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Polémique?

François Nicolas et Jean-Jacques Lepitre
Remarques de François Nicolas (www.entretemps.asso.fr) sur

La musique et la psychanalyse ont-elles à apprendre l'une de l'autre ?(Journées d'étude organisées par l'École Psychanalytique du Centre Ouest ; Poitiers, 6-7 octobre 2007)

Et réponses de Jean-Jacques Lepitre

Le texte annonçant ces journées est restitué en Noir, scandé par mes remarques en bleu. Les soulignements sont de mon fait.

Mes réponses sont en vert à la suite des remarques de François Nicolas. J 'ai gardé le découpage qu 'il avait introduit. Je fais précéder le tout du préambule suivant, pour en resituer le contexte. Le texte original est resté en Times New Roman noir précédé d'un tiret pour des raisons de lisibilité.

On m'a transmis voici quelques temps vos remarques concernant le texte de présentation de nos journées du 6 et 7 octobre.

Je vous en remercie, et ceci d'autant plus que par leur teneur, ces remarques font apparaître que ce texte ait pu prêter à malentendu. En vous répondant, j'espère pouvoir en lever l'équivoque et préciser le fil de mon questionnement.

En préambule, j'indiquerai que ce texte n'est que la transcription d'une réflexion survenue lors de l'annonce du thème « musique et psychanalyse » dans notre groupe, il y a plus d'un an de cela. Je me demandais alors comment nous pouvions envisager simultanément ces deux champs qui me paraissaient tellement hétérogènes. Y avait-il au moins une possibilité pour chacun des deux champs que l'autre, ou une de ses caractéristiques, puisse lui faire utilement question? Et cela sans qu'en soit amoindrie la spécificité. C'est cela qu'il s'agissait de cerner.

A préciser encore, que ce texte est le résultat d'un élagage d'un texte plus long pour des raisons de présentation, et qui était destiné à des psychanalystes, peut-être d'un style plus interrogatif ?

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- La musique et la psychanalyse ont-elles à apprendre l 'une de l 'autre ? Peu d 'auteurs semblent s 'y être risqués. Aussi bien du côté des musiciens que des psychanalystes. Surtout si nous en excluons le lyrique, le chant, où souvent l 'aspect narratif, plus propice à l 'analyse, et la nature humaine de l 'instrument vient à masquer aisément la dimension proprement musicale.

Symétrie de l 'interrogation...

Symétrie logique : deux champs hétérogènes peuvent-ils, de façon utile, et par-delà leur hétérogénéité, faire question l'un à l'autre ? Exclusion du lyrique : s'affronter à la pure spécificité musicale.

- Ce peu de rencontre est somme toute étonnant. Car à voir une partition, sans même être musicien, il paraît évident qu 'on a affaire à l 'ordre symbolique.

« Il paraît évident » ? N 'est-ce pas là, surtout pour un psychanalyste, le symptôme qu 'un désir d 'objet vient se plaquer chez lui sur un réel qui résiste ?

Vous faites ici une hypothèse de lecture qui va, semble-t-il, vous guider dans toutes vos remarques, dont certaines en seront surprenantes.

Mon propos ici est simple, voire simpliste. Comment se fait-il, alors qu'une partition se présente comme une écriture, donc comme du symbolique, qu'il y ait si peu d'échanges entre ces deux champs. C'est ce qu'il s'agit d'explorer. C'est un point de départ à une réflexion et en rien une affirmation. Je précise que je ne suis pas musicien, pas même auditeur averti. C'est ici comme sujet lambda que je me situe.


- Les Grecs anciens ne s 'y étaient pas trompés, eux qui associaient la musique aux mathématiques.

À proprement parler, les Grecs n 'ont pas « associé la musique aux mathématiques ». En vérité, si association il y eut, ce fut à l 'inverse : « association » des mathématiques à la musique (voir Arpad Szabo, soit : ce qui a rendu possible Pythagore  « association ultérieure de la musique aux mathématiques »  c 'est une association plus originelle, convoquant Parménide, « des mathématiques à la musique »).

Et surtout ceci ne concernait aucunement le point précédent car le solfège qu 'on connaît n 'existait alors pas. Ce n 'est donc nullement au nom d 'un « partage d 'écritures » que les Grecs rapprochaient musique et mathématiques.


La référence à Parménide est intéressante. Là encore, mon questionnement est extrêmement simple. Si on peut appliquer un calcul à la répartition d'un ensemble d'éléments, il est certain que cette répartition est d'ordre symbolique. Ce qui n'augure en rien de la nature des éléments eux-mêmes.

Exemples triviaux: qu'on imagine un carreleur calculant le nombre et la disposition de carreaux de faïence, ou un cultivateur calculant la disposition de ses plans de tomates ou de melons, etc., pour obtenir la meilleure disposition en vue des meilleurs rendements... La répartition résultant de ce calcul est bien de l'ordre symbolique. Cela ne dit rien de ce que sont les carreaux de faïence, les tomates... S'ils sont d'un ordre quelconque, réel, symbolique, etc...

- La phrase musicale est en effet constituée d 'éléments discrets, les notes, organisée de façon différentielle.

« Phrase » est une métaphore, utilisée par les musiciens voulant parler de la musique

Ce mot instruit sur le musicien plutôt que sur la musique !


Que « phrase », « syntaxe », etc., soient des métaphores utilisées par les musiciens me paraît intéressant et m'instruit.

Quant à moi, ma référence implicite est celle d'une linguistique un peu basique, celle de de Saussure. Un langage y est défini comme un ensemble d'éléments discrets, c'est-à-dire indépendants quant à leur succession, celui qui suit ne dépend pas de celui qui précède, et dont la valeur est organisée de façon différentielle. Un son unique et continu, un phonème, n'a pas de signification en soi. Pas même de cri, car il y faut une modulation. De même, à ce qu'il me semble, une note unique et continue n'a pas de valeur en soi... Peut-être que pour un musicien, il peut y reconnaître le son d'un instrument, mais pour moi qui ne le suis pas, c'est un bruit. Comme pour les phonèmes, il en faut au moins deux et différents ou distinguables pour que cela prenne valeur. Claude Dorgeuille appelle cela d'ailleurs le mélodème concernant la musique.

La syntaxe, ou la grammaire, ce sont les règles qui président l'organisation de ces éléments. Par exemple, des phonèmes aux mots, des mots aux phrases, dans le cas d'une langue, langue verbale, français, anglais, etc, cas particulier de langage. Ces termes, syntaxe, grammaire, sont aussi employés pour d'autres langages, informatiques, formels...


- Cette organisation, comme celle d 'une langue, obéit elle-même à des règles syntaxiques, harmonie, rythme, composition, etc

« Syntaxe », de même, est une métaphore relevant du langage musicien, nullement d 'un supposé « langage musical », qui n 'existe pas &

Le fait que la pensée musicale puisse être thématisée « comme étant » une langue n 'induit nullement qu 'elle est une langue !

La thématique du « langage musical » est une simple fiction (logique du « comme si » &), bien commode, et productrice de vrai & sur le musicien !


Même chose que précédemment.

Je note toutefois que vous dites que la pensée musicale puisse être thématisée "comme étant une langue", ce qui rejoint déjà la fin de ce texte.

D'autre part si cette fiction produit " du vrai sur le musicien" et que celui-ci est constitué par la musique comme vous le dites plus loin, quid d'une pareille fiction?


- Nous serions donc dans l 'ordre du signifiant. Ne parle-t-on pas d 'ailleurs d 'interprétation ? Les instrumentistes jouant, lisant, à sa façon ce que d 'autres ont écrit .Un langage musical donc.

Non, bien sûr. Le raisonnement est ici spécieux, pivotant sur des mots à double ou triple sens, comme, exemplairement, sur le mot « interprétation ».

Le raisonnement tente de pousser cette hypothèse d'un langage musical dans ses derniers retranchements. D'où, peut-être, qu'il vous apparaisse spécieux?

Mais la question de l'interprétation reste. Quelqu'un lit, ou entend, cela fait au minimum signe pour lui, et donc suppose, quelle qu'en soit la nature, que cela produise pour celui-ci une représentation.


La conclusion était dans les prémisses !

Eh non! Cela, c'est votre hypothèse de lecture. La conclusion est tout simplement dans le paragraphe suivant!!

- Une objection apparaît pourtant. C 'est un langage sans traduction. Traduction au sens ordinaire, celle du français vers l 'anglais, de l 'anglais vers l 'allemand, etc... En effet, nul lexique. C 'est-à-dire nulle collection des diverses combinaisons possibles des éléments discrets, des notes, en des entités stabilisées. Autrement dit aucun dictionnaire. Ou si l 'on préfère nul trésor des signifiants. Qu 'en serait-il le alors de l 'Autre, dans ce cadre, comme le lieu de ce trésor ? Doit-on en conclure que cette assimilation de la musique au symbolique est une erreur ?

Vous avez déjà accepté que ce soit un langage (votre axiome implicite semble être celui de Françoise Dolto : « tout est langage ») et vous tentez maintenant de trouver la place dans votre dispositif de pensée de ce langage particulier que serait le langage musical. Pour ce faire, vous entreprenez de tordre et déformer ad libitum la catégorie de langage .

C'est ici que se situe la conclusion de ce qui précède.

Le paragraphe commence par « objection » et se termine par « erreur ». De quoi s'agit-il ? De ce qui me semble faire une objection radicale à l'assimilation de la musique à un langage. Et qui est l'absence de lexique possible. Tout langage suppose la possibilité d'un lexique, d'un dictionnaire. Pour rester sur un plan formel. Un lexique, ce sont des suites d'éléments stabilisées, par exemple les phonèmes en des mots, pour un langage verbalisé. Dans un lexique chacune des suites est suivie d'une autre suite venant expliquer la première. Dans un dictionnaire, un mot est expliqué par une suite de mots. Or, il n'y a rien d'équivalent en musique, pas de suite de notes suivie d'autres suites de notes expliquant les premières.

Pour moi, il y a là une objection radicale à la musique comme langage.

J'avais également pensé à l'absence de métaphore... Mais, de par mon ignorance musicale, je n'étais pas certain qu'il n'existe pas dans une oeuvre quelconque, une reprise d'une partie d'une autre oeuvre, pouvant prendre au moins de façon ambigue cette valeur... En peinture, par exemple, au regard de la métaphore, quel statut attribuer à la Joconde de Marcel Duchamp ? Cela ne me paraît pas évident...

Si par ailleurs je reviens comme psychanalyste à la question de l'Autre, c'est, que si la musique n'est pas un langage, se poserait la question de l'adresse du musicien... Qui est censé l'entendre dans sa musicalité ? Comment et par qui en est-il supporté ?

Objection radicale donc, et mon étonnement ici que vous ne l'ayez pas lue?... Pour moi, alors, elle est tellement radicale que je ne peux qu'en changer de voie d'abord, et abandonner la question symbolique. C'est la raison pour laquelle j'aborde ensuite la question par la voie de l'objet et de l'affect.


- Il est vrai que pour chacun, l 'écoute de la musique est avant tout un plaisir, voire une jouissance, générateurs d 'affects et de représentations. Ce qui la situerait bien plutôt du côté de l 'objet. Et les représentations évoquées du côté du fantasme, d 'autant qu 'elles apparaissent propres à chacun. de l 'objet, c 'est aussi parler de la pulsion qui y serait en jeu. Celle invocante avancée par Lacan y serait-elle appropriée ? Le ton, la modulation, la mélodie d 'un objet primitif s 'y profilent.

Vous abordez toujours la musique du côté de l 'individu (« pour chacun » : chaque un, chaque un-dividu ). Vous supposez implicitement qu 'il y a d 'abord l 'individu et ensuite qu 'une musique se présente à lui, qu 'il va alors constituer en position d 'objet. Cet axiome, comme tout axiome, est contestable

On peut lui opposer une tout autre axiomatique, beaucoup plus musicale : le musicien (l 'un dividu musicien) n 'est pas constituant de la musique mais constitué par elle. C 'est la musique qui fait le musicien, non l 'inverse. Et vous n 'arriverez jamais à déduire l 'existence de la musique d 'une autre existence (sauf à réduire la musique à une pratique socioculturelle parmi bien d 'autres - la musique, équivalente de la gastronomie : le poncif de notre temps dévasté).


Vous commencez par un jeu de mots finalement très lacanien : « chaque un ». Pour ma part, c'était de situer chaque sujet dans l'écoute de la musique dont il s'agissait. Vous, vous semblez faire référence au musicien plus spécifiquement ? Je n'en suis pas, je n'aurais donc pas la présomption d'en préjuger.

Par contre, votre remarque concernant le musicien constitué par la musique me semble aussi pouvoir s'ouvrir à l'auditeur qui en serait alors lui-même à réfléchir dans le champ du musicien? Peut-être là une ouverture?

Dire qu'on ne peut pas déduire l'existence de la musique d'une autre existence, n'est-ce pas en faire un « en soi » existant de toute éternité ? En dehors de tout musicien et de tout auditeur ?

Quant à savoir si c'est le sujet qui constitue l'objet ou bien l'objet qui constitue le sujet, c'est une question générale et ne me semble-t-il pas spécifique à la musique, cf. la littérature psychanalytique à ce sujet...


- En ce sens, des hypothèses variées et nombreuses ont pu être avancées : voix de la mère, bruits divers de la vie intra-utérine, bruits du corps propre du sujet,  (Cf. les diverses bases théoriques à toutes musicothérapies).

« Sujet » est ici rabattu sur l 'un dividu musicien. En musique, le sujet n 'est pas le musicien mais l 'Oeuvre.

Tout ceci pointe à mon sens une difficulté à l 'intérieur même de la pensée psychanalytique actuelle : repenser le sujet de la cure, qui n 'est pas l 'individu venant franchir la porte du cabinet.

Il n 'y a pas de raison d 'encombrer la musique d 'une vision psychanalytique du sujet elle-même inappropriée me semble-t-il à la cure (le sujet de la cure n 'est-il pas déjà lui-même « à deux têtes » ? Ou tiendriez-vous que la cure verrait la rencontre de deux sujets préexistants : l 'analyste et l 'analysé ?).


Difficulté du terme de « musicien ». Est-ce du praticien de la musique dont vous parlez ? Cela semblerait. Quant à moi, il s'agit ici du simple auditeur. Et il s'agit bien du sujet comme écrit.

Votre remarque sur l'oeuvre comme sujet m'a beaucoup intéressé à la lecture d'un de vos textes sur votre site. Elle me paraît être une ouverture sur l'interrogation que porte la musique à la psychanalyse. Ce qui était bien le but de nos journées.

Par contre vos remarques sur la psychanalyse me laissent pantois ? S'il s'agit d'individu lors du franchissement de la porte du cabinet, êtes-vous sûr qu'il s'agisse du bon cabinet ? N'y aurait-il pas confusion? Avec ces thérapies actuelles, cognitives ou comportementales, se voulant d'une approche médicale objectivante.


- Il s 'y ajouterait les effets corporels directs visés par certaines musiques, modernes, (violence des basses par exemple), ou sacrés, (derviches, etc..). Avec ce qui s 'inscrit dans la diachronie d 'une répétition. Celle-ci étant en jeu dans l 'affect même et les représentations associées.

En musique, le corps n 'est pas essentiellement le corps physiologique d 'un individu humain (d 'un animal humain). Le corps musical convoque prioritairement le corps de l 'instrument de musique. Au total, le corps musical est plutôt un corps à corps (corps-accord) entre un instrument et un individu. Ceci pour simplement indiquer qu 'il n 'y a pas lieu d 'avoir une conception empirique du corps en musique : la catégorie de corps doit s 'ajuster à celle de sujet.

Si pour vous en musique le sujet est le musicien, alors en effet en musique le corps est celui du musicien.

Mais cette vision des choses n 'est pas vraiment musicale. Et je ne suis pas même sûr qu 'elle soit créatrice d 'un point de vue psychanalytique : elle tente de faire rentrer le lapin-musique dans le chapeau du prestidigitateur psychanalyste mais en lui coupant les oreilles, puis en lui rognant les pattes ; le prestidigitateur ne pourra alors, au terme de son tour de prestidigitation, faire ressortir de son chapeau qu 'une charogne informe &


Là encore, de votre présupposé de lecture vous rabattez le texte à ce qu'il ne dit pas. Comme précédemment à propos de l'imprécis du chacun, puis du sujet, que vous avez rabattu sur « individu », ici de façon étonnante vous parlez de corps physiologique. Étonnante, puisque même les spécialistes, un peu éclairés, du dit corps, les chirurgiens, les spécialistes de l'imagerie médicale, savent qu'il ne pratiquent qu'à omettre de ce corps d'autres dimensions !

Quant au lapin, image aussi utilisée par Lacan, il me semble que c'est plutôt le psychanalyste que vous avez mis dans le chapeau de votre hypothèse de lecture initiale, qui a fait que vous lui avez rogné quelques pattes, la plus importante étant celle de l'objection radicale à l'hypothèse de la musique comme langage !


- Alors la musique serait-elle, en effet, du côté de l 'imaginaire et de l 'objet ? On pourrait le croire.

« Croire » ? Les psychanalystes tenteraient-ils ici de conformer la musique en une chose ajustée à leurs croyances héritées ?

Vous utilisez un subjonctif, j'en utilise ici deux. La valeur du subjonctif n'est pas celle de l'indicatif ! Valable aussi ailleurs dans le texte...

Mais quelques arguments viennent entamer une pareille croyance.

Le réel de la musique résiste en effet.

Enfin ! Car c'est bien cela qu'il s'agit de cerner, et depuis le départ, le réel de la musique ! Et en quoi on peut en problématiser la question !

D'autre part, pour expliciter mon questionnement, arrivé en ce point, mon ignorance musicale me semblait m'interdire en toute rigueur de poursuivre sur cette voie des affects et du corps subjectif... Il m'y manque nombre d'éléments... Vous semblez beaucoup mieux à même d'en théoriser quelque chose et votre concept de corps accord en est un indice...

Mais face à cette impasse, et même ayant établi que la musique n'est pas un langage, il ne me semble pas en être quitte concernant la dimension symbolique. Il y a en effet des représentations, qu'il n'y a pas lieu de forcément limiter à la dimension des représentations verbales, et que ces représentations puissent aussi être auditives, visuelles, affectives, émotionnelles, etc., etc., cela n'est pas douteux... Et il y a une tentative de les symboliser... C'est pour tenter de cerner cette part éventuellement symbolique restante que je continue par ce qui suit.


Certains compositeurs paraissent bien penser directement en musique et ne font que la transcrire directement sur le papier. N 'est-ce pas l 'indice, au moins pour eux, qu 'il puisse y avoir des représentants de la représentation ? Et qu 'à défaut d 'universelle, il puisse y avoir une langue personnelle ?

D 'abord ce n 'est pas « certains compositeurs » : là encore, vous ne décollez pas d 'une approche pragmatique et empirique attachée aux individus

Le point me semble le suivant : quand un individu se trouve incorporé à une Oeuvre musicale en cours, il se trouve happé par une pensée (musicale) qui se déploie, agit, hésite, décide, etc. et qui n 'est nullement langagière, en quelque sens que ce soit.

L 'écriture musicale n 'est pas une transcription sur papier d 'une pensée. Elle est une manière de structurer le corps sonore qui sera généré par le corps-accord musical. Disons qu 'elle fixe l 'architecture de la chose : ses arêtes, ses points clefs, etc. Rien ici qui convoque une quelconque langue !


Là encore pourquoi lisez-vous individus ? Si je dis « certains », cela s'oppose logiquement à "tous». Ce que je m'interdis de ne pas savoir si tous sont concernés. C'est juste une rigueur de pensée.

Le point suivant, que vous énoncez, me semble très intéressant, le sujet pris à et par l'oeuvre.

Il me rappelle ce que disait Francis Bacon, le peintre, dans un entretien avec David Sylvester. C'est paru chez Skira dans les années 1970. Il y décrivait l'acte pictural comme la mise en oeuvre d'un projet... Mais dans l'effectuation de l'oeuvre, certaines ruptures d'équilibre des formes, des couleurs, etc... venaient à commander l'acte pictural, venaient le produire dans son originalité... Si bien, que si, au départ, on pouvait penser que le peintre faisait la peinture,, à l'arrivée c'était peut-être bien la peinture qui avait fait le peintre. Ce mouvement, cet échange entre l'oeuvre et le peintre, ces moments de ruptures, de rééquilibrages commandées par l'oeuvre m'ont été confirmé par plusieurs peintres...

Il semblerait qu'il y ait similitude avec ce que vous énoncez. Nous serions alors dans une problématique de l'art, de la création artistique? Mais alors apparaissant non spécifique à la musique ?

Je note par ailleurs que vous parlez d'architecture...


- Par ailleurs, si pour chacun des auditeurs, l 'affect éprouvé lui est propre, la représentation évoquée lui est singulière, il apparaît qu 'il puisse les partager avec d 'autres (cf. les sorties de concert ou les rave-parties). Ce qui rapproche la musique de la plupart des arts (peinture, sculpture, danse, etc...). Signifiants, représentants seconds et partagés des représentations singulières.

C 'est précisément le contraire : on parle d 'autant plus au sortir d 'un concert qu 'on ne sait pas  ce qui s 'appelle savoir -, qu 'on ne peut savoir si l 'on a vraiment partagé avec son voisin le même rapt. Et l 'individu parle d 'autant plus après coup qu 'il a été projeté dans un espace de pensée indifférent à tout langage. D 'où que, comme le dit bien Reik, le difficile pour l 'individu soit « quand la musique s 'arrête », car il retrouve alors son état d 'animal social parlant sans arriver à comprendre ce qui a pu lui arriver.

Comme précédemment pour la pensée, ici pour le savoir, sans même parler de savoir in-su inconscient, pourquoi vouloir limiter le savoir, la pensée, aux représentations verbales conscientes ? Ne sommes-nous pas habités constamment par de multiples représentations, qui peuvent être visuelles, auditives, physiques, affectives, émotionnelles, etc... Et ce qui m'importe ici, comme précédemment, c'est de tenter de cerner en quoi elles peuvent ou non être symbolisées, entrer dans un rapport de symbolisation. Et non être du simple domaine de l'ineffable ce qui en exclurait non seulement tout dire mais aussi toute possibilité de composition et même de toute approche quelconque...

- Mais ce qui reste spécifique à la musique, c 'est qu 'à défaut d 'un dictionnaire répertoriant les diverses combinaisons de ses éléments, il existe bel et bien une grammaire réglant leur organisation diachronique, le solfège. Et par là, elle est bien de l 'ordre symbolique.

« Grammaire » est ici une métaphore !!!

Et le solfège n 'est pas la grammaire d 'un langage : il dégage, dépose, inscrit, configure la structure proprement musicale des objets et/ou situations musicales, ce qui est tout autre chose


Grammaire est ici synonyme de syntaxe, cf. plus haut. Vous parlez vous-même de configuration et de structure. J'ai déjà montré qu'il ne s'agissait pas d'un langage. Il s'agit serrer ce qui serait du symbolique sans être un langage...

- Alors, peut-être, pourrait-on penser à quelques oeuvres littéraires modernes où les auteurs gardent la structure syntaxique avec ce qu 'elle peut induire, mais retirent aux signifiants leur sens, en en inventant d 'autres, absolument inconnus, hors sens. Un exemple en pourrait être le "Finnegans Wake" de Joyce, ou d 'autres plus radicaux . Le texte apparaît alors comme une matrice, une matrice signifiante où chacun y met les signifiants, les significations, qu 'il désire, mais induit et encadré qu 'il est par cette matrice. Faut-il concevoir la musique ainsi, comme une matrice signifiante ?


On ne gagne pas grand-chose à rabattre la singularité musicale à des schèmes déjà connus et surtout déjà répertoriés par Lacan.

Je veux dire : l 'exemple de Joyce est passionnant, mais pas pour penser psychanalytiquement la musique (si tant que ce soit possible !)

Il ne s'agit pas de Joyce, cas de Lacan. Il s'agit de Joyce, écrivain majeur du XXe siècle qui m'intéresse ici. Il fait partie de ces auteurs ayant interrogé la relation de la forme et du sens en littérature, montrant qu'à elle seule, la forme, la syntaxe, était productrice de signification. Si je m'étais référé au Joyce de Lacan, j'aurais cité Lacan.

- Au total, la formule de Lacan : " l 'inconscient est structuré comme un langage " est-elle applicable à la musique ? Si oui, ce qui semblerait, au vu de l 'importance d 'éléments comme l 'objet, la répétition, la représentation, etc..., quelle proximité peut-on en déduire avec l 'inconscient lui-même ?

Le point subjectif des psychanalystes me semble aujourd 'hui le suivant : ne leur faut-il pas inventer un après-Lacan comme celui-ci a su inventer un après-Freud plutôt que de tenter à toute force de montrer que la musique peut « coller » à la pensée-Lacan ?

Autrement dit, penser psychanalytiquement la musique me semble aujourd 'hui nécessiter un pas psychanalytique de plus.

Mais peut-être que penser psychanalytiquement la musique est une tâche impossible car la psychanalyse serait trop intimement attachée au dividu. C 'est un peu la conclusion à laquelle j 'étais arrivé à la fin de notre séminaire Entretemps : la psychanalyse est intéressante pour penser le musicien (le dividu musicien partagé entre la musique, ses amours, son rapport à la politique) ; elle bute, dans le cadre d 'un strict « lacanisme » (!) à penser psychanalytiquement la musique à l 'Oeuvre.


La formule de Lacan n'indique en aucun cas que l'inconscient est un langage. Nulle égalité, ni assimilation. Le poids de la phrase porte sur « structuré comme ». Il en est de même concernant la musique ici.. Ce n'est pas un langage mais que quelque chose dans ce qui l'organise ressortirait du symbolique. Vous parlez vous-même d'architecture, de configuration, de structures, de « comme une langue ». Mais l'analogie de la formulation ainsi avancée, « l'inconscient structuré comme un langage. », « la musique structurée comme un langage. » n'annule pas l'hétérogénéité de départ. Elle ne le peut pas. Une analogie n'est ni une assimilation ni une égalité. Elle ne fait, au mieux, qu'indiquer quelque chose...

Vous dirais-je que vos remarques sur l'après Lacan me paraissent un peu désuètes, m'évoquant certaines revues d'il y a 20 ans ? Mais c'est sans importance...

Par contre, votre final m'enchante ! C'est en effet à cette butée que je désirais amener le lecteur ! Le dividu musicien m'important peu, connaissant le risque de rabattre l'oeuvre sur la biographie. C'est cette butée par contre qui m'importe., l'analogie avait pour but de la laisser à vif, de ce qu'elle témoigne d'un réel, au sens lacanien, au creux de la musique et ainsi pose une juste question à la psychanalyse !

( ce sur quoi les intervenants à ces journées ne se sont pas trompés d'originer leurs questionnements de cette butée et du réel qui s'y manifeste. )

L'étonnant est peut-être que vous y parveniez d'une lecture inverse? Mais peu importe... Il ne s'agissait donc pas du lapin musique par vous supposé mais du lapin posé par la musique à la rencontre avec la psychanalyse et qui revient à celle-ci comme juste question du réel ainsi manifesté...

C'est avec mes remerciements que je termine, car à devoir répondre à vos remarques, vous m'instruisez :

- D'abord de ce que vous énoncez de votre place de musicien : l'oeuvre comme sujet, le corps-accord, le corps sonore, la création musicale, la musique « en soi ». J'y entends la possibilité de mieux cerner, mieux serrer, ce qu 'il en serait de cette butée, et comment ici le musicien de son expérience propre peut instruire l'analyste en ce point de réel.

- Ensuite de ce que, réciprocité des champs à partir de leur hétérogénéité, à lire vos remarques sur la psychanalyse, il apparaîtrait que la psychanalyse puisse elle-même faire butée à la musique et, ou, au musicien, ( mais celui-ci n'est-il pas constitué par la musique comme vous l'écrivez ?).

- Enfin, et ce n'est pas une mince affaire, peut-on penser une butée spécifique à la musique? Ou bien cette butée ainsi rencontrée n'est-elle pas celle que tout art fixe à la psychanalyse du réel qui y gît? Le questionnement m'en est survenu à repenser la peinture et la littérature afin de vous répondre. Alors butée spécifique à la musique ou générale à tout art ? Il est vrai qu'à tenter de cerner cette butée concernant la peinture, je serais parti de la dimension d'image. Ici, concernant la musique, je suis parti de la dimension du symbolique... Mais est-ce significatif ? N'est-ce pas dû à ma grande ignorance musicale ? Peut-être vous-même seriez vous parti de l'image sonore, ou du corps-accord musical ?... Alors y a-t-il une butée spécifique pour chacun des arts ou bien générale?

Attentivement.

J.J.L