enteteAccueilespace S'inscrire à la lettre de l'Epcoespace Enseignementsespace Documents espaceL'E.p.c-oespace L'A.L.Iespace Publicationsespace Liens Divers espaceEspace Membres

Les aléas de
la jouissance


A propos de la jouissance psychosomatique

Alain Harly Séminaire "Les aléas de la jouissance" Séance V du 10 juin 2020 ( par vidéo-conférence)
Introduction

Afin de poursuivre notre approche de la jouissance, je vous propose donc de prendre appui sur la psychosomatique. Ce qui n’est pas sans nous engager dans un domaine tout à fait clair. Cette notion recouvre des définitions variées et le moins qu’on puisse dire c’est que ce domaine n’est pas unifié.
Du côté de la médecine, on va concevoir que ce sont des troubles qui affectent un patient, qui présente bien une vraie maladie, mais dont l’étiologie n’est pas cernée. A défaut on va invoquer des causes environnementales, des réactions au stress, éventuellement des causes psychologiques qui viendraient prendre place à côté d’une étiologie organique non encore déterminée. Ce qu’on a appelé « médecine psychosomatique » fondait son espoir sur un continuum soma -psyché, et le rêve d’une unité de la personne.
Du côté de la psychanalyse, on va admettre des maladies organiques ou fonctionnelles dont la cause est psychique. Chez Freud, la notion qui s’en rapprocherait serait la névrose actuelle, mais elle reste me semble-t-il limitée à une conception énergétique. Cela a permis cependant de bien distinguer ces affections des somatisations hystériques où il est possible de dégager plus précisément une causalité psychique, et du côté du désir refoulé en particulier. De même avec l’hypocondrie où la thématique met tout spécialement le corps en question, mais le discours qui est tenu à ce propos relève d’une construction délirante.
Avec la psychosomatique on n’est ni dans le cas de la névrose hystérique : il n’est pas possible de dégager des complexes inconscients de ce type, ni dans le cas d’une psychose dans la mesure où le discours du sujet présentant de telles affections ne sont jamais dans un processus délirant, que le rapport au monde, à la réalité, à l’autre peut être des mieux organisés.

Une petite remarque historique et régionale : le premier correspondant français de Freud fut un médecin poitevin, le Dr Pierre-Ernest-René Morichau- Beauchant
Pierre-Ernest-René Morichau-Beauchant nait le 1er novembre1873 et meurt le 6 octobre 1952. il adhère au groupe de Zurich duquel il s’éloignera dès après la guerre. Son intérêt pour la philosophie et la psychologie, ainsi que pour la langue allemande, l’amène très tôt à découvrir les écrits de Freud. C’est probablement dans l’année 1900 qu’il prend connaissance de La Traumdeutung, alors qu’à Lyon est soutenue pour la première fois une thèse prenant appui sur les travaux de Freud. Il est reconnu par les historiens de la psychanalyse pour être le premier français qui ait adhéré à la psychanalyse. Nous mettons ici, à titre de curiosité historique, le lettre de R. Morichau-Beauchant datée de 1913.

Extrait de la « Gazette des hôpitaux civils et militaires », (Paris), 84eannée, 1911, pp. 1845-1849.
Poitiers 10 décembre 1913

Très honoré Maître,

Je suis bien en retard pour venir vous remercier de l’envoi très régulier que vous me faites de toutes vos publications. Je suis très touché et j’apprécie tout particulièrement la faveur que vous me faites.
Je continue à m’intéresser à la Psycho-analyse et si je n’ai pas publié de travaux sur ce sujet cette année c’est que ma clientèle de médecin praticien ne m’a laissé aucun répit. J’espère bien d’ici peu me mettre au travail et arriver à mettre au point quelques articles. Je voudrai écrire d’abord quelque chose sur le « complexe infantile » dans les psycho-névroses, puis un article sur l’œuvre d’un célèbre romancier français Romain Rolland considéré du point de vue de la psychoanalyse. Enfin faire une revue sur le mouvement psycho-analytique en France que m’a demandé depuis quelques mois le Dr Ferenczi. Vous avez vu que divers travaux ont été publiés en France sur la question et que d’une façon générale la psycho-analyse a été fort malmenée. Il est triste de penser qu’aucun de ceux qui en ont parlé n’ont été aux sources même et qu’ils se sont documentés plutôt chez les adversaires de la méthode. L’article de Régis et de Hesnard seul montre quelque impartialité. Le rapport de Janet au Congrès de Londres ne lui fait guère honneur et a indigné tous ceux qui connaissent un peu votre doctrine. C’est vraiment curieux de voir combien chez un peuple qui mieux que tout autre par sa littérature et ses mœurs serait apte à la comprendre, l’étude de la psycho-analyse a de la peine à se faire jour. Je tacherai pour ma faible part de vaincre les résistances.
Je vous envoie un petit document qui peut-être vous intéressera. C’est l’épitaphe écrite par lui même d’un poète français très connu Auguste Vacquerie. La citation est extraite de la Chronique médicale du 1er Novembre 1913. Elle y montre un « mutter- complexe » bien net.

Je vous envoie très honoré maître avec tous mes souhaits pour le parachèvement de votre œuvre géniale l’expression de mes très respectueux sentiments.

Pr R. Morichau-Beauchant

Christian Hoffman dans un article de la revue Topique n° 115 commente ce courrier :

Cette lettre inédite de René Morichau-Beauchant à Freud en 1913 témoigne de la résistance française à la découverte freudienne. Le Dr René Morichau-Beauchant, professeur de médecine à Poitiers, s’intéresse très tôt à la psychanalyse et il entreprend une correspondance régulière à partir de 1910, avec Freud dont il se déclare le disciple. Dans une lettre à Jung du 3 décembre 1910, Freud lui fait part de sa joie de trouver un interlocuteur français : « Notre mouvement semble en effet s’étendre énergiquement. Dernièrement, j’ai reçu la première lettre de France d’un Dr Morichau-Beauchant, prof. de médecine à Poitiers, qui lit, travaille, et est convaincu. »

S’inspirant des théories freudiennes qu’il découvre très tôt, grâce à sa connaissance de l’allemand, Morichau-Beauchant écrit différents articles qu’il ne manque pas de communiquer à Freud. En 1910, il publie dans L’Effort « L’inconscient et la défense psychologique de l’individu » ; puis deux articles en 1911, « Le rapport affectif dans la cure des psychonévroses » in La Gazette des hôpitaux civils et militaires, « L’instinct sexuel avant la puberté » dans le Journal médical français; et deux autres, en 1912, « Le trouble de l’instinct sexuel chez les épileptiques » in Journal de médecine française, et « L’instinct sexuel avant la puberté » dans le Journal médical français, où il s’inspire des théories freudiennes sur la sexualité infantile.

René Morichau-Beauchant entretient parallèlement des échanges avec Ferenczi, Jones et Jung dont il se rapprochera quelque temps en rejoignant le groupe de Zurich, et il participe au comité de la Revue internationale de psychanalyse médicale dès sa création en 19133. Après la guerre, il prend ses distances avec le mouvement freudien dont il n’apprécie plus l’évolution. Cette lettre est une pierre de plus aux archives de la réception de Freud en France et confirme l’analyse développée par sur une France « réfractaire à la psychanalyse », selon les propres mots de Freud.


Aujourd’hui en regard des affections psychosomatiques, la médecine n’adresse aucune demande à la psychanalyse, même quand son discours de maitrise est contredit par le réel de la clinique et ses impasses thérapeutiques
Ainsi l’ulcère de l’estomac est causé par une bacterie, et n’a rien à voir avec quelques tourments, avec quelques aigreurs. La maladie de Crohn dont l’étiologie reste inconnue, mais où les hypothèses immunologiques et génétiques vont être privilégiées. Pour la Rectolite hémorragique on admet que l’environnement est un élément repéré, mais on suspecte tout de même « une susceptibilité génétique », bien que soit exclu qu’il s’agisse d’une maladie héréditaire. Pour l’asthme, qui fut longtemps imputé à une allergie, c’est dorénavant une modification d’un gène qui est retenue, quoique que les thérapeutiques que cette hypothèse inspirent n’ont pas montré leur pertinence. Etc.
On veut bien admettre que le stress, l’environnement, l’affect peut jouer un rôle, mais l’hypothèse d’une causalité psychique n’est plus à l’ordre du jour. C’est vers la génétique, les neurosciences, la biologie qu’on va exclusivement se tourner, du moins du côté de la médecine universitaire, de la recherche médicale, des laboratoires qui les financent.
Du côté des cliniciens, l’approche pourra être plus diversifiée.

Faut -il sauver la psychosomatique ?

Alors s’interroge Bernard Vandermersch « Faut-il sauver la psychosomatique ? » . Est-elle un avatar contemporain de la pensée magique ? Nous est-il possible du point de vue de la psychanalyse de soutenir ce concept d’une manière conséquente et rationnelle ?
B. Vandermersch retient deux tentatives qui tentent d’approcher la question avec une certaine cohérence :
C’est d’une part dans le champ de la neuro-psychiatrie, les travaux d’Henri Ey avec une conception organo-dynamique. Il s’est attaché à souligner à la fois les soubassements organiques (hérédité, physiopathologie, neuromédiateurs cérébraux, etc.) et la perspective dynamique, psychanalytique à l'écoute de la parole du sujet.
D’autre part, l’Ecole de Psychosomatique de Paris : C’est un courant de pensée qui se réfère à la psychanalyse, il s’est développé à partir des années cinquante autour de P. Marty, M. Fain , M. de M’Uzan et C. David.
Ce courant se situe dans le prolongement des conceptions freudiennes en proposant un nouvel abord de la maladie. Il se distingue de la « médecine psychosomatique », courant de pensée médicale qui a cherché à rendre compte de facteurs psychiques, parmi d’autres (biologiques, infectieux, environnementaux, etc…) pouvant jouer un rôle dans la survenue et l’évolution de certaines maladies.
Développons succinctement la position de cette école : Les premiers travaux de l’Ecole de Paris ont porté sur l’insuffisance des défenses névrotiques chez des patients chez qui surviennent des maladies.
Contrairement aux symptômes corporels produits par le psychisme, comme dans les conversions hystériques, les authentiques maladies n’ont pas de signification symbolique inconsciente, il y a un net désaccord avec les courants de pensées qui tendent à les confondre avec des symptômes psychiques.
Pour cette école, l’apparition d’affections somatiques semble, au contraire, favorisée par l’échec des possibilités de défense par des voies psychiques telles que l’élaboration, la production de rêves, de fantasmes, de symptômes névrotiques, etc.
Les cliniciens de cette école assurent des cures de patients somatiques et proposent des hypothèses théoriques sur les processus de somatisation, tels qu’on peut les comprendre à partir des variations du fonctionnement psychique (la qualité de la « mentalisation »).
Les psychothérapies des patients somatiques doivent être réalisées par des psychanalystes formés à la clinique et à la théorie psychanalytique classique reçoivent également une formation approfondie dans le champ de la psychosomatique.
A noter cependant que l’enseignement de Lacan n’y a aucune place : sa thèse d’un inconscient structuré comme un langage y est proscrite. B. Vandermersch souligne que cette école a apporté une notion qui renvoit bien à l’observation clinique avec le fonctionnement opératoire. C’est en effet un mode de pensée fréquemment rencontré dans ces états qui vont être définis comme des « désorganisations somatiques ». Ils se caractérisent par une relation projective rigide, une absence de liberté fantasmatique, un cloisonnement entre lieux psychiques, une dépression essentielle, une pensée opératoire.
Si la cure type est rarement mise en œuvre avec ces patients qui n’ont pas d’intérêt particulier pour leur propre fonctionnement mental, une psychothérapie inspirée par la psychanalyse est possible pour cette école.
Pour B. Vandermeesch si on peut sans doute s’accorder pour une part sur ces constats, on va bien sûr regretter que dans tout cela le rapport au langage ne soit pas considéré. Car déjà avec Freud et sa théorie de la pulsion on a bien « un concept limite entre le psychisme et le somatique » et sa Vorstellungsrepresentanz de la pulsion , ce qui peut se traduire par « représentant de la représentation », Lacan y reconnait le signifiant.

Les propositions de Jacques Lacan

Lacan n’a pas fait un grand développement de cette clinique de la psychosomatique, mais il nous a laissé il me semble bien des frayages, bien des outils conceptuels pour nous mettre au travail.
Dans son séminaire du 27 mai 1964 , il traite alors des quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, il évoque les effets psychosomatiques comme ce qui dans une induction signifiante, l’aphanisis du sujet n’a pas pu se mettre en jeu. Qu’entendre par là ? l’aphanisis tel qu’il l’élabore dans ce séminaire va bien au-delà de la conception de E. Jones à qui il l’emprunte et pour qui cela serait la disparition de la capacité de jouir. Lacan en fait un usage structurel relatif au rapport du sujet au signifiant.
Le sujet est représenté par un signifiant, le sujet est inscrit sous un signifiant ; mais il n’y a pas de signifiant solitaire, un signifiant est toujours en rapport avec d’autres signifiants, au moins un autre qui est nécessairement différent. L’être du sujet ne saurait donc s’inscrire dans une univocité, puisque le signifiant qui le représente est lui-même pris dans une chaine , et que le signifiant autre vient donc inscrire pour le sujet un ratage à être signifié sans perte.
Son assertion bien connue « un signifiant représente le sujet pour un autre signifiant » donne la matrice de cette structure, ce qui pourra plus tard se présenter sous le mathème suivant :
L’aphanisis, la disparition du sujet sous S2 pour lequel il aurait été représenté par un premier signifiant S1, est la condition structurale du parlêtre.
Je proposerai bien ici que cette aphanisis est une des présentation possible du masochisme primaire qui reste quelque peu mythique chez Freud , mais que l’approche structurale de Lacan rend repérable.
Alors s’il y a absence d’aphanisis, si cette disparition de l’être n’a pas pu se faire, alors le corps n’a pas pu être assujetti à une représentation et à un sens quelconque.
Une autre incise, dans ce même séminaire, le 3 juin 1964, où il propose que le phénomène psychosomatique puisse s’écrire sous le mode d’une holophrase, soit que dans le mathème qui nous donne le rapport du sujet au signifiant, comme une non -séparation de S1 et S2, qui vont donc se collapser. Dans la mesure où il n’y a pas de faille entre ces deux signifiants la mise en jeux d’un questionnement sur le désir et la jouissance de l’Autre se trouve fondamentalement empêchée.
Voici donc une écriture de mathème que je propose :



L’identification du sujet se trouve alors prendre une représentation univoque. Nous avons estime BVM une situation de forçage dans la mesure où l’élément déclencheur n’aura pas pu être traité par une élaboration signifiante, que ce soit dans le cas d’une frayeur sans nom qui a fait effraction, ou celui d’une situation à haute valeur symbolique qui n’aura pas pu être là aussi être prise dans un travail de l’inconscient.
Avant de prolonger le propos par quelque remarque sur la jouissance psychosomatique, je vous propose une respiration clinique avec Paméla.

Paméla, ou l’enfant à la lettre


Paméla est une petite fille d’origine étrangère, âgée de 6 ans quand je la rencontre, récemment adoptée avec son frère; elle inquiète ses parents adoptifs moins par un léger retard dans son développement que par son attitude de mise à distance vis-à-vis de la mère spécialement, par de violentes colères, par des cauchemars, et par des moment de repli : elle a alors un regard étrange, ailleurs.


I) Les entretiens préliminaires

Je vais juste en extraire quelques éléments.

Et d’abord la toute première rencontre qui reste comme si souvent essentielle. Paméla, je dirai qu’elle m’attendait dans la salle d’attente et d’entrée un échange s’engage au point qu’il va aller de soi d’y laisser le père et de la recevoir seule d’entrée.

C’est une magnifique fillette noire, très présente. Nous commençons les présentations. Elle me dit son prénom, son âge et déclare qu’elle ne sait pas écrire son nom. Pourtant c’est ce qu’elle va faire sur le champ une première fois, puis, curieusement, repasse par-dessus avec un autre feutre, mais de la même couleur en m’indiquant qu’elle aime bien le rose. (cf. doc.n°1 ; les documents présentés ici sont des copies fidèles des originaux.)



Doc n°1

Le père va volontiers m’informer de divers éléments de la vie de l’enfant ce à quoi Paméla participe. Il évoque la première rencontre à l’orphelinat où elle avait l’air d’un « petit animal », en mauvaise santé, dépressive. Cela m’évoqua une dépression anaclitique. Il pense que c’est une enfant qui a été sous-alimentée et maltraitée. Son frère de deux ans son aîné l’aurait quelque peu protégée. Paméla a été de fait abandonnée très tôt par sa mère. Le père, souvent emprisonné, laissait l’enfant à sa compagne qui aurait été violente avec elle.

Conformément aux lois de l’adoption, l’enfant pris le patronyme de sa famille adoptive, mais le prénom d’origine fut conservé dans la mesure où « ça allait bien ».

Pendant cet échange, Paméla va se diriger vers le tableau et réaliser la représentation d’une forme humaine dont le corps n’est pas fermé et n’a pas de trait de visage. Ce dessin présente aussi la particularité d’être fait en trait discontinu, en pointillé. La forme générale pourrait évoqué un triangle sans base, ( ou encore une manière d’accent circonflexe si l’on veut ? ]. (cf. doc. n°3)



Doc n°3


Je verrai dès la fois suivante la mère adoptive qui va relater avec émotion les difficultés de contact de Paméla, son refus total avec elle lors des deux premiers mois, ses violentes colères où elle arrachait les vêtements neufs achetés pour elle; son impression est qu’à l’orphelinat « elle n’était pas vivante ».

II) Quelques jalons sur le déroulement de la cure

Les trois premiers mois de la cure nous apparaissent après-coup comme le temps de la prise en consistance d’un corps.

Paméla va nommer ses peurs en opérant ainsi une distinction entre les animaux : « peur du loup, pas des lapins, peur des chiens noirs : oui, et des chiens blancs : non ! ». Elle réalise alors un masque, nommé « l’araignée du chien », avec yeux et bouche qu’elle chausse pour d’effrayer son thérapeute. (cf. doc. n°4). Afin de le rendre plus terrifiant, elle agrandit le trou des yeux jusqu’à n’en faire qu’un seule, de faire « un grand yeux ».(cf. doc. n°5).




Doc n° 4




Doc n°5

La constitution de l’animal phobique est un temps qui nous semble précieux venant ordonner le réel en du bon et du mauvais aurait dit Mélanie Klein ; de mettre en place l’animal d’angoisse est une chose, d’en assurer le semblant est bien évidement une étape supplémentaire, puisqu’elle en vient à s’identifier à cet animal afin de s’en approprier la puissance .

Poursuivons notre narration. Une séance suivante elle apporte un jouet en plastique, une petite girafe, en fait une projection sur une feuille (cf. doc. n° 6).





Doc n°6

puis au verso, à partir des projections des sabots de la girafe, elle réalise une représentation humaine fermée (cf. doc. n°7).



Doc n° 7

Après la pause des vacances, nous voyons apparaître bien des objets nouveaux dans ses investissements. A la mi-septembre elle dessine un personnage rose (d’abord sans trait de visage), ponctué par un « c’est Paméla, non ! », elle repasse ensuite sur les traits avec du marron, colore le visage et s’exclame : « c’est Paméla », puis ajoute les traits au visage et plein de ballons (cf. doc. n° 8).




Doc n°8

Cette Paméla en gloire en quelque sorte, n’est pas sans évoquer la jubilation du stade du miroir. Mais avec cette négation première d’une représentation, ou plutôt cette dénégation qui vient permettre ensuite l’affirmation : « c’est Pamela », n’est pas sans nous dire la négativité au sens de la verneinung qui est engagé dans ce procès identificatoire.

Faudrait il pour un enfant adopté renouveler cette opération afin que la nomination vaille au champs de l’Autre ? Et ceci même si le prénom est resté le même. Durant les séances suivantes, les objets vont se multiplier et les thèmes se complexifier

Il n’est pas toujours aisé d’en suivre le fil, à l’exception cependant de deux points qui sont particulièrement insistants. D’une part le jeu du cou-cou, si fréquent avec les enfants en cure où l’enfant joue à se dissimuler, guettant alors une recherche de notre part, pour rejaillir bientôt avec une grande jouissance. D’autre part, le jeu avec l’écriture : elle écrira des lettres selon une apparente fantaisie et s’émerveille qu’on puisse les lire : panaaioaa, anoria, lamio ; elle me demande aussi d’écrire mon nom, et s’exerce à le reproduire.

Après six mois de cure environ, les parents me font part que d’après eux, « Paméla a pris conscience qu’elle est une personne ». La relation à la mère s’est bien améliorée, elle est appréciée comme camarade, les apprentissages se font lentement. Nous en étions sur le point de dire que cette enfant « était tirée d’affaire ».

Nous la verrons en tout cas durant les premiers mois de cette année enrichir considérablement son langage, investir de nouveaux objets dans le cadre des séances, engager des jeux symboliques de plus en plus complexes, approcher la question de la différence sexuelle, évoquer « papa et maman du Brasilia », situer le dit papa en prison, la dite maman dans une tombe. Il semble qu’il y est une inversion, mais enfin, chacun a une place.

Cependant se maintient avec insistance le jeu du cou-cou avec une variante qui tend à prévaloir : elle se cache en déclarant : « Paméla est morte », puis jaillir de sa cachette en riant aux éclats.

Lors d’une séance, elle m’interpelle avec une assurance qui me frappe : « Tu te souviens plus de mon nom ? », et de s’engager sans attendre une réponse dans divers jeux. Cette interpellation sur l’oubli du prénom propre, je ne l’ai pas entendu comme le reproche d’une distraction coupable, mais plutôt comme un espoir que du coté de l’Autre çà refoule un peu, qu’il y est du manque afin que cette lettre soit moins réelle et moins brûlante.

D’ailleurs elle n’attend pas de réponse, elle est déjà partie, à l’aide de marionnettes, se lance dans une mise en scène de princesse qui se retrouve malade, puis morte. Mais grâce aux médicaments, « elle n’est plus morte. »

Nous retrouvons cette même structure de la gloire et de la déchéance, de la vie et de la mort, mais dans une mise en scène quelque peu théâtrale où c’est maintenant Paméla qui tire les ficelles.

Elle associe aussitôt qu’elle « va voir une dame pour le pipi et le bobo ».


III) Phénomène psychosomatique et écriture.

J’apprendrai dans un entretien avec les parents, que le bobo en question est un eczéma sec qui s’est développé depuis trois mois. Il affecte les cuisses, les fesses, et la zone autour du sexe. Elle est toujours énurétique la nuit avec quelques accidents le jour. Ce pourquoi ils ont consulté.

Lacan suggérait qu’on considère ces phénomènes psychosomatiques comme une inscription sur le corps , et plus précisément sur le mode d’une écriture hiéroglyphique. Cette écriture aurait la structure d’un cartouche, soit comme c’est la fonction dans l’écriture égyptienne de livrer un nom propre.

Et cela vient nous réinterroger sur la question de la nomination pour cette petite fille et bousculer ce que je pensais quelque peu établi. En tout cas le travail de lecture s’en trouve relancé, avec l’idée qu’il impliquerait la prise en compte d’une jouissance, jouissance arrêtée, fixée. Nous nous retrouvons devant une énigme qui en appelle à un déchiffrage.

En travaillant sur ce cas, je suis allé relire le seul document que nous vient des services sociaux du pays d’origine : un détail me retient. En fait l’écriture dans l’état civil originaire de ce prénom n’est pas tout à fait identique à sa transcription française. Ce prénom comporte un accent circonflexe sur le premier « a », soit Pâméla, ce qui n’est pas l’usage en français .

Cet accent circonflexe , dirions-nous que c’est ce qui est tombé, ce qui a chuté dans la mer en la traversant pour arriver sur un autre littoral ? Avec cet eczéma qui vient faire accent autour du sexe, aurions-nous au littoral de ce trou du corps, une jouissance figée, arrêté qui viendrait écrire l’irreprésentable par une lettre réelle ?


V) Conclusion

On risquera alors ce mathème pour situer la place de ce phénomène psychosomatique chez Paméla, comme le temps d’un collapse entre Pâméla et Paméla, suspendant la coupure entre S1 et S2, et maintenant ainsi une réserve de jouissance Autre.


Pâméla —Paméla
| |

S ^



Aménagement provisoire probablement, dans la mesure où Paméla nous donne rendez-vous pour entendre tout ce travail, toute cette haute lutte contre la pulsion de mort afin que son manque vienne sister dans le manque de l’Autre. Alors s’ouvre le jeu du désir.

De la jouissance psychosomatique

L’homo erectus est soumis à la chaine signifiante, ce qui fera dire à Lacan que c’est un parlêtre. Le corps va être plongé dans le langage et en être affecté. C’est dire que les lois qui organisent la chaine signifiante vont le concerner dans sa structure même. Un point délicat et essentiel sera celui de situer la fonction du manque dans cette structure car il ne manque rien dans le réel du corps. La petite fille pourrait s’imaginer qu’il lui manque quelque chose, mais elle pourra tout aussi bien s’assurer qu’elle est la merveille qui manque à l’Autre !
Lacan, s’inspirant de Freud quant à la place de la sexualité chez le parlêtre mais déplaçant ses impasses quant à l’angoisse de castration et le pénis-need, va proposer un opérateur dans la structure de la chaine signifiante qui va lui permettre de jouer son rôle dans la subjectivité humaine, c’est le signifiant de ce manque , qu’il nomme Phallus.
C’est un point de vue qui sera tout à fait exclu par l’Ecole Psychanalytique de Paris. Et c’est pourtant une manière de concevoir une articulation entre la pensée et le corps. La notion de pensée opératoire chez Marty par exemple est conçue une sorte de dégradation de la pensée ce qui entrainerait une désorganisation dans le fonctionnement de l’appareil psychique qui viendrait neutraliser toute la sphère affective.
Lacan déplace le point de vue en situant le nouage entre la pensée et le corps en terme de jouissance, et en la situant non pas là où on l'aurait attendu du côté du corps, mais de la pensée. Et d'avancer cette assertion : «la pensée est jouissance ». En d'autres termes nous pensons pour jouir. Mais c'est le corps qui va venir incarner cette jouissance. La jouissance en tant que sexuel, ce qu'il nomme jouissance phallique n'est pas du corps, elle est hors corps. Et l'autre jouissance va elle tout spécialement concerner la psychosomatique.

Comment situer le corps en regard des trois registres R. S,I. ?

Melman dans son ouvrage « Nouvelles études sur l'hystérie », à partir du mathème déjà évoqué plus haut va situer le corps au niveau du S2. S2 c'est l'ensemble des signifiants, ce sont tous ces signifiants qui sont déjà là. Le S1 c'est ce qui fait exception. Pour que ça fonctionne au niveau de cette batterie de signifiants, il faut ce S1.

Il va même un peu plus loin avec une définition de l'inconscient : « L'inconscient, c'est l'organique ». Il suppose en effet par-là que l'inconscient serait un système qui réglerait la physiologie de notre organisme alors que le système chromosomique assurerait le développement de son substrat biologique. Nous aurions donc à le suivre avec la génétique un système de signes, sans doute pas aussi stable qu'on le concevait, alors que l'organique s'organiserait avec des signifiants.

Dans le registre symbolique nous aurions donc le corps en S2 et ce qui commande en S1. En somme la santé, ce serait quand S2 acquiesce au commandement, c'est quand les organes comme le disait Leriche ne protestent pas, font silence.

Mais bien sûr, le corps c'est aussi du réel, un réel qui vient faire butée au symbolique, ça ne marche pas toujours au pas, au pas de la loi, de la loi phallique qui est représentée par le S1. Il y a une autre jouissance que phallique, c'est la jouissance Autre représentée par S2. Ces deux jouissances ne se complémente pas comme on aurait pu l'espérer depuis toujours, car entre les deux, il y a un impossible. C'est à cela que correspond l'invention de Lacan avec l'objet a.

On entend souvent dire « mais qu'est que c 'tinvention, ça ressemble à quoi ? » et bien justement ressemble à rien, on peut juste en avoir une petite idée avec la manière dont le parlêtre le partialise, en fomente des bouts avec ce qui tombe comme jouissance à partir des orifices du corps et se met en mouvement avec les diverses pulsions orale, anale, scopique, invocante.

Dans le registre imaginaire c'est stade du miroir qui donne la forme de l'unité moïque. Mais cette forme est dépendante du registre symbolique, et il suffit de quelques accidents, de quelques dérives, de quelques lacunes pour que l'image du corps en soit perturbée, souvenons-nous du Président Schreber qui devant le miroir se voyait très clairement avec un corps de femme d'une assez plaisante allure, ou encore de Paméla qui aperçoit cette gestalt comme en pointillé.

Mais alors comment situer la maladie somatique à partir de ce triptyque ? Melman avance une proposition audacieuse soit qu’elle serait « comme un culmen de la jouissance objectivé de l'Autre », formulation qui peut heurter, mais qui après tout est assez cohérent avec la manière dont le malade va subjectiver la maladie, la situer comme un ennemi à abattre par exemple, ou baisser les bras devant cette adversité, comme cela se dit, métaphores qui indiquent assez bien la dialectique qui met enjeu la jouissance phallique en regard de la jouissance Autre, de sorte que la maladie pourrait se définir alors comme une sorte de suspension, d'effacement, voire de défaite de la signifiance phallique.

Alors après tous ces préambules comment définir la jouissance mis en jeux avec les phénomènes psychosomatiques ?

On a vu plus haut avec la proposition de Lacan où S1 et S2 se collapsent dans une formation holophrasique, comment cela réduit la différence, l'intervalle, ce qui a pour conséquence d'une part que S1 ne soit plus en position de commandement laissant à l'ensemble des S2 cette responsabilité, et d'autre part que dans cet intervalle entre S1 et S2, l'objet a ne peut plus s'isoler.

On pourrait sans doute illustrer cela dans le rapport de l'infans à l'Autre maternel. A ce niveau si l'objet n'est pas perdu, il reste enfermé dans un échange en circuit fermé et dans une jouissance qui exclue tout ternaire. Or ce que l'expérience de la psychanalyse nous apprend, c'est que la seule issue viable est la perte de cette jouissance, il faudrait plutôt dire de la perte de ces jouissances attachées à ces orifices du corps. C'est par la mutation de l'objet, et par les objets pulsionnels en signifiant phallique que se trouve la voie d'un déconfinement de la jouissance Autre. Mais si cela ne se fait pas, alors l'objet a est érotisé et la fonction phallique est inopérante au moins partiellement.


Dans le cadre de ce type d’approche, évoquons ici comment René Dupuis avance que les phénomènes psychosomatiques pourraient se générer à ce niveau en tant que jouissance qui s'incarne dans le corps, sur un mode réel et imaginaire. Dans le cas où c’est la relation d’échange qui est spécialement ravageant, le découpage des orifices du corps ne peut pas se faire. Si ce qui se détache comme jouissance du corps de l’enfant n’est pas reçu comme autant de trésor par l’Autre maternel, le monde objectal ne peut pas se constituer ; ce sont les grandes fonctions qui assurent les besoins de l’organisme qui vont être le support de la jouissance.

Cela donne pour lui le cadre des maladies psychosomatiques, à différencier des phénomènes psychosomatiques qui seraient plus labiles. C’est quand émerge la problématique phallique que ce type d’économie en circuit fermé est chamboulé.

Il est notable que dans le déclenchement des maladies psychosomatiques on trouve souvent des événements, des situations, des conjonctures qui resonnent avec le signifiant phallique : mariage, naissance d’un enfant, émigration, passage de la petite loi familiale à la loi sociale, etc. Le phallus ne peut plus jouer son rôle, les grandes fonctions de l’organisme sont alors investies d’une jouissance massive.

Alors que dans le cas des phénomènes psychosomatiques, cela se localise sur les orifices de l’échange (herpes buccal ou génital, conjonctivite, etc.), dans celui ses maladies psychosomatiques, il n’ y a pas de rapport avec les orifices mais vont découper le corps d’une manière particulière, par exemple un eczéma généralisé, une inflammation du colon.

C’est René Dupuis qui avait proposé cette distinction entre phénomène psychosomatique et maladie psychosomatique. Pour lui le phénomène psychosomatique relèverait donc d’une économie de l’ échange où l’objet n’est pas perdu mais où la fonction phallique garde une certaine efficacité ; Alors que la maladie psychosomatique relèverait d’un défaut de la fonction phallique.

Tout ceci reste à ouvert à débat, et il nous faudra mettre ces assertions comme toujours à l’épreuve de la clinique. A le suivre les affections psychosomatiques viendraient donc faire écriture sur le réel du corps et mobiliseraient donc une jouissance Autre. A défaut d'une jouissance phallique de plein emploi, qui serait en chômage partiel en quelque sorte, elles viendraient découper le corps d'une manière particulière en l’affectant plus spécialement au niveau des organes de relations dans le cas des phénomènes psychosomatiques, au niveau des organes non pris directement dans l’échange, ce qui ne serait pas le cas des Maladies Psychosomatiques proprement dites.

Sans doute serait on tenter de distinguer un eczéma et d’une rectocolite hémorragique quant aux fonctions de relation que cela implique. Mais n’y aurait-il pas le risque d’un forçage dans ce souci de classification ? En d’autres termes cette notion de fonction de relation demanderait à être dégagée de sa phénoménologie. Car à prendre les choses à ce niveau pourquoi une peau parfaitement lisse nous indiquerait-elle une relation à autrui orientée par une jouissance phallique sans l’ombre d’une autre jouissance ? Dans quelle mesure un colon qui remplirait tranquillement sa fonction de transit, ses parois ne présentant aucune effervescence particulière, serait incompatible le signe clinique d’une jouissance sans limite, comme dans certains états maniaques ?

Si l’on revient par exemple sur le cas de Paméla, en regard de son histoire et des conditions tout spécialement ravageantes de son arrivée dans le monde, avec les descriptions que nous avons de son état dans la petite enfance, ce qui n’est pas sans évoquer une dépression anaclitique majeure, on serait enclin d’en faire une candidate à une Maladie Psychosomatique qui affecterait des organes intéressés par les besoins primaires. Or rien de semblable ne se présente, elle est en excellente santé physique, et le déroulement de la cure indique bien que sa jouissance va pouvoir s’orienter phalliquement, même s’il subsiste une énurésie primaire, si classique dans le cas des enfants au destin chahuté. Ce qui parait plus spécifique c’est cet eczéma qui vient l’affecter d’une manière très localisée. Il serait plutôt situable dans la catégorie de phénomènes psychosomatiques.

On peut avancer il me semble que cette affection vient ici faire découpe, vient isoler de cette manière l'équivalent d'une lettre. Rappelons que nous avons pu faire l’hypothèse d’une articulation à la nomination, donc au désir de l’ Autre. Cela circonscrit un lieu du corps, une sorte de zone de réclusion de la jouissance Autre, équivalent dans le réel et dans l'imaginaire d'une limitation ordinairement mise enjeu par la fonction phallique et la jouissance qu'elle anime.

Poitiers, le 10 juin 2020, Alain Harly