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Les aléas de
la jouissance


Une femme: symptôme ou sinthome d'un homme?

Martine Campion-Jeanvoine / Jean-Jacques Lepitre Séminaire "Les aléas de la jouissance" Séance XXIV du 21 Décembre 2022


Duras Andréa

Au-delà du littoral ?

J-J Lepitre


Cela aurait été un film, durassien.
Au début j'aurais voulu vous faire entendre la chanson d'« Un homme et une femme », le film de Claude Lelouch, celle qui fait « Avec nos chabadabadas ». S'y seraient mêlées des images de Marguerite Duras et de Yann Andréa. Un malaise en aurait résulté. Du contraste entre cette chanson et ces images. Des images de leur rencontre jusqu'à la mort de Marguerite et même après. Lorsque Yann Andréa publie « Cet amour-là » pour s'en sortir, pour aller mieux, et qu'il est moqué par l'opinion, la bien pensance médiatique. Comment peut-on accepter pareille servitude ?
Ensuite, probablement, eût-il fallu des images de la mer, comme les aimait Marguerite dans ses films, et aussi comme l'arrière-plan d'« Un homme et une femme ». Une mer plate, presqu'immobile, léchant une plage déserte. Et dont la présence aurait fini par être écrasante.
En voix off, j'aurais rappelé Freud et Lacan, au début, comme des clefs de ce qui allait suivre. Une femme symptôme ou sinthome pour un homme ? Et l'inceste comme fil conducteur. L'inceste tellement important et tellement oublié. Non celui des médias et des scandales, mais celui que nous portons tous en nous de notre enfance, bord de la mère, du temps où chercheurs existentiels de notre origine nous interrogions : « D'où viennent les bébés ?» et que nous en découvrions alors la différence des sexes. Et que l'émoi accompagnant ces découvertes nous portait vers la première et la plus aimée, et, ou vers celui qu'elle désirait, avec qui elle avait commerce. Nouage unique chez l'humain, le parlêtre, de l'amour et du sexe, que Freud décrivit dans son élaboration et son dépassement sous la forme de l'Odipe. Et dont il vit les traces, symptômes plus ou moins graves, dans des restes ou des échecs de cette élaboration odipienne, allant du choix du premier amour de certains jeunes gens, à l'impuissance psychique masculine, en passant par l'incapacité masculine à aimer celle qui est désirée, à désirer celle qui est aimée. (Traces de la persistance du fantasme incestueux d'origine, refoulé mais non dépassé, prêt à affleurer dans ces symptômes.) Division par exemple entre épouse et maîtresse qui, au temps freudien des mariages résistants, faisait les choux gras du théâtre de boulevard, et qui aujourd'hui provoque la rupture des couples, le temps des premiers désirs passés, lorsqu'amour et désir sexuel devraient s'allier pour installer la durée que suppose un événement : naissance d'un enfant, achat d'une maison. Nos cabinets en regorgent. Pour en reprendre la description sur un bord lacanien, ce premier objet du désir, objet a, cause des désirs ultérieurs, doit être abandonné, perdu, au sens de l'objet du deuil, c'est-à-dire pas sans mémoire mais sans reste de désir. Perdu mais pas refoulé. Afin que le manque creusé de sa perte puisse accueillir de nouveaux objets venant s'y substituer. C'est là l'ordinaire, même si souvent un petit reste, ayant échappé au deuil, en a été refoulé, et ressurgit faisant symptôme de sa présence répétitive. C'est la banalité de nos quotidiens à tous. Ce qui peuple nos histoires. Un regard, une voix, la forme d'un nez, d'une bouche, d'un sein, un trait particulier. Le masculin dans la visée de l'objet de son désir, (cf. le tableau de la sexuation du séminaire « Encore »), excelle dans la découpe de sa partenaire. Celle-ci, brave fille ou fine mouche, porte l'indice de son symptôme, consciemment ou non, l'assumant ou pas. C'est le plus ordinaire d'une femme symptôme d'un homme.
Autre chose est qu'elle soit sinthome d'un homme. Sinthome, c'est ce qu'explore Lacan dans le séminaire du même nom, dans le cas de Joyce et de son écriture, hypothèse que celle-ci l'aide à maintenir sa structure. Ce qu'a brillamment exposé Martine(1) , poursuivant l'hypothèse que Nora, l'épouse de Joyce, participe à ce sinthome , comme femme, objet de son désir. Ici, à rappeler la déclaration de Lacan, maintes fois reprise par Czermak, « Le psychotique, il a son objet dans sa poche ». Autrement dit, il l'a, il faut qu'il l'ait, à portée de main, pas plus de la distance d'un bras. Ce qui éclaire singulièrement certains délires passionnels, ou composantes de délires paranoïdes, et aussi l'aspect massif de certains transferts de patients psychotiques. Sans cet objet, la structure subjective s'écroulerait. Mais quel est le statut de cet objet ? Est-ce comme précédemment un objet manquant, objet a, dont on a dû faire le deuil, pour que s'en produise cette matrice d'absence d'où s'origine le désir? Production différente selon les genres, féminin ou masculin. Rapport à la castration donc différent, et dont Lacan fait une des raisons de l'impossibilité du rapport sexuel. Cet objet, ici, a-t-il le même statut ? S'agit-il du même, de celui perdu du fantasme odipien et incestueux, enfantin ? Ou au contraire a-t-il été non perdu, non refoulé ? Est-il resté tel que, ou même non abordé ? Cela interroge cette frontière, ce littoral de l'inceste devant lequel tous reculent. Cela a-t-il à voir alors avec cette déclaration de Lacan de 1977 : « Le rapport sexuel, il n'y en a pas, mais cela ne va pas de soi. Il n'y en a pas, sauf incestueux. C'est très exactement ça qu'a avancé Freud - il n'y en a pas, sauf incestueux, ou meurtrier. »
A ce moment, à l'écran, il y aurait eu un fondu au noir, entre les images de la mer immobile et celles évoquant le film de Claude Lellouch : « Un homme et une femme ». Film au succès planétaire, palme d'or à Cannes, oscarisé à Hollywood. Notre première illustration. Une histoire d'amour belle et émouvante dans sa simplicité même. Nous en avons tous été touchés. Le film repose sur un scénario extrêmement mince. Mais constitué précisément des éléments décrits des amours ordinaires, les nôtres le plus communément.
Un homme, une femme, donc, ils ont perdu leur premier objet d'amour, ici métaphorisé par un premier conjoint. Ceci radicalement : il s'est agi d'une mort violente, pas de celle dont la conscience peut errer autour de « peut-être », de « si j'avais su ». Une perte radicale de l'objet. De celui-ci, il s'agit pour chacun de faire le deuil. Ce que nous raconte le film. De ce premier objet, ils ont la trace mémorielle représentée par un enfant. L'objet doit donc être perdu, accepté comme tel, dépassé, et non simplement refoulé, il risquerait de ressurgir, une séquence clef nous en montre la difficulté. Le deuil de ce premier objet étant réalisé, l'amour et le désir peuvent triompher. Mais finesse du scénario, il apparaît que chez chacun une trace, quelque chose de ce premier objet persiste comme symptôme, c'est-à-dire est se répétant, et dans cette répétition n'est justement pas trace mémorielle. Elle, son premier objet, était cascadeur, et il en est mort dans un accident. L'objet de son nouvel amour est pilote de course. Des hommes qui risquent leur vie. Lui, son premier objet était fragile, elle s'est suicidée, ne faisant plus face au surcroît d'angoisse des risques qu'il encourait. Tout le jeu d'Anouk Aimée, la femme du film, est sous le signe de la sensibilité et de la fragilité. Une femme fragile donc, elle aussi. C'est en quoi ce film est une parfaite illustration de nos amours. L'objet, l'objet a, a bien été dépassé, il s'en est bien creusé le manque dont sera issu le désir. Il en a bien été fait le deuil, sauf une petite part, qui, elle, a été refoulée, et non dépassée, et qui va ressurgir sous la forme d'un trait de la partenaire.
Peut-être ici un autre fondu au noir. Et les images d'une mer durassienne. Ce serait d'une autre histoire dont il s'agirait maintenant, avec la question : symptôme ou sinthome ? L'histoire étant celle de Marguerite Duras, que tout le monde connaît, et de Yann Andréa, peut-être moins connu, qui fut son jeune amant jusqu'à la mort de celle-ci en 1996. En 1980, lorsque débute leur histoire à proprement parler, elle a 66 ans, lui 28. Mais déjà il y avait eu un début avant le début. Un jeune homme, Yann Lemée, étudiant en khâgne, découvre par hasard un livre « Les petits chevaux de Tarquinia » d'un auteur pour lui inconnu : Marguerite Duras. Fasciné, il délaisse ses études, et dévore tous les ouvrages qu'il peut découvrir de celle-ci. Un an ou deux plus tard, à Caen, ville où il est étudiant, est projeté le film « India song » en présence de l'auteur, comme souvent dans ces cas, une discussion s'en suit entre la salle et la réalisatrice. Il parvient à échanger quelques mots avec elle, sans doute admiratifs. Elle lui donne son adresse parisienne. Dès lors, il lui écrit une ou plusieurs lettres, chaque jour, et ce pendant trois ans. Il avait une adresse. Quelle était son énonciation ? Elle ne lui répondra jamais. Jamais. Quelque chose ici ressemblant à une cure. Absence de trace du désir de l'analyste. Lui quel était son transfert dans cette adresse? Mais en l'absence de soutien de ce travail d'énonciation, ces riens de l'analyste, approbations, « mmm, mmm », et autres encouragements à poursuivre, au bout de ces trois ans, il se lasse, et arrête d'écrire. C'est alors que c'est elle qui, ne supportant pas cet arrêt, relance leurs échanges, lui faisant parvenir chacun de ses ouvrages au fur et à mesure de leur publication. Avait-elle désir de ce lecteur, de ce qu'il énonçait d'elle dans sa lecture ? Elle est à Trouville, il n'est pas loin, c'est la Normandie. Il s'autorise, il lui téléphone, il voudrait en profiter pour lui rendre visite. Elle lui dit de venir. Elle lui dira d'entrer, elle lui dira de rester. Ils ne se quitteront plus. C'était l'été 1980. Qui était-elle pour lui ? Pour qu'ayant franchi le seuil de cet appartement, il accepte, le soir même, de n'en pas ressortir, abandonnant métier, études, amis, famille. Il était venu pour une simple visite. Il était sans valise.
Qu'était-elle pour lui ? En cet été 1980, on n'a comme seul indice que ce livre premier qui a déclenché, selon ses propres dires, sa fascination : « Les petits chevaux de Tarquinia ». Tout Duras y serait. L'amour, au centre, inéluctable, comme un destin, on ne peut vivre sans aimer, « s'y soustraire, on ne peut pas » dit un des personnages. Inéluctable et pourtant impossible. Fondamentalement impossible. Deux couples. Le premier, l'homme et la femme se disputent sans cesse, mais ne peuvent pas se séparer. Le second, aux relations plus souples mais au désir fantomatique. La femme y cède à son attrait pour un inconnu. Mais renonce à un second rendez-vous. Qui aurait fait espoir, renouveau du désir. On n'échappe pas à sa destinée. Elle ira, à la place de ce rendez-vous, avec son époux, dérisoirement, visiter les petits chevaux étrusques du musée de Tarquinia, En arrière-plan, un autre amour sans issue, impossible et violent, celui d'une mère muette de douleur incapable de se détacher du cadavre de son fils. C'est le style de Duras. Un récit, comme souvent, situé par la narratrice au passé. Un moment passé sans historisation. En un temps presque arrêté, figé, celui d'un destin, figuré ici par une chaleur écrasante. En des phrases courtes, métonymiques de sous-entendus dont seraient porteurs les personnages. Qu'est-ce qui a fasciné Yann ? Et qui se retrouve aussi bien dans « India Song », qu'il a vu. L'amour aussi inéluctable qu'impossible ? Le vice-consul rencontre Anne-Marie Stretter, lui déclare l'aimer depuis toujours, mais qu'étant trop semblables leur amour est impossible, et s'en va hurlant de douleur et de folie. Elle, Anne-Marie, ne proteste en rien. Et dans le temps immobile, pesant, répété, couchant avec des hommes sans importance, elle finit, à défaut d'amour, par se noyer dans le Gange. Est-ce cela, l'amour impossible ? La temporalité arrêtée, figée ? Le poids de non-dits, de sous-entendus que recouvre chaque personnage ? Tout cela à la fois ? Ce qui a fasciné Yann Andréa ?
Il y aurait eu un autre fondu. J'aurais alors voulu évoquer la fin. La fin de Yann, entre la mort de Marguerite et sa propre mort. Cette fin éclairant, après ce début, ce que fut leur amour. Il est mort en 2014. Elle était morte en 1996. Après sa mort, il lui écrit à nouveau. A nouveau des lettres à l'absente. Des lettres à tenter de combler l'absence de celle toujours là. Il sombre. Dans la boisson, la dénutrition, la quasi-clochardise. Seul, enfermé dans le studio qu'elle lui a légué. Il continue de lui écrire. Maron Sell, son éditrice, va le sortir de sa dépression, essayer. A le forçant à lui écrire à elle, Maron, et non à Marguerite. En l'aimant et l'incitant à l'aimer, elle devient sa maîtresse. Elle aussi est plus âgée. « Il avait besoin de tendresse maternelle » écrit-elle dans « L'histoire » ouvrage qui raconte leurs amours. Il lui adresse des feuillets, cela deviendra « Cet amour-là », récit de son amour pour Marguerite et surtout de sa descente aux enfers suivant son décès. (N'avaient-ils pas dit qu'ils se tueraient ensemble, n'est-il pas coupable de lui survivre ?) Cela a des effets cathartiques. Il va mieux. « Cet amour-là » est un succès. On le voit sur les plateaux de télévision. Chez Ardisson il est à côté d'un Mélenchon s'offusquant qu'on se fasse ainsi esclave d'une femme, lui tentant de faire signe qu'on ne comprend pas. Dans d'autres scènes télévisées, on le voit, au cimetière du Montparnasse, auprès de la tombe de Marguerite. La dépression revient. Maron Sell, par amour, par l'écriture, essaie encore. Il republiera. Sans grand succès. Marguerite est toujours là. Entre Maron et lui, entre l'écriture et lui. Et c'est aux côtés de Marguerite qu'il sera enterré.
Un autre fondu, aboutissant sur les images d'une mer couverte de nuages lourds, noirs, une lumière crépusculaire. Le temps de leur amour. 1980-1996. Amour fusionnel. Désir du faire Un aussi bien de l'amour que du rapport sexuel. Amour peut-être bien incestueux. (Lacan : « il n'y a pas de rapport sexuel sauf peut-être incestueux »). Visant la fusion de l'un et de l'autre jusqu'au rebord de l'engloutissement de l'être de l'un par l'être de l'autre. D'où les cris, les disputes, les fuites. Mais aussi les retours, les retrouvailles, le désir fusionnel encore et encore. Quelque chose peut-être du bord de « das Ding ».
Il était venu pour une simple visite, était resté, et avait abandonné tout ce qui était de lui. Même son nom. Elle avait effacé son patronyme et lui avait donné un matronyme, « Andréa », un des prénoms de sa mère. Elle lui avait indiqué comment s'habiller, ce qu'il devait manger, la bonne façon de marcher, de se tenir, de parler. Elle lui avait fait remarquer qu'un téléphone lui était inutile, puisqu'elle était là, toujours, à ses côtés, et qu'elle était la seule personne digne de ses appels. Elle lui contestait aussi bien sûr son homosexualité qu'il lui avait avouée. De cette emprise, il se défend. C'est ce dont il témoigne dans « Cet amour-là », dans l'interview de Michèle Manceaux, repris à l'écran par Claire Simon sous le titre « Vous ne désirez que moi », et dont nous sommes soulagés, pris de vertige. Et si cela se traduit par des fugues homosexuelles, sans lendemain, avec des hommes qu'il décrit comme figures paternelles, ou des fugues à quelques pâtés de maison, si brèves, tout de suite, il revient, guidé par ce désir, ce désir fusionnel où chacun risque l'engloutissement. Et dont elle aussi se défend par moments, en le traitant de parasite, vivant à ses crochets, de ne rien faire, d'être purement régressif. Mais elle aussi revient. A ce désir de faire Un. De faire Tout avec l'autre. Et son impossible. Ils sont au centre de ses récits, l'amour inéluctable et impossible. Qu'est-ce qu'ils en écrivent alors pouvant nous éclairer ? Lui, en 1983, « M.D », un premier récit. Celui d'une cure de désintoxication, une des nombreuses, de Marguerite, dramatique. Elle est dans un état tel qu'on lui prescrit tranquillisants, somnifères, mais son organisme très abîmé ne les supporte pas, elle sombre. Elle en sortira difficilement. Mais ce qu'on y apprend, c'est qu'il s'est mis à boire, comme elle, dès le réveil, autant qu'elle. Qu'il s'est mis à écrire comme elle, mêmes phrases courtes. On apprend qu'elle a des images, des visions, qui sont des inductions à ce qu'elle écrit. Il s'est identifié, façon de faire Un, avec cette femme, mère (?), toute puissante, en mal d'un amour impossible, qu'ils tentent tous les deux de combler. L'année d'avant, elle avait écrit « Agatha » dont elle fera aussi un film. Un dialogue entre un frère et une sour, adultes. Ils sont épris l'un de l'autre, intensément. Ils sont passés à l'acte. A leur grand malheur, face à cette passion incestueuse impossible, la seule solution serait la fuite de la sour. Dans le film, ce sont les voix off de Yann et de Marguerite qui sont entendues. Superposition des histoires : Agatha et son frère/ Marguerite et Yann / « Le petit frère » et Marguerite. (Elle avait un frère adoré, de 2 ans son aîné, surnommé « petit » par différence avec « le grand » qu'elle détestait mais pas sans fascination). Nous sommes donc au bord de l'inceste. Une femme-mère, toute puissante. Elle est unique, dit-il. Elle le fait homme. Il l'affirme. Elle est cela aussi dans leurs relations sexuelles. Dans « Yann Andréa Steiner », ouvre qu'elle lui dédit, le fil se poursuit, plus sublimé. Le récit commence par l'évocation de Yann, de leur amour. Très vite se glisse entre eux un personnage imaginaire, Théodora Kats, une jeune juive qui est condamnée. Et le récit se poursuit entre passé et présent. La plage de Trouville, une colonie de vacances, un enfant solitaire, isolé, et une jeune monitrice qui lui prête attention. Attendrie par cet enfant, sa solitude, elle se met à l'aimer. Et l'enfant qui en est ému l'aime aussi. (Duplication de la relation de Marguerite et de Yann). L'enfant, la monitrice, malgré tout leur amour, vont être séparés. Ils ignorent qu'ils sont porteurs de ce rien qui va bientôt les condamner à mort, ils sont juifs. Encore l'amour et son impossible. Dans « Yeux bleus, cheveux noirs », c'est l'homosexualité de Yann qui est en cause. Un homme et une femme se rencontrent par hasard. Ils ont désiré le même homme. Ils passent un étrange marché. Seuls dans une chambre, elle s'exposera nue, il la regardera, rien de plus. Il lui surviendra du désir pour cet homme. Lui en ressentira aussi, à un instant. Mais rien ne pourra vraiment se produire. Homosexuel, cette relation lui est interdite. Serait-ce une interprétation adressée à Yann ? L'homosexualité comme interdiction de la femme-mère ? Alors qui était-elle pour lui ? Et puis il y a l'écrivain, Duras. Elle lui en fait reproche dans ses moments de colère : « Vous ne m'aimez pas, moi, Marguerite, c'est Duras que vous aimez !! » Il a, du début, toujours été fasciné par son écriture. « L'écriture en train de se produire, c'est une émotion telle, non pas liée à la beauté, mais à la vérité. Quelque chose de vrai est en train d'être dit, d'être écrit pour toujours. Quelque chose de la vérité, de la vérité millénaire. » dit-il. Elle est aussi cela : productrice de la vérité.
Plan final, plus une vague sur la mer étale et grise.
Qui était-elle pour lui ? Qu'il retourne en ce point d'origine dans son ventre ? Qu'il accepte, voire désire être ce petit emmailloté très serré d'une mère toute puissante ? Qu'elle soit ce point de vérité ? Qu'il veuille avec elle ce Tout de chair à chair ? En échange de son amour, de son désir ? D'une vérité qu'en elle il rencontrerait ? Que venait-elle réparer, structurer ?
Alors symptôme ou sinthome ? Il est vrai que lorsqu'elle est morte, il a sombré dans l'alcoolisme et une profonde dépression. Mais pendant les 18 années pendant lesquelles il lui a survécu, il n'y a pas trace connue de déstructuration, de décompensation. Dépression, alcoolisme, écriture. mais pas folie, délire ou autre. Symptôme alors?
Mais par ailleurs, il nous l'indique, elle ne l'a jamais quitté. Même après sa mort. Maron Sell le déplore, elle sera toujours là, jusqu'à la fin, Marguerite. Sinthome constitué ?
Quant à elle, ces récurrences. Cette répétition dans ses ouvres. Cet amour auquel on ne peut échapper, toujours impossible. Ce passé anhistorique, à la temporalité figée. Ces sous-entendus si lourds, ces non-dits jamais articulés. Un amour incestueux refoulé, inconscient ? Un autre événement ? .
Bien d'autres éléments sans doute à explorer.
La mer s'est retirée. La plage est lisse et déserte.

Jean-Jacques Lepitre.
28/12/22


1. Martine Campion-Jeanvoine a fait elle-même une intervention, précédant celle-ci, où avec simplicité et audace, dans une position fémininement affirmée, elle a exposé comment une femme peut être le symptôme de son homme. Elle a poursuivi par la problématique de Joyce et du sinthome, et comment Nora, son épouse, pouvait y avoir sa place.
Parmi les références citées :
Sigmund Freud : « Les 3 essais sur la sexualité. »
« Le plus général des rabaissements de la vie amoureuse »
« Hypnose et sexualité », in Psychologie des masses
Jacques Lacan : Séminaire « L'angoisse »
Séminaire « Encore »
Séminaire « Le sinthome »
Yann Andréa : M.D
« Cet amour-là »
« Je voudrais parler de Duras » (avec Michèle Manceaux).
Marguerite Duras : « Les petits chevaux de Tarquinia »
« India Song »
« Agatha » roman, film, pièce de théâtre
« L'homme atlantique » récit, film
« Yeux bleus, cheveux noirs »
« Yann Andréa Steneir »