très bas qui ont peur de faire des enfants, ou, on dehors du mariage, de cyniques rassasiés de jouissances sexuelles.
L'importance
pratique du sujet nous oblige à examiner de plus près, au point de vue
médico-légal, les actes sexuels qui ont été déclarés par le législateur
punissables comme délits de moeurs. Ce qui nous aidera dans cet examen,
c'est que les actes psycho-pathologiques qui dans certaines
circonstances sont tout à fait similaires à ceux qui appartiennent à la
catégorie physio-psychologique, seront mis dans leur vrai jour par la
comparaison avec ces derniers.
1. OUTRAGES AUX MOEURS PAR EXHIBITIONNISME
(Autriche, art. 516; Projet de loi, art. 195; Code allemand, art. 183.)
La
pudeur est dans la vie civilisée de l'homme moderne un trait de
caractère et un principe tellement enracinés par l'éducation des
siècles qu'il faut bien supposer de prime abord l'existence d'un état
psycho-pathologique chez ceux qui outragent grossièrement la décence
publique.
On supposera, avec juste raison, qu'un individu qui
blesse d'une telle façon le sentiment moral des hommes et en même temps
sa propre dignité, n'a jamais pu acquérir de principes moraux (idiots),
ou les a perdus (faiblesse mentale acquise), ou qu'il a agi dans un
moment de trouble de sa conscience (folie transitoire, troubles de
l'esprit).
Un acte très singulier et qui rentre dans cette catégorie est l'exhibitionnisme.
Les
cas observés jusqu'ici nous montrent que ce sont exclusivement des
hommes qui découvrent avec ostentation leurs parties génitales devant
des personnes de l'autre sexe, et qui ont éventuellement poursuivi ces
dernières, mais sans devenir agressifs.
La forme puérile de cet
acte sexuel ou plutôt de cette manifestation sexuelle indique une
idiotie intellectuelle ou morale, ou du moins une entrave temporaire
aux fonctions intellectuelles et éthiques, en même temps que le libido
reçoit une excitation due à un trouble considérable de la conscience
(inconscience morbide, trouble des sens); elle met en doute aussi la
puissance de ces individus. Il y a donc diverses catégories
d'exhibitionnistes.
La première comprend les individus atteints
de faiblesse mentale acquise, chez lesquels la conscience a été
troublée par une maladie du cerveau ou de la moelle épinière; les
fonctions éthiques et intellectuelles ont été lésées et ne peuvent
former aucun contre-poids contre le libido qui a toujours été puissant
ou qui a été excité par la maladie; de plus, ces individus sont
impuissants et ne peuvent plus manifester leur impulsion sexuelle par
des actes violents (éventuellement le viol) mais seulement par des
actes puérils.
C'est dans cette catégorie que rentrent la plupart des cas rapportés[106].
[Note
106: Lasègue, Union médicale, 1887, mai; Laugier, Annal. d'hygiène
publ., 1878, nº 106; Pelanda, Ueber Pornopathiker, Archivio di
Psichiatria, VIII; Schuchardt, Zeitschrift f. Medicinalbeamte, 1890,
II. 6.]
Il s'agit d'individus tombés dans la dementia senilis,
dans l'idiotie paralytique, ou qui, par abus de l'alcool, par suite
d'épilepsie, etc., sont devenus malades au point de vue intellectuel.
OBSERVATION
165.--Z..., fonctionnaire supérieur, soixante ans, veuf, père de
famille, a provoqué un scandale parce que pendant une période de quinze
jours, à plusieurs reprises, genitalia sua de fenestra ostendit à une
fille qui habitait en face de lui. Plusieurs mois après, cet homme a
répété dans des circonstances analogues son acte inconvenant. Dans
l'interrogatoire il reconnaît lui-même le caractère abominable de son
procédé, mais il ne peut en donner aucune explication. Une année après,
il est mort d'une affection cérébrale. (Lasègue, op. cit.)
OBSERVATION
166.--Z..., soixante-dix-huit ans, marin, a plusieurs fois exhibitionné
dans des préaux où jouent les enfants ou dans la proximité des écoles
de filles. C'était son seul procédé d'activité sexuelle. Z..., marié,
père de dix enfants, a eu, il y a douze ans, à la tête, une grave
blessure dont il porte encore une cicatrice osseuse très profonde. Une
pression sur cette cicatrice lui cause de la douleur, en même temps que
la figure devient rouge et qu'il a l'air comme pétrifié. Le malade
paraît somnolent; il a souvent des convulsions dans l'extrémité
supérieure à droite (évidemment des états épileptoïdes en connexité
avec une maladie de l'écorce cérébrale). Du reste, constatation d'une
démence sénile et d'un senium très avancé. On ne sait pas si les
exhibitions ont coïncidé avec des accès épileptoïdes. Preuve d'une
dementia senilis. Acquittement. (Dr Schuchardt, op. cit.)
Pelanda (op. cit.) m'a communiqué une série de cas qui rentrent dans cette catégorie.
1.
Paralytique, soixante ans. À l'âge de cinquante-huit ans, il a commencé
à exhibitionner devant des femmes et des enfants. Il a gardé à l'asile
d'aliénés (Verona) pendant longtemps encore son caractère lascif et a
essayé aussi de la fellatio.
2. Vieux potator, soixante-six ans,
très taré, atteint de folie circulaire. Son exhibitionnisme a été
remarqué pour la première fois à l'église, pendant l'office. Son frère
aussi était exhibitionniste.
3. Homme de quarante-neuf ans,
taré, potator, de tout temps très excitable sexuellement, interné à
l'asile pour alcoolisme chronique, exhibe toutes les fois qu'il
aperçoit un être féminin.
4. Homme de soixante-quatre ans,
marié, père de quatorze enfants. Chargé de lourdes tares. Rachitique,
crâne microcéphale. Est exhibitionniste depuis des années, malgré les
condamnations réitérées qu'il s'est attirées.
OBSERVATION
167.--X..., négociant, né en 1833, célibataire, a exhibitionné devant
des enfants à plusieurs reprises: parfois il urinait devant eux; une
fois, pendant qu'il se trouvait dans cette situation, il a embrassé une
petite fille. Il y a vingt ans, X... a eu une grave maladie mentale qui
a duré deux ans et pendant laquelle il aurait eu une attaque
d'apoplexie.
Plus tard, ayant perdu sa fortune, il se livra à la
boisson et, dans les dernières années, il semblait souvent avoir des
absences d'esprit.
Le status præsens a amené la constatation
d'alcoolisme, de senium præcox, de faiblesse mentale. Penis petit,
phimosis, testicules atrophiés. Preuves de maladie mentale.
Acquittement. (Dr Schuchardt, op. cit.)
Ces cas
d'exhibitionnisme rappellent l'habitude des jeunes gens plus ou moins
âgés et en excitation sexuelle, habitude qui se retrouve aussi chez
certains adultes cyniques d'une moralité très abaissée, qui s'amusent à
salir les murs des lieux d'aisance publics de dessins de parties
génitales masculines et féminines. C'est une sorte d'exhibitionnisme
idéal mais qui est encore très loin de l'exhibitionnisme réel.
Les épileptiques forment une autre catégorie d'exhibitionnistes.
Cette
catégorie se distingue de la précédente par le fait essentiel qu'il y a
absence de mobile conscient pour l'exhibition. Celle-ci semble plutôt
un acte impulsif dont l'exécution s'impose à l'individu sans égards
pour les circonstances extérieures, par suite d'une contrainte morbide
et organique.
Il y a toujours tempore delicti une obnubilation
de l'esprit. Cela explique aussi pourquoi le malheureux, sans avoir
conscience de la portée de son acte, dans tous les cas sans cynisme,
commet sous l'influence d'une obsession aveugle un acte qu'il regrette
et abhorre quand il a repris ses sens, à moins qu'il ne soit déjà
arrivé à un état permanent de faiblesse mentale.
Dans cet état
d'esprit embrouillé, primum movens est, comme dans les autres actes
impulsifs, un sentiment d'oppression anxieuse. S'il s'y joint un
sentiment sexuel, l'idée obsédante reçoit une ligne de direction
déterminée dans le sens d'un acte correspondant (sexuel).
On
trouvera ailleurs l'explication du fait que, chez les épileptiques, ce
sont précisément les représentations sexuelles qui surgissent avec une
facilité particulière tempore insultus.
Si une pareille
association d'idées s'est faite et que, dans un accès, un acte
déterminé ait lieu, cette association se reproduit dans tous les accès
suivants avec d'autant plus de facilité qu'il s'est formé, pour ainsi
dire, un sentier battu dans la voie de la motivation.
L'état
d'angoisse pendant que la conscience est voilée, fait paraître
l'impulsion sexuelle associée, comme un ordre, une contrainte
intérieure, qui est exécutée impulsivement et avec une suppression
absolue du libre arbitre.
OBSERVATION 168.--K..., fonctionnaire
subalterne, vingt-neuf ans, de famille névropathique, vivant heureux en
ménage, père d'un enfant, a plusieurs fois, au crépuscule, exhibitionné
devant des bonnes. Il est grand, svelte, pâle, nerveux, précipité dans
ses allures. Il n'a qu'un souvenir sommaire de ses délits. Depuis son
enfance, il a eu de fréquents états congestifs, avec rougeur vive à la
figure, pouls accéléré et tendu, regard fixe et comme dénotant une
absence d'esprit. Par ci, par là, il y avait dans ces accès, abolition
des sens et vertige. Dans cet état exceptionnel (épileptique), K... ne
répondait que lorsqu'on avait crié plusieurs fois; alors il revenait à
lui, comme s'il sortait d'un rêve. K... prétend que, pendant les
quelques heures qui précédaient les actes incriminés, il se sentait
toujours excité et inquiet, qu'il éprouvait une angoisse avec
oppression et fluxion vers la tête. Arrivé au summum de cet état, il
sortait sans but de la maison et exhibait quelque part ses parties
génitales. Rentré à la maison, il n'avait gardé de ces incidents que
comme un souvenir de rêve: il se sentait très fatigué et très déprimé.
Il est aussi à remarquer que, pendant l'exhibition, il allumait des
allumettes pour éclairer ses parties génitales. L'avis des médecins
légistes concluait que les actes incriminés s'étaient produits sous
l'action d'une contrainte due à l'état épileptique. Toutefois il fut
condamné, avec admission de circonstances atténuantes. (Dr Schuchardt,
op. cit.)
OBSERVATION 169.--L..., trente-neuf ans, célibataire,
tailleur, né d'un père qui probablement était adonné à la boisson,
avait deux frères épileptiques et un qui était aliéné. Lui-même
présente des crises épileptiques plus légères; il a de temps en temps
l'esprit voilé; dans cet état il erre sans but et ne sait plus après où
il a été. Il passait pour un homme convenable; il est maintenant accusé
d'avoir dans une maison étrangère exhibé quatre à six fois ses parties
génitales et joué avec. Le souvenir de ces actes était très vague chez
lui.
L... avait déjà subi une grave condamnation pour avoir
déserté plusieurs fois pendant qu'il était au régiment (probablement
ces désertions ont eu lieu dans un état de trouble épileptique); en
prison, il fut atteint d'une maladie mentale et on le transporta pour
cause de «folie épileptique» à la Charité, d'où il fut plus tard
renvoyé comme guéri. En ce qui concerne les actes incriminés, il faut
exclure l'idée de cynisme ou d'exubérance. Il est probable qu'ils ont
été commis dans un état d'obnubilation intellectuelle, ce qui ressort
entre autres du fait que cet homme paraissait étrange au point de vue
psychique, même aux agents qui l'arrêtaient, et qui l'appelaient
l'idiot. (Liman, Vierteljahrsschr. f. ger. Med., N. F., XXXVIII,
fascicule 2.)
OBSERVATION 170.--L..., trente-sept ans, s'est
rendu coupable d'avoir, du 15 octobre jusqu'au 2 novembre 1889, fait un
grand nombre d'exhibitions devant des filles; il avait commis ces actes
en plein jour, dans la rue, et même dans des écoles où il pénétrait. À
l'occasion il arrivait qu'il demandait aux filles la masturbation ou le
coït, et comme cela lui était refusé, il se masturbait devant elles. À
G..., se trouvant dans un cabaret, il frappa avec son pénis, mis à nu,
sur les vitres, de sorte que les servantes et les enfants qui étaient
dans la cuisine le virent.
Après son arrestation, on constata
que, depuis 1870, L... avait déjà nombre de fois provoqué du scandale
par ses exhibitions, mais qu'il avait toujours échappé à une
condamnation, grâce aux preuves d'une maladie mentale établies par les
médecins. En revanche, il avait subi, pendant son service militaire,
des condamnations pour désertion et vol, et une fois, comme civil, pour
vol de cigares. À plusieurs reprises il a été interné dans un asile
d'aliénés pour maladie mentale (accès de folie). Du reste il s'était
fait remarquer par son caractère changeant et querelleur, par son
excitation périodique et son inconstance.
Le frère de L... est
mort paralysé. Lui-même ne présente aucun stigmate de dégénérescence ni
d'antécédents épileptiques. Pendant la période d'observation il n'est
ni malade d'esprit, ni mentalement affaibli.
Il se comporte d'une manière très décente et exprime une profonde horreur pour ses délits sexuels.
Il
les explique de la façon suivante. D'habitude il n'est pas buveur, et
par moments il a pourtant une impulsion à boire. Aussitôt qu'il a
commencé à boire, il se produit un afflux de sang à la tête, des
vertiges, de l'inquiétude, de l'angoisse, de l'oppression. Alors il
tombe dans une sorte d'état de rêve. Un charme irrésistible le
contraint à se découvrir, ce qui lui procure du soulagement et de la
liberté pour respirer.
Une fois découvert il ne sait plus ce
qu'il fait. Comme signes précurseurs de ces accès il a des
scintillements devant les yeux et du vertige.
Il n'a qu'un souvenir très vague et semblable à un rêve lointain de sa période d'obnubilation.
Ce
n'est qu'avec le temps que des représentations et des impulsions
sexuelles se sont associées à ses états d'obnubilation pleins
d'angoisse. Déjà, plusieurs années auparavant, en proie à cet état, il
avait déserté sans motif et en s'exposant aux plus grands dangers; une
fois il a sauté par une fenêtre du deuxième étage: une autre fois il a
quitté une bonne place et est allé sans projet dans un pays voisin où
il fut bientôt arrêté pour exhibitionnisme.
Quand par hasard
L... s'enivrait, en dehors de sa période de maladie, il
n'exhibitionnait jamais. À l'état lucide ses sentiments et ses rapports
sexuels sont tout à fait normaux. (Dr Holzen, Friedreichs Blætter,
1890, fascicule 6.)Comme autres cas voir les observations 153, 155.
Un
groupe qui, au point de vue clinique, est très voisin de celui des
exhibitionnistes épileptiques, est représenté par certains
neurasthéniques, chez lesquels il se produit aussi par accès des états
d'obnubilation[107] (épileptoïde?) avec une oppression anxieuse. Les
impulsions sexuellesqui s'associent à ces états peuvent amener
impulsivement à des actes d'exhibitionnisme.
[Note 107: Comparez
v. Krafft, Ueber transitorisches Irresein bei Neurasthenischen, Journal
Irrenfreund, 1883, nº 8 et Wiener klin. , 1891, nº 50.]
OBSERVATION
171.--Dr S., professeur de lycée, a provoqué un scandale public par le
fait qu'il a été vu, à plusieurs reprises, genitalibus denudatis devant
des dames et des enfants. S... en convient, mais il nie avoir eu ni
l'intention ni la conscience d'avoir provoqué par là un scandale
public; il allègue comme excuse qu'en courant rapidement avec les
parties génitales découvertes, il soulage son émotion nerveuse. Son
grand-père du côté maternel était hypocondriaque et a fini par le
suicide, sa mère était de constitution névropathique, avait du
somnambulisme (se promenait pendant son sommeil) et fut passagèrement
atteinte d'une dépression mélancolique. L'inculpé est névropathe; il
était somnambule, eut de tout temps une aversion pour les rapports
sexuels avec les femmes, pratiqua pendant sa jeunesse l'onanisme. C'est
un homme timide, sans énergie, qui s'embarrasse facilement et tombe en
confusion; il est neurasthénique. Il était toujours très excité
sexuellement. Il rêvait souvent qu'il courait mentula denudata ou
qu'étant en chemise, il était suspendu sur la barre d'une salle de
gymnastique, ayant la tête en bas, de sorte que la chemise retombait et
que le membre en érection se trouvait découvert. Ces rêves lui
donnaient des pollutions, et il était alors calmé pour toute une
semaine.
Même quand il est éveillé, il a souvent, comme dans ses
rêves, une impulsion à courir, avec son membre découvert. Quand il se
met à découvrir son membre, il sent une chaleur ardente; il court alors
à tort et à travers, son membre devient moite, mais il n'arrive pas à
la pollution. Enfin il y a relaxatio membri, il le remet dans son
pantalon, il recouvre ses sens et est très heureux quand personne n'a
vu ce manège. Dans cet état d'excitation il se sent comme en rêve,
comme ivre. Il n'a jamais eu, dans ces circonstances, l'intention de
provoquer des femmes. S... n'est pas épileptique. Ses assertions sont
empreintes d'un cachet de vérité. En effet, se trouvant dans cet état,
il n'a jamais poursuivi de femmes, il ne leur a même jamais adressé la
parole. La brutalité et la frivolité semblent être absentes dans son
cas. De toutes façons les actes de S... sont dus à un sentiment et à
une idée morbides et il se trouvait, au moment de les commettre, dans
un état de trouble morbide des fonctions mentales. (Liman,
Vierteljahrschrift für gerichtl. Med. N. F XXX, VIII, fascicule 2.)
OBSERVATION
172.--X..., trente-huit ans, marié, père d'un enfant. De tout temps
d'un caractère sombre, taciturne; souffrant souvent de maux de tête;
gravement neurasthénique, mais pas malade au physique, très tourmenté
par des pollutions nocturnes; a plusieurs fois suivi dans la rue des
filles de magasin qu'il avait guettées dans un urinoir; en les suivant
il exhibait ses parties génitales et manipulait son pénis. Dans un cas
il avait même poursuivi une fille jusque dans le magasin. (Trochon,
Arch. de l'anthropologie criminelle, III, p. 256.)
Dans
l'observation suivante l'exhibition n'apparaît que comme un accessoire
à côté d'un penchant impulsif à satisfaire par la masturbation un
libido violent qui se manifeste subitement.
OBSERVATION
173.--R..., cocher, quarante-neuf ans, marié à Vienne depuis 1866, sans
enfants, est né d'un père névropathe exalté sexuellement et qui est
mort d'une maladie cérébrale. Il ne présente aucun stigmate de
dégénérescence.
À l'âge de vingt-cinq ans il a eu une commotio
grave à la suite d'une chute d'un lieu élevé. Jusque-là sa vita
sexualis était normale. Depuis il tombe tous les trois ou quatre mois
dans un état d'excitation sexuelle très pénible, avec une impulsion à
la masturbation. Comme signes précurseurs de ces accès, il éprouve un
sentiment de grande fatigue et de malaise avec le besoin de prendre des
boissons alcooliques. Dans les intervalles il est froid sexuellement,
et il n'a eu que rarement le besoin de faire le coït avec sa femme qui,
du reste, est depuis cinq ans malade et inapte à la cohabitation.
Il
affirme ne s'être jamais masturbé pendant qu'il était jeune homme; il
n'a pas songé davantage, dans les intervalles de ses accès, à ce genre
de satisfaction sexuelle.
Pendant la période dangereuse,
l'impulsion à la masturbation surgit toujours à la vue de certains
charmes féminins, tels que jupon court, beau pied et beaux jarrets,
apparition élégante. L'âge n'y fait rien. Des petites filles même
peuvent exercer une impression excitante. L'impulsion est subite,
irrésistible. R... donne la description des états et des symptômes d'un
acte impulsif. Il a souvent essayé de résister, mais alors il se sent
brûlé par une chaleur et il a des angoisses terribles; il sent comme
une chaleur d'ébullition qui lui monte à la tête; il est comme dans un
brouillard; il ne perd pas tout à fait conscience, c'est vrai, mais il
est comme hors de ses sens. En même temps il a des douleurs et des
lancements violents dans les testicules et dans les cordons
spermatiques. Il regrette d'être obligé d'avouer que l'impulsion est
plus forte que sa volonté. Dans cette situation il se sent contraint de
se masturber, n'importe dans quel endroit où il se trouve. Aussitôt que
l'éjaculation s'est produite, il se sent soulagé et il retrouve son
empire sur lui-même. C'est une chose terrible et fatale. Son avocat
m'apprend que R... a déjà été condamné six fois pour le même délit:
exhibition et masturbation sur la voie publique. Toutes les fois il a
demandé que l'état mental de son client fût soumis à un examen médical
et le tribunal a toujours refusé, alléguant que dans le dossier de la
cause on ne trouvait exprimé aucun doute concernant la responsabilité
de l'accusé.
Le 4 novembre 1889, R... étant dans sa période
dangereuse, se trouvait dans la rue au moment où un groupe de petites
filles de l'école passait devant lui. Son impulsion indomptable se
réveilla. Il n'eut pas le temps d'aller dans un cabinet d'aisances, il
était trop excité. Aussitôt il procéda à l'exhibition, se masturba sous
une porte-cochère: immense scandale, arrestation. R... n'est pas idiot
ni défectueux éthiquement. Il gémit sur son sort, éprouve une honte
profonde de son acte, craint de nouveaux accès, mais considère ses
accès comme morbides, comme une fatalité en présence de laquelle il se
trouve impuissant.
Il se croit encore sexuellement puissant. Le
pénis est d'une grandeur anormale. Existence du réflexe crémastérien;
réflexe patellaire accentué. Depuis quelques années, faiblesse du
sphincter vésical. Divers symptômes neurasthéniques.
Le rapport
médical a démontré que R... avait agi sous l'influence de conditions
morbides et d'une manière impulsive. Pas de condamnation. Le malade a
été interné dans une maison de santé d'où il fut relaxé quelques mois
plus tard.
Dans l'observation précédente, le point clinique
principal n'est pas dans la névrose existante, mais plutôt dans le
caractère impulsif de l'acte (exhibition pour la masturbation).
Il
est évident qu'en établissant des catégories entre les exhibitionnistes
imbéciles, entre ceux qui sont mentalement affaiblis et ceux qui se
trouvent sous l'influence d'un trouble névrosique des sens (épileptique
ou neurasthénique), le côté médico-légal de ce phénomène n'est pas
encore épuisé. On peut ajouter aux groupes précédents un autre groupe
dont les représentants sont, par suite de lourdes tares (héréditaires,
névrose dégénérative), poussés périodiquement et d'une manière
impulsive à l'exhibition.
Dans ces états de psychopathia
sexualis periodica l'impulsion à l'exhibition éveillée par hasard,
n'est qu'un phénomène partiel d'un ensemble clinique, de même que dans
la dipsomania periodica. Magnan, à qui j'emprunte les deux cas
instructifs suivants, attribue, avec raison, une grande importance au
caractère impulsif et périodique de ces penchants morbides, ainsi qu'au
fait que souvent ils sont accompagnés d'une angoisse pénible qui fait
place à un sentiment de grand soulagement aussitôt que les désirs sont
réalisés.
Ces faits--et, dans une mesure non moins grande, toute
l'histoire clinique de la dégénérescence psychique, qu'on peut dans la
plupart des cas ramener à des influences héréditaires ou à des
conditions qui, dans les premières années de la vie, ont nui au
développement du cerveau (Rachitis, etc.),--sont, au point de vue
médico-légal, d'une signification décisive.
OBSERVATION
174.--G..., vingt-neuf ans, garçon de café, a, en 1888, exhibé sous la
porte d'une église en face de plusieurs filles qui travaillaient dans
un magasin. Il avoue le fait, et même que plusieurs fois déjà au même
endroit et à la même heure, il s'était rendu coupable du même délit, ce
qui, l'année passée, lui avait valu une peine d'un mois de prison.
G...
a des parents très nerveux. Son père est mal équilibré psychiquement,
d'un caractère très emporté. Sa mère est de temps en temps malade
psychiquement et atteinte d'une grave maladie de nerfs.
G... eut
de tout temps un tic nerveux de la face; variations continuelles entre
une dépression sans motif avec tædium vitæ et des périodes de gaieté. À
l'âge de dix ans et de quinze ans, il a voulu se suicider pour des
raisons futiles.
Quand il est émotionné, il a des convulsions
dans les extrémités. Il présente constamment de l'analgésie générale.
En prison il fut tout d'abord hors de lui à cause de la honte et du
déshonneur qu'il causait à sa famille; il s'accusait d'être le plus
mauvais des hommes et de mériter la punition la plus grave.
Jusqu'à
l'âge de dix-neuf ans, G... s'est satisfait par l'auto-masturbation et
la masturbation mutuelle: il a aussi une fois onanisé une fille. À
partir de cette époque, employé dans un café, il était à la vue de la
clientèle féminine tellement excité qu'il en avait souvent de
l'éjaculation. Il souffrait presque continuellement de priapisme et,
comme l'affirmait sa femme, il en perdait le sommeil, malgré le coït.
Depuis sept ans, il avait, à plusieurs reprises, exhibé et s'était
exposé nudatus en présence de feminis vicinis.
En 1883, il a
conclu son mariage par amour. Les devoirs conjugaux ne suffisaient pas
à ses besoins excessifs. Par moments, son excitation sexuelle devenait
si violente qu'il en avait des maux de tête, qu'il paraissait troublé,
comme s'il était ivre, étrange, et incapable de faire son service.
Se
trouvant dans cet état le 12 mai 1887, il avait deux fois, à de courts
intervalles, exhibitionné devant des dames dans les rues de Paris.
Depuis, il livre un combat désespéré contre ses penchants morbides qui
l'obsèdent presque constamment; à la fin de cet état il était toujours
sombre, consterné, et il pleurait alors des nuits entières. Toutefois,
il recommençait toujours. Rapport médical: preuve de dégénérescence
héréditaire avec idées obsédantes et impulsions irrésistibles
(perversion délirante du sens génital). Acquittement. (Magnan, Arch. de
l'anthropologie criminelle, T. V, nº 28).
OBSERVATION 175.--Br.,
vingt-sept ans, de mère névropathe et de père alcoolique, a un frère
qui est ivrogne et une soeur qui est hystérique. Quatre parents proches
du côté paternel sont des ivrognes; une cousine est hystérique.
Il
pratiqua, à partir de onze ans, l'onanisme, tantôt solitaire, tantôt
mutuel. À partir de l'âge de treize ans il eut un penchant à
exhibitionner. Il essaya dans l'urinoir d'une rue, en éprouva un
bien-être voluptueux, mais eut des remords bientôt après. Quand il
essayait de combattre son penchant, il sentait une angoisse violente et
un serrement à la poitrine. Étant soldat, il avait souvent l'obsession
de montrer, sous divers prétextes, sa mentulam aux camarades.
À
partir de l'âge de dix-sept ans, il eut des rapports sexuels avec des
femmes. Il avait un grand plaisir à se montrer nu devant elles. Il
continuait ses exhibitions dans les rues. Mais comme dans les urinoirs
il ne pouvait compter que rarement sur des spectateurs féminins, il
choisit pour théâtre de ses délits les églises. Pour pouvoir
exhibitionner dans ces endroits, il était toujours obligé de se
remonter le courage par quelques verres.
Sous l'influence des
boissons alcooliques, l'impulsion qu'il pouvait ordinairement assez
bien maîtriser, devenait irrésistible. B... n'a pas été condamné, il
perdit sa place et depuis il boit encore davantage. Peu de temps après,
nouvelle arrestation pour exhibition et masturbation dans une église.
(Magnan, idem.)
OBSERVATION 176.--X..., garçon coiffeur,
trente-cinq ans, plusieurs fois condamné pour délits de moeurs, a été
de nouveau arrêté parce que depuis trois semaines il rôdait autour
d'une école de filles, il cherchait à attirer sur lui l'attention des
filles, et quand il y réussissait il exhibitionnait immédiatement. À
l'occasion, il leur avait aussi promis de l'argent en leur disant:
Habeo mentulam pulcherrimam, venite ad me ut eam lambatis.
X...
avoue tout au magistrat, mais, dit-il, il ne sait pas comment il a pu
arriver à commettre de pareils actes. D'habitude c'est un homme de fort
bon sens, mais il a un penchant à commettre ce délit, et il ne peut pas
le réprimer.
Déjà, en 1879, étant soldat, il a quitté le service
pour rôder dans la ville et exhibitionner devant des enfants. Un an de
prison. En 1881, même délit. Il courait après les enfants et s'arrêtait
fixe. Un an et trois mois de prison. Deux jours après avoir été rendu à
la liberté il disait à deux petites filles: «Si mentulam meam videre
vultis, mecum in hanc tabernam veniatis.» Il nia ces paroles et
prétendit qu'il était ivre. Trois mois de prison.
En 1883,
nouvelle exhibition. Il ne prononça pas une parole; pendant son
interrogatoire, il prétendit que depuis une maladie grave qu'il avait
eue, il y a huit ans, il souffrait de ces excitations morbides. Un mois
de prison. En 1884, exhibition devant des filles dans un cimetière; en
1885, idem. Il déclara: «Je reconnais mon tort, mais c'est une maladie;
quand cela me prend, je ne puis pas m'empêcher de faire ces actes.
Parfois il se passe un plus long laps de temps pendant lequel ces
penchants ne me viennent pas.» Six mois de prison.
Relaxé le 12
août 1885, il récidive le 13 août. Même excuse. Cette fois on le soumet
à un examen médical qui ne put constater aucun trouble mental. Trois
ans de travaux forcés.
Après avoir purgé cette peine, série de nouvelles exhibitions.
Cette fois, l'examen a donné les résultats suivants.
Le
père a souffert d'alcoolisme chronique et, dit-on, avait commis le même
genre d'actes d'impudicité. La mère et une soeur sont atteintes d'une
maladie de nerfs; toute la famille était d'un tempérament violent.
X...
souffrit de crises épileptiques à partir de sept ans jusqu'à dix-huit
ans. À l'âge de seize ans, premier coït. Plus tard, gonorrhée et
prétendue syphilis. Dans la période suivante, rapports sexuels normaux
jusqu'à l'âge de vingt et un ans. À cette époque il était souvent
obligé de passer devant un préau; à l'occasion il satisfaisait son
besoin d'uriner et il arrivait que des enfants poussés par la curiosité
le regardaient.
Incidemment, il s'aperçut que ces regards
curieux l'excitaient sexuellement et lui donnaient de l'érection et
même de l'éjaculation. Il trouva alors plus de plaisir à ce genre de
satisfaction sexuelle, devint de plus en plus indifférent au coït; il
ne se satisfaisait que par l'exhibition qui envahissait toutes ses
pensées et dont il rêvait même dans ses pollutions. Il lutta contre ce
penchant mais en vain; sa résistance devint de plus en plus faible. Il
était pris avec une telle puissance qu'il n'avait plus d'égards pour
rien, qu'il ne voyait ni n'entendait plus rien autour de lui, qu'il
était complètement «sans raison, comme un taureau qui veut de sa tête
enfoncer un mur».
X... a un crâne d'une largeur anormale; pénis
petit; le testicule gauche est atrophié. Le réflexe patellaire manque.
Symptômes de neurasthénie, surtout neuro-cérébrale. Pollutions
fréquentes. Les rêves ont la plupart pour sujet le coït normal, et
rarement l'exhibition devant des petites filles.
Quant à ses
actes sexuels anormaux, il affirme que le penchant à chercher et à
attirer des filles vient chez lui en première ligne, et ce n'est que
lorsqu'il a réussi, earum intentionem in sua genitalia nudata
transferre, erectionem et ejaculationem fieri; pendant l'acte il ne
perd pas conscience. Après il est toujours mécontent de l'avoir commis
et il se dit, quand il n'a pas été pris en flagrant délit, «qu'il a
encore une fois échappé au procureur».
En prison il n'a plus ce
penchant; là il n'est tourmenté que par des rêves et des pollutions.
Quand il est en liberté il cherche chaque jour l'occasion de se
satisfaire par l'exhibition. Il donnerait dix années de sa vie, s'il
pouvait se débarrasser de sa manie; «cette vie d'angoisse continuelle,
cette alternative entre la liberté et la prison est insupportable».
Le
rapport médical supposa une perversité congénitale du sens sexuel en
même temps qu'il constatait, une tare héréditaire manifeste, une
constitution névropathique, une asymétrie du crâne, un développement
défectueux des parties génitales.
Il est à remarquer aussi que
l'exhibitionnisme s'est déclaré à partir de l'époque où la maladie
épileptique a cessé, de sorte qu'on pourrait penser à un phénomène
vicariant.
La perversion sexuelle s'est développée sur la base
d'une prédisposition existante et par le concours d'une association
d'idées amenée par le hasard (regards curieux des enfants lorsqu'il
urinait), à la suite d'un acte insignifiant en lui-même.
Le
malade n'a pas été condamné, mais transféré dans un asile d'aliénés.
(Dr Freyer, Zeitschr. f. Medicinalbeamte, 3e année nº 8.)
OBSERVATION
177.--Par une soirée du printemps de 1891, vers les neuf heures, une
dame venait toute consternée au poste de police du Stadtpark raconter
l'incident suivant. Pendant qu'elle se promenait, un homme complètement
nu par devant était sorti subitement d'un bosquet et s'était approché
d'elle; épouvantée, elle avait pris la fuite. L'agent de police se
rendit immédiatement à l'endroit désigné et y trouva un homme qui
exposait aux regards ventrem et genitalia nuda. Il essaya de se sauver,
mais il fut rejoint et arrêté. Il déclara avoir été, par suite d'une
forte consommation d'alcool, excité sexuellement et sur le point de se
mettre en quête d'une prostituée. En traversant le parc il s'était
souvenu que l'exhibition lui procurait beaucoup plus de jouissance que
le coït qu'il ne pratique que rarement et à défaut d'un autre genre de
satisfaction. Après avoir retiré sa chemise et déboutonné la partie
supérieure de son pantalon, il s'était posté dans un bosquet et quum
duæ feminæ advenissent nudatis genitalibus iis occurrisse. Dans cette
situation il sent une chaleur agréable et le sang lui monte à la tête.
L'inculpé
est un ouvrier d'un établissement industriel; son contremaître le
dépeint comme un homme consciencieux dans ses devoirs, laborieux,
rangé, sobre et intelligent.
Déjà en 1886 B... a été condamné
pour avoir deux fois exhibitionné sur la voie publique: la première
fois en plein jour, et la seconde fois, le soir, étant assis sous une
lanterne.
B..., âgé de trente-sept ans, célibataire, fait une
impression étrange par sa mise de gommeux, son langage et ses manières
affectés. Son oeil a une expression névropathique et romanesque; autour
de sa bouche se dessine toujours un sourire d'infatuation. Il prétend
être né de parents sains. Une soeur de son père et une soeur de sa mère
eurent une maladie mentale. D'autres soeurs de sa mère passaient pour
des dévotes excentriques.
B... n'a jamais eu de maladies graves.
Dès son enfance il était excentrique, fantasque, aimait les romans de
chevalerie et autres, s'absorbait tout entier dans ces sortes
d'histoires et finissait par s'identifier, dans son imagination
surchauffée, avec les héros du roman. Il croyait toujours être
quelqu'un de supérieur aux autres, attachait une grande valeur à une
mise élégante et aux bijoux; et lorsque les dimanches il se pavanait,
il croyait dans son imagination être un fonctionnaire supérieur. B...
n'a jamais présenté de symptômes d'épilepsie. Dans sa première
jeunesse, il a pratiqué un onanisme modéré, plus tard le coït d'une
façon modérée. Il n'a jamais eu avant des sentiments ou des impulsions
sexuelles perverses. Il vivait d'une vie retirée et employait ses
loisirs à la lecture (ouvrages populaires et histoires de chevalerie,
Dumas entre autres). B... n'était pas buveur. Ce n'est
qu'exceptionnellement qu'il se préparait une sorte de bowle et en la
buvant il se sentait excité sexuellement.
Depuis quelques années
son libido ayant considérablement diminué, il avait conçu pendant ses
libations alcooliques «l'idée bête en diable» et le désir genitalia
adspectui feminarum publice exhibere.
Quand il est dans cet
état, il s'échauffe; le coeur lui bat violemment, le sang lui monte à
la tête, et alors il ne peut se défendre contre son penchant. Il ne
voit ni n'entend plus autre chose, et il est alors tout à fait absorbé
par son désir. Après il a souvent frappé à coups de poing sa tête folle
et pris la ferme résolution de ne plus faire du pareilles choses, mais
les idées folles lui sont toujours revenues.
Pendant ces
exhibitions, son pénis n'a qu'une demi-érection et jamais il n'y a
éjaculation, celle-ci d'ailleurs ne se produit que tardivement quand il
fait le coït. Il lui suffit, lorsqu'il exhibe, genitalia adspicere, et
il a alors l'idée soulignée par une sensation voluptueuse que cet
aspect doit être très agréable aux femmes, de même que lui regarde
genitalia feminarum. Il n'est capable de faire le coït que lorsque la
puella se montre très prévenante. Sinon il préfère payer et s'en aller
sans avoir rien fait. Dans ses rêves érotiques, il exhibitionne devant
des femmes jeunes et plantureuses.
Le rapport médico-légal a
démontré la personnalité héréditairement psychopathique de l'inculpé,
la tendance perverse et impulsive aux délits incriminés et a fourni
encore la preuve, digne d'être remarquée, que les impulsions à la
consommation de l'alcool, chez cet homme d'habitude sobre et économe,
doivent être attribuées à une contrainte morbide qui revient
périodiquement. Il ressort à l'évidence des species facti que pendant
ses accès B... se trouvait dans un état d'exception psychique, dans une
sorte de trouble des sens, tout à fait plongé dans ses fantaisies
sexuelles perverses. C'est ainsi que s'explique aussi le fait qu'il ne
s'est aperçu de l'approche de l'agent de police que lorsqu'il était
déjà trop tard pour prendre la fuite. Ce qui est intéressant dans cet
exhibitionnisme héréditaire, dégénératif et impulsif, c'est que le
penchant sexuel pervers a été réveillé de son état latent par
l'influence de l'alcool.
Les frotteurs représentent une espèce
d'exhibitionnistes remarquables au point de vue médico-légal. Leur
perversion repose sur un fondement névrotico-dégénératif et clinique
qui est analogue à celui des autres exhibitionnistes; mais le procédé
qui les caractérise particulièrement est provoqué par un libido violent
(hyperæsthesia sexualis) qui existe en même temps qu'une puissance
sexuelle fort entamée.
Les trois observations suivantes, empruntées à Magnan (op. cit.), sont typiques.
OBSERVATION
178.--D..., quarante-quatre ans, taré, alcoolique et atteint de
saturnisme, s'était beaucoup masturbé jusqu'à il y a un an; il avait
aussi dessiné beaucoup d'images pornographiques et les avait montrées à
ses amis. À plusieurs reprises, se trouvant seul chez lui, il s'était
habillé en femme.
Depuis deux ans, étant devenu impuissant, il
éprouvait le besoin d'aller dans la foule à l'heure du crépuscule et
mentulam denudare eamque ad nates mulieris crassissimæ terere.
Pris un jour en flagrant délit, il fut condamné à quatre mois de prison.
Sa
femme tient une crèmerie. Iterum iterumque sibi temperare non potuit
quia genitalia in ollam lacte completam mergeret. Il éprouvait alors
une sensation de volupté «comme s'il y avait contact avec du velours».
Il était assez cynique pour se servir de cette huile pour lui et pour ses clients.
En prison il s'est développé chez lui une monomanie alcoolique de persécution.
OBSERVATION
179.--M..., trente et un ans, marié depuis six ans, père de quatre
enfants, lourdement taré, souffrant épisodiquement de mélancolie, a été
il y a trois ans surpris par sa femme au moment où, revêtu d'une robe
de soie, il se masturbait. Un jour il fut surpris dans un magasin au
moment où il se frottait contre une dame. Il fut profondément confondu
et demanda une punition sévère pour son penchant qui d'ailleurs était
irrésistible.
OBSERVATION 180.--G..., trente-trois ans,
lourdement chargé de tares héréditaires, est surpris à une station
d'omnibus au moment où il frottait son membre contre une dame. Profond
repentir, mais affirmation qu'à l'aspect des posteriora prononcés d'une
dame il se sentait irrésistiblement entraîné à faire du frottage et
qu'il est alors troublé au point de ne plus savoir ce qu'il fait.
Internement dans un asile d'aliénés.
OBSERVATION
181.--Z.... né en 1850, d'un passé irréprochable, de bonne famille,
employé d'une administration privée, bonne situation matérielle, sans
tare, veuf depuis 1873, après un ménage de courte durée, s'était depuis
longtemps fait remarquer dans les églises par sa manie de se presser
par derrière contre les femmes, jeunes ou vieilles, et de manipuler
leurs tournures. On le guetta et un jour on réussit à l'arrêter en
flagrant délit. Il fut consterné au plus haut degré; désespérant de sa
situation, il pria, en faisant un aveu complet, qu'on le ménage, sinon
il ne lui resterait qu'à se suicider.
Depuis deux ans, il était
obsédé par le penchant funeste, quand il se trouvait au milieu d'une
foule, à l'église ou au théâtre, à se frotter par derrière contre les
femmes et de manipuler leurs robes bouffantes, ce qui lui donnait de
l'orgasme et de l'éjaculation.
Z... affirme n'avoir jamais été
adonné à la masturbation et n'avoir dans aucun sens de tendance
sexuelle perverse. Depuis la mort prématurée de sa femme, il avait
satisfait ses puissants besoins sexuels dans des amourettes
temporaires, mais il avait toujours eu de la répugnance pour les
bordels et les prostituées. Le penchant au frottage lui est venu
subitement, il y a deux ans; il stationnait par hasard dans une église.
Bien qu'il se rendît compte que c'était inconvenant, il n'a pu
s'empêcher de céder immédiatement à cette impulsion. Depuis il est
devenu si excité par les postérieurs des femmes qu'il se sent poussé à
chercher des occasions de frottage. Chez la femme il n'y a que la
tournure qui l'excite; tout le reste du corps ou la toilette lui est
absolument indifférent, de même que l'âge de la femme, sa beauté ou sa
laideur. Depuis il n'a plus d'inclination pour la satisfaction
naturelle. Ces derniers temps des scènes de frottage apparaissaient
aussi dans ses rêves érotiques.
Pendant le frottage il se rend
parfaitement compte de sa situation et de la portée de son acte, et il
s'efforce de procéder autant que possible de manière à n'être pas
aperçu. Après il éprouve toujours de la honte d'avoir commis une
pareille action.
L'examen médico-légal n'a relevé aucun symptôme
de maladie mentale ou de faiblesse intellectuelle, mais bien des
symptômes de neurasthenia sexualis--ex abstinentia libidinosi, ce qui
est indiqué aussi par le fait que le seul contact du fétiche avec les
parties génitales non exhibées suffisait à produire une éjaculation. Il
est évident que le libidineux Z... qui était sexuellement très affaibli
et qui se méfiait de sa puissance, a été amené au frottage par une
coïncidence accidentelle: la vue de posteriora feminæ avec une émotion
sexuelle. C'est cette liaison associative d'une perception avec une
sensation qui a donné au postérieur féminin le caractère d'un fétiche.
Comme
actes offensant la moralité publique et, par conséquent, tombant sous
le coup de la loi, on peut encore ajouter aux précédents les cas
d'outrages à des statues dont Moreau (op. cit.) a recueilli toute une
série, dans les temps antiques et modernes. Malheureusement il ne sont
rapportés que dans des récits ayant trop le caractère anecdotique pour
pouvoir être analysés et jugés avec certitude. Ils produisent toujours
l'impression de faits de nature pathologique. Ainsi, par exemple,
l'histoire de ce jeune homme (racontée par Lucianus et saint Clément
d'Alexandrie) qui se servait d'une Vénus de Praxitèle pour assouvir ses
désirs; ensuite le cas de Clisyphus qui, au temple de Samos, a souillé
la statue d'une déesse après avoir apposé un morceau de viande à un
certain endroit de cette oeuvre sculpturale.
À une époque plus
récente, le journal l'Évènement du 4 mars 1877 publie l'histoire d'un
jardinier qui, étant tombé amoureux de la statue de la Vénus de Milo,
fut pris en flagrant délit au moment où il faisait des essais de coït
sur cette statue. Ces cas sont cependant en rapports étiologiques avec
un libido anormalement fort qui subsiste en même temps qu'une puissance
défectueuse ou bien un manque de courage ou d'occasions pour une
satisfaction sexuelle normale.
Il faut faire la même
supposition, en ce qui concerne les soi disant «voyeurs[108]»,
c'est-à-dire ces hommes qui sont assez cyniques pour chercher à voir
faire le coït afin de stimuler leur puissance, ou bien qui, à l'aspect
d'une femme excitée, sont pris d'orgasme et d'éjaculation.
[Note
108: Le docteur Moll désigne cette perversion par le nom de Mixoskopie
(mixi, = union sexuelle et skeptein, = regarder). Son hypothèse, qui la
rapproche du masochisme parce que peut-être le voyeur trouve un charme
à souffrir en voyant une femme en la possession d'un autre, ne me
paraît pas juste. D'autres détails à voir chez Moll, Inversion
sexuelle, édit. française, Carré, éditeur, Paris.]
En ce qui
concerne ce genre d'aberration morale que nous ne voulons pas ici
traiter plus amplement, pour diverses raisons, il suffirait de renvoyer
au livre de Coffignon: La Corruption à Paris. Les révélations faites
dans ce livre sur le domaine de la perversité et aussi de la perversion
sexuelle, sont de nature à inspirer de l'horreur.
2. VIOL ET ASSASSINAT PAR VOLUPTÉ.
Code autrichien § 125, 127; Projet de Code autrichien § 192; Code allemand § 117.
Le
législateur entend par viol le fait qu'une personne adulte est forcée à
subir le coït devant une menace dangereuse, ou par un acte de violence,
ou quand elle est mise hors d'état de se défendre, ou qu'elle a perdu
conscience d'elle-même, et enfin, le coït hors du mariage entrepris sur
une fille au-dessous de dix-sept ans. Pour que le viol ait lieu, il
faut au moins la conjunctio membrorum (Schütze). À notre époque, le
viol commis sur des enfants est d'une fréquence surprenante. Hoffmann
(Geri. Med., I., p. 188) et Tardieu (Attentats) rapportent des cas
épouvantables.
Le dernier constate le fait que, dans la période
de 1851 à 1875, on a jugé en France 22,017 délits de viol dont 17,657
avaient été commis sur des enfants.
Le crime de viol suppose un
penchant sexuel, temporairement très puissamment excité, soit par
l'alcool, soit par d'autres moyens. Il est fort improbable qu'un homme
sain au moral commette un crime d'une telle brutalité. Lombroso
(Goltdammers Archiv) croit que la majorité des violateurs sont des
dégénérés, ce qui est surtout le cas quand le viol a été commis sur des
enfants ou des vieilles femmes. Il prétend avoir trouvé des stigmates
de dégénérescence chez beaucoup d'hommes de cette catégorie.
En
effet, souvent le viol est un acte impulsif d'hommes tarés,
d'imbéciles[109] qui, selon les circonstances, ne respectent pas même
les liens consanguins de la plus proche parenté.
[Note 109: Annal. médico-psychol., 1819, p. 515; 1863. p. 57; 1867, p. 45; 1866. p. 253.]
On
peut supposer que des viols aient lieu au milieu d'un accès de folie
furieuse, par suite de satyriasis, ou par suite d'épilepsie; en effet
on a constaté déjà plusieurs crimes de viol commis dans une des
circonstances que nous venons d'énumérer.
Parfois l'acte du viol
est suivi d'égorgement de la victime[110]. Il peut alors s'agir d'un
homicide commis sans intention préalable ou d'un assassinat commis dans
le but de faire taire pour jamais le seul témoin de la forfaiture ou
enfin d'un assassinat par volupté. On devrait employer, pour ces
derniers cas seulement, le terme Lustmord (assassinat par volupté)[111].
[Note 110: Comparez les cas de Tardieu, Attentats, p. 182-192.]
[Note 111: Comparez Holtzendorff, Psychologie des Mords.]
Nous
avons déjà parlé dans ce livre des mobiles de l'assassinat commis par
volupté. Les exemples que nous avons cités à ce propos sont bien
caractéristiques par la façon de procéder de l'auteur. On peut toujours
soupçonner un assassinat par volupté dans le cas où l'on constate aux
parties génitales des lésions d'un tel caractère et d'une telle
dimension qu'elles ne peuvent pas être attribuées uniquement à la
brutalité de l'acte du coït même. Cette supposition est encore de
beaucoup plus fondée quand on trouve des plaies sur le corps, des
parties du corps (intestins, parties génitales) arrachées, ou quand
celles-ci manquent et qu'elles ont été enlevées par le violateur.
L'assassin par volupté, qui commet son acte dans des conditions psychopathiques, n'a vraisemblablement jamais de complices.
OBSERVATION
182. (Imbécillité. Épilepsie. Tentative de viol. Mort de la
victime)[112].--Le 27 mai 1888, au soir, le petit Blaise, garçon de
huit ans, jouait avec d'autres enfants près du village de S... Un homme
inconnu arriva par la chaussée et attira l'enfant dans le bois.
[Note 112: Tardieu, Attentats, Observation L1, p. 188.]
Le
lendemain on trouva dans une ravine le cadavre du garçon, le ventre
ouvert, une large blessure du côté du coeur et deux blessures par coups
de couteau dans le cou.
On supposa un assassinat par volupté; un
homme du signalement de l'assassin du petit garçon avait déjà, le 21
mai, essayé de traiter de la même façon une fille de six ans, et il
n'en fut empêché que par l'effet du hasard.
Il fut constaté que
le cadavre avait été trouvé dans une position accroupie et n'ayant
comme vêtement que la chemise et un gilet de flanelle: on a trouvé une
longue incision sur le scrotum.
Les soupçons d'assassinat
portèrent sur le valet de ferme E..., mais à la confrontation les
enfants n'ont pu démontrer son identité avec l'inconnu qui avait attiré
le garçon dans le bois. De plus, avec l'aide de sa soeur, E... établit
un alibi.
La gendarmerie, infatigable, réussit cependant à recueillir de nouveaux indices et enfin E... fit des aveux complets.
Il
avait attiré la fillette dans le bois, l'avait terrassée, lui avait
dénudé les parties génitales et avait voulu en abuser. Mais comme elle
avait la teigne et qu'elle criait beaucoup, il avait perdu l'envie de
commettre son acte et s'était enfui.
Après avoir attiré le
garçon dans le bois sous prétexte de prendre des nids d'oiseaux, il eut
une envie subite d'abuser de lui. Mais comme l'enfant refusait de
défaire son pantalon, il le lui avait enlevé de force, et comme il
criait, il lui avait donné deux coups de couteau dans la gorge. Il
avait alors fait une incision sur le pubis pour avoir un semblant de
parties génitales féminines et pour assouvir son désir par cette fente.
Mais le corps étant devenu tout de suite froid, il avait perdu l'envie
de commettre l'acte, il s'était empressé de laver ses mains et son
couteau et de prendre la fuite.
En voyant le garçon mort, il avait pris peur et son membre était tout de suite devenu flasque.
Pendant
son interrogatoire E... jouait avec son chapelet, comme si l'affaire ne
le regardait pas. Il a agi par faiblesse mentale. Il ne peut pas
comprendre, ajoute-t-il, comment il a pu commettre une pareille action.
C'est peut-être dans le sang, car souvent il devient abruti à en tomber
par terre. Ses anciens maîtres affirment qu'il avait des moments où il
était comme en absence d'esprit, récalcitrant, qu'alors il ne
travaillait pas pendant des journées et qu'il fuyait la société des
hommes.
Son père dépose que E... apprenait difficilement à
l'école, qu'il était maladroit au travail et souvent si hébété qu'on
n'osait pas le punir. Alors il ne mangeait rien, quittait à l'occasion
la maison et restait absent pendant plusieurs jours.
Dans ces
périodes, il paraissait tout à fait absorbé par ses pensées, faisait
des grimaces singulières et tenait des propos incohérents.
Étant
jeune homme, il pissait encore au lit, et lorsqu'il fréquentait l'école
il est souvent revenu de la classe avec ses vêtements mouillés ou
souillés. Son sommeil était très agité, de sorte qu'on ne pouvait pas
dormir à côté de lui. Il n'a jamais eu de camarades; il n'a jamais été
ni cruel, ni méchant, ni immoral.
La mère fait une déposition
analogue; elle dit encore que E... eut à l'âge de cinq ans, pour la
première fois, des convulsions et qu'il perdit la parole pendant sept
jours. À l'âge de sept ans environ il a eu pendant quarante jours des
accès de convulsions et a été aussi hydropique. Plus tard encore il
avait souvent pendant son sommeil des mouvements convulsifs; il parlait
pendant son sommeil et quelquefois après de pareilles nuits on trouvait
le matin le lit tout mouillé.
Parfois on ne pouvait rien obtenir
de ce garçon. Comme la mère ne savait pas si c'était à cause de sa
méchanceté ou par maladie, elle n'osait pas le punir.
Depuis ses
accès convulsifs à l'âge de sept ans, il avait tellement rétrogradé
intellectuellement, qu'il ne put même pas apprendre les prières
ordinaires; de plus il est devenu d'un caractère très emporté.
Les
voisins, les autorités de la commune, les maîtres d'écoles, confirment
que E... était un homme faible d'esprit, emporté, parfois très bizarre,
et se trouvant naturellement dans un état d'exception psychique.
Voici
ce qui ressort de l'examen des médecins légistes. E... est grand,
svelte, maigre, son crâne a une circonférence d'à peine 53 centimètres;
il est rhombiquement déformé et la partie postérieure est abrupte.
L'air
est inintelligent, le regard fixe, sans expression, le maintien du
corps négligé, penché en avant; les mouvements sont lents et lourds.
Les parties génitales sont normalement développées. Tout l'extérieur de
E... indique la torpeur et la débilité mentale.
Pas de stigmates
de dégénérescence, ni anomalie des organes végétatifs, pas de troubles
du côté de la motilité ni de la sensibilité. E... est né d'une famille
tout à fait saine. Il ne se rappelle pas avoir eu des convulsions dans
son enfance ni avoir mouillé son lit la nuit, mais il raconte que ces
années dernières il a eu des accès de vertige et de «lourdeur» dans la
tête.
De prime abord il nie carrément son assassinat. Plus tard
il avoue tout avec un grand repentir et expose clairement devant le
juge d'instruction les mobiles de son crime. Jamais auparavant une
pareille idée ne lui était venue.
E... s'est adonné depuis des
années à l'onanisme. Il le pratiquait jusqu'à deux fois par jour. Il
prétend que par manque de courage il n'a jamais osé demander le coït à
une femme, bien que, dans ses rêves érotiques, c'étaient toujours des
scènes avec des femmes qui planaient devant son imagination. Ni dans
ses rêves ni à l'état de veille il n'a jamais eu de tendances perverses
et en particulier pas d'idées d'inversion sexuelle ni de sadisme. La
vue de l'abatage des animaux ne l'aurait jamais intéressé non plus.
Quand il attira la fille dans le bois, il a, sans doute, voulu assouvir
son désir; mais il ne saurait pas expliquer comment il a pu en arriver
à s'attaquer au petit garçon. Il a dû être alors hors de lui-même. La
nuit qui suivit l'assassinat, il n'a pu dormir de peur; aussi a-t-il
déjà deux fois confessé son crime pour apaiser ses remords. Il ne
craint que d'être pendu. Il prie qu'on lui épargne seulement ce genre
de châtiment, puisqu'il n'a agi que par débilité d'esprit.
Il ne
saurait dire pourquoi il a ouvert le ventre du garçon. Il n'a pas eu
l'idée de fouiller dans les entrailles, ni de les renifler, etc. Il
prétend que le lendemain de son attentat sur la fille et la nuit qui
suivit l'assassinat du garçon, il avait eu son accès de convulsions. Au
moment de ses actes, il avait pleine conscience, mais il n'a pas
réfléchi à ce qu'il faisait.
Il souffre beaucoup de maux de
tête, ne supporte pas la chaleur, ni la soif, ni les boissons
alcooliques; il a des heures où sa tête est tout à fait troublée.
L'examen de ses facultés intellectuelles fait constater un degré très
avancé d'imbécillité.
Le rapport médico-légal (Dr Kautzner, à
Gratz) montre l'imbécillité et la névrose épileptique de l'accusé et
admet comme vraisemblable que ses crimes dont il n'a d'ailleurs qu'un
souvenir sommaire, ont été commis dans un état d'exception psychique,
préépileptique, occasionné par la névrose. En tout cas, E... est un
danger pour la sécurité publique et il a besoin d'être interné
probablement à perpétuité dans un asile d'aliénés.
OBSERVATION
183.[113] (Viol commis par un idiot sur une petite fille. Mort de la
victime).--Le soir du 3 septembre 1889, Anna, petite fille d'ouvriers,
âgée de dix ans, alla à l'église du village éloignée de trois quarts
d'heure de marche de sa demeure, elle n'en revint pas. Le lendemain on
trouva son cadavre à cinquante pas de la chaussée, dans un bosquet; la
face était tournée vers le sol, la bouche était bouchée avec de la
mousse; à l'anus il y avait trace de viol.
[Note 113: Comparez le rapport médical complet de ce cas dans Friedreichs Blætter, fascicule 6.]
Les
soupçons se portèrent sur le journalier K..., âgé de dix-sept ans, car
celui-ci avait déjà, le 3 septembre, essayé d'attirer l'enfant dans le
bois comme elle rentrait de l'église.
K..., mis en état
d'arrestation, nie d'abord, mais bientôt après il fait des aveux
complets. Il avait tué l'enfant en l'étouffant et, quand elle ne
«remua» plus, actum sodomiticum in ano infantis perpetravit.
Pendant
la première enquête judiciaire, personne n'avait soulevé la question de
savoir quel était l'état mental de ce criminel monstrueux; la demande
de l'avocat auquel la défense avait été confiée d'office peu de temps
avant les débats judiciaires, que l'état mental de l'accusé fût soumis
à un examen médical, avait été repoussée «parce qu'il n'y avait dans le
dossier aucun fait mentionné qui pût faire supposer un trouble
cérébral».
Par hasard le vaillant avocat réussit à faire
constater que l'aïeul et la tante du côté paternel de l'accusé étaient
des aliénés; que son père était depuis son enfance un buveur
d'eau-de-vie et estropié d'un côté. Le défenseur a pu faire confirmer
ces faits au cours de la séance publique.
Ces constatations
n'eurent pas d'effet non plus. Enfin l'avocat décida le médecin légiste
à proposer qu'on envoyât K... pour six semaines dans une maison de
santé pour y être observé.
Le rapport des médecins aliénistes de l'asile présenta K... comme un idiot qu'on ne pouvait pas rendre responsable de son acte.
Il
paraissait indifférent, abruti, apathique; il avait oublié presque tout
ce qu'il avait appris à l'école: il ne manifestait jamais dans ses
paroles ou dans ses gestes le moindre mouvement de pitié, de repentir,
de honte, d'espoir ou de crainte pour l'avenir. Sa figure était
immobile comme un masque.
Le crâne est tout à fait anormal et a
la forme d'une boule: preuve que le cerveau était déjà malade dans la
période foetale ou du moins dans les premières années du développement.
Sur cet avis, K... a été interné pour toujours dans un asile d'aliénés.
Grâce
à un brave avocat et à son sentiment infatigable du devoir, la
magistrature a pu dans ce cas éviter de commettre un assassinat
judiciaire, et la société humaine a pu sauver son honneur.
OBSERVATION
184 (Assassinat par volupté. Imbécillité morale).--Homme d'un âge
moyen, né en Algérie, prétendant descendre de race arabe. Il servit
quelques années dans les troupes coloniales, voyagea ensuite comme
matelot entre l'Algérie et le Brésil et est parti plus tard pour
l'Amérique du Nord, attiré par l'espoir d'y pouvoir plus facilement
gagner sa vie. Il était connu dans son entourage comme un homme
paresseux, lâche et brutal. Il a été plusieurs fois condamné pour
vagabondage; on disait que c'était un voleur du plus bas étage, qu'il
se promenait avec des femmes de la plus vile espèce et qu'il faisait
cause commune avec elles. On connaissait aussi ses rapports sexuels
pervers et ses pratiques dans ce sens. Il avait à plusieurs reprises
mordu et battu des femmes avec lesquelles il avait eu des rapports
sexuels. D'après son signalement, on croyait tenir en sa personne cet
inconnu qui, pendant la nuit, effrayait dans la rue les femmes en les
enlaçant de ses bras et en les embrassant et qu'on désignait sous le
nom de Jack the Kisser (Jacques l'embrasseur).
Il était de haute
taille (plus de 6 pieds), un peu voûté. Le front bas, les pommettes
très saillantes, les mâchoires massives, les yeux petits, rapprochés
l'un de l'autre, rouges; le regard perçant, de grands pieds, des mains
comme des serres d'oiseau de proie; en marchant il lançait les pieds.
Ses bras et ses mains étaient couverts du nombreux tatouages, entre
autres l'image coloriée d'une femme autour de laquelle se trouvait
inscrit le nom de «Fatima», fait digne d'être remarqué, car, chez les
Arabes des troupes algériennes, le tatouage d'un portrait de femme est
une marque de déshonneur, et les prostituées de ce pays ont une croix
tatouée sur le corps. Son extérieur faisait l'impression d'un être
d'une intelligence très inférieure.
N... fut convaincu d'avoir
assassiné une femme d'un âge mûr avec laquelle il avait passé la nuit.
Le cadavre avait plusieurs blessures, remarquables par leur longueur;
le ventre était ouvert, des morceaux de boyaux coupés, de même qu'un
ovaire; d'autres parties se trouvaient éparses autour du cadavre.
Plusieurs des blessures avaient la forme d'une croix, et une celle d'un
croissant. L'assassin avait étranglé sa victime. N... nie l'assassinat
de même que tout penchant à de pareils actes. (Dr Mac-Donald, Clark
University Mass.)
3. COUPS ET BLESSURES, DÉTÉRIORATION D'OBJETS, MAUVAIS TRAITEMENTS SUR DES ANIMAUX, PAR SUITE DE SADISME.
Autriche,
§ 152, 411; Allemagne, § 223; Autriche, § 85, 468; Allemagne, § 303;
Ordonnance de police autrichienne; Allemagne, Code pénal, § 300;
mauvais traitements sur les animaux.
À côté de l'assassinat par
volupté, que nous avons traité dans le chapitre précédent, on rencontre
aussi des manifestations plus atténuées des penchants sadistes, telles
que les piqûres jusqu'au sang, la flagellation, la souillure des
femmes, la flagellation des garçons, les mauvais traitements sur des
animaux, etc. La signification lourdement dégénérative de ces cas
ressort clairement des observations analysées dans le chapitre de la
pathologie générale de ce livre. Les dégénérés intellectuels de ce
genre, s'ils sont incapables de dompter leurs envies perverses, ne
peuvent être que l'objet d'un internement dans un asile d'aliénés.
OBSERVATION
185.--X..., vingt-quatre ans, parents sains, deux frères morts de la
tuberculose, une soeur souffre de crises périodiques. À l'âge de huit
ans, X... éprouvait déjà une singulière sensation de volupté avec
érection toutes les fois qu'à l'école il pressait son abdomen contre le
banc.
Il se procura souvent ce plaisir. Plus tard masturbation
mutuelle avec un camarade d'école. La première éjaculation a eu lieu à
l'âge de treize ans. Au premier essai de coït qu'il fit à l'âge de
dix-huit ans, il fut impuissant. Il continue l'auto-masturbation; il
est atteint d'une neurasthénie grave, après la lecture d'un ouvrage
populaire qui décrivait les suites funestes de l'onanisme. Il
s'améliore par l'hydrothérapie. En renouvelant un essai de coït, il est
de nouveau impuissant. Retour à la masturbation. Celle-ci échoue avec
le temps. Alors X... saisit des oiseaux vivants par le bec et les agite
en l'air. L'aspect de l'animal torturé produit l'érection tant désirée.
Aussitôt que l'animal touche avec la pointe de ses ailes le pénis, il y
a éjaculation avec grande volupté. (Dr Wuchholtz, Friedreichs Blætter
f. ger. Med., 1892, fasc. 6, p. 136.)
OBSERVATION 186 (Sadisme
commis sur des garçons et des filles par un idiot moral).--K...
quatorze ans et cinq mois, tue un petit garçon d'une manière cruelle.
L'enquête constate, outre deux cas d'homicide, une série de sept cas
dans lesquels K... a cruellement torturé des petits garçons. Tous ces
enfants avaient entre sept et dix ans. K... les attirait dans un
endroit désert, les déshabillait complètement, leur liait les mains et
les pieds, les attachait solidement à un objet quelconque, leur
bâillonnait la bouche avec un mouchoir et les battait avec un bâton,
une courroie ou un bout de corde, en donnant des coups mesurés,
laissant des intervalles d'une minute entre chaque coup et «souriant»
pendant ce temps, sans prononcer une seule parole. Il força en le
menaçant de mort un de ces garçons de dire deux fois le Pater noster,
de jurer de garder le silence et ensuite de répéter des blasphèmes
qu'il lui dictait. Dans un autre fait, qui a eu lieu plus tard, il
donne des coups d'épingle à la joue du garçon, joue avec les parties
génitales de cet enfant et lui fait aussi des piqûres dans cet endroit
du corps et autour; il le fait coucher sur le ventre, piétine sur lui,
le pique et le mord aux nates. Un autre garçon est mordu au nez, et
reçoit plusieurs coups de couteau. La huitième de ses victimes est une
petite fille qu'il attire dans le magasin de sa mère. Là il l'assaille
par derrière, lui ferme la bouche d'une main tandis que de l'autre il
lui coupe la gorge.
On retrouve le cadavre dans un coin, couvert
de cendres et de fumier; la tête est séparée du corps, la chair
détachée des os, le corps couvert de nombreuses blessures et
d'incisions. La plus grande incision, blessure béante, se trouve du
côté intérieur de la cuisse gauche, traversant les parties génitales
jusqu'à la cavité du ventre. Une autre incision s'étend de la fosse
iliaque en sens oblique à travers l'abdomen. Les vêtements et le linge
sont coupés en morceaux et déchirés.
Le cadavre de la neuvième
victime avait la gorge coupée, le sang avait coulé des yeux, le coeur
était transpercé de coups nombreux. Nombre de coups de couteau avaient
pénétré dans la cavité du ventre. Le scrotum était ouvert, les
testicules étaient coupés de même que le pénis.
K... avait
attiré le garçon de la même manière que la fille; il lui avait coupé
d'abord la gorge et ensuite porté les coups de couteau.
K...,
sur les antécédents duquel on n'a aucun renseignement, fut gravement
malade pendant toute la première année de sa vie; il était alors maigre
comme un squelette. Dans la deuxième année de sa vie, il se remit peu à
peu, sauf qu'il se plaignait souvent de maux de tête et d'yeux, de
vertiges; il aurait été bien portant jusqu'à l'âge de onze ans, alors
il eut une «maladie grave» avec délire. Parfois, les maux de tête le
prenaient subitement, de telle sorte qu'il interrompait brusquement ses
jeux, et qu'il n'y pouvait retourner qu'après un certain laps de temps.
Quand on l'interrogeait dans ces moments, il ne répondait qu'à voix
basse et lente: «Oh, ma tête! ma tête!»
C'était un enfant
indocile, peu obéissant et réfractaire à toute éducation. Il montrait
des changements brusques dans son état d'esprit, ses désirs et ses
idées. À l'âge de trois ans, on le surprit un jour, au moment où il
torturait, à coups de couteau un petit poulet. Il raconte des fables
avec l'air d'une véracité parfaite. À l'école il dérange les autres,
fait des grimaces, murmure sans cesse, est récalcitrant et manque de
respect au maître. Il considère toute correction comme une injustice.
Mis à l'école de correction, il se tient à l'écart des autres élèves,
s'occupe de lui-même, est méfiant, détesté par ses camarades, n'a pas
d'amis. Ses facultés intellectuelles sont bonnes; on convient qu'il a
une intelligence claire, de la perspicacité et une bonne mémoire. Au
point de vue éthique, cependant, il se montre très défectueux. Il ne
manifeste pas la moindre douleur, ni le moindre repentir de ses actes;
il n'a aucune conscience de la responsabilité. Pour sa mère seule, il a
quelque chose comme une velléité de tendresse. Il n'attache aucune
importance particulière à ses crimes. Il pèse froidement ses chances et
se dit qu'on ne pourra pas le condamner à mort puisqu'il n'a que
quatorze ans; il sait que jusqu'ici ce n'est pas l'usage de pendre des
garçons de quatorze ans, et, ajoute-t-il, ce n'est pas avec lui qu'on
commencera à rompre avec la tradition. Quant au mobile de ses actes on
ne peut obtenir aucune explication de K... Une fois, il prétend qu'à la
suite de la lecture de récits sur les tortures que les prisonniers des
Peaux-Rouges avaient à subir, il s'enquit de ces cruautés et fut poussé
à les imiter. Il avait même, pour cette raison, voulu un jour s'enfuir
et aller chez les Indiens de l'Amérique. Quand il se désignait une
victime il avait toujours l'imagination remplie de scènes et d'actes de
cruauté.
Le matin de ces jours-là, il s'était toujours réveillé avec du vertige et la tête lourde, et cela durait toute la journée.
Comme
anomalies physiques, il n'y a que le volume considérable du pénis et
des testicules. Le mons Veneris montre un système pileux complet;
toutes les parties génitales ont les proportions et le développement de
celles d'un homme adulte. On ne peut trouver des symptômes indiquant
l'existence de l'épilepsie. (Dr Mac-Donald, Clark University Mass.)
OBSERVATION
187 (Assassinat par sadisme).--Homme marié, âgé de trente ans à
l'époque de son dernier crime, c'est-à-dire au moment de la découverte.
Il avait attiré une fille dans un clocher de l'église dont il était
sacristain et l'y avait tuée. Devant les preuves et les indices, il
avoua avoir commis encore un autre assassinat, analogue à celui-ci.
Les
deux cadavres avaient de nombreuses blessures sur les parties molles de
la tête, blessures causées par un instrument contondant, des
enfoncements des os du crâne, des effusions de sang sous la dure-mère
et dans le cerveau. Les deux cadavres n'avaient pas de blessures sur
les autres parties du corps; les parties génitales particulièrement
étaient intactes.
Sur le linge du criminel, qui a été arrêté
bientôt après le crime, on a trouvé des taches de sperme. On décrit
L... comme ayant un extérieur sympathique; il est brun, imberbe. On n'a
aucun renseignement sur ses conditions héréditaires, ni sur ses
antécédents, ni sur sa vita sexualis ante acta, etc.
Il donne comme mobile: «volupté de la forme la plus cruelle et la plus abominable.» (Dr Mac-Donald, Clark University Mass.)
4. MASOCHISME ET SERVITUDE SEXUELLE.
Le
masochisme[114] aussi, peut, dans certaines circonstances, avoir une
portée médico-légale, car le droit criminel moderne ne reconnaît plus
le principe du volenti non fit injuria et le Code pénal autrichien,
actuellement en vigueur, dit expressément dans son article 4: «Des
délits sont commis aussi sur des personnes qui demandent elles-mêmes à
être endommagées par l'acte du délit.»
[Note 114: Ainsi que le
fait remarquer Herbst (Handb. des oesterr. Strafrechts, Vienne 1878, p.
72), il y a pourtant des délits qui n'existent qu'à défaut du
consentement de l'endommagé et qui, par conséquent, n'existent pas dans
le cas où la personne qui paraît comme la partie lésée a consenti à
l'acte, par exemple, à un vol, au viol.
Herbst range aussi dans la catégorie de ces actes la restriction de la liberté personnelle.
Dans
ces derniers temps il s'est produit un changement important dans la
façon d'envisager ce point. Le Code pénal allemand considère pour le
cas d'homicide le consentement de la victime comme un fait si important
qu'il inflige à la suite de cette circonstance une peine beaucoup plus
atténuée (art. 216). De même le projet du Code pénal autrichien (§
222). On a songé à ce propos aux doubles suicides des couples amoureux.
Pour les coups et les blessures, ainsi que pour les séquestrations, le
consentement de la personne lésée devra trouver chez le magistrat des
égards analogues. Pour juger de la vraisemblance d'un pareil
consentement qu'on pourrait invoquer, la connaissance du masochisme est
en tout cas d'une certaine importance.]
Au point de vue
psychologique et médico-légal les faits de servitude sexuelle offrent
un intérêt beaucoup plus grand. Quand la sexualité est trop puissante,
éventuellement captivée par un charme fétichiste et que la force morale
de résistance est minime, une femme rancunière ou rapace, au pouvoir de
laquelle l'homme est tombé par passion amoureuse, peut pousser son
amant aux crimes les plus graves. Le cas suivant en est un exemple
digne d'être retenu.
OBSERVATION 188 (Assassinat de sa propre
famille par servitude sexuelle).--N..., fabricant de savons à Catane,
âgé de trente-quatre ans, autrefois de bonne réputation, a, dans la
nuit du 21 décembre 1886, tué à coups de poignard sa femme, qui dormait
à côté de lui, et étranglé ses deux filles, dont l'aînée avait sept ans
et la cadette six semaines. N... nia d'abord, et essaya de détourner
les soupçons sur un autre; ensuite il fit des aveux complets et pria
les magistrats de le faire exécuter.
N..., issu d'une famille
tout à fait saine, autrefois bien portant, négociant respecté et très
capable, vivant en bon ménage, se trouvait, depuis des années, sous
l'influence fascinatrice d'une maîtresse qui savait l'attirer à elle,
et qui le dominait entièrement.
Il a pu tenir secrets ces rapports et devant le monde et devant sa femme.
En
provoquant sa jalousie et en lui déclarant qu'il ne pourrait conserver
la possession de ses faveurs qu'en l'épousant, ce monstre de femme a su
pousser son amant, faible de caractère et fou d'amour, à assassiner son
épouse et ses enfants. Après l'acte, N... força son petit neveu à le
ligotter comme si lui-même avait été victime des assassins, et il
imposa le silence au petit garçon en le menaçant de le tuer. Quand les
gens arrivèrent, il joua le rôle d'un père de famille malheureux et
victime d'un guet-apens.
Après ses aveux, il manifesta un
profond repentir. Pendant les deux années de l'instruction judiciaire
et à l'audience publique, N... ne présenta jamais de symptômes de
troubles mentaux.
Il ne pouvait s'expliquer que par une sorte de
fascination sa passion folle pour la catin en question. Il n'a jamais
eu à se plaindre de sa femme. On ne trouva aucune trace d'un instinct
génital anormalement fort, ni d'une tendance perverse chez ce criminel
passionnel et exceptionnel. Son repentir et sa mortification prouvaient
qu'il n'était pas non plus défectueux moralement. Preuve de facultés
mentales intactes. Exclusion de toute impulsion irrésistible.
(Mandalari, Il Morgagni, 1890, février.)
Il va de soi que la
responsabilité, dans ce cas horrible et dans beaucoup d'autres
analogues, ne peut pas être contestée. Dans l'ordre actuel des choses,
l'analyse plus subtile des motifs d'un acte est hors de la portée des
profanes et les juristes se tiennent systématiquement à l'écart de
toute psychologie en raison d'un formalisme logique. Il n'y a pas lieu
de supposer que la servitude sexuelle soit appréciée par des magistrats
et des jurés, d'autant moins que dans ce cas le mobile de l'acte
criminel n'est pas de nature morbide et que l'intensité d'un mobile en
elle-même ne saurait être prise en considération.
Toutefois on
devrait, dans de pareils cas, examiner et peser s'il y a encore
sensibilité aux contre-motifs moraux ou si cet élément a été éliminé,
ce qui indiquerait un déséquilibrement de l'état psychique.
Sans
doute, dans ces cas, il s'est produit une sorte de faiblesse morale
acquise qui influe sur la responsabilité. Dans les délits
d'instigation, la servitude sexuelle devrait toujours être comptée
comme une raison pour l'admission des circonstances atténuantes.
5. COUPS ET BLESSURES, VOL À MAIN ARMÉE, VOL PAR FÉTICHISME.
Autriche, § 190; Allemagne, § 219 (vol à main armée); Autriche, § 171 et 460; Allemagne, § 212 (vol).
Il
ressort du chapitre de pathologie générale qui est consacré au
fétichisme, que le fétichisme pathologique peut devenir quelquefois la
cause de délits. Jusqu'ici on connaît, comme délits de ce genre: le
fait de couper les nattes de cheveux (observations 78, 79, 80); le vol
à main armée ou le simple vol de linges de femmes, mouchoirs, tabliers
(observations 82, 83, 85, 86), souliers de femmes (observations 67, 87,
88), étoffes de soie (observation 93). Il n'y a pas à douter que les
auteurs de ces actes soient psychiquement tarés. Mais pour pouvoir
admettre le manque de libre arbitre et, par conséquent,
l'irresponsabilité, il est absolument nécessaire de fournir la preuve
qu'il y a une contrainte irrésistible soit dans le sens d'un acte
impulsif, soit par une débilité d'esprit qui a mis l'individu dans
l'impossibilité de dompter son penchant pervers et criminel.
Toutefois,
ces délits, ainsi que la forme singulière de leur exécution qui diffère
sensiblement d'un vulgaire vol ou vol à main armée, exigent une enquête
médico-légale. D'autre part, ils n'ont pas toujours pour cause
originaire des circonstances psycho-pathologiques, ainsi que nous le
montrent les cas très rares où le coupeur de nattes[115] est poussé
uniquement par l'âpreté au gain.
[Note 115: D'après le droit
autrichien, ce délit pourrait être qualifié de blessure légère et
tomber sous le coup du § 411; d'après le droit criminel allemand, il y
a dans ce cas coups et blessures. (Comparez Liszt, p. 325.)]
OBSERVATION
189 (Fétichisme du mouchoir. Vols continuels de mouchoirs de
femmes).--D..., quarante-deux ans, valet de ferme, célibataire, a été
envoyé par les autorités, le 1er mars 1892, à l'asile du district de
Deggendorff (Bavière) pour que son état mental y soit soumis à
l'observation médicale.
D... est un homme de grande taille, 1
m,62, fort et gras. Le crâne est sub-microcéphale, l'expression de la
figure fate. L'expression des yeux est névropathique. Les organes
génitaux sont tout à fait normaux. Sauf un degré modéré de neurasthénie
et d'accentuation du réflexe patellaire, on ne trouve rien d'anormal
physiquement du côté du système nerveux.
En 1878, D... a été
pour la première fois condamné par la Cour d'assises de Straubing à une
peine d'un an et demi de prison pour avoir volé des mouchoirs.
En 1880, il vola dans la cour d'une ferme le mouchoir d'une marchande de volailles; il fut condamné à quinze jours de prison.
En
1882, il essaya, sur la route publique, d'arracher à une fille de
paysan le mouchoir que celle-ci tenait à la main. Accusé d'acte de
brigandage il fut acquitté sur l'avis du médecin légiste, qui constata
une débilité mentale d'un degré très avancé et un trouble morbide des
fonctions intellectuelles tempore delicti.
En 1884, la Cour
d'assises le condamna à quatre ans de prison pour vol d'un mouchoir
commis avec violence et dans les mêmes circonstances que le délit
précédent.
En 1888 il tira, dans un marché public, un mouchoir de la poche d'une femme. Il fut condamné à quatre mois de prison.
En 1889 il fut condamné pour un délit de ce genre à neuf mois de prison.
En
1891, idem, dix mois. Pour le reste, la liste de ses condamnations fait
mention encore de quelques contraventions et détentions pour port
d'armes prohibées et pour vagabondage.
Tous les vols de
mouchoirs avaient été sans exception commis au détriment de jeunes
femmes ou de filles et, dans la plupart des cas, en plein jour, en
présence d'autres personnes, et avec tant de maladresse et si peu de
ménagement que le voleur fut toujours immédiatement pris et arrêté.
Nulle part, dans les dossiers, on ne trouve d'indice que D... aurait
jamais volé d'autres objets, même les plus insignifiants.
Le 9
décembre 1891, D... venait une fois de plus de sortir de prison. Le 14,
il fut pris en flagrant délit, au moment où, dans la bousculade d'une
foire, il tirait un mouchoir de la poche d'une fille de paysans.
Il fut arrêté sur place et l'on trouva sur lui encore deux mouchoirs blancs de femmes.
Lors
de ses arrestations précédentes, on avait aussi trouvé sur D... des
collections de mouchoirs de femmes. En 1880, on en a trouvé 32; en
1882, on en a trouvé 17; il en portait 9 autour du corps; une autre
fois 25. Lors de son arrestation en 1891, on a trouvé en le fouillant
et en visitant son corps 7 mouchoirs blancs.
Dans ses
interrogatoires, D... invoquait toujours comme mobile de ses vols qu'il
se trouvait dans un état d'ébriété prononcée, et qu'il n'avait voulu
faire qu'une plaisanterie.
Quant aux mouchoirs qu'on trouva sur
lui, il prétendit les avoir en partie achetés, en partie troqués contre
d'autres objets, ou les avoir reçus en cadeau des filles avec
lesquelles il avait eu des rapports.
Pendant la période
d'observation D... paraît intellectuellement très borné, en même temps
qu'il y a chez lui une déchéance due au vagabondage, à l'ivrognerie et
à la masturbation: mais au fond il est de bon caractère, docile et pas
du tout réfractaire au travail.
Il ne sait rien de ses parents;
il a grandi sans aucune éducation ni aucune surveillance; étant enfant,
il subvenait à sa vie en mendiant; à l'âge de treize ans, il est devenu
valet d'écurie et, à l'âge de quatorze ans, on abusa de lui pour des
actes de pédérastie. Il affirme avoir senti son instinct génital très
tôt et d'une manière puissante; il a commencé très tôt à faire le coït
et il pratiquait en outre la masturbation. À l'âge de quinze ans, un
cocher lui apprit qu'on pourrait se procurer un grand plaisir avec des
mouchoirs de jeunes femmes en se les appliquant ad genitalia. Il essaya
et trouva que le dire du cocher s'était pleinement confirmé; à partir
de ce moment il essaya par tous les moyens de se procurer de ces
mouchoirs. Son penchant devenait si puissant qu'aussitôt qu'il
apercevait une femme qui lui était sympathique et qui tenait un
mouchoir à la main ou assez visiblement dans sa poche, il était, en
sentant une violente émotion sexuelle, saisi par l'impulsion de se
presser contre cette personne et de lui voler son mouchoir.
À
jeun il lui était presque toujours possible de résister à ce penchant,
par la crainte d'encourir une condamnation. Mais, quand il avait bu, sa
force de résistance disparaissait. Déjà pendant son service militaire,
il s'était fait donner des mouchoirs par des jeunes filles ou des
femmes qui lui plaisaient et il les avait troqués contre d'autres après
s'en être servi pendant quelque temps.
Quand il passait la nuit
chez une fille, il échangeait toujours son mouchoir avec elle. À
plusieurs reprises il avait acheté des mouchoirs pour les échanger chez
des femmes.
Tant que les mouchoirs étaient neufs et n'avaient
pas encore servi, ils ne produisaient sur lui aucun effet. Ils ne
l'excitaient sexuellement qu'après qu'ils avaient été portés par des
filles.
Il ressort du dossier de son procès que souvent, pour
mettre des mouchoirs neufs en contact avec des femmes, il en avait à
plusieurs reprises mis sur le chemin où des femmes devaient passer et
avait essayé de les forcer à marcher dessus. Une fois il assaillit une
fille, lui pressa son mouchoir sur le cou et se sauva ensuite.
Quand
il était en possession d'un mouchoir qui avait été touché par une
femme, il se produisait chez lui de l'érection et de l'orgasme. Il
passait alors le mouchoir ad corpus nudum, de préférence ad genitalia,
et obtenait alors une éjaculation satisfaisante.
Il n'a jamais
demandé le coït aux femmes; d'une part parce qu'il «craignait un refus,
mais surtout parce qu'il aimait mieux le mouchoir que la femme».
D...
ne fait ces aveux qu'avec beaucoup de réticences et par petits
morceaux. Plusieurs fois il se met à pleurer et déclare qu'il ne veut
pas continuer à parler, parce que cela le fait rougir. Ce n'est pas un
voleur; il n'a jamais volé, pas même pour la valeur d'un sou, même
quand il se trouvait dans la plus grande misère. Il n'a jamais pu se
décider à vendre les mouchoirs.
Il affirme avec un accent très
sincère et parti du coeur: «Je ne suis pas méchant garçon. Seulement
quand je fais de ces bêtises-là, je suis tout sens dessus dessous.»
L'excellent
rapport fait par l'administration de l'asile appuie sur le fait que les
délits ont été commis sous l'influence d'une impulsion morbide et
irrésistible qui repose sur la prédisposition anormale du sujet; il
constate aussi une débilité mentale peu prononcée. Acquittement sur
l'accusation de vol.
6. DÉBAUCHE AVEC DES INDIVIDUS AU-DESSOUS DE QUATORZE ANS. OUTRAGES (AUTRICHE).
Par
débauche (souillure, outrage) avec des individus non encore mûrs
sexuellement, le législateur comprend toutes sortes d'actes
d'impudicité commis sur des personnes au-dessous de quatorze ans, et
qu'on ne peut pas qualifier comme des viols. L'expression «débauche»,
dans le sens juridique du mot, réunit toutes les aberrations désolantes
et toutes les plus grandes abominations dont un homme embrasé par la
volupté, d'une morale faible et souvent aussi d'une puissance sexuelle
faible, est seul capable.
Un caractère commun à ces délits de
moeurs commis sur des individus qui appartiennent plus ou moins encore
à l'enfance, c'est leur manque de virilité, leur caractère de
friponnerie et souvent d'ineptie. En effet, à part les êtres
pathologiques, représentés par les imbéciles paralytiques, et les
individus tombés dans l'imbécillité sénile, ce genre de délits est
commis presque exclusivement par des gens très jeunes qui n'ont pas
encore confiance dans leur courage et leur puissance, ou par des
débauchés qui sont devenus plus ou moins impuissants. Il est absolument
inimaginable qu'un adulte, en pleine possession de sa puissance
sexuelle et de ses facultés mentales, puisse trouver plaisir à la
débauche avec des enfants.
L'imagination du débauché, dans la
mise en scène active ou passive des actes d'impudicité, est
excessivement féconde, et l'on peut se demander si, par l'énumération
suivante des actes parvenus jusqu'ici à la connaissance des hommes de
loi, on ait épuisé tous les cas possibles capables de se produire dans
ce domaine.
Dans la plupart des cas, l'impudicité consiste en
attouchements voluptueux (selon les circonstances, flagellation[116]),
manustupration active, entraînement des enfants à la débauche en se
servant d'eux pour la masturbation ou pour l'attouchement voluptueux.
[Note 116: Pour les cas précis, voir Friedreichs Blætter, f. ger. Anthropologie, 1859, III, p. 77.]
Parmi
les délits plus rares sont le cunnilingus, irrumare sur des garçons ou
des filles, pædicatio puellarum, coitus inter femora, exhibition.
Dans
un cas rapporté par Maschka (Handb., III, p. 174), un jeune homme fit
danser dans sa chambre des petites filles nues, de huit à douze ans, il
les fit sauter, uriner devant lui jusqu'à ce qu'il en eût de
l'éjaculation.
L'abus des garçons par des femmes voluptueuses
n'est pas rare non plus; ces femmes procèdent avec les enfants à une
conjunctio membrorum pour se satisfaire par la friction, ou bien elles
cherchent à se procurer de la satisfaction en se faisant masturber[117].
[Note
117: Les cas cités par Maschka, Handbuch, III, p. 175.--Caspers,
Vierteljahreschrift, 1852, t. 1.--Tardieu, Attentats aux moeurs.]
Un
des exemples les plus abominables a été observé par Tardieu. Des
servantes, d'accord avec leurs amants, ont masturbé des enfants qui
leur avaient été confiés, ont fait le cunnilingus avec une fille de
sept ans, lui ont introduit des carottes et des pommes de terre in
vaginam et aussi dans l'anus d'un garçon de deux ans.
OBSERVATION
190.--L..., soixante-deux ans, lourdement taré, masturbateur, prétend
n'avoir jamais fait le coït, mais avoir souvent pratiqué la fellatio.
Il est à l'asile d'aliénés pour paranoia. Son plus grand plaisir était
d'attirer chez lui des filles de dix à quatorze ans et de pratiquer sur
elles le cunnilingus et d'autres horreurs. Il éjaculait alors avec
orgasme.
La masturbation ne lui procurait pas une satisfaction
aussi grande et ne lui donnait de l'éjaculation que fort difficilement.
Faute de mieux il était aussi fellator virorum et occasionnellement
exhibitionniste. Phimosis. Crâne asymétrique. (Pélanda, Arch. di
Psichiatria, X, fascic. 3.)
OBSERVATION 191.--X..., prêtre,
quarante ans, fut accusé d'avoir attiré à lui des filles de dix à
treize ans, de les avoir déshabillées, d'avoir fait sur elles des
attouchements voluptueux et de s'être, après ces procédés, finalement
masturbé.
Il est taré, onaniste dès son enfance, imbécile
moralement; de tout temps il fut sexuellement très excitable. Le crâne
est un peu petit. Pénis d'une grandeur extraordinaire; symptômes
d'hypospadias. (Idem.)
OBSERVATION 192.--K..., vingt-trois ans,
joueur d'orgue de Barbarie, est accusé et convaincu d'avoir à plusieurs
reprises attiré des garçons, parfois aussi des petites filles, et
d'avoir, dans un lieu écarté, pratiqué avec ces enfants des actes
d'impudicité (masturbation mutuelle, fellatio puerorum, attouchements
des parties génitales des petites filles).
K... est un imbécile;
il est aussi rabougri au physique, il a à peine 1 m,5 de taille; crâne
rachitique, hydrocéphale, avec des dents écartées l'une de l'autre,
défectueuses, irrégulières.
Des lèvres épaisses, une mine
abêtie, un langage bègue, des attitudes maladroites complètent l'image
de la dégénérescence physique et intellectuelle. K... se comporte comme
un enfant qui a été surpris pour une gaminerie.
Barbe à peine perceptible. Parties génitales bien et normalement développées.
Il
a une idée vague d'avoir commis quelque chose d'inconvenant, mais il ne
se rend pas compte de la portée morale, sociale et judiciaire de ses
actes.
K... est né d'un père adonné à l'ivrognerie et d'une mère
qui est devenue folle par suite des mauvais traitements qu'elle dut
subir de la part de son mari; elle est morte à l'asile d'aliénés.
Dans
les premières années de sa vie, K... devint presque complètement
aveugle à la suite d'abcès de la cornée; à partir de l'âge de six ans,
il fut mis chez une femme subventionnée par l'Assistance publique;
devenu plus grand, il gagnait pauvrement sa vie comme joueur d'orgue de
Barbarie.
Son frère est un vaurien; lui-même passait pour un homme grincheux, querelleur, méchant, capricieux et irritable.
Le rapport releva particulièrement l'arrêt de développement intellectuel, moral et physique de l'inculpé.
Malheureusement,
il faut convenir que les plus abominables de ces délits de moeurs sont
précisément commis par des personnes saines d'esprit, qui, trop
rassasiées des plaisirs sexuels, ou par lubricité et brutalité, souvent
aussi pendant l'ivresse, oublient à ce point leur dignité d'hommes.
Mais
une grande partie de ces faits procèdent d'un fondement morbide. C'est
surtout le cas chez les vieillards[118] qui deviennent séducteurs de la
jeunesse.
[Note 118: Comparez Kirn, Allgem. Zeitschrift f. Psych., XXXIX, p. 47.]
Je
me rallie absolument à l'avis de Kirn qui, pour ces cas, croit dans
toute circonstance une exploratio mentalis nécessaire; car souvent on
peut établir le réveil d'un instinct génital pervers d'une violence
morbide et indomptable, réveil d'instinct qui peut être le phénomène
partiel d'une dementia senilis.
7. IMMORALITÉ CONTRE NATURE (SODOMIE[119]).
[Note
119: Je me conforme au langage généralement en usage, en traitant la
bestialité et la pédérastie sous la désignation commune de sodomie.
Dans la Genèse (chapitre XIX) où ce terme a pris son origine, il
désigne exclusivement le vice de pédérastie. Plus tard on a appliqué le
mot de sodomie au vice de bestialité. Les théologiens moralistes, comme
saint Alphonse de Ligori, Gury et autres, ont toujours judicieusement,
c'est-à-dire dans le sens de la Genèse, fait la distinction entre:
sodomia i. e. concubitus cum persona ajusdem sexus et bestialitas i. e.
concubitus cum bestia. (Comparez Olfers, Pastoralmedicin, p. 73.)
Les
Juristes ont porté la confusion dans la terminologie en admettant une
sodomia ratione sexus et une sodomia ratione generis. La science
devrait cependant ici se déclarer comme l'ancilla theologiæ, et revenir
à l'usage juste des termes.]
[Note
120: Pour notes historiques intéressantes, v. Krauss, Psych. des
Verbrechens, p. 130; Mashka, Hdb. III, p. 188; Hoffmann, Lehrb d. ger.
Med., p. 180; Rosenbaum, Die Lustseuche, 3e édition, 1842.]
La
bestialité, quelque monstrueuse et répugnante qu'elle puisse paraître à
tout homme honnête, ne tire pas toujours non plus son origine de
conditions psycho-pathologiques. Une moralité tombée à un niveau très
bas, une forte impulsion sexuelle qui se butte à des obstacles pour la
satisfaction naturelle, sont peut-être les principales raisons de cette
satisfaction contre nature qu'on rencontre aussi bien chez les hommes
que chez les femmes.
Nous savons par Polak qu'en Perse elle tire
souvent son origine de l'idée fixe qu'on peut, par l'acte sodomique, se
débarrasser de la gonorhée; de même qu'en Europe, cette croyance est
encore très répandue qu'on peut, en faisant le coït avec une petite
fille, se guérir du mal vénérien.
L'expérience nous a montré que
la bestialité n'est pas un fait rare dans les étables de vaches et les
écuries de chevaux. À l'occasion, un individu peut s'en prendre aussi
aux chèvres, aux chiennes, et même aux poules, comme nous l'apprennent
un cas rapporté par Tardieu et un autre par Schauenstein (Lehrb., p.
125).
On connaît l'ordre donné par Frédéric le Grand au sujet
d'un cavalier qui avait sodomisé une jument: «Ce gaillard est un
cochon, il faut le mettre dans un régiment d'infanterie.»
Les
rapports des individus féminins avec des animaux se bornent aux
relations avec des chiens. Un exemple monstrueux de la dépravation
morale dans les grandes villes, est le cas rapporté par Maschka (Handb.
III) d'une femme qui, à Paris, en petit comité, contre une entrée
payée, se montrait devant des débauchés et se laissait couvrir par un
bulldogue dressé à cette fonction!
Les tribunaux jusqu'ici n'ont pas prêté attention à l'état mental des sodomistes et n'en ont guère tenu compte.
Dans plusieurs cas, parvenus à la connaissance de l'auteur, il s'agissait de gens débiles d'esprit.
Le
sodomiste de Schauenstein aussi était un aliéné. Le cas de bestialité
suivant est évidemment dû à des conditions morbides. Il s'agit d'un
épileptique. Le penchant sexuel pour les animaux apparaît ici comme un
équivalent de l'instinct génital normal.
OBSERVATION 193.--X....
paysan, quarante ans, grec orthodoxe. Le père et la mère étaient de
forts buveurs. À partir de l'âge de cinq ans, le malade a eu des accès
épileptiques: il tombe par terre et perd conscience; il reste immobile
pendant deux ou trois minutes; alors il se relève et se met à courir
sans savoir ou, les yeux grands ouverts. À l'âge de dix-sept ans,
réveil de l'instinct génital. Le malade n'a de penchants sexuels ni
pour les femmes, ni pour les hommes, mais bien pour les animaux
(oiseaux, chevaux, etc.). Il fait le coït avec des poules, des canards,
plus tard avec des chevaux, des vaches. Ne s'est jamais masturbé.
Le
malade est peintre d'images religieuses, très borné d'esprit. Depuis
des années, paranoia religieuse avec états d'extase. Il a un amour
«inexplicable» pour la Sainte Vierge, pour laquelle il donnerait sa
vie. Reçu à la clinique, le malade ne présente pas de tares organiques
ni de stigmates de dégénérescence anatomique.
Il a eu de tout
temps de l'aversion pour les femmes. Ayant essayé une fois le coït avec
une femme, il resta impuissant; en présence des animaux il est toujours
puissant. Vis-à-vis des femmes il est toujours pudique. Le coït avec
des femmes lui semble presque comme un péché. (Kowalewsky, Jahrb. f.
Psychiatrie, VII, fascic. 3.)
OBSERVATION 194.--Le 23 septembre
1889, à midi, l'apprenti cordonnier W..., âgé de seize ans, attrapa
dans le jardin d'un voisin une oie et fit sur cet animal des actes de
bestialité, jusqu'à l'arrivée du voisin. À ses reproches il répondit:
«Eh bien! est-ce que l'oie en est malade?» et il s'éloigna sur cette
réponse. À l'interrogatoire devant le juge, il avoua le fait, mais il
s'excusa en alléguant une absence d'esprit temporaire. Depuis une grave
maladie qu'il a eue à l'âge de douze ans, il a plusieurs fois par mois
des accès accompagnés de chaleurs à la tête; alors il est très excité
sexuellement, ne sait comment se soulager ni ce qu'il fait. C'est dans
un de ces accès qu'il a commis l'acte. Il se défendit de la même façon
à l'audience publique et prétendit n'avoir appris les species facti que
par les assertions du voisin. Le père déclare que W... est originaire
d'une famille saine, mais que, depuis qu'il a eu, à l'âge de cinq ans,
la scarlatine, il a toujours été maladif et que, à l'âge de douze ans,
il a eu une maladie cérébrale avec fièvre. W... avait de bons
antécédents; il avait bien appris à l'école et plus tard avait aidé son
père dans les travaux de son métier. Il n'était pas adonné à la
masturbation.
L'examen médical n'a amené la constatation
d'aucune défectuosité morale ou intellectuelle. L'examen du corps a
permis de constater que les parties génitales étaient normales. Pénis
relativement très développé, augmentation considérable du réflexe du
tendon du genou. Pour le reste, constatations négatives.
Il a
été établi que l'amnésie tempore delicti n'a pas existé. On n'a pu
constater des accès de troubles mentaux à une époque antérieure, et on
n'a rien remarqué pendant la période d'observation qui a duré six
semaines. Il n'y avait pas de perversion de la vita sexualis. Le
rapport médical admit la possibilité d'états organiques provenant d'une
maladie du cerveau (fluxion à la tête) ayant pu exercer une influence
sur la perpétration de l'acte incriminé. (Puisé dans un rapport médical
de M. le docteur Fritsch, à Vienne.)
OBSERVATION 195.--(Sodomie
impulsive).--A..., seize ans, garçon jardinier; enfant illégitime; père
inconnu; mère lourdement tarée, hystéro-épileptique. A... a le crâne et
la face difformes, asymétriques; il en est de même du squelette. Il est
de petite taille; masturbateur depuis son enfance; toujours morose,
apathique, aimant la solitude, très irascible. Ses passions
réagissaient d'une façon pour ainsi dire pathologique. C'est un
imbécile; au physique, il a beaucoup dépéri, probablement par suite de
la masturbation; il est neurasthénique. De plus, il présente des
symptômes hystéropathiques (diminution du champ visuel,
dyschromatopsie, diminution du sens olfactif et du sens auditif du côté
droit, anaesthesia testiculi dextr.).
A... est convaincu d'avoir
en partie masturbé, en partie sodomisé des chiens et des lapins. À
l'âge de douze ans, il a vu des garçons masturber un chien. Il les
imita et ne put, par la suite, s'empêcher de tourmenter de cette façon
abominable les chiens, les chats et les lapins qu'il rencontrait. Il
sodomisait beaucoup plus fréquemment des lapins femelles, les seuls
animaux qui avaient quelque charme pour lui. La nuit tombante, il
allait à l'étable à lapins de son maître pour assouvir son horrible
passion. On a plusieurs fois trouvé des lapins avec le rectum déchiré.
Ses actes de bestialité avaient toujours lieu de la même façon. Il
s'agissait de véritables accès qui se produisaient périodiquement,
environ toutes les huit semaines, le soir, et toujours avec les mêmes
symptômes. A... éprouvait d'abord un grand malaise, une sensation de
coups de marteau tombant sur sa tête. Il lui semblait qu'il perdait la
raison. Il luttait contre l'idée obsédante qui surgissait et le
poussait à sodomiser des lapins, il éprouvait une angoisse croissante
et une augmentation des maux de tête au point de ne pouvoir plus les
supporter. Arrivé au plus haut degré de cet état, il avait des
bourdonnements, une sueur froide lui perlait à la peau, les genoux
tremblaient, enfin toute force de résistance s'évanouissait, et il y
avait exécution impulsive de l'acte.
L'acte consommé, il est
délivré de son angoisse. La crise nerveuse disparaît, il reprend son
empire sur lui-même, éprouve une honte profonde de ce qui vient de se
passer et redoute le retour de cet état. A... affirme que si, dans
cette situation, on le plaçait dans l'alternative de choisir entre une
femme et une lapine, il ne pourrait se décider que pour cette dernière.
Dans les intervalles aussi, parmi les animaux domestiques, ce sont les
lapins seuls qui lui plaisent. Dans ses états d'exception, il lui
suffit, pour avoir une satisfaction sexuelle, de presser, d'embrasser,
etc., le lapin; mais parfois il tombe dans une telle furor sexualis
qu'il lui faut impétueusement sodomiser l'animal.
Ces actes de
bestialité, sont les seuls qui puissent le satisfaire sexuellement et
c'est pour lui la seule forme possible d'activité sexuelle. A...
affirme qu'il n'a jamais eu de sensations voluptueuses; la satisfaction
consiste seulement en ce que, par ce moyen, il se délivre de la
situation pénible que lui crée une contrainte impulsive.
L'examen
médical a pu facilement démontrer que ce monstre était un dégénéré
psychique, un malade privé de son libre arbitre, mais non un criminel.
(Boeteau, la France médicale, 38e année, nº 38.)
Le cas suivant ne paraît pas être de nature psycho-pathologique.
OBSERVATION
196.--Sodomie.--Dans une ville de province, un homme de classe
supérieure, âgé de trente ans, a été surpris en rapport sodomique avec
une poule. Depuis longtemps, on recherchait le malfaiteur, car les
poules de la maison dépérissaient l'une après l'autre.
Le
président du tribunal demanda à l'accusé comment il avait pu s'aviser
de commettre une action aussi dégoûtante; il se défendit en invoquant
la petitesse de ses parties génitales qui lui rendait impossible tout
rapport avec des femmes. L'examen médical a, en effet, constaté une
exiguïté extraordinaire des parties génitales. Cet individu était tout
à fait normal au point de vue intellectuel.
Pas de
renseignements ni sur les tares éventuelles, ni sur l'époque du réveil
de l'instinct génital, etc. (Gyurkovechky, Männl. Impotenz, 1889, p. 82)
8. ACTES D'IMPUDICITÉ AVEC DES PERSONNES DU MÊME SEXE (Pédérastie, Sodomia sensu strictiori).
Le
Code allemand ne connaît que l'acte d'impudicité entre des personnes
masculines. La loi autrichienne va plus loin et vise les actes de ce
genre commis entre personnes appartenant au même sexe; par conséquent,
l'impudicité entre femmes peut aussi tomber sous le coup de la loi.
Parmi
les actes immoraux commis entre individus masculins, la pédérastie
(immissio penis in anum) tient le premier rang comme intérêt. La
législation a évidemment pensé exclusivement à ce genre de perversité
des actes sexuels; d'après les développements des commentateurs les
plus autorisés du Code (Oppenhoff, Stgsb, Berlin, 1872, p. 324 et
Rudolf et Stenglein, D. Strafgesb f. das Deutsche Reich, 1881, p. 423),
l'immissio penis in corpus vivum est un fait requis pour pouvoir
établir le crime prévu dans l'article 175.
D'après cette manière
de voir, il n'y a pas lieu de poursuivre les autres actes d'impudicité
commis entre hommes, à moins que ces actes ne soient compliqués d'une
offense publique à la pudeur, ou de l'emploi de la violence, ou du fait
qu'ils ont été accomplis sur des garçons au-dessous de quatorze ans. On
est revenu ces temps derniers sur cette manière de voir, et on
considère que le fait de délit contre nature entre individus de sexe
masculin existe quand même il n'y aurait que des actes similaires du
coït[121].
[Note 121: Un travail sur le caractère délictueux des
rapports entre hommes publié dans la Zeitschrift f. d. gesammte
Strafrechtswissenschaft, t. VII, fascicule 1, ainsi qu'une étude parue
dans Friedreichs Blætter f. gerichtl. Medizin, année 1891, fascic. 6,
nous indiquent d'une manière excellente combien subtile et sujette à
caution doit être pour le magistrat l'appréciation de ces actes
«similaires du coït» pour constater le fait objectif du
délit.--Consultez encore le livre de Moll: Inversion sexuelle, et celui
de Bernhardt: Der uranismus, Berlin, 1882.]
Les études sur
l'inversion sexuelle ont mis l'amour homosexuel entre hommes sous un
jour tout autre que celui sous lequel se présentaient les délits de
moeurs dus à l'inversion, et particulièrement la pédérastie, à l'époque
où l'on a élaboré les Codes. Le fait que beaucoup de cas d'inversion
sexuelle sont causés par un état psychopathologique, permet d'admettre
sans aucun doute que la pédérastie aussi peut être l'acte d'un
irresponsable, et c'est pour cette raison qu'on devrait dorénavant, in
foro, apprécier non seulement l'acte en lui-même mais aussi tenir
compte de l'état mental de l'accusé.
Les idées données au début
de ce chapitre peuvent servir ici de règles. Ce n'est pas l'acte, mais
seulement le jugement sur l'état anthropologico-clinique de l'auteur
qui doit trancher la question de savoir s'il y a perversité criminelle
ou perversion morbide de l'esprit et de l'instinct qui, dans certaines
circonstances, pourrait exclure toute condamnation.
La première
question in foro doit être posée dans ce sens: le penchant sexuel pour
les personnes de son propre sexe est-il congénital ou acquis? Et, dans
ce dernier cas, il faut examiner si cette tendance représente une
perversion morbide ou seulement une aberration morale (perversité).
L'inversion
sexuelle congénitale ne se rencontre que chez des individus doués d'une
prédisposition morbide (tarés), comme phénomène partiel d'une tare
caractérisée par des anomalies anatomiques ou fonctionnelles ou par des
anomalies de ces deux genres à la fois. Le cas se dessinera d'autant
plus nettement, et le diagnostic sera d'autant plus sûr, que le
caractère et la totalité des sentiments de l'individu paraîtront peu
conformes à sa singularité sexuelle; qu'il y aura chez lui absence
complète d'affection pour l'autre sexe ou même horror pour les rapports
hétérosexuels; que cet individu présentera encore dans son impulsion à
satisfaire son inversion sexuelle des symptômes d'autres anomalies de
la vie sexuelle ainsi qu'une dégénérescence profonde caractérisée par
la périodicité de l'impulsion et des actes impulsifs, qu'enfin ce sera
un névropathe et un psychopathe.
L'autre question concerne
l'état mental de l'uraniste. Si cet état est tel que les conditions de
la responsabilité manquent absolument, le pédéraste n'est pas un
criminel, mais un aliéné irresponsable.
Ce cas est plus rare
chez les uranistes congénitaux. Ordinairement ils présentent tout au
plus des troubles psychiques élémentaires qui ne suppriment pas la
responsabilité en elle-même.
Malgré cela, la question
médico-légale de la responsabilité de l'uraniste n'est pas encore
tranchée. L'instinct génital est un des besoins organiques les plus
puissants. Aucune législation ne trouve répréhensible en elle-même la
satisfaction sexuelle en dehors du mariage; si l'uraniste a un
sentiment pervers, ce n'est pas sa faute, mais celle d'une
prédisposition anormale. Son désir sexuel peut être très répugnant au
point de vue esthétique; mais, envisagé au point de vue morbide de
l'uraniste, c'est un désir naturel. Au surplus, chez la majorité de ces
malheureux, l'instinct sexuel pervers se manifeste avec une force
anormale, et leur conscience ne considère pas leur instinct pervers
comme une tendance contre nature. Ils n'ont donc point de contrepoids
moraux et esthétiques pour contrebalancer leur impulsion.
Bien
des hommes d'une constitution normale sont capables de renoncer à la
satisfaction de leur libido sans être atteints dans leur santé par
cette abstinence forcée. Beaucoup de névropathes--et les uranistes le
sont tous--deviennent malades, quand ils ne peuvent satisfaire leur
instinct naturel ou quand cette satisfaction a lieu d'une manière
qu'ils considèrent comme perverse.
La plupart des uranistes se
trouvent dans une situation pénible. D'un côté, ils ont un penchant
anormalement fort pour leur propre sexe, penchant qu'ils sentent comme
une loi naturelle et dont la satisfaction leur paraît bienfaisante;
d'autre part, il y a l'opinion publique qui flétrit leurs procédés, et
la loi qui les menace de condamnations infamantes. D'un côté, des états
d'âme tourmentants pouvant aller jusqu'à l'hypocondrie et au suicide,
ou au moins conduire à des maladies de nerfs; de l'autre côté, la
honte, la perte de leur position sociale, etc. On ne peut contester que
cette malheureuse prédisposition morbide crée des cas de contrainte et
de force majeure. La société et la loi devraient tenir compte de ces
faits: la première, en plaignant ces malheureux au lieu de les
mépriser; la dernière, en ne les punissant pas, tant qu'ils restent
dans les limites tracées en général pour la manifestation de l'instinct
génital.
Comme confirmation de ces vues et de ces réclamations
en faveur de ces enfants mal partagés de la nature, nous nous
permettons de reproduire ici un mémoire adressé par un uraniste à
l'auteur de ce livre; celui qui a écrit les lignes suivantes est un
personnage qui occupe une haute position sociale à Londres.
Vous
n'avez pas une idée des luttes terribles et continuelles que nous tous,
surtout les penseurs et les délicats, avons à soutenir encore
aujourd'hui, et combien nous avons à souffrir de l'opinion erronée et
presque générale sur notre compte et sur notre prétendue «immoralité».
Votre
opinion que ce phénomène doit, dans la plupart des cas, être attribué à
une prédisposition morbide congénitale comme cause originaire, pourra
peut-être vaincre bientôt les préjugés existants et éveiller de la
compassion pour nous autres «malades», en place de l'horreur et du
mépris dont nous sommes encore l'objet.
Quelque profondément que
je sois convaincu que l'idée que vous défendez est pour nous très
avantageuse, je ne puis, dans l'intérêt de la science, accepter sans
réserve le mot «morbide», et je me permettrai de vous donner à ce sujet
encore quelques explications.
Le phénomène est en tout cas
anormal; mais le terme «morbide» a encore une autre signification que
je ne trouve pas exacte, du moins dans les nombreux cas que j'ai eu
l'occasion d'observer personnellement. Je conviens a priori que, chez
les uranistes, les cas de troubles mentaux, de surexcitation nerveuse,
etc., peuvent être constatés dans une proportion beaucoup plus
considérable que chez les individus normaux. Cette nervosité aiguë
est-elle en connexité nécessaire avec la nature du l'uranisme ou ne
doit-elle pas, dans la plupart des cas, être attribuée à ce que
l'uraniste, par suite de la législation actuelle et des préjugés
sociaux, ne peut arriver, comme les autres hommes, à satisfaire, d'une
manière simple et aisée, ses penchants sexuels ou génitaux.
Le
jeune uraniste, dès qu'il sent les premières émotions sexuelles et
qu'il en fait naïvement part à ses camarades, s'aperçoit bientôt que
les autres ne le comprennent pas. Il se replie donc sur lui-même.
Confie-t-il à son professeur ou à ses parents ce qui l'émeut, on lui
représente comme criminel ce mouvement qui lui paraît aussi naturel que
la natation pour le poisson: et on lui dit qu'il faut combattre et
supprimer à tout prix ce penchant. Voilà que commence une lutte
intérieure, une suppression violente de l'instinct sexuel; et plus on
en supprime la satisfaction naturelle, plus l'imagination s'échauffe et
travaille, plus elle fait surgir, comme par enchantement, précisément
ces images qu'on voudrait bannir. Plus le caractère qui soutient ce
combat est énergique, plus le système nerveux doit fatalement en
souffrir. C'est, à mon avis, cette suppression violente d'un instinct
si profondément enraciné chez nous, qui développe les symptômes
morbides que nous pouvons observer chez beaucoup d'uranistes, mais ces
symptômes ne sont pas nécessairement en connexité avec les
prédispositions uranistes.
Les uns continuent pendant une
période plus ou moins longue ce combat intérieur, sans trêve, et
finissent par s'user complètement; les autres arrivent finalement à la
conviction que cet instinct puissant qui leur est congénital ne peut
pas être un péché; ils cessent de tenter l'impossible, c'est-à-dire la
suppression de leur penchant. Mais alors commence en réalité une série
de souffrances et d'excitations permanentes. Le Dioning, quand il
cherche la satisfaction de son instinct génital, sait toujours la
trouver facilement; tel n'est pas la cas de l'urning. Il voit des
hommes qui le charment, mais il ne lui est pas permis d'en rien dire,
pas même de laisser voir ce qui l'émeut. Il croit que lui seul au monde
a ces sentiments anormaux. Naturellement, il recherche la compagnie des
jeunes gens, mais il n'ose pas se confier à eux. Ainsi il est amené à
se procurer une compensation de la satisfaction qu'il ne peut pas
obtenir. L'onanisme est pratiqué sur une vaste échelle, et toutes les
conséquences de ce vice se font bientôt sentir. Si alors, après un
certain laps de temps, il se produit un délabrement du système nerveux,
le phénomène morbide n'est pas occasionné par l'uranisme même, mais il
a pris naissance parce que, par suite de l'opinion régnante à notre
époque, l'uraniste n'a pu trouver la satisfaction sexuelle qui lui est
normale et naturelle, et que, par conséquent, il a dû tomber dans
l'onanisme.
Admettons que l'uraniste a eu la chance rare de
rencontrer une âme qui sente comme lui, ou qu'il a été renseigné par un
ami expérimenté sur les choses du monde uraniste; bien des combats
intérieurs lui sont épargnés, mais une longue série de soucis
troublants, de craintes, suit tous ses pas. Il sait maintenant qu'il
n'est plus le seul au monde qui ait ces sentiments anormaux; il ouvre
les yeux, et il est étonné du trouver tant de compagnons dans toutes
les couches sociales et dans toutes les professions; il apprend que, de
même que chez les Dioning, il y a aussi chez les uranistes une
prostitution, et qu'on peut avoir des hommes vénals, de même qu'on
achète des filles. L'occasion de satisfaire l'instinct sexuel ne fait
donc plus défaut. Et pourtant, combien différent est ici le cours des
choses, comparé à ce qui se passe chez les Dioning!
Prenons le
cas le plus heureux. L'ami de même tendance après lequel on a langui
toute sa vie, est trouvé. Mais il n'est pas permis de se livrer
franchement à lui comme le jeune homme s'abandonne à la fille qu'il
aime. Au milieu d'une angoisse continuelle, tous deux doivent cacher
leur liaison, même une trop grande intimité qui pourrait facilement
éveiller les soupçons doit rester cachée devant le monde, surtout si
tous les deux ne sont pas de même âge ou s'ils n'appartiennent pas à la
même classe sociale. Ainsi commence, avec la liaison même, une série
d'agitations; la crainte que leur secret peut être trahi ou deviné, ne
permet pas au malheureux de jouir en toute gaieté de coeur. Un incident
insignifiant pour tout autre le fait trembler, car il craint que les
soupçons soient éveillés, son secret percé à jour, ce qui
compromettrait complètement sa position sociale et lui ferait perdre
son poste et son métier. Cette agitation continuelle, ces craintes et
ces soucis permanents, ne laisseraient-ils aucune trace et ne
retentiraient-ils pas sur tout le système nerveux?
Un autre,
moins heureux, n'a pas trouvé l'ami de sentiments similaires, mais il
est tombé entre les mains d'un beau jeune homme qui d'abord a été
complaisant pour lui jusqu'à ce qu'il ait pu surprendre les secrets les
plus intimes de l'uraniste. Alors il se met à pratiquer le chantage le
plus raffiné. La malheureuse victime, placée entre l'alternative de
payer ou de se rendre impossible dans la société, de perdre une
situation respectée, de se voir couvert de honte, lui et sa famille,
paie; et plus il paie, plus devient avide le vampire qui le suce
jusqu'à ce que finalement le pauvre jeune homme n'ait plus le choix
qu'entre la ruine matérielle ou le déshonneur. Qui s'étonnera que les
nerfs ne soient pas toujours assez forts pour tenir tête à cette lutte
terrible? Chez les uns, les nerfs succombent complètement, le trouble
mental se produit, et le malheureux trouve enfin dans une maison de
santé le repos qu'il n'avait pu trouver dans la vie. Un autre, poussé
au désespoir, met fin par le suicide à cet état insupportable. Combien
de suicides mystérieux de jeunes gens doivent être attribués à cette
circonstance! Voilà ce qu'on ne peut même s'imaginer!
Je ne
crois pas me tromper en affirmant que, au moins la moitié des suicides
de jeunes gens doivent être ramenés à de pareilles causes. Même dans
les cas, où il n'y a pas un maître-chanteur inexorable qui poursuit
l'uraniste, mais seulement une liaison entre les deux hommes, liaison
qui en soi-même suit un cours satisfaisant, la découverte ou seulement
la crainte de la divulgation pousse souvent au suicide. Que d'officiers
qui avaient une liaison avec un de leurs subordonnés, que de soldats
qui en entretenaient une avec un camarade, ont, au moment où ils se
croyaient découverts, essayé d'échapper à la honte en se logeant une
balle dans la tête! Il en est de même dans toutes les professions.
Si
donc, en réalité, il faut convenir qu'on observe chez les uranistes
plus d'anomalies intellectuelles et peut-être aussi des troubles
mentaux en plus grand nombre, cela ne prouve pas encore que ces
dérangements intellectuels soient fatalement en connexité avec
l'uranisme et que l'un suppose l'autre. Ma ferme conviction est que,
dans l'immense majorité, les cas de troubles mentaux qu'on a observés
chez les uranistes, que leurs prédispositions morbides, ne doivent pas
être mis sur le compte de leur anomalie sexuelle, mais qu'ils ont été
provoqués par l'opinion erronée actuellement régnante sur l'uranisme et
par la législation existante.
Celui qui n'a qu'une idée
approximative de la somme de souffrances morales et intellectuelles,
des craintes et des soucis qu'un uraniste doit supporter, des
hypocrisies et des cachoteries continuelles dont il est obligé de faire
usage pour dissimuler son penchant, des difficultés immenses qui
s'opposent à la satisfaction naturelle de son instinct sexuel, celui-là
ne peut que s'étonner qu'il n'y ait pas encore plus de troubles mentaux
et de maladies nerveuses parmi eux. La plus grande partie de ces états
morbides n'arriveraient certainement pas à se développer, si
l'uraniste, à l'exemple du Dioning, pouvait trouver d'une manière
simple et aisée une satisfaction sexuelle, s'il n'était plus exposé à
la torture de ses craintes éternelles.
De lege lata on devrait
avoir des ménagements pour l'uraniste en tant que le paragraphe en
question n'est interprété que dans le sens d'une pédérastie effective
et qu'il faut tenir compte et de l'anomalie psychico-somatique établie
par une expertise exacte et de l'examen individuel de la question de
culpabilité.
De lege ferenda les uranistes désirent avant tout
la suppression de ce paragraphe. La législateur n'y consentira pas
facilement, car il pense que la pédérastie est plus souvent un vice
abominable que la suite d'une infirmité physique et mentale, que
beaucoup d'uranistes, bien que contraints à pratiquer des actes sexuels
sur des personnes de leur propre sexe, ne sont nullement forcés de se
livrer à la vraie pédérastie, acte sexuel que l'on a considéré de tout
temps comme cynique et dégoûtant et même nuisible, quand elle est
passive. Mais le législateur de l'avenir devrait cependant mûrement
peser si, pour des raisons d'utilité (difficultés d'établir la
culpabilité, prétextes aux chantages les plus vils, etc.), il ne serait
pas opportun de supprimer dans les Codes les poursuites judiciaires
contre l'amour entre hommes.
Les raisons que j'invoque moi-même pour la suppression de ce paragraphe du Code sont les suivantes:
1º Les délits prévus dans la législation prennent d'habitude leur origine dans une prédisposition morbide de l'âme.
2º
Seul un examen médical très minutieux peut différencier les cas de
simple perversité de ceux de perversion morbide. Mais du moment où l'on
requiert judiciairement contre l'individu, celui-ci est déjà perdu au
point de vue social.
3º La plupart de ces uranistes sont non
seulement atteints de perversion, mais ont encore le malheur d'avoir un
instinct développé avec une vigueur anormale. En cédant à leur instinct
génital, ils se trouvent donc directement sous le coup d'une contrainte
physique.
4º Pour beaucoup d'entre eux, ce genre de satisfaction
ne paraît nullement contre nature; au contraire, pour eux, c'est la
façon naturelle, et celle qui est admise par la loi, qui est contre
nature. Ils manquent donc de tous les correctifs moraux qui pourraient
les empêcher de commettre leur délit sexuel.
5º À défaut d'une
définition exacte de ce qu'il faut entendre par impudicité contre
nature, on a laissé une trop grande latitude à l'arbitraire personnel
du juge. L'interprétation de plus en plus subtile du § 175, en
Allemagne, nous montre combien la manière d'envisager juridiquement le
cas varie et est peu fixe. Le fait objectif est décisif pour le
jugement. (En général on ne s'inquiète jamais du fait subjectif.)
Comment peut-on établir le premier? Le délit est toujours commis sans
témoins.
6º On ne peut invoquer aucune raison théorique ou
juridique pour le maintien de l'article du Code. Il n'a que rarement
pour effet d'empêcher le délit par crainte de la punition; son
application ne corrige jamais, car des phénomènes naturels morbides ne
peuvent pas être détruits par une punition; comme châtiment d'un acte
punissable qui ne l'est que dans certaines conditions souvent erronées,
l'application de cet article peut amener les injustices les plus
formidables. Qu'on n'oublie pas que, dans divers pays civilisés, cet
article du Code n'existe pas, et qu'en Allemagne il ne représente
qu'une concession faite au sentiment de la morale publique qui
cependant part d'une supposition fausse et confond la perversion avec
la perversité.
7º À mon avis, la jeunesse et la moralité
publique sont suffisamment protégées en Allemagne par d'autres articles
du Code; l'article 175 fait plus de mal que de bien, car il favorise
une des infamies les plus abominables: le chantage.
Il est vrai
qu'on punit aussi le maître-chanteur qui a dénoncé le fait, mais il a
pour lui la chance énorme que sa victime ne laissera pas venir les
choses à l'extrême, c'est-à-dire jusqu'à la dénonciation au parquet.
Dans les plus mauvais cas, un coquin de cette espèce se laisse nourrir
en prison pendant quelque temps, sans qu'il soit compromis dans son
existence honteuse, tandis que sa victime est déshonorée, ruinée, et
finit souvent par le suicide.
8º Dans le cas où le législateur
allemand croirait que la suppression de l'article 175 compromettrait la
protection de la jeunesse, il suffirait d'étendre l'article 176, alinéa
1, aux individus en général, car l'article, dans sa rédaction actuelle,
ne punit que les actes d'impudicité commis sur les femmes par violence
ou menaces. Le Code pénal français a un paragraphe dans ce sens.
Éventuellement, on pourrait songer encore à modifier l'article 176,
alinéa 3, en fixant une limite d'âge plus élevée que dix-sept ans,
limite à partir de laquelle les actes d'impudicité commis sur de jeunes
individus ne seraient plus poursuivables. Cette extension profiterait
aussi à bien des individus féminins qui, à l'âge de quinze ans, n'ont
qu'exceptionnellement la maturité d'esprit nécessaire et la capacité
pour se diriger elles-mêmes et pouvoir se protéger suffisamment. Par là
on offrirait aussi aux jeunes individus du sexe masculin (environ
jusqu'à l'âge de seize ans) une protection plus efficace que ne saurait
le faire l'article 175 qui, comme on sait, ne vise que la pédérastie
(et, d'après de nouvelles interprétations, d'autres actes similaires du
coït), mais qui laisse impunis l'onanisme et les autres actes
d'impudicité. C'est précisément par ces actes d'impudicité que les
uranistes deviennent dangereux pour les jeunes gens, et
exceptionnellement par la pédérastie. Le législateur n'a ni le droit ni
le devoir de menacer de peines des actes immoraux inter mares qui ont
lieu portis clausis et avec consentement mutuel, quand les personnes
dont il s'agit ont atteint au moins leur seizième année, âge où
l'individu dispose déjà d'une somme suffisante de maturité morale et
intellectuelle; ces choses sont l'affaire personnelle de chacun, car
aucun intérêt public ou privé n'est lésé.
Ce qui a été dit de
lege lata, relativement à l'inversion congénitale, pourrait s'appliquer
à l'inversion acquise. La névrose ou psychose qui l'accompagne pèsera
beaucoup, au point de vue médico-légal, dans la balance, quand il
s'agira de trancher la question de la culpabilité.
Un fait d'un
très grand intérêt psychopathologique et, selon les circonstances,
médico-légal, c'est que, dans le cas où ces invertis éprouvent un refus
dans leur amour ou même une infidélité de la part de leur amant, ils
deviennent capables de toutes ces réactions psychiques, jalousie et
vengeance, que nous pouvons si souvent observer dans l'amour entre
homme et femme et qui fréquemment poussent l'individu outragé dans ses
sentiments les plus chers à des actes de violences contre l'objet de
son amour ou contre celui qui lui a volé son bonheur.
Rien ne
prouve mieux combien l'inversion sexuelle est enracinée dans la
constitution, combien elle domine tous les sentiments, les pensées et
les efforts de l'individu, et combien elle se substitue complètement à
la manière normale de sentir et de se développer des hétérosexuels. Un
exemple qui montre de quels actes est capable cet amour repoussé ou
trahi, nous est fourni par le cas suivant, très instructif, et qui a
été emprunté à la chronique judiciaire américaine. Je suis
particulièrement obligé à M. le Dr Boeck, de Vienne, qui s'est donné la
peine de recueillir les documents de cette cause célèbre dans les
journaux et dans les comptes rendus des débats judiciaires.
OBSERVATION 197.--Une fille atteinte d'inversion sexuelle assassine son amante qui n'a pas voulu répondre à son amour.
À
Memphis, aux États-Unis de l'Amérique du Nord, une jeune fille, Alice
M..., issue d'une des premières familles de la ville, a assassiné, au
mois de janvier 1892, son amie Freda W..., également issue d'une
famille du meilleur monde. Elle lui a donné plusieurs coups de rasoir
au cou.
L'enquête judiciaire a donné les résultats suivants.
Alice est lourdement tarée du côté de son ascendance maternelle: un
oncle et plusieurs cousins du premier degré étaient des aliénés, la
mère, d'une prédisposition psychopathique, eut après chaque
accouchement une période de «folie puerpérale» qui fut plus grave quand
elle accoucha de son septième enfant, l'accusée Alice. Plus tard, elle
tomba dans un état de débilité mentale, avec idées de persécution.
Un frère de l'accusée eut pendant quelque temps des troubles d'esprit, à la suite d'une insolation, à ce qu'on prétend.
Alice
M... a dix-neuf ans; de taille moyenne, elle n'est pas jolie. La figure
est enfantine et «presque trop petite en proportion du corps»,
asymétrique; le côté droit de la face est plus développé que le gauche;
le nez est d'une «irrégularité surprenante», le regard perçant. Alice
M... est gauchère.
Dès l'entrée en puberté, elle eut fréquemment
de grands maux de tête d'une durée assez longue. Une fois par mois elle
souffrait d'hémorragies nasales, et souvent même, ces derniers temps,
d'accès de tremblement et de tremor. Une fois elle en perdit
connaissance.
Alice était une enfant nerveuse, irritable, et en
retard dans son développement. Elle n'éprouva jamais de plaisir aux
jeux des enfants et pas du tout aux amusements des petites filles. À
l'âge de quatre à cinq ans, elle trouvait beaucoup de plaisir à
écorcher des chats ou à les suspendre par une patte.
Elle
préférait à ses soeurs son frère cadet et ses jeux de garçon; elle
cherchait à le dépasser en fouettant les toupies, dans le base-ball et
foot-ball, ensuite au tir à la cible et dans toutes sortes de
gamineries. Son exercice favori était de grimper, et elle y avait
acquis une grande adresse. Elle aimait particulièrement à s'occuper à
l'écurie auprès des mulets. Elle avait six ou sept ans, lorsque son
père acheta un cheval; elle aimait à soigner cet animal, à lui donner à
manger, à monter sur lui sans selle, à la façon des garçons, et à se
faire mener ainsi dans les champs. Plus tard encore, elle s'occupait à
nettoyer le cheval, à lui laver les pieds; elle le conduisait par la
bride à travers les rues, elle lui mettait les harnais, l'attelait;
elle s'entendait très bien à l'attelage des voitures et à les
raccommoder.
À l'école, elle ne peut suivre que lentement et
incomplètement les cours; elle est incapable de s'occuper sérieusement
de quelque chose; elle saisit et retient difficilement. On essaie de
lui apprendre la musique et le dessin, mais on échoue complètement; il
est impossible de lui faire faire des ouvrages féminins. Plus tard,
elle n'a pas non plus de goût à la lecture; elle ne lit ni livres, ni
journaux. Elle est entêtée et capricieuse; ses professeurs et les gens
de sa connaissance croient qu'elle n'est pas normale.
Étant
enfant, elle ne se commet pas avec les garçons, n'a pas de camarades
parmi eux; plus tard, elle n'a pas d'intérêt pour les jeunes gens; elle
n'a personne qui lui fasse la cour. Elle se comporte toujours avec
indifférence envers les jeunes gens, quelquefois avec brusquerie, et
elle passe pour «folle» parmi eux.
Elle éprouva une affection
extraordinaire, «aussi haut que ses souvenirs remontent», pour Freda
W..., fille du même âge qu'elle et enfant d'une famille amie. Fr. était
délicate et pleine de sentiment; elle avait un caractère de fille;
l'affection existait des deux côtés, mais elle était beaucoup plus
violente chez Alice; elle s'accrut avec les années au point de devenir
une passion. Un an avant la catastrophe, la famille W. transporta son
domicile dans une autre ville. Al. resta plongée dans le chagrin le
plus profond. Il s'engagea alors une correspondance tendre et amoureuse.
Deux
fois Al. va faire une visite à la famille de Fr.; alors les deux jeunes
filles ont des rapports «d'une tendresse dégoûtante», comme l'affirment
les témoins. On les voit des heures entières, couchées dans le même
hamac, se pressant l'une contre l'autre et s'embrassant. «C'étaient des
pressions et des baisers entre les deux filles à en avoir le dégoût».
Al. a honte de faire de pareilles choses en public; elle en est blâmée
par Fr.
Pendant une contre-visite de Freda, Alice essaie de la
tuer; elle veut, pendant que son amie dort, lui verser du laudanum dans
la bouche; la tentative échoua, car Fr. se réveilla.
Al. prend
alors devant Fr. le poison et en est longtemps malade. Voici le mobile
de la tentative d'assassinat et de suicide: Fr. avait manifesté de
l'intérêt pour deux jeunes gens; Al. déclara ne pouvoir vivre sans
l'amour de Fr.; «ensuite elle a voulu se suicider pour se délivrer de
ses souffrances et rendre à Fr. sa liberté.» Après la guérison d'Al.,
la correspondance entre les deux amies reprend son cours et elle est
plus que jamais remplie de protestations d'un amour passionné.
Bientôt
après, Al. commence à développer à son amante son projet de l'épouser.
Elle lui envoie une bague de fiançailles; elle menace de la tuer en cas
de rupture de promesse. Toutes les deux devaient prendre un pseudonyme
et fuir ensemble à Saint-Louis. Al. voulait s'habiller en homme et
chercher de l'ouvrage pour toutes les deux; elle voulait aussi, si Fr.
le désirait, se faire pousser des moustaches; elle espérait obtenir ce
résultat en se rasant.
Peu de temps avant la mise à exécution de
la fuite de Fr., le plan est dévoilé; la fuite est empêchée; on renvoie
à la mère d'Al. la bague de fiancée et d'autres reliques d'amour, et
l'on interdit tout rapport entre les deux jeunes filles.
Al. est
complètement abattue. Elle perd le sommeil, ne prend que peu de
nourriture et à contre-coeur; elle est apathique, distraite (elle met
sur les comptes de ménage le nom de son amante au lieu du sien). Elle
cache la bague et les autres reliques d'amour, entre autres un dé de
Fr. qu'elle avait rempli du sang de l'amie, dans un coin de la cuisine
où elle passe des heures entières en contemplant ces objets, tantôt
riant, tantôt éclatant en sanglots.
Elle maigrit; sa figure
prend une expression craintive, les yeux ont «une lueur étrange et
sinistre». À cette époque, elle apprend la prochaine visite de Fr. à
Memphis; elle conçoit alors le projet de tuer Fr. puisqu'elle ne peut
la posséder. Elle s'empare d'un rasoir de son père et le garde
soigneusement.
Elle entame avec l'amoureux de Fr., en feignant
de l'intérêt pour lui, une correspondance, afin de pouvoir jeter un
coup d'oeil dans leurs relations et pour se tenir au courant du
développement que prendrait cette liaison.
Pendant la séjour de
Fr. à Memphis, toutes les tentatives d'Al. pour se rapprocher d'elle ou
entrer en correspondance avec elle, échouent. Elle guette Fr. dans la
rue, tente une fois déjà d'exécuter son projet; mais elle en est
empêchée par un hasard. Ce n'est que le jour du départ de Fr. qu'elle
réussit à s'approcher d'elle sur la route qui va au paquebot.
Profondément
froissée de ce que Fr., dans toute la route qu'elle suit dans une
petite voiture à côté d'elle, n'a pas une parole pour elle, pas
seulement un regard, Al. saute de sa voiture, attaque Fr. et lui porte
un coup profond avec un rasoir. Battue et insultée par la soeur de Fr.,
elle entre dans une rage folle et coupe aveuglément la gorge de Fr. à
coups de rasoir vigoureux et profonds; une des blessures s'étend d'une
oreille à l'autre. Pendant que tout le monde s'occupe autour de Fr.,
Al. part dans sa voiture à bride abattue et parcourt à tort et à
travers la ville avant de rentrer à la maison. À peine rentrée, elle
raconte à sa mère ce qu'elle vient de faire. Elle ne comprend pas ce
que cet acte a d'horrible; les blâmes, l'évocation des conséquences
graves la laissent absolument froide et ne l'émeuvent pas; c'est
seulement lorsqu'elle apprend la mort et l'enterrement de Fr. qu'elle
se rend compte de la perte de sa bien-aimée; elle éclate en sanglots et
en pleurs passionnés; elle embrasse toutes les photographies qu'elle
possède de Fr. et leur parle comme si Fr. vivait encore.
Pendant
l'audience publique, elle se fait remarquer aussi par son indifférence
pour les membres profondément affligés de sa famille et par son
insensibilité pour tous les rapports éthiques de son action.
Seulement,
quand on évoque les souvenirs de son amour pour Fr. et de sa jalousie,
elle est émue et excessivement agitée. Fr. «lui a manqué de fidélité,
elle l'a tuée parce qu'elle l'avait aimée». Tous les experts dépeignent
le développement intellectuel de l'accusée comme étant au niveau de
celui d'une fille de treize à quatorze ans. Elle comprend que des
enfants n'auraient pu naître de son union avec Fr., mais elle ne veut
pas convenir que son «mariage» aurait été une chose insensée. Elle
repousse la supposition d'avoir eu avec Fr. des rapports sexuels
(peut-être masturbation). Sur ce point, de même que sur sa vita
sexualis peracta, on n'apprend absolument rien; on n'a pas procédé non
plus à un examen gynécologique.
Le procès se termine par un verdict constatant l'aliénation mentale de l'accusée. (The Memphis Medical Monthly, 1892.)
LA PÉDÉRASTIE ACQUISE ET NON MORBIDE[122].
[Note
122: Pour notes historiques intéressantes, consulter Krauss,
Psychologie des Verbrechens, p. 114; Tardieu, Attentats; Maschka, Hdb.
III, p. 174. Ce vice paraît avoir pris son origine en Asie et s'être
propagé de là à travers la Crète en Grèce et y avoir été très répandu à
l'époque de l'antique Hellas. De là il parvint à Rome, où il s'est
développé. En Perse, en Chine (où il est même toléré), il est très
répandu, mais aussi en Europe. (Comparez Tardieu, Tarnowsky et autres).]
La pédérastie représente une des pages les plus épouvantables de l'histoire des débauches humaines.
Les
motifs qui amènent à la pédérastie un homme qui primitivement a des
sentiments sexuels normaux et qui est sain d'esprit, peuvent être très
divers. Elle peut temporairement servir de moyen de satisfaction
sexuelle, à défaut du moyen normal, de même que, dans des cas rares, il
y a bestialité à la suite d'une abstinence forcée des jouissances
sexuelles normales[123].
[Note 123: Il ressort des faits
recueillis par Lombroso que des rapports sexuels entre des individus du
même sexe, ont lieu aussi chez les animaux forcés à l'abstinence. (Le
Criminel, p. 20, etc.)]
Ce fait se produit à bord des navires à
longue course, dans les prisons, les bagnes, etc. Il est fort probable
que, dans ces réunions d'individus, il y en a qui sont d'une moralité
très basse et d'une sensualité très puissante, ou bien qu'il y a de
véritables uranistes qui deviennent les séducteurs des autres. La
volupté, l'instinct d'imitation, la rapacité font le reste.
Toutefois,
preuve bien caractéristique de la puissance de l'instinct génital, ces
mobiles suffisent pour vaincre l'horreur de l'acte contre nature.
Une
autre catégorie de pédérastes est représentée par ces vieux roués qui
sont saturés des jouissances sexuelles normales et qui trouvent dans la
pédérastie un moyen de ranimer leur volupté, l'acte ayant pour eux le
charme de la nouveauté. Ils stimulent temporairement par ce moyen leur
puissance psychique et somatique abaissée. Cette nouvelle situation
sexuelle les rend, pour ainsi dire, relativement puissants, et leur
donne des jouissances que les rapports sexuels avec la femme ne peuvent
plus leur offrir. Avec le temps la puissance pour l'acte pédéraste
disparaît aussi. Alors ces individus peuvent en venir à la pédérastie
passive comme à un stimulant passager qui les met dans la possibilité
d'accomplir la pédérastie active, de même qu'ils ont occasionnellement
recours à la flagellation, à la contemplation de scènes lascives. (Cas
de bestialité cité par Maschka.)
La fin de l'activité sexuelle
chez les individus atteints d'une telle dégradation morale, consiste en
faits d'impudicité de toutes sortes avec des enfants, cunnilingus,
fellare et autres horreurs.
Cette sorte de pédérastie est la
plus dangereuse, car les individus de ce genre poursuivent avant tout
et dans la plupart des cas les jeunes garçons, et leur corrompent l'âme
et le corps.
Les observations que Tarnowsky (op. cit., p. 53,
etc.) a recueillies à ce sujet dans la Société de Saint-Pétersbourg
sont horribles. Ce sont les pensionnats qui sont le théâtre et les
foyers de la pédérastie. De vieux roués et des uranistes jouent le rôle
de séducteurs. Au commencement il en coûte à celui qu'on séduit
d'accomplir cet acte dégoûtant. Il a d'abord recours à son imagination
et évoque l'image d'une femme. Peu à peu il s'habitue à cette
abomination. Finalement, semblable à l'homme détraqué sexuellement par
la masturbation, il devient relativement impuissant en présence de la
femme et en même temps assez libidineux pour se plaire à l'acte
pervers. Suivant les circonstances, cet individu devient un cynède
vénal.
Ces faits ne sont pas rares dans les grandes villes ainsi
que nous l'apprennent les observations recueillies par Tardieu,
Hoffmann, Liman et Taylor. Il ressort de nombreuses communications que
j'ai reçues de la part d'uranistes, qu'il existe une prostitution
professionnelle, de véritables maisons de prostitution pour l'amour
entre individus masculins.
Ce qui est encore digne d'être
remarqué, ce sont les artifices de la coquetterie que ces mérétrices
mâles déploient sous forme de toilettes de luxe, de parfums et de
vêtements de coupe féminine, pour attirer les pédérastes et les
uranistes. Cette imitation intentionnelle des particularités de la
femme se retrouve d'ailleurs spontanément et inconsciemment chez les
invertis congénitaux et parfois dans les cas d'inversion sexuelle
(morbide) acquise.
Les lignes suivantes fournissent des
renseignements intéressants et précieux pour le psychologue et surtout
pour les fonctionnaires de la police, sur la vie sociale et les menées
des pédérastes.
Coffignon, La Corruption à Paris, p. 327, divise les pédérastes actifs en amateurs, entreteneurs et souteneurs.
Les
amateurs (rivettes) sont des gens débauchés, mais souvent des invertis
congénitaux, appartenant au monde, ayant de la fortune et qui ont des
raisons de bien se garder que la satisfaction de leurs désirs
homosexuels soit connue. À cet effet, il vont dans les lupanars, les
maisons de passe ou dans les appartements particuliers des prostituées
féminines qui ont l'habitude d'être en bons termes avec les prostitués
masculins. C'est ainsi qu'ils se mettent à l'abri du chantage.
D'aucuns
de ces amateurs ont assez d'audace pour se livrer dans des lieux
publics à leurs désirs abominables. Ils risquent d'être arrêtés, mais
moins facilement (dans les grandes villes) le chantage. On dit que le
danger augmente leur jouissance secrète.
Les entreteneurs sont
de vieux pécheurs qui ne peuvent s'empêcher, même au risque de tomber
entre les mains des maîtres-chanteurs, d'entretenir une maîtresse
masculine.
Les souteneurs sont des pédérastes qui ont subi des
condamnations, qui soutiennent un petit «jésus», qui l'envoient en
expédition pour attirer des clients (faire chanter les rivettes), et
qui, autant que possible, surviennent au moment psychologique pour
plumer la victime.
Souvent ils vivent ensemble par bandes;
chacun remplit selon ses goûts actifs ou passifs le rôle d'homme ou de
femme. Dans ces bandes, il y a de véritables noces, des mariages, des
bénédictions nuptiales, avec banquets et accompagnement des nouveaux
mariés dans leurs chambres.
Ces souteneurs élèvent leurs petits jésus. Les pédérastes passifs sont des «petits jésus», des «jésus», ou des «tantes».
Les
petits «jésus» sont des enfants abandonnés et dévoyés que le hasard
amène dans les mains d'un pédéraste actif qui les séduit et leur ouvre
alors une carrière horrible pour gagner leur vie, soit comme
entretenus, soit comme les hétaïres masculines des rues avec ou sans
souteneur.
Les petits jésus les plus rusés et les plus
recherchés sont élevés et dressés par ceux qui enseignent à ces enfants
l'art d'une mise et d'un maintien féminins.
Peu à peu ils
cherchent à se débarrasser de leurs professeurs et exploiteurs pour
devenir «femmes entretenues»; souvent ils arrivent à cette émancipation
par une dénonciation anonyme du souteneur à la police.
La
préoccupation du souteneur et du petit jésus est que ce dernier garde,
par toutes sortes d'artifices de toilette, son air juvénile aussi
longtemps que possible.
L'extrême limite d'âge est probablement
la 25e année. Alors il devient «jésus» et «femme entretenue»; dans ce
cas, il est souvent entretenu par plusieurs individus à la fois. Les
«jésus» se divisent en «filles galantes», c'est-à-dire ceux qui sont de
nouveau tombés en la possession d'un souteneur, et en «pierreuses»
(coureurs ordinaires des rues comme leurs collègues féminines), et
enfin en «domestiques».
Ces derniers prennent une place de
domestique chez des pédérastes actifs pour servir à leurs désirs ou
parfois aussi pour leur amener des «petits jésus».
Une
subdivision de cette catégorie de domestiques est composée par ceux qui
se placent comme femme de chambre petit jésus. Le but principal de ces
domestiques est de se procurer, étant en place, des documents
compromettants à l'aide desquels ils pourront faire plus tard du
chantage et se procurer, par cette extorsion, une existence assurée
pour leurs vieux jours.
La catégorie la plus détestable des
pédérastes passifs est bien cette des «tantes», c'est-à-dire des
souteneurs de prostituées féminines, qui ont une vie sexuelle normale,
mais qui, monstres au moral, pratiquent la pédérastie passive par
âpreté au gain ou dans le but de faire du chantage.
Les amateurs
riches ont leurs réunions, leurs locaux où les passifs apparaissent
vêtus en femmes et où l'on fait les orgies les plus horribles. Les
garçons de service, les musiciens de ces soirées sont tous pédérastes.
Les filles galantes n'osent pas, sauf en temps de carnaval, se montrer
vêtus en femmes dans les rues, mais ils savent afficher leur métier
honteux par certaines marques dans leur extérieur, dans la coupe
féminine de leur mise, etc.
Ils attirent par gestes, par attouchements, etc.; ils mènent leurs conquêtes dans les hôtels, les bains ou les bordels.
Ce
que l'auteur dit du chantage est généralement connu. Il y a des cas où
des pédérastes se laissent extorquer toute leur fortune.
La note
suivante coupée dans une feuille berlinoise (National-Zeitung) du mois
de février 1881, qui m'est tombée par hasard entre les mains, paraît de
nature à bien caractériser la vie et les menées des uranistes.
Le
bal des mysogines. Presque tous les éléments de la société de Berlin
ont leurs réunions: les gros, les chauves, les célibataires, les veufs.
Pourquoi les ennemis du sexe féminin n'auraient-ils pas la leur? Cette
espèce d'hommes, très curieuse au point de vue psychologique, mais peu
édifiante au point de vue social, donnait ces jours derniers un bal.
L'affiche annonça: «Grand bal masqué viennois.» On procédait avec une
sévérité extrême à la vente et à la distribution des billets: ces
messieurs veulent être entre eux. Leur rendez-vous est un grand local
de danse bien connu. Nous entrons dans la salle vers minuit. On danse
ferme aux sons d'un orchestre très bien tenu. L'épaisse fumée qui voile
les becs de gaz ne permet pas de voir ressortir assez nettement les
détails des mouvements du public. Ce n'est que pendant l'entr'acte que
nous pouvons passer une revue plus minutieuse. Les masques sont en
immense majorité; on ne voit qu'isolément l'habit noir et la robe de
soirée.
Mais qu'est-ce que c'est que cela? Une dame en tarlatan
rose qui passe près de nous avec un grand bruit de froufrou, tient dans
le coin de sa bouche un cigare allumé et lance des bouffées de fumée
comme un cuirassier. Elle porte une petite barbe blonde à peine
dissimulée par le maquillage. Maintenant elle cause avec un «ange»
fortement décolleté qui est planté là, les bras nus derrière le dos et
qui fume aussi. Ce sont deux voix d'hommes et le sujet d'entretien est
aussi très masculin; il s'agit de ce «fichu tabac qui ne tire pas».
Voilà donc deux hommes en toilettes de femmes.
Un clown, comme
on en voit tant, est là-bas près d'une colonne en conversation très
affectueuse avec une ballerine et enlace d'un bras la taille
irréprochable de cette dernière. Elle a une coiffure à la Titus blonde,
un profil très accentué et à ce qu'il paraît des formes plantureuses.
Les boucles d'oreilles étincelantes, le collier avec le médaillon
autour du cou, les épaules et les bras pleins et arrondis ne laissent
aucun doute sur son authenticité jusqu'à ce que, avec un mouvement
brusque, elle se détache du bras qui la tient et en bâillant dise d'une
voix du plus bas creux: «Émile tu es aujourd'hui trop ennuyeux.» Le
professeur en croit à peine ses yeux: la ballerine aussi est du sexe
masculin!
Plein de méfiance nous continuons notre examen. Nous
sommes près de supposer qu'ici on joue «au monde renversé», car voilà
que nous voyons marcher ou plutôt trottiner un homme,--non décidément
cela n'en est pas un, bien qu'il porte une petite moustache bien
soignée. Ces cheveux bouclés et bien soignés, cette figure maquillée et
poudrée, avec des sourcils fortement dessinés à l'encre de Chine, ces
boucles d'oreilles d'or, ce bouquet de fleurs qui couvre la partie
comprise entre l'épaule gauche et la poitrine et qui orne l'élégant
smocking noir, ces bracelets d'or aux poignets et cet éventail élégant
à la main gantée de blanc: ce ne sont point les attributs d'un homme.
Et avec quelle coquetterie il manie son éventail, comme il se dandine
et se tourne, comme il trottine et chuchotte! Et pourtant! Et pourtant
la nature si bonne a créé homme cette poupée! Il est vendeur dans une
maison de confection de notre capitale, et la ballerine que nous
venions de voir à l'instant est son «collègue».
Là bas, à une
table de coin, on semble tenir grand cercle. Plusieurs messieurs d'un
âge mûr se pressent autour d'un groupe de dames fort décolletées qui
sont assises devant des bouteilles de vin et qui, à en juger par leur
hilarité bruyante, ne lancent pas des plaisanteries très discrètes. Qui
sont ces trois dames? «Dames», dit en souriant mon guide expérimenté;
celle à droite, aux cheveux bruns et en costume de fantaisie à
demi-long, c'est la «marchande de beurre», de son métier garçon
coiffeur; la seconde, la blonde, en costume de chanteuse de
café-concert, avec un collier de perles, est ici connue sous le nom de
«Miss Ella sur la Corde», de son métier un ouvrier tailleur pour dames;
la troisième c'est la fameuse «Lotte», si connue et si célèbre.
Mais
il est impossible que cela soit un homme! Voyez cette taille, ce buste,
ces bras classiques, tout cet air et ces manières ont un caractère
décidément féminin!
On m'apprend que «Lotte» était autrefois
comptable. Aujourd'hui elle ou plutôt il est exclusivement «Lotte» et
il trouve son plaisir à tenir les hommes aussi longtemps que possible
en erreur sur son sexe. Lotte est en train de chanter un couplet qui
n'est pas tout à fait conforme à l'étiquette d'une Cour impériale; elle
fait entendre, grâce à un entraînement et à un exercice de longues
années, une voix d'alto que bien des cantatrices pourraient lui envier.
«Lotte» a aussi très souvent «travaillé» dans la spécialité d'«actrice
comique». Aujourd'hui l'ancien comptable s'est tellement absorbé dans
son rôle de dame que, même quand il sort dans la rue, il paraît
toujours en toilette de femme, et les gens chez lesquels il est logé,
racontent qu'il se sert même d'une robe de nuit de dame joliment brodée.
En
examinant de plus près les assistants, j'ai découvert, à ma grande
surprise, plusieurs personnes de ma connaissance: mon cordonnier que
j'aurais pris pour tout autre chose plutôt que pour un ennemi du beau
sexe; il est aujourd'hui déguisé en «Trouvère» avec épée et chapeau à
plumes et sa «Léonore» en costume de fiancée me donne habituellement au
bureau de tabac les «Havanne» et les «Upmann». Je reconnais bien
distinctement la «Léonore» qui pendant l'entr'acte s'est dégantée:
voilà bien ses grandes mains couvertes d'engelures. Tiens! voilà aussi
mon fournisseur de cravates! Il court dans un costume bien risqué; il
est en «Bacchus» et le céladon d'une dame attifée d'une manière
déplaisante, dame qui, à d'autres heures, sert comme garçon de
brasserie. Les «vraies» dames qu'on rencontre ne sauraient faire le
sujet d'une description destinée à la publicité. Dans tous les cas
celles-ci n'ont de rapports qu'entre elles et évitent tout
rapprochement avec les hommes mysogines, pendant que ceux-ci restent et
s'amusent entre eux, et ne prennent aucun souci du sexe féminin.
Ces
faits méritent l'attention pleine et entière des autorités policières
qui devraient être à même d'avoir légalement le même pouvoir d'agir
contre la prostitution masculine, que contre la prostitution féminine.
Dans
tous les cas, la prostitution masculine est de beaucoup plus dangereuse
pour la société que la prostitution féminine: c'est la plus grande des
hontes dans l'histoire de l'humanité.
Je sais par les
renseignements d'un fonctionnaire supérieur de la police de Berlin que
celle-ci connaît jusque dans ses moindres détails le demi-monde
masculin de la capitale allemande et qu'elle fait tout son possible
pour combattre le chantage chez les pédérastes, car souvent les
maîtres-chanteurs ne craignent pas de commettre même un assassinat.
Les
faits que nous venons de citer justifient notre désir de voir le
législateur de l'avenir renoncer, du moins pour des raisons d'utilité,
aux poursuites judiciaires contre la pédérastie.
Il est à
remarquer à ce sujet que le Code français laisse la pédérastie impunie
tant qu'elle ne constitue pas en même temps un outrage public à la
pudeur. Peut-être pour des raisons politiques et sociales le nouveau
Code italien aussi passe sous silence le délit d'impudicité contre
nature, de même que la législation hollandaise, et autant que je sache
les législations belge et espagnole.
Nous laissons de côté la
question de savoir dans quelle mesure les pédérastes d'élevage peuvent
être considérés encore comme normaux au physique et au moral. Il est
probable que la plupart d'entre eux souffrent de névroses génitales.
Dans tous les cas, on trouve des transitions qui se confondent presque
avec l'inversion sexuelle acquise. On ne peut pas, en général, mettre
en doute la responsabilité de ces individus qui sont encore bien
au-dessous de la prostituée.
En ce qui concerne la forme de la
satisfaction sexuelle, on peut, en somme, caractériser les diverses
catégories des hommes aimant l'homme par ce trait que l'uraniste
congénital ne devient qu'exceptionnellement pédéraste, et qu'il y est
amené éventuellement après avoir essayé et épuisé tous les autres actes
d'impudicité possibles entre des individus de sexe masculin.
La
pédérastie passive est idéalement et pratiquement la forme qui
correspond à l'acte sexuel. L'uraniste accomplit la pédérastie active
par complaisance. L'important est son inversion congénitale et
inaltérable. Il n'en est pas de même avec le pédéraste qui l'est devenu
par éducation. Il s'est comporté sexuellement d'une façon normale ou du
moins il a senti ainsi; et épisodiquement, à ses heures de liberté, il
a encore des rapports avec l'autre sexe.
Sa perversité sexuelle
n'est ni primitive ni inaltérable. Il commence par la pédérastie et
finit éventuellement par d'autres pratiques sexuelles qui sont encore
possibles malgré la faiblesse du centre d'érection ou du centre
d'éjaculation. Son désir sexuel, quand il est à l'apogée de la
puissance, n'est pas pour la pédérastie passive, mais pour l'active.
Toutefois il consent, par complaisance ou par rapacité d'hétaïre
masculin, à se prêter à la pédérastie passive; parfois c'est aussi un
moyen de stimuler sa puissance en voie d'extinction afin de pouvoir de
temps en temps encore accomplir la pédérastie active.
Une chose
bien dégoûtante que nous devrions mentionner encore c'est la pædicatio
mulierum[124] et même uxorum, selon les circonstances.
[Note
124: Comparez Tardieu, Attentats, p. 198; Martineau, Deutsche med.
Zeitg., 1882, p. 9; Virchow, Jahrbuch, 1881, p. 553; Coutagne, Lyon
médical, nº 35, 36.]
Des débauchés accomplissent ces actes d'un
goût particulier sur des filles vénales ou même sur leurs épouses.
Tardieu cite des exemples d'hommes qui, en dehors du coït régulier avec
leurs épouses, faisaient de temps en temps la pédication. Parfois la
crainte de provoquer une nouvelle grossesse peut pousser l'homme à cet
acte et décider la femme à le tolérer.
OBSERVATION 198
(Pédérastie imputée mais non prouvée. Renseignements puisés dans le
dossier).--Le 30 mai 1888 le docteur chimiste S... a été dénoncé par
une lettre anonyme adressée à son beau-père comme entretenant des
rapports immoraux avec le fils du boucher G..., jeune homme âgé de
dix-neuf ans. On remit au docteur S... la lettre. Indigné du contenu de
cette missive, il alla trouver son supérieur hiérarchique qui lui
promit de procéder discrètement dans cette affaire, de s'informer
auprès de la police des propos qui couraient dans le public et de ce
qu'on en disait en général.
Le 31 mai au matin, la police arrêta
le jeune G..., qui était atteint de blennorrhagie avec orchite et qui
était couché dans l'appartement du docteur S. où on le soignait. Le
docteur S. fit auprès du procureur des démarches pour obtenir la mise
en liberté de G.; il offrit même un cautionnement, ce qui fut refusé.
Dans sa requête adressée au tribunal, le docteur S. prétend qu'il y a
trois ans il fit dans la rue la connaissance du jeune G., que depuis il
l'avait perdu de vue, et qu'il ne l'aurait retrouvé qu'à l'automne de
1887 dans le magasin de son père. Depuis novembre 1887, c'est G. qui
était chargé de fournir la viande nécessaire pour la cuisine du
docteur; il venait le soir pour prendre la commande et le matin pour
livrer la marchandise. C'est ainsi que le docteur S. fit une
connaissance plus étroite de G., et peu à peu il eut des sentiments
amicaux pour ce jeune homme. Le docteur S. tomba malade et resta la
plupart du temps au lit jusqu'au 15 mai 1888; G. eut tant d'attentions
pour lui que S. ainsi que sa femme le prirent en affection à cause de
son attitude gaie, innocente et toute filiale. Le docteur S. lui
montrait sa collection d'antiquités, et tous deux passaient souvent
ensemble des soirées pendant lesquelles Mme S. leur tenait compagnie.
S. prétend encore avoir fait avec G. des essais de fabrication de
saucisses et de gelées, etc. Vers la fin du mois de février, G. fut
atteint de blennorrhagie. Comme le docteur S. l'estimait comme un ami,
qu'il aimait beaucoup à soigner les malades et qu'il avait étudié la
médecine pendant plusieurs semestres, il s'occupa de G. et lui donna
des médicaments, etc. Comme G. était encore malade au mois de mai et
que, pour bien des raisons, il aurait été désirable qu'il quittât la
maison paternelle, M. et Mme S. le prirent chez eux pour le soigner.
S.
repousse avec indignation toutes les suspicions auxquelles ces faits
ont donné lieu; il invoque son passé honorable, sa bonne éducation, la
circonstance qu'à cette époque G. était atteint d'une maladie
dégoûtante et contagieuse et que lui-même S. souffre d'une maladie
douloureuse (calculs néphrétiques avec coliques temporaires).
En
face de cette version bien inoffensive du docteur S., il faut cependant
tenir compte des faits suivants qui ont été établis par l'enquête
judiciaire et sur lesquels s'est appuyée la sentence du tribunal de
première instance.
La liaison de S. et G. a provoqué, par son
caractère choquant, bien des commentaires chez les particuliers et dans
les cabarets. G. passait la plupart de ses soirées dans le cercle de la
famille de S. dont il est devenu pour ainsi dire un familier. Tous deux
faisaient souvent des promenades ensemble. Pendant une de ces
promenades S. dit à G. qu'il était joli garçon et qu'il l'aimait
beaucoup. S. prétend n'avoir touché ce sujet que pour avertir G. de
certains dangers. Quant à leurs rapports dans la maison, il est établi
que S. assis sur le canapé, avait parfois enlacé de ses bras G. et
l'avait embrassé. Cette marque d'affection lui fut donnée aussi en
présence de Mme S. et de la bonne de la maison. Lorsque G. fut atteint
de blennorrhagie, S. lui montrait comment il fallait faire les
injections et, à cette occasion, il prenait dans sa main le membrum du
jeune homme. G. déclare qu'en demandant à S. pourquoi il l'aimait tant,
celui-ci aurait répondu: «Je ne le sais pas moi-même». Quand G. restait
quelques jours sans venir, S. s'en plaignait avec des larmes dans les
yeux aussitôt que G. faisait sa réapparition. S. lui disait aussi que
son ménage n'était pas heureux et, les larmes aux yeux, priait G. de ne
pas l'abandonner, car il était l'ami qui devait remplacer sa femme.
L'acte
d'accusation conclut de tous ces faits que la liaison entre les deux
accusés avait une tournure sexuelle. Si tout se passait en public et de
façon à être remarqué par tout le monde, c'est une circonstance qui,
selon l'acte d'accusation, ne vient point à l'appui du caractère
inoffensif de la liaison, mais c'est plutôt une preuve de l'intensité
de la passion de S. On convient que l'accusé a des antécédents sans
tache, une conduite honorable et un coeur tendre. Il est probable que
la vie conjugale de S. n'était pas heureuse et qu'il avait des
disposions naturelles très sensuelles.
Au cours de l'instruction
judiciaire, on a plusieurs fois soumis G. à un examen médico-légal. Il
est d'une taille moyenne, avec un teint pâle, une constitution robuste.
Le pénis et les testicules sont très fortement développés.
On a
constaté d'un unanime accord que l'anus, par suite du manque de plis à
son pourtour et du relâchement du sphincter, était altéré
pathologiquement, et que ces changements permettaient avec une certaine
probabilité de conclure à la pratique de la pédérastie passive.
C'est
sur ces faits que fut basée la sentence du tribunal. L'arrêt a reconnu
que la liaison existant entre les deux accusés n'indiquait pas d'une
manière certaine l'impudicité contre nature, les constatations faites
sur le corps de G. ne suffisant pas en elles-mêmes à en fournir la
preuve.
Mais, prenant dans son ensemble ces deux circonstances,
le tribunal s'est fait la conviction que les deux accusés étaient
coupables, et considéra comme établi que: «l'état anormal de l'anus de
G. n'a pu se produire qu'à la suite de l'introduction réitérée du
membre de l'accusé S. dans cette partie du corps, et que G. s'est prêté
complaisamment à ces pratiques et a toléré l'exécution sur lui de ces
actes immoraux».
Ainsi le cas prévu par l'article 175 du R. St.
G. semble être établi. En fixant les peines on a tenu compte du degré
d'instruction de S., du fait que c'est lui qui a évidemment séduit G.;
pour ce dernier on a pris en considération qu'il avait été séduit et
qu'il était encore très jeune; pour tous les deux, on admit comme
circonstance atténuante leurs bons antécédents, et, conformément à ces
conditions, le Dr S. a été condamné à huit mois de prison, le jeune G.
à quatre mois.
Les accusés se sont pourvus en cassation auprès
du tribunal de l'empire à Leipzig et se préparaient, dans le cas où la
cassation serait rejeté, à recueillir des documents afin de pouvoir
demander la révision du procès.
Ils se soumirent à l'examen et à
l'observation de spécialistes célèbres. Ceux-ci déclarèrent que,
d'après les constatations faites sur l'anus de G., il n'y avait aucun
indice d'actes de pédérastie passive.
Comme les parties
intéressées attachaient aussi une grande importance au côté
psychologique du cas, dont on ne s'était pas du tout occupé pendant
l'audience, l'auteur du ce livre reçut la mission d'examiner et
d'observer le Dr S. et son coaccusé G.
Résultats de mon examen
personnel fait du 11 au 18 décembre 1888, à Gratz.--Le Dr S...,
trente-sept ans, marié depuis deux ans, sans enfants, autrefois chef du
laboratoire municipal à H., est né d'un père qui, à ce qu'on dit, est
devenu nerveux à la suite de surmenage. À l'âge de cinquante-sept ans
il a été atteint d'une attaque d'apoplexie; à l'âge de soixante-sept
ans, il est mort à la suite d'une nouvelle attaque d'apoplexie. La mère
vit encore: on la dépeint comme une femme vigoureuse, mais qui depuis
des années souffre des nerfs. La mère de cette dernière est morte à un
âge assez avancé et, prétend-on, à la suite d'un abcès du cervelet. Un
frère du père de la mère aurait été buveur. Le grand-père de l'accusé
du côté paternel est mort prématurément à la suite d'un ramollissement
du cerveau.
Le Dr S... a deux frères qui jouissent d'une bonne santé.
Lui-même
déclare qu'il est d'un tempérament nerveux et d'une constitution
robuste. Il prétend qu'après avoir eu, à l'âge de quatorze ans, un
rhumatisme articulaire aigu, il a souffert pendant plusieurs mois d'une
grande nervosité. À la suite, il souffrait souvent de rhumatismes,
ainsi que de battements de coeur et de suffocations. Ces malaises
disparurent peu à peu sous l'influence de l'usage des bains de mer. Il
y a sept ans, il a attrapé une blennorrhagie. Cette blennorrhagie est
devenue chronique et lui a causé pendant longtemps des douleurs de
vessie.
En 1887, le docteur S. a subi son premier accès de
colique néphrétique. Ces accès se répétèrent plusieurs fois au cours de
l'hiver 1887-1888, jusqu'au 10 mai 1888 où un gros calcul néphrétique
se dégagea. Depuis ce moment, son état de santé a été assez
satisfaisant. Il prétend que, à l'époque où il souffrait de la pierre,
il avait pendant le coït, au moment de l'éjaculation, une douleur aiguë
dans l'urètre, de même quand il urinait.
Quant à son curriculum
vitæ, S. déclare qu'il a, jusqu'à l'âge de quatorze ans fréquenté le
lycée; mais, à partir de cette époque, il a dû, à la suite d'une
maladie grave, continuer ses études sous la direction d'un maître
particulier. Ensuite, il a passé quatre ans dans l'officine d'un
droguiste; plus tard, il a, pendant six semestres, suivi les cours de
la Faculté de médecine; et, pendant la guerre de 1870, il a servi comme
aide-volontaire de lazaret. N'ayant pas son baccalauréat, il a
abandonné l'étude de la médecine; il a acquis le diplôme de docteur en
philosophie; ensuite il a servi comme assistant au musée minéralogique
à K., plus tard à H., et puis il s'est livré à des études spéciales de
chimie alimentaire et, il y a cinq ans, il a pris le poste de chef de
laboratoire municipal.
S... fait toutes ces dépositions d'une
manière sûre et précise. Il ne cherche pas à rappeler ses souvenirs en
faisant ses réponses; de sorte qu'on a de plus en plus l'impression
d'avoir affaire à un homme qui aime et qui dit la vérité, d'autant plus
que, dans les examens des jours suivants, les dépositions furent
toujours les mêmes. En ce qui concerne sa vita sexualis, S. déclare
avec modestie, décence et franchise, que, à partir de l'âge de onze
ans, il s'est rendu compte de la différence des sexes, que jusqu'à
l'âge de quatorze ans il fut pendant quelque temps adonné à l'onanisme,
qu'il a fait son premier coït à l'âge de dix-huit ans, et qu'il l'a
pratiqué avec modération les années suivantes. Ses désirs sexuels n'ont
jamais été très grands, l'acte sexuel était normal à tous les points de
vue jusqu'à ces derniers temps; il avait la puissance nécessaire et une
sensation voluptueuse satisfaisante. Depuis son mariage, conclu il y a
deux ans, il n'a coïté qu'avec sa femme qu'il a épousée par inclination
et qu'il aime encore beaucoup; il faisait l'acte plusieurs fois par
semaine.
Mme S..., qui a dû être entendue, confirme pleinement ces dépositions.
À
toutes les questions contradictoires au sujet d'un sentiment sexuel
pervers pour l'homme, le docteur S. répondit, dans les examens
réitérés, par la négative, toujours d'accord avec ses dépositions et
sans avoir la moindre hésitation dans ses réponses; même lorsqu'on veut
lui tendre un piège en lui représentant que la preuve d'un sentiment
sexuel pervers serait fort utile pour le but qu'il veut atteindre avec
le nouvel examen médical, il persiste dans ses dépositions antérieures.
On fait cette constatation très précieuse que S. ne sait rien des faits
établis par la science sur l'amour homosexuel. Ainsi on apprend que ses
rêves accompagnés de pollutions, n'ont jamais pour objet des individus
du sexe masculin, que les nudités féminines seules l'intéressent,
qu'aux bals il aime à danser avec des femmes, etc. On ne peut découvrir
chez S. aucune trace de quelque inclination sexuelle pour son propre
sexe. En ce qui concerne ses relations avec G., il fait exactement les
mêmes déclarations qu'il a faites devant le juge d'instruction. Il ne
saurait expliquer son affection pour G. que par le fait qu'il est un
homme nerveux, sentimental, d'un coeur facile à toucher, et très
sensible aux prévenances aimables. Dans sa maladie, il se sentait isolé
et déprimé; sa femme était souvent absente, en visite chez ses parents,
et c'est ainsi qu'il est arrivé à conclure une amitié avec G., jeune
homme très poli et bon garçon. Maintenant encore, il a un faible pour
lui, et se sent dans sa compagnie très rassuré et heureux.
Il
eut déjà deux fois auparavant des amitiés de ce genre: quand il était
étudiant, pour un confrère du même corps d'étudiants, un docteur A.,
qu'il a souvent enlacé de ses bras et embrassé; plus tard pour un baron
M. Quand il le perdait de vue pendant quelques jours, il était
inconsolable jusqu'aux larmes.
Il a la même tendresse et le même
attachement pour les bêtes. Ainsi il a eu un chien qui est mort il y a
quelque temps, et qu'il a pleuré comme si c'était un membre de sa
famille; il embrassait souvent cet animal. (En évoquant ce souvenir,
S... a les larmes aux yeux.) Ces dépositions sont confirmées par le
frère du docteur, avec cette remarque que, en ce qui concerne l'amitié
de son frère avec A. et M., le moindre soupçon d'une tendance sexuelle
paraît exclu d'avance. Les interrogatoires les plus prudents et les
plus insistants, les procédés les plus insinuants avec le docteur S. ne
fournissent pas le moindre point d'appui pour des suppositions de ce
genre.
Il prétend n'avoir jamais eu non plus en présence de G.,
la moindre émotion sexuelle, et encore moins une érection ou un désir
sexuel. Quant à son affection pour G..., poussée jusqu'à la jalousie,
il l'explique simplement par son tempérament sentimental et par son
amitié exaltée. G. lui est encore cher aujourd'hui comme s'il était son
fils.
Un fait bien caractéristique, c'est que S. déclare que
lorsque G. lui racontait ses bonnes fortunes auprès des femmes, il ne
se sentait péniblement touché que parce qu'il craignait que G. courût
risque de se rendre malade par ses excès et de ruiner sa santé. Mais il
n'a jamais éprouvé un sentiment de froissement personnel. Si
aujourd'hui il connaissait pour G. une brave fille, il souhaiterait de
bon coeur de les marier, et il aiderait à arranger ce mariage.
S.
dit que ce n'est qu'au cours de l'enquête judiciaire qu'il a reconnu
avoir agi avec imprudence dans ses rapports sociaux avec G. en donnant
lieu aux cancans des gens. Il déclare que ses relations d'amitié
étaient publiques, parce qu'elles avaient un caractère tout à fait
innocent.
Il est à relever que Mme S. n'a jamais remarqué rien
de suspect dans les rapports de son mari avec G., tandis que la femme
la plus simple, guidée par son instinct, se serait doutée de quelque
chose. Mme S. n'a non plus fait aucune objection à ce que G. fut reçu à
la maison.
Elle fait valoir, à ce sujet, que la chambre dans
laquelle G. était couché pendant sa maladie, se trouve au premier
étage, tandis que l'appartement de la famille est au troisième; que, de
plus, S. ne restait jamais seul avec G., pendant que celui-ci était à
la maison. Elle déclare être convaincue de l'innocence de son mari, et
l'aimer toujours comme auparavant.
Le docteur S. avoue sans
réticence avoir autrefois souvent embrassé G. et avoir parlé avec lui
de questions sexuelles. G. est très ardent pour les femmes, et, étant
donnée cette circonstance, S., l'a souvent, par amitié, exhorté à ne
pas se livrer à ces excès, surtout quand G., comme c'était souvent le
cas, avait mauvaise mine à la suite de ses débauches sexuelles.
Il est vrai qu'il a dit une fois que G. était un joli garçon; mais cette remarque n'avait qu'un intérêt bien inoffensif.
C'est
dans un débordement d'amitié qu'il a embrassé G., alors que celui-ci
avait fait preuve d'une attention particulière ou lui avait fait un
plaisir. Mais jamais il n'y avait éprouvé aucune sensation sexuelle.
Aussi quand il rêvait par-ci par-là de G., c'était d'une façon bien
innocente.
L'auteur de ce livre crut d'une grande importance
d'étudier aussi le caractère de G. L'occasion s'en est offerte le 12
décembre de l'année courante, et il en a largement profité.
G...
est un jeune homme au corps délicat, développé normalement pour son
âge; il a vingt ans; il a une apparence névropathique et sensuelle. Les
parties génitales sont normales et fortement développées. L'auteur
croit devoir passer sur les constatations faites sur l'anus de ce jeune
homme, car il ne se croit pas autorisé à émettre un jugement sur le
rapport médical. Quand on s'entretient quelque temps avec G...,
celui-ci fait l'impression d'un jeune homme inoffensif, bon, dénué
d'astuce, léger, mais pas du tout corrompu moralement. Rien dans sa
mise, ni dans son attitude n'indique un sentiment sexuel pervers. On ne
peut concevoir le moindre soupçon d'avoir affaire à une courtisane du
sexe masculin.
G., amené in medias res, déclare que S. et lui
ont innocemment dit les choses qu'on leur reproche, et c'est là-dessus
qu'on a échafaudé tout le procès.
Au début l'amitié et surtout
les embrassements de S. lui ont paru étranges. Plus tard il s'est
convaincu que c'était de la pure amitié, et il ne s'en est plus étonné.
G. reconnut dans S. comme un ami paternel, et il l'aima parce que ce dernier lui était agréable sans arrière-pensée.
Le
mot «joli garçon» a été prononcé un jour que G. avait une amourette et
qu'il exprimait ses doutes sur son bonheur à venir. C'est alors que S.
l'avait consolé en lui disant: «Vous avez une jolie tournure, vous ne
manquerez pas de faire un bon parti.»
Une fois S. s'est plaint à
lui que sa femme avait un penchant pour la boisson, et, en lui faisant
cette confidence, il avait les larmes aux yeux. Alors G. fut touché du
malheur de son ami. C'est à cette occasion que S. l'avait embrassé et
l'avait prié de lui conserver son amitié et de venir souvent le voir.
S.
n'a jamais spontanément amené la conversation sur les choses sexuelles.
Comme G. lui demandait un jour ce que c'était que la pédérastie, dont
il prétendait avoir entendu beaucoup parler en Angleterre, S. lui en
avait donné l'explication.
G. convient qu'il est homme de
prédispositions sensuelles. À l'âge de douze ans, il a été initié à la
vie sexuelle en entendant les propos des apprentis. Il ne s'est jamais
masturbé; à l'âge de dix-huit ans, il a fait le coït pour la première
fois, et depuis il a beaucoup fréquenté le bordel. Il n'a jamais
éprouvé une inclination pour son propre sexe, ni aucune sensation
sexuelle quand S. l'embrassait. Il a toujours fait le coït d'une façon
normale et avec volupté. Ses pollutions dans ses rêves étaient toujours
accompagnées d'images lascives concernant des femmes. Il repousse avec
indignation l'insinuation qu'il s'est livré à la pédérastie passive, et
invoque à ce propos qu'il descend d'une famille saine et honnête.
Avant
que le bruit relatif à ces soupçons eût éclaté, il ne se doutait de
rien et ne pensait nullement à mal. Il donne sur les anomalies de son
anus, les mêmes essais d'explication qu'on trouve dans le dossier du
l'affaire. Il nie avoir fait de l'auto-masturbation in ano.
Il
est bon de remarquer que J. S., en entendant parler du prétendu amour
homosexuel de son frère, n'en aurait pas été moins étonné que les
autres personnes qui connaissaient celui-ci de plus près. Il est vrai
qu'il n'a pu comprendre lui non plus ce qui attachait son frère à G.,
et que toutes les représentations qu'il lui avait faites sur son
attitude étaient restées inutiles.
L'expert s'est donné la peine
d'observer sans qu'on s'en aperçût le docteur S. et G. pendant qu'ils
soupaient à Gratz, en compagnie du frère de S. et de Mme S. Cette
observation n'a pas fourni le moindre indice dans le sens d'une amitié
illicite.
L'impression générale que m'a faite le docteur S. fut
celle d'un individu nerveux, sanguin, un peu exalté, mais en même temps
de bon caractère, franc, et avant tout un homme sentimental.
Le
docteur S., est au physique, vigoureux, un peu replet; il a une tête
régulière et légèrement brachycéphale. Les parties génitales sont très
développées, le pénis est un peu gros, le prépuce un peu hypertrophié.
Conclusions.--La
pédérastie est une forme insolite, perverse, et l'on peut même dire
monstrueuse, de la satisfaction sexuelle, qui, dans la vie moderne,
n'est malheureusement pas rare, mais toutefois exceptionnelle parmi les
populations européennes. Elle suppose une perversion congénitale ou
acquise du sens sexuel en même temps qu'une défectuosité du sens moral
acquise par des influences héréditaires ou morbides.
La science
médico-légale connaît exactement les conditions physiques et psychiques
sur la base desquelles se produit cette aberration de la vie sexuelle
et, dans un cas concret, surtout lorsqu'il est douteux, il paraît
nécessaire d'examiner si ces conditions empiriques et subjectives
existent aussi pour la pédérastie.
À ce sujet, il faut bien distinguer entre la pédérastie active et la passive. La pédérastie active se rencontre:
I. Comme phénomène non morbide:
1º
Comme moyen de satisfaction sexuelle dans le cas d'une abstinence
forcée des jouissances sexuelles normales, quand en même temps
l'individu a de grands besoins sexuels;
2º Chez de vieux
débauchés qui, rassasiés des jouissances sexuelles normales, et devenus
plus ou moins impuissants, et de plus dépravés moralement, ont recours
à la pédérastie pour stimuler leur volupté par ce charme d'un nouveau
genre, et remonter un peu leur impuissance psychique et somatique
tombée très bas;
3º Traditionnel chez certains peuples à un
niveau très bas de civilisation et dont ni la moralité ni les moeurs ne
sont développées.
II. Comme phénomène morbide:
1º Sur la
base d'une inversion sexuelle congénitale avec horreur des rapports
sexuels avec la femme, inversion qui va jusqu'à l'impuissance à
accomplir l'acte normal. Ainsi que l'a déjà remarqué Casper, la
pédérastie est très rare dans ce cas. L'uraniste se satisfait avec
l'homme par la masturbation passive ou mutuelle ou par des actes
similaires du coït (par exemple coitus inter femora) et n'arrive
qu'exceptionnellement à la pédérastie, par rut sexuel ou par
complaisance, quand le sens moral est chez lui très diminué;
2º Sur la base de l'inversion morbide acquise:
a.
À la suite de l'onanisme pratiqué pendant des années et ayant rendu
l'individu impuissant en présence de la femme, et quand en même temps
un vif désir sexuel continue à subsister;
b. À la suite d'une
grave maladie psychique (imbécillité sénile, ramollissement du cerveau
chez les aliénés, etc.); dans ce cas, ainsi que l'a démontré
l'expérience, l'inversion sexuelle peut se produire facilement.
La pédérastie passive se rencontre:
I. Comme phénomène non morbide:
1º
Chez des individus de la lie du peuple, qui ont eu le malheur d'être
séduits dès l'enfance par des roués et dont la douleur et le dégoût ont
été vaincus par l'argent; il faut encore que ces individus, moralement
dégradés, soient tombés assez bas, quand ils arrivent à l'âge adulte,
pour se plaire dans ce rôle d'hétaïres masculins;
2º Dans des circonstances analogues à celle du paragraphe I, pour récompenser un consentement à la pédérastie active.
II. Comme phénomène morbide:
1º
Chez des individus atteints d'inversion sexuelle, comme compensation de
services d'amour rendus et en surmontant la douleur et le dégoût;
2º
Chez des uranistes qui se sentent femmes, en face de l'homme; les
mobiles sont la volupté et leur penchant. Chez ces hommes-femmes il y a
horror feminæ et incapacité absolue pour les rapports sexuels avec la
femme. Le caractère et les inclinations sont féminins.
Telles
sont les observations recueillies par la science médico-légale et la
psychiatrie. La science médicale exige la preuve qu'un homme appartient
à une des catégories susénumérées, pour qu'elle puisse croire que cet
individu est pédéraste.
C'est en vain qu'on chercherait, dans
les antécédents et dans l'extérieur du docteur S., des symptômes
permettant de le classer dans une des catégories de la pédérastie
active établies par la science. Ce n'est ni un individu astreint à
l'abstinence sexuelle, ni un individu devenu impuissant en face des
femmes par suite de débauches, ni un homosexuel, ni un individu devenu
par suite d'une masturbation continuelle indifférent pour la femme et
poussé vers l'homme, ni un individu devenu, par suite d'une grave
maladie mentale, sexuellement pervers.
Il n'a pas même les
caractères généraux de la pédérastie: imbécillité morale ou dépravation
d'un côté, et trop grands besoins sexuels de l'autre.
Il est
aussi impossible de classer son complice G., dans une des catégories de
la pédérastie passive; car il n'a ni les attributs d'une hétaïre
masculine, ni les stigmates cliniques de l'homme-femme. Il est tout le
contraire de cela.
Pour rendre plausible du point de vue
médico-légal une liaison pédéraste entre ces deux hommes, il faudrait
alors que le docteur S., présentât les antécédents et les symptômes du
pédéraste actif mentionnés (I al. 2) et G., ceux du pédéraste passif
cités (II al. 1 ou 2).
La supposition sur laquelle se fonde le verdict est, au point de vue de la psychologie légale, insoutenable.
On
pourrait, pour la même raison, prendre tout homme pour un pédéraste.
Reste encore à examiner si, au point de vue psychologique, les
explications fournies par S., et G., sur leur amitié au moins étrange,
tiennent debout.
Au point de vue psychologique, ce n'est pas un
fait sans analogie qu'un homme excentrique et sentimental comme S.,
conclue une amitié transcendante sans aucune émotion sexuelle.
Il
suffit de rappeler à ce propos les amitiés intimes qui se lient dans
les pensionnats de filles, l'amitié pleine de dévouement de jeunes gens
sentimentaux en général, la tendresse que l'homme de coeur sensible
montre même envers un animal domestique, sans que personne l'interprète
comme une tendance sodomiste.
Étant donnée la particularité
psychologique du docteur S., une amitié exaltée pour le jeune G., est
très compréhensible. La franchise avec laquelle se montrait cette
amitié devant le public laisse plutôt supposer le caractère innocent de
cette affection qu'une passion sensuelle.
Les condamnés
réussirent à obtenir une revision de la procédure judiciaire. Le 7 mars
1890 eurent lieu les nouveaux débats contradictoires. Les dépositions
des témoins fournirent en faveur des accusés des faits qui les
disculpaient entièrement.
Tous reconnurent la conduite morale de
S., antérieurement. La soeur de charité qui a soigné G., pendant que
celui-ci se trouvait malade à la maison de S., n'a jamais remarqué rien
de suspect dans leurs rapports. Les anciens amis de S., témoignèrent de
sa moralité, de son amitié très tendre et de son habitude de les
embrasser à l'arrivée et avant le départ. Les modifications qu'on avait
autrefois constatées à l'anus de G., n'existaient plus. Un des experts
convoqués par le tribunal admit la possibilité que ces anomalies de
l'anus aient été occasionnées par des manipulations digitales. Leur
valeur diagnostique a été contestée par le médecin-expert convoqué par
le défenseur.
Le tribunal a reconnu que la preuve du délit présumé n'existait pas, et il a prononcé l'acquittement des accusés.
AMOR LESBICUS[125].
[Note
125: Comparez Mayer, Friedreichs Blätter, 1875, p. 41; Krausold,
Melankolie und Schuld, 1885, p. 20; Andronico, Archiv. di psich.
scienze penali e d'anthropol., crim., vol. III, p. 145]
Son
importance médico-légale est bien minime quand il s'agit de rapports
entre adultes. En Autriche seulement, il pourrait avoir une importance
pratique. Mais, comme pendant de l'uranisme, il a une importance
anthropologique et clinique. L'amor lesbicus ne paraît pas être moins
rare que l'uranisme. La grande majorité des uranistes féminins ne
cèdent pas à un penchant congénital, mais ils se développent dans des
conditions analogues à celles de l'uranisme artificiel.
Cette «amitié défendue» fleurit surtout dans les prisons de femmes.
Krausold
(op. cit.) dit: «Les prisonnières lient souvent entre elles ce genre
d'amitié dans laquelle, il est vrai, on aboutit autant que possible à
la manustupration mutuelle.»
Mais le but de ces amitiés ne
consiste pas seulement dans une passagère satisfaction manuelle. Elles
sont aussi liées pour ainsi dire systématiquement et pour une époque
plus longue pendant laquelle se développent une jalousie féroce et un
amour ardent d'une violence qu'on ne trouve guère plus intense parmi
les personnes de sexe différent. Si l'amie d'une prisonnière s'aperçoit
d'un sourire pour une autre, il y a des scènes violentes de jalousie et
des crépages de chignon.
Si la prisonnière qui s'est laissée
aller aux voies de fait, a été, selon le règlement, punie et mise aux
fers, elle dit que «son amie lui a fait un enfant».
Nous devons
aussi à Parent-Duchâtelet (De la prostitution, 1857) des renseignements
très intéressants sur l'amor lesbicus artificiellement créé.
Le
dégoût provoqué par les actes les plus abominables et les plus pervers
(coitus in axilla, inter mammas, etc.) que les hommes commettent sur
des prostituées, poussent souvent ces malheureuses, dit l'auteur cité,
à l'amour lesbien. Il ressort de ses recherches que ce sont
particulièrement les prostituées de grande sensualité qui, non
satisfaites par les rapports avec des impuissants ou des pervers, et
dégoûtées de leurs pratiques, sont amenées à cette aberration.
De
plus, les prostituées qui se font remarquer comme tribades, sont
toujours des personnes qui ont fait plusieurs années de prison et qui
ont contracté cette aberration dans ces foyers d'amour lesbien ex
abstinentia.
Il est bien intéressant de constater que les
prostituées méprisent les tribades, de même que l'homme méprise le
pédéraste, tandis que les prisonnières femmes ne considèrent point ce
vice comme choquant.
Parent cite le cas d'une prostituée qui, en
état d'ivresse, a voulu en violer une autre à la manière lesbienne.
Là-dessus les autres filles du bordel furent prises d'une telle
indignation qu'elles dénoncèrent cette pervertie à la police. Taxil
(op. cit. p. 166, 170) cite des faits analogues.
Mantegazza
également (Études d'anthropologie et d'histoire de la civilisation)
trouve que les rapports sexuels entre femmes ont surtout la
signification d'un vice qui s'est développé à la suite d'une
hyperæsthesia sexualis non satisfaite.
Nombre de cas de ce
genre--abstraction faite de l'inversion sexuelle congénitale--sont tout
à fait analogues aux cas masculins dans lesquels le vice s'est
artificiellement développé, est devenu peu à peu de l'inversion
sexuelle acquise avec horreur des rapports sexuels avec les individus
de l'autre sexe.
Il est probable qu'il s'agit de cas de ce genre
dans les correspondances que nous rapporte Parent entre amantes,
correspondances aussi débordantes et aussi sentimentales que celles
entre des amoureux de sexe différent; l'infidélité et la séparation
mettaient hors d'elle l'abandonnée; la jalousie était féroce et amenait
souvent à des vengeances sanglantes. Les cas suivants d'amor lesbicus
cités par Mantegazza sont certainement morbides et peut-être des faits
d'inversion congénitale.
1º Le 5 juillet 1877 a comparu devant
le tribunal, à Londres, une femme qui, déguisée en homme, s'était déjà
mariée trois fois avec diverses femmes. Elle a été reconnue femme
devant tout le monde et condamnée à six mois de prison.
2º En
1773, une autre femme, déguisée en homme, fit la cour à une jeune
fille, demanda sa main, mais sa tentative audacieuse ne réussit pas.
3º
Deux femmes vécurent ensemble pendant trente ans, comme mari et femme.
Ce n'est qu'en mourant que l'«épouse» a révélé le secret aux personnes
qui entouraient son lit.
Coffignon (op. cit., p. 301) cite de nouveaux faits remarquables.
Il
rapporte que cette aberration est maintenant très à la mode, en partie
à cause des romans qui traitent de ce sujet, en partie aussi par suite
de l'excitation des parties génitales par un travail excessif avec les
machines à coudre, et aussi par la fait que les domestiques féminins
couchent souvent dans le même lit, puis par les séductions qui se font
dans les pensions par des élèves perverties ou par la séduction des
filles de famille par des servantes perverses.
L'auteur prétend
que ce vice (saphisme) se rencontre de préférence chez les dames de
l'aristocratie et chez les prostituées. Mais il ne distingue pas entre
les cas physiologiques et pathologiques, et parmi ces derniers il ne
fait pas non plus la distinction entre les cas acquis et les cas
congénitaux. Certains détails concernant des cas sûrement pathologiques
correspondent complètement aux faits qu'on a pu recueillir sur les
hommes atteints d'inversion sexuelle.
Les saphistes ont leurs
lieux de réunion à Paris, se reconnaissent par le regard, les gestes,
etc. Des couples saphistes aiment à s'habiller et à se parer de la même
façon. On les appelle alors «petites soeurs».
9.--NÉCROPHILIE[126].
[Note 126: Comparez Maschka, Hdb. III, p. 191 (bonnes notes historiques); Legrand, La Folie, p. 521.]
(Code autrichien, § 306.)
Cette
forme horrible de la satisfaction sexuelle est si monstrueuse que la
supposition d'un état psychopathique est justifiée dans tous les cas;
Maschka exige que dans ces cas on examine toujours l'état mental du
sujet. Cette exigence est parfaitement fondée. Il faut une sensualité
morbide assurément perverse pour surmonter l'horreur naturelle que
l'homme éprouve devant les cadavres, et pour trouver du plaisir à la
conjonction sexuelle avec un cadavre.
Malheureusement, dans la
plupart des cas qui ont été rapportés dans les publications spéciales,
l'état mental de l'individu n'a pas été examiné, de sorte que la
question de savoir si la nécrophilie est compatible avec l'intégrité
mentale, n'est pas tranchée. Celui qui connaît les aberrations
horribles de la vie sexuelle n'oserait pas répondre à cette question
par la négative.
La
conservation de la pureté morale de la vie de famille est due au
développement de la civilisation; chez l'homme civilisé qui est encore
intact au point de vue éthique, un sentiment pénible se fait toujours
sentir quand il lui vient une idée libidineuse concernant un membre de
sa famille. Une sensualité très puissante jointe à des idées morales et
juridiques très défectueuses est seule capable d'amener un individu à
l'inceste.
Ces deux conditions peuvent se rencontrer dans des
familles chargées de tares. L'ivrognerie et l'ivresse chez les
individus du sexe masculin, l'idiotie qui a arrêté le développement de
la pudeur et qui, selon les circonstances, se trouve alliée à
l'érotisme chez des individus de sexe féminin, sont les éléments qui
facilitent les actes incestueux. Les conditions extérieures qui
facilitent le développement de cette aberration sont la promiscuité des
sexes dons les familles prolétaires.
Nous avons rencontré
l'inceste comme phénomène certainement pathologique dans des cas de
débilité mentale congénitale ou acquises, puis dans des cas isolés
d'épilepsie et de paranoïa.
Dans un grand nombre de cas, la
majorité peut-être, on ne peut cependant pas montrer les causes
pathologiques d'un acte qui non seulement offense les liens du sang,
mais aussi les sentiments de toute population civilisée. Dans bien des
cas pourtant, qui sont rapportés dans les publications spéciales, on
peut, pour l'honneur de l'humanité, supposer un fondement
psychopathique.
Dans le cas de Feldtmann (Marc-Ideber, I, p. 15)
un père a commis des attentats aux moeurs répétés sur sa fille adulte,
et finalement l'a tuée. Ce père dénaturé était atteint d'imbécillité et
probablement aussi de troubles cérébraux périodiques. Dans un autre cas
d'inceste entre père et fille (loc. cit., p. 244), c'était cette
dernière qui était idiote. Lombroso (Archiv. di Psichiatria, VIII, p.
519) rapporte le cas d'un paysan âgé de quarante-deux ans qui fit
l'inceste avec ses filles âgées de vingt-deux ans, de dix-neuf et de
onze ans, qui força même sa fille de onze ans à la prostitution, et la
visitait au bordel. L'examen médico-légal a fait constater des tares,
de l'imbécillité intellectuelle et morale, du potatorium.
Les
cas comme celui qui a été rapproché par Schuermayer (Deutsche Zeitschr.
für Staatsarzneikunde, XXII, fasc. 1) n'ont pas été analysés au point
de vue psychique. Dans le cas en question, une femme a mis sur son
ventre son fils âgé de cinq ans et demi et l'a violé. Dans un autre cas
rapporté par Lafarque (Journ. de méd. de Bordeaux, 1877), une fille de
dix-sept ans a pris sur elle son frère âgé de treize ans, a procédé à
la membrorum conjunctionem et l'a masturbé.
Les cas suivants
concernent des individus chargés de tares. Magnan (Ann. méd.-psych.,
1885) fait mention d'une demoiselle de vingt-neuf ans qui, indifférente
aux autres enfants et aux hommes, souffrait beaucoup à la vue de ses
neveux, et ne pouvait résister à l'impulsion de cohabiter avec eux.
Mais cette pica sexuelle ne subsista que tant que ses neveux furent
tout jeunes.
Legrand (Ann. méd.-psych., 1876, mai) fait mention
d'une jeune fille de quinze ans qui avait entraîné son frère à toutes
sortes d'excès sexuels; quand après deux années de rapports incestueux
le frère est mort, elle fit une tentative d'assassinat sur un parent.
Dans le même endroit on trouve rapporté le cas d'une femme mariée, âgée
de trente-six ans, qui laissait pendre par la fenêtre ses seins nus et
qui faisait de l'inceste avec son frère âgé de dix-huit ans; il cite
ensuite une mère âgée de trente-neuf ans qui faisait de l'inceste avec
son fils dont elle était amoureuse à en mourir et qui, devenue enceinte
de lui, provoqua un avortement.
Nous savons par Casper que, dans
les grandes villes, des mères perverties éduquent leurs petites filles
d'une façon abominable pour les préparer aux usages sexuels des
débauchés. Cet acte criminel rentre dans une autre catégorie.
11.--ACTES IMMORAUX COMMIS AVEC DES PUPILLES.--SÉDUCTION
Ce
qui se rapproche de l'inceste mais sans blesser aussi profondément les
sentiments moraux, ce sont les cas où un individu cherche à accomplir
ou tolère des actes immoraux sur une personne dont l'éducation, la
surveillance lui ont été confiées et qui par conséquent se trouve plus
ou moins sous sa dépendance. Ces actes immoraux qui sont
particulièrement définis par les codes, ne paraissent avoir
qu'exceptionnellement une signification psychopathique.