157.
(Actes d'impudicité en état d'inconscience morbide chez un
épileptique).--T..., percepteur d'impôts, cinquante-deux ans, marié,
est accusé d'avoir pratiqué depuis dix-sept ans des actes d'impudicité
avec des garçons en les masturbant ou en se faisant masturber par eux.
L'accusé, un fonctionnaire jouissant de la plus grande estime, est
consterné de cette accusation terrible, et prétend ne savoir absolument
rien des actes qu'on lui impute. Son intégrité mentale paraît douteuse.
Son médecin particulier, qui le connaît depuis vingt ans, fait
remarquer le caractère sombre et renfermé de T..., ainsi que ses
fréquents changements d'humeur.
Mme T..., de son côté, rapporte
que son mari a voulu un jour la jeter à l'eau, qu'il avait de temps en
temps des accès pendant lesquels il arrachait ses vêtements et voulait
se jeter par la fenêtre. T... ne sait rien non plus de ces faits.
D'autres témoins aussi rapportent des changements d'humeur surprenants
et des bizarreries de caractère de l'inculpé. Un médecin prétend avoir
constaté chez lui par moments des accès de vertige.
La
grand'mère de T... était une aliénée, son père était tombé dans
l'alcoolisme chronique et avait, dans ses dernières années, des accès
épileptiformes; le frère de ce dernier était un aliéné qui, dans un
accès de délire, avait tué un parent. Un autre oncle de T... s'est
suicidé. Des trois enfants de T.... l'un était idiot, un autre
louchait, et le troisième a souffert de convulsions. L'accusé déclare
avoir eu, par moments, des accès pendant lesquels sa conscience s'était
troublée, de sorte qu'il ne savait plus ce qu'il faisait. Ces accès
étaient précédés d'une douleur en forme d'aura dans la nuque. Il
éprouvait alors le besoin de respirer de l'air frais. Il ne savait pas
où il allait. Sa femme le satisfaisait bien sexuellement. Depuis
dix-huit ans il a un eczéma chronique au scrotum (ce fait a été prouvé)
qui lui cause une excitation sexuelle extraordinaire. Les avis des six
médecins étaient contradictoires (facultés mentales intactes--accès
d'épilepsie larvée); les voix des jurés furent partagées, de sorte
qu'il y eut acquittement. Le docteur Legrand du Saulle, appelé comme
expert, constata que jusqu'à l'âge de vingt-deux ans T... avait chaque
année uriné dix à dix-huit fois dans le lit. Après cette époque
l'incontinence nocturne avait cessé, mais depuis il y avait des heures
pendant lesquelles l'esprit de T... était voilé et il avait de temps en
temps de l'amnésie. Bientôt après T... fut de nouveau poursuivi pour
outrage aux moeurs commis en public; cette fois, il fut condamné à
quinze mois de prison. En prison il était toujours malade et ses
facultés mentales s'affaiblissaient à vue d'oeil. Pour ce motif il fut
gracié, mais sa faiblesse mentale progressait de plus en plus. À
plusieurs reprises on constata chez lui des accès épileptiformes
(crampes toniques avec perte de la conscience et tremblements).
(Auzouy, Annal. méd.-psychol., 1874, novembre; Legrand du Saulle, Étude
méd.-légales, etc., p. 99.)
Nous allons clore cette énumération
si importante au point de vue médico-légal par le cas suivant d'un
délit de moeurs commis avec des enfants, cas que l'auteur a
personnellement observé et ensuite rapporté dans Friedreichs
Blætter[100].
[Note 100: Comparez encore Liman: Zweifelhafte
Geistessustaende, cas 6; le travail de Lasègue sur les exhibitionnistes
(Union méd., 1871); Ball et Chamburd, Somnambulisme (Dict. des sciences
méd., 1881).]
Le cas est d'autant plus curieux qu'on a pu
établir avec certitude qu'au moment de l'acte, il y avait inconscience
épileptique et que--ainsi qu'il ressort des species facti donnés en
latin pour des raisons qu'on comprendra,--les procédés de raffinement
sont pourtant possibles dans cet état.
OBSERVATION 158.--P...,
quarante-neuf ans, marié, interne d'un hospice, est accusé d'avoir, le
25 mai 1883, commis dans sa chambre les horribles délits de moeurs
suivants sur la personne de la petite D..., âgée de dix ans, et sur la
petite G..., âgée de neuf ans.
Voici la déposition de la petite D.:
J'étais
avec G..., et ma petite soeur J..., âgée de trois ans, dans le pré.
P..., nous appela dans sa chambre de travail et en ferma la porte aux
verrous. Tum nos exosculabatur, linguam in os meum demittere tentabat,
faciem que mihi lambebat; sustulit me in gremium, bracas aperuit,
vestes meas sublevavit, digitis me in genitalibus titillabat et membro
vulvam meam fricabat ita ut humidam fierem. Lorsque je criai, il me
donna douze kreutzers et me menaça de me tuer d'un coup de fusil si je
disais un mot de ce qui s'était passé. Finalement il m'invita à revenir
le lendemain.
Voici la déposition de la petite G.:
P.,
nates et genitalia D..., se exosculatus, iisdem me conatibus aggresus
est. Deinde filiotum quoque tres annos natum in manus acceptum
osculatus est nudatumque parti suæ virili appressit. Postea quæ nobis
essent nomina interrogavit, ac censuit genitalia D..æ meis multo esse
majora. Quia etiam nos impulit, ut membrum suum intueremur, manibus
comprehenderemus et videremus, quantopere id esset erectum.
Dans
son interrogatoire du 29 mai, P..., allègue qu'il ne se souvient que
vaguement d'avoir, il y a peu de temps, caressé et embrassé des petites
filles et leur avoir donné des cadeaux. S'il a fait autre chose, il ne
doit avoir agi ainsi que dans un état d'irresponsabilité complète.
D'ailleurs, depuis qu'il a fait une chute, il y a plusieurs années, il
souffre de maux de tête. Le 22 juin il ne sait rien des faits du 25
mai, et il ne se souvient pas plus de son interrogatoire du 29 mai.
Cette amnésie est pleinement confirmée au cours des débats
contradictoires.
P..., est issu d'une famille de cérébraux; un
de ses frères est épileptique. P... était autrefois adonné à la
boisson. Il est exact qu'il a eu une lésion à la tête il y a plusieurs
années. Depuis il eut pendant des intervalles de plusieurs semaines ou
de quelques mois, des accès de troubles mentaux précédés de morosité,
d'irritabilité, un penchant à l'abus de l'alcool, de l'angoisse, un
délire de la persécution qui allait jusqu'aux menaces dangereuses et
aux actes de violence. En même temps, il avait de l'hyperesthésie
acoustique, des vertiges, des maux de tête, des congestions cérébrales.
Tout cela lui causait un grand trouble d'esprit et une amnésie pour la
période d'accès qui durait souvent des semaines entières.
Dans
les intervalles, il souffrait de maux de tête au niveau de sa blessure
(petite cicatrice cutanée à la tempe droite, douloureuse à la
pression). Par l'exacerbation du mal de tête il devient irrité, morose
au point d'être las de la vie; il a une certaine exaltation du
sensorium. En 1879, P..., se trouvant dans cet état, a commis tout à
fait impulsivement une tentative de suicide, dont il ne se souvenait
plus après. Bientôt après, reçu à l'hôpital, il faisait l'impression
d'un épileptique et fut pendant une période prolongée soumis à un
traitement par le bromure de potassium. Reçu vers la fin de 1879 à
l'hospice des infirmes, on n'observa jamais chez lui de crise
épileptique proprement dite.
Dans les intervalles, c'était un
brave homme, laborieux et bon, et qui n'a jamais montré trace
d'excitation sexuelle, même dans son état d'exception; d'ailleurs il
eut jusqu'à ces derniers temps des rapports sexuels avec sa femme. À
l'époque de l'acte incriminé, P... présenta les symptômes d'un accès
imminent et pria le médecin de lui faire donner du bromure de potassium.
P...,
affirme que, depuis sa chute, il ne peut plus supporter les excès de
chaleur ni d'alcool qui lui causent des maux de tête, et qu'il a tout
de suite les sens troublés. L'observation médicale confirme ses autres
assertions concernant sa faiblesse de mémoire, sa faiblesse d'esprit,
son irascibilité, son mauvais sommeil.
Si l'on exerce une
pression vigoureuse sur l'endroit de la trauma, P..., devient
congestif, irrité, troublé; alors il tremble de tout son corps, paraît
excité avec trouble des sens, et reste dans cet état pendant des heures
entières.
Dans les moments ou il est exempt de ces sensations
dont le point de départ est toujours la cicatrice, il paraît poli,
expressif, franc, libre, serviable, mais toujours avec des facultés
mentales faibles et un esprit voilé. P..., n'a pas été condamné.
(Rapport détaillé dans Friedreichs Blætter.)
FOLIE PÉRIODIQUE
De
même que dans les cas de manie non périodique, il se produit souvent
aussi dans les accès périodiques une manifestation nette ou même une
accentuation morbide de la sphère sexuelle.
Le cas suivant
rapporté par Servaes (Archiv. f. Psych.), nous montre que le sentiment
sexuel peut alors avoir un caractère pervers.
OBSERVATION 159.--Catherine W..., seize ans, non encore menstruée. Le père est d'une nature coléreuse et emportée.
Sept
semaines avant son admission (3 décembre 1872), dépression mélancolique
et irritabilité. Le 27 novembre, accès de folie furieuse qui a duré
deux jours. Ensuite de nouveau mélancolique. Le 6 novembre, état normal.
Le
24 novembre (vingt-huit jours après le premier accès de folie
furieuse), elle est tranquille, déprimée. Le 27 décembre, état
d'exaltation (gaîté, rire, etc.), avec rut amoureux pour sa
garde-malade. Le 31 décembre, accès mélancolique subit qui disparaît
après une durée de deux heures. Le 20 janvier, nouvel accès tout à fait
analogue au premier. Accès pareil le 18 février, en même temps traces
des menses. La malade avait une amnésie absolue pour tout ce qui
s'était passé pendant ses paroxysmes et apprit en rougissant et avec un
grand étonnement le récit des faits passés.
À la suite elle eut
encore des accès avortés mais qui, grâce à la réglementation des
menses, au mois de juin, ont fait place à un complet bien-être
psychique.
Dans un autre cas rapporté par Gock (Archiv. f.
Psych.), où il s'agissait probablement d'une folie cyclique chez un
homme chargé de lourdes tares, il se produisit pendant l'état
d'exaltation un sentiment sexuel pour les hommes. Cet individu se
prenait alors pour une femme; l'on peut se demander si ce n'est pas
plutôt la monomanie du changement de sexe que l'inversion sexuelle
elle-même qui provoqua les idées sexuelles du malade.
On peut
rapprocher de ces sortes de cas, avec manifestation morbide de la vie
sexuelle comme phénomène partiel d'une manie, ceux plus intéressants où
un sentiment sexuel morbide et souvent pervers ne se fait jour que sous
forme d'accès périodiques, et constitue un état analogue à la
dipsomanie, accès qui sont le noyau de tous les troubles psychiques,
tandis que, dans les périodes d'intervalle, l'instinct génital n'a ni
une intensité anormale ni un caractère pervers.
Un cas assez net
de cette psychopathia sexualis périodique, liée au processus de la
menstruation, a été rapporté par Anjel (Archiv. f. Psych., XV,
fascicule 2).
OBSERVATION 160.--Dame tranquille, arrivant à la
ménopause. Lourdes tares héréditaires. Pendant sa jeunesse accès de
petit mal. Toujours excentrique, violente; principes moraux rigides;
mariage sans enfants.
Il y a plusieurs années, après de fortes
émotions morales, accès hystéro-épileptique; ensuite, pendant plusieurs
semaines, trouble mental post-épileptique. Puis insomnie pendant
plusieurs mois. À la suite, parfois, insomnies dues à la menstruation
et impulsion pueros decimum annum nondum agentes allicere, osculari et
genitalia eorum tangere. À l'heure actuelle il n'y a pas de désir du
coït et pas du tout de désirs de se rapprocher d'un homme adulte.
La
malade parle parfois franchement de cette impulsion, demande à être
surveillée, car elle ne pourrait pas répondre d'elle. Dans les
intervalles, elle évite anxieusement toute conversation sur ce sujet,
elle est très décente et n'a de besoins sexuels d'aucun genre.
Pour
ces cas encore peu connus de psychopathia sexualis périodique,
Tarnowsky (op. cit., p. 38) a fourni des documents précieux; mais les
cas qu'il rapporte n'ont pas tous un caractère de périodicité.
Il
cite des cas où des hommes mariés très bien élevés, et pères de
famille, étaient de temps en temps forcés de se livrer aux actes
sexuels les plus abominables, tandis que, dans les périodes
d'intervalle, ils étaient sexuellement normaux, abhorraient les actes
commis dans leur paroxysme et frémissaient en pensant au retour de
nouveaux accès auxquels ils devaient s'attendre.
Quand le
paroxysme éclatait, le sentiment sexuel normal disparaissait; il se
produisait un état de surexcitation psychique accompagné d'insomnie,
avec idées et obsessions d'exécuter des actes sexuels pervers, avec
oppression anxieuse et impulsion de plus en plus forte à des actes
sexuels habituellement abhorrés par l'individu, mais dans ce moment
considérés comme une délivrance, puisqu'ils devaient faire disparaître
l'état anormal.
L'analogie avec les dipsomanes est parfaite.
Pour d'autres cas (concernant la pédérastie périodique), consulter
Tarnowsky (op. cit., p. 41). Le cas 46 qui y est rapporté peut être
classé dans la catégorie des épileptiques.
Le cas suivant,
rapporté par Anjel (Archiv. f. Psych., XV, fascicule 2) est un des plus
caractéristiques pour la manifestation périodique de l'excitation
sexuelle morbide.
OBSERVATION 161.--Homme de classe sociale
supérieure, quarante-cinq ans, très aimé de tout le monde, sans tare,
très estimé, d'une moralité rigoureuse, marié depuis quinze ans, ayant
eu autrefois des rapports sexuels normaux, père de plusieurs enfants
bien portants, vivant de la meilleure vie conjugale, eut, il y a huit
ans, une peur terrible. À la suite de cet incident il eut pendant
plusieurs semaines une oppression angoissante, des palpitations de
coeur. Ensuite vinrent des accès singuliers à des intervalles de
plusieurs mois et même d'une année, accès que le malade appelle son
«rhume de cerveau moral». Il perd le sommeil; au bout de trois jours
perte de l'appétit, irritation d'humeur croissante, air troublé, regard
fixe, regarde devant lui un point fixe, grande pâleur alternant avec la
rougeur, tremblement des doigts, yeux rouges et luisants avec une
expression singulière de lubricité, langage violent et précipité.
Impulsion pour les petites filles de cinq à dix ans, même ses propres
filles. Prière adressée à sa femme de mettre ses filles en sûreté. Dans
cet état, le malade se renferme dans sa chambre pendant des jours
entiers. Autrefois il avait l'obsession de guetter dans les rues les
petites filles sortant de l'école, et il éprouvait une satisfaction
particulière iis præsentibus genitalia nudare, se mingentem fingens.
De
crainte de scandale il se renferme dans sa chambre, médite en silence,
incapable de mouvement, de temps en temps tourmenté par des idées
angoissantes. La conscience ne semble pas être troublée. Durée des
accès: huit à quatorze jours. Causes du retour inexplicables.
Amélioration subite; grand besoin de dormir; après la satisfaction de
ce besoin, il se sent très bien. Dans l'intervalle rien d'anormal.
Anjel suppose l'existence d'une base épileptique, et il considère les
accès comme l'équivalent psychique d'une crise épileptique.
MANIE
La sphère sexuelle participe aussi souvent à l'excitation générale qui existe dans ce cas dans la sphère psychique.
Chez
les maniaques du sexe féminin, c'est même la règle. Dans certains cas
isolés, on peut se demander si l'instinct est réellement accentué, et
s'il ne se manifeste pas seulement avec brutalité, ou bien s'il existe
réellement une augmentation morbide. Dans la plupart des cas, cette
dernière supposition pourrait être juste; elle existe d'une façon
certaine dans les délires sexuels ou dans leurs équivalents religieux.
Selon le degré de la maladie, l'instinct accentué se manifeste sous des
formes différentes.
Dans la simple exaltation maniaque et
lorsqu'il s'agit d'hommes, on observe la manie de faire la cour, la
frivolité, la lascivité des propos, la fréquentation des bordels; quand
il s'agit de femmes, on rencontre le penchant à faire des coquetteries
dans la société des messieurs, à se bichonner, à se pommader, à parler
d'histoires de mariages et de scandales, à suspecter, au point de vue
sexuel, les autres femmes; dans l'ardeur religieuse, équivalent de
l'autre manie, on note des impulsions à participer aux pèlerinages et
aux missions, à aller au couvent, ou à devenir au moins cuisinière d'un
curé, en même temps que la malade parle beaucoup de son innocence et de
sa virginité.
Au point culminant de la manie (accès furieux), on
observe des invitations directes à faire le coït, l'exhibition, les
propos obscènes, une irritation démesurée contre l'entourage féminin,
un penchant à se barbouiller avec de la salive, de l'urine et même des
excréments, des délires religioso-sexuels, où l'on est couverte par le
Saint-Esprit, où l'on a mis au monde l'enfant Jésus, etc., onanisme
effréné, mouvements du coït en remuant le bassin.
Chez les
hommes susceptibles d'accès furieux, il faut s'attendre à des actes de
masturbation éhontée, et à des viols d'individus féminins.
SATYRIASIS ET NYMPHOMANIE
On
a appelé satyriasis (chez l'homme) et nymphomanie (chez la femme), des
états d'excitation psychique dans lesquels l'instinct génital, accentué
d'une manière morbide, tient le premier rang.
Moreau est d'avis
que ces états sont d'un genre à part: il a certainement tort d'admettre
cette théorie. La complexité des symptômes sexuels n'est toujours qu'un
phénomène partiel d'une psychose générale (manie, folie hallucinatoire).
L'essentiel,
dans l'état d'excitation sexuelle, est un état d'hyperesthésie
psychique, avec participation de la sphère sexuelle. L'imagination ne
présente que des scènes sexuelles, avec des hallucinations et des
illusions, et un vrai délire hallucinatoire.
Les représentations
les plus indifférentes provoquent des allusions sensuelles, et
l'accentuation voluptueuse de ces représentations et de ces perceptions
est augmentée à un vif degré. L'objet de la conscience morbide prend un
empire sur tous les sentiments et toutes les tendances de l'individu;
et il y a alors une excitation physique générale, semblable à celle qui
a lieu pendant le coït. Souvent les parties génitales sont en turgor
constant (priapisme chez l'homme).
L'homme atteint de rage
sexuelle cherche à satisfaire son instinct à tout prix, et, par là, il
devient très dangereux pour les personnes de l'autre sexe. Faute de
mieux, il se masturbe ou commet des actes de sodomie. La femme
nymphomane cherche à attirer les hommes par exhibition ou par des
gestes lascifs; la simple vue d'un homme lui cause une surexcitation
sexuelle démesurée qui se traduit ou par la masturbation, ou par des
mouvements du bassin, ou en se frottant contre son lit.
Le
satyriasis est rare. On remarque plus souvent des cas de nymphomanie,
mais moins souvent à la ménopause. Elle peut se produire même dans la
vieillesse.
L'abstinence alliée à une stimulation continuelle de
la sphère sexuelle par des irritations psychiques et périphériques
(pruritus pudendi, oxyures, etc.) peut provoquer ces états, mais selon
toute probabilité seulement chez des individus tarés[101].
[Note 101: Comparez les cas intéressants de Marc-Ideler, II, p. 131.--Ideler. Grundriss der Seelenkeilkunde, II, p. 488-492.]
En
affirmant qu'elle peut se produire aussi à la suite de l'intoxication
par les cantharides, on paraît se baser sur une confusion avec le
priapisme. La sensation voluptueuse qui se manifeste au début dans le
priapismus ab intoxicatione cantharidis se change bientôt en une
sensation contraire. Le satyriasis et la nymphomanie sont des états
morbides psycho-sexuels aigus.
Il existe du reste des cas qu'on pourrait non sans raison appeler des cas chroniques de satyriasis ou de nymphomanie.
Il
faut classer dans cette catégorie de malades les hommes qui, dans la
plupart des cas, après l'abusus Veneris, surtout par la masturbation,
souffrent de neurasthenia sexualis, mais ont en même temps un libido
sexuel très développé. Leur imagination est, de même que dans les cas
aigus, surchauffée, leur âme remplie d'images malpropres, de sorte que
les choses même les plus sublimes y sont souillées par des images et
des scènes cyniques.
Les pensées et les désirs de ces gens ne
visent que la sphère sexuelle, et, comme leur chair est faible, ils
arrivent, aidés par leur imagination, aux plus grandes perversités
sexuelles.
On peut appeler nymphomanie chronique les états
analogues chez les femmes, états qui mènent naturellement à la
prostitution. Legrand du Saulle (La folie, p. 510) rapporte des cas
intéressants qui évidemment ne peuvent s'expliquer autrement.
MÉLANCOLIE
La
conscience et l'humeur du mélancolique ne sont pas favorables à l'éveil
des instincts sexuels. Cependant il arrive parfois que ces malades se
masturbent.
Dans les cas que j'ai observés personnellement, il
s'agit toujours de malades tarés et qui, avant leur maladie déjà,
s'étaient adonnés à la masturbation. L'acte ne paraissait pas être
motivé par la satisfaction d'une excitation voluptueuse; c'était plutôt
par habitude, par ennui, par peur, pour amener un changement temporaire
dans leur situation psychique très pénible.
HYSTÉRIE
Dans
cette névrose, la vie sexuelle aussi est très souvent anormale; il
s'agit presque toujours d'individus tarés. Toutes les anomalies
possibles de la fonction sexuelle se rencontrent ici, avec des aspects
variés et des complications étranges; quand il y a une base
dégénérative héréditaire, de l'imbécillité morale, on peut constater
les formes les plus perverses.
Le changement et l'aberration
morbides du sentiment sexuel ne restent jamais sans conséquences pour
la vie psychique de ces malades.
Un cas bien remarquable à ce sujet est rapporté par Giraud.
OBSERVATION
162.--Marianne L., de Bordeaux, a la nuit, pendant que ses maîtres
dormaient sous l'influence du narcotique qu'elle leur avait donné, pris
les enfants de ses maîtres, les a livrés à son amant pour ses
jouissances sexuelles et les a fait assister aux scènes les plus
outrageantes pour la moralité. On a constaté que L... était hystérique
(hémianesthésie et accès convulsifs) et que, avant sa maladie, c'était
une personne très convenable et très digne de confiance. Depuis sa
maladie, elle s'est prostituée d'une façon éhontée, et elle a perdu
tout sens moral.
Chez les hystériques la vie sexuelle est
souvent excitée morbidement. Cette excitation peut se manifester d'une
manière intermittente (menstruelle). Elle peut avoir pour effet une
prostitution éhontée même chez des femmes mariées. Quand l'impulsion
sexuelle se manifeste sous une forme atténuée, il y alors onanisme,
promenades en état de nudité dans la chambre, manie de s'oindre d'urine
ou d'autres matières malpropres, de se parer de vêtements d'hommes, etc.
Schule
(Klin. Psychiatrie, 1886, p. 237) note surtout très fréquemment un
instinct génital morbidement accentué, «qui transforme en Messalines
des filles prédisposées et même des épouses qui vivaient heureuses en
ménage.» Cet auteur cite des cas où, pendant le voyage de noces, des
femmes ont essayé de s'enfuir avec des hommes de rencontre, des cas de
femmes très respectées qui ont noué des liaisons sans choix et ont
sacrifié toute dignité à leur insatiable avidité sexuelle.
Dans
les délires hystériques, la vie sexuelle accentuée d'une manière
morbide peut se manifester par la monomanie de la jalousie, par de
fausses accusations contre des hommes pour de prétendus actes
d'impudicité[102], par des hallucinations du coït[103], etc.
[Note
102: Voir plus loin, le cas Merlac dans le Lehrb. d. ger.
Psychopathol., de l'auteur, 2e édit., p 322.--Morel, Traité des
maladies mentales, p. 687.--Legrand, La Folie, p. 237.--Procès La
Roncière dans les Annales d'hyg., 1re série, IV, 3e série, XXII.]
[Note 103: C'est là-dessus que se basent les incubes dans les procès des sorcières au moyen âge.]
Par
moments il peut aussi se produire de la frigidité avec manque de
sensation voluptueuse qui survient dans la plupart des cas par suite de
l'anesthésie génitale.
PARANOIA
Dans les diverses formes
de la folie primaire, les phénomènes anormaux de la vie sexuelle ne
constituent pas un fait rare. Car plusieurs formes de l'aliénation
mentale provoquent le développement des abus sexuels (paranoia
masturbatoire) ou des processus d'excitation sexuelle; souvent il
s'agit d'individus psychiquement dégénérés chez lesquels, en dehors
d'autres stigmates de dégénérescence fonctionnelle, la vie sexuelle se
trouve aussi souvent chargée de lourdes tares.
C'est surtout
dans la paranoia erotica et religiosa que la vie sexuelle est amenée à
un degré morbide, que même elle devient perverse dans certaines
circonstances et se manifeste assez distinctement. Mais, dans la folie
érotique, l'état de surexcitation sexuelle ne se manifeste pas tant par
des procédés et des actes qui visent directement la satisfaction
sexuelle, que--il y a des exceptions--par un amour platonique, un
enthousiasme romanesque pour une personne de l'autre sexe pour la
satisfaction esthétique qu'elle procure; dans certaines circonstances
cet enthousiasme peut se reporter sur un produit de l'imagination, un
tableau ou une statue.
L'amour sans vigueur ou qui ne se
manifeste que spirituellement pour l'autre sexe, n'a d'ailleurs souvent
sa cause que dans l'affaiblissement des organes génitaux, résultat de
la masturbation pratiquée trop longtemps; souvent sous l'enthousiasme
chaste pour un être aimé, se cachent une grande lubricité et des abus
sexuels. Chez les femmes notamment, une excitation sexuelle violente
dans le sens de la nymphomanie peut se déclarer épisodiquement.
Le
paranoia religiosa aussi porte, dans la plupart des cas, sur la sphère
sexuelle qui se manifeste par un instinct sexuel d'une violence morbide
et d'une précocité anormale.
Le libido trouve sa satisfaction
dans la masturbation ou dans l'extase religieuse dont l'objet peut être
la personne d'un prêtre ou de certains saints, etc.
Nous avons parlé assez longuement de ces rapports psycho-pathologiques sur le terrain sexuel et le terrain religieux.
À part la masturbation, les délits sexuels sont relativement assez fréquents dans la paranoia religieuse.
L'ouvrage
de Marc contient un cas bien remarquable de folie religieuse qui a
conduit à l'adultère. Giraud. (Annal. méd.-psychol.) a rapporté un cas
d'impudicité commis sur des petites filles par un homme de
quarante-trois ans, atteint de paranoia religiosa et qui était
temporairement en excitation érotique. Il faut compter dans cette
catégorie un cas d'inceste. (Liman, Vierteljahrssch. f. ger. Med.)
OBSERVATION
163.--M..., a mis sa fille en état de grossesse. La femme, mère de 18
enfants et qui est elle-même enceinte de son mari, l'a dénoncé au
parquet. M... souffrait depuis deux ans de paranoia religieuse. «Il m'a
été annoncé par le ciel que je devais coucher avec ma fille, l'éternel
soleil. Alors il en naîtra un homme de chair et d'os par ma croyance
qui date de dix-huit siècles. Cet homme sera un pont pour la vie
éternelle entre l'ancien et le nouveau Testament.» Le fou avait obéi à
cette impulsion qui selon lui était un ordre venu du ciel.
Dans la paranoia persecutoria il se produit aussi parfois des actes sexuels dus à une cause pathologique.
OBSERVATION
164.--Une femme âgée de trente ans avait attiré un garçon de cinq ans
qui jouait près d'elle, en lui promettant de l'argent et un morceau de
rôti; pene lusit supra puerum flexa coitum conavit. Cette femme était
une institutrice, qui, séduite et ensuite délaissée par un homme,
s'était jetée pendant quelque temps dans la prostitution, bien
qu'auparavant sa conduite fût d'une moralité rigoureuse. L'explication
de sa légèreté de moeurs se trouvait dans le fait qu'elle avait une
monomanie de la persécution très étendue et qu'elle croyait se trouver
sous l'influence mystérieuse de son séducteur qui la forçait à des
actes sexuels. Ainsi elle croyait que c'était son séducteur qui avait
mis le petit garçon en travers de son chemin. On ne pouvait pas
supposer que le mobile de son crime ait été une sensualité brutale, car
il lui aurait été très facile de satisfaire son instinct sexuel d'une
façon naturelle. (Kuessner, Berl. klin. Wochenschrift.
Cullere
(Perversions sexuelles chez les persécutés dans les Annales
médico-psychol., mars 1886) a rapporté des cas analogues, par exemple
l'observation d'un malade atteint de paranoia sexualis persecutoria qui
a essayé de violer sa soeur, cédant à la prétendue pression
qu'exerçaient sur lui les bonapartistes.
Dans un autre cas un
capitaine, atteint de la monomanie de la persécution
électro-magnétique, est poussé par ses persécuteurs à la pédérastie
qu'il abhorre au fond. Dans un cas analogue le persécuteur excite à
l'onanisme et à la pédérastie.
V LA VIE SEXUELLE MORBIDE DEVANT LES TRIBUNAUX[104]
Dangers
des délits sexuels pour le salut public.--Augmentation du nombre de ces
délits.--Causes probables.--Recherches cliniques.--Les juristes en
tiennent peu de compte.--Points d'appui pour juger les délits
sexuels.--Conditions de l'irresponsabilité.--Indications pour
comprendre la signification psycho-pathologique des délits
sexuels.--Les délits sexuels.--Exhibitionnistes; fricatores; souilleurs
de statues.--Viol; assassinat par volupté.--Coups et blessures, dégâts,
mauvais traitements sur des animaux par sadisme.--Masochisme et
servitude sexuelle.--Coups et blessures; vol par fétichisme.--Débauche
avec des enfants au-dessous de quatorze ans.--Prostitution.--Débauche
contre nature.--Souillure d'animaux.--Débauche avec des personnes du
même sexe.--Pédérastie.--La pédérastie examinée au point de vue de
l'inversion sexuelle.--Différence entre la pédérastie morbide et non
morbide.--Appréciation judiciaire de l'inversion sexuelle congénitale
et de l'inversion acquise.--Mémoire d'un uraniste.--Raisons pour mettre
hors des poursuites judiciaires les faits d'amour homosexuel.--Origine
de ce vice.--Vie sociale des pédérastes.--Un bal de mysogines à
Berlin.--Forme de l'instinct sexuel dans les diverses catégories de
l'inversion sexuelle.--Pædicatio mulierum.--L'amour
lesbien.--Nécrophilie.--Inceste.--Actes immoraux avec des pupilles.
[Note
104: Voir S. Weisbrod, Die Sittlichkeitsverbrechen vor dem Gesetz,
Berlin, 1891.--Don Pasquale Panta, I pervertimenti sessuali nell'uomo,
Napoli, 1893.]
Les codes de toutes les nations civilisées
frappent celui qui commet des actes contraires aux bonnes moeurs. Comme
le maintien des bonnes moeurs et de la moralité est une des conditions
d'existence les plus importantes pour la communauté publique, l'État ne
peut jamais faire trop quand il s'agit de protéger la moralité dans sa
lutte contre la sensualité. Mais cette lutte est menée avec des armes
inégales; seuls un certain nombre d'excès sexuels peuvent être
poursuivis par la loi; la menace du châtiment n'a pas grande action sur
les exubérances d'un instinct naturel si puissant; enfin il est certain
qu'une partie seulement des délits sexuels parvient à la connaissance
des autorités. L'action de ces dernières est appuyée par l'opinion
publique qui considère ce genre de délits comme infamant.
La
statistique criminelle montre ce triste fait que, dans notre
civilisation moderne, les délits sexuels ont un accroissement
progressif, et particulièrement les actes de débauche avec des
individus âgés de moins de quatorze ans[105].
[Note 105: Comparez: Casper, Klin. Novellen.--Lombroso, Goltdammers Archiv, t. XXX.--OEttingen, Moralstatistik, p. 191.]
Le
moraliste ne voit dans ces tristes faits qu'une décadence des moeurs
générales et, selon les circonstances, il arrive à la conclusion que la
trop grande douceur du législateur dans le châtiment des délits
sexuels, comparée avec la rigueur des siècles passés, est en partie la
cause de l'augmentation de ce genre de délits.
Mais pour le
médecin observateur l'idée s'impose que ce phénomène vital de notre
civilisation moderne est en connexité avec la nervosité croissante des
dernières générations, car cette nervosité crée des individus chargés
de tares névropathiques, elle excite la sphère sexuelle, pousse aux
abus sexuels et, étant donné que la lubricité continue à subsister même
quand la puissance sexuelle est diminuée, elle conduit aux actes
sexuels pervers.
On verra plus loin combien est justifiée cette
manière de voir, surtout quand il s'agit d'expliquer la raison de
l'accroissement remarquable du nombre des délits de moeurs commis sur
des enfants.
Il ressort de ce que nous avons expliqué jusqu'ici
que, en ce qui concerne l'acte des délits sexuels, ce sont souvent les
conditions névropathiques et même psychopathiques de l'individu qui
sont décisives. Cela posé, la responsabilité de beaucoup de gens
accusés de délits de moeurs se trouve mise en doute.
On ne peut
contester à la psychiatrie le mérite d'avoir reconnu et démontré la
signification psychiquement morbide de nombreux actes sexuels
monstrueux et paradoxaux.
Jusqu'ici la jurisprudence,
législature et magistrature, n'a tenu compte que dans une mesure très
restreinte de tous ces faits d'observation psycho-pathologique. Elle se
met par là en contradiction avec la science médicale et risque de
prononcer des condamnations et des peines contre des hommes que la
science jugerait comme irresponsables de leurs actes.
Par suite
de cette considération superficielle de ces délits qui compromettent
gravement l'intérêt et le salut de la société, il arrive facilement que
la loi condamne, à une peine déterminée, un criminel de beaucoup plus
dangereux pour le public qu'un assassin ou une bête sauvage et le rende
à la société après qu'il a purgé sa condamnation, tandis que l'examen
scientifique démontre que l'auteur était un individu originairement
dégénéré psychiquement et sexuellement, individu qui ne doit pas être
puni, mais mis hors d'état de nuire pendant toute sa vie.
Une
justice qui n'apprécie que l'acte, et non l'auteur de l'acte, court
toujours risque de léser les intérêts importants de la société
(moralité publique et sécurité) et ceux de l'individu (l'honneur).
Sur
aucun terrain du droit criminel il n'est aussi nécessaire que sur ce
terrain des délits sexuels que les études du magistrat et du médecin
légiste se complètent; seul l'examen anthropologico-clinique peut faire
la lumière.
La forme du délit ne peut jamais par elle-même
éclairer sur la question de savoir s'il s'agit d'un acte
psychopathique, ou d'un acte commis dans la sphère normale de la vie
psychique. L'acte pervers n'est pas toujours une preuve de la
perversion du sentiment.
Les actes sexuels les plus pervers et
les plus monstrueux ont déjà été observés chez des personnes saines
d'esprit. Mais il faut démontrer que la perversion du sentiment est
morbide. Cette preuve est fournie par l'étude du développement de
l'individu et des conditions de son origine, ou par la constatation que
cette perversion est le phénomène partiel d'un état général
névropathique ou psychopathique.
Les species facti sont très
importants, bien que leur analyse ne donne lieu qu'à des suppositions,
car suivant que le même acte sexuel est commis, par exemple, par un
épileptique, par un paralytique ou par un homme sain d'esprit, il
présente un caractère différent ou des particularités dans la manière
de procéder.
Le retour périodique de l'acte sous des modalités
identiques, la forme impulsive de l'exécution fournissent des indices
importants pour son caractère pathologique. Mais la question ne peut
être tranchée définitivement qu'après qu'on a ramené l'acte à des
mobiles psychologiques (anomalies des représentations et des
sentiments) et après qu'on a établi que ces anomalies élémentaires sont
des phénomènes partiels d'un état général névro-psychopathique, ou d'un
arrêt du développement psychique ou d'un état de dégénérescence
psychique ou d'une psychose.
Les observations citées dans la
partie générale et pathologique de ce livre, pourront fournir des
indications précieuses au médecin légiste pour la découverte des
impulsivités de l'acte.
Ces faits indispensables pour trancher
la question de savoir s'il s'agit de simple immoralité ou de
psychopathie, ne peuvent être établis que par un examen médico-légal
fait selon les règles de la science, qui étudie et apprécie toute la
personnalité au point de vue anamnestique, anthropologique et clinique.
La
preuve de l'origine congénitale d'une anomalie de la vie sexuelle est
importante, et il est nécessaire, pour l'établir, de rechercher les
états de dégénérescence psychique.
Une aberration acquise, pour pouvoir être reconnue comme morbide, doit être ramenée à une névropathie ou à une psychopathie.
Dans
la pratique, il faut, quand pareil cas se présente, avant tout songer à
l'existence d'une dementia paralytica et à l'épilepsie.
En ce
qui concerne la responsabilité, on doit principalement s'appuyer sur la
preuve d'un état psychopathique chez l'individu accusé d'un délit
sexuel.
Cette preuve est indispensable pour éviter le danger que la simple immoralité se couvre du prétexte de la maladie.
Des
états psychopathiques peuvent amener à des crimes contre les moeurs, et
en même temps supprimer les conditions de la responsabilité:
1)
Quand aucune contre-représentation de nature morale ou légale ne
s'oppose à l'instinct sexuel normal et éventuellement accentué; encore
faut-il dans ce cas: alpha) que les considérations morales ou légales
n'aient été jamais acquises (faiblesse mentale congénitale), ou bêta)
que le sens moral et juridique soit perdu (faiblesse mentale acquise);
2)
Quand l'instinct génital est renforcé (état d'exaltation psychique), en
même temps que la conscience est voilée, et que le mécanisme psychique
est trop troublé pour laisser entrer en action les
contre-représentations qui virtuellement existent dans l'individu;
3) Quand l'instinct sexuel est pervers (état de dégénérescence psychique), il peut être en même temps exalté et irrésistible.
Les
délits sexuels qui ne se commettent pas dans un état de défectuosité,
de dégénérescence ou de maladie psychiques, ne doivent jamais
bénéficier de l'excuse de l'irresponsabilité.
Dans de nombreux
cas on rencontrera, au lieu d'un état psychiquement morbide, une
névrose locale ou générale. Comme la ligne de démarcation entre la
névrose et la psychose est incertaine, que les troubles élémentaires
psychiques sont fréquents dans la première et se retrouvent presque
toujours dans la perversion profonde de la vie sexuelle, et comme une
affection nerveuse telle que, par exemple, l'impuissance, la faiblesse
irritable, etc., exerce toujours une influence sur la perpétration de
l'acte criminel, une juridiction équitable concluera toujours à des
circonstances atténuantes, bien que l'irresponsabilité ne puisse être
admise que lorsque une défectuosité psychique ou une maladie a été
constatée.
Le jurisconsulte pratique évitera, pour diverses
raisons, d'avoir, dans tous les cas de délits sexuels, recours à des
médecins légistes pour provoquer une enquête psychiatrique.
Quand
il se voit dans la nécessité de recourir à ce moyen de défense, c'est
affaire avec sa conscience et son jugement. Des indices sur la nature
pathologique pourront être fournis par les circonstances suivantes:
L'auteur
du délit est un vieillard. Le délit sexuel a été commis en public et
avec un cynisme étonnant. Le mode de satisfaction sexuelle est puéril
(exhibition), ou cruel (mutilation, assassinat par volupté), ou pervers
(nécrophilie), etc.
D'après l'expérience acquise, on peut dire
que, parmi les délits sexuels qu'on peut rencontrer, le viol, l'outrage
aux moeurs, la pédérastie, l'amor lesbicus, la bestialité, sont ceux
qui peuvent avoir une origine psycho-pathologique.
Dans le viol
compliqué d'assassinat, en tant qu'il vise encore un autre but que
l'assassinat, de même dans le viol des cadavres, l'existence d'un état
psychopathique est probable.
L'exhibition, ainsi que la
masturbation mutuelle, feront présumer comme très vraisemblable des
conditions pathologiques. L'onanisation d'un autre, de même que
l'onanisme passif peut se rencontrer dans la dementia senilis, dans
l'inversion sexuelle, mais aussi chez de simples débauchés.
Le
cunnilingus de même que le fellare (penem in os mulieris arrigere)
n'ont pas présenté jusqu'ici des symptômes psycho-pathologiques.
Ces
horreurs sexuelles ne semblent se rencontrer que chez les débauchés
qui, rassasiés des jouissances sexuelles naturelles, ont vu en même
temps s'affaiblir leur puissance. La pædicatio mulierum ne paraît pas
être de nature psychopathique, mais une pratique d'époux d'un niveau
moral.