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Quel cirque cette institution!

Alain Voisinne

Bruno est un professionnel qui a déjà un peu de « pratique » comme on dit.

Une bonne dizaine d’années, peut-être un peu plus qu’il travaille dans le social où il n’en est pas à sa première institution. Actuellement il est éduc spé, éducateur spécialisé dans une Mecs. Mecs ça tente plus précisément de dire « foyer d’action éducative classifié maison d’enfants à caractère social ». Aujourd’hui, dans le cadre de la supervision d’équipe, il a souhaité évoquer une situation qui l’interroge et dont il essaie de démêler les fils, une situation où il est référent d’un jeune depuis déjà quelque temps.

Il dit bien qu’il a installé avec ce jeune dont il est question une relation différente qu’avec ces autres jeunes dont il est également référent. Son propos est lent, presque hasardeux, douloureux et il insiste bien lui-même dans l’idée que c’est difficile pour lui de parler de cette situation-là, que ça fait longtemps qu’il hésitait dans l’évocation de ce contexte singulier. L’émotion qui l’envahit peu à peu finit par autoriser des larmes qui l’amènent à dire avec une certaine véhémence qu’il n’en peut plus. Et puis « que ce n’est pas possible de pouvoir considérer que ce jeune-là va finir à la rue du fait que le contrat jeune majeur qu’il a signé avec l’aide sociale à l’enfance se termine dans deux mois et que, faute de moyens ce contrat ne sera pas renouvelé ».

(Pour information la loi spécifie que les majeurs de 18 à 21 ans qui éprouvent certaines difficultés d’insertion sociale faute d’un soutien, d’un environnement familial suffisant peuvent être accompagnés à titre temporaire par l’aide sociale à l’enfance dans le cadre d’un contrat signé à la fois par eux et le dit service).

Et ce professionnel de poursuivre et de considérer que « de toute façon l’institution ne fait pas son travail, qu’il se sent seul dans sa référence, dans son travail, que l’équipe ne le soutient peut-être pas assez, qu’il ne se sent pas accompagné par son chef de service, que le directeur n’est jamais là » et que de toutes les façons c’est un gâchis énorme, cette histoire qui se termine mal selon lui, compte tenu des capacités qu’il suppose à ce jeune et que, à l’évidence, c’est un peu comme s’il considérait que ce jeune n’a pas l’âge de sa majorité.

Cette supervision ne permettra pas à ce professionnel d’élaborer suffisamment, ce qui l’amènera à engager un travail individuel.

Il y a dans cette situation quelque chose qui vient indiquer ou souligner quelque chose d’insistant, de persistant dans la mesure où le champ du social est traversé par des mutations diverses qui ne sont pas sans effets sur les professionnels qui tentent d’y œuvrer. Outre les incidences de la transformation des liens qui organisent et articulent les discours et places de chacun, ce champ dit social se trouve aux prises avec des évolutions notoires qui vont des réorganisations institutionnelles (regroupements, fusions) à l’organisation même de ce secteur (apparition des ARS) en passant par des modes nouveaux de management (on parle maintenant de manager d’institution sociale). Sans doute faudrait-il ajouter à cela la question cruciale des financements et des budgets, souvent revus à la baisse au regard des contingences nouvelles directement démontrées en regard de ce qu’il est commun d’appeler la crise.

Dans ces temps nommés analyse de la pratique ou supervisions il est ainsi donné à entendre les discours de ces professionnels qui tentent, à partir de ce qu’il est convenu d’appeler une plainte, d’élaborer, d’articuler quelque chose qui viendrait dire ce qu’il en est pour eux du manque, de l’impuissance ou de l’impossible, du réel. Encore faut-il que ce pas puisse être envisagé, tant les enjeux de la jouissance sont prégnants dans cette affaire. Avec le risque d’un télescopage cruel entre la jouissance d’un symptôme et la jouissance d’un savoir interdisant ou contrariant tout nouage fécond. Il n’est pas rare en effet que divers points de butée n’autorisent rien d’autres que des crispations sur ces plaintes nostalgiques qui semblent inscrites tour à tour dans le soupir d’un temps où il se disait que le chef faisait adresse, où les moyens étaient suffisants, où « ils » se sentaient « pris en compte », reconnus et où régnait l’autorité, etc.

Est-ce d’une certaine manière à un ou au remaniement de plusieurs signifiants voire d’un champ de signifiants auquel nous nous trouvons conviés? Ou bien encore à un changement de paradigme? Nous pouvons peut-être convenir de nous trouver ici en face d’un moment qui ferait authentiquement symptôme. Les aspects pluriels de celui-ci s’ordonnent autour de plusieurs traductions diversement exprimées et il y a sans doute lieu ici de tenter d’en déplier le lien.

Mais, auparavant, n’y aurait-il pas à revenir sur un malentendu qui sous-tend l’idée même du social et du travail social ?

Celui-ci est souvent présenté comme se trouvant directement associé à la relation d’aide. Une définition a été donnée par les Nations unies en 1959, laquelle insiste sur le type de relation entre le travailleur social et l’individu : « Le travail social est une activité visant à aider à l’adaptation réciproque des individus et de leur milieu social, cet objectif est atteint par l’utilisation de techniques et de méthodes destinées à permettre aux individus, aux groupes, aux collectivités de faire face à leurs besoins, de résoudre les problèmes que pose leur adaptation à une société en évolution, grâce à une action coopérative, d’améliorer les conditions économiques et sociales. » On entend bien ici le signifiant adaptation. Quarante années plus tard, la définition proposée par la Fédération internationale des travailleurs sociaux ne se différencie pas tant de la toute première Le travailleur social est présenté comme celui qui « cherche à promouvoir le changement social, la résolution des problèmes liés aux relations humaines, la capacité et la libération des personnes afin d’améliorer le bien-être général. Grâce à l’utilisation des théories du comportement et des systèmes sociaux, le travail social intervient au point de rencontre entre les personnes et leur environnement. Les principes des droits humains et de la justice sociale sont fondamentaux pour le travail ». L’utilisation des théories constitue ici un point avancé de la proposition tout comme les droits humains et la justice sociale.

Pour aussi autorisée que puisse être cette proposition elle n’en demeure pas moins source de questionnement dans la mesure où, à partir de cet énoncé, le social aurait pu se trouver perçu comme une sorte de succédané d’un idéal relationnel fantasmé, comme affranchi des règles de la division du sujet, des effets de sa prise dans le langage et du malaise dans la civilisation dans la mesure où, du sujet divisé et des effets de cette division, ne viendraient subsister qu’une réparation risquant de venir parfois ignorer, entre autres, la question du désir, du désir du sujet.

Ce fil conduit également à venir interroger le risque d’envisager un professionnel « tout sachant, tout maitrisant, tout réparant, quasiment orthopédique » investi d’un tout professionnel, peut-être non troué, chargé de cette réparation que commande l’opinion et à laquelle le politique tente de répondre. Je pense ici à Marc Nacht quand il écrit, dans son ouvrage l’inconscient et le politique « Le discours du politique tente alors vainement de signifier du symbolique dont il ne véhicule plus qu’une sorte d’ersatz qui s’articule bien avec le fantasme d’un citoyen devenu bien illusoirement maître du jeu »

Tout ceci n’est pas sans effets sur les positionnements et sur ces métiers dits impossibles consistant par exemple, tel que le disait Freud à gouverner, éduquer, psychanalyser. L’évolution de ces métiers, la « professionnalisation du métier» comme il est dit maintenant tend parfois à placer le professionnel à cette sorte de place exceptionnelle au risque d’une symbolisation bien singulière de l’individu, du professionnel, du sujet alors que les effets sont autres si celui tente de se tenir à cette place d’exception dont vous parlez Jean Pierre Lebrun, d’une place qui s’excepte du groupe, non pour le soumettre à sa propre loi, pour le dominer mais pour permettre au sujet de tenter une mise au travail et au collectif de développer une dynamique de transformation, de prise en main d’un destin commun. Il y aura sans doute ici à revenir sur la question de la transmission.

Par ailleurs la modernisation ou plus précisément cette nouvelle interprétation consécutive des exigences ou contraintes économiques est telle que les professionnels se trouvent aux prises d’un réel qui les exclut des représentations historiques qui pouvaient être les leurs et qui idéalisaient, sacralisaient les pratiques sociales comme une parenthèse imaginaire bordée d’un savoir et d’une reconnaissance sans limite les rendant imaginairement invulnérables à toute réalité politique, économique, sociale ou culturelle. Un peu comme si se trouvait le social et le reste du monde. Un peu comme si l’action sociale, c’était « le »social, un social socialisé ne prenant pas en compte les contingences d’un sujet divisé et de l’inconscient.

Parmi d’autres questions contemporaines aux institutions, vient s’en trouver une, quasi redondante, sur l’idée d’autorité, d’une autorité qui se serait historiquement trouvée présente comme inscrite imaginairement en tant qu’immanente compte tenu de la présence constatée d’un chef (directeur, chef de service, etc). Cette autorité se serait trouvée particulièrement nommée, toujours imaginairement du fait de la présence physique, de l’installation dans un bureau « in situ », « intra-muros » tel un recours possible, immédiat en cas de difficulté et pouvant par ailleurs revêtir les allures d’un Autre illusoire. Il est effectivement fréquent d’entendre ce réel embarras comme il est assez remarquable de constater que les professionnels peineraient à se supposer pour eux-mêmes de pouvoir faire autorité, de faire Autre un peu comme si, seule l’institution en tant qu’elle est constituée pouvait elle et elle seule se tenir au lieu de l’Autre.

La situation présentée par ce professionnel dont j’ai parlé au début de cette présentation exprime sans doute divers éléments liés à ces questions contemporaines institutionnelles articulées à ce malentendu lié au social, à l’autorité et à la loi.

Pour y revenir donc, ce professionnel considère que l’institution ne fait pas son travail, qu’il se sent seul dans sa référence, dans son travail, que l’équipe ne le soutient pas assez, qu’il ne se sent pas accompagné par son chef de service, que le directeur n’est jamais là et que de toutes les façons c’est un gâchis énorme compte tenu de ce que les effets du transfert l’amènent à supposer à ce jeune comme potentialités en devenir et qu’il lui est insupportable de s’imaginer « le laisser à la porte de l’institution livré à lui-même avec sa seule valise et avec pour horizon une place éventuelle en CHRS ou en hébergement d’urgence ».

Confronté à cet impossible, il est en attente ce professionnel, de quelque chose qui, effectivement fasse définitivement autorité par lui, pour lui et en lui (si j’ose dire) et que d’une certaine manière seule l’institution pourrait venir répondre de cette affaire. N’y aurait-il pas également à cet endroit ce quelque chose d’allure maternel espéré, fantasmé, implicite et qui permettrait imaginairement de venir tenir à distance les effets d’un réel perçu comme menaçant et duquel il faudrait donc à tout prix préserver ce jeune à l’avenir logiquement incertain.

Une remarque littorale me vient sur les embarras fréquents des professionnels à s’engager du côté d’un dire subjectif. Au mieux ils se laissent aller à risquer le terme affectif affleurer dans leur discours, comme si affectueux, affection ne venaient pas recouvrir une dimension suffisamment professionnelle, suffisamment distanciée, comme on peut l’entendre dire. Malgré tout au fil des rencontres, il devient possible d’entendre le mot transfert, comme si ce terme pouvait être adressé avec plus d’aisance que le mot amour. C’est vrai, comme on l’entend souvent dans les institutions, « on est pas les parents », « on n’est pas là pour les aimer !». C’est un peu comme si le terme de transfert pouvait être plus facilement maniable, agrémenté d’une certaine technicité dans la mesure où le transfert pourrait être « manipulé », « manié », « installé », « liquidé » avec peut-être également en arrière-plan l’idée d’une technicité qui tiendrait à respectueuse distance les effets de la subjectivité. Nous savons bien pourtant, pour y avoir un peu réfléchi, qu’il n’en est rien et que, bien au-delà de la complexité qui vient s’engager dans ce « processus » complexe le transfert n’en demeure pas moins intimement lié à l’amour. En 1960, Lacan lui-même, dans le séminaire « le transfert » ne l’écrivait-il pas ainsi « Le transfert c’est de l’amour qui s’adresse au savoir » avec cette référence implicite au supposé savoir (qui viendrait installer un amour « nouveau » Autre que le vieil amour romantique).

Pour revenir à cet aspect de l’autorité il est remarquable d’entendre ce clivage entre la nécessité d’un chef et la difficulté de s’en servir. Je pense ici à cette équipe qui, après avoir réclamé avec insistance un chef de service avait finalement obtenu gain de cause. Plusieurs mois après sa nomination ce même chef de service n’avait toujours pas de bureau et se trouvait en situation de colocation dans le bureau de la secrétaire! Il espérait, attendait que l’équipe éducative lui en propose un et l’équipe éducative attendait « qu’il se trouve un bureau et pose sa plaque » (sic). « Le nom propre est totémique » dit Gérard Pommier. Le nom du chef de service aussi peut être et la difficulté de mettre à une place et de nommer le souligne sans doute ici.

((Peut-être un peu comme si le retour à une certaine verticalité à condition que celle-ci soit plutôt maternelle ce qui n’est guère envisageable. (A tort ou à raison on pourrait penser ici aux deux triades mère enfant phallus et père mère enfant).))

A ce lieu de la réflexion et dans le fil de ce que vient amener ce professionnel, me semble articulée la question de la transmission. D’un Autre qui viendrait lui dire à cet éducateur spécialisé, lui en dire quelque chose d’une sorte de savoir définitif qui viendrait faire vérité du sujet. Avec toute la difficulté que cela peut venir signifier de s’y mettre à plusieurs pour recevoir quelque chose qui ferait identité, qui ferait « autre chose » comme dit Lacan dans son séminaire « les formations de l’inconscient ».

Et c’est bien entre autres choses ce qu’on lui demande au directeur, au chef de service, de transmettre, de transmettre la loi, une visée, une vision, un projet, quelque chose qui fasse tenir l’institution et qui garantisse à chacun sa place et rien que la sienne, d’y mettre du Un en quelque sorte et puis ce directeur, s’il pouvait être le plus souvent possible là, présent, dans son bureau, tel un recours immédiat dès lors que se présente le risque d’une impasse, d’un impossible, dès lors, au fond que le réel donne du fil à retordre. Le réel il est sans doute ici présent chez ce professionnel qui vient buter sur un bec, un roc que dis-je une péninsule, oui la péninsule d’un désir mal amarré au continent d’un réel dont « le cristal initiateur », comme le dit Gérard Pommier, serait dissimulé par les effets de l’imaginaire. Parce que le réel, il ne suffit sans doute pas de le considérer, voire de l’invoquer comme seulement cette voie sans issue ou « ce terminus tout le monde descend ». Le réel il faut aller le chercher qui ne se présente pas de lui-même.

Le réel, en tant que cristal initiateur pour reprendre les termes de Pommier, ne prend fondamentalement sens qu’inscrit dans cette trilogie dont les deux autres composantes sont le symbolique et l’imaginaire comme autant d’effets des trois états de la réalité du sujet.

Ce n’est évidemment pas tout à fait un hasard si Lacan inscrit RSI dans cet ordre Réel, Symbolique, Imaginaire et cette conception du réel a d’ailleurs évolué chez Lacan et il faut attendre un peu tout de même pour que le Réel fasse primauté chez lui. Pour lui, la réalité se tisse de l’imaginaire, c’est la réalité apprivoisée par le symbolique dans la figure borroméenne. C’est entre autre dans le séminaire « L’identification » que Lacan entame la précision de ce qu’il élabore du réel. Je le cite « Loin qu’on puisse dire que tout réel est possible, ce n’est qu’à partir du pas possible que le réel prend place. Ce que le sujet cherche, c’est ce réel en tant que justement pas possible, c’est l’exception et ce réel existe bien sûr. Ce que l’on peut dire, c’est qu’il n’y a justement que du pas possible à l’origine de toute énonciation » L’identification p.166.

Ce n’est sans doute pas pour rien que Lacan répète aussi souvent que le réel, c’est l’impossible. D’une certaine manière le réel serait plutôt à envisager du côté de ce qui vient faire ratage, rebut, rébus de la vie, ce après quoi le sujet du social, authentique s1 court, se démène dans les entrelacs de ses réussites, erreurs, manques et autres répétitions alors que le Sujet tente de se soustraire à ce qui vient faire symptôme.

Le réel est à considérer du côté d’une béance, d’une déchirure, d’un trou dans la structure quand la réalité tenterait de venir l’occulter, le dissimuler. Le réel est comme une sorte de point aveugle de notre connaissance en tant qu’impensable voire irreprésentable et qui pourtant fait insistance et il y aurait à y regarder d’un peu plus près à l’endroit du désir et d’une vérité qui «se trouve au fond du puits».

C’est là où le discours de ce que l’on veut bien nommer comme champ du social, en même tant qu’il peut être symptomatiquement légitime, pourrait se perdre dans les méandres imaginaires de la réalité, considérant pourtant et dans une certaine bonne foi que c’est bien du réel qu’il parle.

Pour revenir sur cette question de la transmission et de l’autorité, c’est un peu donc parfois comme si, dans l’institution, on voudrait qu’il y ait du père à condition de ne pas s’en servir, comme je le disais antérieurement. Pour qu’il y ait du père cela suppose qu’il soit nommé, qu’il se nomme, qu’il se soutienne de sa parole et de son dire, qu’il intervienne, ce qui ne va pas forcément de soi dans l’institution contemporaine où la transversalité est souvent à l’ordre du jour.

Pour Marcel Czermak, une association c’est « un groupe de personnes réunies autour d’un trou ». Il en va sans doute un peu du même dans une institution. Que viennent dire ces demandes d’outillage, de solutions définitives, transposables à l’envi voire universelles, ces paradoxes où, en même temps que le fantasme du consensus déploie ses attendus, il y aurait comme urgence à savoir comment empêcher qu’une décision soit possible voire à s’entendre imaginairement sur cette décision dans une belle feinte de non-recevoir compte tenu des impossibles fréquents à faire Un, à envisager une castration qui serait collective alors que la castration c’est chacun son tour. Le consensus institutionnel revêt souvent les formes d’un faux Un. La clinique de l’institution pose la question du transfert, du Un, elle pose la question de la place et de quelqu’un qui veut s’y mettre, s’y mettre symboliquement. Sur ce point ces nouveaux processus qui tendent à rendre les décisions acéphales ne sont pas sans effet.

Je pense ici à cette institution où plusieurs équipes se trouvaient prises dans des contentieux historiques et où les rancœurs se cumulaient entre elles rendant difficile voire impossible la perspective d’un travail collectif tant des scissions contentieuses était venues figer le discours institutionnel, chacun renvoyant à l’autre la responsabilité historique de la situation, chacun s’arque boutant sur l’imploration de sa place jugée par lui manquante ou défaillante. Dans le fil du travail engagé dans le cadre des supervisions, la question de l’impossible, dépliée, vint ordonner l’idée d’un travail sur l’historique de l’institution. Cette idée, entendue et relayée par la direction permit un travail d’historisation mais sans doute également d’hystérisation articulant, outre la parole de chacun, comment certains signifiants venaient faire objet commun sans pour autant se trouver symboliquement partagés. C’est aussi de ce pas qu’il fût possible, peu à peu, pour ces professionnels d’envisager leurs disparités subjectives quand précédemment ils se trouvaient pris dans une sorte d’exigence de parité ou d’égalité en regard de places qui peinaient à se dire et à se nommer.

Il serait sans doute bien hasardeux de parler ici d’un pas tout institutionnel encore que l’on peut s’interroger peut-être de savoir si les fameux projets institutionnels ne sont pas parfois autant de tentatives aussi nécessaires que vaines, en même temps que symptomatiques d’une « association de malfaiteurs » tentant de dénier ce qu’il en serait des effets du trou, ce trou dont parle Czermak. Trou qui ne manque pas d’intérêt d’ailleurs dans la mesure où le sujet est un trou dans le savoir et où le trou n’empêche pas le réel d’exister, de faire trou dans sa réalité. Les enjeux des pratiques sociales rencontrent à l’évidence, souvent le roc du réel, de la castration et c’est à cette coupure que l’invite de la parole viendrait engager le sujet aux risques de sa division. N’est-ce pas à cet endroit que viendrait, entre autres s’établir le plus ardu de l’autorité.

De tous les éléments symptomatiques à l’œuvre et entendus dans les dires institutionnels il en est quatre à mon sens relativement chroniques : l’autorité, le manque, la différenciation et l’altérité. Le transfert se trouverait alors ici tel une sorte de dénominateur commun.

L’étymologie du terme autorité s’ordonne d’une racine signifiant croître, faire croître, fondateur, auteur. Dans son essai « Le pouvoir des commencements » Myriam Revault d’Allonnes avance que l’autorité ce n’est pas seulement l’ensemble des règles d’un vivre ensemble. Nietzche, dans Le crépuscule des idoles, a cette formule hardie sur ce signifiant quand il dit « tout ce qui fait que les institutions sont des institutions est méprisé, haï, écartelé. On se croit à nouveau en danger d’esclavage dès que le mot autorité se fait seulement entendre. Pour revenir au propos de Myriam Revault d’Allonnes « l’autorité ne se détient pas à la manière d’une « chose » que l’on a en sa possession. Elle nous a été confiée et nous n’en sommes pour un temps que les dépositaires. Parce qu’elle s’exerce dans un devenir, elle autorise. Et elle poursuit :

C’est le caractère intemporel (plus précisément la générativité) qui en fait une dimension incontournable du lien social. Elle assure la continuité des générations, la transmission, la filiation, tout en rendant compte des crises, des continuités, des ruptures qui en déchirent le tissu, la trame. Il ne s’agit pas d’englober ces discontinuités dans une continuité totalisante et homogène, mais de penser la tension continu/discontinu fut-elle extrême comme constitutive de la durée publique ».

C’est sans doute à cette tâche qu’il convient de tenter d’ouvrir le champ de la parole de manière à ce que celle-ci prenne la responsabilité d’un dire subjectif et que, de cette autorité le sujet s’y autorise.

A cet endroit de ma réflexion me vient l’envie, je ne sais pas trop pourquoi ni comment vraiment l’articuler mais l’envie néanmoins de citer cet extrait du séminaire « les formations de l’inconscient ». Je cite ici Lacan, dans les formations de l’inconscient.

« il y a un moment auquel vous ne pensez pas assez, j’en suis persuadé, parce que vous y vivez comme dans votre air natal, si je puis dire, ça s’appelle l’ennui. Vous n’avez peut-être jamais bien réfléchi à quel point l’ennui est typiquement quelque chose qui arrive même à se formuler de la façon la plus claire : qu’on voudrait autre chose. On veut bien manger de la m… mais pas toujours la même…

…L’ennui où est-ce qu’il va où est-ce qu’il glisse…

Ce sur quoi je voudrais attirer votre attention, c’est sur ces diverses manifestations de la présence de l’autre chose en tant qu’elles sont institutionnalisées. Vous pouvez faire un classement de toutes les formations humaines en tant qu’elles installent des hommes où qu’ils aillent, toujours et partout. Ce qu’ont les formations collectives d’après la satisfaction qu’elles donnent à ces différents modes de la relation à autre chose.

Dès que l’homme arrive quelque part, il fait des bêtises, c’est-à-dire l’endroit où est véritablement le désir. Dès qu’il arrive quelque part il attend quelque chose, un meilleur monde, un monde futur. Il est là, il veille, il attend la révolution mais surtout et surtout dès qu’il arrive quelque part, il est excessivement important que toutes ses occupations suent l’ennui. En d’autres termes une occupation ne commence vraiment à devenir sérieuse que quand, ce qui la constitue, c’est-à-dire en règle générale la régularité est devenu parfaitement ennuyeux. Et en particulier songez à tout ce qui, dans votre pratique analytique, est très exactement fait pour que vous vous y ennuyiez.

A cette ponctuation de la réflexion que je vous adresse sur ces nouvelles contingences des pratiques sociales me vient la question de savoir si le champ dit social, le travail social, les pratiques sociales ne feraient pas métaphore des effets dans la culture d’un être ensemble, d’un tu aimeras ton prochain comme toi-même et métonymie d’un impossible qui s’y ordonne.

Alain VOISINNE

La Rochelle « Passions maternelles » le 21/03/2015