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L'éthique de la psychanalyse
Le séminaire Livre VII
1959-1960


Jacques Lacan / Epco

Généralités

Remarques et réflexions
Peuvent se publier ici les remarques ou questions que suscitent le séminaire en général et d'autres choses encore.

Freud
Il ne viendrait à personne d’énoncer qu’un comportement animal est immoral, ou qu’une conduite animale est immorale. Rigoureusement organisés par un instinct, ou des schèmes instinctuels, ces conduites ou comportements ne laissent pas la place à un choix, une hésitation, ou une valorisation en termes de bien, de bon ou de mieux.
La morale, l’éthique semblent donc propres au sujet humain à y pallier à ce qu’il manquerait d’instinct programmant ses conduites. Il en résulte que la psychanalyse, à vouloir théoriser ce sujet dans sa structure et ses désirs, ne peut que rencontrer les ressorts de cette morale, s’articulant en conduites. C’est dans la lecture attentive de Freud, que Lacan, nous invitant à le suivre, cerne les éléments qui, de ces ressorts, constituent le noyau… Principes de plaisir et de réalité, « das Ding », la sublimation, etc…
Et d’en proposer la comparaison, en une vaste fresque historique, de Moïse, Aristote, le Haut Moyen-âge, la Renaissance, les Lumières, jusqu’à la Révolution Française, avec ce que chaque morale, les « dix commandements », « L’éthique à Nicomaque », « Le fin’amor », la morale kantienne, sa confrontation avec Sade, comporte de spécifique.


Dans cette seconde partie (leçons 14 à 27), Lacan nous entraine dans cet "au-delà" dont la répétition signifiante avait alerté nos oreilles.
Au-delà de la frontière, que semblait dessiner le principe de plaisir et sa visée de moindre tension, nous séparant de la jouissance aux abords néantifiants de Das Ding. C'est la question que pose la jouissance à l'éthique, la passion au sens fort, qu'interroge Lacan, aussi bien que le fondement freudien de la loi dans le meutre du père.
La réponse d'Aristote, cf "L'éthique à Nicomaque", paraissant un peu courte: "il suffit de moyenner", puisque des passions l'homme ne peut y résister, en accepter un peu mais pas trop.
Or cet au-delà, c'est là où Sade met en scène cette jouissance dans la passion promulguée de la pulsion de destruction... Et l'histoire contemporaine ne semble pas s'être contentée d'élucubrations imaginaires
C'est aussi l'au-delà de la morale commune, celle de la cité, telle que se dresse Antigone habitée d'une passion où elle se réalise dans sa destruction même. Désir habitant une étrange jouissance.
Mais où s'articule la beauté, comme prolongement de l'interrogation de la sublimation, non pour Antigone, mais pour le spectateur.

Textes
Des textes trouvés par les uns ou les autre en référence au séminaire:

- "La Chose", conférence de M Heidegger, prononcée le 6 Juin 1950, devant l'Académie des Beaux-Arts de Bavière, que Lacan évoque et qui éclaire son dire à propos de "Das Ding"
"L'Esquisse" de S.Freud sous deux versions: une de l'Association Freudienne, une autre de l'E.L.P, probablement.
"La lettre 52" de S.Freud à W.Fliess.
Aristote: "L'éthique à Nicomaque".
"La critique de la raison pratique" de Kant sur le site numérique Gallica de la B.N.F.
De Kant également "les fondements de la métaphysique des moeurs"
Face à "La philosophie dans le boudoir" de Sade.
La fin'amor, l'émergence de l'amour courtois avec ses premiers troubadours Guillaume de Poitiers et Bernard de Ventadour
Chrétien de Troyes qui est leur successeur, avec d'autres, pour l'illustration qu'est "Tristan et Yseult", des prolématiques de l'amour courtois.
Marguerite de Navarre comme témoin de la Renaissance.
Pour ce qui est de Moïse et de Saint Paul, on peut suposer que chacun possède un exemplaire de la Bible, de toute façon facilement trouvable sur internet.

Pour la seconde partie
Freud: "Malaise dans la civilisation"
Sade: "Justine"
Kant: "Critique du jugement" ( ou de la faculté de juger)
Sophocle: "Antigone"
Philippe Lacoue Labarthe: "De l'éthique: à propos d'Antigone", Colloque du Collège International de Phiosophie, 1991: "Lacan avec les philosophes".


Les leçons


Commentaires et résumé Ali Paris de la leçon 1 Marc Darmon

Commentaires et résumé Ali Paris des leçon 2 et 3 Marc Darmon


Marie-Christine Salomon Clisson se propose pour étudier les leçons 1 et 2

L’ÉTHIQUE DE LA PSYCHANALYSE (1959-1960)

Mon intérêt à partager la lecture de ce séminaire s’est accru proportionnellement à la dictature de la morale actuelle. « Le siècle où la parole a été victime » (Livre Y. Bonnefoy) : nous sommes dans l’après-coup de ce traumatisme où le totalitarisme renaissant s’exerce en vue d’une éradication de la parole adressée. Le marathon d’aujourd’hui, sera celui de l’art du commentaire à plusieurs voix. Le marathon est une course d’endurance, avec cette urgence d’avoir à gagner contre la mort. Nous avons maintenant à y participer au un par un, au sein d’un collectif. Aujourd’hui le malaise dans la civilisation ne s’exprimerait-il pas dans la façon d’utiliser le langage, dans une certaine perversion de la langue, qu’elle soit langue de bois ou langue réduite à un code ? La méthode de Lacan, son mouvement particulier (3 pas en avant, 3 pas en arrière, 2 pas sur le côté et 2 pas d’ l’autre côté).

« Ce séminaire, je l’écrirai ».
Pourquoi cela avait-il tant d’importance pour Lacan que ce séminaire il puisse non pas simplement le dire mais l’écrire ? Pourquoi ne souhaitait-il pas que l’oralité de son discours en reste à une transcription ? Quelle serait l’articulation d’un texte à dire avec un texte à écrire ? Serait-ce l’indication d’un franchissement, celui du symbolique qui a à surmonter non seulement l’imaginaire mais le Réel dans une logique ternaire ? L’écriture serait-elle nécessaire pour rendre compte des effets réels de notre parole et de notre capacité à penser à partir de cette tentative de retrouvaille de l’objet ? (l’écrit c’est la parole même nous dit Yves Bonnefoy dans Raviver les mots). Nous pourrions faire l’hypothèse que ce séminaire, il l’a bien écrit, dans l’après-coup, nous proposant une nouvelle éthique cette fois-ci borroméenne, en inscrivant l’objet « a » au centre du nouage pour mettre en évidence ce qui doit se perdre pour qu’il y ait une vie subjective.


Première leçon (p 9 à 28)

Dans cette première leçon, Lacan pose les jalons du chemin qu’il souhaite faire avec nous concernant la spécificité d’une éthique de la psychanalyse, ce sujet n’ayant jamais été abordé en tant que tel par ses prédécesseurs. Sa réflexion sera dans le droit fil du séminaire précédent, « Le désir et son interprétation ». Il nous propose d’utiliser ses propres outils : les catégories du Symbolique et de l’Imaginaire en y ajoutant celle du Réel car nous dit-il, cette dernière est nécessaire pour explorer l’éthique dans le domaine de l’Idéal (qui est l’ensemble des valeurs morales). Tout ceci pour, d’une part mettre en avant la nouveauté des propositions freudiennes découlant toujours de l’expérience et, d’autre part, faire, à son tour, un pas de plus, que je qualifierai d’« Au-delà » pour nous mettre sur le chemin de l’articulation du désir et de la jouissance. Lacan insiste sur la prise en compte de l’histoire et de l’expérience singulière, celle de la cure, où, dit-il, « la réponse rigoureuse concernant une demande n’est là que pour en faire émerger la part inconsciente qui mène au désir »). MC : comment sommes-nous entrés en analyse ?

Lacan choisit le terme éthique plutôt que celui de morale et va s’en expliquer.

Toute société se construit en établissant des règles de conduite dont l’ensemble forme la morale. Le non respect de ces règles ayant valeur pour tous, vient bousculer la vie de chacun. Nous baignons dans les problèmes moraux où s’insinue la faute portant le nom de péché dans les milieux religieux qui n’ont de cesse de la faire disparaître.

L’expérience psychanalytique a permis d’approfondir l’univers de la faute que Lacan qualifie ici de morbide (ou la notion de mal apparaît, avec celle du pathos de la maladie (Réf. Cathelineau : à partir de cette qualification Lacan s’avance sur sa proposition d’avoir à formuler une nouvelle éthique en prenant en charge l’objet pathologique, c’est-à-dire l’affection sensible). Il met l’accent, à la suite de Freud (Malaise dans la civilisation ch. 7 et 8), sur l’attrait de la faute avec le besoin de punition qui serait la conséquence de la faute commise.

Mais de quelle faute s’agit-il et quelle serait la spécificité de la faute en psychanalyse ? Celle du meurtre du père à l’origine de la culture dans la mythologie freudienne ou l’instinct de mort qui deviendra pulsion de mort, qui serait à prendre comme une faute plus constitutive de l’être humain ?

Toujours à partir de l’expérience, Lacan affirme que la  dimension éthique ne se limite pas au sentiment d’obligation. Elle est constituée de l’expérience morale qui met l’homme dans un rapport à sa propre action. Il ne s’agit donc pas seulement d’une loi articulée car elle appelle un bien qui engendre un idéal de conduite. C’est un au-delà du sentiment d’obligation et vous entendez qu’avec ce terme « au-delà », toute l’élaboration va se transformer, à l’égal de la proposition de Freud dans son « au-delà du principe de plaisir ».

Freud a fait progresser la réflexion sur l’expérience morale et a mis en évidence l’omniprésence du sentiment de culpabilité (ch. 8 du malaise), qui est le côté désagréable de l’expérience morale. La progression de Lacan a été de remettre en faveur la fonction féconde du désir, précisant que la dimension morale de Freud ne s’enracine que dans le désir lui-même. Il fait un pas de plus en disant que c’est de l’énergie de ce désir que la dimension de la censure va trouver sa fonction (Cathelineau : terme utilisé dans la Traumdeutung où le travail de l’analyste va être de déjouer les effets de la censure par l’interprétation des rêves).

Au regard de l’histoire, il va resituer le désir, tout d’abord dans son affranchissement naturaliste avec la réflexion sur l’homme du plaisir au 18ème puis une certaine philosophie du 19ème. Il nous fait remarquer que le caractère impératif de l’expérience morale s’est accru et que l’homme est chargé de lois et de devoirs tout autant qu’avant cette expérience critique de la pensée libertine.

Freud s’est intéressé à l’expérience perverse et nous a permis de comprendre l’échec de la théorie morale de l’homme de plaisir (Lacan passe du désir au plaisir et du désir au plaisir). En effet, cette expérience fixe l’articulation de l’homme du plaisir au divin. Dieu étant l’auteur de la nature doit rendre compte des anomalies de cette expérience. C’est l’Autre qui est le Juge. C’est Dieu qui sera sommé de rendre des comptes sur le marquis de Sade où tout autre s’adonnant à l’expérience perverse. Dans cette littérature nous trouverons la dimension de l’érotique (ce qui procède de l’amour).

Freud a donné aux origines du désir, dans ses formes infantiles, un caractère de perversion polymorphe. La pente de la réflexion analytique a été de réduire cette origine paradoxale du désir et de nous montrer une convergence vers des fins d’harmonie que Lacan va appeler un moralisme plus compréhensif pour apaiser la culpabilité. C’est le terme de partiel qui permet de donner tout son poids à la pulsion perverse. C’est autour de ce terme qu’il s’est intéressé à la fonction du désir (Darmon : la perversion serait une persistance du caractère partiel des pulsions ou les pulsions refuseraient d’être convergentes pour en privilégier une).

Lacan revient à Aristote. Où situe-t-il le désir quand il parle de l’éthique ? Il relève deux points où le désir est mis hors du champ de la morale : un qu’il ne cite pas et dont Cathelineau rend compte dans son article « Sade une éthique de la jouissance ? »: « pour Aristote l’éducation éthique vise à prendre de bonnes habitudes en faisant un jeu de mots éthos (conduite) et êthos (caractère). C’est la bonne conduite qui détermine le bon caractère. Par l’acquisition de bonnes habitudes on acquiert un bon caractère, l’éducation se réduit à un dressage ». L’autre point que cite Lacan: le corps des désirs sexuels sont des anomalies monstrueuses ou bestiales.

L’expérience de la psychanalyse va subvertir la morale d’Aristote.
Lacan nous fait cette proposition : « c’est la transformation de l’énergie du désir qui va nous permettre de concevoir la genèse de sa régression. Ce désir, avec l’attrait de la faute, va nous permettre de mettre en évidence une complexité supérieure qui nous permet de saisir la dimension de la civilisation comme telle ».

Est-ce que tout cela se limite à la genèse du surmoi ? Lacan nous invite à distinguer le registre des besoins collectifs et celui où se joue le  rapport au signifiant avec la loi du discours, ce registre qui a une autonomie et nous permet d’y situer l’expérience de la parole.

Cette dimension de la parole, Lacan la trouve dans « Malaise dans la Civilisation » (1929) après que Freud ait mis au premier plan la notion de l’instinct de mort et élaboré sa deuxième topique. Il parle à ce moment, d’un tournant de la civilisation (ne sommes-nous pas dans un autre tournant ?). Nous avons à prendre en compte ce malaise, à la condition de le cerner et il ajoute que cela se passe très au-dessus de lui. C’est là que Lacan situe le point de réversion de Freud dans le rapport de l’homme au logos. Il s’agit d’une œuvre essentielle pour comprendre la pensée de Freud. Elle met en évidence ce qui fait la spécificité de l’expérience analytique et nous indique ce que doit être notre position quant à la demande humaine à laquelle nous avons à faire dans notre praxis. Voici la position de Freud* soulignée par Lacan :

L’expérience morale se résume de l’impératif original qu’est l’ascèse freudienne :« Wo Es war, soll Ich werden » et l’aboutissement qu’il en propose dans ses nouvelles conférences. La racine de cette expérience morale se situe au principe de l’entrée du patient dans la psychanalyse. (« les Ecrits – 1955 -La Chose freudienne p 416-417 : C’est au lieu : Wo ou Es : sujet dépourvu d’article subjectivant, war : était (qui est un lieu d’être) et en ce lieu, soll : un devoir au sens moral qui s’annonce : Ich : je (là dois-je, comme on disait ce « suis-je » avant « c’est moi »), werden : devenir, c’est à dire venir au jour de ce lieu même en tant qu’il est lieu d’être).

Le Je qui doit advenir s’interroge sur ce qu’il veut. Il n’est pas seulement interrogé par l’Autre, dans cette expérience, il se pose cette question à l’endroit des impératifs qui lui sont proposés par son expérience morbide. Va-t-il se soumettre à cet impératif du Surmoi (semi inconscient précise Lacan qui indique une possibilité de choisir de s’y opposer consciemment), ce Surmoi qui se révèle au long de la cure. Son vrai devoir ne serait-il pas d’aller contre cet impératif ? (ADW reprendra ce travail à la suite de Lacan dans « Les trois temps de la Loi »).

Comment se structure au départ l’expérience d’un obsessionnel qui a un savoir sur cette énigme autour du terme « devoir » (« L’enfer du devoir » disait Denise Lachaud), savoir qu’il formule avant même qu’il n’arrive à la demande d’analyse ?

Il s’agit de savoir si notre réflexion éthique a une portée universelle. Ce qui voudrait dire que le devoir ne serait pas seulement une pensée du philosophe qui justifierait ce qui se présente comme une obligation, dans une forme imposée, mais bien une interrogation universelle.

Lacan pose cette question : ne serions-nous qu’un lieu d’asile et seulement là pour répondre à la demande de ne pas souffrir avec cet espoir ou non qu’avec la compréhension l’analysant pourrait se libérer de son ignorance et de sa souffrance ? C’est ici que nous pouvons situer les idéaux de la psychanalyse et notre travail est bien de les mesurer, les repérer, les situer et les organiser. Il nous en propose trois (3 valeurs) de la réflexion morale concernant l’amour humain :

1 – l’idéal de l’amour génital
Cet idéal, cet amour médecin, serait censé modeler une relation d’objet satisfaisante où semblerait se limiter le champ de l’ambition analytique. Mais l’analyste trouve une limite. L’union monogamique ne résout pas le problème de l’expérience morale. En remettant l’idéal de l’amour au centre de l’expérience éthique, l’analyse apporte un changement de perspective, et pousse plus loin son investigation d’une érotique sur laquelle Freud a buté. Lacan resitue le contexte historique de cette fin de 19ème, d’où émergeront de nouvelles questions. Il propose un congrès sur la sexualité féminine pour pallier cette carence (les Ecrits : Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine p 725).

2 – l’idéal de l’authenticité
Si l’analyse est une technique de démasquage (dévoilement de ce qui est caché), elle suppose cet idéal. Cet idéal va nous permettre de poser des normes cliniques. Lacan fait référence à Hélène Deutsch qui a mis en évidence des personnalités en difficulté avec ce qui serait exigible dans la relation sociale, dont l’attitude est perçue par l’autre comme marqué du « As if ». Nous sommes ici dans un domaine qui ne se limite pas à l’expérience morale et c’est là que nous arrivons à cette question de la pleine présence, cette question déjà abordée dans sa conférence de 1953 et qu’il reprendra tout au long de ses séminaires avec des abords différents.

3 – l’idéal d’une prophylaxie de la dépendance.
Je dirai que c’est à partir de cet idéal que nous voyons poindre ce que Lacan appellera le processus d’Aliénation/Séparation. Lacan pose cette question : y a-t-il une frontière qui sépare le désirable et les moyens d’y parvenir ? Il précise : quand nous sommes amenés à empiéter sur le champ de « l’orthopédie », les moyens employés s’appuient sur une éthique de l’analyse.

Ce qui spécifie l’éthique de l’analyse, c’est l’absence d’une dimension, celle de l’habitude. C’est en cela elle se différencie des autres éthiques. Elle s’inscrit dans les termes de traumas et leurs persistances. L’essence de l’inconscient s’inscrit dans un autre registre que celui sur lequel Aristote a construit son éthique. [Lacan reprend le jeu de mot d’Aristote : l’éthos (l’habitude) ce n’est pas l’êthos (l’éthique). L’éthique d’Aristote est une science qui s’occupe de la formation du caractère, C’est une action qui vise les habitudes, un dressage, une éducation]. La proposition de Lacan est une position radicale pour repérer l’originalité de la position freudienne en ce domaine. Il s’agit ici d’un changement d’attitude dans la question morale elle-même.

Pour Aristote, c’est le problème d’un Bien. (Cathelineau : Chez Aristote l’éthique est bien une orientation vers un Bien comme idéal de la conduite). Il met l’accent sur le plaisir et sa fonction dans l’économie mentale de l’éthique. Lacan nous fait remarquer que c’est également le point de référence de la théorie freudienne concernant les systèmes psy et phi, les processus primaires et secondaires. Le plaisir a-t-il la même fonction dans les deux systèmes ? Pour répondre à cette question, Lacan nous propose 3 termes (S, I et R), afin que nous puissions repérer la différence et saisir le progrès lié à l’histoire.

Lacan nous a d’abord parlé de l’interaction du S et de l’I. C’est en explorant le domaine de l’éthique qu’il affirme qu’elle doit viser dans le domaine de l’Idéal, de l’irréel dans le sens de la notion de Réel *. L’éthique sera une opération de repérage par rapport au Réel. Et j’ajouterai dans une dimension cette fois-ci ternaire.

Pourquoi Freud a-t-il fait un progrès dans ce sens ? Grâce à ce qui s’est passé dans l’intervalle. Avec Hegel, au 19ème, il y a eu un déclin radical de la position et de la fonction du maître. La vertu du travail passe par les voies du vaincu, de l’esclave. C’est une vision radicalement différente de celle d’Aristote. Cette position nous amené à une pensée dite utilitariste avec une révolution dans les rapports humains. La question n’est plus simplement de ce qu’il y a comme biens sur le marché et de leur répartition. C’est RomanJakobson qui apporte à Lacan ce qu’il a découvert dans l’œuvre de Jeremy Bentham qui oppose le terme de réel à celui de fictitious, à entendre au sens de structure de fiction (Maud Manonni : la psychanalyse comme fiction). A partir de là, une dialectique du rapport du langage au réel devient possible. Bentham situe ce bien réel, ce plaisir en l’occasion, qu’il articule différemment.

C’est là entre cette opposition fiction/réalité que vient se placer le mouvement de bascule de l’expérience freudienne *. Cette distinction nous fait arriver à quelque chose d’inattendu : ce qui caractérise le plaisir (ce qui enchaîne l’homme dit Lacan) se trouve entièrement du côté du fictif, qui n’est pas ce qui est trompeur mais qui est le Symbolique lui-même. Que l’inconscient soit structuré en fonction du S (le principe du plaisir étant ce que l’homme recherche), c’est le retour de ce qui est un signe, quelque chose qui mène l’homme à son insu dans une conduite qui lui fait plaisir. Ce que l’homme cherche et retrouve (la fameuse retrouvaille) - de l’objet perdu à l’objet retrouvé - c’est la trace (l’inscription) aux dépens de la piste (chemin). A partir de là, Freud va nous permettre de concevoir la fonction de la réalité.

Freud et Aristote ne doute pas que l’homme cherche le bonheur et que cela se présente en terme de rencontre : la tuchè. Pour nous c’est aussi Augurum : un bon présage et une bonne rencontre. Lacan revient sur le terme allemand Glüch, c’est aussi Gelück (2 rencontres). En anglais happiness, c’est happen. Il n’est pas sûr que ces termes soient synonymes va-t-il nous dire. Lacan bénéficie des avancées concernant les langues et leur traduction et les mettra en jeu dans la chaine signifiante pour affiner sa pensée.

(Y. Bonnefoy : Il n’y a pas de pensée dans l’absolu, toute pensée est de circonstance. La circonstance la plus fondamentale étant la langue que l’on emploie, qui est quelque chose de particulier avec des hasards profonds, une vision du monde tout à fait singulière. Le moment historique est également une circonstance).

Ici entre en jeu la question de la traduction.
Are you happy ? Etes-vous heureux ? Oh yes ! I am very happy (oui, je suis très heureux ! Il poursuit en allemand : Aber nicht glüklich ! Mais pas heureux !

Pour Freud le bonheur doit être proposé comme terme à toute recherche, si éthique soit-elle, dit Lacan. Mais, quand Freud sort de son domaine en écrivant Malaise dans la Civilisation, il nous dit que pour le bonheur il n’y a rien de préparé dans l’universel ni dans le singulier. Pour Aristote, le plaisir a quelque chose de non contestable. Ce plaisir est le pôle directif de l’accomplissement de l’homme pour autant qu’il y a chez l’homme quelque chose de divin qui est cette appartenance à la nature. Mais, la nature chez Aristote n’est pas la même que pour nous : elle exclut tous les désirs bestiaux de l’accomplissement de l’homme.

Dans l’intervalle, il y a Freud et son renversement de perspectives : tout ce qui va vers la réalité exige un abaissement de l’énergie du plaisir. *

La façon dont s’organisent les fictions du désir a permis à Lacan d’écrire la formule du fantasme. La notion de désir doit être prise comme étant le désir de l’A. C’est là qu’il prend tout son poids. Il n’en reste pas là et revient sur une note de le Traumdeuntung , dans laquelle Freud nous dit que nous avons un deuxième facteur à ne pas négliger : la satisfaction d’un vœux doit apporter du plaisir mais il est bien connu du rêveur qu’il n’a pas un rapport univoque avec son vœu. Il le rejette, le censure, il n’en veut pas. Nous retrouvons, dit Lacan, la dimension essentielle du désir comme étant toujours désir au deuxième degré, à savoir désir de désir.

Lacan reprend la théorie des valeurs : « la valeur d’une chose est sa désirabilité ». Il s’agit de savoir si une chose est digne d’être désirée et là, nous tombons sur une drôle de forme concernant les aspirations des hommes. Son souhait : que la structure constituée par la relation imaginaire (où l’homme entre double dans la dialectique de la fiction), trouve son aboutissement à partir de ce travail sur l’éthique de la psychanalyse. Au dernier terme nous arriverons à la question du masochisme dans l’économie pulsionnelle et Lacan précise qu’il souhaiterait nous amener à l’approfondissement du rôle économique du masochisme pour conclure ce séminaire.

Réf. Journées Kant avec Sade (« Sade, une éthique de la jouissance ? » de Pierre-Christophe Cathelineau et « Désir et Jouissances » de Jean-luc de Saint-Just.)
Deuxième leçon (p 29 à 50).

Nous entrons dans le vif du sujet, avec ce déploiement logique d’une pensée proprement psychanalytique.

Lacan veut nous apporter son miel, sa nouvelle production et se pose la question du pot, comme nous nous posons la question de ce qui peut donner forme à notre praxis. Son point de départ : « quelle est la portée de notre parole ? ». Son hypothèse est que le problème moral, éthique de notre praxis est lié au fait que toute psychanalyse nous laisse dans une insatisfaction profonde car elle n’est qu’un alibi de notre tentative de pénétrer le problème de notre propre action qui est le fondement de toute réflexion éthique. Notre recherche : que devons-nous faire pour agir d’une façon droite (juste) étant donné notre position d’homme ? Notre action spécifique passe par ce point de départ, une demande, un appel d’urgence, comment donc y situer notre éthique ?

Reprenant les grandes lignes du programme qu’il s’est fixé, qui va de l’omniprésence de l’impératif moral jusqu’au plaisir dont le second degré est le masochisme moral, il nous fait une proposition inattendue, en quelque sorte une demande, de nous référer à sa thèse qui est la suivante : « le commandement moral (de la loi morale), ce en quoi cette instance s’impose à nous, est ce qui représente, ce par quoi se présentifie le Réel dans notre activité qui est structurée par le Symbolique. Il va nous dire : la loi morale s’affirme contre la plaisir. Le fait même d’introduire le Réel à propos de cette loi, remet en question la valeur donnée à ce que nous appelons l’Idéal. Il précise qu’il s’agit bien de donner du sens à ce terme de Réel ».

Sa proposition est en lien avec la pensée de Freud qui, partant d’une opposition entre principe de plaisir et principe de réalité, aboutit à un « au-delà du principe de plaisir », avec ce dernier terme, l’instinct de mort (qui deviendra pulsion de mort), qui serait une loi au-delà de toute loi, s’il ne s’agissait de quelque chose comme le dévoilement, la retrouvaille où ce principe de réalité ferait resurgir quelque chose au-delà qui gouvernerait l’ensemble de notre rapport au monde, appelé réalité ?

C’est de cette façon que Lacan va pouvoir spécifier le terme de réalité apporté par Freud et celui de Réel allant au-delà de cette réalité.

De quoi s’agit-il avec ce terme de réalité ? De la réalité quotidienne, de la conformité aux usages reçus ou de la réalité psychique ? Voilà ce qui anime la recherche de Lacan. Il va se confronter au caractère problématique de la réalité psychique. Pour ce faire, il va se dégager de l’expérience morale en tant qu’impérative et porter son intérêt sur l’action morale qui s’y oppose. Cette action morale apporte quelque chose de nouveau, la notion de présence. (YB : certaines philosophies dominées par le souci épistémologique, tentent de réduire l’expérience de la présence). Et c’est l’analyse qui nous y ramène, cette cure par la parole redonne aux mots leur qualité de présence. Les limites éthiques de l’analyse sont liées aux limites de sa praxis qui n’est que le prélude d’une action morale, l’action étant ce par quoi nous débouchons dans le réel, nous dit Lacan.

En quoi consiste l’Ethique d’Aristote ?
Lacan remarque que, comme pour toutes les autres éthiques, elle se réfère à un ordre qui se présente d’abord comme une science, l’épistèmê (science de ce qui doit être fait). Cet ordre va définir la norme d’un certain caractère, l’éthos (l’état éthique). Comment le sujet va-t-il se soumettre à cet ordre dans quelle adéquation à l’êthos, ce quelque chose qui, pour Aristote, différencie l’être vivant de l’être inanimé. Pour atteindre cet état, l’homme doit prendre l’habitude de se conformer à cet ordre, à ce Bien, nommé souverain Bien, ce quelque chose qui permet d’unir le particulier à l’universel, dans une imitation de ce que serait l’ordre cosmique.

Il s’agit donc de se conformer à quelque chose qui n’est pas contesté dans la réalité et qui suppose les voies de cet ordre. C’est le disciple, la personne à laquelle Aristote s’adresse, qui possède cette science. Par son écoute, il est censé participer à ce discours de la science. Aristote introduit le discours droit : l’orthos logos, dans lequel la question éthique est posée. Reste une question : si une bonne action se conforme à ce discours, comment se fait-il que subsiste l’intempérance nommée par Aristote ?

Pour Aristote, l’Idéal humain c’est celui de l’Idéal du maître. Il va donc tenter d’élucider l’intempérance avec la mise en défaut de la vertu du maître antique qui a pour fonction d’être une présence, une condition humaine liée à l’esclave. Pour Aristote, le maître est comme le Dieu au centre du monde gouverné par le « nous » (tilde sur le u) (l’intelligence, l’esprit, la pensée). C’est l’intendant qui va gouverner les esclaves tandis que le Maître va vers un idéal de contemplation, dans la perspective de cette éthique. Il va pratiquer l’oisiveté. Ce terme est employé par la scolasticos qui dispense un enseignement philosophique et théologique au sein de l’université (du 11ème au 17ème siècle) et dont le propos est de réconcilier foi chrétienne et raison.

Ne sommes-nous pas à la recherche d’une vérité libératrice à partir de notre expérience analytique ? Oui dit Lacan mais cette vérité se présente avec un caractère de « Wunsch » (souhait, vœux, désir) impérieux, qui se normative par l’expérience de plaisir ou de peine d’où il jaillit et qui se conserve à l’intérieur du sujet sous une forme irréductible. Cela se rencontre chez tous les êtres humains, sous cette forme régressive, de désir pris pour la réalité.

Est-ce que c’est cela notre morale, la découverte de cette pensée de désir, la vérité de cette pensée ? D’une certaine façon oui, mais Lacan nous propose de dire : tout est voilé en précisant que cette idée est née bien avant la psychanalyse faisant référence à ce temps historique de la révolution industrielle et de ses effets sur les poètes romantiques anglais à savoir donner une valeur aux souvenirs d’enfance. Cette idée que l’homme doit être autre chose qu’un enfant et en même temps qu’il a à prendre en compte les expériences de l’enfant qu’il a été, est apparue dans le domaine de la psychologie au 19ème siècle.

Lacan propose de poser la question autrement même si nous nous la posons de cette façon à partir de l’expérience de la genèse singulière du névrosé car là aussi, dit-il, quelque chose nous est voilé. Il y a une autre tension entre la pensée à laquelle nous avons affaire dans l’inconscient apporté par Freud et celle qui est appelée pensée adulte. Il s’agit donc de réinterroger la pensée à partir de ce qui s’ordonne en terme de développement Idéal à savoir cette opposition processus primaire et processus secondaire pour rendre compte du principe de plaisir et du principe de réalité. Et une autre opposition fondamentale à partir d’un autre système de référence qui nous donne la possibilité de penser les choses dont on a besoin, d’une part et d’autre part, ce qui est désagréable, les états d’humeur, les états de sentiments qui cachent la réalité (Die Virklichkeit). Pour Freud, ce sont ces états d’humeur qui font obstacle à la réalité qu’il cherche à mettre en évidence. Voilà comment se pose l’expérience freudienne à l’origine. Il précise même que l’excitation sexuelle est pour lui quelque chose d’inutilisable pour cette recherche. (Lacan précise qu’en extrayant une phrase de son contexte on déforme son sens, et c’est bien ce qui se passe en ce moment).

La conception fondamentale de la structure psychique est dans l’Esquisse laissée à l’état de brouillon, (que F pensait intituler « une psychologie à l’usage des neurologues). C’est à partir de là que Lacan souhaite interroger l’opposition principe de réalité et principe de plaisir. Cette opposition que Freud réarticule tout au long de son œuvre : dans l’Entwurf (l’Esquisse-1895), dans le chap. 7 de la Traumdeutung (nouvelle articulation des processus primaires et secondaires en p. de plaisir et p. de réalité (1900) ainsi qu’avec le rêve du père mort, qui pourrait se traduire « De la Structure psychique »(1911), puis dans Malaise dans la Civilisation (1929).

Lacan peut maintenant revenir sur Aristote pour qui la fonction du plaisir est le rayonnement et le signe de l’épanouissement d’une action au sens de l’énergie, là où s’articule cette action qui comporte en elle-même sa propre fin. Puis il revient à Freud pour qui le plaisir est associé au principe de plaisir qui est un principe d’inertie et qui règle tout ce qui résulte d’un processus au sein d’un appareil neuronique. Il va donc régler les frayages (Bahnung) qui résultent d’un effet de décharges que l’appareil conserve après les avoir subis. Une quantité va pouvoir s’écouler, ce qui fait l’efficace du principe de plaisir. C’est la formulation de l’hypothèse de Freud, mise un peu de côté du fait qu’elle ne présentait pas, en apparence, de référence à l’effet clinique.

Il peut reprendre son hypothèse de travail grâce aux échanges avec Fliess bien que quelque chose soit masqué dans l’expérience pour tenter d’expliquer le fonctionnement de l’esprit. Il part de données de l’expérience qui contredisent un système où le développement irait vers l’équilibre et peut faire l’hypothèse d’un système qui irait vers le leurre, vers l’erreur : l’organisme serait fait non pas pour satisfaire le besoin mais pour halluciner le besoin. Freud pense qu’il doit y avoir une distinction entre les appareils même s’il n’est pas possible d’en trouver un support anatomique. Un troisième entre en jeu pour exercer un principe de réalité qui est essentiellement un principe correcteur. Ce principe de réalité, est ce qui donne son efficace à l’appareil neuronique : il corrige, compense et s’oppose à la pente naturelle de l’appareil psychique.

Ce système de reconstitution de l’action humaine a un caractère fondamentalement conflictuel. En effet, le dédoublement des systèmes a pour principe d’aller contre l’inadéquation foncière d’un des deux. C’est l’opposition du système Phi avec le système Psy. Pour la justifier Freud part des quantités immaîtrisables dans l’expérience de la névrose et cela correspond à l’expérience vécue la plus immédiate, celle du poids de l’inertie, auxquels s’opposent des choses dans les symptômes avec un caractère irréversible. Pour Lacan, il s’agit d’un texte où l’on ressent une expérience d’ordre moral.

Cette activité de retenue du principe de réalité, opère pour contourner les déchaînements de catastrophes du principe de plaisir. Il peut le lâcher trop tôt et provoquer une douleur, un déplaisir, ou trop tard, lorsque une décharge ne va pas dans le sens d’une solution avec l’action, provoquant l’hallucination, décharge régressive, également source de déplaisir. Lacan précise que ce raisonnement peut être proche de celui d’Aristote quand il se pose la question de savoir comment celui qui sait, peut être intempérant. Aristote donne une tentative de solution (Chap.V de l’Ethique à Nicomaque) à partir de cette proposition universelle « il faut goûter à tout ce qui est doux », l’accent serait porté sur « ce qui est doux », proposition mineure. Le jugement porté à cette mineure entrainerait une action erronée. C’est le désir sous-jacent de la proposition universelle qui ferait surgir ce jugement erroné concernant l’actualité du soit disant doux vers lequel l’activité se précipite.

Pour lacan, il n’y a rien de mieux que l’Entwurf pour penser le champ de l’action psychologique. Freud reprend les articulations logiques qui sont les mêmes que celles des éthiciens mais dont auxquelles il donne une toute autre portée.

L’interprétation de Lacan sur l’orthos Logos est la suivante : il ne s’agit pas d’une proposition universelle mais une façon d’articuler ce qui se passe dans l’Inconscient, c’est à dire du discours qui se tient au niveau du principe du plaisir. C’est par rapport à ce « droit » que le principe de réalité va guider le sujet pour qu’il aboutisse à une action possible.

Pour Freud, le principe de réalité s’exerce d’une façon précaire. C’est nous qui en donnons la mesure et il n’y a pas à chercher au-delà. La position n’est pas confortable et Freud va dire que c’est la raison pour laquelle les commandements qui en tracent la voie, sont tyranniques. Les sentiments en tant que guide pour appréhender la réalité, sont trompeurs. L’intuition de Freud concernant l’abord de l’homme vers le réel (la réalité) ne peut se faire que par la voie d’une défense primaire. Ce terme de défense existe avant même qu’il puisse formuler les conditions du refoulement.

TABLEAU.

Lacan nous propose un tableau pour mettre l’accent sur le paradoxe du rapport au réel (réalité) dans Freud. Il place d’un côté l’inconscient et de l’autre la conscience, avec les pôles sous lesquels se manifestent au niveau de la connaissance l’opposition de cet appareil (principe de plaisir et principe de réalité).

La perception s’articule à la réalité. Mais, selon l’hypothèse de Freud, le principe de plaisir s’exerce sur la perception.

Dans le chap. VII de la Traumdeutung, Freud nous dit que le processus primaire tend à s’exercer dans le sens d’une identité de perception (réelle ou hallucinatoire). Si elle ne se recouvre pas avec la réalité, elle sera hallucinée avec ce danger que le processus primaire ne prenne la main.

Vers quoi tend le processus secondaire, le principe de réalité ? Vers quelque chose qui est une identité de pensée. Il s’exerce par tâtonnements, par rectification. Le sujet est conduit par les décharges de déplaisir. Il va mettre en avant un système de plaisir attendu. La pensée devrait être mise dans la même colonne mais Freud insiste pour nous dire que ce processus est inconscient par lui-même et par nature. Rien de ces frayages n’est perceptible. Toute pensée s’exerce par des voies inconscientes. Ce n’est pas le principe de plaisir qui gouverne la pensée mais c’est dans le champ de l’inconscient que cela se passe. Dans sa conscience le sujet ne reçoit que des signes de plaisir ou de peine.

Comment appréhender les signes de la pensée ? Uniquement s’il y a des paroles, dont Freud précise qu’elles sont ce qui caractérise le passage dans le Préconscient qui est le lieu de passage des mouvements de l’Inconscient. Nous ne connaissons les processus de la pensée que par des paroles. Le connu de l’inconscient c’est quelque chose qui nous vient en fonction de paroles. C’est ce que Freud, articule dans l’esquisse précise que nous n’aurions de l’objet désagréable que la notions la plus confuse. Cet objet, jamais détaché du contexte, serait le point de « non dit » qui arracherait avec lui le contexte circonstanciel. (Y.B dans Raviver les mots : « je pense que le fait que le signe soit arbitraire, qu’il ne soit qu’une sorte d’objet sans rapport essentiel avec le monde naturel, c’est bien parce que cela fait de lui une chose et du moment où c’est une chose, cette chose a l’infinité intérieure, tel l’absolu d’une pierre sur un chemin, c’est l’unité du monde, qui peut revenir vers nous à l’intérieur de cette chose.)

L’objet ne se signale qu’au niveau de la conscience à la condition que la douleur fasse pousser un cri au sujet. L’existence du mauvais objet, c’est le cri du sujet. La fonction de ce cri est d’être un processus de décharge où quelque chose peut être attrapé dans la conscience. C’est au niveau de son cri que quelque chose peut être identifié comme ce vécu de mauvais objet qui resterait un objet obscur et inconscient s’il n’était pas là. Il est un signe dans la conscience qui lui donne son poids, sa présence, sa structure. Les objets qui comptent pour le sujet humain sont des objets parlants, des autres qui, sans le savoir, par leur discours, vont lui révéler les processus qui habitent son inconscient. L’inconscient n’est révélé que par ce qui est articulé en paroles. C’est ce qui permet à Lacan de dire que l’Inconscient n’a pas d’autre structure qu’une structure de langage. La valeur, pour Lacan, des théories atomistiques (précisant qu’elles ne recouvrent pas la théorie de l’appareil neuronique), c’est qu’elles nous permettent d’appréhender ce champ du langage, car elles mettent en jeu les rapports de contiguïté et de continuité et nous permettent d’illustrer la structure signifiante qui intéresse toute opération de langage. (Appui sur la linguistique pour ce qui concerne la langue et les domaines concernés par le langage)

Sur ce tableau, nous voyons un double entrecroisement du principe de plaisir et du principe de réalité. En effet, le principe de réalité, gouvernant ce qui se passe au niveau de la pensée, ne peut le faire que si la pensée revient s’articuler en paroles (traduction en mots), et ainsi venir à la connaissance du sujet dans le conscient. Inversement, l’inconscient constitué d’éléments logiques de l’ordre du logos, articulés sous formes d’ortho-logos, au cœur d’un lieu où s’exercent les frayages motivés par l’attraction et la nécessité, à savoir l’inertie du plaisir, feront valoir tel signe plutôt qu’un autre à la condition qu’il puisse se substituer (fonction métaphorique) à un premier signe ou, au contraire, qu’il endosse la charge affective liée à la première expérience.

Nous voyons trois ordres qui s’ordonnent :

- une substance de l’expérience ou sujet d’une expérience, qui correspond à l’opposition principe de réalité / principe de plaisir.

- un processus de l’expérience qui correspond à l’opposition de la pensée à la perception. Ce processus se divise :

1) selon qu’il s’agit de la perception liée à l’activité hallucinatoire, au principe de plaisir, et que Freud appelle réalité psychique. Procès de fiction.
2) Processus de pensée par quoi se réalise l’activité, qui est un processus de recherche, de reconnaissance que Freud qualifiera plus tard de retrouvaille de l’objet. C’est l’autre face de la réalité psychique, procès inconscient et de désir.

Au niveau de l’objet : il y a le connu et l’inconnu. Ce qui est connu ne peut l’être qu’en paroles et ce qui est inconnu se présente comme ayant une structure de langage.

Qu’en est-il au niveau du sujet ? En quoi consiste l’appréhension de la réalité entre l’un et l’autre des deux principes ?

Voici la proposition de Lacan : ce qui se présente comme substance, au niveau du sujet, au niveau du principe de plaisir, c’est le Bien du sujet, pour autant que le plaisir gouverne l’activité subjective.

C’est la raison pour laquelle les éthiciens ont essayé d’identifier ces deux termes : le plaisir et le Bien. Quant à nous, nous ne pouvons mettre au niveau du substrat de la réalité de l’opération subjective qu’un point d’interrogation.

Quelle est la figure nouvelle apportée par Freud dans cette opposition principe de plaisir/principe de réalité ? Il ne songe pas à identifier l’adéquation à la réalité à un Bien quelconque. Dans Malaise dans la Civilisation, Freud dit : « assurément la civilisation, la culture en demandent trop au sujet ».

S’il y a quelque chose qui s’appelle son bien et son bonheur, il n’y a rien à attendre de lui-même, ni du macrocosme. Lacan termine sur ce point d’interrogation.

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MC : Hypothèse du Bien-dire à la place du point d’interrogation.

Cathelineau : l’objet pathologique c’est l’affection sensible, le pathos. C’est l’inclination corporelle et celle des objets empiriques qui peuvent le satisfaire. Le Bien : un seul mot en français, deux mots en allemand : wohl : ce qui fait plaisir (le bien du bien-être), gut : le bien moral (celui de la loi morale) Pour une action morale (une éthique), nous ne devons pas nous référer à un objet pathologique, nous ne pouvons la déterminer que dans la forme de la loi universelle. Avec la découverte de la Chose, la loi s’articule à la visée du R qui est la garantie de la Chose. Le bien suprême n’est pas dans l’objet mais dans la volonté du sujet.



Michel Robin se propose pour étudier les leçons 3 et 4

Commentaires et résumé Ali Paris de la leçon 4 M.C Laznik


Leçon III - Michel Robin -

Lacan revient sur le recours à l’Entwurf ou esquisse pour une psychologie, sorte de base de la réflexion de Freud qui pour Lacan s’insère dans son propos de l’année. Ainsi s’intéresser à l’opposition principe de plaisir et principe de réalité ou à l’opposition processus primaire- processus secondaire, c’est de l’ordre de l’éthique, c’est de l’ordre de la dimension où se déploie l’action humaine, avec la question d’un conflit d’ordre moral. La succession des éthiques dans l’histoire traduit les réflexions théoriques sur l’expérience morale avec un retour sur le même thème du plaisir apparaissant comme opposé à l’effort moral sans oublier le souverain bien comme dernier terme. C’est dire que la question du conflit se pose avec constance.
Freud articule la question profondément à la suite de nombreux auteurs : Aristote dans l’Ethique à Nicomaque met au premier plan le problème du plaisir – Lacan nous parlera de la théorie utilitariste qui est significative du virage qui aboutit à Freud. Il importe de montrer quelque chose de proche du procès du langage et qui est au premier plan du fonctionnement du processus primaire et suppose le terme de Bahnung c’est-à-dire de frayage. Freud nous précise l’essentiel du problème moral et le vrai sens du mot réalité d’où la puissance et le côté durable de ses conceptions, d’où l’intérêt de l’Entwurf surtout dans la forme que lui donne la langue allemande. Lacan montre qu’ avec l’Entwurf, en passant aussi par le chapitre VII de la Traumdeutung on peut ainsi préciser la démarche de Freud qui va du processus primaire au processus secondaire avec les rapports du conscient, du pré-conscient et de l’inconscient avec les fonctions réciproques du moi, du surmoi et du monde extérieur et tout cela autour du thème : comment se constitue pour l’Homme la réalité. Il s’agit d’y retrouver la trace d’une pensée éthique : l’intuition éthique qu’il y a chez Freud. Lacan propose alors à Lefèvre-Pontalis de prendre la parole. Lefèvre-Pontalis :
L’Entwurf relevait pour certains de l’illusion de chercher à imposer un ordre et des lois scientifiques par le recours aux notions et à la terminologie de la physique donnant ainsi un sentiment de rigueur : l’appareil psychique montré comme un système de neurones animé de modifications quantitatives. Il partage avec Lacan l’idée qu’on peut ne voir là que le contenu manifeste du texte ce qui conduit à en réduire la portée en voulant n’y voir que les premiers intérêts de Freud pour l’étude microscopique du système nerveux.
L’Entwurt a été conçu à la même époque (1895) que la publication des Etudes sur l’hystérie, époque où Freud avait déjà découvert : règle d’association, transfert, résistance, remémoration, abréaction, pouvoir du silence, interprétation. Il ne s’agit donc pas de la préhistoire de la doctrine freudienne. Freud s’y engage avec une certaine exaltation, souvent sans référence à l’expérience ; texte écrit en deux semaines et envoyé à Fliess.
A cette époque, Freud réfléchit sur 3 mécanismes de formation des névroses : la conversion des affects pour l’hystérie, leur déplacement pour la névrose obsessionnelle et leur transformation dans la névrose d’angoisse avec pour celle-ci cette question : comment une tension sexuelle peut -elle se transformer en angoisse ?
Freud précise qu’à une excitation donnée il faut une réponse donnée, et pas n’importe quelle décharge sinon pas de liaisons avec des groupes de représentations, c’est-à-dire pas de médiation d’où l’angoisse telle qu’elle se manifeste dans la névrose actuelle
Comment s’effectuent ces médiations, c’est la question de Freud à cette période. On peut se demander, devant cette première construction de Freud, quel rôle joue la réalité. L’organisme, nous dit Freud, se trouve dépassé par les stimulations internes, conséquences de la vie et il ne trouve, dans son équipement, dans ses montages, aucun moyen de réponse, ni une quelconque marche à suivre. Pourtant il va édifier sa fonction secondaire avec un appareil psychique qui dès lors se trouve confronté à la dimension éthique.
La fonction primaire reste toujours prévalente mais se complexifie et c’est là que se situe ce que Freud appelle l’épreuve de satisfaction. C’est une expérience tout à fait originelle vécue par l’enfant
: tension créée par le besoin intérieur quand l’enfant est totalement dépendant de l’extérieur ; par exemple, l’enfant alerte une personne extérieure par ses cris ; l’image de l’objet est investie de même que le mouvement réflexe et c’est réactivé lors d’une nouvelle tension ; il en résulte quelque chose d’analogue à une perception, c’est-à-dire une hallucination qui vient reproduire
le phénomène ( processus primaire ) et le désir trouve là son principe par la pensée ( processus secondaire ) .Ceci conduit au fait qu’on ne se livre à l’épreuve de la réalité que parce que les objets autrefois cause de satisfaction réelle ont été perdus, ( fonction de mythe dans le développement ultérieur).
Un seul principe intervient, c’est le principe de plaisir et les systèmes secondaires servent à la fonction primaire et favorisent même le leurre hallucinatoire.
On peut même dire que le désir ignore le principe même de sa satisfaction effective et ne fait aucune différence entre la satisfaction hallucinatoire et la satisfaction réelle. Le processus primaire reste prévalent et l’indice de réalité très limité. Le désir est ainsi très dépendant du principe de plaisir. L’indice de réalité n’opère qu’avec le système φ qui opère une sorte de filtrage pour maintenir une homéostase.
Freud envisage un 3ème système, le système de la perception, ω, qui tend à échapper aux considérations énergétiques et reste relativement indépendant. C’est alors que la conscience peut refléter le monde extérieur qui jusque-là a été mis entre parenthèses concernant sa structure objective.
Pour que l’indice de réalité fonctionne ; pour qu’il y ait distinction effective entre perception et représentation il faut que l’indice de réalité soit retenu comme critère ; il faut la régulation du système Ψ. Freud dit : « Cette inhibition, due au moi, rend possible la formation d’un critère permettant d’établie une distinction entre la perception et le souvenir. » Sans ce système, il n’est pas possible d’échapper au leurre hallucinatoire, c’est-à-dire de ne pas aller trop fort du côté de l’investissement des souvenirs de satisfaction.
Lefèvre-Pontalis fait alors une remarque qui semble aller à l’encontre de Lacan quand il parle de l’inconscient comme n’ayant d’autre structure que celle du langage. Il ressort du texte de Freud que la médiation des mots serait secondaire à celle du corps propre ; et plus loin que ce que le refoulement refuse à la représentation c’est la traduction en mots destinés à rester liés à l’objet. Il y a là quelque chose à remarquer et qui n’est pas sans rapport avec la question même de l’éthique, c’est l’opposition souvent faite entre ce qu’il en serait du corps et de la biologie et la question du langage qui ne serait pas aussi rigoureuse et « scientifique ». Cette différence est encore soulignée par le fait que, avoir entendu ou vécu quelque chose sont de 2 choses de nature psychologique tout à fait différente ; idée reprise à propos de la question du trauma comme échappant au départ à toute espèce de symbolisation. Il y a là des questions qui restent ouvertes et Lefèvre-Pontalis nous dit qu’on pourrait, contrairement à ce qu’il nous expose concernant Freud, envisager le sujet « moins comme porteur de signifiant que comme porté par lui et exposé à ses lois ».
J. Lacan : Lacan le remercie d’avoir présenté les arêtes vives d’une question et lui fait remarquer qu’il aurait fallu détailler la position de la Bahnung ( cheminement ) et de l’expérience de satisfaction ; et aussi fournir un rappel de ce que suppose, comme topologie, le système φ, Ψ, ω. Bahnung pourrait même être rapproché de la chaîne signifiante.
Il importe de mettre l’accent sur le rapport du principe de réalité et du principe de plaisir. Ce dernier ne semble pas se concevoir dans des termes de nature biologique. L’expérience de satisfaction est suspendue à l’autre, le Nebenmensch, c’est-à-dire littéralement : l’être humain qui est à côté et bien sûr en tant que sujet parlant. Ce qui semble conduire du fait qu’il n’y a aucune raison que la réalité se fasse entendre et vienne à prévaloir (aperception de la réalité). Freud précise que dans le système Ψ est retenu quelque chose qui jouera un rôle essentiel même après décharge complète, sans repos dernier, mais persistance du fonctionnement du principe de plaisir. Ce qui est exogène et vient du système φ en complications. D’un système à l’autre la structure est transformée : d’un côté « Anfbau » (construction) et d’autre par « Abfuhr » ( rejet) dans l’appareil nerveux dont nous parle Freud. Freud montre qu’il faut, quand on fait des hypothèses, souligner l’arbitraire des constructions. Lacan parle plutôt d’une topologie de la subjectivité avec dans le système Ψ une partie ouverte aux excitations exogènes et une partie ouverte aux excitations endogènes là où il n’y a pas d’appareil transformant les quantités. Par rapport à la partie du Ψ tournée vers l’endogène il y a une partie, les « Schüsselneuromen » (les neurones clés !) ; partie qui va provoquer des mouvements qui augmentent la tension avec un rôle dans les névroses actuelles. Là règne le principe de l’articulation par la Bahnung et là se produit le phénomène hallucinatoire de la perception et de la fausse réalité qui est le fait de l’être humain. C’est là que se forment, de façon inconsciente, les processus orientés par la réalité et là que le sujet retrouve le chemin de la satisfaction ; laquelle ne doit pas être confondue avec le principe de plaisir. Parlant du fonctionnement normal de l’appareil psychique, Freud parle de spezifische Action correspondant à la satisfaction qui correspond à l’objet retrouvé et au fondement du principe de répétition. A cette spezifische Action il manquera toujours quelque chose, dit Lacan, c’est ce qui se passe au moment où se produit la réaction motrice, l’acte pur, la décharge d’une action. Lacan avec Freud nous fait remarquer une chose inhérente à l’expérience humaine : la distance de l’articulation du souhait chez l’homme à ce qui se passe quand son désir prend le chemin de se réaliser ; ce qui mène à la question : pourquoi il y a t -il toujours là quelque chose qui sera très loin de la satisfaction et qui ne comportera pas les caractères recherchés dans l’action spécifique ? Il note le terme de « qualité monotone » par rapport à la recherche du sujet. Il y a là à réfléchir sur la question de l’expérience morale dans cette recherche d’une qualité archaïque, presque régressive qui vient animer toute la tendance inconsciente. Un rapprochement doit être fait entre le fait qu’il ne peut y avoir de réalisé, de satisfaisant et le sens moral.

Leçon IV

Lacan aborde la question de la Chose , das Ding. Il rapproche à la fois les ambiguïtés concernant l’opposition principe de plaisir – principe de réalité, la question de l’éthique et des questions linguistiques. Il y a en allemand une distinction à faire entre das Ding et die Sache . (Il semble bien que les études et distinctions faites sur les signifiants nous rapprochent de la question de l’éthique.) La chose, dans la langue allemande, das Ding, rassemble les résultats une opération juridique avec la réunion complète des éléments (Vollversammlung) (réunion complète). L’approfondissement linguistique avec les traces de la tradition et des générations n’est pas ce qui doit nous guider. Il s’agit surtout de repérer l’usage du signifiant dans sa synchronie et la façon dont das Ding et Sache sont utilisés couramment. Ainsi dans un dictionnaire étymologique, la connotation juridique de Sache se retrouve aussi. Et pourtant les deux termes ne sont pas équivalents. Cette distinction est reprise un peu plus loin à propos de ce qui chez Freud concerne Sachvorstellung comme appartenant à l’inconscient et Wortvorstellung comme appartenant au préconscient ; ce qui semble aller contre ce que Lacan affirme sous la forme : l’articulation signifiante donne la véritable structure de l’inconscient. Reprenant l’article die verdrängung, le refoulement, Lacan montre qu’il opère sur les signifiants et que là va s’opérer une relation du sujet au signifiant. Freud montrait aussi dans cet article la prévalence des affinités de mots dans ce qu’il appelle le monde du schizophrène. C’est à partir des signifiants et du refoulement que Freud souligne qu’il est possible de parler d’inconscient et de conscient.
Lacan reprend ce que Freud montre comme opposition entre Wortvorstellung et Sachvorstellung et en souligne la difficulté voire l’impasse. Il est important de distinguer l’opération du langage comme fonction avec un rôle dans le préconscient et la fonction du langage comme structure ; c’est selon cette structure que s’ordonnent les éléments mis en jeu dans l’inconscient. Lacan fait remarquer que Freud parle de Sachvorstellung et non de Ding vorstellung : la faille des mots ( Sache) en a porté le grain ( Wort) . Les choses du monde humain sont des choses d’un univers structuré en paroles. Les processus symboliques gouvernent tout. Le processus symbolique est inopérant dans le monde animal et il ne s’agit pas d’une différence d’intelligence. Importance d’une connaissance du processus symbolique !! (une remarque sur les rapprochements un peu rapides du monde humain et du monde animal et la confusion entre langage et code). Die Sache est donc la chose au sens de la chose concrète, chose que notre intérêt peut faire venir à la conscience, là où viendra s’articuler le mot. Sache et Wort situés là comme un couple. Il y a , nous dit Lacan, autre chose dans das Ding. Ce qu’il y a dans das Ding, c’est le secret véritable, car le principe de réalité est en quelque sorte toujours tenu en échec et n’aboutissant à se faire valoir que par une sorte de pression qui nous est montrée par l’expression du texte allemand « die Not des Lebens » ? Expression qui traduite, montre la quantité d’énergie nécessaire à la conservation de la vie. Cela au niveau du processus secondaire.
Le principe de réalité dépend du monde physique extérieur mais agit lui-même comme isolant le sujet de la réalité. L’appareil appelé par Freud système φ, est dirigé vers l’extérieur et les perceptions corporelles et tout cela vient s’inscrire d’une façon discontinue selon une échelle, en somme, coupée aux deux extrémités, raccourcie selon les différents champs de la sensorialité qui sont intéressés ; cela agit comme un tamis selon la valeur que l’on peut donner à ces perceptions. Quelque chose trie, tamise et fait que la réalité n’est aperçue que sous une forme profondément choisie. Freud nous montre que c’est la fonction de signe qui intervient. Ces signes nous avertissent de la présence de quelque chose qui se rapporte au monde extérieur ; quelque chose avec quoi la conscience humaine doit se débrouiller. Mais s’agit-il bien là du principe de réalité dont nous parle Freud ? Le monde, lui, se présente comme un monde de hasard, un monde chaotique . C’est ce que Lacan va nous proposer avec la notion de das Ding. Reprenant le tableau de la leçon II qui oppose Lustprinzip et Realitätsprinzip, Lacan montre que « c’est du côté du principe de plaisir que ce qui est inconscient fonctionne » et de l’autre côté les processus de pensée dominés par le principe de réalité sont eux-mêmes inaccessibles et ne parviennent à la conscience que pour autant qu’on peut les verbaliser comme autant de ruses de la pensée. « Il y a surabondance de raisons pour nous faire croire à je ne sais quelle rationalité de la succession de nos formes endopsychiques ». La véritable liaison est ailleur . Le processus de pensées inconscientes qui implique l’accès à la réalité ne nous est accessible que pour autant que les rapports sont parlés, qu’il y a mouvement de la parole ( Bewegung) avec quelque chose qui s’intercale dans le circuit et tend, au niveau de l’appareil φ, à maintenir un niveau bas de tension avec un mouvement de rejet ( Abfufr). Quelque chose peut ainsi être amené à la conscience, sous le signe du principe de plaisir, dans la mesure où il y a sentiment de mouvement, sentiment d’effort. Le monde humain s’organise dans un cheminement de représentation en représentation. Au niveau du système Ψ, quelque chose est ainsi rétroactivement perçu sous la forme Wortvorstellung. Le système ω peut enregistrer quelque chose et Freud fait prudemment allusion à une perception endopsychique. Dans le système Ψ Freud isole le système de l’Ich, situé plus tard comme en grande part inconscient et à propos duquel on peut parler d’un investissement égal ou uniforme et pour lequel on peut parler de fonction régulatrice. Le système qui perçoit, qui enregistre, la conscience est un appareil qu’il faut que Freud invente, qui serait intermédiaire entre le système ω et le système φ sans être pour autant à la limite des deux. Le système φ pénètre et se ramifie dans le système Ψ dans lequel il n’abandonne qu’une partie de ce qu’il lui apporte. Le système ω, lui, ne recueille pas son énergie de la quantité extérieure mais il en enregistre la période et permet de situer l’attention sur tel ou tel point du circuit en lien, là encore, avec le principe de plaisir. Lorsque avec Freud nous essayons de nous représenter le fonctionnement du système perception- conscience, nous voyons que c’est autour de la succession des inscriptions ( Niederschriften) qu’il fait tourner sa théorie, de la mémoire avec l’exigence d’ordonner les traces mnésiques et ce vers une conception cohérente de l’appareil psychique. L’impression du monde extérieur est marqué selon Freud comme une inscription ( Niederschrift) et même comme quelque chose qui fait signe et qui est de l’ordre d’une écriture.
Première inscription avant 4 ans puis après jusqu’à l’âge de 8 ans une inscription plus organisée pouvant mener à la constitution d’un inconscient. . Ainsi toute la chaine qui va de l’inconscient le plus archaïque jusqu’à la forme articulée de la parole chez le sujet, se passe entre perception et conscience et ce n’est pas tellement à identifier au point de vue de la topologie subjective avec un appareil neuronique. C’est pour autant que la structure signifiante s’interpose entre perception et conscience n que l’inconscient intervient et que le principe de plaisir intervient selon la structure de l’expérience accumulée. L’économie totale de l’appareil suppose un entrecroisement. C’est la structure qui règle la décharge. C’est la fonction qui la retient et en soutient les réserves. C’est sur cette base qu’entre en jeu la première appréhension de la réalité comme telle par le sujet. Réalité qui intervient sous la forme de ce qui a rapport, de la façon la plus intime, du sujet avec le Nebenmensch. En fait, das Ding, la Chose, l’objet de l’inceste est l’élément qui, par le sujet, est à l’origine isolé, dans les deux termes de l’expérience de Nebenmensch, comme ce qui est de sa nature étrange. Lacan reprend plus loin ce que dit Freud : « le but premier et le plus proche de l’épreuve de réalité n’est pas de trouver un objet dans la perception réelle qui corresponde à ce que le sujet se représente sur le moment, mais de le retrouver , de se témoigner qu’il est encore présent dans la réalité. » C’est là que das Ding comme étranger et comme premier extérieur joue un rôle de référence par rapport au monde des désirs. Ce qu’il s’agit de trouver ne peut en fait être retrouvé puisque c’est de sa nature que l’objet est perdu comme tel, que quelque chose est là en attendant mieux, ou en attendant pire, mais en attendant.
( Das Ding devient donc l’Autre absolu du sujet .) « Ce qui est cherché, c’est cet objet par rapport auquel fonctionne le principe de plaisir. Ce fonctionnement est dans l’étoffe, dans la trame, le support sur lequel toute l’expérience pratique se réfère. Eh bien, cette expérience, cette action spécifique, comment Freud la conçoit-il ?
Reprenant la lettre 52 à Fliess, Lacan précise d’abord ce qui se produit dans l’accès hystérique qui n’est pas une décharge mais une action qui concerne le caractère inhérent à toute action : être le moyen de se procurer du plaisir. Dans l’Hystérie, il s’agit de la crise de pleurs. Tout est réglé sur l’autre, cet autre préhistorique que personne n’atteindra jamais plus ; avec une action dont la fin est de retrouver das Ding et de recréer un état centré par cet objet qui lui-même est le support d’une aversion. C’est en tant que l’objet premier est objet d’insatisfaction que s’organise l’expérience spécifique de l’hystérique. Freud a fait remarquer aussi que c’est par rapport à das Ding que s’organise l’expérience de fond de la névrose obsessionnelle par rapport à un objet qui risque d’apporter trop de plaisir. L’obsessionnel se règle pour éviter ce qu’il voit souvent assez clairement comme le but de son désir. Et de fait, le principe de plaisir suppose un mode de fonctionnement qui est justement d’éviter l’excès, le trop de plaisir. (et ceci n’est pas sans rapport avec la réalité éthique). Concernant un 3ème terme, la paranoïa, Freud s’exprime avec le terme : « Versagen des Glaubens » ( « échec des croyances ») pour nous dire qu’à ce premier étranger par rapport à quoi le sujet a à se référer d’abord, le paranoïaque n’y croit pas. (attitude radicale du paranoïaque qui se situe dans le rejet d’un certain appui dans l’ordre symbolique ). C’est pourtant autour de cet appui que va se faire la division de deux versants du rapport à das Ding. C’est par rapport à das Ding que Lacan désigne comme le « hors-signifié » antérieur à tout refoulement, que se fait le premier choix, la première assise de l’orientation subjective que l’on peut appeler le choix de la névrose ; lequel vient régler toute l’orientation par rapport au principe de plaisir. Plus loin, Lacan fait remarquer que la fonction de das Ding a été abordée indirectement dans les essais de la philosophie de la science par Emmanuel Kant. Nous devons avec Kant voir le point de visée selon lequel se présentera une action que nous qualifierons de morale ; action qui suppose un certain courage ( gut). La Chose ne se présente à nous que pour autant qu’elle fait mot. L’étranger et l hostile comme première réalité pour le sujet humain se manifeste pour Freud par le cri. Pourtant paradoxalement le mot, comme dit quelque part La Fontaine, c’est ce qui se tait. Les choses muettes ont pourtant un rapport à la parole. Pour terminer cette leçon IV, Lacan nous propose 2 situations extrêmes où das Ding intervient comme l’Autre absolu du sujet.
-Des situations de désarroi, de détresse où surgit un « toi » ou un prénom d’appel : toi de dévotion ou d’apprivoisement de cet autre préhistorique.
-Des situations où quelque chose nous est imputé de façon extrême suscitant l’idée de dasDing et qui provoque un « moi » de protestation qui expulse quelque chose et qui dénonce


Jean-Jacques Lepitre pour les leçons 5 et 6

Leçon 5
Lacan commence en rappelant que la psychanalyse a pu paraître à certains promouvoir le règne des instincts, elle n'en a pas moins souligné l'importance de l'instance morale, et du sentiment de culpabilité inconscient qui en émane, c'est ce qu'il entend serrer dans son séminaire afin de mettre en évidence la révolution de pensée incluse dans l'approche freudienne dans le domaine de l'éthique "Das Ding", il l'a extrait d'un petit passage de "L'esquisse", où Freud décrit le mécanisme en jeu du jugement de reconnaissance perceptive où est nommée "neurone a" la chose et "neurone b" son attribut, sa propriété, dans le système Psy, dans la mémoire. Il en retrouve la trace dans l'article "La dénégation". Freud à propos du jugement d'existence y distingue la chose et ses attributs, dans la mesure où la perception, mesure de la réalité, n'est pas celle d'un objet correspondant au représenté mais la retrouvaille, c'est à dire la mesure nécessaire de la plus ou moins grande coïncidence de leurs attributs. C'est cette nécessité de mesure qui serait l'indice de réalit. Et c'est cette nécessité d'une retrouvaille , et donc que l'objet soit déjà perdu, qui met en place l'examen de la réalité.
Cet objet, Das Ding, poursuit Lacan n'a jamais été à proprement parler perdu puisque n'a jamais été là, mais il s'agit néamoins de le retrouver, et c'est cette tentative qui organise les frayages neutronique en quoi consiste les représentations et leurs groupements, en vertu du principe de plaisir, c'est à dire le maintien de la quantité d'énergie au plus bas dans le sytème. Ce qui peut conduire à la production de dérivations afin de diviser cette quantité, si elle est trop forte, en plusieurs représentations, frayages de voies nerveuses diversifiées. Il rappelle le détail de "L'esquisse" quant au diamètre maximum des tuyaux, conducteurs neuronaux, susceptibles de transmettre une énergie donné... Mais semble t-il, et est-ce un apport de Lacan (?), ce principe de plaisir maintriendrait la représentation , son frayage, à une certaine distance de l'objet, (apport de Lacan, car c'est l'atteinte de l'objet qui permet la décharge, conformément au principe de plaisir). Mais objet, ici, comme Das Ding. Mais qui portant vise bien la satisfaction des besoins vitaux, mais qui trouverait sa limite en un certain seuil supérieur de quantité, qui serait différent de la polarité plaisir, déplaisir. N'y a t-il pas là de sa part une étrangeté de faire sortir cette limit, la douleur donc, de la construction freudienne. Puisque, pour autant, il le précise c'est l'impossibilité de la décharge motrice, hypothèse freudienne, amenant la baisse de quantité par satisfaction du besoin ou fuite de l'agression qui provoque la douleur. par exemple pour les douleurs d'origine interne. Et il note la proximité des neurones moteurs et de la douleur au niveau de la moelle épinière. Il en digrese à propos de l'architecture où la pierre immobilisée, figée dans la construction, le bâti présentifie quelque chose de la douleur, évocation des formes "torturées" du baroque. Quant aux représentations, éléments imaginaires de l'objet, leurre vital ouvert à la déception, en quoi l'apparence se soutient, ce qui est mis en avant, ce qui se produit à partir de la chose. C'est autour de ces représentations que tourné depuis toujours la philosophie, au moins occidentale Mais Freud en fait un corps vide, (? ne dit-il pas le contraire après?) de ces représentations. Il les situe entre perception et conscience, (soit au niveau du systme Psy) où les processus de pensée règlent, par le principe de plaisir, leurs investissements et la structure de l'inconscient dans laquelle ils se floculent, s'agrègent, etc. En représentants de représentations. Et ces processus de pensée ne sont-ils pas justement ces constructions d'agrégats, ces représentants de représentations. Qui obéissent déjà aux lois de déplacement et de condensation: métaphore et métonymie. Mais, d'autre part, nous ne savons quelque chose que par les représentations de mots qui instaurent un discours, dans le préconscient, qui s'articule, le discours, sur les processus de pensée. Ce qui vient à la conqcience, c'est laa perception de ce discours. Il n'empêche que ces représentations fonctionnent comme déjà dit selon les lois de la chaîne signifante, métonymie et métaphore. Ces représentations qui peuvent apparaître comme représentations de choses, (? mais ne le sont-elles pas toujours?) s'opposent aux représentations de mots, mais ne sont pas, ne se conçoivent pas comme étant de l'ordre de Das Ding, qui est au niveau initial de la génération des représentations. Entre Ding et Sach à différence entre objet, au sens trivial, affaire, truc,bidule, chose... donc Sach et Chose en soi, inconnaissable impensable, Être en soi... Das Ding. Il s'amuse en allemand: l'affaire est le mot de la chose.. La chose au iveua des représentations est l'absente, l'irreprésentée. Le bon et le mauvais ne sont pas de son registre, mais de celui des représentations. Lesquelles seraient indices d'un état, hors la chose, mais réglé, dirigé par la chose qui est au delà. Il tente une description: à l'entrée du système psy: les signes de perception, à la sortie: le préconscient. Dans celui-ci, les représentations de mots reflètent en un discours les processus de pensée, qui sont sans paroles, réglés par les lois de l'inconscient, c'est à dire le principe de plaisir, de moindre tension. Ces processus de pensée sont les représentants de représentations. Au niveau de Phi, le système de perception, il y a aussi un effet de seuil, certaines, choses, quantités, sont amoindris ou éliminées. Le refoulement se situe au iveau des représentants de représentations. La dénégation au niveau des représentations de mots. Celles-ci sont au niveau du discours, du préconscient donc, et la dénégation alors correspond à l'apparition à ce niveau de c qui est refoulé dans l'inconscient. Il fait une digression sur le "ne" discordantiel pour dire que lorsque Freud énonce qu'il n'y a pas de négation dans l'inconscient, ce n'est pas que l'inconscient ne connaît pas la négativité, la construction oppositionnelle, mais qu'il ne comporte pas d'équivalent à une particule négative. Il glisse à la forclusion, non du "Nom de père" mais "Nom du père". Ce n'est pas qu'un signifiant manque dans ce qui serait la batterie signifiante minimum correspondante à l'entrée dans le langage, 3 ou 4 signifiants selon lui, dans l'apport perceptif, ce serait là le "Nom de père". Il évoque quant à cette batterie minimum le fort da. Mais ce qu'il manque, c'est la place où quelque chose contient les mots, la batterie signifiante, place permettant à la fois la distance et la synchronise par où est possible la dialectique différentielle du signifian. Cette place est celle de l'Autre, celui qui est l'Autre de l'Autre. La note ici s'embrouille un peu. Cet Autre de l'Autre, on y entend le père pour la mère, le "Nom du père". Il ne vaut que par sa place, et ce qu'on trouve dans le réel pour occuper cette place n'est, au sens n'a existence, que d'être cette place même. Introduisant ansi la question du réel et indiquant qu'elle précise ce qu'il en est du principe de réalité et comment s'y rattache le sur-moi. Il n'endit pas plus pour l'instant. Il réévoque la morale. Son abord le plus général, le plus commun, dans nos sociétés, est telle qu'elle se présente dans les dix commandements. Mais avant, il rappelle que Freud apporte comme fondement de la morale, comme loi fondamentale qui l'institue, la loi de l'interdit de l'inceste.Qui est aussi le désir essentiel. Car la mère est Das Ding. Das Ding est la mère, la Chose maternelle. C'est à partir de là que se développent toutes les ramifications morales et culturelles. Ceci est toujours au moins un peu éludé, même chez Levi-Strauss où si on comprend pourquoi les pères ne peuvent pas coucher avec leurs filles de ce qu'elles soient objets d'échange rien n'est dit des mèresconcernat les mères et les fils. Ce ne sont des raisons biologiques qui pourraient venir justifier pareil interdit. Les croisements andogames sont fréquents dans les recherches d'amélioration desespèces tant animales que végétales. Non, ce que règle le rapport inconscient avc Das Ding, c'est qu'il faut que le désir pour la mère reste insatisfait pour que ne s'abolisse pas le monde de la demande qui structure l'inconscient humain, et qu'aussi ne s'abolisse pas le principe de plaisir qui fait que l'homme toujours recherche ce qu'il doit retrouver mais ne saurait atteindre. ( nb: c'est dit de façon un peu confuse: s'agissant de la Chose en soi, que signifierait son atteinte?). C'est cela qui se traduirait dans la loi effective, par exemple les dix commandements. Dans ceux-ci, il n'est pas dit qu'il ne faut pas coucher avec sa mère, mais pour autant, peut-être bien bien, ils énoncentce qui règle la distance à Das Ding, à la possibilité de l'inceste, à ce qui permet qu'il y ait parole, qu'il distingue ici du discours. N'est-ce pas plutôt cela, plutôt qu'un ensemble de règles sociales, puisque dans la vie sociale, on n'arrête pas de les transgresser.
En conclusion, avec Freud, le Souverain Bien, c'est Das Ding, la mère, objet de l'inceste, qui est donc un Bien interdit. C'est le fondement renversé, par Freud, de la loi morale. Or la loi morale, effective, est restée intacte, tout à fait positive, plutôt que renversée. On a cherché à la place de de cet objet irretrouvable l'objet qu'on retrouve toujours dans la réalité, même si c'est sous une forme fermée, énigmatique, celui de la physique moderne. C'est autour de cela, à la fin du 18ème siècle, autour de la révolution française que s'est jouée la crise de la morale, ( Kant et Sade ).
Résumé du résumé.
C'est une leçon compliquée de ce qu'il tente de faire une relecture de "L'esquisse" à la fois à partir de "Das Ding" et de certains de ses concepts précédemment élaborés.
Si on part de la définition kantienne de la Chose en soi qui est la part opaque, absolument inconnaissable de tout objet, de toute chose perçue, par opposition à la part intelligible, c'est à dire donnant lieu à des représentations à partir des perceptions diverses qui en émanent. Représentations sur les quelles l'intelligence va exercer ses capacités de combinaison, d'association, de reconnaissanc. On entend là ce que Lacan à la suite de Freud nomme les processus de pensée, dans l'Esquisse..
Lacan, à partir de deux lignes de l'Esquisse, où Freud semble faire cette distinction même qu'indique Kant, entreprend une relecture du mouvement même de l'énergie, décrit dans l'Esquisse, régulée par le principe de moindre tension du principe de plaisir, mouvement qui est celui du désir de retrouvaille de l'objet, Das Ding, qui comme tel n'a jamais été là, mais qui est toujours à retrouver, mais donc jamais atteignable, puisqu'il n'est pas.
Cette Chose originelle, inconnaissable en tant que telle, c'est la mère. C'est sur elle que porte l'interdiction de l'inceste. Loi unique et fondamentale, et désir premier, selon Freud. Car à atteindre l'inatteignable, ce seraient les lois de la parole et la structuration de l'inconscient qui seraient remises en cause, englouties peut-être par l'opacité de Das Ding, ou plutôt de parvenir à son inexistence même. L'interdit vient circonscrire, recouvrir ce qui n'est pas.

Leçon 6

Das Ding est au coeur du monde subjectif où le signifiant est dans l'inconscient mêlant ses repères à ceux que le sujet a de son fonctionnement d'organisme naturel, d’être vivant.
Das Ding est là au centre, mais en tant qu'elle n'est pas, qu'elle est exclue, cf l'objet a dans le noeud. Il n'y a que la représentation. Et le bien attaché à Das DIng. Mais ce bien est un attribut, une représentation donc, telle que résultant des frayages. Ce bien, il l'entend au sens où Kant entend le bien-être, le bonheur, le confort du sujet, se référant donc à Das Ding, mais dont la loi est le principe de plaisir, où se résout une tension liée à des leurres, à des signes, les représentations, que la réalité honore ou pas. Ces signes, qu'il rapproche des signes du changeur qu'il a évoqué dans "la causalité psychique", au travers de leur répétition comme signes du désir indestructible, filtrés dans la dichotomie plaisir/déplaisir, et où se règle la distance à Das Ding, source de tout bien-être, et qui serait ce que certains ont nommé "le bon objet".(nb: attention pour Kant justement il y a différence radicale entre bien-être et Bien, ou Bon). Différence que Lacan reprend, au delà du bien-être du principe de plaisir, se dessine le Bien, le Bon de Das Ding, se pose la question kantienne non du sujet intelligible comme la note l'indique, mais de l'être qui a une volonté libre comme cause. Das Ding est ce qui déjà fait loi au niveau de l'inconscient et dont le sujet n'a aucune protection. Et ce Bon du coup est aussi bien le mauvais, mauvais objet comme le théorise Mélanie Klein. Mais Das Ding comme telle n'est jamais ni bonne, ni mauvaise. Et le sujet s'en tient à distance, il ne saurait supporter l'extrême du bien que peut lui apporter Das Ding. ( nb: Là, il y a dans cette distance un a priori que pose Lacan avec une question: est-ce par trop de jouissance ou est-ce le néant de la Chose en soi comme inconnaissable?). Mais le sujet n'en a aucune protection, puisque Das Ding est au delà de l'entendement en même temps qu'interne. Il ne peut faire que des symptômes, et non des déplacements, substitution ou métaphores, comme défenses, au sens où le moi ne peut que s'automutiler, comme le lézard s'automutile pour se défendre en coupant sa queue. Cette défense, cette automutilation, c'est un mensonge sur le mal, concernant Das Ding. Le sujet au niveau de l'inconscient ment. Freud le décrit dans "l'esquisse": premier mensonge de l'hystérie. A savoir, cette jeune fille ayant la crainte d'être seule dans les magasins et qu'on se moque d'elle à cause de ses vêtements. Du fait, qu'à 12 ans, émue par un jeune vendeur, elle ait cru qu'on se moquait d'elle à cause de ses vêtements. Là est le mensonge, la transformation mensongère de ce qu'elle avait été pincée sexuellement, au travers ses vêtements, dans un magasin, par un vieux barbon, à 8 ans. La représentation, dans le système Psy, mensongère du vêtement, est l'indice de Das Ding devenue mauvaise que le sujet ne peut formuler que par le symptôme. Voilà aussi ce que l'expérience de l'inconscient ajoute à la question éthique, qui a aussi rapport avec le second principe, corrélat du principe de plaisir, le principe de réalité qui n'est pas simplement l'échantillonnage au niveau de la conscience, ou de la conscience perceptive, des signes d'adéquation avec la représentation. (nb: dans "l'esquisse", c'est plutôt les signes d'inadéquation, d'obligation de réajustement, de retrouvaille de la représentation avec des indices que partiellement correspondants). La réalité, c'est aussi, au delà de cette adéquation, (mais qui est aussi être à la même place?), ce qui serait toujours à la même place. Il fait référence à la sphère céleste de l'Antiquité. Et ce qui a pu en être changé par la physique de Newton et jusqu'à aujourd'hui où rien ne reviendrait à la même place.(nb: les planètes ont toujours des orbites régulières?). Or, dit-il, l'éthique reste attachée à ce qui revient à la même place, (en effet la loi morale ne saurait varier). Cette même place ne peut évoquer les structures élémentaires de la parenté, ou quelconque organisation sociale comme constantes, car malgré tout elles sont susceptibles de varier. L'éthique est au delà. Elle est là où le sujet se pose la question du bien dans les structures sociales et est amené à découvrir la liaison de ce qu se présente comme loi à la structure du désir. Désir que Freud présente comme le désir de l'inceste, mais dont le sujet se tient sans cesse à distance (nb: parce que la loi ou parce que Das Ding?). Mais distance proche, intime, comme l'est le bon voisin, le prochain secourable premier, cf "l'esquisse", où Freud notait là l'origine de la morale. Et "aimer son prochain comme soi-même", c'est la loi du sujet humain à lui-même, qu'il se fasse son propre prochain.
La loi morale a cette visée du réel comme garantie de la Chose. ( nb: de quel réel s'agit-il ici? est-ce la réalité de pouvoir la retrouver?). La crise de l'éthique, telle que manifestée par Kant, c'est lorsque le réel est remis en question par la physique demandant à reposer la question de la raison comme pure capacité, logique, et la loi morale, fondée de cette raison, ne peut avoir pour référence nul objet de passion, comme nul bien-être, car alors elle serait variable en fonction de l'objet ou de la définition du bien-être. Il en découle la définition de l'acte moral: "Agis de telle façon que la maxime de ta volonté vaille comme loi universelle". La maxime étant la loi donnée à soi-même, par soi-même, pour déterminer l'action entreprise par la volonté. L'éthique donc. Cela sous-entend que la volonté soit libre pour déterminer en raison la maxime, et que cette liberté soit générale pour que la réciprocité inclue dans l'universalité soit possible. C'est un point essentiel qu'il n'aborde pas. Ceci, cette volonté libre et bonne, ne vise en effet aucun bien-être, aucun bien au sens commun. Il se répète. Et même, dit-il, si Kant ne se faisait aucune illusion sur l'application possible de son éthique, celle-ci a tout son intérêt pour les hommes contemporains, ( nb: les lois démocratiques). Il s'amuse, détournant la maxime kantienne: aujourd'hui ce pourrait être: "N'agis jamais qu'en sorte que ton action puisse être programmée". Mais ajoute-t-il la maxime kantienne c'est aussi de considérer la maxime de l'action comme la loi d'une nature où nous serions appelés à vivre. D'une nature et non d'une société car celle-ci est plutôt le lieu des transgressions des diverses maximes. ( nb: cette question de nature est un peu délicate, car si c'est à partir de sa prépondérance, la science ayant mis à mal celle de Dieu, que s'est produite la réflexion kantienne, c'est la manque d'un instinct naturel qui permette à l'homme de régler sa conduite qui nécessite la recherche d'une éthique non fondé sur le besoin, le bien-être, mais sur le spécifique de l'homme: à savoir la raison.).
Sade pour les mêmes raisons que Kant expose, lui, une antimorale dans "Français encore un effort pour être républicains". Il commence par une attaque radicale contre la religion, et donc Dieu, comme partie absolument liée au despotisme. On peut noter, ce que n'évoque pas Lacan, l'absence chez Kant de toute référence divine également. Sade poursuit en montrant tous les avantages de la calomnie, du mensonge donc, puisque si elle vise des méchants, elle nous en prévient en quelque sorte, si ce sont des gentils, ils en sortiront grandis d'y résister. S'appuyant sur les lois de la nature ou soit disant naturelles, il va promouvoir, le vol, le meurtre, etc... S'appuyant comme Kant sur l'universalité et la liberté de chacun, il en conclut qu'au mieux cela amènerait à développer une saine agressivité dont la république a besoin. Pour s'arrêter à la jouissance: chacun a le droit de jouir de tous, et ceux-ci n'ont pas le droit de s'y dérober. Ce droit de jouissance étant universel et réciproque. Tous y ont droit et tous doivent s'y soumettre. Et les femmes comme les hommes. Elles ont les mêmes droits de jouir de qui elles veulent. C'est beaucoup plus que ce que Lacan en dit: qu'elles sont libérées de leurs devoirs habituels que la société leur impose. Sade apparaît donc comme l'envers caricatural de Kant. (nb: il est à noter que l'universel de la réciproque de Sade exclut la synchronie: on ne peut être dans le même temps baiser et baisé, tueur et tué.) Peut-être y a t-il là l'échec de l'éthique dans sa référence au principe de réalité interroge Lacan, dans son rapport à Das Ding, que Kant a relevé, que Sade a illustré, que ce qui vient à contester le non sentimental de la volonté, c'est la douleur. Dans Sade, l'extrême du plaisir, qui consiste à forcer l'accès à la Chose, est insupportable, et c'est ce qui rend difficile ses constructions, comme cela rend difficile les aveux des fantasmes des névrosés.
Cet échec de l'éthique est-il la raison de ce que les dix commandements soient toujours présents sous-jacents y compris dans des sociétés qui s'y montreraient les plus opposée, comme les sociétés socialistes. Ces dix commandements énoncés par un "Je suis ce que je suis", c'est ainsi qu'ici il traduit(?), il les commente. Le premier: "Tu n'adoreras d'autre dieu devant ma face... Est-ce à dire qu'ailleurs? Le second, bannissant les images, n'est-ce pas l'interdiction de l'imaginaire? L'obligation du shabbat, c'est la création d'un trou dans la continuité. Il s'arrête sur "Tu ne mentiras pas". Cela inscrit, dit-il, le lien intime du désir avec la loi. A rapprocher du sophisme: "Tous les hommes sont menteurs or moi qui le dit suis un homme". "Tu ne mentiras pas" sépare le sujet de l'énonciation de l'énoncé, cf la solution du sophisme, et comme loi inclut le mensonge comme désir fondamental. Et si les avocats refusent le détecteur de mensonges pour leurs clients, c'est qu'à objectiver la parole du sujet on nie qu'elle puisse dire la vérité en mentant, et mentir à vouloir dire la vérité. Ce qui fait de ce commandement une des pierres angulaires de la condition humaine. Un autre commandement: "Tu ne convoiteras pas la maison, la femme, l'âne, etc, de ton prochain". C'est en tant que chacun de ces objets sont la Chose de mon prochain qu'il m'est interdit de les prendre. Et ce commandement préserve la distance de la Chose. Alors est-ce que la loi est la Chose? Curieuse question puisque d'évidence non. Toutefois se répond-il, je n'ai de connaissance de la Chose que par la loi. Et là, il cite St Paul, "épitre aux romains", en remplaçant "péché" par "Chose". "La chose produit en moi toute sorte de convoitises grâce aux commandements. Car sans la loi, la chose est morte. Or j'étais vivant sans la loi. Et quand le commandement est venu, la chose a flambé, est venue de nouveau, moi j'ai trouvé la mort." Il conclut que le rapport de la chose à la loi ne saurait être mieux défini. (nb: n'est-ce pas étrange de substituer, et de ce fait d'égaliser "chose" et "péché", d'autant que le texte de St Paul dit que c'est la loi qui, créant le péché, produit la mort? Alors de quelle loi s'agit-il? Celle qui produit, ou celle qui indique la Chose? La loi de l'inceste qui recouvre l'inconnaissable de la Chose en soi, celle du signifiant qui la produit?). Est-ce que la découverte freudienne, l'éthique psychanalytique nous laisse suspendus dans ce rapport du désir et de la loi qui ferait que notre désir n'est dans un rapport à la loi que désir de mort... grâce à la loi, le désir prend ce caractère pécheur (péché = manque). Nous avons à explorer ce qui, dans la raison humaine, est capable de transgresser cette loi, pour produire au-dessus de la morale une érotique. En fait, c'est ce qu'ont fait toutes les religions, ce que Kant appelle les rêveries, les fantaisies religieuses. Et là une remarque quand même de ce qu'il ne dit pas, c'est que Kant comme Sade, ce à quoi ils ont affaire, c'est à la chute de toute référence religieuse, transcendante, à savoir de devoir fonder une morale à partir du seul monde matériel naturel. Y aurait-il quelque chose autour de la religion de sa part? Il finit par un jeu de mot: Si la question de Das Ding reste suspendue autour du manque, du péché, du dam, selon St Paul peut-on glisser à la Dame, et jouant sur l'étymologie dans un rapprochement avec danger, domination. Etre au pouvoir de l'Autre, c'est être en grand danger. (nb: retour au danger de Das Ding ?).


Corinne Vallet pour la leçon 7

Leçon VII – de la pulsion doctrine freudienne de la sublimation

Lacan se propose de nous mener en un point problématique non seulement de la doctrine de Freud
mais de notre responsabilité d'analystes. La sublimation. Cette autre face de cette exploration que Freud a fait en pionnier des racines du sentiment éthique.

La question est de savoir si pour nous qui nous trouvons avec Freud à portée de donner une critique nouvelle quant aux sources, à l'incidence réelle de la réflexion éthique, si l'expérience analytique relève du Bien ?

Selon Lacan nous ne pouvons faire l'économie de cette question.

Freud quelque part dans les 3 essais sur la sexualité 1905 emploie deux termes corrélatifs pour qualifier les effets de l'aventure libidinale individuelle, fixation fixierbarkeit, (en tant qu'elle est tentative de rendre explicable de l'inexplicable ), et haftbarkeit, traduit par persévération, à la curieuse résonance en allemand de responsabilité, d'engagement et c'est bien de cela aussi qu'il s'agit dans notre histoire collective d'analystes … . Lacan nous fait remarquer que n'est pas d'un seul trait que Freud a poursuivi le chemin dont il nous a légué les jalons et qu'il se peut aussi que nous soyons , par les effets des détours de Freud, accrochés à certains points de sa pensée sans avoir pu nous rendre compte de son caractère de contingence comme tout effet de l'histoire humaine ...

Lacan va s'attacher dans un 1er temps à qualifier ce qu'il pourrait en être de l'analyse dans l'ordre éthique.
Au 1er abord elle pourrait nous sembler recherche d'une morale naturelle.
Quelque chose qui nous conduirait via la maturation des instincts à un équilibre normatif avec le monde.
Lacan désigne ironiquement de « pastorale analytique » ce « chant des sirènes » ou « prêche moderne » qui entretient le malentendu, l' imposture d'une harmonie naturelle avec l'objet que l'analyse permettrait de retrouver, dénonçant ainsi les tenants du « génital love » .
Cette dimension de la pastorale n'est jamais absente de la civilisation et n'a jamais manqué de s'offrir comme recours à son malaise. Mais s'il y a une chose que nous apportent les travaux de Freud c'est bien que l'analyse ne relève pas du tout d'une amélioration naturelle mais bien plutôt de la mauvaise incidence, de ce qui tombe mal, voire même de quelque chose qui se présente avec un caractère de méchanceté.
C'est celle que dégage Freud de plus en plus tout au long de son œuvre via les obstacles et impasses repérés dans sa clinique traduits dans la notion d’un « Au-delà du principe de plaisir » et qu'il porte à son point maximum d'articulation quand il étudie les mécanismes de la mélancolie ou le « Malaise dans la civilisation ».
C'est la nouveauté du séminaire ce que Lacan désigne comme « le secret du principe de réalité » qui bien loin de s'opposer au secret du principe de plaisir se dédouble entre ce qui est réglé par les lois du langage en phase avec le principe de plaisir et un Au delà, terme qui revient sans cesse, étranger et pourtant intime, « extime » aussi difficile à nommer qu'à approcher que Lacan va désigner comme la chose .

Ce que Freud a mis en avant, c'est un conflit concernant la pulsion sexuelle, aussi entre Eros et la pulsion de mort, la pulsion de destruction, laquelle nécessite d'être réprimée et se paye pour le sujet de culpabilité, et à l'échelle sociale d'un malaise. Freud a développé la théorie du surmoi lui permettant d'expliquer le besoin de punition, le retournement de la pulsion agressive contre le sujet lui même.

Lacan pointe ce paradoxe par quoi l' instance morale du surmoi se manifeste d'autant plus exigeante qu'elle est plus affinée. Son caractère en quelque sorte inextinguible, de cruauté paradoxale. Ce qu'il appellera « la gourmandise structurale du surmoi ».

C'est là l'apport de l'analyse au terme dernier, dans le sens de ce que nous pouvons appeler au fond de l'homme cette haine de soi. Là est l'éthique dite sauvage, l'éthique telle que nous la retrouvons non cultivée, fonctionnant toute seule.

Lacan s'emploie à donner la clé du malaise dans ce qu'il avance depuis le début de son enseignement, à savoir que l'homme se trouve supporter l'ordre du signifiant.
Et c'est par le seul jeu du signifiant, la force de son articulation que nous pouvons y avoir accès au delà de ce qui apparaît comme description contingente, comédie, dévoilement du fond par l'intermédiaire du non sens, exercice auquel Freud nous a initié. ( Terence celui qui se punit lui même ).
Ce que nous voyons surgir c'est ce quelque chose qui se profile au delà de l'exercice de l'inconscient le point par où se démasque la pulsion qui n'est pas loin de ce champ de das ding vers lequel Lacan nous propose de recentrer le mode sous lequel se posent les problèmes dans le champ analytique.
Les trieb ont été découverts par Freud à l'intérieur d'une expérience fondée sur la confiance faite au jeu des signifiants , à leur jeu de substitution à traduire aussi prêt que possible de l'équivoque, de cette dérive polyglotte (le drive qui traduit en lui même en anglais le trieb allemand ) de laquelle se motive tout le jeu, toute l'action du principe de plaisir qui nous dirige vers ce point mythique plus ou moins heureusement articulé dans les termes de la relation d'objet avec toutes les confusions, ambiguïtés significatives introduites autour de la notion d'objet et de la relation d'objet dans l'analyse .

Partant de ce que Freud a formulé sur la nature des pulsions et plus spécialement sur sa façon de les concevoir comme pouvant donner au sujet matière à satisfaction de plus d'une manière, Lacan revient sur l'extraordinaire plasticité des émois pulsionnels sexuels et leur caractère de réseau, mais conteste la métaphore d'un réseau de satisfaction sous la forme des vases communicants nous rappelant que même s'il y a rassemblement des pulsions sous la suprématie du Genitalprimat , cette structure ne peut être considérée comme une vorstellung unitaire, sorte de résolution des contradictions liée à la multiplicité des pulsions partielles .

La libido est essentiellement structurée par un rapport imaginaire en tant qu'elle est vouée à glisser dans le jeu des signes, à être à la place de quelque chose pour quelqu'un. C'est là que nous trouvons l'articulation comme telle des possibilités de déplacement, de substitution, plaisirs partiels dans la libido génitale autrement dit ce rapport qui structure la libido avec ses caractères paradoxaux et se développe sous la forme de « collages surréalistes » liés à la variabilité des montages pulsionnels des différents stades .

Cet imaginaire n'a rien d'archétypique. Il n'a rien à faire avec le macrocosme.

Il revient à l'investigation freudienne d'avoir définitivement remis dans notre corps et pas ailleurs ce qui a longtemps habité la pensée théologique sous la forme du diable, d'avoir mis le diable au corps . Il n'y a plus d'aucune façon à rechercher ni le phallus ni l'anneau anal sous la voute étoilée, il en est définitivement chassé.

Lacan décèle en Luther un artisan de la modernité sans lequel l’invention freudienne n’aurait pas eu lieu proposant ainsi une improbable généalogie par delà les siècles entre le père du protestantisme et de la psychanalyse....
Luther (1483-1546) théologien, réformateur de l'église, a renouvelé le fond de l'enseignement chrétien en venant remettre en question le principe d'identité entre Dieu et le bien porté par une longue tradition philosophique et théologique et porté à ses dernières conséquences le mode d'exil où l'homme est par rapport à quelque bien que ce soit dans le monde « le déchet qui tombe par l'anus du diable ». Il l'a évacué du ciel où le plaçait la métaphysique ce qui n'a pas été sans effet sur la pensée et les modes de vivre des gens de ce temps. Il suffit de lire les sermons de Luther pour voir à quel point et jusqu'où a pu s'affirmer la puissance d' images, qui sont celles aujourd'hui investies du caractère d'authentification scientifique que nous donne l'expérience analytique. C'est au tournant de cette crise, source de déréliction pour l'homme, ce moment de chute dans le monde ce moment où il est tombé dans l'abandon qu'est sortie notre installation moderne.

Mais est ce que les points de fixation fondamentaux décrits par Freud, ces zones érogènes portent à l'optimisme pastoral ? Loin d'être une voie ouverte à la libération, telle que que chantée par les poètes, voie qui pourrait nous permettre un rapport copulatoire, total et frémissant de notre corps au monde celles ci se présentent littéralement comme la plus sévère servitude se limitant à des points élus, points de béance, nombre limité de bouches à la surface du corps d'où Eros a à tirer sa source …
Au niveau de la source des trieb, Freud nous marque le point d'insertion, caractère irréductible des formes archaïques de la libido. Ce sont les aspirations les plus archaïques de l'enfant qui sont en quelque sorte le point de départ, le noyau jamais entièrement résolu sous un primat quelconque d'une quelconque génitalité.

Au niveau du but, les substitutions semblent au premier abord presque sans limite.

Si nous reprenons la 1ère topique, notamment les 3 essais sur la sexualité, la sublimation se caractérise par un changement dans les objets, non pas par l'intermédiaire d'un retour du refoulé directement ou indirectement ou symptomatiquement mais d'une façon directement satisfaisante, la libido sexuelle vient trouver sa satisfaction dans des objets.
Des objets qui ont à prendre une valeur sociale collective.

Ainsi est définie la possibilité de sublimation, par la satisfaction substitutive liée à la valeur sociale collective de l'objet.

Mais toujours dans les 3 essais, Freud introduit une contradiction dans sa propre formulation en mettant en relation la sublimation, dans ses effets sociaux les plus évidents, avec la formation réactionnelle, en insistant sur le fait que, loin de se faire dans le prolongement d'une satisfaction instinctuelle, cela nécessite la construction d'un système de défense face à l'antagonisme de la pulsion anale.

Il faudra sa 2nde topique en particulier « Pour introduire le narcissisme » publié en 1914 et ce qu'il développe des relations de cette formation de l'idéal à la sublimation pour que la sublimation devienne un procès qui concerne la libido d'objet .

Puis un autre complément, sous la forme de cette opposition ichlibido-objektlibid , libido du moi, libido d'objet , articulé sur le plan analytique qu'avec l'Einführung ( 1916-17) pour permettre de rendre compte de la position foncièrement conflictuelle de l'homme quant à sa satisfaction et rendre aussi nécessaire ce Das ding de départ pour autant que l'homme pour suivre le chemin de son plaisir doit littéralement en faire le tour.

Ce que Freud nous dit n'est alors ni plus ni moins la même chose que Saint Paul. A savoir que
ce qui nous gouverne sur le chemin de notre plaisir ce n'est aucun Souverain Bien. Qu'au delà d'une certaine limite nous sommes concernant ce que recèle ce das ding dans une position énigmatique.

Qu'il n'y a pas de règle éthique qui fasse médiation entre notre plaisir et sa règle réelle.

Derrière Saint Paul il y a l'enseignement du Christ qui interrogé sur ce qu'il faut faire pour accéder à la vie éternelle répond : « Qui sait ce qui est bon ? Seul Lui, celui qui est au delà notre
Père sait ce qui est bon et Lui il vous a dit …. n'allez pas au-delà ».

Pour Lacan, au delà il y a « Aime ton prochain comme toi même » inacceptable pour Freud, qui après en avoir récusé les conséquences nous dit qu'un commandement d'une telle absurdité témoigne de l'importance majeure de la pulsion de destruction et de la nécessité de la réprimer.
Mais surtout il y a si l'on prend le temps de s'y arrêter le paradoxe , les béances du non sens telles qu'elles ressortent dans La parabole de l'intendant infidèle.

C'est d'ailleurs sur ce point de l'amour du prochain que Lacan sera amené à prolonger Freud et d'une certaine façon à s'en détacher, Freud éludant l'essentiel, la question de la jouissance.

Car cette négation de ce Bien qui a été l'objet éternel de recherche de la pensée philosophique concernant l 'éthique, cette pierre philosophale de tous les moralistes c'est ce qui est rejeté à l'origine dans la notion même du plaisir, du principe de plaisir comme tel en tant que règle de la tendance la plus foncière : l'ordre des pulsions dans la pensée de Freud.

Tout cela concerne le Père.

Et il faut bien reconnaître que cette position de Freud concernant le père n'est pas sans lien avec là où s'articule la pensée d'un Luther concernant Dieu … Lacan voit dans « le serf arbitre » publié par Luther contre Erasme en 1525 – celui ci avait publié « Du libre arbitre » pour rappeler appuyé par toute l'autorité chrétienne depuis les paroles du Christ jusqu'à celles de Saint Paul d'Augustin et toute la tradition des Pères - une entreprise pour accentuer le caractère radicalement mauvais du rapport que l'homme entretient avec l'homme et ce qui est au cœur de son destin , ce Ding, causa de la passion humaine la plus fondamentale Luther réarticulant les choses à ce niveau « La haine éternelle de Dieu contre les hommes, non seulement contre les défaillances et contre les oeuvres d'une libre volonté est une haine qui existait même avant que le monde fût créé »

Dans un raccourci structural Lacan va jusqu'à faire de cette haine primordiale et du rapport de Das ding à la loi ce à quoi Freud a affaire quant à la question qu'il pose sur le père, qui le conduit à nous montrer en lui le personnage qui est le tyran de la horde celui contre lequel le crime primitif est dirigé.

Ainsi Lacan fait il une lecture non imaginaire du mal, une lecture symbolique et réelle du mal avec accentuation de la dimension de jouissance celle à qui intrinsèquement le mal est lié, le mal n'étant ni le péché ni la transgression mais inséparable du désir de l'Autre en tant qu'il méconnait la dimension désirante du sujet.

Freud selon Lacan a escamoté cette dimension en se centrant sur le problème du rapport à l'objet avec l'einfuhrung .

Si nous reprenons ce problème du rapport à l'objet dans son émergence, c'est à dire dans un rapport qui est un rapport narcissique, imaginaire, l'objet s'introduit ici en tant qu'il est perpétuellement interchangeable avec l'amour qu'a le sujet pour sa propre image.

La libido du moi et la libido d'objet sont introduits dans Freud pour autant que dès cette 1ère articulation de l'einführung c'est autour de l'idéal du moi et du moi idéal, du mirage du moi et de la formation d'un idéal qui prend son champ tout seul, qui devient préférable au moi qui vient à l'intérieur du sujet donner une forme à quelque chose à quoi il va désormais se soumettre .

C'est pour autant que le problème de l'identification est lié à ce dédoublement psychologique que le sujet va être dans cette dépendance par rapport à cette image idéalisée, forcée de lui même, sorte de mirage.

Cet objet d'amour cependant n'est pas la même chose que l'objet visé à l'horizon de la tendance,
l' objet de la pulsion.

Entre l'objet tel qu'il est structuré par la relation narcissique et das ding il y a une différence et c'est dans la pente de cette différence que se situe le problème de la sublimation.

Pour terminer Lacan attire notre attention sur une note de bas de page des 3 essais où Freud fait référence aux Alten, anciens ou pré chrétiens lesquels mettaient l'accent sur la tendance elle même alors que nous la mettons sur l'objet .
Ils étaient prêts à faire honneur à un objet de moindre valeur ou de valeur commune alors que nous exigeons quant à nous le support de l'objet par ses traits prévalents.
Qu'en est il ? Freud a écrit sur les ravalements de la vie amoureuse. Mais ces ravalements , c'est au nom de quoi ?
Au nom d'un idéal lequel correspond à une modification historique de l'Eros, l'exaltation de la femme un style chrétien de l'amour dont parle Freud. Déjà cependant chez les auteurs antiques plus les latins que les grecs il y avait certains éléments de ce qui caractérise le culte de l'objet dans un référence idéalisée déterminante quant à l'élaboration sublimée d'un certain rapport .

L'objet si tant est qu'il est inséparable d'élaborations imaginaires et très spécialement culturelles, l'objet au niveau de la sublimation y trouve le champ de détente par où elle peut en quelque sorte se leurrer sur das ding, coloniser avec ses formations imaginaires ce champ de das ding.

C'est dans ce sens que les sublimations socialement reçues se dirigent et s'exercent mais elles ne le sont pas uniquement en raison de l'acceptation du bonheur trouvé par la société dans les mirages que lui fournissent ceux qui créent ces formes imaginaires.

Ce n'est pas simplement pour la sanction qu'elle y apporte en s'en contentant que nous devons chercher le ressort de la sublimation .

C'est dans le rapport d'une fonction imaginaire, très spécialement celle à propos de laquelle peut nous servir la symbolisation du fantasme, la forme sous laquelle s'appuie le désir du sujet .
C'est pour autant que socialement, dans des formes spécifiées historiquement, il se trouve que les éléments « petit a » , éléments imaginaires du fantasme, viennent à être mis en place, recouvrir, leurrer le sujet au point même de das ding.

C'est ici que doit porter la question de la sublimation.

Dans les prochaines leçons il se propose d'aborder l'amour courtois au Moyen Age, le théâtre élisabéthain en tant que nous y trouvons le point tournant de l érotisme européen pour autant que se produit à ce moment cette promotion de l'objet idéalisé dont nous parle Freud, lequel nous a laissé devant un problème d'une béance renouvelée concernant le das ding des religieux et des mystiques au moment ou nous ne pouvions plus en rien le mettre sous la garantie du père.




Rima Traboulsi pour les leçons 8 et 9

Articulation de la Chose à l’Ethique

Dans ces 2 leçons, Lacan fait des allers retours entre 2 concepts : la Chose et la sublimation, afin de mettre en lumière leur implication dans l’Ethique analytique et ce au moyen des notions d’objet, de pulsion et de désir.
Leçon VIII
L’objet et la Chose
Points à retenir, certains qu’il développera dans les leçons suivantes :
I) Das Ding comme nécessité interne à la psychanalyse
Point de départ de la leçon VIII, la pertinence du concept de la Chose (un « détail » peu développé dans l’Enwurf), au regard de la psychologie des affects. Lacan critique celle-ci car elle méconnait en elle-même que sa matière, la pensée, est soumise à la texture de la chaîne signifiante dont la logique apporte avec elle la négation, le clivage, la division.
Il rappelle que pour Freud, pour qui l’affect n’est qu’un signal, que Das Ding se situe au-delà du Principe de Plaisir (PP) et du côté du sujet et non de l’objet. Elle est cet intérieur exclu du Moi-réalité qui fait référence à ce quelque chose qui, dans la vie, préfère la mort. Lacan se propose d’éclairer la manière dont nous avons affaire à Das Ding au niveau de l’Ethique, non seulement dans son approche mais aussi dans son rapport au désir individuel et aux exigences sociales.
Pour les analystes Das Ding est une nécessité interne, dans leur expérience analytique, visible dans la théorie.
II) La Chose et la sublimation chez Mélanie Klein
Pour cela, il part de la pensée Kleinienne qui met le corps mythique de la mère à la place centrale de Das Ding et l’articule à la sublimation qui serait une réparation symbolique des lésions imaginaires apportées à l’image fondamentale du corps maternelle mais selon Lacan, Mélanie Klein omet une dimension qui est l’évaluation de la sublimation, au regard de la reconnaissance sociale. Freud, lui-même, avait dit que toute production est historiquement datée.
Si on élargit le concept de sublimation à la question de l’Art, une nouvelle question se pose : quelle satisfaction la société peut y trouver ?
C’est là, dit Lacan, le problème de la sublimation, en tant qu’elle crée un certain nombre de formes dont l’art n’est pas la seule.
III) La sublimation dans son rapport à l’objet et à l’Ethique
Lacan pose que la sublimation a à être jugée en fonction du problème éthique c’est-à-dire des valeurs socialement reconnues qu’elle crée.
Concernant l’Ethique Il évoque la perspective Kantienne qui insiste sur le poids de la raison et de la douleur comme corrélative de l’acte Ethique. (Ex des 2 prologues) pour pointer ce qui échappe à Kant, à savoir la surévaluation possible de l’objet. Par exemple, celui de l’objet de la passion amoureuse qui prend de ce fait une certaine signification.
Lacan introduit là, la dialectique où se situe la sublimation de l’objet féminin en s’appuyant sur Freud qui énonce que la libido est portée plutôt sur l’objet que sur la tendance.
Il poursuit en faisant un détour par la Mine (amour courtois) pour approcher certaines traces en nous du rapport avec l’objet. Il évoque 2 formes de transgression au-delà du PP :
- soit par sublimation excessive de l’objet (la femme)
- soit par perversion.
IV) Articulation Das Ding, pulsion et sublimation,
Pulsion et sublimation, sont dans un rapport au désir. Donc face au critère du PP, un autre critère entre en jeu il concerne Das Ding comme lieu des pulsions et donc du désir du sujet.
2 remarques sont à prendre en compte :
- la satisfaction des pulsions conduit rarement à l’émergence de relations tempérées entre l’être humain et ses semblables
- La sublimation est elle-même rattachée aux pulsions.
V) Problèmes posés par le concept Freudien de la sublimation
Lacan fait un retour sur le concept de la sublimation qui, pour Freud, est une forme de satisfaction des pulsions par détournement de son but. Freud nous incite à ne pas confondre but et objet et à différencier sublimation et idéalisation car dans l’idéalisation il y a identification du sujet à l’objet alors que la sublimation est « autre chose ».
Lacan, lui, propose un autre abord afin d’éprouver la valeur et la fonction de la sublimation car plusieurs questions se posent :
Qu’est-ce que la satisfaction des pulsions ailleurs que dans son but sexuel ?
Est-ce que la libido est désexualisée ?
Est-ce que ce nouvel abord va venir compléter la solution imaginaire de Mélanie K.
VI) Objet et Chose dans la définition de la sublimation
Lacan avance que la pulsion a un rapport avec Das Ding en tant que Das Ding est différente de l’objet, il propose de considérer la sublimation comme une satisfaction des pulsions par le rapport qu’elle maintient avec la Chose.
C’est ce qui nous permet de sortir de l’impasse de la désexualisation de la libido.
Das Ding est différent de l’objet celui-ci n’étant que l’image, le reflet, l’autre chose de la Chose.
La sublimation selon L élève un objet à la dignité de la Chose.
Illustration dans l’amour courtois où l’objet féminin a été, inconsciemment, sublimé en même temps que, consciemment, un déplacement s’est produit donnant lieu à une production de règles et de codes qui ont promu cet objet à une fonction particulière alors que c’est un objet « naturel ». (Femme élevée à la dignité de la Chose)
D’un point de vue topologique, dans cette notion de la Chose, il n’y a pas de glissement mais un « cernement » par un réseau de buts (p 185).
Pour qu’au niveau de l’art, l’objet vienne à cette place de la Chose, il faut que quelque chose se soit passé au niveau du rapport de l’objet au désir.
VII) Le prologue de Jacques Prévert comme illustration
Lacan rappelle que l’objet comme fondement de la collection est différent de l’objet de l’analyse ; celui-ci (l’objet de l’analyse) est un point de fixation imaginaire donnant satisfaction à la pulsion, l’objet de la collection est « autre chose ».
A la fin de la leçon, il donne l’exemple de la collection de boites d’allumettes vides de Jacques Prévert et de son effet ornemental. Le choc n’est pas dans le rassemblement de ces boites mais dans la révélation que la boite d’allumette est une Chose car elle se présente, du fait même de sa forme et de la disposition qui en est faite (tiroir plus ou moins tiré avec ce vide en son centre et boites qui peuvent « s’enfiler ») avec un pouvoir copulatoire. La disposition, l’image dessinée par la composition de Prévert, était destinée à nous le montrer et à accentuer la révélation de la Chose au-delà de l’objet.

Leçon IX

Dans la leçon IX, Lacan reprend certains développements de la leçon précédente pour les approfondir et les mener plus loin, notamment d’un point de vue topologique.
Il démarre son propos par :
I)La fonction de la Chose dans la définition de la sublimation.
Il fait référence aux travaux de Glover qui lui-même cite 2 articles de Mélanie Klein :
Le 1er : « Infant Analysis » évoque chez l’enfant des fonctions essentielles de sublimation qui peuvent être inhibés secondairement quand elles sont trop libidinalisées.
Le 2ème : « Contributions to Psychoanalysis » que Lacan regrette de n’avoir pas lu plus tôt car il lui a apporté la satisfaction de la bague au doigt. Cet article comporte 2 parties :
Dans sa première partie M.K démontre à travers l’œuvre « l’enfant et les sortilèges » (thème de Colette et musique de Ravel) que celle-ci colle avec la succession de fantasmes concernant le corps maternel, que sa théorie a décrit. (Agressivité primitive, contre-agression, correspondants aux positions schizo-paranoïde, sadique anale, dépression etc)
Dans la partie suivante, la plus remarquable, selon Lacan, elle décrit un cas clinique (pris chez une autre analyste et intitulé « l’Espace vide ») qui viendrait également confirmer cela. Cas limite ou dépression mélancolique, il s’agit d’une femme qui n’avait jamais peint auparavant et qui s’est souvent plainte d’un espace vide en elle. Elle se marie et son état s’améliore, au début, puis à nouveau survient un accès mélancolique suite à la vente d’un tableau de son beau-frère, tableau qui laisse un espace vide dans la pièce qui était tapissée de ses tableaux. Finalement elle décide de peindre un tableau, au plus près du style des autres, imitant son beau-frère, à tel point que quand elle lui montre, celui-ci se met en colère car il ne peut croire qu’elle en est l’auteur.
C’est, essentiellement, malgré l’imprécision de ce cas, de ça qu’il s’agit.
Cet exemple est la confirmation d’une structure topologique, schématisant la manière dont la question de la Chose se pose.

II) Eclairage topologique
Mélanie Klein, elle, n’y voit que la confirmation des phases de toute sublimation/corps de la mère.
Lacan, lui, s’amuse de cette sorte de topologie sur laquelle se place les sublimations et souligne à nouveau que la sublimation est d’abord en rapport avec la Chose, celle-ci occupant une position centrale quant à la constitution de la réalité du sujet (p 193).
Il revient sur le prologue de Jacques P. (rappel la sublimation est la transformation d’un objet en une Chose). Pour préciser que la Chose est toujours voilée, il faut la contourner pour la concevoir. (Irreprésentable, pas d’accès direct, obligation donc de passer par « autre chose ») Ceci, car elle est ce qui du réel pâtit du signifiant puisque c’est en éléments signifiants que se constitue le système ψ, lui-même soumis à l’homéostasie, à la loi du PP. Dit autrement, le Signifiant fait trou dans le Réel, ce trou est le lieu de la Chose.
L’organisation signifiante de l’appareil psychique domine, il n’y a rien entre le réseau des représentants de la représentation et le réel, dans lequel le champ de la Chose se constitue et se présente en négatif entre les deux. C’est dans ce même champ que l’objet retrouvé de Freud se situe. (Association avec le NeBo : trou dans lequel se loge l’objet a)
Lacan fait remarquer que Freud n’a jamais dit que cet objet ait été réellement perdu. L’objet est dans sa nature retrouvé et c’est ce qui fait qu’il a été perdu (déduction logique nécessaire). Ici réside le parallèle avec les caractéristiques de la Chose.
Ce n’est jamais Das Ding qu’on retrouve mais ses coordonnées de plaisir. La Chose, elle, est représentée par autre chose.
III) Articulation signifiant, objet crée et Chose
Remarque : Ce qui est retrouvé est cherché dans les voies du signifiant or cette recherche est au-delà du PP. La fonction du PP est de porter le sujet de signifiant en signifiant afin de ramener le niveau de tension au plus bas.

D’où plusieurs questions :
- Comment le rapport de l’homme au signifiant le met en rapport avec un objet qui représente la Chose ?
- Que fait l’homme quand il façonne un signifiant ?

Rappel :
- les signifiants sont façonnés par l’homme
- Les structures d’opposition sont ce qui constitue le signifiant
C’est à ce niveau que l’articulation avec la sublimation (en tant que création) peut se faire. La notion de création comprenant le savoir du créateur et de la création, est centrale non seulement/ à la sublimation mais aussi / à l’Ethique (p195).
Lacan pose qu’un objet, peut remplir la fonction de ne pas éviter la Chose comme signifiant (maintient d’un rapport cf leçon VIII) il peut la représenter par un objet crée.

IV) Fonction signifiante du vase
Il prend appui, sur la fonction artistique du potier et de sa création, le vase, depuis longtemps pris comme support parabolique, métaphorique des mystères de la création, notamment par Heidegger) pour qui (et c’est ce que retient Lacan) le vase est la conjonction de l’humain et des puissances sacrées, célestes et terrestres.
Pour Lacan/vase : il faut distinguer son usage de sa fonction signifiante et s’il est pris comme premier signifiant façonné, il est à prendre comme exclusivement signifiant avec « rien de particulièrement signifié ». (Différence avec Heidegger)
Le « rien de particulier » qui caractérise le vase, dans sa fonction signifiante, est que dans sa forme il introduit dans le monde, le vide et la possibilité du plein. (Pas de plein sans vide) (p 198).
V) Création ex-nihilo
Il donne l’ex du pot de moutarde, « Bornibus » qui a pour essence de se présenter comme un pot de moutarde vide (// avec parole vide et parole pleine). Cette illustration permet de situer que c’est autour de ça (du vide) que se trouve le problème central de l’Ethique et non autour de Dieu, d’une puissance raisonnable ou du « souverain Bien » ; sinon, comment expliquer que quoique l’on fasse ou pas le monde aille si mal.
Ce qui n’est jamais mis en valeur en valeur dans le prologue de l’acte créateur (quelque soit le domaine) c’est que tous les développements s’appuient sur la matérialité du « vase » et sur un postulat « rien n’est fait à partir de rien ». Toute la philosophie antique est pensée selon l’idée, toujours présente, que la matière est éternelle et close et que le monde des rapports interhumains, celui du langage est inclus dans cette nature éternelle et limitée.
Or la Chose, ce vide au centre du réel, se présente dans la représentation comme « rien ». Le vase est créé à partir du trou central, toujours élargi et bordé par les mains du créateur (potier) (p 199).
Le façonnement du signifiant (vase) se situe donc dans la notion de création ex-nihilo, avec l’idée, qu’un jour dernier, toute la trame de l’apparence se déchirera à partir de cette béance introduite.

VI) Perspectives Ethiques
De tout temps, l’articulation du problème moral s’est faite autour de l’idée du Bien, du Beau (l’œuvre étant du côté du beau) puis autour du bienfait ou méfait de l’œuvre.
Lacan trouve l’exemple du vase, de par sa tripartition, éclairant, pour localiser le Mal :
1°) dans l’œuvre : position du Taoïsme pour qui l’œuvre comporte autant de bien que de mal et qui prône une position de renonciation.
2°) dans la matière : ex dans le Catharisme qui pense que c’est le mauvais créateur qui a transformé la matière et que la position à tenir serait de maitrise, de contrôle dans une recherche de pureté qui in fine, ne peut être atteinte que dans la mort. Même perspective chez Aristote pour qui la transformation perpétuelle de la matière est le lieu du mal.
3°) ailleurs, le mal peut être dans la Chose en tant qu’elle n’est pas ce signifiant qui guide l’œuvre, pas non plus la matière de l’œuvre mais qu’elle définit l’humain (p 204) en tant qu’il nous échappe. Cette position maintient l’humain au centre du mythe de la création, (le mal est toujours pensé en terme créationniste)
Ici l’humain, comme la Chose, est ce qui du réel pâtit du signifiant.
Lacan en fin de leçon, fait un détour par la pensée de Freud qui nous fait poser le problème de ce qu’il y a au cœur du fonctionnement du PP, (celui-ci est présent dans le système φ 1aire et Ψ 2aire mais la fonction du plaisir est-elle la même ?) à savoir un au-delà du PP et qu’il a lui-même appelé une foncière « bonne ou mauvaise volonté » qui n’est pas à entendre comme la définition de ce qu’est un homme bon ou mauvais.
Il s’agit pour Lacan, de prendre en compte , l’ensemble c’est-à-dire le fait que l’homme , en fin de compte, est façonné et introduit dans le monde par ce signifiant, ce signifiant étant lui-même façonné à l’image de la Chose qu’il nous est impossible de nous imaginer. « C’est là le problème de la sublimation. »
VII) Ouvertures pour la suite du séminaire :
Pour finir, il revient rapidement sur la Mine et pose la question de l’existence ou pas d’un lien entre le Catharisme et l’amour courtois, fondement de toute une morale, de toute une éthique. Il souligne le paradoxe stupéfiant entre les mœurs de bandits et l’élaboration des règles de l’amour courtois (c’est-à-dire d’une relation de l’homme à la femme) où l’objet féminin, la Dame, loué, servi, semble faire référence à une seule personne alors que les protagonistes sont nombreux et bien réels.
Il conclue que l’analyse peut résoudre ces énigmes car permet de considérer ce phénomène comme une œuvre de sublimation (p 206) ; en d’autres termes, on donne à un objet, la Dame, valeur de représentation de la Chose.
Il termine en faisant remarquer que nous sommes tous pris, dans la notion de Créateur (même si celle-ci reste obscure). Si du fait des apports de Freud, nous sommes convaincus que Dieu est mort. Il faut se souvenir que Dieu est sorti du fait que le père est mort (il est venu à cette place laissée vide) c’est le père mort à l’origine qu’il dessert, il était donc mort depuis toujours.
Pour Freud, la question (du Créateur) se pose aussi / à la science dans cette même perspective. C’est en fonction de ceci que se pose, pour nous, le mode sous lequel la question de la Chose se pose.
La pulsion ne peut se limiter à une notion psychologique, elle est ontologique et répond à une crise de conscience que nous ne pouvons repérer car nous la vivons.
Lacan termine en proposant d’articuler la manière dont nous la vivons afin de nous en faire prendre conscience.



Das Ding de Heidegger. Résumé.

Notion de proximité c’est le point de départ. Constat par Heidegger d’une rétraction des distances : accès plus direct, mais pas plus de proximité (celle-ci est indépendante de la distance).

Qu’est-ce que la proximité quand tout est également proche, également lointain ?
Exemple de la bombe atomique, l’homme ne peut détacher sa pensée des suites que pourrait avoir cette explosion. Son angoisse désemparée est en attente d’un effroyable qui a déjà eu lieu.
Ce qui terrifie étant ce qui fait sortir tout ce qui est de son être antérieur.
Quelle est cette chose qui nous met hors de nous ? Qui se montre et se cache puisque la proximité, de ce qui est, demeure absente.
Dans la proximité, il y a des choses.
Qu’est-ce qu’une chose ?
Exemple de la cruche. La cruche est un vase contenant en soi « autre chose ». Le contenant étant le fond et les parois (ce tenant pouvant lui-même être tenu par l’anse).
Le vase est quelque chose qui tient en soi. Donc autonome, il devient un objet par perception directe ou souvenir.
Mais c’est une chose pas parce que c’est un objet représenté ni parce qu’elle peut être objectivée.
La cruche est un vase même si pas de représentation. Comme vase, la cruche tient en soi.

Caractéristique de la cruche comme Chose
/ à la matière
/ à la production
La cruche comme vase a été produite par le potier. La matière c’est la terre, l’argile.
Si on considère la cruche comme un récipient produit, (par l’homme), il est une chose et pas seulement un objet.
La cruche n’est pas simplement un objet de la représentation mais objet d’une production.
C’est la production et le tenir en soi qui caractérisent la cruche comme chose.
Qu’est-ce qui appartient à la chose comme telle ? Qu’est-ce que la chose en soi ?
Pour y répondre il faut d’abord penser la chose en tant que chose.
Dans l’ex : la cruche est une chose en tant que vase, non pas du fait d’être produite, mais parce qu’elle se tient et se con-tient dans ce qui lui est propre et non pas dans les mains et les pensées du potier.
Question de l’origine de la chose : « pro-venir »
Le vase est un contenant. Il contient grâce aux parois et au fond qui ne laissent pas passer le liquide. Mais en fait, ce qui contient c’est le vide, fond et parois ne contiennent pas.
Le potiers saisit le vide, lui donne forme en façonnant l’argile.
Le vase est une chose du fait du vide qui contient et non de la matière.
Remarque : pour les physiciens ce n’est pas du vide, mais de l’air (vide comme rien rempli par l’air).
/ à la réalité scientifique, remplir la cruche c’est échanger un liquide par un autre. Ceci est réel mais cette réalité n’est pas la cruche.
Cette réalité n’est que ce que la représentation scientifique a elle-même admis comme objet possible. La science représente quelque chose de réel puis règle objectivement ses démarches.
Le savoir scientifique est contraignant, car il oblige à annuler la chose qu’est la cruche. Il ne prend en compte que les objets.
La choséité de la chose demeure oubliée car la science suppose que son expérience atteint le réel dans sa réalité.
La chose n’a jamais pu apparaître comme chose à la pensée ( !!! car non pensable, représentable ?)
Qu’est-ce que la chose comme chose pour qu’elle ne soit jamais apparue dans son être ?
Dans la cruche, nous nous sommes représenté le vide comme ce qui reçoit ou comme cavité remplie d’air(pensée du physicien) donc ici le vide est pensé comme réel.
Nous n’avons pas pensé au contenant ni à ce qui peut être contenu et comment c’est contenu.
A la question, comment le vide contient, la réponse est en prenant ce qui est versé.
De fait, le vide a 2 façons de contenir :
- en prenant
- en retenant
Mais aussi en déversant !
La cruche vide, elle aussi, tient son être du versement, bien qu’elle ne permette aucun versement hors d’elle.
Dans le versement, du fait que ça implique recevoir, on a :
- le ciel
- la terre
Du fait que ça implique l’offrande, on a :
- le mortel
- le divin
Donc dans le versement du liquide offert, nous avons les 4. Ce versement est versement pour autant qu’il retient les 4, « retenir » dans le sens de faire apparaître.
On peut dire que la cruche comme cruche accomplit son être dans le versement.
Celui-ci rassemble en lui le double contenir : prendre et retenir, le contenant, le vide et le versement comme don.
Dans le versement, il retient et fait apparaître le Quadriparti
Donc l’être de la cruche est le rassemblement qui verse, qui offre et qui rend présent la Quadriparti
Bouclage logique de son propos
Développement étymologique sur les différents termes, « thing », « dinc », « res » « cause », qui renvoient à « ce qui touche à l’homme » puis retour à la signification du mot « Chose » notamment dans le sens de « rassembler ».
La cruche est une « chose » en tant qu’elle rassemble.
Comme elle rassemble, elle retient.
Comme elle retient, elle rend les 4 dans une proximité tout en maintenant leur lointain.
La proximité conserve l’éloignement. Quand quelqu’un dit l’un, on pense les autres.
La chose rassemble le monde mais attention tous les objets ne sont pas des choses.

Christian Lemaire pour la leçon 10

Dans l'hommage fait à Marguerite Duras, du "ravissement de Lol V. Stein" , Lacan écrit ceci :
"les noces taciturnes de la vie vide avec l'objet indescriptible"
Ce pourrait être la leçon de cette leçon du 3 février 1960.
Dans cet hommage, il relève en Marguerite d'Angoulème, reine de Navarre et en Marguerite Duras, une commune "charité sévère sans grande éspérance" où "la sublimation opère la tentative d'une récupération d'un objet-sans-espoir."
On voit dans "l'héptaméron"de Marguerite de Navarre, et selon la leçon de Lucien Febvre : "la vie nue, celle de la pureté, du mariage, mais aussi du mensonge, ou du viol. Ces récits donnent prétextes à la réflexion morale qui suit chacune des 72 histoires données pour vraies. Si l'objet fuit, et se poursuit, c'est sans doute d'être le miroir de la profonde division qui anime les protagonistes de chaque histoire.
Dans le roman de Marguerite Duras, Lol V. Stein, la vie vidée fuite. Il s'y étale la chose/non-chose comme une anamorphose en travers du récit. Lola.Valérie.Stein est dé-possédée, possédée par sa dépossession. A partir de cette dé-possession de l'amour, dès l'origine du roman, la déflagration d'un trou dans le champ visuel de cet être, organisera tout l'errance de récupération.
La fonction de l'amour courtois, que l'on pourrait croire circonscrite dans le temps et comme relevant d'un problème d'ésthétique, Lacan annonce vouloir en montrer le retentissement actuel sur un plan éthique concernant les rapports entre les sexes, comme forme exemplaire de sublimation dont les effets sont de nature à nous rendre sensibles à ce que la psychanalyse porte au premier plan comme l'important de la sublimation.
La valeur d'exemple localisé de cette occurence de sublimation dans la ligne du rapport homme/femme, Lacan nous met en garde de ne pas y réduire la sublimation.
La théorie freudienne est de nature a apporter certaines lumières à ce que les spécialistes qui se sont attachés à cette question de l'amour courtois, reconnaissent unanimement n'avoir pas réussis à en expliquer l'émergence historique. La recherche des influences, revenant à reporter le problème.
C'est , nous indique Lacan, que le problème a sa source dans la communication de quelque chose qui s'est produit à côté. Encore faut-il savoir comment ça c'est produit à côté?
L'abord freudien aura valeur de méthode. Celui-ci ci implique de prendre cette question par son coeur et non pas en ayant recours à sa périphérie.
Le geste de Lacan est de mettre en action un élément distinctif, un outil de discernement propre à servir de repère afin d'ordonner la lecture. Sur le cadran solaire, le gnomon est ce stylet, fonction d'équerre qui permet la lecture de l'heure.
Cet élément gnomique, c'est le vide déterminatif , d'où se profile, selon un ordre inversé, la chose qui n'est représentable que par son ombre. Ce ne serait pas la première fois que du néant, du négatif, on fasse surgir l'étant. C'est de ce surgissement que l'homme est mis en fonction de médium, entre le réel et le signifiant. Je n'exclus pas sous ce vocable de "médium" d'entendre toutes les formes de diableries dans lesquelles l'homme peut se réhausser : sorcellerie, divination, magie telle que Marcel Mauss l'intègre dans le fait social global.
Rappelons nous que les procès Cathares se firent majoritairement sur ce fond : A l'endroit même de la profession de pureté, l'inquisition a diabolisé la quête Cathare en traquant la figure diabolique supposé de leur adoration, ce "Baphomet", animal/homme à l'ambiguité sexuelle .
Revenons à cette ossature, ternaire: le réel et le signifiant, centré par la chose/le vide, où l'homme est mis en fonction de médium. Lacan fait jouer cette ossature comme une schématique propre à saisir par quelle voie se situe la chose dans ces formes créés par l'homme, qui sont du registre de la sublimation ; où le vide détermine la sublimation.
Il articule ces traits essentiels afin de rendre compte de ce qu'il en est de trois modes de rapport à ce vide pour trois formes d'existence : ces trois modes sont l'art, la religion et la science. Les trois formes d'exister sont l'hystérie, l'obsessionalité et la paranoïa
Ceci se décline comme suit :
: l'art est un mode d'organisation autour de ce vide où le sujet se trouve en position hystérique.
: la religion, est un mode d'évitement de ce vide. L'obsessionnel tient ce vide en respect de manière indéfectible.
: le troisième terme qu'est le discours de la science, Lacan en voit la généalogie dans le discours de la sagesse dont la philosophie est l'héritière dans notre tradition. Ce mode est un certain rapport à la vérité. Les marqueurs en sont le soupçon, la certitude, l'incroyance dont la paranoïa se fait le lieu dont le sujet est expulsé.
L'idéal du discours de la science se profile dans l'incroyance et sa perspective de savoir absolu.
Dans l'art il y a une forme de refoulement de la chose.
La leçon résonnera probablement pour Roger Dragonetti. Dans le "gai savoir dans la rhétorique courtoise". il suggère que les lacunes des textes de la poésie courtoise sont constitutives, consubstancielles à cette forme. Il note ce que les troubadours attentif et travaillés en eux-même par le travail de la lettre, soulignent, trouvères et troués, "trovëre/trouëre" sonnent ensemble. Poésie du son, de la disparition du nom ou de sa dissémination à l'intérieur du texte, de l'énigme et des perspectives dont on à pas encore dit qu'elles étaient dépravés, mais où le trompe l'oeil est le mode du mi-dire, de voir et de dire-vrai, pour paraphraser un long poème de Guillaume de Machaut.
Une lecture rasante du texte de Duras, par le bon angle du tableau, nous laisse entrevoir le vide du personnage éponyme s'enroulant et avançant dans le récit. Les narrateurs diffractés dans les miroirs de la narration oscillent autour de deux postures rhétoriques, celle du "croire" et celle du "voir". Le nombre d'occurence de ces deux verbes fait style chez Marguerite Duras, presque tout le style, faisant de ce texte à l'instar de Guillaume de Machaut, un "voir-dit".
Pour en terminer avec ce qui en creux animent Marguerite de Navarre et Marguerite Duras, l'une écrit en au XVIème siècle, pour passé le temps dit-elle, fuire l'ennui, la cause énoncée est une crue, une inondation au lieu même où le groupe qui raconte et écoute et commente les histoires, étaient venus prendre les eaux de cure..c'est comme un principe générateur de l'Héptaméron, l'autre Marguerite au XXème nous dit qu'elle écrit parce qu'elle n'a pas le courage, de ne rien faire.
René Spitz est d'origine hongroise, Ferenczi l' adresse à Freud. Pour lui, la relation réciproque entre la mère et l'enfant d'avant la parole, est la matrice du développement des relations sociales. Avec la "cavité primitive", c'est l'ontogenèse de la perception qu'il vise. Par ailleurs, il repère trois organisateurs du développement psychique de l'enfant. Ce sont : la réponse au sourire comme ontogenèse de la relation sociale , l'angoisse, et le non.
Quand à l'émergence de ce "non", avant l'apparition du langage, Spitz l'origine d'une dialectique de deux gestes, gros de possibilité signifiante :
d'une part, celui de la tête d'avant en arrière lors de la têtée, au moment de la consommation et au moment du retrait du mamelon. Précurseur du "oui"
d'autre part il origine dans le fouissement (rooting) du museau (snout) à l'approche du sein l'enracinement du vocable "non" comme geste précurseur de la forme sémantique.
Lacan souligne qu'il s'agit d'un geste d'approche, d'attente de la satisfaction. Ce geste s'inscrira comme une trace, un dernier souvenir face à ce qui peut surgir lorsque le sein se refuse, comme une catastrophe. Le modèle de la névrose traumatique permet d'approcher celui de la frustration. La reprise du fouissement dans le geste du "non" n'est pas une régression. C'est l'utilisation d'un motif , d'une forme, qui existe et est réactivée par identification avec le "non" de la mère.
Peut-être vaut-il de faire un détour par cette phase de la frustration puisque c'est dans ces parages que s'installe le voisinage du "nebenmensch" et que la chose pose son ombre sur l'objet.
Liée au premier âge de la vie, le mécanisme de la frustration est rendu possible par un précipité et un retournement, dans le paysage fondamental de ce qui n'est pas encore l'organisation des relations primitives de l'enfant concernant l'objet.
Ce paysage fondamental est constitué par la relation dialectique entre principe de plaisir et satisfaction où l'hallucination est le moyen de cette relation. Son régime est celui de l' absence/présence, dans une période où la relation du sujet est centré sur l'image/rapport primordiale au sein maternel. L'élément catastrophique qu'évoque Spitz, est la possibilité qu'un "non" , qu'un refus, qu'une négation, s'interpose entre le principe de plaisir et la satisfaction. Le régime absence/présence s'en trouve complexifié par la constitution, la réalisation, de l'agent de la frustration ,la mère en général, et la constitution de l'objet réel.
Cette séquence se spécifie d'être posé objectivement ET articulé vocalement : l'objet maternel est appelé et rejeté selon le même registre qu'est l'appel ; amorce de l'ordre symbolique.
Dans cette séquence, l'agent se constitue comme puissance, dé-couplée de l'objet de satisfaction de l'enfant.. Du fait qu'elle puisse répondre ou pas, à son gré, elle s'autonomise de ce qui la fait objet présent/absent en fonction de l'appel, elle change de registre. Un retournement s'opère où la mère devient réelle et l'objet devient symbolique. L'objet devient la marque de la valeur de cette puissance, témoignage du don de la puissance maternelle. A partir de ce moment, l'objet à deux propriétés : il répond à un besoin, et aussi, il symbolise une puissance qui détient tout ce dont le sujet peut avoir besoin et qui peut lui être refuser. Cette toute puissance est une mise sous dépendance symbolique. D'où se déduit que c'est la mère qui est toute puissante, pas l'enfant.
Il faudra pour que s'ordonne un passage au niveau de la loi, qu'on se serve de la fonction "père".
Le vide dont Lacan fait le tour, est une mise en valeur de l'irréductible qui dans la tendance se propose à l'horizon d'une médiation.
Du fait même qu'il soit soumis au principe de plaisir, l'homme est engagé dans les voies du signifiant, ce qui a une incidence sur le réel psychique. L'encerclement de la chose est impliqué par notre rapport au signifiant
La chose est donc ce qui du réel pâtit de ce rapport fondamental
Ni la science ni la religion ne sont de nature à sauver ou à donner la chose. Et cette chose que tend à réaliser la sublimation reste une illusion.
Aucune réification ne saurait résorber ce vide
Dans le réel psychique, la chose pâtit du signifiant, et on ne répond qu'avec ces signifiants en jeu.
Que se passe-t-il lorsque le lexique ne remplis pas les conditions de possibilité de la pensée?
A propos de la limite de l'in-croyance, qui forme un chapitre du texte que Lacan met en avant, Lucien Febvre resitue Rabelais dans le contexte de la langue qui est en jeu,"Questions de milieu" chapitre-t-il , dans le monde de Rabelais , se pose cette question : "..quelle netteté, quelle efficacité pouvait avoir la pensée d'hommes qui pour spéculer, ne disposaient pas encore dans leur langue, de ces mots usuels qui reviennent d'eux mêmes dès lors que nous commençons à penser". Suit ici trois pages de "mots qui manquent". Là-bas au XVIeme siècle, manquent les mots qui auraient permis de discriminer ce qu'il en était du finis et de l'infini dont L. Febvre fait la généalogie depuis les grecs. Manquent ceux afin de mettre en crise la question entre l'hypothèse et la réalité et pour finir je le cite : "au vrai, personne n'avait le sens de l'impossible.../.. la communication entre naturel et surnaturel demeure incessante et surtout normal".
Là-bas au XVI ème comme ici, certaines dimensions, comme la croyance ou l'incroyance sont assujetties au mode dans lequel l'homme est parti-pris au champ sémantique qui représente le monde et donne sa substance à l'homme. Par extension, qu'en est-il de la transformation du lexique, que ce soit en 1933 ou en 2020?
Bossuet est précurseur en utilisant la métaphore de l'anamorphose dans un de ses sermons. Je ferais court : si vous ne voyez pas dieu c'est une question de perspective, vous êtes au mauvais endroit.
Cela a sans doute commencer avec la dépravation des perspectives des colonnes grecs jusqu'à Vitruve par ces rectifications légères dont on disait que c'était afin de "remèdier à l'erreur de la vue".
Rassembler et rendre lisible, d'où le plaisir de voir surgir. Voici un programme qui fera florès dans les années 70 d'où un certain plaisir du texte émergera. Roland Barthes s'avance avec la nouvelle critique/anamorphotique Est-ce qu'avec cette métaphore de l'anamorphose Lacan aurait offert un mot qui manquait à tout une époque, où double, rime avec trouble, coupure et évasion, "l'hors d'oeil, l'hors discours". Rendre compte de la division.
Barthes encore, "il n'y a peut-être qu'une seule rhétorique", je pourrais lui forcer ce lapsus, il n'y a peut-être qu'une seule érotique, là où, dit-il ailleurs "le vêtement baille" c'est un peu ce dont il s'agit depuis Freud, c'est ce que Lacan déplira inlassablement.
Celui-ci ramasse la pensée : défile l'histoire de l'architecture puis de la peinture et la combinaison entre les deux. On peut dit-il définir l'architecture comme quelque chose d'organisé autour d'un vide puis pour des raisons économiques, on fait des images de cette architecture et pour que cela y ressemble, on invente la perspective ; on croit entendre l'économie d'une transmission, ce qui ferait fantôme de désirs en désir.
Lacan suggère un autre temps où on s'étrangle avec ses propres noeuds : l'architecture se soumet à des lois de perspectives qui fait d'elle sa propre règle, c à d qui les met à l'intérieur de quelque chose qui a eté fait dans la peinture pour retrouver le vide de la primitive architecture ; on croît entendre ce qu'il en serait d'un symptôme. Le retour baroque a tout ces jeux de la forme (l anamorphose est l'un d'entre eux) fait resurgir quelque chose qui restaure , (une illusion qui se transcende elle-même en montrant qu'elle n'est là qu'en tant que signifiante ) primauté est rendu au langage dans l'ordre des arts ; pour tout dire primauté est rendu à la poèsie .
C'est pourquoi pour aborder la question des rapports de l'art à la sublimation, Lacan repartira des textes de l'amour courtois.
Un élément constitutif de la nouveauté freudienne est que le principe de plaisir s'exerce fondamentalement dans l'ordre de ré-investissement hallucinatoire et est facilité par les représentations de mots.
La première chose que peut faire l'homme démuni lorsqu'il est tourmenté par le besoin est de commencer par halluciner sa satisfaction. Le "nerf diffus du principe de plaisir" est "qu'à chaque fois qu'un état de besoin est suscité, un réinvestissement hallucinatoire de ce qui a été antérieurement hallucination satisfaisante, opère.
Le principe de réalité est une seconde étape.
Par bonheur, se font en même temps les gestes qu'il fallait pour se rapprocher de la zone où l'hallucination coïncide avec un réel approximatif.

Laurence Desprat pour les leçons 11 et 12

Leçon 11

Lacan commence cette leçon en projetant une anamorphose pour illustrer sa pensée.
A partir de l’article d’Ella Sharpe à propos des peintures sur les parois de la caverne d’Altamira ,il interroge le choix de ce lieu : cavité souterraine, difficilement accessible qui entraine une complexité dans le travail d’ éclairage, de prise de vue qu’on suppose en quelque sorte nécessitée par la création sur ces parois d’images saisissantes, sorte d’épreuves subjectives et objectives, de ces premières productions de l’art primitif .
. Épreuve pour l’artiste ,comme une mise à jour d’une certaine possibilité créatrice .
. Épreuve objective ,ayant un rapport avec quelque chose à la fois lié à la subsistance même des populations de chasseurs, mais aussi avec la présence d’un caractère d’un au-delà, du sacré, que nous essayons de fixer par le terme de la Chose.
Les parois, comme un temple , une organisation autour du vide qui serait la place de la Chose que nous voyons ensuite ,nous dit Lacan , sur les parois de ce vide lui-même. La peinture apprend à maitriser ce vide, à le fixer sous la forme de l’illusion de l’espace autour de laquelle va s’organiser l’histoire de la peinture .
Or l’illusion de l’espace est autre chose que la création du vide et c’est ce que représente l’apparitions des anamorphoses à la fin du XVIe siècle. Lacan va faire référence au tableau d’Holbein, Les Ambassadeurs avec la présence du crâne .
Avec l’anamorphose l’artiste retourne l’utilisation de cette illusion de l’espace et la fait entrer dans ce qui est le but primitif d’en faire le support de cette réalité en tant que cachée ; il s’agirait d’ une façon de cerner la Chose dans toute œuvre d’art .
Il critique la position platonicienne qui situerait l’art du côté d’une imitation .Or le but des œuvres d’art n’est pas de représenter ces objets ; elles ne font que feindre de les imiter .Elles font de cet objet autre chose Et l’objet est instauré dans un certain rapport à la chose qu’il est fait pour cerner , pour présentifier/absentifier.à la fois la Chose. Tel le tableau
des pommes de Cézanne ,une façon nouvelle de faire surgir l’objet,au-delà de l’objet même.
Lacan en revient à ce qu’il veut exposer dans cette leçon, à savoir cette forme de sublimation qui s’est créée à un moment de l’histoire de la poésie, l’éros et l’érotisme avec une articulation possible avec l’anamorphose.
En ce qui concerne l’éthique de la psychanalyse Il souligne comment Freud , dans sa recherche sur les origines de la morale, et à partir du mythe œdipien, de Moise et le monothéisme et du Malaise dans la civilisation ,il fait intervenir ce recours structurant, la puissance paternelle ,comme une sublimation comme telle. Cela semble pourtant une impasse dont seule la fonction du mythe avec le meurtre du père ,sorte d’organisation signifiante , permettrait de sortir .
Alors quelle est cette possibilité de sublimation ?
Pour Freud les opérations de la sublimation seraient éthiquement valorisées et l’artiste en auraient des bénéfices secondaires .
Pour Bernfeld, pédagogue et psychanalyste autrichien, cette déviation de la tendance est utilisée au fin du moi .
Il y aurait donc une fonction du poète ;
Lacan va interroger cette fonction poétique à travers l’amour courtois qui s’appuie sur
le principe d’un idéal pour des cercles de cour, de nobles qui vont y participer au principe d’une morale ,d’idéaux de loyauté ,d’exemplarité de la conduite autour ….d’une érotique .
Ceci entre le XIe siècle en France et le XII, voire début du XIII en Allemagne ;
Jeu des troubadours, dans le midi /Occitanie (origine limousine ,) trouvères dans le nord, Minnesanger en Allemagne.
Les cours d’amour avec une juridiction des dames a-t-elle vraiment existé ? Des textes on été retrouvés dans l’ouvrage De arte Armandi d’André le Chapelin concernant entre autre Éléonore d’Aquitaine , épouse d’Henri Plantagenêt futur roi d’Angleterre .
Plusieurs femmes auraient ainsi participé à ses juridictions de casuistique amoureuse ; Les termes de ces textes sont extrêmement précis avec une connotation d’idéal à poursuivre, de conduite typifiée . C’est une Poésie qui se développe en langue vulgaire autour de différents thèmes avec un récurrent qui serait celui du deuil et même un deuil jusqu’à la mort . Une caractéristique de l’amour courtois est d’être une scolastique de l’amour malheureux . nous y trouvons les règles des échanges entre partenaires et pour obtenir les valeurs de la Dame . Dans une période historique où la libération de la femme ne semblait pas d’actualité …et où elle était plutôt un corrélatif des fonctions d’échange social, un support d’un nombre de biens et de signes de puissance . Aucune place n’est laissé à sa personne propre excepté dans le domaine religieux.
C’est donc dans ce contexte que surgit cette fonction du poète de l’amour courtois ,
Le premier des troubadours est Guillaume de Poitiers ,comte de Poitiers, duc d’aquitaine et au passage un fort redoutable bandit ;Mais à partir de certains moments il devient poète de cet amour singulier. Lacan indique quelques lectures pour approfondir cette question de l’amour courtois qui était un exercice poétique, une façon de jouer avec des thèmes idéalisant qui ne pouvaient avoir aucun répondant concrets réel à l’époque où ils fonctionnaient ;
La question de la parenté de l’amour courtois avec une forme mystique ou de source religieuse a été mise de coté rapidement .
Ici l’objet, est la Dame à laquelle le troubadour se voue quel que soit sa position sociale Nobles ou comme Bernard de Ventadour le fils d’un servant du château .
L’inaccessibilité de l’objet est posée là comme principe . Présupposé d’une barrière qui l’entoure, l’isole. Cet objet La Domnei ,souvent appelée » mi dom » mon seigneur donc masculinisé . Cette dame se présente avec des caractères dépersonnalisés ; l’objet féminin dans ce champ poétique est vidé de toute substance réelle .La personne est transformée en une fonction symbolique . (signifiante)
Lacan précise son propos en se référant à ce point central où ce que demande l’homme c’est d’être privé de quelque chose de réel, Cela fait apparaitre une zone de vacuité ; cette vacuole crée au centre du système des signifiants pour autant que cette demande est ce qui est essentiellement lié à cette symbolisation primitive qui est toute entière dans la signification du don d’amour .
Ce que la création de la poésie courtoise tend à faire c’est à situer à la place de la chose et selon le mode de la sublimation qui est celui propre de l’art , cet objet affolant, pour citer Lacan, partenaire inhumain car jamais la dame n’est qualifiée de telle ou telle vertu ;Elle est arbitraire et cruelle dans ses exigences . .Cela se repère bien dans les romans de Chrétien de troyes.
L’anamorphose va ici nous servir, ns dit Lacan à percevoir la fonction narcissique en nous indiquant de quelle fonction du miroir il s’agit.
Le miroir remplit un rôle de limite , qu’on ne peut franchir et rend ainsi l’objet inaccessible. Objet séparé de celui qui se languit de l’atteindre .
Lacan évoque le caractère de détour de la sublimation ,mais qui n’est pas celui dont parle Freud quand il est destiné à satisfaire au principe de réalité ; Il fait apparaître cette vacuole qui entoure l’approche de la Dame, la série des obstacles , les médisants ,le secret( LA Dame n’est nommée que par un terme intermédiaire le Senhal qui sera par exemple « Bon voisin » par G. de Poitiers.) ici le détour en question est celui au travers duquel s’élabore , se projette ce qui se présente comme une certaine transgression du désir
Là apparaît ce que Lacan nomme « la fonction éthique de l’érotisme » avec une technique de la retenue, le plaisir de désirer, valorisant les plaisirs préliminaires avant cet énigmatique Don du merci .
(La genèse de l’instauration idéalisante de l’objet féminin serait dans le texte d’Ovide « L’art d’aimer »)
Pour Lacan , L’amour courtois a été créé à peu près comme ce fantasme que vous voyez surgir au sein de la seringue; il fait ici référence à cette technique de l’anamorphose avec cette forme montante et descendante que prend l’image dans cette sorte de seringue qu’il compare à une sorte d’appareil à prise de sang du Graal en sachant que précisément le sang du Graal est ce qui manque dans le Graal .
IIl finit la leçon sur un poème de Paul Éluard dont le chant poétique souligne cette frontière, cette limite que Lacan tente de nous permettre de localiser et de sentir .


Sur ce ciel délabré, sur ces vitres d’eau douce
Quel visage viendra, coquillage sonore,
Annoncer que la nuit d’amour touche au jour,
Bouche ouverte liée à la bouche fermée ;

Leçon XII

Pierre Kaufman, chroniqueur à la revue Combat et assistant de philosophie à la Sorbonne (psychanalyste à l’école freudienne de paris) va reprendre l’article de Bernfeld paru en 1922 dans Imago ; Lacan l’avait évoqué dans la leçon précédente .Cet article se situe donc avant l’élaboration freudienne sur l’idéal du moi .
Bernfeld apparaît comme un lecteur et commentateur de Freud et il va porter son analyse sur le rôle de l’idéal du moi dans la sublimation.
Pour lui, cette notion de sublimation a été forgée par la psychanalyse et transmise à la psychologie, particulièrement celle de l’enfant. Or cette assertion est contredite à la lecture des Trois Essais sur la sexualité où Freud dit qu’il l’a emprunté à la sociologie avec une référence à trois auteurs TIering, Vierkandt et Simmel.
Ce dernier apparaît comme un précurseur de la doctrine freudienne de la sublimation à la lecture de son ouvrage paru en 1900, intitulé « Philosophie de l’argent ».
Simmel relie le problème de la signification de l’argent au problème de la satisfaction du besoin, de la distance à la chose et enfin de la sublimation . Ce dernier terme est évoqué à propos de la mise à distance de l’objet ; Il y aurait une constitution d’un objet indépendant du moi, à distance du moi qui correspondrait à une atténuation des affects du désir. Cette distanciation de l’objet va produire une séparation entre le sujet et l’objet, une coupure qui va faire apparaître une signification propre au moi et une signification propre à l’objet. D’où l’introduction du terme sublimation qui se trouve associé à l’idée de distance .Dans l’art, nous retrouvons ce rapport de distanciation où se trouve le moi vis à vis d’un objet distant.
Revenons à Bernfeld et comment celui-ci présente la sublimation d’après ce qu’il pense de l’élaboration Freudienne.
-Elle serait un destin que la pulsion sexuelle doit subir en raison du déni extérieur ou intérieur de son but (référence à Léonarde de Vinci, à l’Introduction au narcissisme et aux Trois Essais)
-Ce destin spécifique s’accomplit dans la mesure où il intéresse la libido objectale ; La pulsion se déplacerait sur un but autre, éloigné de la satisfaction sexuelle, ; L’accent est mis sur le fait qu’il se détourne du sexuel .
Puis une question se pose sur l’interprétation de la notion de sublimation à travers deux textes de Bernfeld
Dans l’article « Le Gauchissement de but de la pulsion du sexuel définit donc la sublimation « l’origine en serait dans le moi idéal
Dans Imago , il n’est plus dit qu’elle s’origine dans le moi idéal mais qu’elle peut être excitée, stimulée.
Qu’en saisir ?
Que La sublimation reposerait sur l’accord qui s’établirait entre la libido objectale défoulée d’une part et d’autre part les buts du moi c’est à dire la part qui revient au moi dans la sublimation.

Bernfeld va prendre des exemples dont le premier est la création poétique d’un adolescent entre 13 et 19 ans : ballades, poésie lyrique issue de sa vie personnelle, drames, autobiographie…Le commentaire général est qu’avant 14 ans et demi la situation est dominée par le complexe de castration, puis avec la puberté se produit une tentative de choix d’objet par rapport à une imago maternelle .A 15 ans se produit le refoulement des composantes sensibles en vertu d’une réanimation régressive du complexe d’Œdipe et ce phénomène culmine entre 16 et 17 ans.
La question étant avec quelle énergie le poète écrit-il ?
Dès le départ l’accent est mis sur le moi idéal avec une libido objectale d’abord réprimée avec le refoulement des objets sexuels mère et sœur ; ces buts refoulés sont présents dans les rêveries et non dans les poèmes ;
Ensuite la libido sera défoulée et ce seront ses sentiments issus de son amour pour une jeune Melitta qui seront la source de ses poèmes.
Puis un 3eme temps où la libido est à nouveau refoulée et en partie mise au service du moi idéal et de ce qu’il appelle les buts du moi. Et là se caractériserait la production artistique.
L’énergie est celle de la libido objectale qui n’est plus refoulée et qui est détournée de son objet.
Lacan souligne que l’amour enfantin pour Melitta se ressent d’un processus de refoulement et ce qui ne tombe pas sous le coup de ce processus, cette part « inaccessible » passe sur le plan de la sublimation .Une partie refoulée, une partie sublimée.
Finalement pour Bernfeld , il y aurait un accord entre un défoulement de la libido et les buts du moi dans le cas de la sublimation et c’est ce qui la différencierait de la formation réactionnelle .
Lacan va souligner à la suite de Freud que la sexualité est là chez le jeune enfant, avant la période de latence et que la question de la sublimation se pose donc plus tôt ; ce que Bernfeld sous valorise en mettant l’accent sur le passage à la puberté .
D’où la place décisive de Das Ding autour de laquelle doit s’articuler la définition de la sublimation,
Il poursuit avec la notion de distanciation amenée par Simmel et d’un objet comme ne pouvant être atteint. Or ce qui ne peut pas s’atteindre dans la Chose c’est justement la chose et non un objet.
Pierre Kaufman fait remarquer que dans sa définition de la sublimation Bernfeld exclue toute référence à l’évaluation sociale ou à une notion de valeur.
Pas de référence, non plus au principe de réalité et à l’analyse qu’en fait Freud quand il dit que l’art est un retour à un nouveau type de réalité ; réalité d’un manque et non celle d’un plein.
Un deuxième exemple donné par Bernfeld sur un groupe de jeunes juifs de 14 ans qui montent une association scolaire, finit de démontrer les deux pôles de sa conception de la sublimation :
-Ou la pulsion n’arrive pas à se satisfaire et cherche une voie le lui permettant --Ou le moi est trop faible et il fait appel à la libido objectale
Et c’est entre ces deux limites qu’il situe son analyse de la sublimation artistique et de la sublimation sociale.

Lacan termine la leçon sur ce quelque chose qui se situe entre une éthique freudienne et une esthétique freudienne.
L’éthique freudienne est là pour autant qu’elle nous montre qu’une des phases de la fonction de l’éthique est par quoi l’éthique nous rend inaccessible cette chose qui l’est d’ores et déjà.
Et L’esthétique freudienne nous la montrerait, cette chose, inaccessible
Là vient s’articuler le problème de l’idéalisation avec le surgissement du type idéal, comme nous l’avons vu s’ébaucher autour de la sublimation de la morale courtoise.


Isabelle Pagnon pour  la leçon13  (résumé de l'ALI )

Lacan dans les chapitres précédents, a longuement parlé de la sublimation, des liens avec l’idéalisation. Il évoque les paradoxes de la sublimation et du voile autour de la Chose : en particulier deux points :
• Le voile n’est pas obligatoirement sublime
• Le changement d’objet dans la sublimation ne fait pas forcément disparaitre l’objet sexuel. Celui-ci peut être mis en exergue à travers une œuvre d’art, même au prix d’une transgression de l’interdit.

Afin d’illustrer ces paradoxes, LACAN cite un poème de l’amour courtois d’un troubadour limousin, Arnaut DANIEL, célèbre pour avoir inventé un style poétique basé sur une certaine répétition. Ce poème déclamé en langue occitane est un « hapax » et se singularise des autres œuvres de l’amour courtois, par sa paillardise
Pour rappel, cet art de l’amour courtois comporte des règles précises (idéal de la Dame, inaccessibilité de la Dame en tant qu’objet sexuel, élévation signifiante de l’Amour porté à la Dame). Il implique toute une mesure de comportements qui tournent autour d’une érotique et de relation de service. Arnaut DANIEL pose le problème suivant à des compères poètes, RAYMOND et TRUMALEC. Une dame commande au poète de créer un message destiné à son chevalier afin de formuler une requête sexuelle. C’est un ordre qui doit mettre à l’épreuve la dignité de l’amour du chevalier pour elle. Et cet ordre c’est d’emboucher sa trompette. Le chevalier refuse, mais les autres poètes s’indignent. Comment refuser à la Dame un ordre ?
Arnaut DANIEL feint de prendre le parti du chevalier et raille la soumission de ses compères ; il prend plaisir à brouiller les perspectives .Il nous tend son miroir dans lequel le poète ne pourra qu’être vieux et blanchi avant d’accepter de pareilles requêtes. Son image vieillissante révèle t-elle comme dans une anamorphose, la fonction narcissique derrière l’artifice de la construction courtoise ?

Comme le dit LACAN dans le chap.11 « le miroir annonce une dimension destructrice et agressive de l’exaltation idéale visé dans l’amour courtois ; il remplit également un autre rôle celui de limite ».L’objet doit rester inaccessible, c’est même la seule organisation à laquelle le miroir participe. L’objet n’est pas seulement inaccessible, il doit être séparé de celui qui se languit d’atteindre l’objet, quitte à nous exposer avec crudité et comme par accident, la nature exacte de la trompette.
A ce passage là, LACAN fait allusion à un peintre célèbre.S’agit-il de Gustave COURBET et de son tableau « l’origine du monde » ou d’autres peintres qui ont réalisé des anamorphoses ?"
Dans le poème, le surgissement anatomique fait retentir également plusieurs niveaux de transgression d’interdit.
. Il y a transgression de l’intimité du lecteur mis en position de voyeur, qui est forcé à subir la perception par le poète, du fantasme de la dame.
Il y a transgression de l’intimité féminine réduite à un cloaque qui se vide. Tel l’exemple de la boite d’allumettes de Prévert (dans le chap. 9), la dame est rabaissée à une chose anatomique absurde dont le pouvoir copulatoire à l’instar du tiroir de la boite d’allumettes nous est exhibé. Le cloaque est élevé à la dignité de la Chose, dans un au-delà du principe du plaisir, pour le poète. Lacan nous rappelle la caractéristique de la Chose ; c’est ce qui du réel pâtit du signifiant.
Deuxième caractéristique de la Chose, celle-ci est voilée, de manière inhabituelle, par la trivialité de l’art oratoire du poète adressé au chevalier.

Mais quel est celui ou celle qui a le premier transgressé ? La dame n’a t’elle pas provoqué le poète en sortant de l’idéalisation et de la posture de douceur convenue et en faisant exprimer un besoin sexuel par le troubadour qui transgresse à son tour les règles ?
Autre transgression, la posture du chevalier dont le poète souligne l’absurdité voire le grotesque de sa soumission à l’idéal de la Dame, jusqu’à prendre peur quand celle-ci se dévoile..

Finalement quels sont les messages que nous fait passer le poète ?
Pour sublimer, il faut se rapprocher de la Chose, mais ne pas se confondre avec elle car il y a grand péril comme le souligne le poète
La sublimation permet la séparation d’avec l’image idéalisée de la Dame avec un brusque retournement et aussi avec une dimension de vengeance à la fin du poème qui rappelle en quelque sorte, les bons usages .Le poète est confronté à un dilemme : d’une part, son idéalisation de la Femme et d’autre part ce que la dame lui révèle de son désir. Il doit transgresser son art pour répondre à la commande et abolit ainsi une partie de lui-même et de son art habituellement doux. La sublimation est un carrefour où se conjoignent pulsion sexuelle et pulsion de mort
Le poète pourra t-il retrouver une autre voie sublimatoire d’inspiration, après avoir transformé l’objet en une Chose de manière aussi cruelle ?

Peut-être, s’agit-il d’une forme paradoxale de sublimation, un compromis pervers, à travers l’abaissement de l’autre ; l’abolition du sujet au regard du signifiant qui animait son désir, sous le regard du spectateur ?
Avec d’autres exemples poétiques, LACAN illustre « une sorte de topologie où se placent les phénomènes de la sublimation », un vide central autour de quoi se sublime le désir.
Dans un autre paragraphe du chapitre 13 , nous sommes confrontés après l’élan gaillard du poète, à l ‘ennui d’un catalogue linguistique très obsessionnel. Lacan fait commenter par Mme Hubert un texte de SPERBER qui est un psychologue linguiste de la fin du 19 ème siècle. Cet article. « De l’influence des facteurs sexuels sur l’origine et le développement du langage »se rapporte au problème du langage et à d’autres problèmes voisins à articuler avec la sublimation. Ce texte a fait débat avec la théorie du symbolisme de JONES. La question posée par JONES est la suivante. Peut-on considérer comme un équivalent de l’acte sexuel certains travaux primordiaux, par exemple les travaux agricoles, les rapports de l’homme à la terre ? Certains traits primitifs peuvent ils être rapportés au processus de symbolisation ? JONES réfute cette hypothèse.
Mme Hubert nous prévient que dans cet article, il n’est traité que la genèse du langage articulé, dans une intention de communication. Quels ont été les conditions préalables qui ont fait naître chez un individu sans parole, l’intention de communiquer avec un autre ? SPERBER en énonce six.
1. Premièrement, au moins deux individus participent à la situation
2. Au moins un individu, A, est en état d’affect, ce qui le mène au cri.
3. Certaines forces doivent entrer en jeu pour obliger l’individu B à réagir de façon régulière.
4. La réaction de B doit être souhaitable pour A, sinon A n’aurait aucun intérêt de provoquer la réaction de B par ses cris.
5. La situation doit se produire souvent, et rester la même.
6. La situation doit être simple pour établir un lien causal entre le cri et la réaction.
A la fin de cette énonciation, SPERBER ne retient que deux situations qui remplissent les 6 conditions préalables.
• Celle du nourrisson affamé, qui crie sans intention, et reçoit la nourriture de sa mère.
• La deuxième est le rapport sexuel où l’excitation du mâle se décharge par des sons auxquels la femelle réagit
SPERBER réfute la situation du nouveau-né car celui-ci ne crée pas son langage, il le reçoit des adultes.
Il termine sa démonstration par : il semble que les indices désignent la sexualité comme la racine la plus importante du langage.
D’autres questions suivent :
• Comment expliquer que le langage cherche à désigner des choses qui ont un rapport éloigné ou sans rapport avec la sexualité ?
• Comment les hommes ont créé un vocabulaire ?
Le développement linguistique suit pas à pas le développement culturel avec la formation de liens familiaux, sociaux et l’invention des outils ; Pour SPERBER, le travail des outils est en lien avec l’image de l’acte sexuel. Les tensions du labeur demandaient une décharge semblable à la tension sexuelle et à l’émission de sons .SPERBER illustre son propos par l exemple de différents travaux
• Les travaux agricoles avec les symboles phalliques de la charrue, du bâton, du pilon
• Les travaux qui consistent à couper avec des outils émoussés. Dans différentes langues, SPERBER dit retrouver des termes communs désignant couper avec un outil émoussé et coire .L’outil coupant est l’équivalent du membre viril, le creux obtenu correspondrait au sexe féminin.
• Les travaux de forage que SPERBER illustre par la manière primitive de faire du feu ; deux morceaux de bois sont utilisés dont l’un sert à percer l’autre avec des mouvements rotatifs.
SPERBER pose la question de l’utilité de créer des mots différents selon la spécificité du travail si la tension provoquée par le travail résultant d’une même source, la tension sexuelle.
Il résout ce problème par cette supputation. Celui qui a conçu le premier outil a créé un même mot pour désigner l’outil et le coït. Ce mot fut appris par la génération suivante avant la puberté, puis la signification s’est effacée pour cette génération qui n’a gardé qu’un sens figuratif. Le rapport étroit entre l’invention du langage et celle de l’outil lui semble plus convaincant que celle qui se base sur l’étonnement ou la terreur pour provoquer la première parole.
Il argumente son hypothèse par l’importance de la répétition qui permet de fixer dans la mémoire et de reproduire les premiers cris Cette condition de la répétition est remplie par les sons qui accompagnent le travail et qui ont engendré la parole. On en trouve la trace encore dans les chants qui accompagnent les travaux collectifs.
SPERBER se dit influencé par les travaux de Freud qui a insisté sur le rapport étroit des conquêtes de la civilisation et l’insatisfaction des pulsions sexuelles. Si celles-ci ont joué un rôle important dans le développement spirituel des hommes, SPERBER dit que c’est également vrai pour l’origine du langage. La plupart des sons n’aurait signifié qu’une seule et même chose : l’acte sexuel. Il poursuit sa démonstration par l’étymologie de mots. Des mots à signification sexuelle comme coït ou fout pour désigner le sexe féminin, dans les langues germaniques primitives, ont engendré une dérive de sens, toujours plus éloignés de leur signification primitive.

En conclusion, après le potier, LACAN convoque le trouvère et le linguiste sur la question du vide. Il continue d’élaborer une topologie que le concept de sublimation lui aide à cerner. Après l’articulation de l’insatisfaction de la pulsion sexuelle et de la sublimation dont l’amour courtois est le paradigme, ainsi que les phénomènes d’évidage de l’objet en Chose, il ouvre une réflexion sur la genèse du langage et du façonnage artisanal du signifiant. Comme il est dit précédemment par LACAN, il y a identité entre cette évolution du signifiant à l’image de la chose et cette introduction au réel d’une béance, ce dont le processus de sublimation participe.

Leçons 14 et 15 : Alain Harly  (résumé de l'ALI 14, résumé de l'ALI 15 )

Leçon 14

Je m’étais engagé à présenter les leçons 14 et 15, et cela tombe bien car elles sont liées par la question abordée , celle de la jouissance en tant que la religion en assure un certain traitement.
Il y a bien au début de la leçon 14 un commentaire à partir d’un article de Sperber qui avait été présenté à la leçon précédente qui porte sur la cause du langage qui ne manque pas d’intérêt mais sur lequel je fais l’impasse pour me consacrer à ce qui fait continuum entre ces deux leçons.
Lacan va reprendre ce qu’il a pu dire récemment à Bruxelles, invité par l’Université Catholique. Ce n’était pas le même public qu’à son séminaire parisien. Le fait qu’il s’agissait d’une université catholique l’a conduit à développer la notion et la fonction du père en regard de la religion.
La psychanalyse n’a pas à se tenir à l’écart de la question religieuse, c’est bien ce qu’avait fait Freud : L’avenir d’une illusion, Moïse et le monothéisme, Totem et tabou . Il ne s’agit pas seulement d’aborder ce domaine d’un point de vue historique, mais en tant qu’il concerne la subjectivité humaine, son rapport à la croyance, à la loi, à la jouissance.
La position du croyant est tout autre que celle d’une approche scientifique telle que la psychanalyse tente de soutenir. La démarche de Lacan a l’ambition d’aller au-delà des conceptions psychologiques, sociologiques, morales qui font le discours ordinaire la -dessus et d’y avancer un point de vue psychanalytique. Ce qui veut dire aussi du point de vue de la méthode d’être au plus près de comment les croyants peuvent dire leur position. Par exemple à lire l’Epitre de Saint Paul aux Romains , il y a cette indication remarquable que c’est la loi, la loi elle -même qui fait le pêché !
Lacan jubile en lisant cela : c’est si proche de son idée concernant les rapports de la loi au désir.
Une petite incise : on sait que Lacan avait une culture religieuse approfondie, et aussi un frère cadet Marc-François Lacan qui est entré dans l’ordre des bénédictins en 1929 et avec qui il a maintenu non seulement une affection profonde mais un échange soutenu sur la question de la vérité, du réel, du rapport à l’ autre. Ils ont mené l’un et l’autre par des chemins différents, une réflexion sur l’éthique.
Titre d’une conférence donné par Marc-François Lacan à Strasbourg en avril 1987 : « Une présence dont je peux jouir » ; il y énonçait ceci : une vie « ne serait plus une marche menant à un terme où elle cessera , mais la découverte d’un chemin où nous sommes appelés à demeurer et à demeurer en marche ».
Il a publié de nombreux articles dans le champ de la philosophie, de l’éthique, et de la théologie. L’essentiel de son œuvre a été publié sous la direction de Jacques Sédat : Dieu n’est pas un assureur, la vérité ne s’épuise pas, chez Albin Michel, 2010.

Lacan considère que ce ne n’est une raison suffisante pour les psychanalystes ne pas porter attention aux croyances religieuses sous prétexte que leurs références sont autres. Il y a bien d’autres savoirs que le savoir scientifiquement fondé. On peut bien admettre que la croyance est en elle-même une forme du savoir, même si elle n’est jamais sans une certaine ambiguïté. En effet le croyant en croyant qu’il croit témoigne d’un certain savoir : il croit le savoir.
Bien sûr Lacan va aussi se tourner vers Freud. Freud qui vis-à-vis de l’expérience religieuse une position très tranchée. Il faut dire qu’il n’avait aucune sensibilité de ce côté-là. Qu’il soit pris dans la culture juive est une chose, mais il se disait profondément athée.
D’une certaine manière Lacan a une position plus nuancée. On pourrait dire qu’il accorde une certaine transcendance à la lettre là où Freud estime que les écrits religieux sont lettres mortes. Néanmoins reconnait Lacan, sur la fonction du père en tant qu’elle au cœur de l’expérience religieuse, « Freud fait le poids ».
Et il nous invite à ouvrir son « Moïse et le monothéisme », l’ouvrage ultime de Freud, qui se situe dans le fil de la question du père, engagé dès son « Totem et tabou » et en quoi cette religion du père vient traverser toute notre culture.
Il situe le surgissement de la conception monothéiste à partir d’une atmosphère qui a pu être qualifiée de païenne, c’est à dite une situation culturelle telle que bien des choses vont venir faire signe d’un au-delà, faire signe d’une déité quelconque : une grotte, une source, une montagne, etc. Et aussitôt se dresse un mémorial, un temple, et un nouveau culte s’organise. Si bien qu’on assiste à une prolifération de Dieux. C’est une véritable pullulation si bien que l’espace de l’humain s’en trouve envahi et que pour s’en défendre il faut que se mettent en place des rituels, des tabous, des interdits pour que l’humain ne soit pas trop déborder, et qu’il conserve un peu de maitrise.
Toutes les religions de l’antiquité ont donné lieu à une profusion imaginaire des plus luxuriantes dans des styles les plus variés : héroïque, épique, vulgaire, tragique. Lacan souligne ici que toute ces fables sont marquées par un certain désordre. Les passions divines y sont bien souvent contradictoires, instables, incertaines, elles témoignent d’un certain anarchisme dans les sphères divines. Sans doute qu’on s’amuse, qu’on y rit comme dans l’olympe grec, mais tout cela finalement donne de la vie des Dieux un caractère bien dérisoire.
Alors en face de cela, il y a le message monothéiste que Freud va identifier à Moïse, au personnage probablement historique, mais aussi bien mythifié, au point d’ailleurs qu’il n’y aurait pas un Moïse mais deux. L’enquête de Freud le conduit en effet à faire l’hypothèse d’un Moïse égyptien (la fuite d’Egypte, le passage de la mer rouge ) et d’un autre Moïse dit le Médianite ( le buisson ardent, les tables de la loi). Il faut dire que l’Ancient Testament n’est pas d’une seule plume, qu’elle raconte des époques bien éloignées, que selon les livres les intentions sont diverses : chroniques historiques, textes législatifs, propos dogmatiques, écrits poétiques.
Alors on peut dire que Freud tranche dans tout cela, et qu’il propose une lecture qui tente de cerner l’essence du monothéisme et la fonction du père qui la structure.
Deux Moïse donc pour Freud. Le Moïse égyptien, le grand homme, le législateur, le politique, le rationaliste dont l’ apparition historique est à dater du 14 -ème siècle av. J.C. C’est lui qui va transmettre la religion d’Akhenaton qui s’ordonnait selon une fonction unique symbolisé par le soleil. Freud y voit la première vision scientifique, rationaliste du monde. Le réel serait ainsi considéré dans une conception unitariste. Comme l’on sait, ce premier monothéiste égyptien a été abandonné dès la disparition d’Akhenaton.
Et pourtant cette conception d’un monothéisme rationaliste va perdurer grâce à ce Moïse dont le récit biblique va garder la mémoire comme étant celui qui va à partir d’un petit groupe fuyant l’Empire égyptien fonder une communauté sur les bases de ses principes. Sans doute peut admettre Freud que ce Moïse avait quelques dons de magicien qui a su impressionner, mais c’est secondaire. L’important c’est qu’il a orienté ce peuple vers cette conception monothéiste.
Il fait donc l’hypothèse d’un deuxième Moïse dit le Midianite et qui a été confondu par la tradition avec le premier, et pas pour rien. C’est le Moïse du Sinaï et de l’Horeb, c’est celui qui voit surgir le buisson ardent et qui entend une parole, celle du Dieu qui parle, qui va énoncer (je passe sur les question de traductions ) : « Je suis ce que je suis ».
C’est donc un Dieu de la parole, mais c’est aussi un Dieu caché, un Dieu inaccessible. Quand les tables de la loi sont transmises, le peuple doit se tenir à l’écart. Il y a une limite à ne pas franchir entre le monde humain et celui de Dieu.
Lacan se pose la question de savoir en face de quoi ou de qui Moïse se trouvait quand il est devant le buisson ardent et il en vient à conclure à ceci : Ce buisson ardent, c’était la Chose de Moïse, c’était das Ding.
Freud n’a pas abordé le problème de la même manière : son hypothèse, c’est que Moïse l’Egyptien a été assassiné par son peuple qui était irrité contre lui à cause de la rigueur de cette loi du principe monothéiste.
Et pourtant par la suite, par un retour de ce qui avait été refusé, ce peuple s’est tourné vers ce Dieu unique, s’est voué à lui, et a suivi les observances sur un mode encore plus rigoureux. Ce qui alla de pair avec un colonialisme impérialiste sur toute cette région de Canaan.
Nous avons donc pour Freud une dissociation entre un Moïse rationaliste et un Moïse obscurantiste et inspiré. Le message du premier sera transmis dans l’obscurité car le meurtre du grand homme sera camouflé, ou plus précisément refoulé. Et comme toujours avec le refoulement, il y a des retours des éléments refoulés. En effet ce meurtre va se répéter, va se rejouer avec le Christ et sa mise-à-mort. Ce qui n’est pas sans résonner avec les temps préhistoriques et le meurtre inaugural de l’humanité : celui du chef de la horde, celui du père primitif, l’Urvater.
Ce qui peut paraitre audacieux dans cette construction freudienne, c’est comment la mort du Christ, la mort du fils viendrait faire rédemption, viendrait racheter la faute originelle, celle du meurtre du père par les fils ; l’argument de Freud c’est dire que du même coup elle vient avouer le crime primordial, et plus pertinemment révéler comment la loi primitivement a pu se mettre en place ensuite.
En matière d’histoire des religions Freud soutient donc un point de vue tout à fait original. Dans cette affaire de la loi morale il estime donc que l’aventure a trouvé son achèvement dans le judéo -christianisme. Les autre religions (Bouddhisme, et autres) sont restées à mi-chemin, elles n’ont pas poussé jusqu’au terme de ce que réussit la rédemption chrétienne.
On peut s’étonner de ce singulier christo-centrisme chez Freud. S’il pousse son hypothèse aussi loin, c’est qu’il y a à cela quelques raisons, suppute Lacan.
De cet étonnement, Lacan en tire l’indication que pour que la loi soit transmise, il faut en passer par ce tragique-là, par le meurtre de ce personnage puissant et re-douté. Bien sûr, c’est douteux ironise t-il ! Mais l’important c’est la structure du mythe que cela déploie. Une fois cet acte accompli, nous avons un consentement à la loi. L’ambivalence dans la relation du fils au père va faire qu’une fois tué, la dimension d’amour du père fait retour, et que du coup la loi qu’il avait promue se trouve acceptée et même aggravée dans sa rigueur.
Nous avons là un mystère, une faille qui s’ouvre dans la pensée ; car comment comprendre que le meurtre du père n’ouvre pas la voie vers la jouissance ? Et qu’au contraire elle en renforce l’interdiction ?
Sans doute que le mythe freudien, peut -être le seul mythe de l’époque moderne, donne une représentation de ce mystère, nous indique comment dans cette affaire de jouissance et de loi, il y a une faille. Dans « Malaise dans la civilisation » Freud souligne bien ce fait d’observation clinique qu’à se soumettre à la loi morale, les exigences du surmoi s’en trouve renforcées. Dans le sens contraire, quiconque s’avance sur la voie d’une jouissance sans frein avec un rejet de la loi morale, va trouver bientôt les obstacles les plus sévères. (cf la clinique des toxicomanies).
Alors je formulerai la question de cette manière : comment accéder à une jouissance qui serait vivable ? A vouloir interdire tout accès à la jouissance cela conduit à une issue tragique ; Et qu’à vouloir ne pas l’interdire, l’issue est tout aussi périlleuse.
La loi serait-elle ce qui rend la jouissance vivable en la modérant ? C’est me semble t-il la suggestion de Freud. C’est la voie aussi où le névrosé je dirai exagère dans ce sens de la modération, qu’il en règle comme dans l’hystérie par diverses manœuvres inconscientes l’ insatisfaction, ou qu’il pose à l’ avance l’échec d’une quelconque mise en œuvre de ce désir comme chez l’ obsessionnel.
Cet idéal freudien, « tempéré d’honnêteté patriarcale », est pour Lacan une solution qui n’est pas incompatible avec l’éthique à Nicomaque d’Aristote, ou pour le dire en d’autres termes reste quelque peu névrotique.
Alors ne faut-il pas une certaine forme de transgression pour accéder à cette jouissance ? Ce qui semble en tout cas assuré pour Lacan, c’est que la loi sert à donner appui à la transgression. De ce point de vue il est très paulinien.
Il fait aussi cette puissante remarque, que le mythe freudien, toute cette histoire d’une loi qui se génère à partir du meurtre du père est le mythe d’un temps pour qui Dieu est mort. Et d’ajouter que si Dieu est mort, c’est qu’il l’est depuis toujours. Ce Dieu-le-Père qu’il faut d’après le commandement aimer, cela n’a jamais été autre chose que la mythologie d’un fils.
Si Freud interroge et articule ce commandement de l’amour du père, il est abasourdi par celui d’aimer son prochain. C’est là que la spéculation de Freud s’arrête faute sans doute d’une notion qui qui lui aurait permis de dire la fonction de cette faille dans l’exercice de la jouissance.
Lacan va proposer d’autres piste dès la leçon suivante.

***

Leçon 15

Freud quand il aborde la question du sentiment religieux va s’arrêter longuement sur le commandement de la loi hébraïque « tu aimeras ton prochain comme toi-même ». C’est un propos grinçant, et pourtant on l’oublie. Lacan revient là-dessus.
Pour Freud Dieu est mort, ce qui veut dire qu’il l’est depuis toujours ; et pour cela qu’il a pu apparaitre comme toujours vivant, ressuscité, surgissant du vide laissé par sa mort. (On pourrait ajouter : En d’autre terme, parce que Dieu, c’est du Réel, mais c’est faire usage d’une théorisation ultérieure )
Le Dieu unique de la tradition juive est issu de la terre d’Egypte, au cœur de ce panthéon, de cette pullulation de Dieux ; Le pharaon Akhénaton a promu ce Dieu Un, que le soleil se prêtait bien à symboliser.
Cela ouvrait la potentialité d’une pensée qui puisse régler l’ordre du réel. Une science s’est élevée sur cette croyance qui exprime que le réel est rationnel et tout le rationnel est réel.
Remarque : Cette formulation de Lacan est en fait empruntée à Hegel avec cependant un certain forçage dans la traduction : « Ce qui est rationnel est effectif (wirklich) et ce qui est effectif est rationnel ». Le terme wirklich peut se traduire par effectif et par réel . Le statut du Réel n’est pas encore pleinement élaboré par Lacan à cette époque.
C’est aussi ce message que le peuple juif a transmis, tout en reproduisant le meurtre archaïque du père de la horde. Et c’est même en tant que ce meurtre a été oublié, à été refoulé, que le message en a perduré. Ce Dieu-symptôme s’appuie donc sur un mythe et Freud souligne qu’il a pu véhiculer la notion d’un « Dieu de vérité ». Comment se fait-il que cette notion soit advenue ? Et bien avance Freud, la vérité en question, c’est qu’il a été tué par les hommes, et que la religion monothéiste va être générée par une répétition, par la reproduction de ce meurtre.
Freud ne néglige ni la dimension symbolique du père ni le père réel.
La reconnaissance de la fonction paternelle est dans l’histoire humaine de l’ordre d’une sublimation. C’est là un point essentiel pour ouvrir à une spiritualité.
Dans l’histoire d’un sujet, il est aussi souhaitable qu’il y ait un « bon père », et l’amour pour ce père a un rôle essentiel dans la normalisation du désir humain. La vérité sur ce bon père c’est qu’il est boiteux comme dans le mythe d’Œdipe.
Ils ne le savaient à l’époque, mais dans notre temps, tout le monde le sait que le père est boiteux. Pour porter à quelques conséquences, il ne suffit pas que cela se sache, encore faudrait il que cela soit articulé.
Freud à été le premier à démystifier cette fonction du père. Il n’a pas pu être un si bon père dans sa vie familiale, il s’est contenté d’être un bourgeois uxorieux d’après Jones. Là où il a assuré cette fonction c’est en tant que père de la psychanalyse. Dommage semble dire Lacan qu’il a laissé la psychanalyse aux mains des femmes et des maitres-sots. Par femme il entend des êtres pleins de promesses et par maitre-sots les intellectuels.
De nos jour l’éthique n’est pas séparable d’une idéologie, d’un sens politique ; Et Lacan il va renvoyer dos à dos d’une manière bien spirituelle mais avec la plus vive férocité l’intellectuel de gauche et l’intellectuel de droite. L’intellectuel de gauche, il le rapproche du foal dans le théâtre élisabéthain, c’est le bouffon, c’est-à-dire qu’il lui arrive de dire des vérités. L’intellectuel de droite est du style knave, c’est-à-dire du coquin fieffé, en d’autre terne d’une canaille.
Dans les groupes constitués par ces figures, on aboutit à un curieux chiasme. Dans le style de l’intellectuel de gauche cela donne une canaillerie collective, avec cette tranquille impudence de pouvoir exprimer des vérités héroïques sans vouloir en payer le prix. Quant à l’idéologie de droite si désespérante, la constitution des canailles en troupe aboutit à tous les coups à une sottise collective.
Freud n’était pas un bon père mais ce n’était ni une canaille ni un imbécile, c’était un humanitaire ; Pourtant il était peu optimiste sur un progrès possible de l’humanité et sur les perspectives ouvertes par les masses.
Un de ses patients et ami, via un rêve formule à son égard cette question : « Mais que ne dit -il le vrai sur le vrai ? » C’est une impatience exprimée par beaucoup. De dire le vrai sur le vrai est une préoccupation de métaphysicien, ce qui conduit souvent vers une certaine canaillerie. Lacan se contente de dire le vrai au premier niveau, d’aller pas à pas, de ne pas conclure. D’en rester à un mi-dire.
A suivre Freud dans le Malaise dans la civilisation, la jouissance est un mal dans la mesure où elle comporte le mal du prochain. Cette assertion peut choquer, heurter les belles âmes, on n’y peut rien. C’est l’expérience de la psychanalyse qui l’a conduit là et c’est ce qu’il va articuler dans l’ Au -delà du principe de plaisir. Ceux qui préfèrent les contes de fées font la sourde oreille à cette tendance de l’Homme à la méchanceté. Freud ne se contente pas d’une vague allusion, il insiste sur ce point : « l’ homme essaie de satisfaire son besoin d’agression aux dépends de son prochain, , d’exploiter son travail sans dédommagement, de l’ utiliser sexuellement sans son consentement, de s’approprier ses biens, de l’ humilier, de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de le tuer. » On pourrait croire lire du Sade !
Dans le Malaise… le problème du mal est repensé en regard de l’absence de Dieu alors que la plupart des moralistes traditionnels éludent cet aspect pourtant prégnant dans l’histoire de la civilisation. Ce sont les mêmes qui se persuadent que le plaisir est un bien, que la voie du bien est indiquée par le plaisir, opinion à vrai dire largement partagée alors que tout un chacun va admettre qu’il y a quelque chose qui cloche dans cette croyance.
C’est très précisément ce que Freud prend en compte quand il formule que le plaisir a un au-delà. Ce principe de plaisir, du moindre pâtir est justement fait pour nous tenir en deçà. C’est-à-dire que la fonction du plaisir, c’est de nous tenir éloignés de notre jouissance qui se situe au-delà du plaisir.
L’expérience nous apprend que du plaisir à la jouissance, il n’y a qu’un pas. Qui pourrait prétendre qu’il n’a pas céder au nom du plaisir vers sa jouissance ? La morale de la tradition philosophique retient ce principe hédoniste dans la promesse du bien, mais elle ne dit rien en quoi consiste ce Bien, ce qui est une belle escroquerie.
Freud sur ce point est d’un apport décisif qui pourrait nous ouvrir la voie à une éthique renouvelée par la psychanalyse. Pourtant il va être arrêté par ce commandement « tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Comment donner son amour à quiconque se présente ?
Mais en fait il n’est pas en mesure d’articuler cette question car il lui manque justement la notion de jouissance. Il va bien admettre que ce qui l’horrifie dans ce commandement c’est cette méchanceté foncière dans ce prochain, il ne saurait donner son amour à quiconque se présente. Il peut admettre des exceptions quand ce prochain est en lien avec un ami, mais alors ce n’est plus un quiconque.
Tout ceci est bien sensé apprécie Lacan, avec une petite pointe d’ironie il me semble, mais Freud manque là un plein accès à la question de la jouissance, car bien sûr cette méchanceté est dans ce prochain, mais elle est tout aussi bien en nous-même. Or qu’est ce qui est le plus prochain en moi-même sinon ce cœur qui est celui de ma jouissance ? Et c’est bien là ce que je n’ose approcher.
Si je m’en approche, alors surgit une insondable agressivité qui va le plus souvent se retourner contre moi, ce qui m’empêche de franchir une certaine frontière à la limite de la Chose.
Tant qu’il s’agit du bien, pas de problème, le bien ou celui de l’autre, c’est comme le manteau de Saint Martin, c’est de la même étoffe. On est au niveau du besoin primaire qu’il y a à satisfaire. Cependant la bienfaisance en se rabattant sur l’ordre de l’utile rate la question du désir. Qui nous dit que le mendiant de St Martin n’aurait pas voulu être baisé ou tué ?
On imagine facilement les difficultés de l’autre en miroir des siennes. C’est une conception piégeante qu’on retrouve dans l’utilitarisme de Jérémy Bentham.
Incise : L’utilitarisme est une doctrine en philosophie politique ou en éthique sociale qui prescrit d'agir de manière à maximiser le bien-être collectif, entendu comme la somme ou la moyenne de bien-être de l'ensemble des êtres sensibles. L'utilitarisme est une théorie qui évalue une action ou une règle uniquement en fonction des conséquences escomptées.
En tant que doctrine, elle est qualifiée d'eudémoniste, mais à l'opposé de l'égoïsme, l'utilitarisme insiste sur le fait qu'il faut considérer le bien-être de tous et non le bien-être de l'acteur seul.
Elle se distingue donc de toute morale idéaliste, plaçant la raison à la source des actions, ou encore de toute morale rationnelle telle que celle de Kant.
L'utilitarisme se conçoit donc comme une éthique devant être appliquée tant aux actions individuelles qu'aux décisions politiques et tant dans le domaine économique que dans les domaines sociaux ou judiciaires.[ source : Wikipédia]

Lacan fait ici la remarque critique que mon bien ne se confond pas avec celui de l’ autre. Le principe du maximum de bonheur pour le plus grand nombre ne heurte pas mon égoïsme. Mon égoïsme est bien compatible avec un certain altruisme, surtout si celui-ci se place au niveau de l’utile. C’est un bon prétexte pour éviter le problème du mal que je désire et que désire tout autant mon prochain. Pas étonnant que tout le monde soit malade ! Cela nous renvoie à la question de la psychosomatique que nous évoquions il y a peu.
Le piège est celui de l’imaginaire même si comme dans l’économie politique de Jeremy Benthan on vise à une rationalité du bien -être. [N’est ce pas un discours bien actuel ? ] Mais remarque Lacan ce que je veux comme bien pour l’autre , c’est à l’image du mien. Et plus je veux ce bien de l’autre, plus je fais le sacrifice du mien. En fait cet amour du prochain vient masquer la question de la jouissance de la jouissance nocive, celle de l’autre comme la mienne.
Les mystiques pourraient nous enseigner par leurs exploits vers ce lieu de la Chose innommable : cf Angèle de Foligno qui buvait avec délice l’eau dans laquelle elle venait de laver les pieds des lépreux, Marie Allacoque qui mangeait dans une effusion spirituelle les excréments d’un malade. Dans ces faits édifiants, ce qui est voilé, c’est la dimension érotique.
Nous sommes là aux portes de l’enfer intérieur, c’est-à-dire à celles de l’accès au problème de la jouissance. Lacan va convoquer Sade pour nous éclairer là-dessus, moins pour son érotique qui est assez pauvre que pour son articulation au problème éthique.

Avant d’aller par-là, ce qu’il fera la leçon suivante, il nous invite à consulter avec cette même question Emmanuel Kant.
En effet Kant a pour ambition de démontrer « la valeur et le poids de la loi comme telle ». Il s’agirait de les démontrer par les moyens de la pure raison, en dehors de toute affect, de toute pathologie comme il l’énonce, de toute subjectivation dira-ton. Lacan se propose de nous donner une idée de sa spéculation, et pour ce faire, de rappeler deux historiettes que Kant a utilisées à des fins de démonstration.
La première ( H1) est celle d’un personnage qui veut aller trouver la femme qu’il désire illégalement ; à la sortie il sera exécuté.
La deuxième (H2), c’est à la cour d’un despote où quelqu’un est mis dans la posture suivante : il devra porter un faux -témoignage contre quelqu’un qui y perdra la vie. S’il s’y refuse, il sera lui-même exécuté.
En homme de bon sens, [ là encore indice d’une certaine ironie, pour un penseur de la plus grande envergure !] Kant dans la première histoire dit qu’en somme personne ne sera assez fou pour aller passer une nuit avec la dame dans ces conditions, avec ce risque vital.
Et la deuxième, il pense que la situation est plus complexe. Quelque soit le risque majeur à prendre, on peut concevoir que le sujet puisse suspendre sa décision. Il pourrait même accepter la mort. Mais au nom de quoi ? Au nom estime Kant d’une règle morale, d’une maxime universelle : d’attenter aux biens, à la vie, à l’honneur est quelque chose devant quoi il va s’arrêter. Cette règle étant universelle, étant universellement appliquée, c’est aussi lui-même que cela va atteindre, et risquerait de le mettre dans le plus grand désordre moral. Il pourra finalement dire le faux -témoignage pour sauver sa vie, mais il aura hésité.
Ces exemples sont saisissants, et Lacan va faire une lecture critique des développements qu’en fait Kant.
Pour le premier, la nuit passée avec la dame présentée comme une promesse de plaisir est mise en opposition avec la peine qui en découlerait. En termes de plaisir, nous avons une évaluation entre un plus et un moins.
Mais si suggère Lacan la nuit avec la dame relèverait non du plaisir mais de la jouissance, alors la mort pourra fort bien à l’ horizon être acceptée. Ce qui annule la morale qu’en tire Kant, soit de ne pas prendre ce risque.
Il suffit en effet que la jouissance soit un mal pour que le sens de la loi morale proposé par Kant soit complétement changé. Dans ce cas la loi morale va plutôt servir d’appui à cette jouissance. C’est vers un plus de jouissance que notre homme va aller, soit finalement vers sa propre destrudo.

Dans l’autre exemple (H2), les conditions sont différentes. Alors que nous avions un choix entre plaisir et peine dans le premier exemple dans celui -ci nous avons plaisir ou peine.
Si je livre ce faux-témoignage, j’attente aux droits de l’autre en tant qu’il est mon semblable, je le conduis donc vers la mort et je sauve ma peau.
Si je me refuse à cela , alors la suite me sera fatale.
Il y a un dilemme que Kant pense résoudre en suivant la loi morale, loi fondamentale de la raison pratique qui se formule ainsi : « Agis de telle façon que la maxime de ta volonté puisse toujours valoir en même temps comme principe d’une législation universelle. »
En fonction de cette loi, bien qu’il y ait eu un débat intérieur, un cas de conscience, selon cette loi fondamentale, en tant qu’elle s’applique universellement en son principe, il s’agit de sauver sa peau comme le ferait quiconque et donc finalement de faire ce faux témoignage.
Comme le remarque pertinemment Alice Massat dans le commentaire de cette leçon ( voir sur le site de l’ALI ), la loi morale Kantienne conduit ici à un acte contraire à la loi biblique qui prescrit de ne point mentir et de ne pas faire de faux-témoignage. Nous avons donc opposition entre la loi dite divine et la loi humaine, opposition qui sera reprise plus tard avec Antigone, mais ce n’est pas le fil que Lacan suit dans cette leçon.

Il se livre là à une démarche astucieuse en proposant de changer l’histoire avec un vrai témoignage. Il y aurait bien un cas de conscience mais qui se présente tout autrement.
Imaginons que je suis mis en demeure de dénoncer mon prochain, mon frère pour activités subversives, l’accent mis par Kant sur la règle universelle est déplacé.
Si on admet qu’il n’y a de loi du Bien que dans le Mal, est ce que je dois porter ce témoignage qu’il s’agit d’un terroriste ?
Cette loi fait de la position de mon prochain, de la jouissance de mon prochain le point pivot autour duquel oscille à cette occasion du témoignage le sens de mon devoir.
Dois-je aller vers un devoir de vérité : « celui-là, mon frère pourtant, mon prochain est un être subversif », ce qui va préserver une place authentique à ma jouissance, même si elle reste vide ? Dans ce cas je pourrais reculer à trahir mon prochain pour épargner celui qui me ressemble, mon semblable ?
Ou bien dois-je me résigner à un mensonge : « non celui-là n’est pas un terroriste », alors que c’est parfaitement le cas ? Ainsi avec ce choix, cela me fait maintenir le Bien au principe de ma jouissance, je veux préserver mon frère, ce qui revient à m’abriter derrière mon semblable pour renoncer à mon devoir de vérité et à la jouissance qu’elle m’ apporte.

Lacan termine la leçon en nous laissant avec ce dilemme qui fait tourner la question éthique non avec le registre du Bien et du plaisir comme la morale traditionnelle s’y soutient mais avec celui du Mal et de la jouissance qui est celui qui nous est dicté par l’expérience de la psychanalyse.

Je dirais pour conclure que l’impasse de l’éthique kantienne, une éthique du temps de la science où l’idéologie dominante promeut que le réel est rationnel et que le rationnel est réel est exemplaire de l’errance du sujet moderne dans son rapport à l’éthique.


Leçons 16 : Eliette Lepitre
( résumé de l'ALI 16),

Pour la leçon 16, je remplace un peu au pied levé Michel Robin, qui se trouve empêché de participer.
Dans cette leçon, Lacan annonce d'entrée qu'il parlera de Sade. Ce sont là ses premières cogitations sur Sade. Il entend dissiper un malentendu: il ne s'agit pas de quelque chose d'intéressant dans un sens purement externe. Je cite: " Dans l'ordre de l'articulation du problème éthique, il me paraît que Sade a dit les choses les plus fermes, au moins concernant le problème qui se pose maintenant à nous."
Il enjoint les analystes commençant leur métier à se défier de la "pastorale analytique", pour ne pas la nommer confort intellectuel, dans la perspective des fins éthiques de la psychanalyse.
Ses considérations sur Sade constituent les prémisses du texte Kant avec Sade, dont les particularités de parution sont étudiées par Jean Allouch dans "ça de Kant, cas de Sade", dans les Cahiers de l'Unebévue.
Ce texte écrit initialement comme une préface à la "philosophie dans le boudoir" pour le Cercle du livre précieux devait être publié, ce qui n'a pas eu lieu, à une place de "critique littéraire". Lacan se démarquait ainsi de ce que la pastorale psy avait fait de Sade. Il s'agit d'un des textes les plus auto-cités de Lacan, d'où l'on peut conclure qu'il comptait beaucoup à ses yeux.
Lacan annonce que le paradoxe de la jouissance introduit sa problématique dans la dialectique du bonheur évoquée précédemment.
Pour mener à ce paradoxe, il prend le chemin de l'énigme de son rapport à la loi.
Freud le premier, dit-il, a donné droit de cité à un mythe qui vise directement le mort originel, il apporte cette réponse à quelque chose qui s'était formulé à notre époque comme la mort de Dieu, avec "Totem et tabou."
Après le meurtre du chef suprême et père, interdicteur de la satisfaction pulsionnelle, les fils pris de remords prescrivent le tabou de l'inceste et du parricide, qui fut le premier droit. La loi devient ce qui interdit la jouissance, mais aussi ce qui en montre le chemin.
Je cite Lacan:" Freud nous apporte une chose d'un poids inégalé qui change pour nous les problèmes de la position éthique à un point dont on n'a pas pris conscience".
La mort de Dieu et l'amour du prochain, avec le commandement: " Tu aimeras ton prochain comme toi-même" sont historiquement solidaires. Le commandement, sans détruire la Loi, se substitue à elle désormais comme l'unique commandement et la reprend, en même temps qu'il l'abolit. Il conserve ce qu'il détruit, et change de plan.
La résistance devant le commandement et la résistance qui s'exerce pour entraver l'accès à la jouissance sont une seule et même chose.
Dans "Malaise dans la civilisation", Freud se dit surpris et décontenancé par ce précepte d'allure si solennelle. Il énumère les cas où ce prochain mérite cet amour,mais, je le cite, " en général cet étranger a davantage droit à mon hostilité, voire à ma haine. Et réciproquement."
C'est au fond dire la même chose que: aime tes ennemis. Si ce commandement disait : aime ton prochain comme ton prochain t'aime, il ne contesterait pas.
L'homme n'est pas un être doux, mais compte une très forte part de penchant à l'agression . Il faut que la culture tienne en soumission ces manifestations par des formations réactionnelles psychiques. En dépit de tous ses efforts, elle n'a pas atteint grand-chose jusqu'ici.
Ce qui fut commencé avec le père s'achève avec la masse : la culture ne peut réunir les hommes en une masse intimement liée que par la voie d'un renforcement toujours croissant de culpabilité.
Le sentiment de culpabilité dans ses phases tardives coïncide avec l'angoisse devant le surmoi, et les religions surviennent avec la prétention de rédimer l'humanité de ce sentiment de culpabilité qu'elles appellent péché.
Lorsque l'autorité est intériorisée par l'érection d'un surmoi, la conscience morale se comporte avec d'autant plus de sévérité et de méfiance que l'homme est plus vertueux : les tentations ne font que croître par suite du renoncement pulsionnel, et on ne peut cacher au surmoi la persistance de souhaits interdits. L'empêchement de la satisfaction érotique suscite en outre une part de penchant à l'agression contre la personne qui trouble la satisfaction, cette agression elle-même doit nécessairement être à son tour réprimée, et elle est déférée au surmoi.
Je cite Freud : "L'éthique est à concevoir comme une tentative thérapeutique, comme un effort pour atteindre par un commandement du surmoi ce qui jusqu'ici ne pouvait être atteint par tout autre travail culturel. "
Le commandement est pour lui impraticable, une inflation aussi grandiose de l'amour peut seulement en abaisser la valeur.
A partir de là, je ne vous proposerai qu'un résumé en forme de paraphrase de la leçon.
Lacan se demande quelle est la nature de la jouissance de la transgression. On y voit opérer un risque pris où le sujet, s'en étant tiré, se trouve comme garanti dans sa puissance.
Vers quel but la jouissance progresse t-elle pour devoir prendre appui sur la transgression pour y arriver?
Si dans ce chemin le sujet rebrousse, qu'est-ce qui provoque ce retournement?
Sa réponse : l'identification à l'autre, soit l'altruisme. Nous reculons à attenter à l'image de l'autre parce que c'est l'image sur laquelle nous nous sommes formés comme moi. Ici est la puissance convaincante de l'altruisme, dit-il, et aussi la puissance uniformisante d'une certaine loi d'égalité. Tout ceci repose sur l'image de l'autre en tant que notre semblable.
Si l'interdiction de forger le Dieu des images a un sens, c'est que les images sont trompeuses. Elles sont toujours creuses. L'homme aussi, en tant qu'image, c'est pour le creux que l'image laisse vide qu'il est intéressant.
On peut se référer là aux premières leçons du séminaire, traitant de l'Esquisse, où est décrit quelque chose que le sujet intègre dans son système de représentations mais qui reste un tout cohérent, " un appareil constant qui reste ensemble comme chose ", qui échappe au principe de plaisir, immuable, irreprésentable, inassimilable, chose étrangère au sujet aussi bien que située en son coeur.
Sade est sur cette limite de l'image du semblable et de l'espace du prochain, en tant qu'il imagine de la franchir, qu'il cultive le fantasme sadique. Il nous montre l'idée d'une technique orientée vers la puissance sexuelle non sublimée, et les rapports de cette idée avec ce champ à explorer de l'accès au prochain.
Dans la théorie, il la franchit dans la doctrine de la jouissance de la destruction, du mal cherché pour le mal, de la croyance à un Dieu comme l'Etre suprême en méchanceté, dans ce qu'il appelle le système du Pape Pie VI, où il déploie une vision de la Nature comme d'un vaste système d'attraction et de répulsion du mal par le mal. Le procès de la démarche éthique étant pour l'homme de réaliser à l'extrême cette assimilation à un mal absolu.
En temps que nous sommes dans un jeu symbolique, questionne Lacan, est-ce que nous avons quelque chose à apprendre de celui qui s'avance dans un discours plus qu'atroce sur cet espace du prochain comme tel?
Les atrocités de Sade ont une face réaliste.
Pour Freud, dans "Malaise dans la civilisation", il n'existe pas de commune mesure entre la satisfaction que donne une jouissance à son état premier, et celle qu'elle peut donner dans les formes détournées selon les voies dans lesquelles l'engage la civilisation.
Sade est extrêmement conscient des conditions faites à l'homme noble de son temps, et les jouissances interdites par la morale reçue sont parfaitement accessibles et permises aux riches.
Où se situe l'oeuvre de Sade?
On y trouve dit Lacan une sorte d'absolu de l'insupportable de ce qui peut être exprimé par des mots concernant la transgression de toutes les limites humaines. Il y repère une sorte de défi à la sensibilité dont l'effet, obtenu sans art,est stupéfiant. L'ennui que génèrent dissertations et digressions n'est que la réponse de l'être à l'approche d'un centre de zéro absolu psychiquement irrespirable.
Il s'agit d'une littérature expérimentale, expérience qui arrache le sujet à ses amarres psychosociales, à toute appréhension psychosociale de la sublimation.
Sade a la prétention de valoriser socialement son extravagant système. Maurice Blanchot écrit, dans "Lautréamont et Sade " : " Sade a eu la hardiesse d'affirmer qu'en acceptant intrépidement les goûts singuliers qu'il avait et en les prenant pour le point de départ et le principe de toute raison, il donnait à la philosophie le fondement le plus solide qu'il pût trouver et se mettait en mesure d'interpréter d'une manière profonde le sort humain dans son ensemble. "
Ses aveux étonnants aboutissent à des contradictions multiples.
Il nous montre que quand on s'avance vers ce vide central, en tant que c'est sous cette forme que se présente à nous l'accès à la jouissance, le corps du prochain se morcelle, qu'apparaît dans la parole l'objet partiel, objet nécessairement à l'état d'indépendance.
Il énonce de la façon suivante la loi de la jouissance comme pouvant fonder un système de société idéalement utopique : " Prêtez-moi la partie de votre corps qui peut me satisfaire un instant, et jouissez, si cela vous plaît, de celle du mien qui peut vous être agréable ".
Cette "loi" est extraite de l'édition de " Juliette et les prospérités du vice " qui venait d'être publiée par Jean-Jacques Pauvert, il y est question d'une parité entre les partenaires qu'elle lierait. Dans le texte de 1963 de Kant avec Sade, c'est le tourmenteur qui parle, dans celui de 1966, c'est la victime, suivant en cela les évolutions de la théorie et l'invention de l'objet a.
Etrange incohérence aussi pour un auteur qui soutenait que rien de lui-même ne devait subsister, même la place de sa tombe, ce fantasme du caractère indestructible de l'Autre dans la figure de sa victime. La victime survit en effet à tous les mauvais traitements, elle ne se dégrade même pas dans son attrait voluptueux, suggérant l'idée d'un supplice éternel.
Sade, encore un effort pour être sadien ?


Leçon 17 : ..... ( résumé de l'ALI 17 )

Leçon 18 : Marie Christine Salomon Clisson

 Lacan, nous proposant ses catégories R, S, I, aborde la notion de « présence » en lien avec les rapports de l’hystérique au signifiant.

Pour lui, l’élaboration de la dimension éthique propre à l’analyse se réfère à la parole et au langage (conférence de 1953) et au désir et son interprétation (séminaire précédent), dans la relation transférentielle à Freud et en prenant appui sur les textes de ceux qui orientent son chemin. En effet, nous avons à choisir celui qui pourrait nous guider en nous indiquant une direction adéquate. Il s’agit de savoir s’en servir pour pouvoir s’en passer.

Lacan revient sur la confrontation des théories de Kant avec celles de Sade mettant en lumière la transgression qui est cette révélation du sens du désir comme tel. Nous aurons à distinguer, dans sa structure, le champ du désir de celui du besoin dont il n’est pas le surgissement.

Pour Lacan, Freud est un humanitaire mais pas un progressiste. Il étaye son propos en se référant à Marx (Les fondements de l’Etat bourgeois) pour saisir ce qu’est le progressisme et affirme que Freud n’est pas marxiste mais qu’il est sorti des préjugés bourgeois. Que dit Marx de l’état bourgeois ? Il donne la règle d’une organisation humaine fondée sur le besoin et la raison. Lacan relève l’insuffisance de cette solution qu’il qualifie d’abstraite et de dissociée et où les aspirations de Marx seraient celles d’un état où l’homme serait dans un rapport non aliéné à son organisation. Freud, lui aussi, pensait que raison et besoin étaient insuffisants pour saisir ce que serait une réalisation humaine.

En effet, poursuit Lacan, la fonction du désir est paradoxal dans sa structure : l’articulation signifiante est là dès le départ et c’est à ce niveau que s’articule l’expérience humaine. La structure est là, à l’état inconscient, avant la naissance de toute chose. C’est seulement dans un second temps que l’homme situe la fonction de ses besoins. Ce champ de l’inconscient, organisé logiquement, est à l’origine de cette « Spaltung » (division) qui va se maintenir et avec laquelle nous pourrons articuler la fonction du désir.

Nous rencontrons alors le problème de la jouissance qui est enfouie dans ce champ central, jouissance inaccessible et obscure. Elle n’est pas seulement la satisfaction d’un besoin, mais aussi satisfaction d’une pulsion. Elle ne se réduit pas à la tendance (au sens de l’énergétique), elle se spécifie d’une dimension historique. Cette pulsion est donc insistante car elle se rapporte à quelque chose qu’elle a mémorisé. La remémoration est coextensive de la pulsion et elle enregistre l’expérience de destruction comme telle, c’est la raison pour laquelle Lacan nous ramène à Sade.

Sade fonde ses théories en référence à celles du Pape Pie VI, ce que Lacan résume de cette façon : « C’est par le crime qu’il y aura de nouvelles créations de la nature ». Ce dont il s’agit, c’est que le souhait le plus profond du sujet psychique, c’est-à-dire le plus caché (pourrions-nous dire le plus inconscient ?) et qui concerne la Nature, ce serait quelque chose qui lui permettrait de recommencer, une tentative de repartir d’un nouvel élan. Il s’agirait d’un énoncé littéraire qui pourrait se lire comme tel : s’il n’y avait pas de destruction, il n’y aurait pas de possibilité pour l’homme de se reproduire. C’est, en quelque sorte, une destruction nécessaire pour que la vie puisse continuer.

Lacan fait cette remarque : les vices de notre système social sont créateurs alors que les vertus ne sont que des effets. Une parfaite harmonie aurait plus d’inconvénients que le désordre.

Pour Pie VI, s’il n’y avait plus de crimes, de guerres, « l’empire des trois règnes » détruirait les autres lois de la nature. Il n’y aurait plus de gravitation, plus de mouvement. Il affirme que les crimes maintiendraient l’équilibre et seront donc nécessaires, les deux crimes les plus utiles étant le refus de la propagation et la destruction.

Lacan cite des extraits concernant les énoncés de cette théorie. A partir de celui-ci : « il faudrait s’opposer à la régénération du cadavre que nous enterrons. Le meurtre n’ôte que la première vie, il faudrait lui arracher la deuxième pour être utile à la nature », Lacan dit que nous sommes au cœur de la pulsion de mort où il y a bien une rupture entre le principe de Nirvana (état de repos absolu ou état limite d’équilibre universel) et la pulsion de mort apportée par Freud.

Freud introduit une différence dans la notion de structure du vivant par rapport à la structure physique. Entre l’appareil neurologique et le reste de la structure, quelque chose entre en jeu, les facteurs d’intensité et d’extensité deviennent hétérogènes, introduisant le conflit.

Elle est à situer dans un domaine historique, lié à la chaine signifiante, un ordre qui se différencie du fonctionnement de la nature. La nature peut être saisie dans une mémorisation, à partir d’une intention initiale.

Lacan revient sur les travaux de Bernfeld et Weitemberg pour articuler la question de la pulsion de mort. Pour les organismes vivants, dans le domaine énergétique, l’entropie entre en fonction. Est-ce de ceci dont il s’agit ? Lacan propose de distinguer les systèmes physiques et les dimensions de l’énergétique. Bernfeld introduit la notion de polarité qui rend hétérogènes le facteur d’intensité et le facteur d’extensité. C’est ce qui introduit, dans le vivant, le conflit. C’est la raison pour laquelle il préfère dire tendance au lieu de pulsion. Il ne s’agit pas ici d’une volonté de destruction.

Si la pulsion de mort se présente comme pulsion de destruction, c’est aussi une volonté de création à partir de rien. Volonté de recommencement, dès lors que l’histoire permet de mémoriser et est suspendue à l’existence du signifiant. Ce que Freud apporte est du même ordre que le système de Pie VI dans Sade. La pulsion de mort est une sublimation créationniste. Ce qui passe par la chaine signifiante, qui est hors de la nature, s’appuie sur quelque chose au-delà, ex nihilo, et s’y articule.

Pour Lacan, une pulsion de mort qui substituerait dans l’au-delà du principe de plaisir un sujet en tant qu’il sait, lui semble suspect. L’investigation freudienne va se faire avec cette proposition : le sujet en tant qu’il ne sait pas, avec un point d’ignorance absolue. Une structure se révèle à partir d’un point d’abime infranchissable, c’est la proposition de Freud ; cela peut être « La Chose » où il va déployer la sublimation en tant que concernant l’instinct de mort, et en tant que créationniste.

Lacan nous met en garde contre la pensée évolutionniste :

- Il y a une contradiction fondamentale entre les hypothèses évolutionnistes et la pensée de Freud. Lacan veut nous montrer la nécessité d’un point de création ex nihilo pour que puisse naître ce qui est historique : « au commencement était le signifiant ».
- La perspective créationniste est la seule qui permette d’éliminer radicalement Dieu, d’éliminer le support d’une personne. Dans la pensée évolutionniste, Dieu est omniprésent, avec un processus continu de la conscience et de la pensée à l’origine.

Nous avons à distinguer le mémorable du mémorisé, ce dernier nous permettant de ne pas toujours impliquer l’être dans l’étant (contrairement à la pensée évolutionniste).

Ce qui est difficile à faire sortir de l’évolution de la nature c’est la production. Celle-ci est dans le domaine de la création ex nihilo si elle introduit l’organisation du signifiant. A ce moment, la pensée se manifeste, se produit, dans les intervalles du signifiant.

D’où sort le champ de la Chose qui est à l’origine de la chaine signifiante ? Qu’est-ce que ce lieu de l’être où se produit la sublimation, ce lieu de l’œuvre, où l’homme se met à courtiser ? C’est la raison qui amène Lacan à réfléchir à l’amour courtois où le point d’au-delà, c’est « La femme », en tant qu’objet du désir. Dans l’amour courtois, l’être n’est qu’un être de signifiant et non pas un être dans sa réalité charnelle.

Lacan revient sur le poème d’Arnaud Daniel et la femme à laquelle il s’adresse qui lui dit : « je ne suis rien d’autre que le vide qu’il y a dans mon cloaque. Soufflez dedans et on verra si votre sublimation tient encore ».

Au champ de la Chose, il peut y avoir d’autres solutions. Celle de Sade : « l’être suprême en méchanceté ». Il a repris cette expression des Cathares pour qui le « prince de ce monde (le diable) » pouvait être comparé à l’être absolu. Pour eux, le salut se fait à partir d’une parole et du « consolamentum », qui est le vecteur de transmission de cette parole qui a été bénite, d’un sujet à un autre. Il faut donc arracher cette parole au discours. L’autorité ecclésiastique les a sommés de s’expliquer sur la pureté de leur être, jusqu’à la mort bien sûr.

Comment peut-on interroger le champ du désir, ce champ qui est au centre, quand on ne projette pas ces continus d’une façon sublimée ? Que se passe-t-il quand sonne l’heure du désir ?

Lacan anticipe la prochaine leçon : on ne peut approcher le domaine du bien et ce n’est pas sans raison. Freud n’a pas fait une révolution radicale par rapport à la perspective antique. Il s’est trouvé à un carrefour historique quant à la notion d’utilité. Quel est le registre éthique de l’utilitarisme pour Freud ? Il dépasse cette notion, ce qui lui permet de la cerner et d’en voir les limites.

Lacan va développer le progrès de la pensée, son évolution dans l’histoire et va démystifier la perspective du bien chez Aristote et Platon : nous allons passer du souverain bien au niveau de l’économie des biens, en passant par Freud (principe de plaisir de plaisir et principe de réalité) pour saisir son apport dans le domaine de l’Ethique.

Dans le circuit des biens, un champ reste ouvert qui nous permet de nous approcher du champ central visé par le bien, et qui n’est pas l’unique barrière. La vraie barrière qui arrête le sujet devant l’innommable du désir (à savoir la destruction absolue), c’est le beau, ce phénomène esthétique dont on dit qu’il est la splendeur du vrai.

Le bien est le premier réseau d’arrêt, le beau, est celui qui nous arrête et qui nous indique à se trouve le champ de la destruction.

Le beau est plus près du mal que du bien quand il vise l’expérience morale.



Leçon 19 : Christian Lemaire

Dans la leçon précédente Lacan aura anticipé ce qu'il va dire aujourd'hui :

Le carrefour historique où en sont les choses au moment où Freud introduit une révolution radicale, est celui de l'utilité, et de ses théorisations : l'utilitarisme et le conséquentialisme qui en découle.
Le dépassement que Freud opère concerne la question du bien, de sa souvereineté depuis les grecs mais depuis Jeremy Bentham né en 1748, et quelques autres dont le plus connu est Adam Smith, né en 1723 puisque c'est un même tour de penser, un même mouvement, qui justifie le libéralisme et son application concrète, politique, le marché libéré. Il faudrait cité Bernard Mandeville, né en 1670, auteur d'un "traité de l'hypochondrie et des passions hystérique" et de sa célèbre "fable des abeilles" que Adam smith tout comme Bentham ont lu et dont ils se sont inspirés.
La question de l'économie des biens initié depuis la grèce prend ce virage et pourrait dès lors tout autant s'appeler le marché de l'économie des biens.
C'est dans la perspective du principe de plaisir et du principe de réalité que doit être saisit la nouveauté Freudienne introduite dans le domaine de l'éthique. C'est en quelque sorte une barrière que franchit Freud, sans l'énoncer en tant que tel.
Ce mot de barrière, renvoie vraissemblablement à l'esquisse dans la langue de Lacan et probablement faut-il l'entendre comme le lieu d'un surgissement, autre mot clef que force Lacan par rapport à Freud
Cette barrière arrête le sujet devant le champ innomable du désir, du désir radical pour autant qu'il est le champ de la destruction absolue. Cette barrière couvre ce que l'esthétique comme expérience du beau met en tension, à savoir que la proximité voire la congénitalité du beau et du mal donne au bien une coloration ambigüe.

La perspective sublimée est de penser notre action, tout ce qui s'opère comme échange entre les hommes, dans la perspective où nous avons coutume de le mettre : sous le chef du bien.
Perspective sublime et sublimée.
Opinion arrangée en manière d'atteindre l'objet de la science que la science ne peut atteindre.
La sublimation pourrait bien être cette science truquée où la finalité du bien est problématique, quel bien poursuivons nous?
Quid du désir de bien faire, du désir de guérir?
Il y a, à rester sur ses gardes concernant la pente "naturel" de ce "vouloir le bien du sujet".
De quoi donc voulons nous le guérir? :
Jusqu'où pouvons nous aller dans ce qui semble inhérent à notre expérience, de guérir le sujet des illusions qui le sépare de la voie de son désir?

La limite de la résistence est-elle une limite individuelle?
Le rapport entre le desir et les biens tentateurs qui s'offrent au sujet sont objet de la même interrogation.
Se faire le facteur ou l'intercesseur de la promesse d'obtention de tous ces biens accessibles est une voie sans issue, sauf à renforcer l'illusion d'une adéquation de l'objet au désir.
Renfort de cette illusion : que l'objet du besoin pourrait satisfaire la pulsion.
La rupture de ces illusions serait nous dit Lacan une question de science?
De science du bien et du mal :
Dans notre expérience, l'irréductible, indéménageable dirait Pierre Legendre, porte sur le rapport le plus foncier du sujet avec l'articulation signifiante.
Ce sujet n'en n'est pas l'agent, mais le support, c'est comme nouveau sujet qu' il en surgit comme conséquence.
La question du bien est dès l'origine par l' expérience analytique, articulée à celle de la loi , même si il est bien tentant d'éluder cette question derrière celle d'une naturalité du bien, harmonie à retrouver sur le chemin de l'élucidation du désir.
Et pourtant "ce que notre expérience de chaque jour nous manifeste sous la forme de ce que nous appelons "défense du sujet" c'est bien exactement en quoi les voies de la recherche du bien se présentent d'abord constamment, sous la forme de quelques alibi du sujet... ...toute l'expérience analytique n'est que l'invite vers la révélation de son désir."
Lacan attire notre attention sur le fait que la formulation du principe de plaisir par Freud apporte quelque chose d'essentiel et de nouveau dans les considérations philosophiques depuis Platon sur la question.
Et ceci constitue une coupure sur laquelle il faut mettre l'accent si l'on veut voir en quoi la pensée Freudienne apporte quelque chose de nouveau.
Il faut se rappeler que le principe de plaisir doit être pensé dans son rapport dialectique au principe de réalité.
Sans doute le plaisir s'articule-t-il sur le présupposé d'une satisfaction, et c'est poussé par un manque qui est de l'ordre du besoin que le sujet s'engage dans ses rets, jusqu'à faire surgir une perception identique à celle qui la première fois a procuré satisfaction : on trouve satisfaction dans les chemins qui l'ont déjà procurée. Cependant il faut y ajouter cette économie qu'est l'organisation des frayages qui commandent les répartitions des investissements libidinaux de façon telle qu'un certain niveau d'excitation ne soit pas dépassé, ne deviennent pas insupportable.
Il ne s'agit pas d'apprentissage, le frayage n'a rien à faire avec l'habitude.
Il s'agit du plaisir engendré par le fonctionnement de ces frayages.
Le nerf du principe de plaisir est d'être plaisir de la facilité, qui sera repris comme plaisir de la répétition. La répétition du besoin n'est qu'occasion du besoin de répétition, et plus précisèment, de pulsion de répétition.
La fonction de la mémoire, la rémémoration fondamentale est à proprement parler, rivale des satisfactions qu'elle est chargée d'assurer. Elle comporte une dimension propre au delà de cette finalité satisfaisante.
La structure de la mémoire ne doit pas nous masquer qu'elle est faites d'articulation signifiante,
à l'omettre on ne pourrait pas identifier ce registre dans lequel l'instance de la rémémoration se situe de manière autonome, au niveau non pas du réel, mais du fonctionnement du principe de plaisir.
La tyranie de la mémoire s'élabore dans ce que nous appelons structure.
C'est en ceci qu'on repère la naissance du sujet comme tel, dont rien par ailleurs ne peut justifier le surgissement.
Ce à quoi Lacan s'oppose,
avec la critique de la finalité de l'évolution d'une matière vers la conscience,
peut être compris comme critique du "conséquentialisme" dont Jérémy Bentham est l'inspirateur à partir de "l'utilitarisme" dont il est l'initiateur. Pas de continuité, pas d'homogénéité de la conscience mais c'est au niveaux les plus différents de notre engagement dans notre propre réel que la conscience en quelque sorte fait tache, ou la touche de conscience apparait.
Freud souligne toujours le caractère infonctionnalisable du phénomène de la conscience.
C'est donc dans son rapport d'élision dans la chaine signifiante que le sujet est repérable. Sa fonction dans la chaine des phénomènes est de représenter l'oubli : le sujet est littéralement, soulignons cette littéralité, le sujet est littéralement à l'origine et comme tel, l'élision d'un signifiant, le signifiant sauté dans la chaine.
Telle est la première place, la première personne.
Ceci nous fait toucher du doigt en quoi la notion d'inconscient est centrale dans notre expérience.
Partir de la notion d'inconscient où le sujet en première personne correspond à la lettre à l'élision d'un signifiant permet d'éclairer certaines singularités.
Ainsi les rites qui rejouent le lien du sujet aux signifiances, et, nous dit Lacan, l'instaure à l'origine et responsable de l'oubli qui ordonne le rapport de l'homme à la nature.
La question du bien est à cheval sur le principe de plaisir et le principe de réalité.
Il s'agit d'une articulation conflictuelle comme le tableau de la leçon du 25 novembre le montrait (ALI p.55) La notion essentielle étant que nous faisons de la réalité à partir du principe de plaisir.
La dimension éthique, autrement dit l'action en tant qu'elle se suffit,
n'a pas pour but l'agir. Elle s'inscrit dans une dynamique, une “energeia”, un principe de mouvement et de fixité dirait Aristote. Traduit par Barbara Cassin, cela donne un “automobile”. Sa puissance d'agir est déjà là. Ce qui est difficile à faire sortir d'une évolution de la matière c'est “l'homo faber”, pour autant que nous ne pouvons trouver la pensée que dans les intervalles du signifiant. L'équivocité de la notion de praxis trouve ici son terreau. A la fois “ex nihilo” et assujetit à la contrainte sociale.
Dans le lit creusé entre besoin et désirs se dresse un champ de rêve où l'utopie prend ses quartiers.
Chez Charles Fourrier né en 1772, le progrès social est inscrit par avance dans des cycles longs de la nature où le satisfaction du désir individuel est une énergie à organiser,
Ses phalanstères sont le moyen collectif au service de ce projet suprahumain.
Peut-être vaudrait-il de mettre en relation ce projet de phalanstère avec celui de panopticon de Jérémy Bentham où là encore le collectif est en question. La question tournerait autour de la manière dont ces penseurs tentent des solutions collectives à l'organisation de la pulsion.
Chez Adam Smith par exemple la division du travail est dite “naturel” elle repose sur ce penchant, naturel lui aussi des hommes à trafiquer.
Quel est donc le rapport de l'homme avec l'objet de sa production? Ou, dit autrement, qu'est-ce qui est tissé de l'homme à son prochain dans l'objet de sa production? Si tant est que le mien bien et celui de mon prochain soit de la même étoffe, noyau redoutable de l'agressivité, et lieu de la chose innomable pour reprendre des formulation antérieurs.
Sous le manteau de saint Martin circule une rareté qui fonde la condition de l'homme dans son rapport à son besoin.
Sa partition montre et révèle, en même temps qu'elle ne montre ni ne révèle.
La villa des mystères à Pompéi nous invite à déduire ce dont il s'agit à partir des regards des personnages de la scène autour de l'objet voilé.
De Clérambaut, son seul maitre en psychiatrie dit Lacan, traque de l'objectif les plis des drapés que l'objet laisserait apparaître.
Il y a quelque chose qui se cache là derrière et sa quète prend le chemin des toisons d'or.
La nudité qui pourrait s'y trouver voilée, toute la pensée analytique est là pour nous montrer que ce n'est pas un phénomène naturel, qu'il y a un au-delà d'elle qu'elle cache.
Le réglage de la circulation des biens par la règle de l'utilité , fusse par la fiction du “ maximum de biens pour le plus grand nombre “ qui est la devise de J. Bentham, n'évacue pas la question : sous les illusions de la valeur d'usage, on trouve son utilisation de jouissance.
C'est en ceci que le domaine du bien est corrélatif de la naissance du pouvoir.
Sur Bentham encore, mon hypothèse serait qu'il représente un processus dont la formulation est fixé à partir d' Aristote ; Il s'agit de supprimer la contradiction, le dire contradictoire, chez Bentham les tables d'équivalence saturent la réalité, son travail sur la langue tend à un classement rigoureux, exhaustif. Il tend vers cet axiome philosophique de “dire complètement, tout, sur tout sans se contredire” qu'Alexandre Kojève assénait comme
“ le” leitmotif de l'histoire de la philosophie.
Pour Bentham, il y faut des noms vraiment propre, dégraissé de tout sophisme et de toute polysémie. Michel Foucault dans surveiller et punir caractèrisait Bentham par sa pensée “panoptique”. Le voir et la transparence était une obsession : des expression comme “un seul coup d'oeil” (at first glance) ou “sans point d'ombre” (no dark spot) sont récurantes dans son oeuvre encyclopédique. Son projet de contrôle total, qui se veut exhaustif et totalisant , s'étend sur les sujets et sur les marchandises, concerne donc aussi bien le bien que les biens.
Par parenthèse rappelons nous que Karl Polanyi dans “la grande transformation” avançait que le 19ème siècle à inventé l'identification du travailleur et de la marchandise. Jacques Alain Miller propose d'entendre le projet de Bentham comme celui de supprimer la chose.
Disposer de mes biens revient à avoir le droit d'en priver mon prochain que j'aime comme moi-même.
Le pouvoir d'en priver les autres, voilà où va se situer un noeud très fort d'où va surgir l'autre comme tel.
Institué dans le symbolique, la privation me prive d'un bien réel. Celui qui est le “privateur” est une fonction imaginaire : c'est le petit autre, le semblable, à demi enraciné dans le naturel et dans le stade du miroir et qui se présente à nous comme le privateur.
Défendre nos bien est la même chose , la même dimension que nous défendre, à nous même , d'en jouir.
La dimension du bien est celle qui dresse une muraille puissante et essentielle sur la voie du désir.


Leçon 20 : Rima Traboulsi

Rappel : dans la leçon précédente, Lacan a développé la notion du Bien montrant que :
- disposer de ses biens c’est avoir le droit d’en priver les autres donc le bien est pris non pas en terme de sa valeur d’usage mais de son utilisation de jouissance.
- Le « privateur » est une fonction imaginaire, c’est le petit autre, le semblable dans le stade du miroir.
- Défendre nos biens c’est défendre à nous-même d’en jouir.
Considérant que le Bien, en tant que notion, est une muraille sur la voie de notre désir, il nous proposait de poursuivre son propos en concevant de passer au-delà d’un certain idéal du bien, et de le récuser.
C’est ce qu’il va faire dans cette leçon XX.

Points saillants de la leçon
I) Mise en évidence de la fausseté, l’hypocrisie, la duplicité du Bien qui peut déboucher sur la monstruosité.
II) Lien entre désir et pouvoir de destruction
III) Méfiance / au discours du Bien Général et discours de la science
IV) Passage du Bien au Beau
V) La question de la douleur
VI) Ouverture sur l’étude d’Antigone

On peut dégager deux grandes mouvements dans cette leçons :
A) Articulation du propos de Lacan avec le contexte de l’époque.
Remarque : Moi-même, je n’ai pu faire différemment ; à savoir que la lecture de cette leçon du 18 mai 1960, a résonné, pour moi, avec le contexte actuel, général partageable par tous, celui de la crise sanitaire, et celui que je traverse de manière plus singulière qui est en lien avec le projet de l’ARS concernant le « repositionnement du CMPP dans l’offre de soins ». Ceci étant dit… je reviens au texte…
Tout le début de la leçon est articulé à des évènements de « guerre froide » (ça chauffait +++) qui se sont produits en mai 1960, épisode d’une menace de guerre nucléaire suite au survol de l’URSS par de petits avions américains et qui ont fait résonner les discours effroyables de la puissance, au-delà des appels à la paix et des « calculs de risques » martelés par les voix (es) d’informations. Démonstration, on ne peut plus juste, que l’information sert d’appel, de capture pour les foules impuissantes, sorte d’anesthésiant avant de les emmener à l’abattoir. (p 403)
Cette parole ne peut que faire écho pour nous avec la période que nous venons de vivre où lors des 1ères semaines de confinement, tout un chacun ingurgitait, jusqu’au dégoût, le discours de tous ceux qui défilaient, à la radio, sur les écrans, pour nous marteler ce que serait « le bien » indispensable pour faire face à la catastrophe sanitaire mondiale, discours nous barrant la pensée alors que certaines des décisions prises risquaient de nous y mener droit devant ex : Confinement menant à la catastrophe économique, mensonges concernant les masques et les tests afin de camoufler la pénurie, agitation du chiffon rouge de la peur et mise en avant des réponses sécuritaires qui ont préparé l’acceptation des limitations des libertés les plus fondamentales… A noter, ic,i la puissance se situait du côté du discours médical.
Comme si « pour faire éclater le cataclysme, il faut d’abord un grand bruit de voix » où les leaders avec une fausse aisance, « font le show » en faisant de l’esprit pour faire dévier l’attention et la question gênante.
Rien de nouveau sous le soleil de 2020… cf les communications de Trump, de Bolsonaro ou même de nos gouvernants, pour ne citer qu’eux.
La question qu’il y aurait à poser est « qu’est-ce que ça veut ?», est-ce là le « Que Vuoï ?», la question du désir inconscient ou de la jouissance qui nous oblige à envisager que la réponse nous mènerait loin du Bien ? Le fait est que nous préférons penser, face à cette question : « ça n’est pas possible ». (On ne le croyait pas non plus, alors que le coronavirus était à notre porte) alors que rien n’est plus possible et que ce que l’homme vise dans le possible c’est pour que cela soit possible, à savoir quelque chose du côté de la destruction, de la fin du monde, du mal.
Le possible est ce qui répond à la demande de l’homme et l’homme ne sait pas ce qu’il met en mouvement avec sa demande.
L’Inconscient est la mémoire de ce qu’on oublie dit Lacan (p 404), mémoire de la pourriture, de l’anarchie des formes, de la corruption par ré engendrement (1°), de la destruction et la possibilité d’anarchie chromosomique qui engendre la monstruosité (2°).
1°) : Illustration par le politique, le « en même temps » qui efface la différenciation qui accentue l’entre soi politique, l’absence de frontières avec le domaine des affaires.
2°) : Lien entre l’anarchie et l’atteinte de la Chose quand la loi et l’interdit disparaissent.
A la question qu’est-ce qu’il y a au-delà de la barrière du monde gardé par le bien, la réponse est que nous ne savons pas. Est-ce le monde de la peur ? Non, car ce monde de la peur, avec ses fantômes, est comme une défense, une protection contre ce qui est au-delà et qui reste inconnu, la peur est là pour lui donner du sens.
Dans l’interdit d’y penser, il y a la distance et la proximité du possible, (cf le développement de cette idée par Heideger dans La Chose).
Lacan fera ici 2 remarques :
- Un lien est à faire entre « ce possible » et les effets du texte de Sade dont « la lecture entraine l’incrédulité et le dégoût mais aussi, un bref instant, des images qui font vibrer le désir pervers pour autant qu’y rentre l’arrière-plan de l’Eros naturel ».
- Toute relation imaginaire, voire réelle au niveau du désir, qu’il soit pervers ou naturel, n’est là que pour suggérer l’impuissance du désir naturel, celui des sens, à aller bien plus loin. (Toujours une limite ne serait-ce en dernier lieu la « petite mort » ou la mort tout court ?) Le désir cède vite et cède le premier.

L’élucubration d’horreurs devant lesquels les sens et l’imagination humaine fléchissent (chez Sade par exemple) n’est rien devant le réel qui menace (dans la guerre atomique par exemple).
La seule différence entre la description de Sade et cette catastrophe possible c’est que, dans cette dernière, aucun motif de plaisir n’y sera entré. Son déclenchement ne sera pas le fait de pervers mais de bureaucrates pour qui la question de savoir s’ils sont bien ou mal intentionnés ne se pose même pas. « Déclenchement sur ordre qui se propagera dans les rouages et les échelons, la volonté abolie, courbés vers une tâche qui perd son sens et qui sera la résorption d’un insondable déchet. » (Référence à la catastrophe nucléaire et à ses retombées).
On peut aussi se souvenir de ce qui s’est passé, pendant la 2ème guerre mondiale et dans les camps.
On peut tout aussi bien, sur un autre plan et bien sûr, toute proportion gardée et en forçant le trait, faire le lien avec l’application purement administrative des directives de l’ARS. Les psychologues cliniciens et leurs approches n’étant plus qu’un rebut à recycler par les formations neuro.
L’accumulation des déchets en désordre est la preuve de « l’homonisation » de la planète. Le tas d’ordure, ce tumulus, étant une des faces de la dimension humaine et ce qui se profile à l’horizon de la politique du Bien général, Lacan nous propose de reprendre le propos là où il était resté dans la leçon précédente, à savoir après la démonstration de Saint Augustin qui, par la soustraction du bien au bien, conclut que l’irréductible ne saurait être le mal… Lacan, lui, laisse la question ouverte, tout en questionnant l’apparition historique de cette forme de pensée.

B) Retour au propos du séminaire
Il propose de partir du Bien comme ce quelque chose qui, dans la création symbolique, est considéré comme l’origine de la destinée du sujet humain dans son rapport au signifiant. En d’autres termes, ce qui, dans ce bien, se présente comme l’objet de partage et, dans sa duplicité profonde, se présente non comme bien naturel répondant à un besoin mais bien en tant que pouvoir possible, c’est-à-dire nanti d’une puissance de satisfaire l’autre, le semblable et donc de le priver aussi.
Dans la perspective des biens, c’est là que le Moi Idéal et l’Idéal du moi entrent en jeu, instances qui se repèrent dans le schéma optique et dans le stade du miroir.
En effet, pour rappel : l’Urbild du moi, le moi primitif, est à situer avant le stade du miroir, il fait référence à l’aliénation à l’image spéculaire, le moi se modelant en tant qu’image de l’autre.
L’Idéal du moi du sujet serait le représentant, ici, de ce pouvoir faire le bien qui, cf Lacan, « creuse au-delà la question du résultat car il revient toujours, de notre action, comme la menace d’une exigence aux conséquences inconnues. »
Le monde des biens se structure de ce fait au niveau de 2 pôles :
- d’une part, comme fond de guerre sociale historiquement présent dans le registre de la philosophie
- d’autre part, comme quelque chose conçu comme ayant une fonction essentielle, salutaire dans le maintien du rapport intersubjectif.

Mais tout n’est pas pris dans cette dialectique de « lutte pour les biens, de conflit entre les biens » (p 408) et de la catastrophe que ça engendre ; en témoigne la tradition, la cérémonie du Potlatch, cf Mauss, qui octroie à la destruction des biens une fonction révélatrice de valeur.
Le Potlatch, illustre positivement le lien du désir de l’Homme avec la destruction des biens, que ceux-ci soient d’ordre collectif (propriété collective) ou individuelle (propriété privée). La destruction, ici, est ce autour de quoi tourne l’économie du bien !
Ceci n’est pas le privilège des sociétés primitives puisque cette problématique du désir se retrouve dans la culture européenne, notamment dans le contexte de l’amour courtois qui a vu apparaître des fêtes où les sujets se confrontaient dans des « destructions de prestige », pour savoir lequel des 2 protagonistes aura le plus grand pouvoir de destruction de ses biens. Dans ce processus, on note une certaine maitrise dans l’ordre du conscient, ce qui fait la différence avec d’autres images de destructions. On pourrait, de manière simpliste, balayer cet exemple comme un retour à la sauvagerie, alors qu’il aide à l’avancement de notre propos.
Pour Hegel, la tragédie dérive de conflits de discours : pour exemple « Antigone » est prise dans l’opposition du discours familiale et celui de l’Etat.
Pour nous, le discours de la communauté, de l’Etat, ce discours du Bien Général est effet d’un discours de la science où se montre, pour la 1ère fois dévoilée, la manifestation du signifiant comme tel.
Illustration : Discours médical autour du Coronavirus qui a éclipsé le discours politique pour preuve l’introduction des signifiants « la mesure du R, le patient 0, repris pars tous mais aussi le N-1 dans le jargon des entreprises…
Plusieurs questions se posent :
1) Est-ce que cette puissance du signifiant dans le discours scientifique, par exemple issue du surgissement des lettres en mathématiques, est une aliénation supplémentaire et en quoi ?
En ceci, que le discours issu des maths est, par définition un discours qui n’oublie rien !!!
Alors que le discours de la mémorisation 1ère, celle qui persiste au fond de nous, à notre insu (l’Inconscient) a dans son centre, une absence, une omission qui se situe dans le « il ne le savait pas » et qui est le lieu où le sujet vient à se situer. (Se reporter au graphe du désir)
2) Est-ce que le discours de la science, cette chaine signifiante qui se met à fonctionner toute seule, discours de la physique engendré par la puissance du signifiant, est-ce qu’il va intégrer « La Nature » ou la désintégrer ?
Question on ne peut plus actuelle !
Ces questions viennent compliquer le problème de notre désir. Le désir humain se situe dans ce caractère original du rapport de l’homme au signifiant et le fait de savoir si ce rapport doit ou non le détruire (p 412). (L’homme, le signifiant ? le désir ? les 3 peut-être…)
Selon Bernfeld c’est là que se situe le problème, le sens, de la pulsion de mort de F en tant que liée à l’histoire.
C’est en tant que, dans l’ici et le maintenant et non ad aeternam, pour toujours, le mouvement du désir est en train de passer la ligne d’un dévoilement, que la notion de pulsion de mort prend son sens.
Mais nous n’en savons rien sauf que se pose la question du rapport de l’être humain vivant avec ce signifiant comme tel, en tant qu’au niveau du signifiant, tout le cycle possible de l’étant peut être remis en question y compris la perte et le retour de la vie.
L’Inconscient se présente, pour nous analystes, comme le champ d’un non-savoir et c’est bien dans ce champ, que nous devons opérer. Une fois ce champ repéré nous ne pouvons pas ne pas reconnaître la situation de tout homme de bonne volonté, celui de bien faire.
L’analysant vient en voulant faire le bien, c’est comme cela qu’il vient « tromper » l’analyste : il veut se retrouver bien, en accord avec lui-même, identique avec quelques normes. En quête de son propre bien le sujet se retrouve confronté au mystère de ce qu’est son désir.
Le sujet, de manière dérisoire se réfère à l’autre (lui, quelques fois) qui vit (ou vivait) dans un équilibre. Or, pas besoin d’avoir rencontré cet autre pour savoir que cette dialectique du bien et son au-delà qui serait « Le Bien n’y touchez pas, » est un mirage. Ici se situe le Lebensneid, résultat d’une jouissance que le sujet suppose à l’autre, surabondance vitale que, lui, ne peut appréhender, forme singulière de jalousie de l’autre pouvant faire surgir la haine et le besoin de destruction non appréhendable intuitivement. (p 413). Le seul repérage de cet autre peut provoquer ce mouvement.
Rappel : la haine du juif, avec ce qu’on lui supposait de jouissance inaccessible aux autres…
Ici est la frontière de ce qu’apporte la notion du Bien. Un point de franchissement de cette frontière serait le champ qui se situe au-delà du bien : en l’occurrence le « Beau ». (p 414)
Si on se réfère à Freud, l’analyste n’aurait rien à dire sur le beau, sur la nature de ce qui se manifeste de création dans le Beau car nous ne pouvons que saisir des miettes concernant la valeur de l’œuvre. Selon Lacan, F est en difficulté d’articuler ce dont il s’agit dans la création.
Preuve en est que, concernant la sublimation des pulsions et instincts qui ont pour effet la création du beau, Freud n’en évoque que le revenu (bénéfice secondaire ?) qu’on en tire , ce qui nous ramène dans le champ des biens ! Pour Freud la carrière de l’artiste se résumerait à donner « forme belle » au désir interdit et l’artiste en tirerait, par l’achat de son œuvre, une récompense de son audace. Ce raisonnement court-circuite le problème de la création en tant que telle…
Au-delà de la dimension pédantesque, dans le discours sur le « Beau », on a toujours constaté l’existence d’un rapport singulier du beau au désir car ce rapport est ambigu.
L’ambiguïté de ce rapport tient dans le fait que, depuis la pensée antique jusqu’à St Thomas, le Beau, dans le même temps, quand il se manifeste, a pour effet de désarmer le désir, en d’autres termes en se manifestant il interdit le désir.
Si le Beau peut rester conjoint au désir, il l’est souvent sous forme d’outrage, dans le sens d’un dépassement d’une ligne. Il n’en reste pas moins que le Beau reste insensible à cet outrage.
Dans l’expérience analytique, quand, dans une séance, le beau apparaît c’est parce que vient se présentifier la pulsion destructive ; le beau dans sa fonction de rapport au désir vient à la place de cette pulsion ; le désir étant lui-même lié à une structure de leurre, illustrée par le fantasme, en tant que s’il est un bien « n’y touchez pas ».
Pour le Beau c’est pareil, c’est un Beau n’y touchez pas (fonction de défenses ?)
La douleur est la 1ère marge du fantasme qui nous empêche d’entrer dans le PP ; c’est là que se situe le champ du masochisme de F mais cette douleur qui défend la marge, occupe-t-elle tout le champ ?
Autre question : est-ce que la douleur a la même économie que les biens, ce qui nous ramènerait dans la dialectique des biens ?
Est-ce que, comme pour eux (les biens), on veut la partager ? Lacan se réfère à Sacher-Masoche (dans la Vénus à la fourrure) pour qui le désir in fine c’est se réduire soi-même à ce rien qui est un bien, qu’on traite comme un esclave qu’on se transmet et se partage. On serait là dans un espace où se projette le masochisme pervers. La psychanalyse, de tout temps confère au masochisme et donc à la douleur un caractère de biens.
La leçon se termine avec la proposition de Lacan d’étudier Antigone qui éclaire d’une part ce qu’il en est du bien « criminel », focalisant la lumière sur la figure du tyran (Créon) et d’autre part le sens d’un certain choix absolu qu’aucun bien ne motive (Antigone)
Association : Entre la position de l’ARS- Créon et ses injonctions adressées au CMPP au nom du bien que serait l’inclusion et la position de la Psychanalyse-Antigone, quelle porte de sortie pour les psychologues ?
La mienne sera l’exil : à savoir poursuivre ailleurs, dans un autre lieu.


Leçons 21 et 22 : Jean-Jacques Lepitre

La première question concernant ce commentaire de Lacan d'Antigone serait, peut-être, qu'est-ce qu'il y cherche, qu'espère t-il y trouver? Il y annonce que c'est là un point tournant concernant la question de l'éthique? De quelle éthique? En général ou celle qui serait spécifique de l'analyse? Alors, concernant l'éthique, Antigone c'est idéal. Voilà quelqu'un qui au nom de ses valeurs, agit, action éthique, y compris s'opposant aux lois communes, de la cité, édictées par ses chefs ou représentants, celles fondant la morale ordinaire, y compris par la peur du gendarme. Et son acte éthique est posé dans une radicalité absolue, puisqu'elle y joue sa vie, une néantisation d'elle même absolue, de son être même, prenant le risque d'une condamnation, où elle serait emmurée vivante, qui, outre son atrocité, la vouerait à la disparition anonyme d'un corps dans une pierre, telle Danaé, sans reste d'elle-même du moindre symbole: ni nom, ni rituel funéraire. Autrement dit qu'elle soit, y compris comme être, en tant que celui-ci se fonde du symbole, totalement néantisée. Cette héroïne, dans ce qu'elle montre d'une détermination éthique absolue, est exemplaire.
Mais en quoi concerne-t-elle la psychanalyse? La question éthique de la psychanalyse?
Faut-il, pour ceux qui ne connaîtraient pas Antigone rappeler de quoi il s'agit? Et dans ce rappel, peut-on omettre, au risque que certains éléments restent obscurs, le contexte de la trilogie de Sophocle dans la quelle s'inscrit cette tragédie? Antigone est la dernière des tragédies de Sophocle consacrées aux Labdacides, après Œdipe Roi et Œdipe à Colone. Tragédies exemplaires du genre, selon Aristote dans sa "Poétique", en ce qu'elles mettent en scène un héros ou une héroïne commettant une erreur l'engageant dans son destin. Erreur non de savoir, ex: 4+5= 10, non d'estimation, ex: la taille de la place de parking, ou les sentiments qu'on me porte, mais celle du choix d'une action dont les conséquences me sont tout ou partie inconnues, ex: se diriger à droite ou à gauche en ignorant les destinations. De cette erreur de choix se produit un destin que le héros tragique ne peut qu'assumer. Ce que note Lacan. Œdipe Roi en est un exemple répété. La première erreur, en ce sens, d'Œdipe est, apprenant par la Pythie qu'il tuerait son père et coucherait avec sa mère, de fuir Corinthe. Ignorant son adoption, il en croyait la reine et le roi ses parents. Alors que dans sa fuite il parvient à un carrefour où se présentent devant lui deux chemins, il choisit l'un plutôt que l'autre pour poursuivre sa route. Seconde erreur. Il croise un groupe d'hommes qui l'invective et l'insulte. Jeune et vaillant guerrier, dans le combat qui s'en suit, il traverse da sa lance le chef et sa suite, sauf un qui en réchappe. Arrivé à Thèbes, ayant répondu à l'énigme de la terrible Sphynge, dont le jeu était impitoyable, le perdant mourait, et beaucoup des jeunes gens de Thèbes avaient perdu, les habitants de la ville pour le remercier d'avoir vaincu la Shynge lui propose d'épouser la Reine, Jocaste, le Roi, Laios, ayant disparu... Même si Jocaste est de 20 ans son ainée, un amour passionnel les anime, et quatre enfants naissent successivement: Etéocle, Polinyce, Antigone et Ismène. Les années passent, 10, 15, 20 ans. Œdipe est un roi apprécié, aimé du peuple. Une épidémie survient et ravage la ville. La peste. Le peuple demande son aide au roi. Œdipe lui-même veut tout faire pour délivrer la ville de l'épidémie. Il dépêche Créon son beau-frère auprès de la Pythie pour obtenir son conseil. Troisième erreur. Créon revient. La solution est claire: "Trouver le meurtrier de Laios qui est dans la ville". Déterminé, Œdipe enquête. Est retrouvé le survivant au combat où le roi fut tué. Le témoin raconte. Œdipe s'interroge. Il lui semble reconnaître le carrefour, les circonstances. Il doute. Il était dit qu'il tuerait son père. Œdipe cherche, enquête. Laios et Jocaste auraient-ils eu un enfant? Un vieux serviteur de Laios est retrouvé. Jocaste veut dissuader Œdipe d'en savoir plus. Le vieillard raconte. Laios connaissait la prophétie: son fils le tuerait. Il lui avait fait porter le bébé, les pieds liés, dans les collines arides, pour l'abandonner aux chiens errants, aux charognards. Mais il n'en avait pas eu le coeur. Un berger l'avait recueilli. Le berger à son tour l'avait confié à un serviteur du roi et de la reine de Corinthe. Œdipe hurle. Cherche Jocaste. Elle est dans la chambre. Elle s'est pendue. Il serre dans ses bras, cette femme doublement aimée: mère et épouse. Et crève ses yeux qui n'ont rien sû voir. Il erre fou de douleur des jours durant. Et alors qu'il s'apaise enfin, ses fils, avides de pouvoir, alors que Créon assure la régence, pour conquérir le trône, le chassent de Thèbes. Œdipe aveugle, miséreux, erre sur les chemins de Grèce, aidé par sa fille Antigone qui est ses yeux, sa canne. Fatigués, poussièreux, ils se reposent dans un petit bois dont l'ombre les accueille. Erreur. C'est un bois sacré et les habitants de Colone s'apprêtent à les mettre à mal. Ils ne doivent leur salut qu'à l'intervention de Thésée, roi d'Athènes toute proche, connaissant la réputation d'Oedipe, roi juste et glorieux, couvert de malheurs, à demi devin. Leur situation semble apaisée, mais voilà que survient Créon, voulant reconquérir le pouvoir qu'ont pris les deux fils d'Oedipe. Pour cela, il a besoin de la présence de celui-ci à Thèbes, pour le soutenir, son aura auprès du peuple étant restée intacte. Œdipe refuse. Il ne veut plus de vie politique, et même publique. Pour le forcer, Créon enlève ses filles, Antigone bien sur, et Ismène passant par là, sans lesquelles il ne peut survivre. Antigone est ses yeux, sa béquille. Thésée, là encore intervient, livre bataille à Créon, et lui reprend Antigone et Ismène. C'est au tour de Polynice de venir prier son père de revenir à Thèbes avec lui, et pour les mêmes raisons: prendre le pouvoir aidé par l'aura paternelle. Il a passé un pacte avec Etéocle. Chacun, à tour de rôle, doit régner un an sur Thèbes. Mais l'année est passée et Etéocle n'a pas cédé le trône, brisant ainsi leur pacte. Œdipe refuse. Et maudit ses fils. Antigone tente de dissuader Polinyce d'attaquer Thèbes et son frère pour prendre le pouvoir. Oedipe, fatigué de la vie, " Plutôt n'être pas né", décide de mourir. Il se dirige vers une faille, un gouffre où la terre s'ouvre sur l'Hadès, les enfers, et après qu'Antigone, à son père chéri, ait fait les libations rituelles, qu'il l'ait éloignée, qu'il ait confié à l'oreille de Thésée quelques prophéties secrètes, il s'enfonce solitaire dans les royaumes souterrains. Antigone, restée seule, inquiète du destin de ses frères rentre à Thèbes. Le malheur a déjà eu lieu. Polinyce, aidé des troupes d'Argos, a attaqué la ville, en vain. Les deux frères ont fini la lutte en combat singulier. Et se sont entre-tués. Créon a retrouvé le pouvoir, mais de régent toutefois, car elle, Antigone, fille épiclère d'Oedipe, c'est à dire capable de transmettre la royauté, ayant un fils, elle donnerait un roi à Thèbes. Créon, pour le bien de la cité, pour que cesse la folie des Labdacides, a promulgué une loi simple: "ceux de la cité, les "nous", sont les gens biens, les autres, les gens d'ailleurs sont les mauvais. Ceux d'entre nous qui nous attaquent avec les autres sont des traitres". Loi simple existant depuis la nuit des temps qu'on l'appelle: "amour de la cité", "nationalisme", "esprit de clocher", "communautarisme", "esprit de corps, de bande", etc... Et pour marquer les habitants de la cité, pour servir d'exemple, il a décidé que le traitre, celui qui a attaqué la cité alors qu'il en était un membre, Polinyce, aurait son cadavre abandonné, réduit au néant de la charogne. Ce qui n'est pas sans rappeler le destin qui était promis au nouveau-né Oedipe. Seconde mort, néantisation. C'est l'erreur tragique, ici, que produit Créon. Antigone apprenant cela ne peut l'accepter. Elle est bien décidée à recouvrir le cadavre de son frère, de procéder aux rituels funéraires. Malgré la mort promise à quiconque ne respecterait pas les ordres donnés. Elle propose à sa soeur, Isméne, de l'accompagner. Celle-ci, plus timorée, refuse, craignant la colère de Créon. Antigone ne lui pardonnera pas, même quand Ismène, voudra, dans un ultime sacrifice, l'accompagner au tombeau, elle refusera. Antigone s'oppose à la loi de Créon. Mais est-ce parce que quelque chose y excède? Cette volonté de néantisation de Polinyce? Étrangement Lacan ne relève pas qu'il y a là une résonance avec la barbarie du 20ème siècle, tous les génocides. Ou bien est-ce à la nature même de la loi? Au sens où, Créon, et elle-même, savent que la loi est injuste, par nature, au sens d'une véritable justice, car pourquoi privilégier le parjure au dépens du traitre? Mais ils savent que le propre de la loi, c'est de différencier, de classer, d'ordonner, de son articulation au signifiant. Ceci pour être plus lacanien que ne l'est ici Lacan. Antigone s'oppose à cette loi, des hommes, de la cité, de l'Etat, au nom de la loi des dieux dit-elle. A partir de quoi, Hegel fait d'Antigone l'exemple du conflit entre l'individu, ses croyances, sa religion, et l'Etat. Et dont Lacan se distingue, s'affirmant moins hégélien qu'on ne le dit. Et suivant un auteur, Erwin Rhode, dont il paraît ignorer la reprise de l'analyse d'Holderlin. Celui-ci, le premier, estime que les dieux évoqués par Antigone sont moins ceux de la religion générale, Créon aussi a ses dieux, de même que la cité, que les siens propres. Son Zeus s'opposant à celui de Créon, de la ville. Ses dieux, ceux de sa famille, et allant dans ce sens, ses nombreuses évocations des dieux de l'Hadès, où reposent ses parents. C'est au nom de ses dieux propres qu'elle s'oppose à Créon, à sa loi, inflexible défenseur du bien de la cité. Voir plus, comme le souligne l'épisode tragi-comique du messager. Ne serait-il pas de ces tyrans tueurs, selon la légende, des porteurs de mauvaises nouvelles? On a recouvert de poussière le cadavre de Polinyce. Crime pour lequel Créon a promis une mort atroce. La peur du messager, c'est celle de la cruauté du tyran? Heureusement le chœur y va de sa chanson, l'homme, habile, s'en sort toujours, sauf de la mort. Ce que craignait le messager. Et celui-ci revient avec Antigone, surprise à recouvrir le cadavre de son frère. Surprise, ou bien est-ce délibérément qu'elle s'est faite prendre? N'a t-elle pas attendu que cesse la tempête de sable qui aveuglait les gardes pour procéder aux gestes rituels à leur vue? Créon et Antigone s'affrontent dans une violence verbale radicale. Il affirme la validité de sa loi, pour le bien de la cité, que cesse la folie des Labdacides, et la justesse de son exemple, afin de frapper les esprits, et la justesse de la mort de quiconque oserait l'enfreindre en ne laissant pas ce cadavre à la charogne, pourrir jusqu'au néant. Elle affirme, elle, mort comprise, mort atroce d'être emmurée vivante, la supériorité de ce qui la guide aux lois de la cité, de Créon, de sa tyrannie. Il y a là une ambiguïté déjà dite, est-ce contre les lois de la cité que se dresse Antigone, ou contre la tyrannie qui se révèle dans le sort fait, pour l'exemple, au cadavre? Sophocle est ambigu, c'est le terme de loi qui est employé. Antigone est d'une détermination absolue. Et Lacan souligne ici, à juste titre, que c'est elle l'objet de fascination et de désir du spectateur qui lui est offert par sa beauté physique, elle est jeune et belle, c'est dit et redit par le Choeur, par sa détermination, par sa volonté éthique délétère. Ne peut-on pas y entrevoir un désir de mort? Face à elle, Créon et son obstination, sa cruauté, qui n'est pas seulement politique, mais aussi sexuelle: il lui est impossible de céder à la demande d'une femme, ce serait déchoir de sa virilité... Il le répétera lorsque son fils viendra lui demander la vie sauve pour Antigone: comment un homme peut-il porter la demande d'une femme sans être méprisable? Lacan ne relève pas ce fil qui est là pourtant tout au long. La féminité d'Antigone, dans son acceptation passive de sa condamnation à mort se dressant, phalliquement, devant la superbe virile de Créon, qu'elle va, même morte, finalement vaincre. Celui-ci, à la fin de la tragédie, ne sera t-il pas réduit à la passivité de son terrible destin et à celle de demander à être soulagé de la vie? Survient Haimon, fils de Créon, fiancé d'Antigone, bon fils, obéissant, mais qui, devant l'inflexibilité de son père à épargner son aimée, se révolte et le traite de tyran. Puis, c'est au tour de Tyrésias, le devin aveugle, encore un aveugle, d'apparaître, dans une répétition du crescendo de la scène précédente. Il suggère à Créon de revenir sur sa décision d'emmurer vivante Antigone, que des malheurs risquent d'en survenir. Puis devant la morgue et le mépris de Créon, ivre de pouvoir, il s'emporte et lui prophétie violemment que de son entêtement cruel lui surviendront de grands malheurs. Le chœur, servile jusque là, toujours de l'avis de Créon, doute. Les prophéties de Tyrésias se réalisent toujours. Créon doute. Le Chœur l'encourage à renoncer. Créon abdique sa volonté. Va recouvrir le cadavre de Polinyce. Se rend à la grotte où est emmurée Antigone. Y découvre Antigone pendue, comme l'a été sa mère, et son fils Haimon, accroché au cadavre de son aimée, comme l'avait été Œdipe à celui de Jocaste. Haimon, fou de douleur, se précipite pour tuer son père mais retourne le glaive contre lui. Créon rentre au palais, portant le cadavre de son fils, pour y apprendre, malheur supplémentaire, que son épouse, la reine Euridyce, s'est tranchée la gorge de chagrin. Créon, resté seul, demande à être soulagé du fardeau de la vie.
Alors qu'elle relation y aurait-il entre cette détermination éthique terrible et grandiose d'Antigone et ce que serait l'éthique de la psychanalyse? Puisqu'aussi bien Lacan en annonce l'étude comme un point tournant. C'est ce qu'il tente d'explorer dans ces deux leçons. Semblant osciller entre une position savante, lettrée, jusqu'à l'analyse de texte et de traduction et une autre constituée d'éclairs concernant la psychanalyse. Je dis d'éclairs, car ne paraissant pas majoritaires, et plutôt sporadiques, comme si l'ensemble n'était aussi évident qu'annoncé. Bien sûr, il commence par rappeler la place de la tragédie d'Oedipe Roi, au centre de l'élaboration freudienne. Mais plus subtilement il rappelle la place de la catharsis au long de la pratique analytique depuis ses débuts, par laquelle est attendu des effets de soulagement. Aristote dans sa "Poétique" en fait une caractéristique de la tragédie la différenciant de l'épopée et du drame. On la retrouve en musique, dans la variété qu'Aristote note "enthousiasmante", aujourd'hui peut-être le rock, les raves, etc... Rapprochement que Lacan fait aussi. Concernant la tragédie, c'est typiquement de la crainte et de la pitié qu'elle est l'épuration, la purgation. Cathares, les purs, les épurés, le terme a la même racine. Certains traduisent crainte par peur et même horreur. Si Lacan regrette, qu'une partie de la Poétique ayant été perdue, il nous manquerait des précisions concernant la catharsis, on peut noter toutefois que cette partie perdue avait trait à la comédie. Et que par ailleurs, qu'Aristote parle 2 ou 3 fois de la Catharsis dans sa Poétique, c'est déjà beaucoup, au vu de son style très concis, ne revenant jamais sur ses définitions ramassées et sans détour. En quoi consiste t-elle? Il ne s'agit ni d'une identification au héros ou à l'héroïne, ni au Choeur, témoin de la scène. Le spectateur peut même être distrait, comme le souligne Lacan. Alors ne faudrait-il pas évoquer le principe de plaisir? Lacan ne le fait pas, je crois. Car ce plaisir, et Lacan relève ce terme d'Aristote, liée à cette purgation de la tension de la crainte et de la pitié, serait celui de la chute de la tension, principe de plaisir, chez chacun préexistante au spectacle et dont celui-ci serait la résolution. A noter ici le dispositif ternaire: les héros, le choeur, le spectateur. Lacan rappelle que cette catharsis a toujours eu un écho médical, mais plus particulièrement à partir du 18ème et surtout au 19ème siècle. Alors en quoi l'abréaction, sens médical, concerne t-elle l'analyse, comme il le semble depuis son début? Cette baisse de tension, ce gain de plaisir en résultant, peut-on les déduire de ce que le refoulement peut se penser, ce que fait Freud me semble t-il, comme une stase énergétique, et dont la levée aurait un effet cathartique? Ceci au travers de la parole, de son dire, et Lacan ici souligne l'analogie de l'analyse avec la tragédie dont la parole est aussi l'élément central, selon Aristote. Mais purification vaut-elle guérison? Lacan revient sur la catharsis, et de ce qu'elle adviendrait de l'ensemble du spectacle tragique, se demandant si ce n'est pas plutôt à propos d'Antigone qu'elle se constitue en tant qu'Antigone est l'objet de cette visée qui définit le désir. Cette visée dont Antigone est l'objet: fascinante, jeune, belle, intimidante par sa détermination. Objet du désir du spectateur par où opérerait la catharsis. Comment? Par la place qu'elle occupe, à la limite de ce qui est inclus dans la beauté, qui est celle de la seconde mort imaginée par Sade comme point où s'annihile le cycle des transformations naturelles, où se séparent "l'étant" de "l'être". C'est à cette limite qu'elle se tient. Il va développer cette proposition ramassée. Cette place c'est celle où Antigone est encore vie mais certaine de sa mort. Se sachant déjà morte mais encore en vie. Lacan ne le soulève pas, mais sa condamnation est exemplaire de cela: enfermée vivante dans un tombeau. C'est dans cette zone, au centre de la tragédie, où la vie et la mort se recouvrent, que le désir se réfléchit et se réfracte. Y a t-il là, mais non dite, ni explicitée, une allusion au miroir? L'effet du beau, précise t-il, sur le désir est qu'il le dédouble, tout en lui faisant poursuivre sa course, d'une part avec le sentiment du leurre dû à la splendeur, à la beauté, d'autre part avec son émoi, resté intact, mais qui n'aurait plus d'objet. De cette disparition, il ne dit rien, faut-il supposer l'objet absorbé par la beauté? Donc deux faces, poursuit-il, à cette sorte d'extinction, de tempérance au moins, du désir par l'effet de la beauté. Il évoque Kant, sans en dire plus. Est-ce la division posée par Kant, dans la "Critique du jugement" des deux modes de connaissance de l'objet: l'un rationnel, avec la possibilité de conceptualisation, l'autre esthétique sans concept? J'ai déjà évoqué le passage autour d'Hegel, mais peut-être faut-il préciser que la critique de Lacan concernant la conciliation n'est peut-être pas justifiée. Car ce n'est pas d'une conciliation des personnages avec eux-mêmes, ou des personnages entre eux, comme semble l'entendre Lacan, mais des forces en présence. En ce sens, Antigone-Créon: match nul, 0 partout, l'une est morte et l'autre aspire à ne plus vivre. De même qu'il ne remarque pas l'affrontement masculin féminin auquel réagit Créon, et qui se termine pas sa défaite, de même ne perçoit-il pas, ou ne soulève t-il pas, la dimension croisée des positions de Créon et d'Antigone. Le premier est au début de la tragédie dans la rationalité et la conscience alors qu'Antigone est dans la passion, l'affectivité. A la fin de la tragédie, les positions se sont inversées. Il est dans la passion, il subit, dévasté par ses affects, alors qu'elle est dans la rationalité, et c'est ainsi qu'elle produit son étrange justification, étrange de sa logique même: "C'est mon frère, je ne peux pas en avoir d'autre, mes parents sont morts. Alors qu'un mari, si j'étais mariée, je pourrais en avoir un autre, et des enfants, si j'étais mère, je pourrais les remplacer." C'est ce croisement des positions qui justifie la place de cette justification, que Goethe conteste, la pensant déplacée, voire imitée, ce que Lacan, à juste titre, dément, mais sans noter ce croisement des positions, résultat aussi de la tragédie. Alors qu'en est-il de la place du beau par rapport à la visée du désir. Il y revient et revient à la catharsis. Goethe la situe dans l'action. En tout cas pas celle d'Antigone, elle n'a ni crainte, ni pitié. Ni celle de Créon, qui n'a non plus ni crainte, ni pitié, sauf à la fin de son action. C'est Créon, comme déjà dit, qui porte l'erreur spécifique de la tragédie, et cette erreur, il l'a faite au nom du bien, et comme roi, du bien de tous. Créon illustre la structure éthique tragique, au sens du destin, que l'erreur produit et que le sujet ne peut qu'assumer. Lacan en fait le rapprochement: "l'éthique analytique c'est l'éthique de la tragédie". S'agit-il donc de l'erreur construisant un destin que le sujet ne peut qu'assumer? Comme Œdipe fuyant Corinthe où il croit que sont ses parents et ce qui en découle? Mais l'erreur de Créon n'est peut-être pas celle de la loi qu'il édicte, on a vu sa banalité, même si le texte de Sophocle insiste sur ce terme, et c'est peut-être pourquoi Hegel et d'autres se sont leurrés. Mais plutôt en ce qu'il excède la loi, et, comme l'indique Lacan, qu'il franchisse une limite en voulant faire un exemple en vouant le cadavre de Polinyce à la charogne, en le vouant au néant, en le condamnant à la seconde mort. C'est là l'erreur tragique, au sens d'Aristote, de Créon. On a noté la résonance avec toutes les barbaries et génocides du 20ème siècle et qu'étrangement Lacan ne relève pas. Ce faisant Créon se heurte aux lois divines que défendrait Antigone. Conditionnel parce que s'agit-il des dieux, ou de ses dieux, nous avons vu cette difficulté. Lacan fait un incise: nous n'avons plus idée de ce qu'étaient les dieux pour les antiques: des sortes de Super Saints Patrons, des initiations personnelles, ce qui laisserait ouverte la possibilité que chacun ait les siens. Il continue d'interroger la relation de la beauté et de la seconde mort, celle qui avec Sade se définit d'une néantisation des cycles naturels, à partir de laquelle la nature recommencerait à partir de rien. C'est là, aussi bien, dit-il, que Freud fait remonter la généalogie de la loi, à partir du meurtre originel. C'est sur cette limite que se tient aussi une pensée vraiment athée qui en est donc créationniste. La religion, dans la création, à partir de rien, suppose un déjà là: Dieu. Les fantasmes sadiques se tiennent sur cette limite, en une sorte de souffrance éternelle, éternelle car la victime n'est jamais anéantie, mais perpétuellement maintenue dans sa beauté, beauté liée à la douleur. Mais, on peut peut-être ajouter à Lacan que c'est la beauté pour le sadique, et qu'il y a jouissance de celui-ci à l'humiliation de la beauté. L'objet sadique, selon lui, serait l'indice d'une souffrance signifiante d'une limite qui est que ce qui est ne peut pas rentrer dans l'anéantissement d'où il est sorti. On peut se demander pourquoi? Les nazis et autres ont franchi la dite limite. Cette limite, en un parallèle audacieux, il estime que le christianisme l'a instituée à la place des autres dieux, avec cette image de crucifixion qui tire à elle tous les fils de notre désir, apothéose avant la lettre du sadisme, où l'être ne subsiste qu'à partir de l'ex-nihilo. Le christ est mort, ex-nihilo, et ressuscité. En croix, il est en cette limite. Il revient à Antigone et fait un peu d'analyse textuelle, insisté sur certaines traductions, le terme "Até" qui revient si souvent: "faute, égarement, folie, fatalité, etc", entre la faute vis à vis du destin et l'égarement de l'esprit. Il rappelle à juste titre plusieurs fois combien pèse sur Antigone la destinée des Labdacides, sa famille. Il pointe son intransigeance vis à vis d'Ismène, commente à deux reprises la venue du messager, mais sans relever que le tragi-comique de l'affaire sous-entend la tyrannie de Créon, la mise à mort du porteur de mauvaise nouvelle n'est qu'une légende, exception de faite de rares tyrans sanguinaires. Il en va de même de la tirade du chœur: "L'homme s'en sort toujours sauf de la mort"... Ambiguïté de la comédie sur le fond de l'inquiétude du messager. Créon est-il un tyran? Cette tyrannie possible est-elle mise ainsi à distance? Lacan s'interroge sur l'action qu'on dit au principe de la tragédie, et Aristote lui-même. Une action que traduit la parole poétique, cette parole qu'Aristote considère comme l'élément constituant de la tragédie. Le signifiant, dit Lacan, introduit dans le monde deux ordres: la vérité et l'événement. Or selon lui, dans la tragédie, si elle est agie, à partir de l'erreur initiale, qui fait événement, il n'y a ensuite plus d'autre événement, d'autre action originale. Tout découle en conséquence de cette erreur. Comme l'écroulement d'un château de cartes à partir de la première carte enlevée.
Au final de ces deux leçons, si ont été soulevées certaines questions, il reste un sentiment de morcellement... Aussi bien sur le versant analytique que littéraire. Il y a là cette limite évoquée, ce qui se tient à cette limite: Antigone, la beauté, la douleur. Limite de cette seconde mort, ce néant inatteignable où pourrait peut-être s'entendre la Chose même, ce qu'il ne précise pas. Mais y a t-il là sublimation possible? Peut-être serait-ce la beauté qui en serait alors l'indice? Comme la Dame de l'amour courtois devant la Chose... En tout cas Antigone et Créon, eux, ne subliment rien, pris totalement dans leur passion. Mais le spectacle, par la catharsis qu'il produit, aurait-il valeur de sublimation? La dimension éthique, elle, est bien là, la révolte d'Antigone en témoigne. Mais quel est son moteur? De quel désir s'agit-il? De celui issu des dieux, demandant d'honorer les morts, de celui issu de ses dieux, ceux de sa famille, de celui incestueux pour son frère, dans cette famille, cf Butler, d'un désir de mort? En étant plus lacanien ici que Lacan: si la loi, en s'articulent du signifiant en sa valeur différentielle, est ce qui organise, ce qui différencie, ce qui sépare, comment Antigone, constituée de cette fusion, de cette confusion de cette famille où tous se mêlent: générations, corps, bras, sexes, comment pourrait-elle accepter une loi qui, parce qu'elle ordonne, sépare, la mettrait face à la folie de cette famille? Comment pourrait-elle tenir face à ça qu'elle devrait accepter, à accepter la loi en se séparant de son frère? Ne risquerait-elle pas une folie plus insoutenable que la mort? Concernant l'éthique de l'analyse, alors qu'il a introduit l'étude d'Antigone comme essentielle, il n'en évoque pas grand-chose. Il en fait le rapprochement avec l'éthique de la tragédie. Mais il n'en donne pas plus de précision. Alors serait-ce, comme dans la tragédie, d'assumer un destin en tant que déterminé par l'erreur?

Leçon 23 : Laurence Desprat

Je vais vous présenter la troisième leçon sur Antigone où Lacan s’appuie sur la traduction de la pièce en faisant référence à deux traducteurs principaux Robert Pignard et Paul Mazon .

Lacan commence la leçon en donnant la position d’Antigone à l’égard de la vie quand elle s’adresse à Ismène, en présence de Créon et du chœur.
1« Ne te décourage pas , ta vie est devant toi, la mienne est finie, Il y a longtemps que je l’ai consacré à mes morts «
Le chœur, ensuite va évoquer la limite de l’até , de ce malheur de la famille des Labdacides et c’est autour de cette limite que la destinée d’Antigone va se jouer.

Le chœur reprend ce sens du franchissement d’une limite 2« Quand un esprit égaré prend le mal pour un bien c’est qu’un dieu pousse son âme à l’égarement. Un moment suffit alors pour le perdre » ; Pour Antigone, son bien à elle est au-delà de la limite de l’até .
De même le gardien ,face à la loi de Créon, se dit « sauvé au-delà de toute espérance » par la loi des dieux .

Dans les différentes tragédies de Sophocle , tous ses héros sont dans une position que Lacan nomme « à bout de course « .Ils sont situés dans une zone limite , « entre la vie et la mort « voire hors limite mais c’est eux qui se mettent dans cet isolement .
Sans reprendre en détails les pièces de Sophocle, nous voyons Ajax qui massacre tel un fou sous l’emprise d’Athéna un troupeau d’animaux à la place de l’armée des Grecs ;ce qui , à son réveil va le faire sombrer dans la honte et la douleur et le mener au suicide.
Dans les Trachiniennes, Hercule va finir bruler par la toison que sa femme lui envoie du fait de son eventuel désir pour une captive lors du dernier de ses travaux et Electre, comme un double d’Antigone est déjà morte dans la vie « on me rendra service en me tuant tandis que l’existence serait pour moi que chagrin ; de vivre je n’ai nulle envie » face à la mort de son père Agamennon et son désir de vengeance la fin de la pièce se termine par une exécution

.Mais Antigone reste celle qui représente le plus cette position .

Il en est autrement pour Œdipe,. Au départ du drame il est au comble du bonheur, avec ses biens ,son couple, sa position vis à vis de la cité , mais ensuite il s’acharnera à sa propre perte à vouloir la vérité qu’il finira par savoir malgré les mises en garde de ses proches, notamment de Jocaste qui d’une certaine façon lui dit « on en sait assez ».

Lacan reprend la métaphore de l’anamorphose évoquée dans les leçons précédente pour la passion d’Antigone .On voit là une très belle image de la passion, une merveilleuse illusion , se produire dans l’au-delà du miroir alors que ce qui se joue est plutôt dissous ,voire dégueulasse pour reprendre le terme de Lacan
Il s’agit de savoir qu’elle est cette surface qui permet le surgissement de cette image d’Antigone, en tant qu’image d’une passion ?
Un point à noter est ce vers d’, Antigone « Mon père, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » qui fait référence aux paroles du Christ sur la croix .
La tragédie serait ce quelque chose qui se répand en avant pour produire cette image .

Alors voyons comment s’est construit cette image pour produire cet effet .

D’abord notons le coté implacable, sans crainte et sans pitié d’Antigone face à la proclamation édictée par Créon .Elle est au-delà de cela. Cette sorte d’entière connaissance d’elle-même ,soulignée par le chœur qui dit3 « qui juge ou se décide de soi-même » en rapport avec l’oracle de Delphes, inscrit sur le temple d’Apollon « connais-toi toi-même » . Antigone ajoute « moi j’enterrerais mon frère «

Pourquoi cela ? Qu’est-ce que cela signifie ?

Lacan vient là interroger cette supposée position humaniste de Sophocle,. il s’appuie sur les travaux de Lévi Strauss concernant le passage entre nature et culture par l’astreinte à une règle, celle de l’interdit de l’inceste dans son texte « les structures de la parenté ».
Fait écho le texte du chœur qui commence au vers 332(p.56) .Il est question de l’éloge de l’homme et de ses rapports entre la loi de la cité et la loi des dieux , entre la nature et le la culture Qu’il en connaît des trucs l’Homme ;Mais qu’il n’est pas pour autant arrivé à se tirer de 4« l’affaire d’Hadès bien qu’à des cas désespérés parfois il ait trouvé remèdes » nous dit le chœur.
Ce que Lacan traduit comme la fuite dans des maladies impossibles mais que l’homme fabrique par lui-même Je poursuis « sur la justice éternelle il greffe les lois de la terre ,Mais le plus haut dans la cité se met au ban de la cité si , dans sa criminelle audace il s’insurge contre la loi « Dans la suite de ce passage nous pourrions penser que le chœur fait référence à Créon D’ailleurs, le chœur ne veut pas en faire son compagnon ; Il ne veut pas avoir le même désir , c’est ce désir de l’autre dont il sépare son désir .

Mais, finalement, ne s’agit-il pas plutôt d’Antigone car c’est pour son frère irremplaçable qui est passé dans le monde souterrain, et au nom des liens du sang qu’elle s’oppose au commandement de Créon. Elle se trouve en position de mettre de son cote la loi des dieux. Contre le bien revendiqué par Créon et la loi de la cité elle oppose son désir ,fondé sur ce lien symbolique .
Antigone va chercher son até, son malheur et franchit cette limite
Ce que confirme le chœur dans ce vers « c’est celle qui, par son désir, violé les limites de até »passer les limites de la fatalité .

L’até n’est pas une faute ,une erreur contrairement à Créon qui lui en a fera une par sa proclamation et qui entrainera la mort de son fils , sa femme et son désir à lui d’en finir.

Je cite Lacan « ce qui situe l’até en tant qu’elle est ce quelque chose qui relève de l’Autre , du champ de l’Autre ,est ce qui ne lui appartient pas à lui et qui, par contre est à proprement parler le lieu où se situe Antigone .Elle se manifeste à Créon comme la présentification de l’individualité absolue.

Alors sur quoi s’appuie-t-elle ?
Elle se désolidarise de la justice des dieux d’en bas .Elle se situe sur une limite où elle se sent inattaquable .Sa légalité relèverait , des lois non écrites des dieux,
Ce serait l’évocation de ce qui est en effet de l’ordre de la loi mais qui n’est pas développé dans une chaine signifiante .
C’est un signifiant du côté de la parenté qui motive son acte . « mon frère est mon frère et sa valeur est là » « il est unique » né du même père ,de l’inceste .
Et c’est cela qui l’a fait avancer vers cette limite fatale . Cela ne serait pas le cas s’il s’agissait de son mari ou ses enfants, ceux là remplaçables .
Cela illustre clairement le côté « à bout de course ».
Le registre de l’être de celui qui a pu être situé par un nom est préservé par l’acte des funérailles et c’est le refus de Créon ,quoiqu’ai fait Polynice , qui maintient pour Antigone la valeur unique de l’ être de son frère .
Cette valeur est de langage et cette limite autour de quoi se tient Antigone représente cette coupure qu’instaure dans la vie de l’homme la présence même du langage .
Et le chœur de lui dire « Tu t’en vas vers la mort ,ne connaissant que ta propre loi »et là se retrouve dans la tragédie cette « entre deux morts », enterrée vivante ,entre mort physique et effacement de l’Être.
Antigone va amener sa plainte, son regret de ce qui lui a été refusé dans un dialogue avec le chœur, Elle est au-delà de cette limite ; elle la voit ,elle peut la vivre sous la forme de ce qui est perdu .
Et le chœur de ponctuer5 « ce désir visible qui se dégage des paupières de l’admirable jeune fille « ..
Lacan souligne la lueur de la beauté coïncidant avec le moment de franchissement (p.495). Beauté autour de quoi tout vacille entrainant une certaine confusion , un effet d’aveuglement .
Antigone dit « je suis morte et je veux la mort » comme une illustration de l’instinct de mort . Ce rapport fondamental au désir qui est un rapport avec la mort où on ne peut attendre d’aide de personne .
La réponse du chœur la situant du coté d’une demi déesse entraine la riposte d’Antigone, outragée .
Comme à travers d’autres mythes, Elle subit un malheur égal à tous ceux qui sont pris dans le jeu cruel des dieux presque comme une victime malgré elle .Or Antigone est le pur et simple rapport de l’être humain avec la coupure signifiante dont il est porteur( ce qu’elle est) et elle mène jusqu’à la limite, l’accomplissement du désir pur, le désir de mort comme tel .
Le propre d’Antigone est de nous faire voir le point de visée qui définit le désir.

Si son désir doit être le désir de l’Autre, le désir de la mère à la fois désir fondateur et criminel (p.499)
Se retrouve là l’origine de la tragédie et de l’humanisme ; aucune médiation n’est possible de ce désir, si ce n’est ce caractère destructif.
L’union incestueuse a donné deux frères, un du côté de la puissance, l’autre du crime et Antigone choisit d’être la gardienne de l’être du criminel dans la mesure où la communauté ne veut pas accorder le pardon par un acte funéraire .
Elle doit faire le sacrifice de son être au maintien de cet être essentiel qu’est le crime , l’até familial qu’elle immortalise .


Leçon 25 : Jean-Jacques Lepitre

L'analyste paye de sa personne en tant que par le transfert il en est dépossédé! Il paye aussi d'un jugement concernant son action. Mais celle-ci, pour une part, lui reste voilée, du rapport même, de cette action, à l'inconscient. Il s'en soulève la question éthique, (et peut-être bien dans le sens de l'éthique tragique, l'erreur de la méconnaissance). La demande d'analyse, rappelle-t-il, est bien souvent une demande de bonheur, d'être heureux, plus heureux. Mais le bonheur est devenu un élément politique: "il ne saurait y avoir de satisfaction de l'un sans la satisfaction de tous", (cf les exposés de Christian et Rima) ce qui est problématique. Mais c'est dans ce cadre pourtant que se fait la demande de bonheur qui est celle de l'analyse. Bien loin d'Aristote, où le bonheur se poursuivait dans l'individualité du maître, tant pis pour les autres, les femmes, les esclaves, etc, à suivre la voie du juste milieu: ni trop, ni trop peu. Dans cette demande de bonheur, la sublimation apparaît comme la possibilité heureuse de satisfaction. De cette sublimation, Freud donne deux définitions. L'une qui est la reconnaissance mercantile de ses désirs sous forme d'oeuvres. L'autre plus intéressante l'indique comme la possibilité de satisfaction de la tendance sans refoulement, par changement d'objet. La tendance, (c’est-à-dire la pulsion) d'être marquée par l'articulation du signifiant, contient ce qui permet le changement d'objet. Elle est au niveau inconscient de l'articulation signifiante. Le rapport métonymique d'un signifiant à l'autre, c’est en ça qu’est le désir, dans cette articulation, c'est là la possibilité du changement d'objet. Et concernant la satisfaction, dans la sublimation, le refoulement n'y étant pas, il y a passage du non savoir au savoir, et le désir y est la métonymie du discours de la demande. Il serait ce passage métonymique. Comme exemple de ce passage, ce glissement métonymique, il prend l'exemple de "manger le livre", tiré de l'apocalypse de St Jean. "Manger", le verbe le plus banal de la tendance, pulsion orale, et le "livre" devient l'objet d'une incorporation, celle du signifiant lui-même. Le désir serait là dans ce glissement entre "manger" et "livre", où l'incorporation du signifiant est celle de la parole divine. (Essayons d’entendre ce qu’est cette métonymie : chacun des signifiants manger, livre, emporte avec lui un ensemble de significations : faim, nourriture, plaisir gustatif, réplétion, etc, et récit, écriture, lettres, papier, etc, la métonymie ici consiste en ce qu’une partie des significations de l’un glisse et s’associe avec une partie de celles de l’autre) Au centre de la sublimation, satisfaction non payée d'un refoulement, est la question: qu'est-ce que le désir? En tant que la demande se formule du signifiant elle demande au-delà d'elle-même, (les mots, les signifiants comportent plus de possibilités que leur seule formulation en demande), et exige donc autre chose que la satisfaction du besoin. Le désir est cette métonymie de la demande au-delà d'elle-même. Il insiste beaucoup sur la dimension métonymique. Mais le désir enfin réalisé, aboutissant à sa fin, c'est à dire fini, achevé, n'est-ce pas un désir mort? Évoquant l'empiétement possible de la mort sur la vie, cf la tragédie, mais aussi le principe de plaisir où Freud dessine la montée et la chute de la tension de la tendance, dans une recherche de moindre tension, vers l'inanimé, c'est à dire l'instinct de mort. (Déjà évoqué lors de la lecture d’Antigone) C'est par la vertu du signifiant que l'homme, et Freud tout autant, peut penser et élaborer son rapport à la mort. (Car sans le signifiant comment penser quelque chose qu’on n’a pas éprouvé ?) Et la fonction du beau viendrait, selon lui Lacan, indiquer quelque chose de ce rapport dans un éblouissement. Il va tenter d'en donner un exemple. A propos de croquenots, où sa référence à Heidegger est patente même s'il ne le cite pas. Dans une première version où la présence émanant d'une paire de croquenots isolés devant la porte d'une chambre d'hôtel fait penser à sa compagne que le professeur D doit certainement être dans l'hôtel. Similitude avec l'analyse des croquenots de Van Gogh par Heidegger. C'est la présence du labeur, de la terre, des chemins parcourus, de la fatigue, émanant des croquenots qui, selon Heidegger, en produit la beauté et son effet sur le spectateur. Lacan reprend cet exemple des croquenots de Van Gogh, mais s'éloigne alors de l'analyse de Heidegger pour les rapprocher du beau de la nature morte, le généralisant en ce qu'il est un rapport temporel. Présent peut-être dans toute peinture. (Rappelons notre question à Céret à propos du réel dans l’œuvre d’art, disons, véritable). Images magnifiques de fleurs et de fruits, arrêtées dans l'instant, en attente de leurs futures décompositions. Transition de la vie à la mort, à situer entre imagination et signifiant. (L’image et sa beauté d’un côté, et le signifiant dont l’émergence produit le réel de l’autre). Et le beau faisant entrer la question de l'idéal dans ce passage à la limite, à préciser limite de la "Chose", entre imagination, l'image, et le signifiant, d'où a chu la "Chose". L'idéal dont la source, dans le beau, est la forme du corps humain en tant que c'est le vase des fleurs du désir, référence au schéma optique. Narcissisme donc, où l'image du corps représente le rapport de l'homme à sa seconde mort avec le signifiant de son désir. (Répétition de l’écart entre imagination et siginfiant) Car ce désir, s'articule comme désir de rien, en tant que rapport de l'homme à son manque à être, venant à s'incarne dans cette image, qui concerne aussi la "Chose" et pas seulement la seconde mort. Ce rien donc pourrait s'entendre comme le vide et pas seulement le néant. (Une nuance ici se fait). La libido, avec Freud, emporte l'homme au-delà de cet affrontement en une jouissance qui est à la même place que cette même barrière, celle autour de la "Chose", autour du non-être. Il note en passant, que là, et parallèle au beau se situe la pudeur, qu'il note importante pour la sexualité féminine, mais sans en dire plus. Il note aussi que la mort d'Antigone se situe dans l'enclos de la grotte, à notre insu, analogie possible avec l'intérieur de la Chose? Il associe avec des vers d'Héraclite à propos de danses et de transes dédiées à Dyonisos, et, ou à l'Hades, s'interrogeant sur la possibilité que ce puisse être la même chose, ambigüité du texte d’Héraclite. A savoir le phallus et la mort, et, ou le phallus et la beauté, puisque celle-ci a cette relation avec la mort. Ou si au contraire, le phallus et la beauté, principalement celle de l'image humaine, ont une différence irréductible sur laquelle Freud a buté: cf "analyse finie et infinie". (De ne l’avoir pas perçue) Car ce phallus le sujet ne saurait l'être, (confusion du phallus et de la beauté), et il ne saurait l'avoir qu'à la condition du penisneid pour la femme et de la castration pour l'homme, soit à partir du manque. C'est ici que se heurte la demande de bonheur à l'analyste. Une telle demande posant la question du "Souverain Bien" que l'analyste n'a pas bien sûr, et qu'en plus il sait qu'il n'y en a pas de s'être heurté au terme de son analyse à cette limite que pose la problématique du désir. Celle-ci devenant centrale à tout accès à une réalisation de soi-même, c'est là la nouveauté de l'analyse. Mais c'est aussi la découverte des faux biens où s'épuise la vanité des demandes et des dons du sujet.
L'acte sexuel est la possibilité par laquelle un être, pour un autre, est à la place vivante et morte à la fois de la "Chose". Simulation avec sa chair de l'accomplissement de ce qu'il n'est nulle part. (Reprise de l’amour courtois mais dans l’acte de chair même, acte sexuel et sublimation ?) Possibilité ponctuelle. Ce qui n'est pas ponctuel, c'est qu'il puisse, cet être, dans le transfert, percevoir sa propre loi. C'est à dire percevoir l' "Até", l'égarement, qui a commencé à s'articuler, avant lui, dans les générations précédentes, même si ce n'est pas aussi tragique que pour Antigone, mais qui est lié cependant au malheur. (Peut-être parce que cet « Até » est toujours une rupture, un égarement de la loi signifiante, cf Antigone et l’inassumable de la loi en ce qu’elle sépare, distingue les générations et les corps). L'analyste ne peut donner que ce qu'il a, à savoir, comme l'analysant, que son désir, sauf que dans son cas, on peut le supposer averti. Qu'on puisse dire en quoi consiste ce désir serait la question. Mais on peut dire ce qu'il n'a pas à être. Il prend l'exemple de la "distance" analysant-analyste dans sa visée de réduction, (Bouvet probable, ou Balint?). Il termine sur le projet de revenir sur la sublimation.


Leçon 26 : Isabelle Pagnon

LACAN soutient le caractère énigmatique de ce dont il traite en ménageant une sorte de suspense derrière des limites et des voiles D’une part, il annonce son futur séminaire sur le transfert qui permet la levée des énigmes dans la continuité de la catharsis tragique. D’autre part, il dénonce le voile qui tend à recouvrir les soi-disant buts moraux de l’analyse. Il renouvelle la critique faite dans le chap. 16, d’une pastorale analytique qui entretiendrait une vision intellectuelle confortable, celle d’’une harmonisation psychologique entre surmoi et désir. Il y a escroquerie selon lui de limiter l’un des buts de l’analyse à l’accès au stade génital du sujet,sorte d’achèvement d’ une maturation de la tendance et de l’objet qui donnerait la mesure d’un rapport au réel .Les analystes seraient mis en position d’être les garants d’une morale bourgeoise en assurant aux analysants l’accès à un idéal du moi formaté selon les canons de la libération sexuelle des années 60 c'est-à-dire possession de toutes les femmes pour un homme , de l’homme idéal pour une femme
A ce mirage original d’excursion vers la liberté et d’un bonheur sans ombre, LACAN fait plusieurs objections. Il fait crédit à Freud d’avoir souligné dans » malaise dans la civilisation » que plus la conscience morale est exigeante et plus on lui fait de sacrifices. Il rappelle que :
 le service des biens a des exigences  Que le passage de l’exigence du bonheur sur le plan politique a des conséquences (voire l’hygiénisme actuel)  Que la mise en ordre universelle de ce service des biens entraine des sacrifices en particulier une uniformisation de notre rapport au désir, un puritanisme  Et que chaque homme doit faire de son rapport avec son propre désir, un rapport avec la mort . Lacan souligne que la véritable terminaison d e l’analyse est de devoir affronter la réalité de la condition humaine, dans ce rapport à sa propre mort et de « la détresse de n’avoir à attendre d’aide de personne ».
L’hilflosigkeit, ce désarroi au-delà duquel l’angoisse n’est déjà plus une protection, renvoie à cette notion de l’entredeux morts, de cette zone où la mort empiète sur la vie (chap21 p430), de toucher au terme pour l’homme de ce qu’il est, et de ce qu’il n’est pas.
LACAN nous ramène à l’énigme œdipienne, à ce temps qui s’écoule entre le moment où Oedipe devient aveugle et le moment de cette mort unique. OEDIPE n’a pas eu de père interdicteur en l’occurrence, il n’a pas pu faire de complexe d’Oedipe. Il n’adonc pas commis de faute car il ne savait pas qu’il avait tué son père. Cette ignorance le dédouane t’il pour autant de son passage à l’acte ? Un sombre désir ne le poussait il pas à fuir ses parents adoptifs et n’avait il pas eu vent d’une généalogie criminelle du coté paternel ?il ne savait pas non plus que son triple bonheur d’être en couple, d’être roi et de gouverner une cité en paix était lié à un autre crime, l’inceste maternel. L’ignorance dans laquelle Oedipe a été maintenu par ses proches pourrait l’absoudre de châtiment. Or, il se punit mais alors de quoi ? Il se punit d’avoir été captivé et dupé de son accès au bonheur. il renonce à ses biens et va chercher un au-delà, il entre dans la zone où il va chercher son désir de savoir mais insiste LACAN, il conserve sa dignité sur ses biens malgré ses infirmités jusqu'à l’article de sa mort.
Lacan va quérir un autre héros de tragédie cette fois shakespearienne qui illustre ce franchissement d’Oedipe, du souverain bien . C’est le roi LEAR. Celui-ci s’arrache du « service des biens « pour s’affranchir des illusions de l’amour du prochain. Il veut sa liberté et confie ses charges à ses filles, tout en voulant garder ses prééminences de roi. Mais il va être trahi par ses deux filles ainées.
Oedipe et Lear veulent s’affranchir du service des biens, mais se retrouvent seuls et trahis. Lacan insiste sur la négation de la parole finale d’Oedipe : plutôt ne pas naitre ou ne pas être, selon les traductions. La négation confirme la spaltung entre énonciation et énoncé, entre je et moi. Contrairement à l’être humain commun qui ne prend pas de risque et veut éviter la mort, Oedipe en soutenant son désir de savoir jusqu’au bout est soumis à une pulsion de mort et décide de se soustraire de lui-même à l’ordre du monde. Sa mort n’est pas accidentelle, mais se veut une malédictionconsentie. Ce fait constitue la zone limite intérieure du rapport au desir pour toute expérience humaine , qui est toujours rejetée au-delà de la mort
. Les êtres humains ordinaires préfèrent subir l’interdit que la castration. Est ce à cause de la figure du père interdicteur, de son incorporation au moment du déclin de l’Oedipe ? Questionne LACAN. Pourquoi est on si méchant avec nous-mêmes ?c’est peut être que nous avons beaucoup de reproches à faire au père comme dans le cas du deuil ? Au moment du déclin de l’Œdipe le père réel qui est le père castrateur s’efface derrière le père imaginaire. Ce dernier qui prive l’enfant de sa mère, se voit attribuer par son enfant vers l’âge de 5 ans, la responsabilité de l’avoir si mal foutu, Se substitue alors, au moment du deuil du père imaginaire, la création dune image providentielle de Dieu et la fonction du surmoi qui est haine de Dieu d’avoir si mal fait les choses. Avec cette démonstration, LACAN affirme expliquer la genèse du surmoi plus vertement, qu’Ernst Jones et ses trois voiles analytiques, « haine, crainte et culpabilité »
Lacan remonte à l’autoérotisme des premiers pères des mythes fondateurs évoqués dans La théogonie d’Hésiode. Là ce sont les pères qui sont châtrés par leur fils non désirés. Leur sang engendre des monstres. Il y a alliance entre la déesse mère et le -fils contre le père et désir de la mère d’être dans une relation totalisante avec son fils. « Chacun sait que cette castration là est là à l’horizon » nous dit LACAN. Puis cette notion de castration a évolué vers la conception freudienne dans laquelle le petit d’homme a peur d’être privé par son père bien qu’il n’ait qu’un piètre organe. Mais l’Oedipe se termine surtout quand l’enfant s’aperçoit que son père n’est pas aussi puissant qu’il le croyait, il sauve l’image de son père et le fait apparaitre Tout-Puissant
Ainsi Freud sauve son père deux fois, et dans son histoire personnelle et dans le mythe de totem et tabou .A partir du souvenir d’un père bousculé, pas franchement glorieux, mais aimé, Freud a élaboré le mythe d’un père géant, meneur de la Horde primitive.
Lacan s’écarte de la conception freudienne un peu naïve du père interdicteur et dévoile une topologie du désir de savoir aiguillé vers la Chose, Autre préhistorique, qui le condamne à la répétition..Il revient en boucle sur le fait qu’Oedipe n’a pas connu son père.et que la seule fonction du père est d’être un mythe, le Nom du père, le père mort comme dans totem et tabou. Il faut que l’aventure humaine soit menée à son terme en obéissant à une injonction aveugle tel Oedipe avec les yeux crevés ou Antigone vers son tombeau ,en franchissant une li mite de l’ « ate » ,Ces héros sont au-delà de la crainte et de la pitié , au-delà du service des biens, au-delà de l’amour du prochain.ils obéissent à une Loi qui n’est pas intériorisation de la loi . « C’est par quelque franchissement de la limite, bénéfique, que l’homme fait l’expérience de son désir, nous dit LACAN. Ne pas franchir cette limite et rester dans la crainte, peut conduire au risque majeur d’aphanisis, le terme créé par JONES, de ne pas désirer.
Pour l’homme du commun, qui a connu le complexe ‘Oedipe et qui est soumis à un surmoi, la double limite au-delà de la mort réelle, risquée jusqu’à la mort « préférée », est une zone le plus souvent inaccessible et voilée par la haine de l’être, tel Créon qui en voulant faire le bien de la cité finit par faire le mal.
En reprenant la métaphore du vase, Il ya une limite extérieure avec la crainte d’être séparé du service des biens, , et la limite interne de la seconde mort.
Pour les héros qui ne ressentent aucune faiblesse, il en va autrement. Oedipe vise « l’entre pour la mort » l’anéantissement voulu de son être, mais entre l’arrachement au souverain bien et son invisible disparition, Oedipe ne renonce pas à son désir absolu de savoir, exigeant tout.
Le désir pousse le sujet à aller au-delà du principe du plaisir et n’est pas au service de la conscience morale.

Leçon 27 : Jean-Jacques Lepitre

Il propose, dit-il, en final un assortiment de propositions.
L'éthique est un jugement sur notre action en tant qu'elle est elle même fondée sur un jugement, double jugement donc. L'éthique de la psychanalyse est en tant que celle-ci, la psychanalyse, peut nous éclairer sur notre action. Non au sens d'une adéquation avec des instincts naturels, vision naïve et rousseauiste, hédoniste erronée, (d’une morale dite naturelle) mais en ce qu'elle fait retour au sens de cette action par "catharsis", c'est à dire décantation, purification. Ce "connais-toi toi-même" réalisé, ce retour au sens effectué par la catharsis, tout irait-il tout seul? N'y aurait-il plus que bonté et bienveillance? Que non pas, que ce soit l'exemple de la réaction thérapeutique négative, ça va bien, mais ça va pire, ou crûment la malédiction consentie d'Oedipe: "n'être pas né". L'exemple de la tragédie met en lumière le rapport de l'action avec le désir qui l'habite. C'est l'élément central de l'éthique issue de l'analyse, opposée ici au "service des biens". (cf Christian et Rima) Elle est dans "l'expbérience tragique de la vie" où l'action se situe par rapport à la mort. Triomphe de la vie sur la mort, ou triomphe de "l'être pour la mort" dans le "n'être pas né". La question de la mort renvoyant aussi à l'entrée du sujet dans le domaine du signifiant, écho rapide avec la "Chose". (au réel comme étant ce que le symbolique expulse pour constituer la réalité) Dans le comique, qui apparaîtrait comme l'opposé, il y a le phallus, comme le signifiant du triomphe de la vie malgré tous les obstacles, chutes, mais où la mort n’est pas là... C'est notre désir, étant au cœur de l'expérience analytique, qui fait qu'un révision éthique est possible, et telle qu'elle puisse se formuler comme:" Avez-vous agi conformément au désir qui vous habite?". (non injonction, mais repère). A ce pôle du désir s'oppose la tradition, l'éthique ordinaire, qui se définit, et déjà chez Aristote, comme étant au service des biens. Cette éthique traditionnelle se fonde du pouvoir. (qu’est-ce qui appartient à qui, et qui le gère, mais aussi le bien moral, qui gère les relations dans la cité, et qui en décide). Ce pouvoir se heurtant éventuellement au déchaînement des signifiants qu'Aristote origine du côté des bêtes ou des dieux. Ainsi les passions ne peuvent être ni supprimées ni ne doivent être exaltées juste tempérées. Ce déchaînement, on a tenté de le réduire en le situant dans le "Nom du Père". (cf Dieu le Père). La morale d'Aristote prend appui sur le pouvoir, les maîtres. Leur discours est toujours le même: "Travaillez, pour le désir vous attendrez". Kant le premier a dégagé le champ de l'éthique de toute considération pragmatique ou intéressée en le portant à l'universel. Abstrayant l'impératif catégorique, il l'épure en une place vide de tout objet, place vide du désir éthique. (qui ne peut être valide s’il vise un quelconque bien matériel ou moral par quoi serait remise en cause son abstraction et en conséquence son universalité possible). Où Sade, en cette place vide, mettra facilement son impératif de jouissance. Mais Kant lui-même, comme pendant de cette exigence intérieure, situera la réalisation de sa perfection dans un au-delà, une transcendance. C'est qu'il ignore ce que montre l'expérience analytique: la dimension du sujet prise dans le signifiant, qui fait que tout ce qui se passe pour lui est comptabilisé quelque part. Il prend l'exemple du film de Dassin, où toutes les actions du héros entraînent un frémissement de la caisse enregistreuse. À l'horizon de la culpabilité, dans le champ du désir, il y a cette comptabilité permanente. Et ça, peut-être indépendamment du moment historique, la ritournelle du pouvoir restant: "Travaillez, pour le désir vous repasserez, circulez, il n'y a rien à voir". Toujours le service des biens. Et le communisme, malgré l'absence divine, malgré la supposition d'un état universel où il se dissoudrait lui-même en ses services: police, justice, etc, n'a pas pu faire que la comptabilité n'y demeure pas. Et qu'alors, à ce vide qui exigeait chez Kant l'existence de l'âme, se substitue le concept de culpabilité objective. (cf les procès staliniens, « L’aveu » Costa-Gavras). Opposition donc du centre du désir et du service des biens. Il propose donc que la seule chose dont on puisse être coupable, dans la perspective analytique, c'est d'avoir cédé sur son désir. C'est de cela dont le sujet se sent coupable. S'il a cédé ce peut être pour les meilleurs motifs, les meilleures intentions, pour faire le bien, de lui-même, ou même de l'autre. Cela ne met pas pour autant à l'abri de la culpabilité, voire des catastrophes intérieures, les névroses en témoignent. Le désir est ce qui supporte le thème inconscient, cf Antigone par exemple, qui nous enraciné dans une destinée particulière, dont la dette doit être payée. Le héros et l'homme du commun sont une seule et même personne. L'être pour la mort de l'un ne s'oppose pas à la haine, la culpabilité et la crainte de l'autre. L'homme du commun, selon les circonstances, peut être un héros. L'exemple de Philoctéte, homme du commun, parti combattre Troie avec les flèches d'Hercule, mais qui puant trop est débarqué par Ulysse sur une île déserte, et trahi, pardonne et va malgré tout vaincre Troie qui ne pouvait tomber sans ces flèches. Ceci pour introduire que céder sur son désir a toujours un lien avec la trahison. Trahison du sujet de lui-même, ou trahison d'un autre. Trahison entraînant un renoncement, et ce même au nom du bien. De cela, dit Lacan, il n'y a pas de retour.
En final, trois propositions: - La seule chose dont on puisse être coupable c'est d'avoir céder sur son désir. - Le héros, c'est celui qui peut impunément être trahi - Si les biens existent, d'une certaine façon il n'y pas d'autre bien que celui qui peut servir à payer le prix de l'accès au désir. Celui-ci, rappelle-t-il, étant la métonymie de notre être, soit ce qui court sous la chaîne signifiante. Ce "manger le livre", qu'il a pris comme exemple, et qui concerne la pulsion la plus commune, montre bien que la sublimation dont parle Freud vise un changement de but et pas d'objet, le livre ne nous remplit pas l'estomac. On se l'approprie, on le devient. Mais cette sublimation se paye. On paye avec quelque chose. Ce quelque chose, et là il y a une ambiguïté peut-être dans la formulation de Lacan, c'est la jouissance, et cette opération, la sublimation, se paye avec la livre de chair. Alors qu'elle est la monnaie de ce paiement: la jouissance et/ou la livre de chair(?). (Peut-être bien les deux : Il y a déviation de la jouissance et paiement de la livre de chair). De celle-ci, il montre le glissement, pour faire entendre que c'est d'un bien qu'il s'agit. La viande, l'agneau du sacrifice religieux, la livre de chair, c'est bien souvent les prêtres qui la mangent. Bien consommable donc. Le saint ne s'en distingue pas même s'il paye pour les autres. La catharsis se distingue de l'œuvre religieuse, son sacrifice, le Christ est l'agneau de Dieu. Elle rassemble dans sa nature éthique la tragédie grecque et la psychanalyse. Elle est purification du désir de se situer au franchissement des limites de la crainte et de la pitié. Et le spectateur de la tragédie en sait un peu plus sur le profond de lui-même ayant vu le héros franchir ces limites, sans reculer devant le bien, y compris celui d'autrui, et s'il ne peut pas faire mieux qu'il ne fait, le spectateur, au moins il en est éclairé. La catharsis ne se réduit pas du tout à une dimension pacifiante et morale, elle pénètre les zones de "l'égarement", cf Antigone, des passions, de l'horreur.
En guise de conclusion, Lacan s'interroge: la science du désir va t-elle entrer dans le cadre nouveau à l'époque, 1906, des "sciences humaines"? Celles-ci semblent bien se profiler, à son sens, comme étant au service des biens, autrement dit du pouvoir. Aujourd'hui, il y aurait lieu de s'interroger dans ce sens sur le développement des nouvelles sciences humaines, neuro-cognitives. Il pense que ce qui occupe la place du désir, (à savoir, si je peux le traduire, cette visée centrée sur le vide de la "Chose"), c'est la science elle-même. A savoir que dans ces périodes historiques où le désir de l'homme a été endormi par les moralistes, domestiqué par les éducateurs, trahi par les académies, il s'est réfugié, s'est refoulé dans la passion la plus aveugle, cf Oedipe, celle du savoir, qui mène aujourd'hui grand train. Et la culpabilité des scientifiques, d'être face au mur de la haine, cf Oppenheimer, et d'autres, et aujourd'hui l'écologie peut-être, n'arrêtera rien. C'est là pourtant que gît pour l'avenir le secret du problème du désir, dont la science, même si elle occupe cette place, est inconsciente. Finalement, l'important n'est pas de savoir si l'homme est bon ou mauvais, question morale peut-être, mais de savoir ce que donnera le livre quand il aura été tout à fait mangé. Question tellement actuelle.